T-4656-75
Delbert Guerin, Joseph Becker, Eddie Campbell,
Mary Charles, Gertrude Guerin et Gail Sparrow
en leur nom propre et au nom de tous les autres
membres de la bande indienne Musqueam
(demandeurs)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, le juge Collier-
Vancouver, 18, 19, 20, 21, 24, 25, 26 et 27 septem-
bre, 1°r, 2, 3, 4, 9, 10, 11, 12, 15, 16, 17, 18, 19, 22
et 23 octobre et 5, 7, 8, 9, 13 et 14 novembre 1979,
31 janvier et 14, 24 et 25 mars 1980 et 3 juillet
1981.
Couronne - Indiens - Manquement aux responsabilités
d'une fiducie - Cession d'un terrain de 162 acres par une
bande indienne à la Couronne fédérale en fiducie à des fins de
location aux personnes et aux conditions que le gouvernement
du Canada jugerait appropriées - Notification à la bande
indienne, lors d'une assemblée relative à la cession, du projet
de location des 162 acres à un club de golf - Différence entre
les conditions du bail réellement conclu avec le club de golf et
celles acceptées lors de l'assemblée de cession - En cause:
manquement par la défenderesse à ses responsabilités de fidu-
ciaire - En cause: statut de fiduciaire de la défenderesse -
En cause: obligation de la défenderesse d'obtenir l'approbation
de la bande indienne au sujet des conditions du bail finalement
conclu - En cause: prescription statutaire de l'action des
demandeurs ou manque de diligence - En cause: exonération
de responsabilité personnelle de la défenderesse - En cause:
droit des demandeurs à des dommages-intérêts d'indemnisa-
tion ainsi qu'à des dommages-intérêts exemplaires - Loi sur
les Indiens, S.R.C. 1952, c. 149, art. 2(1)a),h),o), 18, 37, 38(2),
39(1)a),6), 61(1) - Statute of Limitations, S.R.C.-B. 1960,
c. 370 - Trustee Act, S.R.C.-B. 1960, c. 390, art. 93, 98
Laws Declaratory Act, S.R.C.-B. 1960, c. 213, art. 2(11)
Limitation Act, S.R.C.-B. 1979, c. 236, art. 6 - Trustee Act,
S.R.C.-B. 1979, c. 414, art. 98.
Dans cette action, la bande indienne Musqueam demande un
jugement déclaratoire disant que la Couronne fédérale a
manqué à sa responsabilité de fiduciaire lors du louage, le
22 janvier 1958, de 162 acres d'un fonds de terre de la réserve
indienne n° 2 Musqueam, sise en Colombie-Britannique. Le
6 octobre 1957, par vote majoritaire, les membres de la bande
ont approuvé la cession à la Couronne de 162 acres de terrain
u... en fiducie pour être louées à celui ou à ceux, et aux
conditions ...» jugées appropriées par le gouvernement du
Canada. Mais, lors de l'assemblée de cession, un représentant
de la Direction des affaires indiennes déclara à la bande que le
terrain serait loué à un club de golf pour la construction d'un
nouveau terrain de golf. Effectivement un bail, en bonne et due
forme, fut signé le 22 janvier 1958. Les demandeurs soutien-
nent que certaines des conditions du bail diffèrent de ce que
leur avaient dit les fonctionnaires de la Direction des affaires
indiennes avant le vote sur la cession; on ne leur aurait jamais
communiqué certaines des conditions. Voici quelles furent les
conditions convenues lors de l'assemblée relative à la cession: a)
une durée globale de 75 ans; b) un loyer pour les premiers 15
ans de $29,000 l'an; c) reconduction renégociée tous les 10 ans,
sans clause d'arbitrage et sans aucune restriction sur la façon
d'évaluer le terrain; d) aucun plafonnement de 15% des hausses
de loyer pour la deuxième reconduction de 10 ans; e) à l'arrivée
du terme, retour à la Couronne de toutes les améliorations
apportées au bien-fonds. Voici les conditions essentielles du bail
signé le 22 janvier 1958: a) pour les quatre reconductions
consécutives de 15 ans, le loyer annuel sera fixé par accord
mutuel ou, à défaut, par arbitrage. Le loyer devrait être établi
comme si les lieux n'étaient toujours pas défrichés ni améliorés
et servaient de terrain de golf; b) la hausse maximale du loyer
pour les seconds 15 ans est limitée à 15%; c) le club de golf a le
droit de résilier le bail au terme de toute période de 15 ans en
donnant un préavis de six mois; d) toutes les améliorations, à
tout moment en cours de bail et jusqu'à six mois après l'arrivée
de son terme, retournaient au club de golf. Sont en cause les
points litigieux suivants: (1) La défenderesse était-elle, dans
tous les cas et à tout moment, fiduciaire? (2) Dans l'affirma-
tive, les conditions de la fiducie que stipule l'acte de cession
autorisaient-elles la défenderesse à louer à n'importe qui et aux
conditions jugées par elle les meilleures, sans obligation de
louer au club de golf, aux conditions discutées lors de l'assem-
blée de cession, et sans aucune obligation d'obtenir l'approba-
tion de la bande au sujet des conditions du bail finalement
conclu? (3) S'il y a eu manquement à la fiducie, l'action des
demandeurs était-elle prescrite par la loi ou y a-t-il eu manque
de diligence? L'action a été engagée le 22 décembre 1975. La
défenderesse soutient que le manquement à la fiducie, s'il a eu
lieu, s'est produit 1e22 janvier 1958. Elle invoque la Statute of
Limitations de Colombie-Britannique, en vigueur avant le
1»' juillet 1975; l'action aurait alors dû être engagée dans les six
ans de la première date. La défenderesse soutient aussi que les
demandeurs ont trop tardé; leur retard à poursuivre lui porte-
rait préjudice; (4) La défenderesse peut-elle être exonérée de
toute responsabilité personnelle pour le manquement à la fidu-
cie conformément à l'article 98 du Trustee Act de Colombie-
Britannique, lequel autorise une telle exonération s'il paraît au
tribunal que le fiduciaire a agi honnêtement et raisonnable-
ment? (5) Les demandeurs ont-ils droit à des dommages-inté-
rêts d'indemnisation et, outre ceux-là, à des dommages-intérêts
punitifs ou exemplaires?
Arrêt: l'action est accueillie. Une fiducie légale ou une
«fiducie au sens étroit» («true trust»), à laquelle les tribunaux
donnent effet, a existé entre la défenderesse et la bande. La
Couronne est devenue fiduciaire le 6 octobre 1957 des
162 acres; la bande indienne était bénéficiaire. Les actes de
cession eux-mêmes énoncent expressément que les 162 acres
seront cédées à la Couronne «... définitivement, en fiducie,
pour location ...». La Loi sur les Indiens prévoit que la défen-
deresse peut devenir fiduciaire, au sens juridique, des bandes
indiennes. Les articles 2(1)a), h), o), 18 et 61(1) disposent que
les réserves et les deniers des Indiens sont détenus par la
Couronne pour l'usage et le profit des Indiens ou des bandes.
La défenderesse, par le biais de ceux qui se sont occupés de
cette affaire à la Direction des affaires indiennes, savait dès le
début qu'elle pourrait se trouver dans une position de fiduciaire
pour tout terrain éventuellement loué au club de golf. La
résolution adoptée par le conseil de bande approuvant la sou-
mission à la bande des actes de cession, en vue de la location du
terrain de 162 acres, ne parle pas d'une cession sans condition
pour location à qui l'on voudra. L'ensemble de la résolution
sous-entend que la cession est faite pour location, à certaines
conditions, au club de golf. A compter de la date de la
résolution, toutes les discussions avec le conseil de bande se
rapportent à la location envisagée de ces terrains au club de
golf. La défenderesse, par son personnel et les fonctionnaires de
la Direction des affaires indiennes, a manqué à ses obligations
de fiduciaire. Les 162 acres n'ont pas été louées au club de golf
aux conditions que la bande indienne avait autorisées. Des
changements substantiels ont été faits. L'approbation de la
bande indienne aurait dû être obtenue pour ces changements.
La défenderesse avait l'obligation de l'obtenir. Il est plus que
probable que les membres de la bande indienne n'auraient pas,
s'ils avaient connu toutes les conditions du bail du 22 janvier
1958, cédé les 162 acres. La conduite du personnel de la
Direction des affaires indiennes équivalait en l'espèce à une
fraude d'équité. Il n'y a pas eu fraude au sens de dol, de
malhonnêteté ou de turpitude morale de la part de ces fonction-
naires. Mais le fait de ne pas revenir devant la bande ni devant
son conseil après le 6 octobre 1957 pour faire avaliser les
conditions proposées du bail constituait une conduite «... fort
peu scrupuleuse de la part de l'une envers l'autre». Il n'y a pas
eu non plus absence de diligence raisonnable de la part de la
bande et de son conseil dans leur évaluation des conditions du
bail du club de golf. La bande n'avait aucune raison de croire
qu'un bail comportant des conditions différentes de celles qu'on
leur avait laissé croire avait été conclu. La première reconduc-
tion n'arrivait qu'en 1973. Ce n'est qu'en mars 1970 que la
bande a découvert le véritable état des affaires et obtenu copie
du bail du 22 janvier 1958. Les demandeurs sont parvenus à se
placer dans le champ que couvre le paragraphe 6(3) de la
Limitation Act de Colombie-Britannique qui suspend le cours
de la prescription, en faveur du demandeur, dans une action
pour manquement à une fiducie. Le prétendu préjudice qu'au-
rait subi la défenderesse du fait que la poursuite n'a pas été
intentée avant 1975 est sans fondement. Il n'y aurait pas
nécessairement eu une autre version des faits si le témoin de la
défenderesse qui a joué un rôle-clé dans les tractations avait été
vivant. La défense de manque de diligence échoue donc pour les
motifs précités. Il n'y a aucune iniquité à faire droit à la
demande des demandeurs. La défenderesse n'a pas été incitée,
par quelque retard, à changer d'attitude. La demande d'exoné-
ration de toute responsabilité personnelle de la défenderesse ne
saurait être accueillie. La juridiction en cause dans l'article 98
du Trustee Act, c'est la Cour suprême de Colombie-Britanni-
que; la disposition ne peut donc conférer à la présente Cour
cette compétence de grâce. Les demandeurs, par suite du
manquement à la fiducie de la défenderesse, ont subi un
préjudice considérable, évalué à $10,000,000. Mais les deman-
deurs n'ont pas droit à des dommages-intérêts exemplaires.
Qu'il ait été jugé que le personnel de la Direction des affaires
indiennes n'ait pas eu le droit de négocier les conditions finales
du bail sans avoir à consulter la bande indienne ne fait pas de
leur action une conduite oppressive ou arbitraire justifiant,
comme sanction, l'allocation de dommages-intérêts exemplai-
res.
Arrêt suivi: Kitchen c. Royal Air Force Association [1958]
1 W.L.R. 563. Arrêts examinés: Tito c. Waddell (N° 2)
[1977] 3 All E.R. 129; Frigidaire Corp. c. Steedman
[1934] O.W.N. 139; Penvidic Contracting Co. Ltd. c.
International Nickel Co. of Canada, Ltd. [1976] 1 R.C.S.
267; Rookes c. Barnard [1964] A.C. 1129. Arrêts men-
tionnés: Massie & Renwick Ltd. c. Underwriters' Survey
Bureau, Ltd. [1940] R.C.S. 218; Nesbitt, Thomson & Co.
Ltd. c. Pigott [1941] R.C.S. 520; Taylor c. Davies [1920]
A.C. 636 (C.J.C.P.); Eddis c. Chichester Constable [1969]
2 Ch. 345 (C.A.); Joncas c. Pennock (1962) 32 D.L.R.
(2e) 756 (C.S., 1 6 " instance et appel, Alb.); Zbryski c. La
ville de Calgary (1965) 51 D.L.R. (2e) 55 (C.S. 1è"e
instance, Alb.); Fales c. Canada Permanent Trust Co.
[1977] 2 R.C.S. 302; Toronto-Dominion Bank c. Uhren
(1960) 32 W.W.R. 61 (C.A. Sask.); Joyce c. Yeomans
[1981] 1 W.L.R. 549 (C.A. Royaume-Uni); Cassell & Co.
Ltd. c. Broome [1972] A.C. 1027; St. Ann's Island Shoot
ing and Fishing Club Ltd. c. Le Roi [1950] R.C.S. 211.
ACTION.
AVOCATS:
M. R. V. Storrow, S. R. Schachter et
J. I. Reynolds pour les demandeurs.
G. O. Eggertson, A. D. Louie et C. J. Pepper
pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Davis & Company, Vancouver, pour les
demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: Cette action a été engagée
par le chef et les conseillers de la bande indienne
Musqueam en leur nom propre et, en fait, pour
l'ensemble de la bande. L'instance a été engagée
le 22 décembre 1975. La bande demande un juge-
ment déclaratoire disant que la Couronne fédérale
a manqué à [TRADUCTION] «sa responsabilité de
fiduciaire» au sujet du louage, le 22 janvier 1958,
d'environ 162 acres d'un fonds de terre de la
réserve indienne n° 2 Musqueam. Des dommages-
intérêts fort importants sont demandés.
Aux époques en cause, la Loi sur les Indiens'
constituait la législation régissant les Indiens, leurs
bandes et leurs terres. Voici quelle était la hiérar-
' S.R.C. 1952, c. 149, modifiée par S.C. 1952-53, c. 41; S.C.
