T-3557-79
La Reine (Demanderesse)
c.
Marsh & McLennan, Limited (Défenderesse)
Division de première instance, le juge en chef
adjoint Jerome—Toronto, 5 et 26 mai; Ottawa, 6
octobre 1981.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Appel formé
contre la décision par laquelle la Commission de révision de
l'impôt a jugé que le revenu en intérêts provenant des primes
d'assurance que la défenderesse avait investies dans des certi-
ficats à court terme était un «revenu de placements au
Canada» au sens de l'art. 129(4) de la Loi de l'impôt sur le
revenu — Il échet d'examiner si la défenderesse était proprié-
taire des fonds qui ont produit le revenu en intérêts — Il y a à
déterminer si les transactions constituaient l'accessoire de
l'entreprise principale de la défenderesse ou si elles consti-
tuaient une entreprise activement exploitée — Il faut détermi-
ner si les fonds tombent dans l'exception prévue à l'art.
129(4)a)(ii), c'est-à-dire s'il s'agit d'«un bien dont la corpora
tion a eu l'usage ou la possession dans l'année aux fins de son
entreprise» — Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c.
148, modifiée par S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 129(1),(4)a),
172.
La défenderesse est une société de courtage en assurances qui
reçoit des primes de ses clients et doit les remettre aux assu-
reurs, une fois sa commission prise. D'habitude, ceux-ci exigent
que paiement de ces primes soit effectué 60 jours après la date
de leur réception par la défenderesse. Pendant cette période, la
défenderesse investissait ces fonds dans des certificats à court
terme. En 1976, elle a reçu des intérêts sur ces transactions et a
fait valoir, devant la Commission de révision de l'impôt, que le
revenu en intérêts était un «revenu de placements au Canada»,
au sens de l'article 129(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu, et
qu'elle avait droit au remboursement au titre de dividendes
prévu à l'article 129(1) de la Loi. La Commission de révision de
l'impôt a accueilli l'appel de la défenderesse. Il échet d'exami-
ner si la défenderesse était propriétaire des fonds qui ont
produit le revenu en intérêts, si les transactions constituaient
l'accessoire de l'entreprise principale de la défenderesse ou si
elles constituaient une entreprise activement exploitée, et si les
fonds tombent dans l'exception visée à l'article 129(4)a)(ii),
c'est-à-dire, s'il s'agit d'«un bien dont la corporation a eu
l'usage ou la possession dans l'année aux fins de son entreprise..
Arrêt: l'appel est rejeté. La défenderesse est propriétaire des
fonds qu'elle reçoit de ses clients-assurés à titre de paiement. Il
ne ressort nullement de la preuve qu'un assureur ait déjà essayé
d'imposer à la défenderesse des restrictions à l'égard de ces
sommes d'argent. Au contraire, la preuve semble indiquer que
la défenderesse a toujours joui d'une liberté absolue à l'égard de
la gestion de ces fonds, sans la moindre indication de contrôle
de la part des assureurs avec lesquels la défenderesse fait
affaires. La preuve est très loin d'établir l'existence de rapports
d'un caractère fiduciaire susceptibles de soustraire à la défende-
resse la propriété de ses revenus bruts. La preuve confirme
également que l'entreprise principale de la défenderesse est le
courtage en assurances et que le placement de ces fonds se fait
toujours dans des certificats à court terme et presque toujours
auprès de banques à charte. Le placement de ces fonds relève
entièrement des responsables du contrôle financier de chaque
région qui doivent y consacrer pas plus de quelques minutes
tous les jours ou tous les deux ou trois jours. Donc, les
transactions constituent l'accessoire de l'entreprise principale
de la défenderesse. Un simple profit tiré par la société ne peut
suffire à étayer la conclusion selon laquelle ces fonds consti
tuent «un bien dont la corporation a eu l'usage ou la possession
dans l'année aux fins de son entreprise». Il faut qu'il y ait un
facteur qui incorpore ces transactions à l'entreprise principale
du contribuable. Or, en l'espèce, il n'existe aucun facteur
semblable.
