A-872-80
Le procureur général du Canada (Requérant)
c.
Dennis Abrahams (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Thurlow et les juges
suppléants Hyde et Culliton—Toronto, 25 et 29
mai 1981.
Examen judiciaire — Assurance-chômage — Débrayage —
Demande d'examen et d'annulation d'une décision du juge-
arbitre admettant l'intimé au bénéfice des prestations d'assu-
rance-chômage — L'intimé a perdu son emploi par suite d'un
conflit de travail — Il s'est ensuite trouvé `un autre emploi
mais a démissionné après six mois — Le juge-arbitre a conclu
que l'intimé »s'[étaitJ mis à exercer quelque autre occupation
d'une façon régulière„ — Le juge-arbitre a adopté une inter-
prétation nouvelle et différente du mot »régulier» — Il échet
d'examiner si le juge-arbitre a commis une erreur — Loi de
1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, c. 48, art.
44(1) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c.
10, art. 28
La Cour est saisie d'une demande d'examen et d'annulation
d'une décision d'un juge-arbitre admettant l'intimé au bénéfice
des prestations d'assurance-chômage. L'intimé, qui a perdu son
emploi par suite d'un conflit de travail, s'en est ensuite trouvé
un autre, mais a démissionné six mois après pour des raisons
personnelles. Pendant toute la période visée, l'intimé avait
l'intention de reprendre son ancien emploi dès le règlement du
conflit de travail. Le juge-arbitre a infirmé la décision du
conseil arbitral et conclu que l'intimé as'[était] mis à exercer
quelque autrc occupation d'une façon régulière» au sens 'de
l'article 44(1)c) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage.
Pour arriver à cette conclusion, le juge-arbitre n'a pas tenu
compte de l'intention du prestataire de reprendre son ancien
emploi et a jugé que lorsque les faits ne permettent pas de
conclure qu'il s'agit d'un emploi occasionnel et que le presta-
taire occupe son emploi secondaire tous les jours pendant un
certain temps, il s'agit alors d'un emploi régulier pendant toute
la période où celui-ci l'occupe. Il échet d'examiner si le juge-
arbitre a commis une erreur.
Arrêt: la demande est accueillie. Comme l'article 44(1)c) de
la Loi a été uniformément interprété par les juges-arbitres dans
un grand nombre d'affaires s'étalant sur une longue période
durant laquelle le législateur a eu la possibilité à maintes
reprises, quand la loi fut modifiée et quand elle fut révisée en
1971, de rectifier l'interprétation donnée à cette disposition si
elle n'avait pas été conforme à sa volonté, il n'y a pas lieu
d'adopter maintenant une interprétation nouvelle et différente.
Ainsi, l'article 44(1)c) de la Loi ne vise pas le cas où le
prestataire a pris un emploi occasionnel, temporaire ou en guise
de bouche-trou en attendant la fin du conflit de travail.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
Paul Plourde pour le requérant.
Brian Shell pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le'
requérant.
Brian Shell, a/s de la United Steelworkers of
America, Toronto, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés â l'audience par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: La Cour a été
saisie d'une demande fondée sur l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.),
c. 10, et tendant à l'examen et à l'annulation d'une
décision rendue par le juge J. L. Dubinsky en sa
qualité de juge-arbitre nommé pour l'application
de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C.
1970-71-72, c. 48.
Cette décision infirmait la décision majoritaire
d'un conseil arbitral qui avait jugé que le pres-
tataire-intimé n'était pas admissible au bénéfice
des prestations d'assurance-chômage vu le para-
graphe 44(1) de la Loi, lequel porte:
44. (1) Un prestataire qui a perdu son emploi du fait d'un
arrêt de travail dû à un conflit collectif à l'usine, à l'atelier ou
en tout autre local où il exerçait un emploi n'est pas admissible
au bénéfice des prestations tant que ne s'est pas réalisée l'une
des éventualités suivantes, à savoir:
a) la fin de l'arrêt de travail,
b) son engagement de bonne foi à un emploi exercé ailleurs
dans le cadre de l'occupation qui est habituellement la
sienne,
c) le fait qu'il s'est mis à exercer quelque autre occupation
d'une façon régulière.
Le prestataire, qui était foreur pendant huit ans
environ chez International Nickel Company of
Canada Ltd., a perdu son emploi en même temps
que d'autres travailleurs, à la suite d'un conflit de
travail. Quelque trois semaines après la perte de
son emploi, le prestataire a trouvé un emploi de
portier dans un hôpital où il travaillait trois jours
par semaine, tout en fréquentant l'université deux
jours par semaine. Le prestataire a démissionné six
' mois après, pour des raisons personnelles. A cette
époque, le conflit de travail se poursuivait encore.
