T-3848-80
Zaiboon Nesha (Requérante)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration et
Paul Tetreault en sa qualité d'arbitre nommé en
vertu de la Loi sur l'immigration de 1976
(Intimés)
Division de première instance, le juge suppléant
Smith—Winnipeg, 18 août 1980 et 7 février 1981.
Brefs de prérogative — Prohibition — La requérante solli-
cite un bref de prohibition afin d'interdire, en attendant la
décision du Ministre à l'égard de sa demande de permis
ministériel de séjour au Canada, la poursuite d'une enquête
ouverte à la suite d'un rapport établi conformément à l'art.
27(2) de la Loi sur l'immigration de 1976 — La demande
d'ajournement de l'enquête a été formulée avant l'administra-
tion des preuves — Il échet d'examiner s'il y a lieu à bref de
prohibition — Le bref de prohibition ne sera pas décerné, mais
nulle ordonnance d'expulsion ne peut être émise en attendant
la décision du Ministre — Loi sur l'immigration de 1976, S.C.
1976-77, c. 52, art. 27(2), 37(2), 123.
La requérante sollicite la délivrance d'un bref de prohibition
afin d'interdire la poursuite d'une enquête ouverte à son sujet à
la suite d'un rapport établi conformément à l'article 27(2) de la
Loi sur l'immigration de 1976. Après son arrestation, la requé-
rante a demandé au ministre de l'Emploi et de l'Immigration de
lui accorder un permis ministériel de séjour au Canada. Le
lendemain, une enquête a été ouverte. La requérante a
demandé l'ajournement de cette enquête avant l'administration
des preuves en attendant la décision du Ministre sur le redresse-
ment sollicité. La demande d'ajournement a été rejetée. L'arti-
cle 37(2) exclut du bénéfice du permis ministériel les personnes
ayant fait l'objet d'une ordonnance de renvoi ou d'un avis
d'interdiction de séjour. Il échet d'examiner s'il y a lieu à bref
de prohibition en attendant la décision du Ministre à l'égard de
la demande de permis ministériel de la requérante.
Arrêt: une ordonnance d'expulsion ne doit pas être émise tant
que le Ministre n'a pas statué sur la demande. Cette dernière a
été présentée au Ministre en temps utile. Le fait que le pouvoir
d'accorder, dans des cas spéciaux, des permis de séjour au
Canada découle de la loi signifie qu'on s'attend à ce qu'il soit
exercé dans des cas où le Ministre ou une personne à qui il a
régulièrement délégué ce pouvoir le juge approprié. Pour déter-
miner si une demande d'autorisation de demeurer au Canada
devrait être accueillie ou non, le Ministre, ou son délégué, doit
être saisi de la demande et des éléments de preuve tendant à
l'appuyer ou à la combattre. Il est raisonnable de conclure que
le pouvoir du Ministre ne doit pas être anéanti par la délivrance
par un arbitre d'une ordonnance d'expulsion alors qu'une
demande de redressement spécial est pendante.
Arrêts appliqués: Ramawad c. Le ministre de la Main-
d'oeuvre et de l'Immigration [1978] 2 R.C.S. 375; Laneau
c. Rivard [1978] 2 C.F. 319. Arrêts examinés: Louhisdon
c. Emploi et Immigration Canada [1978] 2 C.F. 589;
Oloko c. Emploi et Immigration Canada [1978] 2 C.F.
593; Murray c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion [1979] 1 C.F. 518; Nelson c. Ormston (non publié,
T-4924-78).
DEMANDE de bref de prohibition.
AVOCATS:
Ken Zaifman pour la requérante.
Brian Hay pour les intimés.
PROCUREURS:
Kopstein & Company, Winnipeg, pour la
requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
dl l'ordonnance rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: Par la présente
demande, la requérante sollicite la délivrance d'un
bref de prohibition qui interdirait à Paul Tetreault,
un arbitre, de poursuivre l'enquête ouverte au sujet
de la requérante à la suite du rapport dont cette
dernière a fait l'objet en vertu du paragraphe
27(2) de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C.