1956, c. 40; S.C. 1958, c. 19.
chie aux affaires indiennes dans les années 50: au
sommet il y avait le ministre de la Citoyenneté et
de l'Immigration, puis un sous-ministre, un direc-
teur des affaires indiennes et, sous ce dernier, deux
surintendants: celui des agences et celui des réser-
ves et fidéicommis. Ces fonctionnaires se trou-
vaient à Ottawa.
En Colombie-Britannique, il y avait un commis-
saire aux Indiens pour la Colombie-Britannique.
Aux époques pertinentes en l'espèce, c'est William
S. Arneil qui occupait ce poste. Il est mort en
1971. Sous ses ordres, il y avait un surintendant de
district. L'un des principaux acteurs dans les évé-
nements qui ont suscité l'instance fut Frank Earl
Anfield. Il succéda à un certain H. E. Taylor
comme surintendant de district vers 1954 ou 1955.
On a parfois décrit le poste d'Anfield comme celui
de responsable de l'agence de Vancouver. Il est
mort le 23 février 1961.
La Loi sur les Indiens disposait que la Couronne
du chef du Canada détenait les réserves pour
l'usage et le profit des bandes indiennes respectives
pour lesquelles elles ont été instaurées (paragraphe
18(1)). Les terres dans une réserve ne pouvaient
être aliénées ni louées, et on ne devait pas autre-
ment en disposer, à moins qu'elles n'aient été
d'abord cédées à la Couronne par la bande
indienne (article 37). Les cessions pouvaient être
absolues ou restreintes, conditionnelles ou sans
condition (paragraphe 38(2)). Pour être valide,
une cession devait être faite à la Couronne et
sanctionnée par une majorité des électeurs de la
bande lors d'une assemblée (alinéas 39(1)a) et b)).
Toute cession devait être acceptée par le gouver-
neur en conseil.
La réserve indienne n° 2 Musqueam (la
«réserve») était, comme la bande indienne qui l'oc-
cupait, de la compétence de l'agence de Vancou-
ver. En 1955, la réserve avait une superficie de
416.53 acres. A l'époque, la bande indienne se
composait de 235 personnes.
La Direction des affaires indiennes de Vancou-
ver avait reconnu la valeur de la réserve et son
potentiel. Anfield envoya un rapport à Arneil le 11
octobre 1955 (pièce 5), où il dit, notamment:
[TRADUCTION] L'avenir de cette réserve dont la valeur est
incontestable, située comme elle est dans les limites de la ville
de Vancouver, est de la plus haute importance pour les Indiens
comme pour les tiers. Les dossiers recèlent de nombreuses
demandes d'achat et de location de larges superficies, utilisées
ou non, de cette réserve, mais il est pratiquement impossible
d'engager des négociations qui aient un sens tant que la ques
tion de la propriété individuelle du bien-fonds ne sera pas
définitivement réglée.
Le Ministère ne peut à la légère refuser de louer des terrains
aux membres de la bande individuellement. C'est là leur droit.
Mais autoriser l'appropriation privée de larges superficies inuti-
lisées, avec droit de louer sur une base individuelle, ne peut que
conduire au désastre économique pour l'ensemble de la bande.
La réglementation de zonage du secteur interdit actuellement
l'implantation d'industries, n'autorisant que l'agriculture, mais
elle pourrait facilement être modifiée de façon à permettre
certaines utilisations comme les clubs de golf et même, éven-
tuellement, l'occupation résidentielle: ces usages, naturelle-
ment, ne seraient possibles qu'après aliénation de la réserve par
vente ou location. Le développement à long terme de la réserve
pour le plus grand profit de la bande devrait se faire par la
location de larges superficies aux meilleures conditions.
Dans un rapport ultérieur, adressé à Arneil, le
17 septembre 1956 (pièce 9), Anfield suggère de
procéder à une étude détaillée des terrains de la
réserve requis par les individus, par la bande
(salles communautaires, écoles, etc.) et de l'impor-
tance des terrains non nécessaires. Il recommande
non seulement de demander l'évaluation par un
expert des terrains mais aussi une étude de planifi-
cation foncière [TRADUCTION] «... visant un amé-
nagement qui, à long terme, maximisera les reve-
nus de la bande ...». Il poursuit:
[TRADUCTION] Il me semble que ce qu'il faut surtout ici, ce
sont les services d'un expert en planification foncière coura-
geux, visionnaire et prenant à cœur tant l'avenir des Indiens
Musqueam que le revenu que pourraient générer les terrains
dont les Indiens n'ont pas besoin. Il est essentiel que tout
nouveau village soit un village modèle. Le personnel actuel ou
futur de l'agence n'est pas à même de gérer un projet sembla-
ble; il importe de faire au plus tôt des plans on ne peut plus
pratiques pour réaliser la volonté expresse des Musqueams,
faire le meilleur usage et le meilleur aménagement possible, à
leur profit, de ce qui constitue sans doute les 400 acres ayant,
potentiellement, la plus grande valeur dans le grand Vancouver
d'aujourd'hui.
Il parla alors du louage éventuel de certaines
basses terres à la ville de Vancouver à des fins de
remblaiement sanitaire. Il poursuivait:
[TRADUCTION] Une telle opération aurait pour effet de rem-
blayer environ 150 acres de basses terres à un niveau compara
ble au reste de la réserve. Si on implantait un nouveau village à
l'extrémité ouest de la réserve, les loyers, s'ils étaient payés à
l'avance, couvriraient une portion considérable du coût du
déménagement. Seraient alors disponibles pour location, 300
acres de terrain nivelé: une autre «propriété britannique» poten-
tielle tout aussi adjacente, et ne craignant pas la réserve
indienne, que son pendant fameux de West Vancouver. Voici
quelle devrait être la marche à suivre pour obtenir ce résultat:
1. Faire en sorte que la bande approuve, à ses frais, la constitu
tion, par un expert, d'un plan directeur d'aménagement conju-
gué à une évaluation foncière. (On peut concevoir qu'elle soit
entreprise, à ses frais, par l'Université de la Colombie-Britanni-
que ou par quelque autre société foncière importante).
2. Obtenir de la bande une résolution proposant: a) le choix
d'un nouveau site pour le village, d'environ une centaine
d'acres, et son aménagement; b) les papiers nécessaires à une
cession pour la location de tous les terrains que ne nécessiterait
pas ce site du village, environ 316 acres, tout le revenu devant
être versé dans le fonds de la bande.
3. Notifier toutes les parties actuellement intéressées à utiliser
les terrains de cette réserve de ce que les superficies non
requises, une fois délimitées et cédées, seront publiquement
offertes en location, cette annonce ne devant probablement pas
être faite avant douze mois.
J'examine à ce stade-ci un bref résumé des faits
qu'articulent les demandeurs dans leur action. Le
6 octobre 1957, par vote majoritaire, les membres
de la bande ont approuvé la cession à la Couronne
de 162 acres de terrain de première qualité. La
cession a été faite:
[TRADUCTION] ... en fiducie pour être louées à celui ou à
ceux, et aux conditions, que le gouvernement du Canada jugera
les plus aptes à favoriser notre bien-être et celui de notre
peuple.
Mais, lors de l'assemblée de cession, Anfield
déclara à la bande que le terrain serait loué, à long
terme, au Shaughnessy Heights Golf Club, qui
envisageait la construction d'un nouveau terrain de
golf sur les lieux. Effectivement la défenderesse et
le club de golf signèrent un bail, en bonne et due
forme, le 22 janvier 1958. La bande soutient que
certaines des conditions du bail ne sont pas ce
qu'on leur avait dit avant le vote sur la cession; on
ne leur aurait jamais communiqué certaines des
conditions. Ces faits sont articulés contre la défen-
deresse pour soutenir une réclamation pour
manque à exercer le degré de soin requis comme
administrateur et fiduciaire. On soutient en outre
que la défenderesse, en tant que fiduciaire, n'a pas
pris en compte les alternatives possibles à la loca
tion comme terrain de golfe. Tout cela, sou-
tient-on, aurait privé les demandeurs d'une hausse
de revenu par le passé, et les en privera dans
l'avenir, tant que le bail demeurera en vigueur.
2 La déclaration et les détails supplémentaires fournis en
cours d'instance, imputent d'autres fautes à la défenderesse en
tant que fiduciaire.
Je reviens aux faits qui ont précédé la cession.
J'ai déjà mentionné les deux rapports d'Anfield
(pièces 5 et 9).
En 1956, le club s'est mis à la recherche de
terrains pour un nouveau site pour son golf.
Celui-ci se trouvait situé à l'époque au carrefour
de la 33e Avenue et de la rue Oak à Vancouver. Ce
site lui était loué par le Canadien Pacifique. Le
bail arrivait à son terme en 1960. Tout semblait
indiquer qu'il ne serait pas reconduit. Le terrain
était trop cher pour penser à l'acheter. Le club de
golf commença à s'intéresser, entre autres éventua-
lités, à la possibilité d'obtenir un terrain sur la
réserve Musqueam.
D'autres aussi étaient intéressés par l'acquisition
d'un bien-fonds sur la réserve. - Le représentant
d'une firme immobilière bien connue de Vancouver
entreprit, en février 1956, des démarches auprès
des fonctionnaires des affaires indiennes à Ottawa.
La firme déclara s'intéresser à la location à long
terme de certains terrains de la réserve indienne n°
5 Capilano de West Vancouver ainsi qu'à l'acquisi-
tion de certains terrains de la réserve Musqueam.
La firme savait aussi que le club de golf s'était dit
intéressé. (Voir pièces 7 et 8.) La firme continua à
songer à une certaine forme de lotissement tout au
long de l'année 1956. Anfield et Arneil savaient
cela. (Voir pièces 15 et 16.)
Le témoin C. E. Kelly a déposé. J'accepte son
témoignage comme avéré. De 1955 à 1957, il a
cherché à négocier un arrangement quelconque
avec les fonctionnaires des affaires indiennes, avec
Anfield en particulier, pour lotir, à des fins d'habi-
tation, une partie de la réserve. Il proposait des
arrangements locatifs à long terme. Lorsqu'il parla
de discuter l'affaire avec les conseillers de la
bande, Anfield lui dit de n'en rien faire et de
traiter uniquement avec le personnel des affaires
indiennes.
Les témoins membres de la bande appelés à
déposer au nom des demandeurs ont tous déclaré
qu'on ne leur a jamais parlé de quelque intérêt ni
d'aucun projet d'aménagement autre que celui du
club de golf. Je considère ces témoignages comme
avérés.
Je vais, à ce stade, traiter de la question de la
crédibilité et du poids à accorder aux témoignages
des divers membres de la bande. Je pense tout
particulièrement à leur témoignage quant à ce qui
a été dit ou, tout aussi important, ce qui n'a pas été
dit, par Anfield et par d'autres, en 1955, 1956,
1957 et 1958, au sujet des propositions Shaugh-
nessy, des conditions du bail, etc. Je pense aussi à
leurs dépositions au sujet de leurs diverses tentati-
ves pour obtenir des copies du bail et quant à
l'époque à laquelle la bande a pris, pour la pre-
mière fois, connaissance des véritables conditions
du bail conclu avec le club de golf. L'avocat de la
Couronne a soutenu que ces témoignages devaient
être soigneusement scrutés. M. Anfield est mort; il
était l'acteur principal en ce qui concerne la Direc
tion des affaires indiennes. Sans doute, les mem-
bres de la bande s'étaient, avec les années, con-
vaincus eux-mêmes que certains faits s'étaient
réellement passés; c'était là de l'après coup; plus
personne en défense ne peut réfuter les témoins des
demandeurs.
J'ai, en vérité, soigneusement scruté et examiné
le témoignage des membres de la bande, des con-
seillers, des chefs et même des anciens chefs. J'ai
gardé à l'esprit que M. Anfield n'est plus là pour
offrir ce qui est, selon la Couronne, une version
contraire mais je ne suis pas certain qu'il en aurait
nécessairement été ainsi si MM. Anfield et Arneil
avaient été encore en vie. Les membres de la bande
m'ont paru des témoins honnêtes et francs. Ils
n'ont pas, selon mon analyse, inventé la matière
probante que conteste la défenderesse. Leur témoi-
gnage n'est pas non plus, à mon avis, fondé sur de
l'après coup ou de la reconstitution. Sur certains
sujets, dont je parlerai plus loin, les dépositions des
membres de la bande sont, l'analyse le montre,
corroborées par d'autres preuves.
J'accepte donc comme avérée la preuve adminis-
trée par les demandeurs, soit les témoignages des
divers membres de la bande appelés à la barre.
Je reviens maintenant aux faits.
Vers octobre 1956, la bande semble accepter
l'idée générale de louer les terrains non utilisés.
(Voir pièces 9 et 11.) Le conseil de bande autorise
une évaluation foncière, qui sera payée à même les
fonds de la bande. La Direction des affaires
indiennes demande que l'évaluation soit faite par
le personnel de l'administration de la Loi sur les
terres destinées aux anciens combattants. Le
surintendant des réserves et fidéicommis écrit
(pièce 13):
[TRADUCTION] Cette réserve a une superficie de quelque 416
acres et est située dans le sud-ouest de la ville de Vancouver,
directement en face des terrains appartenant à l'Université de
la Colombie-Britannique. On réalisera en conséquence que la
réserve est située dans un secteur où les terrains ont, relative-
ment, une grande valeur et que, sans doute, elle pourra générer
éventuellement un revenu considérable pour la bande si elle est
bien administrée.
Un certain Alfred Howell procéda à l'évalua-
tion. Son rapport date du 28 décembre 1956.