Arrêt mentionné: Vancouver Pile Driving & Contracting
Co. Ltd. c. Le ministre!du ,Revenu national [1963] R.C.E.
162. Arrêt approuvé: March Shipping Ltd. c. Le ministre
du Revenu national 77 DTC 371.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
J. S. Gill et S. Hershberg pour la demande-
resse.
R. Couzin et R. Durand pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Stikeman, Elliott, Robarts & Bowman,
Toronto, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: Bien
qu'elle revête la forme d'un procès, cette action
constitue, en vertu de l'article 172 de la Loi de
l'impôt sur le revenu', un appel de la décision
rendue par la. Commission de révision de l'impôt 2 .
Le sommaire qui suit, à la page 315, résume de
façon précise et succincte les questions de fait et de
droit, de même que les conclusions de la
Commission:
[TRADUCTION] Le contribuable est une société de courtage
en assurances qui reçoit des primes de ses clients et doit les
remettre aux sociétés d'assurances appropriées, une fois sa
commission prise. La partie la plus importante de ses revenus
provient de commissions. Il s'écoule souvent un délai d'environ
deux mois entre la date de réception des primes par le contri-
buable et la date où celui-ci les remet aux sociétés d'assurances.
Pendant cette période, le contribuable investit ces «primes non
remises» dans des obligations à court terme. C'est ainsi qu'en
1976, il a reçu $1,345,632 en intérêts sur ces investissements.
' S.R.C. 1952, c. 148, modifiée par S.C. 1970-71-72, c. 63.
2 Marsh & McLennan Ltd. c. M.R.N. 79 DTC 314.
Le contribuable soutient que cette somme fait partie de son
«revenu de placements au Canada» et qu'il a droit au rembour-
sement au titre de dividendes prévu par le paragraphe 129(1)
de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il allègue trois motifs au
soutien de ses prétentions: (1) cette somme ne constitue pas un
revenu provenant d'une entreprise indépendante de placement
exploitée activement; (2) cette somme ne forme pas un revenu
essentiel de l'entreprise de courtage ni un revenu qui fait partie
intégrante de cette entreprise, au point de devenir un revenu
provenant de cette entreprise; et (3) cette somme constitue un
revenu tiré de biens, lesquels biens ne sont pas employés ou
détenus aux fins de l'exploitation de l'entreprise. Le Ministre
prétend que l'intérêt sur les primes non remises constitue un
revenu provenant de l'entreprise du contribuable. Le Ministre
soutient que le contribuable n'était pas propriétaire des primes
non remises qui ont produit le revenu en intérêts, et que le
contribuable n'a donc pas droit au remboursement au titre de
dividendes, prévu au paragraphe 129(1). Si les primes non
remises appartiennent au contribuable, le Ministre soutient que
le revenu qui en est tiré constitue un revenu provenant d'une
entreprise exploitée activement. Le contribuable est en désac-
cord avec l'analyse du Ministre et il fait appel devant la
Commission de révision de l'impôt.
Décision: La Commission accueille l'appel du contribuable.
Puisque les sociétés d'assurances ne peuvent exiger paiement
des primes non remises avant la date de leur exigibilité, le
contribuable est entre-temps propriétaire de ces fonds et il est
libre de les investir. Le revenu en intérêts provenant d'investis-
sements à court terme ne constitue qu'une partie secondaire ou
accessoire de l'exploitation de l'entreprise du contribuable,
laquelle partie ne constitue ni un projet comportant un risque à
caractère commercial ni une entreprise exploitée activement.
Un tel revenu est compris dans la définition de «revenu de
placements au Canada», et la Commission accueille donc l'ap-
pel du contribuable.