1976-77, c. 52. Cette enquête a commencé le 31
juillet 1980.
Il ressort de son affidavit et d'une lettre datée du
29 juillet 1980 par elle adressée au ministre de
l'Emploi et de l'Immigration que la requérante est
née le 9 mars 1941 Georgetown, en Guyane, et
est citoyenne de la Guyane. Elle est venue au
Canada en novembre 1975 et y est restée jusqu'à
ce jour. Il semble qu'elle ait eu des emplois stables
depuis son arrivée au Canada jusqu'au 25 juillet
1980, tout d'abord à Toronto comme ménagère et
gardienne d'enfants jusqu'en août 1976, et ensuite
comme ménagère à Winnipeg. Rien dans le dossier
n'indique comment ou en quelle qualité elle a été
admise au Canada, mais il ressort de la lettre
qu'elle a envoyée au Ministre qu'elle est [TRADUC-
TION] «une personne se trouvant illégalement» au
Canada.
Le 25 juillet 1980, elle fut arrêtée en vertu de la
Loi sur l'immigration de 1976. Le 28 juillet 1980,
elle fut libérée moyennant un cautionnement de
$750. Le jour suivant, elle écrivit au Ministre une
lettre qui fut envoyée à ce dernier le 30 juillet
1980.
Le 31 juillet 1980, M. Tetreault a, en vertu du
paragraphe 27(2) de la Loi sur l'immigration de
1976, ouvert une enquête. Dès le début, la requé-
rante a présenté à M. Tetreault une copie de la
lettre envoyée au Ministre et son avocat a
demandé l'ajournement de l'enquête avant que
toute preuve ne soit produite, jusqu'à ce qu'une
décision ait été rendue par le Ministre sur le
redressement sollicité. La demande d'ajournement
a été rejetée.
Fait à noter, la requérante, dans . sa lettre, ne
demande pas expressément au Ministre de permis
l'autorisant à demeurer au Canada. Elle y précise
toutefois que si elle est renvoyée en Guyane, elle
risque de se faire tuer par son ex-concubin qui,
selon elle, l'a menacée de mort. Elle supplie le
Ministre de lui sauver la vie en lui permettant de
rester au Canada, déclarant qu'il est la seule per-
sonne qui puisse l'aider. La façon évidente, et à
mon avis la seule, qu'a le Ministre de l'aider à
demeurer au Canada est de lui délivrer, en vertu
du pouvoir discrétionnaire qu'il tient du paragra-
phe 37(1) de la Loi sur l'immigration de 1976, un
permis écrit l'autorisant à y demeurer. A mon avis,
sa lettre révèle bien son intention de demander au
Ministre un permis de demeurer au Canada.
Pour ce qui est de la demande de bref de
prohibition, le paragraphe 37(2) est en l'espèce
pertinent. Ce paragraphe porte ce qui suit:
37... .
(2) Par dérogation au paragraphe (1), ne peuvent obtenir le
permis
a) les personnes ayant fait l'objet d'une ordonnance de
renvoi, qui se trouvent encore au Canada sauf si l'appel
interjeté de cette ordonnance a été accueilli;
b) les interdits de séjour qui n'ont pas encore quitté le
Canada; ou
La requérante craint que si l'enquête ouverte
par l'arbitre est reprise et aboutit à une ordon-
nance de renvoi ou d'expulsion ou à un avis d'inter-
diction de séjour, le Ministre n'ait plus le pouvoir
de lui accorder un permis de demeurer au Canada
et les motifs humanitaires ou de compassion
qu'elle a avancés pour la délivrance du permis ne
soient jamais pris en considération. La question de
droit dont je suis saisi est de savoir si, dans les
circonstances, la Cour devrait accueillir sa
demande de bref de prohibition temporaire, en
attendant que le Ministre statue sur la demande de
permis qu'elle lui a présentée.