Howell était un évaluateur compétent en matière
de terrain, mais n'était pas expert en aménage-
ment, comme l'avait recommandé Anfield dans la
pièce 9. Aucune copie du rapport Howell ne fut
remise à la bande. Ils n'ont pu en prendre connais-
sance qu'après que la présente instance fut enga
gée. Une partie du contenu du rapport Howell fut
cependant divulguée aux conseillers de la bande et
à la bande elle-même. J'en parlerai plus loin.
Howell, pour fin d'évaluation, partagea la
réserve en quatre secteurs. Une superficie de 220
acres (incluant les 162 acres finalement louées au
club de golf) fut classée [TRADUCTION] «Superfi-
cie résidentielle, première classe». L'autre grande
superficie était constituée par les basses terres, soit
environ 157.5 acres. Il n'est pas nécessaire de la
décrire, ni les deux autres. Howell a eu recours à la
méthode comparative pour les 220 acres de plus
grande valeur. Il obtint le chiffre de $5,500 l'acre,
soit un total de $1,209,120. Les basses terres
furent évaluées à $625 l'acre.
Déjà, avant que l'on procède à l'évaluation,
Arneil et Anfield avaient rencontré les fonctionnai-
res de la ville de Vancouver pour s'entendre au
sujet de la location des basses terres à la ville.
Arneil et Anfield, lors de cette rencontre, pen-
saient aussi louer 150 acres au club de golf pour
[TRADUCTION] s... un prix, disons, de $20,000 à
$25,000 l'an». (Voir pièce 12.) Dans une lettre
subséquente, du 5 février 1957, Arneil parle d'une
rencontre [TRADUCTION] «envisagée» entre les res-
ponsables de la ville et ceux du club de golf au
sujet de la location à long terme des terrains.
Le rapport d'évaluation d'Howell est daté du 28
décembre 1956. Il semble que ni M. Arneil ni M.
Anfield ne purent en obtenir copie avant février
1957. Arneil écrivit à la Direction des affaires
indiennes d'Ottawa le 5 février 1957 (pièce 18). Il
dit qu'Howell lui avait montré (à lui, Arneil) une
copie de l'évaluation. Il demanda à Ottawa de lui
envoyer d'autres copies [TRADUCTION] «... avec
tout commentaire que vous jugerez bon de faire
avant que je ne considère le rapport comme offi-
ciel». Voici le dernier paragraphe de la lettre:
[TRADUCTION] J'ajoute qu'une rencontre est prévue avec les
fonctionnaires de l'hôtel de ville, laquelle désire louer à long
terme une large superficie de terrain, ainsi qu'avec les responsa-
bles du club de golf Shaughnessy semblablement intéressés eux
aussi.
Les preuves littérales produites à l'instruction
montrent qu'effectivement des rencontres et des
discussions eurent lieu entre Anfield et MM. R. T.
Jackson et E. L. Harrison. Jackson fut président
du club de golf en 1956 ainsi qu'au début de 1957.
Harrison siégeait au conseil d'administration et
succéda à Jackson comme président au cours de
1957.
Voici un résumé de ces rencontres et discussions:
La pièce 19 est la copie d'une lettre datée du 13
février 1957 qu'Anfield adressa à Jackson. On y
accuse réception du rapport d'évaluation. La
superficie qui intéresse le club de golf est une zone
résidentielle; elle est évaluée à plus de $5,000
l'acre. Pour une location virtuelle de 150 acres, à
un minimum de 5%, le loyer annuel serait de
$37,500. Une note, de la main d'Anfield, datée de
deux jours plus tard, montre que la lettre a été
retirée. En lieu et place, cette question, y inclus les
évaluations, a fait l'objet de discussion entre Jack-
son, Harrison et le Directeur de la Loi sur les
terres destinées aux anciens combattants. Une
partie de la note me paraît se lire: [TRADUCTION]
«examen des valeurs d'évaluation—le club de golf
Shaughnessy réexaminera la situation et avisera».
Je note ici que le club de golf possédait, à ce
stade, des informations quant à la valeur du bien-
fonds alors que la bande, d'après ses membres,
dont j'ai accepté le témoignage, n'obtint aucune
information à l'époque.
La pièce 20 est constituée par une note de
service d'Anfield, datée du 13 mars 1957. En haut,
on a inscrit [TRADUCTION] «M. Harrison»; en
dessous, il y a une note: [TRADUCTION] «loyer
minimum prévu pour les 150 acres serait dans le
voisinage de $40,000 l'an». Le reste de la note dit
qu'on a notifié à la ville de Vancouver que le prix
de la location d'une partie des basses terres serait
voisin de $16,560 l'an.
Le ler avril 1957, Anfield écrivit à Jackson
(pièce 21). Voici le paragraphe liminaire:
[TRADUCTION] Nous avons examiné la suggestion faite, lors de
notre dernière rencontre, de chercher d'un commun accord à
donner une valeur relative aux trois superficies délimitées sur le
croquis reçu récemment de M. Harrison.
Le reste de la lettre d'Anfield parle d'une discus
sion avec M. Howell au sujet de certaines des
superficies du croquis de Harrison. Anfield pré-
tend que la valeur moyenne, $5,500 l'acre, ne
saurait être réduite. Il dit: [TRADUCTION] «. .
(Howell) ... pense que nous serions bien avisés de
nous en tenir à $5,500 l'acre comme valeur, capita
lisée à 6%, afin de fixer la valeur locative de part
et d'autre de la ligne.» Voici l'avant-dernier
paragraphe:
[TRADUCTION] J'ai pensé porter à votre connaissance cette
information car je sais fort bien que l'aspect financier de cette
affaire constituera sans doute pour vous le facteur déterminant.
J'espère que ces renseignements vous aideront, vous et votre
comité, à considérer toute offre que le club de golf Shaughnessy
pourrait faire au Ministère au nom des Indiens Musqueam
auxquels, évidemment, l'offre devra être présentée et dont la
décision sera déterminante.
Le 4 avril 1957, Harrison, devenu président du
club de golf, écrivit à, Anfield. C'est là une pièce
fort importante; la voici reproduite en entier:
[TRADUCTION] Monsieur,
Objet: Réserve indienne n° 2 Musqueam
Suite à notre discussion d'hier, je vous écris pour énoncer les
conditions que je serais prêt à soumettre à nos membres comme
offre pour la location d'une partie de la réserve indienne
précitée. Voici ces conditions:
1. La superficie à louer devra comprendre environ 160 acres de
la réserve indienne et être située comme indiquée lors de notre
discussion d'hier.
2. Nous aurons le droit d'aménager sur le terrain loué un
terrain de golf, un club et les autres bâtiments et installations
que nous considérerons appropriés pour nos membres.
3. Nous aurons besoin d'un droit de passage sur une partie de la
réserve entre la rue Marine et la superficie louée afin d'avoir
l'accès dont nous avons besoin.
4. La durée initiale du bail sera de quinze ans à compter du le'
mai 1957, mais le club pourra opter pour quatre reconductions
de quinze ans chacune, soit une durée globale de soixante-
quinze ans.
5. Le loyer pour les premiers «quinze ans» s'élèvera à
$25,000.00 l'an, payable d'avance chaque année à la date
anniversaire de la signature du bail, le premier paiement de
$25,000.00 devant être fait dès le bail rédigé, signé et remis.
6. Le loyer pour chaque reconduction de quinze ans sera fixé de
gré à gré entre votre Ministère et le club ou, à défaut d'accord,
par arbitrage conformément à la «Arbitration Act» de la pro
vince de Colombie-Britannique, mais ce loyer, pour toute
reconduction de quinze ans, ne saurait en aucun cas être haussé
ou abaissé par rapport aux précédents quinze ans, de 15%
environ du loyer initial stipulé au point 5 ci-dessus.
7. Le loyer de chaque reconduction successive de quinze ans
devra être convenu avant que nous ayons à exercer notre option
de reconduire ou non.
8. Nous paierons toutes les taxes grevant la superficie louée.
9. Nous paierons le coût raisonnable de relocalisation sur la
réserve des maisons des Indiens sises actuellement sur la super-
ficie louée.
10. A tout moment au cours du bail, et pour six mois après
l'arrivée du terme définitif, nous conserverons le droit d'enlever
tout bâtiment et autre structure construits ou érigés par nous
sur la superficie louée et toute amélioration et autres
installations.
Vous seriez bien aimable de me notifier votre approbation de
ces conditions générales lundi, le 8 avril, de façon que je puisse
faire en sorte que nos administrateurs convoquent une assem
blée générale de nos membres dans un avenir proche.
Le 7 avril 1957, eut lieu une assemblée du
conseil de bande. D'après la preuve dont je suis
saisi, c'est M. Anfield qui organisait pratiquement
toutes les assemblées du conseil de bande et les
assemblées de l'ensemble des membres de la bande
Musqueam. Anfield avait l'habitude de présider
aux assemblées. Fréquemment, il dressait le pro-
cès-verbal. Dans le cas de cette assemblée particu-
lière, il y eut deux procès-verbaux. On doit le
premier procès-verbal, manuscrit, à Andrew Char-
les Jr. (pièce 23), un membre de la bande, âgé
de 25 ans à cette époque. L'autre a été dressé par
Anfield. Il avait l'habitude, semble-t-il, de les faire
dactylographier par après.
J'ai comparé les deux procès-verbaux. Celui
d'Anfield donne un peu plus de détails mais les
deux couvrent essentiellement de la même manière
le même ordre du jour qui a été discuté au sujet de
la réserve. Charles Jr. a noté qu'Anfield avait
annoncé que la plus haute valeur de vente sur le
marché de la réserve, d'après l'évaluation, était de
$1,346,000. Charles Jr. a aussi noté qu'Anfield
avait [TRADUCTION] «soumis» une pollicitation
formelle du club de golf de louer 160 acres. La
durée initiale du bail serait de 15 ans à compter du
1e" mai 1957. Le club pourrait reconduire quatre
fois, successivement, pour 15 ans. Le procès-verbal
de Charles Jr. ne mentionne pas le montant du
loyer annuel proposé.
Voici le texte du procès-verbal d'Anfield (pièce
24):
[TRADUCTION] 2. Le surintendant déposa alors devant le con-
seil l'offre du club de golf Shaughnessy de Vancouver pour la
location à long terme d'environ 160 acres de terrain délimitées
à peu près comme dans le plan McGuigan, pour un loyer, pour
les premiers 15 ans, de $25,000.00 l'an, avec quatre reconduc-
tions optionnelles additionnelles de 15 autres années chacune,
aux conditions qui seront convenues. [C'est moi qui souligne.]
Les deux procès-verbaux rapportent que le conseil
a adopté une résolution approuvant la location des
terres non utilisées au club de golf Shaughnessy et
la soumission à l'ensemble de la bande d'un acte de
cession relativement à ces 160 acres.
La preuve qu'ont administrée les demandeurs
tend à démontrer que toutes les conditions de
l'offre Shaughnessy n'ont pas été fournies au con-
seil de bande au cours de cette assemblée. William
Guerin a déclaré qu'aucune copie de l'offre ne leur
avait été donnée. Il ne se souvient pas qu'on ait
mentionné un loyer de $25,000 l'an. Il décrit l'as-
semblée comme une présentation fort vague où on
se référait à des durées de 15 ans. Le chef Edward
Sparrow a dit ne pas se rappeler que l'offre du club
de golf ait été lue en entier.
J'accepte comme avéré le témoignage de Wil-
liam Guerin et du chef Sparrow à cet égard. Les
procès-verbaux de Charles Jr. et d'Anfield me
portent à croire qu'on a donné que des renseigne-
ments généraux sur l'offre du club de golf de louer
environ 160 acres, pour une durée initiale de 15
ans, avec des reconductions optionnelles addition-
nelles de 15 ans. Je note que le procès-verbal de
Charles Jr. rapporte les termes exacts du qua-
trième paragraphe de l'offre du club de golf. Si les
autres stipulations, dont celles relatives aux loyers,
avaient été lues, je suis sûr que Charles Jr. en
aurait pris note. Je remarque que le procès-verbal
Anfield à ce sujet conclut comme suit: «. .. aux
conditions qui seront convenues».
Le 11 avril 1957, Arneil écrivit à W. C.
Bethune, le surintendant des réserves et fidéicom-
mis, à Ottawa. Cette lettre n'a pu être retrouvée.
Mais la réponse du surintendant à Arneil, datée du
24 avril 1957, est devenue la pièce 26. Bethune
met en cause le bien-fondé d'un loyer annuel de
$25,000 pour les premiers 15 ans. Pour un rende-
ment de cinq à six pour cent, aurait-il dit, la valeur
locative à l'acre serait de $250 $300 environ.
Selon les chiffres de Bethune, on obtiendrait une
valeur locative d'environ $40,000 $48,000 l'an
pour les premiers 15 ans. L'offre du club de golf,
pour 150 acres, signifiait un rendement d'environ
3% de l'investissement. Bethune suggérait à Arneil
de discuter de la question avec Howell et d'obtenir
son opinion sur ce que la Direction des affaires
indiennes pouvait s'attendre à obtenir en louant à
long terme cette superficie comme le voulait le
club de golf.
Anfield discuta de l'affaire avec Howell. Il lui
remit des copies de la lettre de Bethune. Anfield
écrivit officiellement à Howell le 16 mai 1957. Il
lui demandait son opinion écrite, à savoir si des
loyers de $25,000 l'an, pour les premiers 15 ans,
étaient [TRADUCTION] «justes et équitables». Il
faisait remarquer que pour une location à long
terme, de 75 ans, il était concevable que le taux de
rendement ne dépasse pas 5%.