Pendant toute l'époque qui nous intéresse, le pres-
tataire avait l'intention de reprendre son emploi
chez International Nickel Company of Canada dès
le règlement du conflit de travail.
En décidant que le prestataire n'était pas admis
sible au bénéfice des prestations d'assurance-chô-
mage, la majorité du conseil arbitral s'est fondée
sur l'alinéa 44(1)b) pour conclure que le presta-
taire ne s'était pas engagé de bonne foi dans un
emploi dans le cadre de la même occupation. Elle
n'a pas cherché à savoir si l'intimé se trouvait dans
le cas prévu à l'alinéa 44(1.)c). Le membre dissi
dent a conclu de son côté que le prestataire «s'est
mis à exercer quelque autre occupation d'une
façon régulière» au sens de cet alinéa.
Le distingué juge-arbitre est parvenu à la même
conclusion, mais au moyen d'une nouvelle interpré-
tation de cet alinéa, différente de l'interprétation
qu'en avaient donnée d'autres juges-arbitres, dont
le juge Addy dans Lavallée, CUB 4404, et le juge
Cattanach dans Desrochers, CUB 4750, que le
distingué juge-arbitre a refusé de suivre.
Dès 1949, le juge Savard a exclu de l'alinéa
44(1)c) les emplois qui n'étaient pas de nature
durable mais qui n'étaient que des substituts tem-
poraires sans aucun rapport avec le lien de causa-
lité entre le chômage des prestataires et l'arrêt de
travail pour cause de conflit de travail.
Selon la jurisprudence établie par la suite par
d'autres juges-arbitres, dont les juges Cameron,
Kearney, Cattanach et Addy, il importe de tenir
compte de l'intention du prestataire de reprendre
son ancien emploi à la fin du conflit de travail
lorsqu'il s'agit d'examiner si les diverses périodes
d'emploi au cours de ce conflit doivent être consi-
dérées comme équivalentes au fait de «s' [être] mis
à exercer quelque autre occupation d'une façon
régulière», que prévoit l'alinéa 44(1)c).
Le juge Cameron s'est prononcé en ces termes
dans CUB 1247:
[TRADUCTION] L'expression «régulièrement engagé» n'est pas
définie aux termes de la Loi et je n'estime pas opportun ou de
bon aloi d'énoncer une règle absolue et rigoureuse. Quel qu'en
soit le sens, toutefois, il semble bien qu'elle rende à l'esprit
quelque chose de plus que l'acceptation d'un emploi temporaire
jusqu'à la fin de l'arrêt d'ouvrage. En d'autres termes, elle
implique un engagement dont la durée dépasse celle d'un
emploi d'occasion.
Et le juge Kearney a décidé dans CUB 2263:
Or, d'après la jurisprudence établie par l'Arbitre, le mot «régu-
lièrement» doit s'interpréter en tenant compte non pas tellement
de la durée de l'occupation que de l'intention du réclamant au
temps de son engagement, et on ne peut pas dire qu'il est
devenu «régulièrement» engagé s'il a pris l'emploi avec l'inten-
tion de l'abandonner pour aller reprendre son occupation habi-
tuelle à la fin du différend de travail et de l'arrêt d'ouvrage.
Et le juge Cattanach dans CUB 4750:
D'autre part, le prestataire est admissible au bénéfice des
prestations si, en vertu de l'alinéa 44(1)c), il s'est mis à exercer
quelque autre occupation d'une façon régulière. Ce qui signifie
clairement que le prestataire doit avoir abandonné son premier
emploi et en avoir accepté un autre.
Pour être admissible au bénéfice des prestations conformé-
ment à l'alinéa b), le prestataire doit exercer un emploi dans le
cadre de l'occupation qui est habituellement la sienne, c'est-à-
dire la même occupation; mais en vertu de l'alinéa c), il doit
s'être mis à exercer quelque autre occupation. L'utilisation du
terme «autre» suppose une occupation différente de celle qui est
habituellement celle du prestataire et l'abandon de son premier
emploi par ce dernier ....
Et enfin, le juge Addy dans CUB 4404:
On ne peut pas raisonnablement conclure que le prestataire
«se soit mis à exercer quelque autre occupation d'une façon
régulière» (article 44(1)c) de la Loi) étant donné qu'il entendait
conserver cette occupation uniquement pendant la durée du
conflit. Il conservait son intérêt dans le résultat du conflit et
certainement ne considérait pas son nouvel emploi comme
régulier au même titre que celui d'un prestataire qui aurait
décidé d'abandonner son occupation habituelle pour faire car-
rière ailleurs. Le mot régulier suppose l'abandon de l'ancien
emploi et non pas simplement une occupation temporaire qu'on
entend laisser dès que l'on peut retourner à l'ancien emploi.