J'ai entendu la présente demande le 18 août
1980 et ai sursis à statuer afin de pouvoir examiner
la jurisprudence. Deux ou trois jours plus tard,
l'avocat de la requérante m'a informé verbalement
que certaines autres mesures ayant été prises, il n'y
avait plus urgence à statuer. Puisque à l'époque
j'avais à trancher beaucoup d'autres questions, j'ai
donc décidé de mettre de côté la présente affaire,
prévoyant recevoir peu après des nouvelles de l'un
ou l'autre avocat, ou des deux. N'ayant pas reçu de
leurs nouvelles et ayant été informé par un fonc-
tionnaire du bureau de Winnipeg de la Cour fédé-
rale que rien n'a été déposé par les deux parties
depuis la date de l'audition, j'estime qu'il est main-
tenant nécessaire de juger la présente demande.
Il convient de souligner que le Parlement a
adopté une nouvelle Loi sur l'immigration qui est
entrée en vigueur le 10 avril 1978. Bien que beau-
coup des dispositions de l'ancienne Loi soient
reprises dans la nouvelle, celle-ci contient beau-
coup de nouvelles dispositions et la numérotation
des articles est complètement changée.
Les avocats ont cité plusieurs causes qui méri-
tent d'être prises en considération. La première est
l'affaire Ramawad c. Le ministre de la Main-
d'oeuvre et de l'Immigration, une décision que la
Cour suprême du Canada a rendue le 23 novembre
1977 et qui a été publiée à [1978] 2 R.C.S. 375.
L'appelant dans cette affaire était entré au
Canada à titre de non-immigrant, puis avait
obtenu un visa d'emploi. En apprenant qu'il devait
quitter le pays parce que son visa avait expiré
puisqu'il avait enfreint une de ses conditions, l'ap-
pelant demanda un nouveau visa d'emploi et fut
considéré comme une personne cherchant à être
admise au Canada aux termes du paragraphe 7(3)
de l'ancienne Loi. L'appelant fut interrogé confor-
mément à l'ancien article 22 et signalé à un enquê-
teur spécial qui tint une enquête en vertu de
l'ancien paragraphe 23(2). L'enquêteur spécial
jugea que l'appelant ne pouvait obtenir un visa
d'emploi en raison de l'alinéa 3D(2)b) du Règle-
ment, qui interdisait de délivrer un visa à un
requérant qui «a enfreint les conditions d'un visa
d'emploi qui lui a été délivré au cours des deux
années précédentes». L'appelant invoqua l'alinéa
3Gd) du Règlement, qui autorisait le Ministre à
lever l'interdiction «en raison de circonstances par-
ticulières». L'enquêteur spécial décida qu'aucune
circonstance particulière ne permettait de lever
l'interdiction et conclut que l'appelant ne pouvait
être autorisé à demeurer au Canada. Une ordon-
nance d'expulsion fut rendue sur-le-champ. L'ap-
pelant présenta, sur le fondement de l'article 28 de
la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), c. 10, une demande tendant à l'examen et
à l'annulation par la Cour d'appel fédérale de cette
ordonnance. La demande fut rejetée par décision
non motivée.
La Cour suprême a, à l'unanimité, accueilli
l'appel formé contre la décision de la Cour d'appel
fédérale. Voici les motifs invoqués pour accueillir
l'appel tels qu'ils sont énoncés dans le sommaire:
Le pouvoir du Ministre, aux termes de l'al. 3Gd) du Règle-
ment, de se prononcer sur l'existence de circonstances particu-
lières qui justifieraient la levée de l'interdiction prescrite par
l'al. 3D(2)b), ne pouvait être exercé par l'enquêteur spécial en
vertu d'une délégation de pouvoir implicite du Ministre. En
conséquence, la décision de l'enquêteur spécial selon laquelle il
n'y avait aucune circonstance particulière était invalide. L'inva-
lidité de cette décision a vicié l'ordonnance d'expulsion.
L'ordonnance d'expulsion a été infirmée.
Le pouvoir d'un enquêteur spécial de tenir une
enquête comme celle de l'affaire Ramawad appar-
tient maintenant à un fonctionnaire appelé arbitre.
La deuxième cause invoquée est Laneau c.