On n'a pas fourni à Howell tous les détails de
l'offre Shaughnessy. Il ne connaissait pas le para-
graphe 6 qui limitait les hausses et les baisses de
loyer pour les reconductions de 15 ans à 15% du
loyer initial de $25,000, soit à $3,750. On ne lui dit
pas non plus que le club de golf voulait obtenir le
droit, à tout moment au cours du bail, et même
jusqu'à 6 mois après l'arrivée du terme, d'enlever
tout bâtiment ou toute amélioration se trouvant
sur le terrain.
Je fais une légère digression. L'offre Shaugh-
nessy initiale prévoyait que le loyer pour chaque
période successive de 15 ans devrait être fixé d'un
commun accord. A défaut d'accord, la question
serait portée à l'arbitrage. Il n'y avait aucune
stipulation dans la proposition du 4 avril, comme
dans le bail finalement conclu, prévoyant que, lors
de l'arbitrage, le loyer serait fixé comme si le
terrain n'avait été ni défriché ni amélioré et ne
pouvait servir que de terrain de golf. L'offre
Shaughnessy stipulait, si je lis bien, que le loyer ne
pourrait être haussé ni abaissé de plus de $3,750
l'an pour chaque reconduction de 15 ans.
Howell répondit à Anfield le 23 mai 1957 (pièce
33). Il avait vérifié les valeurs qu'il avait attribuées
aux hautes terres de la réserve. Le véritable test de
cette valeur consisterait à offrir la superficie en
lotissement sur le marché; on verrait alors quelles
offres il en résulterait. Un bail de 75 ans, modifia
ble tous les 15 ans, conclu avec un locataire solva
ble, éliminait tout facteur de risque. En ce cas, le
taux d'alors des obligations gouvernementales,
3.75%, était le mieux que l'on pouvait attendre. Il
tentait ensuite de justifier la réduction du taux de
rendement à 3%. Il avait parlé au secrétaire du
club de golf. On lui avait dit que le club songeait à
dépenser $1,000,000 en bâtiments et améliora-
tions. Il écrivit: [TRADUCTION] «Ces améliorations
reviendront avec le bien-fonds à la fin du bail:. Un
club de golf rehaussait la valeur des propriétés
environnantes de la réserve. Il ajoutait:
[TRADUCTION] Toutefois, si leur offre est acceptée, le Minis-
tère sera dans une position beaucoup plus favorable pour
négocier une hausse de loyer dans quinze ans, lorsque le club
aura investi un capital considérable, dont il devra assurer la
protection, dans la propriété.
Il concluait en exprimant l'avis que le plus sage
était d'accepter l'offre du club de golf.
Howell a témoigné au procès. Il a déclaré avoir
approuvé en 1957 le taux de rendement de 3%
pour les motifs donnés dans sa lettre: le taux des
obligations d'alors était de 3.75%; le club de golf
ne constituait pas un risque financier; les améliora-
tions reviendraient à la bande. En contre-interro-
gatoire, il a admis que s'il avait su que les amélio-
rations ne reviendraient pas à la bande, il aurait
recommandé un taux de rendement de 4 à 6%. Il
avait présumé, en donnant son opinion aux fonc-
tionnaires locaux des affaires indiennes, que la
renégociation du loyer serait fondée sur la condi
tion améliorée du terrain et sur le principe du
meilleur et du plus rentable usage possible. Il s'est
dit choqué de la clause limitative de 15% que l'on
retrouvait dans le bail signé.
Howell s'est révélé, à mon avis, un témoin hon-
nête. Je considère comme avéré son témoignage tel
que rapporté au paragraphe précédent. Je suis
convaincu qu'il n'aurait pas exprimé l'avis donné
en pièce 33 s'il avait connu tous les faits.
La lettre d'Howell fut envoyée à Ottawa con-
jointement avec une demande de préparer les actes
de cession, pour fin de location, qu'on soumettrait
à la bande Musqueam. Le 13 juin 1957, le direc-
teur des affaires indiennes à Ottawa recommenda
au sous-ministre d'accepter l'offre du club de golf.
Le directeur était d'avis que le loyer annuel était
satisfaisant mais aucun bail ne serait conclu tant
qu'une cession acceptable ne serait pas faite par la
bande Musqueam. Le sous-ministre donna son
approbation.
Le 3 juillet 1957, Bethune envoya les actes de
cession et d'autres pièces à Arneil, lui disant qu'il
aimerait voir la limite de 15%, stipulée dans l'offre
du club de golf, supprimée. Il suggérait de prévoir
la fixation des loyers des reconductions de gré à
gré ou, à défaut, par arbitrage.
Le 12 juillet, le chef Sparrow et Anfield eurent
une conversation. Le chef avait voulu connaître
certains chiffres relatifs à l'évaluation de la
réserve. Le 16 juillet 1957, Anfield répondit au
chef Sparrow (pièce 38). Anfield lui disait que la
valeur totale de la réserve était de $1,360,000. Il
énonçait les valeurs des différentes catégories de
terrains de la réserve et poursuivait:
[TRADUCTION] Les gens du club de golf veulent 162 acres de
hautes terres. Cela, à $5,500.00 l'acre, donne une valeur de
$891,000.00; or, l'offre de $25,000.00 l'an comme loyer pour
les premiers dix ans, au cours desquels le club devra dépenser
presque un million de dollars en capital, donne un rendement
pour l'investissement de 3%, ce que l'évaluateur considère
comme fort élevé pour un tel usage de l'immeuble.
A titre de renseignement, la valeur d'investissement d'un bien-
fonds sur lequel on érige de vastes structures varie entre 5 et
6%. Notre évaluateur est formel; un investissement de 3% pour
un club de golf, si on se souvient que le terrain alors amélioré
reviendra finalement à la bande, constitue un rendement fort
satisfaisant.
La mention d'une durée de 10 ans était incor-
recte. Lors d'une assemblée du conseil de bande, le
26 juillet, le chef Sparrow fit remarquer que l'offre
Shaughnessy était pour une durée de 15 ans.
Anfield écrivit une lettre où l'erreur était corrigée.
A mon avis, Anfield a exagéré en rapportant
l'opinion d'Howell sur le taux de rendement. La
bande n'obtint jamais copie de la lettre d'Howell
du 23 mai 1957, pas plus qu'elle n'apprit, à l'épo-
que, que le club exigeait d'avoir le droit d'enlever
les améliorations.
Il y eut une assemblée du conseil de bande le 25
juillet 1957 dans la réserve. M. Anfield présidait.
Au conseil siégeaient le chef Sparrow et la conseil-
lère Gertrude Guerin. Il s'agit de la mère du chef
actuel, Delbert Guerin. Charles Jr., secrétaire du
conseil, était en retard. Anfield dressa le
procès-verbal.
Le louage des 162 acres fut discuté en long et en
large. Une question épineuse se posait: plusieurs
membres de la bande prétendaient avoir construit
des améliorations sur la superficie ou ailleurs sur
la réserve. Aucun certificat de possession ne leur
avait été délivré. C'était là une question manifeste-
ment épineuse. Plusieurs solutions alternatives
furent discutées. Le conseil adopta comme résolu-
tion qu'une assemblée générale des électeurs de la
bande aurait lieu le 23 août 1957 (cette date fut
changée ultérieurement), avec pour objet d'étudier
et de voter sur une éventuelle cession à la Cou-
ronne des 162 acres.
On discuta encore du projet de bail du club de
golf. Les deux conseillers de bande étaient d'avis
que les reconductions devraient avoir un terme de
10 ans plutôt que de 15.
Le 9 septembre 1957, le conseil de bande adopta
une résolution selon laquelle l'évaluation de la
valeur locative, dans le cas du bail proposé, devrait
être [TRADUCTION] «révisée et renégociée» avec le
club de golf.
Le 27 septembre 1957 eut lieu une autre assem
blée du conseil de bande dans la réserve. Le chef
Edward Sparrow et les conseillers Gertrude
Guerin et William Guerin étaient présents. Repré-
sentaient le ministère des Affaires indiennes:
Anfield et William Edward Grant. Grant aurait
été «responsable de l'agence de Vancouver». Il a
témoigné à l'instruction. Il est entré au service de
la Direction des affaires indiennes en 1950, à
Vanderhoof (C.-B.). A la fin de juin 1957, il a été
muté au bureau régional de Vancouver. Il y occu-
pait un nouveau poste, celui de directeur suppléant
des affaires indiennes. Ces fonctions consistaient à
remplacer d'autres surintendants de Colombie-Bri-
tannique lorsqu'ils tombaient malades ou partaient
en vacances ou s'absentaient pour quelque autre
raison. A peu près à la même époque (juillet
1957), M. Anfield a été promu commissaire
adjoint des Indiens pour la Colombie-Britannique.
Un autre membre du ministère des Affaires
indiennes, W. A. Anderson, était lui aussi présent
à l'assemblée du conseil.
MM. Harrison et Jackson du club de golf
Shaughnessy, ainsi que leur secrétaire, M. Heina,
assistèrent aussi à l'assemblée.
Andrew Charles Jr. a pris des notes au cours de
l'assemblée.
En présence des représentants du club de golf, le
chef Sparrow a demandé un rendement de 5% de
la valeur des 162 acres; cela équivalait à environ
$44,000 l'an. Le conseiller William Guerin avait
effectivement calculé un montant de $44,000 ou
$44,550. Les représentants du club de golf s'oppo-
sèrent à ce chiffre. On fit lecture de certains
extraits de la lettre de M. Howell du 23 mai 1957.
D'après les souvenirs de Grant, les paragraphes 4,
5 et 6 furent les seuls extraits lus.
A un moment donné au cours de l'assemblée, on
demanda aux représentants du club de golf de
sortir. Le conseil de bande et le personnel des
affaires indiennes eurent alors une discussion
privée. Anfield exprima l'avis que les $44,550
demandés étaient déraisonnables. Après une
longue discussion, le conseil de bande accepta le
chiffre proposé de $29,000; il recommanderait ce
prix à l'ensemble de la bande. On invita les repré-
sentants du club de golf à réintégrer l'assemblée.
On leur fit part de ce chiffre de $29,000. Ils
déclarèrent qu'ils le recommanderaient à leur con-
seil d'administration.
Dans son témoignage, William Guerin a déclaré
que les conseillers acceptèrent ces $29,000 parce
qu'ils croyaient comprendre que la durée du pre
mier bail serait de 10 ans et que le loyer serait
renégocié tous les 5 ans; le conseil pensait pouvoir
obtenir un loyer de 5% sur la valeur subséquente
des terrains.
Les souvenirs de Grant de cette assemblée cor
respondent pour l'essentiel à la version que je viens
de donner. Il y a quelques incompatibilités mineu-
res. Il croit se souvenir que le chiffre de $29,000
fut proposé par Anfield. Anfield aurait conseillé au
conseil de conclure le bail et, dans 10 ans, d'exiger
du club de golf une hausse substantielle. On aurait
discuté aussi, d'après lui, d'un plafonnement quel-
conque des hausses de loyer, à la demande du club
de golf. Le conseil de bande s'y serait opposé;
Anfield aurait dit qu'il signalerait leur opinion à ce
sujet au ministère des Affaires indiennes. Le
témoignage de Grant, que je reconnais avéré,
affirme donc que le conseil de bande a accepté à
regret le chiffre de $29,000.
Le dimanche après-midi du 6 octobre 1957, il y
eut à la réserve assemblée des membres de la
bande. Ce fut ce qu'on a appelé [TRADUCTION]
«l'assemblée de la cession». Je ferai ci-après moi
aussi usage de cette expression.
Les officiels de la bande présents étaient le chef
Edward Sparrow et les conseillers Gertrude
Guerin et William Guerin. Anfield présida l'as-
semblée. Grant y assistait et prenait des notes. Ses
notes auraient été ultérieurement revues par
Anfield puis dactylographiées. Charles Jr. a aussi
pris des notes au cours de l'instance. Les notes de
Charles Jr. et de Grant sont, pour l'essentiel,
semblables.
Avant l'assemblée, Anfield avait lui aussi rédigé
quelques notes, pour son propre usage semble-t-il,
afin de pouvoir mieux expliquer les choses aux
membres de la bande.
D'après Grant, Anfield possédait, lors de l'as-
semblée, une copie du projet de bail à conclure
entre la Couronne et le club de golf. Il croit se
souvenir qu'Anfield aurait annoté le projet de bail
au cours de l'assemblée. Le projet n'a pas été
produit à l'instruction. Il se peut que Grant se soit
trompé. Le premier projet de bail produit comme
pièce est daté du 17 octobre 1957. Il aurait, sem-
ble-t-il, été préparé par les avocats du club de golf.
Mais Mc McIntosh, l'avocat en cause, a dit dans
son témoignage avoir rédigé un bail en août ou
septembre 1957 qui, pensait-il, pourrait servir de
base de discussion. Il en aurait discuté soit avec
Anfield, soit avec Arneil.
La lecture des notes de Grant et de Charles Jr.,
ainsi que les témoignages du chef Sparrow, de
Charles Jr., de William Guerin et de Grant per-
mettent de dire que les renseignements fournis à
cette assemblée au sujet des projets de cession et
de bail furent les suivants: Le club de golf désirait
louer 162 acres d'un terrain dont la valeur était de
$5,500 l'acre. L'offre initiale consistait en un bail
de 150 acres, à $25,000 l'an; mais comme le club
désirait du terrain supplémentaire, une hausse à
$29,000 l'an fut obtenue. Le bail durerait 75 ans et
serait renouvelable tous les 15 ans. Les propriétai-
res de terrains améliorés sis là où serait situé le
terrain de golf proposé recevraient 50% des loyers;
le reste serait partagé entre tous les membres de la
bande. Au cours des 10 premières années, les
montants s'élèveraient ainsi à $132,400 pour les
propriétaires de terrains améliorés et à un montant
semblable pour la bande globalement. On fit con-
naître à l'assemblée le plafond proposé de 15% sur
les hausses de loyer.
