T-3099-80
Canadian Javelin Limited (Requérante)
c.
La Commission sur les pratiques restrictives du
commerce (Intimée)
Division de première instance, le juge Mahoney—
Ottawa, 14 et 20 octobre 1980.
Brefs de prérogative — Demande de brefs de prohibition et
de certiorari qui annuleraient les dépositions recueillies en
français au cours d'un examen conduit en vertu de l'art. 114 de
la Loi sur les corporations canadiennes — Demande de bref de
mandamus qui ordonnerait une nouvelle comparution des
témoins et la traduction simultanée des dépositions — L'avo-
cat de langue anglaise de la requérante s'est vu refuser la
traduction simultanée par le fonctionnaire présidant l'interro-
gatoire — L'assistance d'un interprète n'a pas été demandée
La requérante s'appuyait sur l'al. 2g) de la Déclaration cana-
dienne des droits — Demande rejetée — Le droit à l'assistance
d'un interprète et le droit à la traduction simultanée ne
sauraient être assimilés — Loi sur les langues officielles,
S.R.C. 1970, c. 0-2, art. 11(2) — Déclaration canadienne des
droits, S.C. 1960, c. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III], al. 2g).
REQUÊTES.
AVOCATS:
M. L. Phelan et P. S. Bonner pour la
requérante.
D. Scott, c.r. et J. B. Carr -Harris pour
l'intimée.
PROCUREURS:
Herridge, Tolmie, Ottawa, pour la requé-
rante.
Scott & Aylen, Ottawa, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Les affaires et la gestion
de la requérante, ci-après appelée «Canadian Jave
lin», font l'objet d'un examen en vertu de l'article
114 de la Loi sur les corporations canadiennes'.
Elle a été, sous le régime du paragraphe (13),
reconnue comme une «personne dont la conduite
fait l'objet d'un examen», et représentée par son
avocat, comme le prévoit expressément la Loi, à
l'interrogatoire des témoins conduit en vertu du
' S.R.C. 1970, c. C-32, modifiée par S.R.C. 1970 (1" Supp.),
c. 10.
paragraphe (10). A Montréal, une partie de cet
interrogatoire, les plaidoiries et les dialogues affé-
rents se sont déroulés en français, une langue que
comprenaient parfaitement le fonctionnaire prési-
dant l'interrogatoire, l'avocat de l'inspecteur, les
témoins et leurs avocats, mais non l'avocat de
langue anglaise de Canadian Javelin, qui a
demandé, et s'est vu refuser, la traduction simulta-
née. Ce dernier n'a pas demandé, et on ne lui a pas
refusé, un interprète ou une suspension pour s'en
procurer un, et a, en fait, été autorisé à se faire
assister par un autre avocat bilingue.
Puisque la ville de Montréal n'a pas été déclarée
district bilingue fédéral, il n'y a pas lieu d'appli-
quer le paragraphe 11(2) de la Loi sur les langues
officielles 2 . Il est donc inutile de déterminer si
l'intimée, ci-après appelée «la Commission», a res
pecté les dispositions du paragraphe 11(2).
Canadian Javelin s'appuie sur l'alinéa 2g) de la
Déclaration canadienne des droits 3 , que voici:
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du
Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob-
stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et
s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou
enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et
déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la
diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du
Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
g) privant une personne du droit à l'assistance d'un interprète
dans des procédures où elle est mise en cause ou est partie ou
témoin, devant une cour, une commission, un office, un
conseil ou autre tribunal, si elle ne comprend ou ne parle pas
la langue dans laquelle se déroulent ces procédures.
2 S.R.C. 1970, c. O-2.
11....
(2) Il incombe aux cours d'archives créées en vertu d'une loi
du Parlement du Canada de veiller à ce que, à la demande
d'une partie à des procédures conduites devant elles, dans la
région de la Capitale nationale ou dans un district bilingue
fédéral établi en vertu de la présente loi, l'on mette à la
disposition de cette partie des services d'interprétation des
procédures, notamment pour les témoignages recueillis, d'une
langue officielle en l'autre langue. Toutefois, la cour n'y sera
pas tenue si, après avoir reçu et examiné une telle demande, elle
est convaincue que la partie qui l'a faite ne sera pas défavorisée
par l'absence de ces services, s'il est difficile de les mettre à la
disposition de cette partie, ou si la cour, après avoir fait tout
effort pour les obtenir, n'y est pas parvenue.
3 S.C. 1960, c. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III].
Bien que je ne pense pas que le fonctionnaire
présidant l'interrogatoire ait eu tort de rejeter la
demande de traduction simultanée, l'autorité qu'il
a citée pour justifier sa décision devait être anté-
rieure à l'entrée en vigueur de la Déclaration
canadienne des droits.
Quelles que soient les considérations pratiques à
prendre compte, personne n'est obligé de choisir un
avocat capable de travailler dans les deux langues
officielles, même s'il est certain ou probable que la
procédure pour laquelle cet avocat est constitué
sera, en tout ou en partie, conduite dans la langue
qu'il ne comprend pas. L'avis, attribué par le
vice-président au juge en chef Rinfret, à la page
653 de la transcription, selon lequel le fait pour
l'avocat comparaissant devant la Cour suprême du
Canada de ne pas connaître le français était [TRA-
DUCTION] «tant pis pour lui», bien que d'une
valeur incontestable à bien des égards, a, sous
d'autres, perdu de son poids depuis l'adoption de
l'alinéa 2g) de la Déclaration canadienne des
droits.
La portée de l'alinéa 2g), entendu dans son sens
courant, est très large. Lorsque, comme en l'es-
pèce, quelqu'un est en droit, selon la loi, de se faire
représenter par un avocat à une audition, ce der-
nier est «une personne ... mise en cause ... devant
une cour, une commission, un office, un conseil ou
autre tribunal». Il résulte clairement de cet alinéa
que le terme «personne» ne désigne pas seulement
une partie ou un témoin. Excepté ces derniers, et
en tenant pour acquis que le tribunal ne se privera
pas de l'assistance dont il a besoin et n'a donc pas
réellement besoin d'être protégé contre lui-même,
qui pourrait être plus en cause que l'avocat?
L'avocat de Canadian Javelin a droit à l'assistance
d'un interprète à tout interrogatoire conduit dans
une langue qu'il ne comprend pas. Par voie de
conséquence, il a également le droit d'être avisé
suffisamment à l'avance que l'interrogatoire sera
conduit dans cette langue ou, à défaut d'avis, de
bénéficier d'un ajournement raisonnable pour lui
permettre de se procurer un interprète.
Bien que les interprètes traduisent, que les tra-
ducteurs interprètent, et que les termes interpréta-
tion et traduction, interprète et traducteur, soient
synonymes, la traduction simultanée n'est qu'une
des méthodes dont peut se servir un interprète. Il
ne s'agit pas de la seule possible ni d'une méthode
obligatoire à moins que le paragraphe 11(2) de la
Loi sur les langues officielles ne s'applique. Le
droit à l'assistance d'un interprète et le droit à la
traduction simultanée ne sauraient être assimilés.
Canadian Javelin n'est pas en droit de demander
que la Commission assure une traduction simulta-
née. Sera donc rejetée sa demande tendant à la
délivrance de brefs de prohibition et de certiorari
qui annuleraient les dépositions recueillies en fran-
çais et d'un bref de mandamus qui enjoindrait à la
Commission d'ordonner une nouvelle comparution
des témoins et d'assurer la traduction simultanée
des dépositions faites en français.
JUGEMENT
La demande est rejetée avec dépens.
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