Rivard, affaire tranchée le 21 décembre 1977 par
le juge Decary de la Division de première instance
de la Cour fédérale, dont la décision a été publiée
à [1978] 2 C.F. 319. Dans cette affaire, l'appe-
lante avait demandé au ministre de l'Immigration
de lui délivrer un permis l'autorisant à demeurer
au Canada en vertu du pouvoir discrétionnaire que
lui conférait l'article 8 de la Loi sur l'immigration.
(Ce pouvoir est maintenant conféré au Ministre
par l'article 37.) A la page 320, le juge Decary
s'exprime en ces termes: «... cette demande, il est
important de le souligner, fut faite avant même
que les autorités de l'immigration n'aient convo-
qué, ou communiqué avec la requérante.» Dans
l'affaire Ramawad, la demande avait été formulée
à l'issue de l'enquête spéciale, mais avant que
l'enquêteur spécial n'ait donné le dispositif de sa
décision et n'ait ordonné la détention et l'expulsion
de l'appelant. La Cour suprême a statué que la
demande avait été faite en temps utile. En l'espèce,
la demande, sous forme de lettre, a été postée le
jour précédant celui de l'ouverture de l'enquête, et
le jour suivant, avant que quelque preuve ait été
produite, l'avocat de l'appelante a demandé un
ajournement de l'enquête en attendant la décision
du Ministre. Je conclus donc qu'en l'espèce, la
demande a été présentée au Ministre en temps
utile.
Dans l'affaire Laneau, la requérante avait été
convoquée à une enquête spéciale avant de recevoir
du Ministre une réponse à sa demande. L'avocat
de la requérante avait, dès le début de l'enquête,
tout comme dans le cas qui nous occupe, contesté
le pouvoir pour l'enquêteur spécial de tenir une
enquête avant que le Ministre ait répondu à la
requérante. L'enquêteur spécial (tout comme l'ar-
bitre en l'espèce) avait refusé d'ajourner l'enquête.
C'est alors que la requérante avait demandé un
bref de prohibition en vue de l'empêcher de conti-
nuer l'enquête.
Le juge Decary a examiné les pouvoirs d'un
enquêteur spécial en vertu des articles en vigueur à
l'époque, savoir les articles 11 et 27, de même que
le pouvoir du Ministre en vertu de l'article 8
(devenu l'article 37) de la Loi sur l'immigration.
A propos des pouvoirs du Ministre, il dit ceci à la
page 329:
A mon avis, ces pouvoirs ont préséance sur ceux que détient
l'enquêteur spécial en vertu des articles 11 et 27 de la même loi
dans les cas où tous les deux seraient saisis de la même cause;
les dispositions de l'article 8(1) explicitent sans équivoque le
fait que le Ministre peut délivrer un permis écrit autorisant
toute personne entrée au Canada à y demeurer à l'exclusion de
deux catégories, auxquelles, indiscutablement, la requérante
n'appartient pas.
(La requérante en l'espèce n'appartient à
aucune de ces catégories.)
Et à la page 330, il s'exprime en ces termes:
Le pouvoir du Ministre d'émettre ou de refuser un permis est
de sa juridiction exclusive. En effet, les pouvoirs que le Ministre
peut déléguer à ses représentants sont strictement limités à ce
que le Parlement a autorisé. Or, il n'existe nulle part dans la
Loi et le Règlement une disposition autorisant le Ministre,
directement ou indirectement, à déléguer à un enquêteur spé-
cial ces pouvoirs conférés à l'article 8.
Se fondant sur ce que je viens de citer, le juge
poursuit:
En l'absence de telle autorisation législative, la doctrine et la
maxime udelegatus non potest delegare» interdisent à l'intimé
de poser quelque geste que ce soit qui, à toute fin pratique,
empêche ultérieurement le Ministre de rendre une décision
favorable à la requérante en réponse à sa demande en vertu de
l'article 8.
Le renvoi à l'article 8 vise l'alinéa (1)b) de cet
article, qui correspond à l'alinéa 37(2)b) de la
nouvelle Loi (cité plus haut dans les présents
motifs).