Le procès de cette affaire a débuté à Toronto, le
5 mai 1981. La demanderesse n'a présenté aucune
preuve et la défenderesse a fait entendre un
témoin, John Charles Meuller, le directeur des
affaires financières de la défenderesse, Marsh &
McLennan, Limited; Harry Price et Hillborn In
surance Limited, défendeurs dans le dossier con-
nexe portant le numéro du greffe T-3556-79, sont
des filiales en propriété exclusive de Marsh &
McLennan, Limited; la preuve, les arguments et le
jugement de la présente affaire leur seront égale-
ment applicables. En plus de faire entendre Meul-
ier, la défenderesse a produit ce jour-là douze
pièces et, une fois toute la preuve présentée, la
cause a été remise au 26 mai 1981 pour l'audition
de la plaidoirie des procureurs.
Après une étude attentive de la preuve et de la
plaidoirie très habile des avocats des deux parties,
et après une étude de la jurisprudence pertinente,
je souscris pleinement à la décision de la Commis-
Sion, tant sur les faits pertinents que sur le droit
applicable.
La principale question de fait se rapporte à la
propriété des fonds reçus par la défenderesse de ses
clients-assurés. Il est manifeste que le versement
de ces sommes a pour contrepartie l'obligation de
la défenderesse de souscrire une assurance au nom
du client et d'en payer la prime. D'autre part, la
preuve révèle que l'assureur, de manière habituelle
dans ce commerce, émet une police d'assurance à
la demande d'un courtier reconnu et se fie entière-
ment à la bonne réputation de ce courtier pour le
paiement au moment et selon les modalités fixés
par l'assureur. En fait, dans presque tous les cas,
c'est seulement lorsque l'assureur confirme qu'il a
accepté le risque que la défenderesse facture son
client, de telle sorte que la souscription d'une
police d'assurance précède nettement la réception
de toute somme d'argent par Marsh & McLennan,
Limited. Même si la défenderesse fait surtout
affaires avec trente-cinq ou quarante grandes
sociétés réparties dans le monde entier, elle traite
avec plus de deux cents assureurs, ce qui entraîne
une grande diversité du contenu et de la forme de
ses ententes. Dans plusieurs cas, la défenderessse a
traité un volume substantiel d'affaires pendant
plusieurs années en se fondant sur rien de plus
qu'une entente verbale. Il faut reconnaître qu'il
existe des ententes écrites avec certains assureurs
et que ces ententes peuvent s'interpréter de
manière à constituer fiduciaires des primes non
remises les courtiers de ces assureurs, mais ces
ententes sont l'exception plutôt que la règle. Dans
les rares cas où elles existent, ces ententes écrites
ne sont pas respectées. De plus, même lorsque ces
ententes existent, la preuve ne démontre nullement
qu'il y ait eu tentative de déterminer la proportion
des sommes que la défenderesse aurait reçues et
dont elle serait fiduciaire. Le délai de paiement
fixé par l'assureur varie selon chaque société, mais
s'étend habituellement jusqu'à soixante et, dans
des cas exceptionnels, jusqu'à quatre-vingt-dix
jours. Il ne ressort nullement de la preuve qu'un
assureur ait déjà essayé d'imposer à la défende-
resse des restrictions à l'égard de ces sommes
d'argent. Au contraire, la preuve semble indiquer
que la défenderesse a toujours joui d'une liberté
absolue à l'égard de la gestion de ces fonds, sans la
moindre indication de contrôle de la part des assu-
reurs avec lesquels la défenderesse fait affaires. Je
pense donc que le contribuable défendeur est pro-
priétaire des fonds qu'il reçoit de ses clients-assu-
rés à titre de paiement. La preuve confirme l'exis-
tence des obligations habituelles des courtiers en
matière d'assurances générales, autant envers leurs
assurés qu'envers leurs assureurs, mais elle est très
loin d'établir l'existence de rapports d'un caractère
fiduciaire susceptibles de soustraire à la défende-
resse la propriété de ses revenus bruts.