Les notes de Charles Jr. indiquent que les recon-
ductions proposées devraient être réduites de 15 à
10 ans. Les notes de Grant ne comportent pas
d'indications semblables mais elles parlent de mon-
tants de $132,400 [TRADUCTION] «au cours des
premiers 10 ans» [c'est moi qui souligne].
Les notes de Charles Jr. mentionnent, au sujet
du plafonnement à 15% des hausses de loyer, que:
[TRADUCTION] «... le gouvernement ne voulait
pas de clause d'échelle mobile (limitant la hausse
des loyers)». Grant a dit dans son témoignage que
les clauses stipulant une durée de 15 ans et le
plafonnement de la hausse des loyers ont fait
l'objet d'une forte opposition lors de l'assemblée de
la cession.
A mon avis, les faits suivants sont clairs; je les
considère donc comme avérés:
a) Avant que les membres de la bande ne votent,
ceux qui étaient présents ont présumé ou cru
comprendre que le bail du club de golf serait, le
premier terme excepté, d'une durée de 10 ans,
non de 15.
Cela ressort clairement des témoignages du chef
Sparrow, de William Guerin, de Charles Jr. et de
Grant. Les notes de Charles Jr. et de Grant le
corroborent. Les propres notes d'Anfield, antérieu-
res à l'assemblée (pièce 50), indiquent: [TRADUC-
TION] «... le conseil a demandé des reconductions
de 10 ans au lieu de 15». Deux articles dans les
journaux publiés le jour qui suivit l'assemblée de la
cession, parlent d'un [TRADUCTION] «contrat de
10 ans» (pièce 54) et de [TRADUCTION] «$29,000
pour les premiers 10 ans» (pièce 55). Le chef
Sparrow a affirmé dans son témoignage que ce que
disaient les journaux, qui lui attribuaient le rensei-
gnement, était exact.
Le premier projet de bail produit en preuve
(pièce 60), et qui provient des papiers de la défen-
deresse, comporte des annotations qui seraient de
la main d'Anfield. On y stipule que le premier
terme sera de 15 ans. Annoté dans la marge, on
trouve le chiffre «10». Une autre clause parle de
reconductions de 15 ans. Une note dans la marge
parle de [TRADUCTION] «6 reconductions de 10
ans».
Enfin, à ce sujet, et McIntosh et Harrison se
rappellent qu'à un moment donné, au cours d'une
discussion avec les fonctionnaires des affaires
indiennes, il a été question de reconductions de 10
ans au lieu de 15.
b) Avant que les membres de la bande ne votent,
ceux qui étaient présents ont présumé ou cru
comprendre qu'il n'y aurait aucun plafonnement
à 15% des hausses de loyer.
Les notes d'Anfield antérieures à l'assemblée
affirment: [TRADUCTION] «... le Ministère ne
désire pas que cela soit inclus . ..». J'ai déjà
mentionné les notes de Charles Jr. et le témoi-
gnage de Grant à ce sujet. Sur le projet de bail
(pièce 60), on lit cette annotation d'Anfield au
sujet du plafond de 15%: [TRADUCTION] «ne satis-
fait ni le Ministère ni les Indiens».
Aucun renseignement n'a été donné sur le mode
de négociation des futures hausses de loyer. La
proposition initiale du club de golf (pièce 22),
prévoyait simplement que les loyers ultérieurs
seraient fixés de gré à gré ou par arbitrage.
Je suis convaincu qu'au moment du vote le
personnel des affaires indiennes et la bande s'oppo-
saient à tout plafonnement du loyer à 15%; la
bande a voté parce qu'elle croyait qu'il n'y aurait
pas de plafond.
c) Il n'a pas été divulgué à l'assemblée que le
club de golf proposait d'avoir le droit, à tout
moment au cours du bail et, après son terme,
pendant six autres mois, d'enlever tout bâtiment
ou structure et toute amélioration et installation
y érigés.
Le chef Sparrow, William Guerin et Charles Jr.
ont tous déclaré dans leur témoignage qu'ils
croyaient avoir compris d'après ce que leur avait
dit Anfield, soit lors de l'assemblée de la cession,
soit lors d'une assemblée du conseil, que toutes les
améliorations, à l'arrivée du terme du bail, revien-
draient à la bande. Grant a déclaré dans son
témoignage qu'on avait affirmé à l'assemblée de la
cession que la bande pouvait conserver toutes les
améliorations apportées au terrain de golf.
Je passe maintenant à un autre sujet.
On a aussi dans les témoignages mentionné deux
autres conditions qui se retrouvèrent dans le bail
finalement signé le 22 janvier 1958 (pièce 78).
La première concernait la fixation des loyers
futurs. A défaut d'accord, la question devait être
soumise à l'arbitrage. Le nouveau loyer serait le
juste loyer du terrain comme s'il n'avait été ni
défriché ni amélioré et servait comme club de golf.
L'autre condition accordait au club de golf un
droit de résiliation du bail au terme de chaque
période de 15 ans sous la simple condition d'un
préavis de six mois. Aucune clause semblable
n'était stipulée en faveur de la Couronne.
Ces deux points n'ont pas été, je le constate
comme avéré, commentés lors de l'assemblée de la
cession. Ils n'apparaissent pas dans le projet initial
du club de golf (pièce 22). On les trouve pour la
première fois dans les projets de baux rédigés
après l'assemblée de la cession. Mais ces deux
conditions n'ont pas été, par la suite, soumises au
conseil de bande, ni à la bande elle-même, afin
d'obtenir ses commentaires ou son aval.
Je reviens maintenant à ce qui s'est passé lors de
l'assemblée de la cession.
Les actes de cession (pièce 53) furent lus. On
stipulait d'abord cession à la Couronne des 162
acres. On stipulait ensuite:
[TRADUCTION] CÉDÉ ledit bien-fonds à Sa Majesté la Reine,
ses hoirs et successeurs, définitivement, en fiducie, pour loca
tion à celui ou à ceux, et aux conditions, que le gouvernement
du Canada jugera les plus favorables à notre bien-être et à celui
de notre peuple.
ET sous la condition supplémentaire que tous les loyers perçus
pour cette location seront versés à notre crédit dans notre
compte en fidéicommis à Ottawa.
Et nous, lesdits chefs et conseillers de ladite bande indienne
Musqueam, au nom de notre peuple et en notre nom propre,
par la présente, avalisons et donnons notre agrément, et pro-
mettons d'avaliser et de consentir, à tout ce que ledit gouverne-
ment pourra faire, ou verra à faire faire, licitement, au sujet de
ladite location.
Il y a eu vote. Quarante-trois des membres votè-
rent. Il y eut 41 votes pour la cession et 2 contre. Il
y eut un autre vote au sujet du versement de 50%
du revenu généré aux propriétaires individuels.
Vingt-cinq membres votèrent pour et 3 contre.
On remarquera que l'acte de cession (pièce 53),
est en termes forts généraux. Les mots importants
sont: «en fiducie, pour location». Il n'y a aucune
mention du projet de location au club de golf. La
position de la Couronne défenderesse, lors de l'in-
terrogatoire préalable (Gordon A. Poupore, ques
tions 351 à 353) a été qu'une fois les actes de
cession signés, la Couronne pouvait louer à qui et
aux conditions qui lui semblaient bons. L'avocat de
la défenderesse, dans sa plaidoirie, a réitéré cette
position.
Le 24 octobre 1957, Anfield écrivit au nom
d'Arneil (pièce 63) à Ottawa. Il annexait un projet
de bail préparé par les avocats du club de golf. Le
projet stipulait 5 reconductions de 15 ans chacune.
Anfield disait:
[TRADUCTION] A été discutée avec les Indiens la réduction de
cette durée, à 10 ans peut-être. A ce sujet, on doit dire qu'il
faudra 3 ans pour aménager les lieux et par la suite le club
devra investir un million de dollars en bâtiments et en aména-
gements et améliorations du terrain de golf. Il ne semble guère
juste d'exiger une révision des loyers, présumément à la hausse,
dans un aussi court espace de temps que 10 ans; aussi sommes-
nous enclins à recommander une durée de 15 ans comme juste
et équitable.
Au sujet de la limite de 15% sur les hausses de
loyer, il écrivit:
[TRADUCTION] On remarquera que le projet de bail comporte
une clause d'échelle mobile limitant les hausses et les réduc-
tions de loyer à 15% du loyer antérieur. Le Ministère, dans sa
lettre du 3 juillet 1957, n'est manifestement pas satisfait de
l'inclusion de cette clause. Aussi l'affaire fut-elle discutée lon-
guement l'été dernier avec les administrateurs du club de golf
Shaughnessy. Ceux-ci font remarquer qu'ils ne forment pas une
entreprise commerciale mais bien un club, dont le nombre de
membres est limité; il est de la plus haute importance que la
charge financière globale en cours de bail soit raisonnablement
déterminée. Ils s'opposent formellement à la suggestion du
Ministère dans la lettre précitée de procéder à la révision des
loyers de consentement mutuel et si nécessaire d'avoir recours à
l'arbitrage. Une telle façon de faire détruirait, pensent-ils, leur
planification globale. Ayant cela à l'esprit, ils produisent l'avis
de M. Douglas W. Reeve, que le club a obtenu; copie de ce
document est annexée. Ce rapport présenterait les vues de M.
Reeve et des administrateurs du club; il mentionne notamment
l'importance d'inclure la clause d'échelle mobile, avec le pla-
fond de 15%, dans le bail. Les administrateurs insistent dans
leur demande au Ministère pour que ce plafond de 15% soit
conservé: ils rendront à la bande indienne Musqueam une
propriété d'une valeur immense avec ses nombreuses améliora-
tions et, rappellent-ils, un facteur primordial de tout le projet
demeure la stabilité financière globale du club qui l'entreprend.
Me McIntosh a dit dans son témoignage que ce
plafonnement à 15% des hausses de loyer a été la
pierre d'achoppement des négociations avec la
Direction des affaires indiennes. La Direction ne
voulait pas de cette clause. Le club la désirait pour
toutes les reconductions. On arriva à un compro-
mis: le plafond de 15% ne jouerait que lors de la
première reconduction. Ce compromis, d'après Me
McIntosh, fut le résultat d'une rencontre entre
Harrison, Jackson et Arneil.
Ni les commentaires apparaissant dans la lettre
d'Anfield (pièce 63), ni une copie de la lettre les
contenant, ni enfin aucune copie du projet de bail
n'ont été remis au conseil de bande ou à la bande.
A dire vrai, les membres de la bande, hormis
l'historique des tractations et l'information limitée
fournie lors de l'assemblée de la cession, n'ont
jamais été consultés.
C'était pourtant leur terrain. C'était leur inves-
tissement et leur revenu; leur avenir.
Le 25 novembre 1957 Bethune écrivit à Arneil
(pièce 66). Il annexa deux copies d'un projet de
bail rédigé à Ottawa. Voici le troisième paragra-
phe de la lettre:
[TRADUCTION] Il y a toutefois un point que je voudrais vous
voir sérieusement étudier: la stipulation du troisième paragra-
phe où l'on prévoit la résiliation du bail au terme de chaque
période de quinze ans. Cette clause a été retenue simplement
pour fin de discussion. Il semble paradoxal qu'un club désirant
un bail de soixante-quinze ans insère une clause lui permettant
de le résilier après quinze ans. A l'examen, vous vous rendrez
compte que les Indiens n'ont rien à perdre même si le bail est
résilié après les premiers quinze ans.
La preuve administrée montre qu'une copie de
cette lettre fut remise à M. Grant et à Me McIn-
tosh, l'avocat du club de golf, mais pas à la bande.
Je me permettrai, à ce stade-ci, le commentaire
suivant. La preuve qu'ont administrée les deman-
deurs cherche à établir qu'Anfield n'a eu aucune
discussion avec le conseil de bande, ni avec la
bande, après l'assemblée de la cession. Aucune des
pièces ou des lettres échangées entre le club et les
affaires indiennes n'a été remise au conseil de
bande ou à la bande elle-même. Il y eut des
rencontres entre Anfield, Arneil et les dirigeants
du club, y compris leurs avocats, au sujet des
conditions du bail. L'avocat supposa que tout ce
qui se passait était communiqué à la bande. Ni le
chef ni le conseil de bande n'ont été partie à cette
discussion ni n'en ont été notifiés.
Je considère fondée la preuve administrée au
nom des demandeurs.
Il y a, je pense, trois explications à cela. Aucune
n'est disculpatoire. La cession ne stipulait pas
expressément qu'on devait louer au club de golf;
elle ne précisait pas non plus que le bail ultime,
quel que fût le cocontractant, devait être approuvé
par la bande ou le conseil de bande. Fort probable-
ment aux affaires indiennes, on était d'avis, vu les
conditions de la cession, qu'on était libre de négo-
cier aux conditions jugées les meilleures, sans avoir
à consulter la bande.
Je me permettrai ici une digression pour opposer
à la procédure suivie dans le cas des terrains
Musqueam les démarches que fit Anfield en 1955
et 1956 dans le cas de la réserve indienne n° 5
Capilano. Cette réserve appartenait aux Indiens
Squamish. Ils cédèrent 67 acres de la réserve.
Voici le dispositif de l'acte de cession (pièce 112):
[TRADUCTION] CÉDÉ ledit bien-fonds à Sa Majesté la Reine,
ses hoirs et successeurs, définitivement, en fiducie, pour loca
tion à celui ou à ceux, et aux conditions, que le gouvernement
du Canada jugera les plus favorables à notre bien-être et à celui
de notre peuple.