Sans être en désaccord avec ce que dit le juge
Decary de la faculté pour le Ministre de déléguer
des pouvoirs à un enquêteur spécial sous le régime
de l'ancienne Loi, la situation est entièrement dif-
férente sous la nouvelle Loi. L'article 123 de la
nouvelle Loi est ainsi rédigé:
123. Le Ministre ou le sous-ministre peut, lorsqu'il le juge
nécessaire, déléguer à des employés de la fonction publique du
Canada les pouvoirs et fonctions que lui confèrent la présente
loi ou les règlements, à l'exception de ceux qui sont visés aux
alinéas 19(1)e) et 19(2)a), aux paragraphes 39(1) et 40(1), à
l'alinéa 42b) et au paragraphe 83(1). Les actes accomplis par
lesdits fonctionnaires sont réputés l'avoir été par le Ministre ou
le sous-ministre, selon le cas.
Le Ministre est, en vertu de cet article, doté
d'un très large pouvoir de délégation. L'article 37
ne figure pas parmi ceux auxquels l'interdiction de
délégation s'applique. Par conséquent, rien n'em-
pêche le Ministre de déléguer à un arbitre le
pouvoir discrétionnaire qu'il tient de l'article 37 de
délivrer un permis écrit autorisant à demeurer au
Canada toute personne qui a fait ou peut faire
l'objet d'un rapport en vertu du paragraphe 27(2).
La seule question est de savoir si le Ministre a
délégué ce pouvoir. Rien ne tend à le prouver. En
l'absence de la preuve d'une telle délégation, de-
vrait-on conclure par l'affirmative? Vu qu'il est
courant d'affirmer que le pouvoir du Ministre à ce
sujet ne doit s'exercer favorablement que dans des
cas exceptionnels, et que ce pouvoir lui a été
conféré par le législateur dans, le dessein manifeste
de permettre d'éviter l'application d'une disposi
tion législative rigide dans des cas où cette applica
tion serait complètement injuste et déraisonnable
étant donné les circonstances, je doute fort qu'il
faille ainsi conclure.
Le juge Decary a accueilli la demande dans
l'affaire Laneau et rendu une ordonnance interdi-
sant à l'enquêteur spécial intimé de continuer son
enquête sur la requérante tant que le Ministre
n'aurait pas exercé son pouvoir discrétionnaire.
Les deux autres décisions ont été rendues le
même jour, soit le 13 mars 1978, par la Cour
d'appel fédérale constituée des mêmes juges. Il
s'agit des affaires Louhisdon c. Emploi et Immi
gration Canada [1978] 2 C.F. 589 et Oloko c.
Emploi et Immigration Canada [1978] 2 C.F.
593. Dans ces deux affaires, des requêtes avaient
été introduites en vue de l'ajournement des enquê-
tes tenues par des enquêteurs spéciaux en atten
dant qu'il ait été statué sur les demandes de permis
présentées au Ministre. Dans les deux cas, les
requêtes ont été rejetées et des ordonnances d'ex-
pulsion ont été rendues contre les requérants.
Ceux-ci se sont adressés à la Cour d'appel fédérale
pour faire annuler les ordonnances d'expulsion. La
Cour a rejeté les appels à la majorité, majorité
constituée des juges Pratte et Ryan, le juge Le
Dain étant dissident dans les deux cas.
Les motifs de la majorité étaient les mêmes dans
les deux affaires, tout comme ceux de la minorité.
Les motifs que le juge Pratte a prononcés pour la
majorité sont énoncés dans l'arrêt Louhisdon. Le
seul moyen du requérant était que l'enquêteur
spécial avait commis une erreur qui lui avait fait
perdre compétence en refusant de se rendre à la
demande du requérant d'ajourner le prononcé de
l'ordonnance d'expulsion et de déférer l'affaire au
Ministre pour qu'il décide s'il consentait à délivrer
un permis autorisant le requérant à demeurer au
Canada. Suivant l'avocat du requérant, l'enquê-
teur spécial avait agi illégalement en prononçant
l'ordonnance d'expulsion, parce que ce faisant il
avait privé le requérant de la possibilité d'obtenir
un permis du Ministre. L'avocat s'est appuyé sur
la décision que la Cour suprême a rendue dans
l'affaire Ramawad.