La preuve confirme également que l'entreprise
principale de la défenderesse est le courtage en
assurances et que le placement de ces fonds se fait
toujours dans des certificats à court terme et pres-
que toujours auprès de banques à charte. Le place
ment de ces fonds relève entièrement des responsa-
bles du contrôle financier de chaque région qui, en
plus de remplir leurs fonctions générales de ges-
tion, doivent y consacrer pas plus de quelques
minutes tous les jours ou tous les deux ou trois
jours. Il est donc évident, que ce soit en fonction
du revenu, du temps et du soin qu'elles exigent ou
de la nature de l'entreprise visée, que les transac
tions dont s'agit constituent l'accessoire de l'entre-
prise principale de la défenderesse et ne peuvent
nullement, selon moi, être considérées comme une
entreprise activement exploitée.
Je pense que tirer de cette manière un revenu de
fonds déposés relève essentiellement d'une transac
tion de placement; ce revenu me semble, à pre-
mière vue, être visé par l'article 129(4)a) parce
que le contribuable n'exploite pas une entreprise
de placement. Cet article 129(4)a) est ainsi conçu:
129....
(4) Dans le paragraphe (3),
a) «revenu de placements au Canada» d'une corporation pour
une année d'imposition signifie la fraction, si fraction il y a,
du total
(i) de la fraction, si fraction il y a, du total de la partie des
gains en capital imposables que la corporation a tirés dans
l'année de la disposition de biens, qui peut raisonnable-
ment être considérée comme étant un revenu provenant de
sources situées au Canada, qui est en sus du total des
pertes en capital déductibles de la corporation pour l'an-
née, résultant de la disposition de biens, qui peuvent
raisonnablement être considérées comme des pertes prove-
nant de sources situées au Canada,
(ii) des sommes dont chacune est le revenu de la corpora
tion pour l'année (sauf le revenu exonéré ou tout dividende
dont le montant était déductible, en vertu de l'article 112,
de son revenu pour l'année) tiré d'un bien situé au Canada,
(à l'exclusion d'un bien dont la corporation a eu l'usage ou
la possession dans l'année aux fins de son entreprise),
déterminé pour plus de précision, après déduction de tous
les frais et dépenses déductibles lors du calcul du revenu de
la corporation pour l'année, dans la mesure où ils peuvent
raisonnablement être considérés comme ayant été engagés
ou supportés aux fins de gagner le revenu tiré de ce bien,
(iii) des sommes dont chacune est le revenu de la corpora
tion pour l'année (autre qu'un revenu exonéré), tiré d'une
entreprise autre qu'une entreprise activement exploitée, et
située au Canada, déterminé, pour plus de précision, après
déduction de tous les frais et dépenses déductibles lors du
calcul du revenu de la corporation pour l'année, dans la
mesure où ils peuvent raisonnablement être considérés
comme ayant été engagés ou supportés aux fins de gagner
le revenu tiré de cette entreprise,
qui est en sus du total des sommes dont chacune est une perte
subie par la corporation pour l'année, provenant d'un bien,
ou d'une entreprise autre qu'une entreprise activement
exploitée, situés au Canada; et
Il est bien entendu que tout doute doit être
résolu en se rapportant expressément aux termes
de la loi. A cet égard, de nombreuses décisions
antérieures à 1974 ont établi que le mot «bien»,
figurant au sous-alinéa (ii), comprend de l'argent,
de sorte que le revenu produit par de l'argent
investi peut constituer un «revenu ... tiré d'un bien
situé au Canada». L'amendement de 1974 a modi-
fié ce sous-alinéa par l'adjonction des mots «à
l'exclusion d'un bien dont la corporation a eu
l'usage ou la possession dans l'année aux fins de
son entreprise». Pour interpréter cette exception,
on peut s'aider de décisions qui se rapportent à une
distinction toute autre, bien qu'elle soit manifeste-
ment analogue, soit la distinction entre un revenu
tiré de biens en immobilisations ou de transactions
sur un bien en immobilisations et un revenu d'en-
treprise. On retrouve cette distinction dans la juris
prudence canadienne avec l'arrêt Tip Top Tailors
Limited c. M.R.N. 3 , et dans la jurisprudence bri-
tannique avec les arrêts Davies c. Shell Company
of China Ltd. 4 et Imperial Tobacco Co. (of Great
Britain and Ireland), Ltd. c. Kelly (H.M. Inspector
of Taxes) 5 . Dans l'arrêt Davies, la société Shell
Oil avait reçu des sommes d'argent en dépôt de ses
distributeurs en Chine à titre de cautionnement
d'exécution. Par la conversion de ces sommes en
devises sterling, la société mère a réalisé un gain
en capital lorsqu'on l'a finalement sommée de
remettre ces dépôts. Il est intéressant de souligner
3 [1957] R.C.S. 703.