Sous réserve toutefois des conditions suivantes:
Que tous les baux conclus sous le régime de la présente
cession seront en contrepartie d'un loyer et aux conditions
que le conseil de bande pourra, de moments en moments,
approuver par résolution.
Dans ce cas-là, pour louer, on procéda par
appels d'offres. La bande rejeta les premières
offres. Elle approuva finalement le bail qui fut
conclu avec Park Royal Shopping Centre Limited.
L'histoire du louage de ces terrains de la réserve
indienne n° 5 Capilano est rapportée dans une note
de service de M. Letcher du 13 mai 1960 (pièce
136). Sur ces terrains est aujourd'hui érigé le
centre commercial Park Royal bien connu.
On se rappellera au sujet des appels d'offres de
location, l'un des premiers rapports d'Anfield au
sujet du développement de la réserve Musqueam
(pièce 9, par. 3, cité à la p. 391 des présents
motifs).
La seconde explication de l'ignorance dans
laquelle furent maintenus les Indiens de la bande
après l'assemblée de la cession serait qu'Anfield,
en raison d'une promotion, avait dû assumer des
fonctions plus lourdes. La vacance de son ancien
poste n'était pas encore comblée. Cela n'eut lieu
qu'en décembre 1957, date à laquelle M. J. C.
Letcher fut nommé.
La troisième explication est reliée à la première.
A cette époque, depuis des années, un grand
nombre de fonctionnaires des affaires indiennes
entretenait à l'égard des Indiens et de leurs
bandes, avec les meilleures intentions du monde,
une attitude paternaliste. Les Indiens étaient des
enfants, leurs pupilles; on connaissait mieux qu'eux
ce qui était bon pour eux. Grant a dit d'Anfield,
d'après ce qu'il avait observé de son comporte-
ment, qu'il avait cette attitude.
La pratique aujourd'hui, depuis les dix dernières
années, contraste avec celle des années 50 et 60;
elle a été énoncée dans les témoignages de Poupore
et d'autres. On encourage maintenant les bandes à
obtenir leurs propres évaluations foncières et avis
juridiques; ce n'était pas le cas auparavant.
D'après certains des témoignages entendus, que je
reconnais fondés, le conseil de la bande Musqueam
aurait demandé de pouvoir avoir recours à ses
propres évaluateurs et avocats mais Anfield leur
aurait dit de laisser cela à la Direction des affaires
indiennes. Aujourd'hui, on encourage les Indiens à
insérer dans les actes de cession des conditions
importantes. Ce n'était pas l'habitude autrefois.
On remet maintenant les projets de baux aux
bandes indiennes pour étude; ce n'était pas la
pratique autrefois. Aujourd'hui, on fournit aux
bandes copies des actes intéressant leurs biens-
fonds. A l'époque d'Anfield et de Letcher, on
n'avait pas l'habitude de remettre aux bandes
copies de ces documents; ce n'était pas non plus la
pratique de leur donner accès aux archives du
Ministère.
Je reviens au louage des terrains de la réserve
Musqueam.
La défenderesse accepta par décret, daté du 6
décembre 1957, la cession des terrains. Eurent
alors lieu d'autres discussions, qui portèrent sur
certaines conditions du bail, entre les avocats du
club de golf et le bureau du commissaire aux
Indiens de Colombie-Britannique.
Le 9 janvier 1958, il y eut une assemblée du
conseil de bande. Le surintendant Letcher était
présent; représentaient la bande: le chef Sparrow
et les conseillers Gertrude Guerin et William
Guerin. Charles Jr. dressa le procès-verbal.
Letcher fit lecture d'une lettre relative au bail
du club de golf. Elle indiquait que les reconduc-
tions seraient de 15 ans au lieu de 10. Le chef
Sparrow fit remarquer que la bande avait
demandé des reconductions de 10 ans. Selon Wil-
liam Guerin, le conseil fut abasourdi d'apprendre
que la reconduction serait de 15 ans. William
Guerin a dit dans son témoignage que Letcher
déclara alors que la bande était [TRADUCTION]
«prise» avec les reconductions de 15 ans. J'accepte
comme avéré le témoignage de Guerin. Le conseil
de bande adopta alors une résolution par laquelle il
acceptait la première période de 15 ans mais insis-
tait pour que les reconductions subséquentes soient
de 10 ans. Le bail fut finalement signé le 22
janvier 1958. Aucune copie ne fut donnée à la
bande Musqueam ni au conseil.
Voici ci-après les conditions essentielles du bail
du 22 janvier 1958:
1. La durée du bail est de 75 ans sauf résiliation
antérieure.
2. Le loyer pour les premiers 15 ans est de
$29,000 l'an.
3. Pour les 4 reconductions suivantes de 15 ans,
le loyer annuel devra être fixé par accord mutuel
ou, à défaut, par arbitrage
[TRADUCTION] ... ce loyer devant être égal au juste loyer
des lieux fournis s'ils étaient toujours non défrichés et non
améliorés à la date de chaque fixation respective du loyer et
en considérant que l'usage que le locataire peut en faire
selon le bail est restreint ....
4. La hausse maximale du loyer pour les seconds
15 ans (du 1" janvier 1973 au ler janvier 1988),
est limitée à 15% de $29,000, soit $4,350 l'an.
5. Le club de golf peut résilier le bail au terme
de toute période de 15 ans en donnant un préavis
de 6 mois.
6. Le club de golf peut, à tout moment en cours
de bail, et jusqu'à 6 mois après l'arrivée de son
terme, enlever tout bâtiment ou autre structure
et toute amélioration et installation.
Grant a déclaré que les conditions du bail finale-
ment conclu ne ressemblaient que fort peu à celles
qui avaient été discutées à l'assemblée de la
cession.
Je partage cette opinion.
Le chef Edward Sparrow, William Guerin et
Andrew Charles Jr. étaient présents et votèrent à
l'assemblée de la cession du 6 octobre 1957. Ils ont
déclaré dans leur témoignage qu'ils n'auraient pas
voté la cession des 162 acres s'ils avaient connu les
conditions définitives du bail intervenu entre la
défenderesse et le club de golf.
J'accepte leur témoignage. J'ai constaté qu'il
s'agissait de témoins honnêtes et dignes de foi.
Leur témoignage n'a pas été sérieusement entaché,
à mon avis, par l'après coup.
J'ai déjà énoncé mes constatations au sujet de ce
que la bande savait et ne savait pas à l'époque du
vote sur la cession. La prépondérance de preuve
montre, je pense, que la majorité de ceux qui
votèrent le 6 octobre 1957 n'auraient pas consenti
à la cession des 162 acres s'ils avaient connu toutes
les conditions du bail du 22 janvier 1958.
Je constate qu'il en est ainsi.
Se pose maintenant la question de l'effet en
droit des diverses constatations que je viens de
faire.
Les demandeurs fondent leur demande sur un
breach of trust, ou manquement à une fiducie. Ils
soutiennent que la défenderesse était, dans tous les
cas et à tout moment, fiduciaire. La défenderesse
prétend n'être jamais devenue en fait ni en droit
fiduciaire.
Le droit en matière de trusts en général, de
fiducies, est succinctement, mais non complète-
ment, énoncé dans Underhill's Law of Trusts and
Trustees (12e éd. 1970), à la page 3:
[TRADUCTION] Un trust [fiducie] consiste en une obligation
d'equity par laquelle une personne (appelée trustee [fidu-
ciaire]) doit administrer un bien dont elle assume la garde
(qu'on appelle le bien du trust [le bien en fiducie]) au profit de
tiers (qu'on appelle bénéficiaires ou cestuis que trust) au
nombre desquels elle peut être, et dont tous et chacun peuvent
obtenir l'exécution de l'obligation. Tout acte ou négligence de
la part du trustee [du fiduciaire] qui n'est pas autorisé ou que
n'excusent ni les termes de l'acte de trust [de fiducie] ni la loi,
constitue un manquement au trust [à la fiducie].
La Couronne peut, si elle le désire, agir comme
fiduciaire ou trustee. Le vice-chancelier Megarry,
dans l'espèce Tito c. Waddell (No 2) 3 a traité de
cette question, et de la situation de la Couronne en
tant que fiduciaire (trustee) comme suit, aux
pages 216 et 217:
[TRADUCTION] Je propose d'examiner immédiatement la
situation de la Couronne lorsqu'elle est fiduciaire [trustee], et
de laisser de côté la question de savoir ce que l'on entend par la
Couronne en ce cas; je dois aussi considérer ce que l'on entend
par `trust' [`fiducie']. Le terme est d'usage courant en anglais
et, quelle que puisse être la position de la cour, on doit
reconnaître qu'il est souvent utilisé dans un sens différent de
celui d'une obligation d'equity que sanctionnent les tribunaux.
Il peut fort bien arriver souvent qu'on soit dans une position de
confiance [trust] sans être fiduciaire [trustee] au sens de
l'equity; des expressions telles que 'brains trust' `anti-trust' et
`territoires sous tutelle' ['trust territories] qui quoique d'usage
fréquent, ne sont pas comprises comme se rapportant à la
fiducie que sanctionne une juridiction d'equity. Néanmoins, on
peut difficilement nier qu'une fiducie [trust] puisse être créée
sans que l'on ait employé le terme lui-même. Il faut à chaque
fois s'assurer que dans les faits de l'espèce, selon la bonne
interprétation de ce qui a été dit et écrit, une intention suffi-
sante de créer une véritable fiducie s'est manifestée.
Lorsqu'on prétend que la Couronne agit comme fiduciaire,
les pouvoirs gouvernementaux et les obligations de la Couronne
sont un élément d'importance spéciale dont il faut tenir compte;
ceux-ci fournissent aussitôt une autre explication que la fiducie.
Si de l'argent ou quelque autre bien est dévolu à la Couronne
puis est utilisé pour le bénéfice d'un tiers, une explication
plausible est que la Couronne est véritablement fiduciaire pour
ce tiers. Mais il y a une autre explication; sans avoir la fiducie
véritable de ces biens, la Couronne peut néanmoins administrer
les biens dans l'exercice de ses fonctions gouvernementales.
Cette dernière explication fort possible, qui n'existe pas dans le
cas d'un individu ordinaire, rend nécessaire d'examiner avec un
plus grand soin les termes et les circonstances qui auraient
généré la fiducie [le trust].
En l'espèce, l'avocat du procureur général n'a pas cherché à
soutenir que la Couronne ne pouvait jamais être fiduciaire. Il a
reconnu entièrement fondé l'arrêt Civilian War Claimants
Association Ltd. e. R. ([1932] AC 14, [1931] All ER Rep 432)
notamment le commentaire de lord Atkin. Lord Atkin avait dit
en cette espèce ([ 1932] AC 14 la p. 27, [1931] All ER Rep
432 la p. 436): `Il n'y a rien que je sache, qui interdise à la
Couronne d'agir comme mandataire ou fiduciaire si délibéré-
ment elle choisit d'ainsi agir': et, dans l'arrêt Le procureur
général c. Nissan ([1969] 1 All ER 629 la p. 647, [1970] AC
179 la p. 223), lord Pearce, fait sien ce commentaire.
Dans l'arrêt Tito, le vice-chancelier Megarry
jugea, sur les faits et les pièces de l'espèce, que la
Couronne n'était pas vraiment fiduciaire au sens
propre, et il cita l'arrêt Kinloch c. The Secretary
3 [1977] 3 All E.R. 129.
of State for India in Council 4 . De cette espèce, il
déclara aux pages 220 et 221:
[TRADUCTION] Les faits de cette espèce, évidemment,
étaient fort différents de ceux de celle dont je suis saisi. Néan-
moins, elle corrobore certains principes et considérations per-
tinentes et importantes. D'abord, l'emploi d'un membre de
phrase comme `en fiducie pour' [`in trust for'] même dans un
acte officiel, tel un mandat royal, ne crée pas nécessairement
une fiducie [un trust] que sanctionneront les tribunaux.
Comme lord O'Hagan a dit (7 App Cas 619 la p. 630): `Il n'y
a rien de magique dans le terme «fiducie» [»trusta]'. En second
lieu, le terme `fiducie' [`trust'] peut servir à décrire non seule-
ment l'institution que sanctionnera la juridiction compétente en
equity mais aussi d'autres relations comme l'exécution, sous les
directives de la Couronne, des devoirs ou fonctions attribuables
à la prérogative et à l'autorité de la Couronne. Les fiducies
[trusts] de la première espèce, familières dans notre Division,
sont décrites par le lord Chancelier Selborne, comme des
`fiducies au sens figuré' [`trusts in the lower sense']; les fiducies
de la dernière espèce, que ne connaît pas notre Division, il les a
appelées `fiducies au sens propre' [`trusts in the higher sense'].
Je m'arrête ici. Cette classification des fiducies me semble
avoir eu que peu d'impact en doctrine: voir, par exemple, Lewin
on Trusts (16' éd. (1964), pp. 10, 13), Underhill on Trusts and
Trustees (12e éd. (1970), p. 51), et Halsbury's Laws of England
(38 Halsbury's Laws (3e éd.), p. 180). Il y a en vérité une
certaine bizarrerie à décrire comme fiducie [trust] une relation
que ne sanctionnent pas les tribunaux bien que les prétendues
fiducies imparfaites [trusts of imperfect obligation] puissent
peut-être fournir un parallèle. Certainement, communément
dans les milieux juridiques, on parle de `fiducie' [`trust] pour
signifier la relation d'equity que sanctionnent les tribunaux et
non quelque relation gouvernementale qu'ils ne sanctionnent
pas. J'emploierai donc le terme `fiducie' [`trust'] purement et
simplement (ou, pour insister, `fiducie au sens étroit' ['true
trust']) pour décrire ce qui, par convention, constitue une
fiducie [trust] que sanctionnent les tribunaux ou, pour repren-
dre les termes du lord Chancelier Selborne `fiducie au sens
propre' [`trust in the higher sense'] pour exprimer l'obligation
gouvernementale qu'il a décrite.