Le juge Pratte dit ceci à la page 591:
Cette prétention, à mon sens, n'est pas fondée. L'article 8 de
la Loi sur l'immigration n'accorde au Ministre que le pouvoir
de décerner un permis; il ne crée aucun droit en faveur de ceux
qui pourraient bénéficier de l'exercice de ce pouvoir. Il est vrai
que le prononcé de l'ordonnance d'expulsion a eu pour effet de
priver le requérant de la possibilité que le Ministre lui délivre
un permis. Mais, de cela, le requérant ne saurait se plaindre;
l'ordonnance d'expulsion produit cet effet en vertu de la loi
quelque soit le moment où elle est prononcée. A mon avis, la
décision de la Cour suprême dans l'affaire Ramawad ne peut
aider le requérant. Tout ce qu'on a décidé dans cette affaire,
selon moi, c'est que celui qui sollicite un visa d'emploi en vertu
des articles 3B et suivants du Règlement sur l'immigration,
Partie d, et qui demande que son cas soit soumis au Ministre
pour qu'il exerce le pouvoir que lui confère l'article 3Gd) du
Règlement ne peut, aussi longtemps que le Ministre n'a pas été
saisi de l'affaire, être expulsé en raison du fait qu'il n'a pas de
visa d'emploi.
Je conviens que le juge Pratte a exposé ce qui
avait été réellement tranché dans l'affaire Rama -
wad, mais, à mon avis, par analogie, le raisonne-
ment tenu dans cette affaire pourrait s'appliquer
aux faits de l'affaire Louhisdon et aussi à l'espèce
présente. La personne dont le droit d'être au
Canada dépend de la possession d'un permis de
travail valide ne se trouve plus légalement au
Canada et peut être expulsée lorsque ce permis
expire sans être renouvelé, ou lui est retiré ou
devient non valide en raison de la violation de ses
conditions. Il en est de même pour la personne qui
vient au Canada grâce à un permis de visiteur et
qui y reste au-delà du délai permis. Il en va de
même pour la personne qui est entrée illégalement
au Canada. Je ne vois pas très bien pourquoi la
Cour pourrait, du fait qu'il n'a pas encore été
statué sur la demande d'autorisation de demeurer
au pays présentée au Ministre, arrêter l'enquête
susceptible de conduire au prononcé d'une ordon-
nance d'expulsion ou annuler l'ordonnance d'ex-
pulsion déjà prononcée, dans le premier type de
cas alors qu'elle ne le pourrait pas dans d'autres
types de cas, et plus particulièrement dans le
dernier.
A mon avis, le fait que le pouvoir d'accorder,
dans des cas spéciaux, des permis de séjour au
Canada découle de la loi signifie qu'on s'attend à
ce qu'il soit exercé dans des cas où le Ministre ou
une personne à qui il a régulièrement délégué ce
pouvoir le juge approprié. Pour déterminer si une
demande d'autorisation de demeurer au Canada
devrait être accueillie ou non, le Ministre, ou son
délégué, doit être saisi de la demande et des élé-
ments de preuve tendant à l'appuyer ou à la com-
battre. Compte tenu de ces faits, il est à mon avis
raisonnable de conclure que le pouvoir du Ministre
ne doit pas être anéanti par la délivrance par un
arbitre d'une ordonnance d'expulsion alors qu'une
demande de redressement spécial est pendante.
L'article 37 de la Loi ne crée en faveur de l'auteur
d'une demande de permis aucun droit de demeurer
au Canada, mais il accorde sûrement à une per-
sonne comme la requérante à l'instance le droit de
demander un tel permis et d'obtenir que sa
demande soit étudiée. De quelle autre façon l'exer-
cice du pouvoir discrétionnaire du Ministre pour-
rait-il être demandé et son examen du cas entrer
en jeu?
Le Ministère craint, je crois, que si cette façon
de voir est admise, il sera inondé de telles deman-
des, la plupart d'entre elles futiles ou sans aucune
chance d'être accueillies et visant simplement à
gagner du temps. Compte tenu de mon expérience
des deux ou trois dernières années, je dirais que
cette préoccupation n'est pas sans fondement.