4 [1951] T.R. 121.
5 (1943) 25 T.C. 292.
qu'en dépit de plusieurs facteurs qui rattachaient
ces sommes à l'exploitation de l'entreprise, la Cour
a jugé qu'il s'agissait de gains en capital et non de
bénéfices d'exploitation. Dans Imperial Tobacco,
la Cour est parvenue à une décision contraire au
motif que l'achat de devises étrangères par la
société avait été effectué dans le but d'acquitter ses
achats courants de tabac, lequel constitue manifes-
tement l'approvisionnement de ce contribuable. De
même, dans Tip Top Tailors, la Cour a jugé que
l'achat de devises étrangères dans le but de faire
l'acquisition de tissus, qui font partie de l'approvi-
sionnement du contribuable, constituait une tran
saction commerciale. Ces décisions ont été étudiées
en profondeur dans Vancouver Pile Driving &
Contracting Co. Ltd. c. M.R.N. 6 Dans cette
affaire, le contribuable avait déposé une somme
d'argent à titre de cautionnement pour garantir
l'exécution d'un contrat conclu avec un gouverne-
ment provincial et avait substitué à la somme
d'argent une obligation du Canada achetée à cet
effet. Le tribunal devait déterminer si la perte
subie plus tard lors de la vente de l'obligation
constituait une perte en capital ou une perte d'en-
treprise. Il est révélateur que la Cour de l'Échi-
quier ait confirmé par sa décision qu'il s'agissait
d'une perte en capital, même si le contribuable
avait employé cet élément de son actif pour contri-
buer à l'exploitation de son entreprise. Le juge
Thurlow, plus tard juge en chef, rend le jugement
de la Cour et déclare en partie [aux pages 165 à
167]:
[TRADUCTION] Lorsqu'il s'agit de déterminer si la perte dont
s'agit constitue une perte en capital au sens de l'art. 12(1)b), je
pense qu'il est important de souligner que l'entreprise de l'appe-
lante consiste à conclure et à exécuter des contrats de construc
tion, et qu'elle ne comprend pas l'achat et la vente d'obliga-
tions. De ce qui précède, il me semble découler, à première vue
du moins, qu'un gain ou une perte résultant d'une augmenta
tion ou d'une diminution de la valeur d'obligations que détient
l'appelante, ne peut entrer dans le calcul du revenu de l'entre-
prise de l'appelante, mais constituerait seulement un élément
dans le calcul de son capital. De plus, je pense que ni l'intention
de la société, au moment de l'achat des obligations, de ne les
détenir que peu de temps ou pour une période de temps
restreinte ni l'inexistence de fonds à affecter par la société à des
investissements, si ce n'est de la somme empruntée par la
société pour effectuer le dépôt du cautionnement, ne permettent
de transformer le caractère premier de l'achat de ces obliga
tions. Ainsi, je ne pense pas qu'une transaction afférente au
capital puisse devenir une transaction commerciale ou une
transaction d'entreprise, ni que le gain ou la perte pouvant
résulter d'une augmentation ou d'une diminution subséquente
6 [1963] R.C.É. 162.
de la valeur de ces obligations puisse prendre un caractère
commercial plutôt que de demeurer un gain ou une perte en
capital.