Je juge qu'en l'espèce a existé une fiducie légale
ou une «fiducie au sens étroit> («true trust») entre
la défenderesse et la bande. La Couronne, à mon
avis, est devenue fiduciaire le 6 octobre 1957 des
162 acres. La bande indienne était bénéficiaire.
Les actes de cession (pièce 53) eux-mêmes énon-
cent expressément que les 162 acres seront cédées
à la Couronne «... définitivement, en fiducie, pour
location ...». La Loi sur les Indiens prévoit, selon
mon interprétation, que la défenderesse peut deve-
nir fiduciaire, au sens juridique, des bandes indien-
nes. Elle mentionne que la Couronne possède cer-
tains biens-fonds pour l'usage et le profit des
bandes indiennes et certaines sommes d'argent
4 (1882) 7 App. Cas. 619.
pour leur usage et profit. (Voir les alinéas 2(1)a),
h) et o).) L'article 18, par exemple, dispose que les
réserves sont détenues pour l'usage et au profit des
bandes indiennes. De même, le paragraphe 61(1)
mentionne les «deniers des Indiens» que la Cou-
ronne détient pour l'usage et le profit des Indiens
ou des bandes indiennes. Tout ce qui précède, à
mon avis, va dans le sens de l'existence d'une
fiducie, que sanctionnent les tribunaux.
En plaidoirie, l'avocat de la défenderesse a tenté
de soutenir que s'il existait une fiducie, ce ne
pouvait être qu'une [TRADUCTION] «fiducie politi-
que» («political trust») que seul le législateur pour-
rait sanctionner. Je ne comprends pas exactement
ce que l'on entend par «fiducie politique». Le juge
Rand, dans l'arrêt St. Ann's Island Shooting and
Fishing Club Limited c. Le Roi 5 , se référant à la
Loi sur les Indiens, a employé l'expression [TRA-
DUCTION] «obligation politique» (»political trust»);
à la page 219, il dit:
[TRADUCTION] Je conviens cependant que l'art. 51 requiert
un ordre du gouverneur en conseil pour valider une concession
de terre indienne. Le libellé de la loi consacre le principe acquis
que les autochtones sont, en fait, des pupilles de l'État, dont la
subsistance et le bien-être constituent une obligation politique
du niveau le plus élevé. Pour cette raison, tout acte qui affecte
leurs privilèges doit être marqué au coin de l'approbation
gouvernementale, et le gouverneur en conseil commettrait un
excès de pouvoir s'il déléguait cette responsabilité au surinten-
dant général.
L'avocat des demandeurs s'est opposé à toute
argumentation à ce sujet, motif pris que rien
n'avait été articulé en ce sens dans les écritures.
J'ai autorisé la défenderesse, selon des termes bien
précis, à modifier sa défense pour soulever cette
question. Mais s'il y avait modification, les deman-
deurs devenaient alors en droit d'interroger au
préalable le ministre de la Couronne responsable
au sujet des faits sur lesquels la défenderesse fonde
son argument. La défenderesse a en conséquence
choisi de ne pas se prévaloir de cette possibilité de
modifier la défense.
Je ne traiterai donc pas plus avant de la défense
de «fiducie politique».
Le deuxième point en litige concerne les condi
tions de la fiducie.
La défense soutient, s'il y a fiducie légale exécu-
toire, que ses conditions sont celles que stipule
5 [1950] R.C.S. 211.
l'acte de cession (pièce 53); la fiducie autoriserait
la défenderesse à louer les 162 acres à n'importe
qui, pour quelque fin que ce soit et aux conditions
que le gouvernement juge les plus favorables au
bien-être de la bande indienne. Il n'y aurait aucune
obligation de louer au club de golf aux conditions
discutées lors de l'assemblée de la cession; la
défenderesse n'aurait non plus aucune obligation
d'obtenir l'approbation de la bande au sujet des
conditions du bail finalement conclu.
Je ne reconnais pas fondé cet argument.
La défenderesse, par le biais de ceux qui se sont
occupés de cette affaire à la Direction des affaires
indiennes, savait dès le début qu'elle pourrait se
trouver dans une position de fiduciaire pour tout
terrain éventuellement loué au club de golf. A son
assemblée du 7 avril 1957, le conseil de bande
adopta la résolution (rédigée présumément par M.
Anfield) que voici:
[TRADUCTION] Que nous approuvons la location des terrains
non requis de notre réserve indienne n° 2 Musqueam et, au
sujet de la demande du club de golf Shaughnessy, que nous
approuvons la soumission à notre bande indienne Musqueam
d'actes de cession pour la location de 160 acres environ telles
que délimitées, grosso modo, par l'arpentage McGuigan au
crayon rouge et que, en outre, nous autorisons la présence de
ladite requérante, pour fins d'arpentages uniquement, en vue de
ladite cession, lesdits arpentages devant être aux frais et risques
de la requérante entièrement.
Comme je l'ai dit, la Couronne savait, à ce
stade, qu'elle pouvait devenir fiduciaire. Elle savait
que la bande avait l'intention de céder les terrains.
La résolution précitée ne parle pas d'une cession
sans condition pour location à qui l'on voudra.
L'ensemble de la résolution sous-entend que la
cession est faite pour location, à certaines condi
tions, au club de golf.
La Direction des affaires indiennes, à compter
de ce moment, n'a pas, d'après la preuve adminis-
trée devant moi, examiné réellement la possibilité
de louer les 162 acres à quelque autre partie
intéressée. A compter du 7 avril 1957, toutes les
discussions avec le conseil de bande se rapportent à
la location envisagée de ces terrains au club de
golf.
A mon avis, la cession du 6 octobre 1957 a
imposé à la défenderesse, en tant que fiduciaire,
l'obligation, à compter de cette date, de louer au
club de golf Shaughnessy aux conditions suivantes:
a) Une durée globale de 75 ans.
b) Un loyer pour les premiers 15 ans de
$29,000.
c) La division des 60 années restantes du bail
en six périodes de 10 ans.
d) La renégociation des hausses futures de
loyer à chaque reconduction sans clause d'ar-
bitrage ni mode d'évaluation du bien-fonds.
e) Aucun plafond de 15% sur les hausses de
loyer.
f) Le retour à la Couronne de toutes les
améliorations apportées au bien-fonds à l'arri-
vée du terme.
La défenderesse, par son personnel et les fonc-
tionnaires de la Direction des affaires indiennes, a
manqué à ses obligations de fiduciaire. Les 162
acres n'ont pas été louées au club de golf aux
conditions que la bande indienne avait autorisées.
Des changements substantiels ont été faits comme
le montre l'acte de bail définitif. Pour ces change-
ments, la défenderesse n'a cherché à obtenir,
comme fiduciaire, aucune instruction ni autorisa-
tion de la bande indienne bénéficiaire, la cestui
que trust. L'approbation de la bande indienne
aurait dû être obtenue. La défenderesse avait
l'obligation, par son personnel, de l'obtenir.
J'ai déjà jugé qu'il est plus que probable que les
membres de la bande indienne n'auraient pas, s'ils
avaient connu toutes les conditions du bail du 22
janvier 1958, cédé les 162 acres.
La défenderesse est donc responsable d'un man-
quement à la fiducie.
LES DÉFENSES DE PRESCRIPTION ET DE MANQUE
DE DILIGENCE
La défenderesse plaide la défense, si manque-
ment à une fiducie il y a, que l'action est tardive;
elle serait prescrite par la législation pertinente et
par le principe d'équité dit du manque de
diligence.
Les demandeurs ont tenté de démontrer que ni
la bande indienne ni ses conseillers n'ont connu les
conditions véritables du bail du club de golf avant
mars 1970.
Andrew Charles Jr. dit dans son témoignage
qu'il a demandé au surintendant Letcher, à plu-
sieurs reprises, une copie du bail du club de golf.
On lui avait dit que la bande indienne n'avait pas
l'autorisation d'obtenir une copie du bail. A cette
époque, et jusque vers la fin des années 60, ce
n'était pas la pratique à la Direction des affaires
indiennes, comme je l'ai rapporté, de fournir copies
de ces documents au conseil de bande. Tout ce que
le surintendant Letcher a pu dire a été qu'il ne se
rappelait pas qu'on lui ait demandé une copie du
bail.
Je reconnais comme avérée la preuve adminis-
trée par les demandeurs selon laquelle en dépit des
demandes de fourniture de copies du bail, ils ne
purent en obtenir aucune avant mars 1970. Ce
mois-là, le conseiller Delbert Guerin (aujourd'hui
chef) aurait discuté généralement du bail du club
de golf Shaughnessy avec M. W. G. Allen, un
agent préposé à l'utilisation des terres du Minis-
tère. M. Allen examina le bail et, le 17 mars 1970,
écrivit à Guerin, portant à sa connaissance certai-
nes des conditions. Ces conditions, particulière-
ment le plafond de 15% sur les hausses de loyer
pour 1973 1988, laissèrent Guerin et les autres
incrédules. Plus tard, la bande indienne obtint une
copie intégrale.
La défenderesse a tenté d'établir que certains
des chefs ou des conseillers de la bande connais-
saient, ou auraient dû connaître, les conditions du
bail au moins dès 1963 ou 1964. Il s'agit du
témoignage de John F. Ellis.
En 1960, Ellis était dans l'immobilier. Il repré-
sentait un consortium qui ultérieurement devint
Musqueam Recreations Ltd. Il cherchait à acqué-
rir des terrains pour aménager un champ d'exer-
cice dit driving range et un terrain de golf à
normale 3. Ellis connaissait le chef Edward Spar
row depuis plusieurs années. Il s'entretint avec lui.
Le chef renvoya Ellis à l'un de ses fils, Willard
Sparrow. Ce dernier était à l'époque membre du
conseil de bande. Willard Sparrow fut élu chef
pour les années 1963 et 1964.
Les négociations entre la bande et Musqueam
Recreations Ltd. durèrent plus de trois ans. La
bande indienne, à un moment donné, décida de
céder le terrain voulu. Étaient en cause (en dernier
ressort) approximativement 58 acres. A la de-
mande de la Direction des affaires indiennes, on
eut recours à des soumissions publiques pour la
location du terrain. D'après Ellis, les appels d'of-
fres prévoyaient des reconductions de 10 ans; le
loyer serait renégocié à chaque reconduction
comme si le terrain n'avait été ni défriché ni
amélioré.
En 1963, Ellis et ses conseillers rédigèrent un
projet de bail. Auparavant Ellis avait visité le club
de golf Shaughnessy. Il obtint une copie du bail du
club de golf pour y jeter un coup d'oeil. Il en copia
les conditions essentielles. Il assista alors à deux
assemblées du conseil de bande, en mars et en avril
1963, au cours desquelles le projet de bail de
Musqueam Recreations Ltd. fut discuté par le
conseil de bande. Il apporta les projets de baux à
ces assemblées.
Ellis estime qu'on discuta, à l'une de ces assem
blées, du pourquoi des reconductions de 15 ans du
club de golf Shaughnessy alors que la proposition
en cause, comme l'énonçaient les avis publics,
prévoyait des périodes de 10 ans. Il a admis fran-
chement, si on avait vraiment discuté la chose, que
cette connaissance des reconductions de 15 ans
pouvait fort bien provenir des extraits qu'il avait
faits du bail du club de golf Shaughnessy et non de
l'un des membres du conseil. Mes notes indiquent
qu'il a fait une pause suffisante pour qu'on la
remarque avant de répondre à la question qui lui
était posée. Je comprends cela. Ces événements se
sont passés il y a plusieurs années. Il connaissait
les conditions du bail Shaughnessy. Je suppose
qu'il a présumé, à l'époque, que la bande indienne
et son conseil connaissaient les conditions du bail
Shaughnessy. En fait, ils ne les connaissaient pas.
Dans le bail définitif avec Musqueam Recrea
tions Ltd., les loyers sont fixés comme suit:
a) Des loyers annuels fixes pour les première,
deuxième et huit autres des 10 premières
années.
b) Des loyers annuels fixes pour les reconduc-
tions décennales subséquentes à négocier; à
défaut d'entente, les loyers sont fixés selon
les dispositions de la Loi sur la Cour de
l'Échiquier.
c) A tout moment, le loyer annuel payable ne
saurait jamais être inférieur à 10% du revenu
brut du locataire.
Une autre disposition prévoit qu'aucune hausse ou
baisse de loyer, pour une nouvelle reconduction
décennale, ne doit dépasser 15% du loyer annuel
fixe des 10 années précédentes.
Ellis se souvenait que le conseil de bande avait
exigé un plafond de 15% sur les hausses de loyer;
selon lui, cela devait aller dans les deux sens; la
stipulation précitée fut alors convenue.
Le projet de bail contenait une clause, semblable
à celle du bail Shaughnessy, relative à l'enlève-
ment des améliorations. Le conseil de bande s'y
opposa. Le bail définitif stipule que les améliora-
tions reviennent à la Couronne.