D'autres juges-arbitres, dont les juges Gibson,
Walsh et Marceau, ont suivi les mêmes principes.
L'interprétation que donne en l'espèce le distin-
gué juge-arbitre de l'alinéa 44(1)c) repose sur
l'acception courante du mot «régulier», telle qu'elle
ressort des dictionnaires, sur un jugement d'Angle-
terre selon lequel une personne qui a occupé un
poste pendant cinq ans en remplacement du titu-
laire parti pour la guerre, [TRADUCTION] «occu-
pait un emploi régulier» au sens de The Poor Law
Officers' Superannuation Act, ainsi que sur le
principe d'interprétation selon lequel les mots figu-
rant dans un instrument écrit doivent être pris
dans leur sens grammatical et ordinaire, à moins
que le résultat n'en soit absurde ou ne s'oppose au
contexte.
Le juge-arbitre a tiré cette conclusion:
[TRADUCTION] ... dans les cas où, comme en l'espèce, les
caractéristiques de l'emploi secondaire ne permettent nullement
de conclure qu'il n'était que temporaire ou, pour reprendre le
terme employé par le juge Farwell, «occasionnel», et où le
prestataire l'a occupé tous les jours pendant un certain temps, il
s'agit là, à mon avis, d'un emploi régulier dans l'intervalle,
quand bien même il aurait pris fin en très peu de temps.
Il y a lieu de noter que dans cette interprétation,
«régulier» prend à peu près le sens de «répétitif», de
«continu» et de non temporaire, pour signifier que
l'emploi en question était offert pour une période
indéterminée, et que, eût-il été de nature occasion-
nelle ou temporaire, ce fait n'aurait aucune impor
tance lorsqu'il s'agit d'apprécier l'intention du
prestataire quant à la période pendant laquelle il
entendait ou escomptait occuper le nouvel emploi.
Cette interprétation présente certes l'attrait d'un
critère un peu plus objectif, mais il me semble que
dans ce contexte particulier, le terme «régulier»
signifie davantage que la simple répétition ou con-
tinuité, ou encore la probabilité d'un emploi plus
ou moins permanent. Il aurait donc mieux valu
opter pour une autre interprétation en appliquant
l'ensemble du membre de phrase «s'est mis à exer-
cer quelque autre occupation d'une façon régu-
lière» aux faits de la cause lorsqu'il s'agit d'exami-
ner si le prestataire s'est vraiment mis à exercer de
façon régulière une occupation nouvelle et diffé-
rente, ou s'il n'a pris qu'un emploi occasionnel,
temporaire ou en guise de bouche-trou en atten
dant la fin du chômage forcé par le conflit de
travail.
Cette dernière interprétation met l'accent sur
l'intention du prestataire, ainsi qu'il ressort de la
décision du juge Walsh, dans l'affaire CUB 4312
où, bien que l'emploi dont s'agit ne durât que cinq
jours avec possibilité de quelques semaines subsé-
quentes de travail, le juge-arbitre a conclu que le
prestataire n'avait pas l'intention de reprendre son
ancien emploi à la fin du conflit de travail.
A l'encontre de cette opinion toutefois, j'estime
qu'il n'y a pas lieu d'adopter maintenant une inter-
prétation nouvelle et différente puisque cet alinéa
a été uniformément interprété par les juges-arbi-
tres dans un grand nombre d'affaires s'étalant sur
une longue période, durant laquelle le législateur a
eu la possibilité à maintes reprises, quand la loi fut
modifiée et quand elle fut révisée en 1971, de
rectifier l'interprétation donnée à cette disposition,
si elle n'avait pas été conforme à sa volonté.
En conséquence, il y a lieu d'annuler la décision
et de renvoyer l'affaire devant le juge-arbitre pour
nouvelle décision fondée sur la conclusion qu'un
emploi occasionnel, temporaire ou occupé à titre
de bouche-trou par un prestataire en attendant la
fin du conflit de travail, ne correspond pas à l'état
de quelqu'un qui «s'est mis à exercer quelque autre
occupation d'une façon régulière», tel qu'il est
prévu à l'alinéa 44(1)c).
Cette même décision s'applique à la demande
introduite dans l'affaire A-834-80, Le procureur
général du Canada c. Zayack, laquelle demande a
été entendue en même temps.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT CULLITON y a souscrit.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.