Je crois que l'on peut distinguer les faits de l'espèce de ceux
des arrêts Tip Top Tailors et Imperia! Tobacco, parce que
l'appelante est en tout temps demeurée propriétaire des obliga
tions, bien qu'elle ait effectué leur achat aux fins du cautionne-
ment prévu au contrat et qu'elle les ait, de fait, employées à
cette fin. De plus, ces obligations n'ont pas servi, comme les
devises sterling de l'arrêt Tip Top Tailors, ni n'ont été achetées
pour servir, comme les dollars de l'arrêt Imperia! Tobacco, à
l'acquittement d'obligations contractées dans le cadre de tran
sactions commerciales. Ces obligations auraient, bien entendu,
pu être vendues et le produit de leur vente aurait pu servir au
paiement d'obligations commerciales. Il est incontestable que le
Conseil des ponts possédait le droit de vendre les obligations
pendant qu'elles étaient déposées à titre de cautionnement, et
qu'il aurait pu, le cas échéant, garder le produit de leur vente
en compensation de l'inexécution des obligations de l'appelante
prévues au contrat. Je pense toutefois que cela ne démontre
nullement que les obligations ont été acquises ou déposées pour
servir au paiement d'obligations commerciales ou, en d'autres
mots, qu'elles ont été ainsi acquises ou déposées en vue du
paiement de telles obligations.
En l'espèce, il n'existe heureusement aucune de ces
difficultés. Un commun dénominateur de tous ces
arrêts est manifestement le profit réalisé par le
contribuable sous forme de gain tiré de ces tran
sactions, car autrement il n'y aurait pas eu de
litige. Je pense toutefois qu'un simple profit tiré
par la société ne peut suffire à étayer la conclusion
selon laquelle ces fonds constituent «un bien dont
la corporation a eu l'usage ou la possession dans
l'année aux fins de son entreprise». Il faut sûre-
ment qu'il y ait un facteur qui incorpore ces
transactions à l'entreprise principale du contribua-
ble. Or, en l'espèce, il n'existe aucun facteur
semblable.
La Commission s'est déjà penchée sur une
affaire très semblable dans March Shipping Ltd.
c. M.R.N. 7 Dans cette' affaire, l'entreprise du
contribuable consistait à fournir des services aux
sociétés de transport' maritime. Le contribuable
recevait des paiements anticipés, d'un caractère se
rapprochant des provisions, qu'il plaçait dans des
dépôts à court terme. La Commission a conclu
qu'il s'agissait essentiellement de transactions de
placement. Elle a également conclu qu'étant donné
que le contribuable n'exploitait pas une entreprise
de placement, ces transactions ne pouvaient consti-
7 77 DTC 371.
tuer une partie [TRADUCTION] «intégrante» de
l'entreprise du contribuable que si l'activité précise
dont s'agit formait un élément nécessaire de l'en-
treprise entière, c'est-à-dire si elle avait un effet
important sur l'ensemble des revenus gagnés. Dans
cette affaire, la Commission a jugé que ces tran
sactions ne formaient pas une partie intégrante de
l'entreprise du contribuable, mais qu'elles consti-
tuaient plutôt un aspect secondaire ou accessoire
de l'entreprise principale du contribuable et repré-
sentaient donc un revenu de placements au
Canada, défini à l'article 129(4). Il convient de
citer les extraits suivants tirés des motifs écrits par
Delmer E. Taylor:
A la page 372:
[TRADUCTION] Je ne doute pas un instant que les fonds
puissent être considérés comme des biens et il importe peu en
l'espèce, à mon sens, que la compagnie ait eu ou non un droit de
propriété sur ces biens ou que ces biens aient été des obligations
envers ses clients; les fonds eux-mêmes étaient à la disposition
de l'appelante et même, d'après toutes les dépositions, à la libre
disposition de la compagnie, sous réserve de l'exécution des
conditions des mandats.