C'est une possibilité qu'on ne saurait ignorer, mais,
à supposer que la chose se produise, il me semble
qu'une administration efficace devrait permettre
de régler rapidement les cas futiles ou vains. Au
fur et à mesure que ces rejets deviendront connus,
le nombre de ces cas devrait sensiblement dimi-
nuer. En tout cas, il ne semble pas juste que des
cas sérieux, dont les faits connus révèlent qu'ils ont
une chance raisonnable de succès, se voient fermés
à l'avance un recours par la délivrance d'une
ordonnance d'expulsion. Je ne saurais admettre
que le Parlement a voulu un tel résultat.
Il ne m'appartient pas d'exprimer d'opinion sur
le cas de la présente requérante. Je dirai seulement
que si les allégations contenues dans la lettre
qu'elle a adressée au Ministre le 29 juillet 1980
s'avèrent exactes, il est permis de penser que sa
demande sera accueillie.
Depuis les affaires Louhisdon et Oloko, la juris
prudence n'a pas été constante. Dans Murray c. Le
ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1979] 1
C.F. 518 (décision rendue le 15 septembre 1978),
la Cour d'appel fédérale a suivi le raisonnement de
l'affaire Louhisdon et distingué la cause dont elle
était saisie d'avec l'affaire Ramawad.
Dans l'affaire Nelson c. Ormston, entendue le 6
novembre 1978 (no de greffe T-4924-78), le juge
Walsh, s'appuyant sur les arrêts Louhisdon et
Oloko, a statué que rien ne justifiait l'interruption
de l'enquête par voie de bref de prohibition pour la
seule raison qu'une demande de permis de séjour
au Canada avait été présentée au Ministre. Selon
le juge Walsh, au vu des faits de l'affaire, «il
demeure évident que la présente demande pour
l'obtention d'un permis introduite en vertu de l'ar-
ticle 37 a peu de chances d'être accueillie et pour-
rait, à juste titre, être classée parmi les demandes
futiles qui ne visent qu'à obtenir des délais».
A la suite de l'audition de la présente affaire,
l'avocat des intimés a attiré mon attention sur une
décision qui ne semble pas avoir été encore pu-
bliée. Le bureau d'Ottawa du ministère de la
Justice l'a informé qu'il ne possédait pas le numéro
de greffe de cette affaire, portée devant la Division
de première instance de la Cour fédérale. Il s'agit
d'une affaire concernant une certaine Mme Sidhu.
Cette affaire a été entendue par le juge Collier de
la Division de première instance de la Cour fédé-
rale. Voici, selon ce qui a été relaté à l'avocat, les
faits de la cause et la décision de la Cour:
[TRADUCTION] Mme Sidhu a été arrêtée sans mandat et a,
semble-t-il, fait l'objet d'un rapport et d'une directive en vertu
de l'article 27 de la Loi sur l'immigration de 1976. Son avocat a
alors demandé un permis (article 37 de la Loi) au ministre de
l'Emploi et de l'Immigration. Il a aussi demandé un bref de
prohibition qui interdirait la tenue de l'enquête, bref que le juge
Collier a accordé en attendant qu'une décision ait été rendue
sur la demande de permis.
Comme je l'ai indiqué plus haut dans les pré-
sents motifs, je n'ai été informé d'aucun développe-
ment dans la présente affaire depuis l'audition. Sur
la base de la situation à la date de l'audition, j'en
suis arrivé à la conclusion, pour les motifs exposés
plus haut, qu'une ordonnance d'expulsion ne
devrait pas être émise contre la requérante tant
que le Ministre n'aura pas statué sur la demande
dont cette dernière l'a saisi en vertu de l'article 37
de la Loi sur l'immigration de 1976. Si une telle
ordonnance a déjà été délivrée sans que le Ministre
ait encore statué, elle devra être annulée. Je n'or-
donnerai pas que l'enquête soit arrêtée en atten
dant la décision du Ministre, mais seulement
qu'aucune ordonnance d'expulsion ne soit émise en
attendant cette décision.
La requérante aura droit aux dépens de la pré-
sente demande.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.