A la page 373:
Je suis d'avis que puisque le revenu était un montant d'inté-
rêts porté au compte de l'appelante par la Banque de Montréal
pour l'usage d'une partie des biens de l'appelante, il y a une
preuve suffisante de prime abord pour considérer ce revenu
comme un revenu de placements plutôt qu'un revenu tiré d'une
entreprise, seule autre possibilité offerte en l'espèce. On pour-
rait soutenir qu'il s'agit à la fois d'un revenu de placements et
d'un revenu tiré d'une entreprise, mais il faudrait alors, à mon
sens, démontrer que l'appelante exploitait une entreprise de
placement.
Et à la page 374:
La compagnie aurait pu soit s'abstenir de placer ces fonds (et
ne pas en tirer d'intérêts), soit utiliser ses propres fonds ou
emprunter des fonds plutôt que d'exiger des avances au titre de
ses mandats (augmentant ainsi ses frais d'exploitation). Il n'a
pas été établi que l'une ou l'autre de ces façons de procéder
aurait nui en quoi que ce soit à l'exploitation principale de la
compagnie, si ce n'est par la réduction de ses revenus ou par
l'augmentation de ses dépenses. Je me rends bien compte que la
compagnie n'aurait probablement pas bien accueilli cette éven-
tualité et elle a manifestement pris la décision qui s'imposait,
c'est-à-dire de chercher à gagner le maximum de revenus.
Toutefois, je ne dis pas que cette réduction des revenus ou cette
augmentation des frais d'exploitation de $56,972.00, par rap
port à l'entreprise entière, peut avoir un effet important, néfaste
ou non, sur ce que la compagnie recherche avant tout, c'est-à-
dire fournir des services nécessaires aux compagnies de trans
port maritime. II convient davantage de considérer le placement
de ces fonds comme un aspect accessoire ou secondaire plutôt
qu'un élément essentiel ou même une partie constitutive de
l'entreprise.
Selon moi, les conclusions de la Commission
dans l'affaire March Shipping sont absolument
irréprochables et c'est à bon droit que la Commis
sion s'en est servie pour appuyer sa décision dans
l'affaire Marsh & McLennan.
En l'espèce, l'action a pris naissance à la suite de
l'établissement par le ministre du Revenu national
du remboursement auquel la société défenderesse a
droit, conformément à l'article 129 de la Loi de
l'impôt sur le revenu, à l'égard de l'année d'impo-
sition 1976. Ce remboursement est établi dans un
avis de cotisation en date du 11 octobre 1977, et il
se fonde sur la déclaration initiale du revenu du
contribuable pour l'année 1976. Dans cette décla-
ration, le contribuable fait état d'une somme de
$2,071,547 titre de revenu tiré des transactions
en litige, mais ne déclare que la somme de
$725,915 à titre de «revenu de placements au
Canada», au sens de l'article 129. Après la produc
tion de sa déclaration, il semble que le contribua-
ble ait été avisé de la possibilité que la somme
entière soit visée par les dispositions de l'article
129. Sur réception de l'avis de cotisation, le contri-
buable a donc produit un avis d'opposition dans la
forme prescrite. Le Ministre y a répondu par
l'expédition d'un avis de ratification et le contri-
buable a interjeté appel devant la Commission de
révision de l'impôt. La demanderesse se porte en
appel de la décision de la Commission qui a jugé
que le plein montant de $2,071,547 constitue un
«revenu de placements au Canada», conformément
à l'article 129(4). Par tous les motifs qui précè-
dent, je pense que la Commission a rendu une
décision conforme au droit. Je rejette donc cet
appel avec dépens, et je renvoie le dossier au
Ministre pour qu'il établisse une nouvelle cotisa-
tion à l'égard du remboursement auquel la défen-
deresse a droit pour l'année d'imposition 1976.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.