En contradiction du témoignage d'Ellis, les
demandeurs ont cité Gertrude Guerin, qui a été
chef de la bande en 1962, et Robert Point, qui fut
conseiller en 1962 et secrétaire en 1963. Le chef
Willard Sparrow et John Sparrow (ce dernier,
d'après Ellis, avait assisté à certaines des rencon-
tres avec Willard) sont morts il y a quelques
années. Madame Guerin et Point ont dit dans leurs
témoignages qu'au cours des discussions relatives
au bail Musqueam Recreations Ltd., aucune men
tion n'a été faite par qui que ce soit des conditions
du bail Shaughnessy.
J'accepte leur déposition.
M. Ellis a cherché à être honnête dans son
témoignage. Mais il a manifestement été influencé
par sa connaissance des termes réels du bail
Shaughnessy. Le conseil de bande, comme je l'ai
dit, n'avait pas cette connaissance. Je ne crois pas
que M. Ellis soit exact lorsqu'il se souvient que le
conseil de bande a proposé un plafond de 15% sur
les hausses de loyer [TRADUCTION] «parce que
cela apparaissait dans le bail Shaughnessy». Cette
proposition ne pouvait servir leur intérêt. C'était là
ce à quoi la bande s'était vigoureusement objectée
lorsque la proposition Shaughnessy avait été discu-
tée à l'assemblée de la cession du 6 octobre 1957 et
aux assemblées du conseil de bande qui l'avaient
précédée. Je crois que c'est le groupe Musqueam
Recreations Ltd. qui proposa le plafonnement des
hausses et la bande, le plancher des baisses.
Les demandeurs ont cité d'autres témoins pour
tenter de repousser les implications du témoignage
de M. Ellis. Certains de ceux-ci avaient été con-
seillers et avaient discuté du bail Shaughnessy avec
Willard Sparrow avant qu'il ne meure, à la fin des
années 60. D'autres siégèrent au conseil de bande
ultérieurement. Tous ont affirmé ignorer la clause
de 15%, les reconductions de 15 ans et le droit
d'enlever les améliorations, stipulés dans le bail
Shaughnessy.
Cette fois encore, je considère fondé le témoi-
gnage de ces témoins.
Si les conseillers, au cours des négociations du
bail Musqueam Recreations Ltd. avaient appris
d'Ellis, ou de quelqu'un d'autre, les conditions du
bail Shaughnessy, je suis convaincu que cette
information aurait été transmise au fil des ans.
Le témoignage de M. Ellis est, cela se com-
prend, vague et imprécis. Je ne puis l'accepter
comme preuve qu'en 1963 la bande et les conseil-
lers connaissaient les conditions attaquées du bail
Shaughnessy.
Je juge que la bande indienne et ses membres
n'ont pas connu les véritables conditions du bail
Shaughnessy et, en conséquence, le manquement à
la fiducie, avant mars 1970.
L'action n'a été engagée que le 22 décembre
1975. Le chef Delbert Guerin, de mars 1970 jus-
qu'au moment où l'instance a été autorisée, a
cherché à obtenir de plus amples informations
ainsi que des avis juridiques sur ce qui pouvait se
faire. J'accepte cette explication.
Voici la teneur de la défense qui veut que l'ac-
tion soit prescrite par la loi: s'il y a eu manque-
ment, ou manquements, à la fiducie, cela s'est
passé le 22 janvier 1958; l'action devait être enga
gée dans les six ans de cette date. La défenderesse
invoque la Statute of Limitations de Colombie-
Britannique en vigueur avant le l er juillet 1975 6 .
On doit aussi avoir recours au paragraphe 2(11)
de la Laws Declaratory Act 7 :
[TRADUCTION] 2. .. .
(11) Sous réserve de la Trustee Act, toute demande du
bénéficiaire d'une fiducie (cestui que trust), contre le
fiduciaire, relative à tout bien expressément confié en
fiducie, est imprescriptible:
et voici l'article 93 de la Trustee Act 8 :
6 S.R.C.-B. 1960, c. 370.
' S.R.C.-B. 1960, c. 213. Cette loi fut largement modifiée
ultérieurement. Le paragraphe 2(11) n'existe plus dans la
nouvelle loi: la Law and Equity Act, S.R.C.-B. 1979, c. 224.
8 S.R.C.-B. 1960, c. 390.
[TRADUCTION] Protection des fiduciaires
93. (1) Dans toute demande ou autre instance engagée contre
un fiduciaire ou son fondé de pouvoir, à moins que la demande
ne soit fondée sur le dol ou un manquement frauduleux à la
fiducie auquel le fiduciaire est partie, ou qu'il connaît, ou ne
soit en répétition des biens confiés en fiducie, ou du produit de
leur disposition encore entre les mains du fiduciaire, ou reçus
antérieurement par le fiduciaire et détournés à son usage, les
dispositions suivantes s'appliquent —
a) Il y a jouissance de tous les droits et privilèges que confère
toute législation sur la prescription de la même manière et
dans la même mesure que dans le cas où le fiduciaire ou son
fondé de pouvoir n'aurait été, dans l'action ou l'instance, ni
fiduciaire ni fondé de pouvoir:
b) Dans le cas d'une action ou instance en répétition d'une
somme d'argent ou de quelque autre bien, en l'absence de
prescription légale applicable, le fiduciaire ou son fondé de
pouvoir profite, à son gré, dans la même mesure et de la
même manière, de la prescription extinctive dont dispose le
défendeur à l'action pour enrichissement sans cause mais,
néanmoins, la prescription court contre la femme mariée
ayant droit à une possession exclusive, avec ou sans restric
tion quant à l'éventuel, mais pas contre le bénéficiaire tant
que, ou à moins que, son droit n'est pas, ou ne soit, un droit
de possession.
(2) Aucun bénéficiaire, auquel on pourrait opposer une
bonne défense en vertu du présent article ne saurait obtenir un
plus grand ou autre avantage d'un jugement ou ordonnance
rendu en faveur d'un autre bénéficiaire que l'avantage qu'il
aurait pu obtenir s'il avait engagé l'action ou l'instance et que
le présent article ait été invoqué.
(3) Le présent article ne s'applique qu'aux actions ou instan
ces postérieures au 1" janvier 1906 et ne prive aucun exécuteur
testamentaire ni administrateur des droits ou défenses que lui
confère toute législation sur la prescription.
L'article 93 fut abrogé, avec prise d'effet le l et
juillet 1975 lorsque la nouvelle Limitation Act de
Colombie-Britannique 9 entra en vigueur.
Je rejette le moyen de défense selon lequel l'ac-
tion est prescrite.
Lorsqu'il y a dol ou qu'on a frauduleusement
caché l'existence d'un droit d'action, la prescrip
tion ne commence à courir qu'à compter de la
découverte du dol, ou du moment où, avec dili
gence raisonnable, on aurait dû le découvrir:
Massie & Renwick Ltd. c. Underwriters' Survey
Bureau, Ltd.'°; Nesbitt, Thomson & Co. Ltd. c.
9 S.R.C.-B. 1979, c. 236.
10 [1940] R.C.S. 218, le juge en chef Duff, à la p. 244. Voir
aussi le commentaire du juge Maclean au procès: [1938]
R.C.É. 103 aux pp. 126à 128.
Pigott"; Taylor c. Davies 12 ; Eddis c. Chichester
Constable".
La fraude invoquée pour interrompre le cours de
la prescription n'a pas à être équivalente au dol du
droit civil au sens de tromperie ou de fraude
morale. La fraude d'équité suffit. Dans Kitchen c.
Royal Air Force Association 14 , la mort du mari de
la demanderesse lui procurait un droit d'action.
Elle constitua procureur. Ils n'engagèrent pas l'ins-
tance avant que la prescription extinctive applica
ble n'ait été acquise. Subséquemment, la compa-
gnie défenderesse en l'instance effectua un
paiement ex gratia. Les avocats ne déclarèrent pas
à la demanderesse ce paiement. Ils ne lui dévoilè-
rent pas non plus leur conduite. Elle ne découvrit
le fond de l'affaire que quelques années plus tard.
Elle engagea alors une action contre les avocats
pour négligence, six ans après la perpétration des
prétendus actes de négligence des avocats. Les
avocats invoquèrent la prescription extinctive.
Lord Evershed, M.R., en confirmant le juge-
ment du juge du fond, lequel disait que la dissimu
lation ou la non-révélation des faits avait suspendu
le cours de la prescription, déclara aux pages 572
et 573:
[TRADUCTION] Une conséquence logique de la dissimulation
fut, comme ils auraient dû le comprendre s'ils avaient songé à
la question ne fût-ce qu'un instant, que cela constituait une
dissimulation aussi à l'égard de la demanderesse de l'effet réel
d'avoir jeté aux orties j'utilise cette expression à dessein—le
droit d'action que lui conférait la Fatal Accidents Acts en mai
dernier. Cette dissimulation équivaut-elle à un dol? Je répète
qu'on ne constate aucune et que rien ne justifie de constater
qu'il y a eu malhonnêteté au sens où ce terme est habituelle-
ment entendu. Mais il est maintenant clair que le terme «dol»
qu'emploie l'article que je viens de lire n'est nullement limité à
la fraude ou au dol de common law. De même, il est clair,
quand on a à l'esprit l'espèce Beaman c. A.R.T.S. Ltd. ([1949]
1 K.B. 550; 65 T.L.R. 389; [1949] 1 All E.R. 465, C.A.;
infirmant 64 T.L.R. 285; [1948] 2 All E.R. 89), qu'aucun
élément de turpitude morale n'est nécessaire pour démontrer
qu'il y a dol aux termes de l'article. Ce qui s'entend par fraude
d'équité, lord Hardwicke n'a pas tenté de le définir il y a 200
ans, aussi ne tenterai-je certainement pas de le faire mainte-
nant, mais il est, je pense, clair que le terme vise une conduite
qui, lorsqu'une relation spéciale s'est établie entre les parties
concernées, est fort peu scrupuleuse de la part de l'une envers
l'autre.
" [1941] R.C.S. 520 aux pp. 523 et 530.
12 [1920] A.C. 636 aux pp. 648 653 (C.J.C.P.).
13 [1969] 2 Ch. 345 (C.A.), lord Denning, M.R., aux pp. 355
et 356.
14 [1958] 1 W.L.R. 563.
et, à la page 574:
[TRADUCTION] Présumant, comme je le fais, que la deman-
deresse était la cliente des appelants, elle avait droit de s'en
remettre à eux pour voir à ses intérêts et je pense que c'est en
surprenant cette confiance qu'ils ont fait ce qu'ils ont fait en
octobre et en novembre, lui dissimulant les faits qui, une fois
connus sans doute, auraient mis en lumière quels étaient ces
véritables droits contre eux. Donc, quoique j'aie fort hésité sur
cet aspect de l'affaire, tout compte fait, j'en suis venu à la
conclusion que la demanderesse est parvenue, de justesse, à
établir en l'espèce ce qu'il fallait pour permettre de constater
une dissimulation frauduleuse de la part des appelants, ce qui
leur interdit de lui opposer la prescription extinctive.
Les principes de l'espèce Kitchen ont été approu-
vés dans l'affaire Joncas c. Pennock 15 et Zbryski c.
La ville de Calgary 16 .
La conduite du personnel de la Direction des
affaires indiennes en l'espèce équivaut, à mon avis,
à une fraude d'équité. Il n'y a pas eu, comme le
soutiennent les demandeurs, fraude au sens de dol,
de malhonnêteté ou de turpitude morale de la part
d'Anfield, d'Arneil et d'autres. Mais le fait de ne
pas revenir devant la bande ou le conseil après le 6
octobre 1957 pour faire avaliser les conditions
proposées du bail a constitué, compte tenu de tout
ce qui s'était passé, une conduite «... fort peu
scrupuleuse de la part de l'une envers l'autre». Il
y a eu dissimulation équipollente à la fraude
d'équité. Quant aux explications données de cette
carence à ne pas revenir devant la bande indienne,
j'en ai déjà traité. Je répète toutefois mon com-
mentaire: «Aucune n'est disculpatoire».
Je constate aussi qu'il n'y a pas eu, dans les
circonstances, absence de diligence raisonnable de
la part de la bande et de son conseil dans leur
évaluation des conditions du bail du club de golf.
J'ai déjà décrit l'attitude paternaliste et protection-
niste de la Direction des affaires indiennes par le
passé et sa pratique à l'égard des papiers et archi
ves relatifs aux affaires des bandes indiennes. En
l'espèce, la bande Musqueam n'avait aucune
raison de croire qu'un bail comportant des condi
tions différentes de celles qu'on leur avait laissé
croire avait été conclu. La première reconduction
n'arrivait qu'en 1973. C'est une discussion, due
semble-t-il au hasard, entre Delbert Guerin et
Allen qui jeta la lumière, en 1970, sur le véritable
état des affaires.
15 (1962) 32 D.L.R. (2') 756 (C.S., l ère instance et appel,
Alb.).
16 (1965) 51 D.L.R. (2 e ) 55 (C.S., 1 ère instance, Alb.).
La défenderesse fait valoir la Limitation Act de
Colombie-Britannique (précitée) entrée en vigueur
le 1°" juillet 1975. L'avocat de la défenderesse, au
cours de sa plaidoirie, a exprimé l'avis que l'an-
cienne loi, et non la loi de 1975, s'appliquerait.
Mais la plaidoirie ne fut pas retirée.
Si la nouvelle loi s'applique, la prescription, à
mon avis, ne commence à courir en vertu de
l'article 6 que beaucoup plus tard. Voici les dispo
sitions pertinentes:
[TRADUCTION] 6. (1) Contre le bénéficiaire, la prescription
prévue par la présente loi court
a) dans le cas d'une action fondée sur la fraude ou un
manquement frauduleux à une fiducie à laquelle le
fiduciaire a été partie ou complice; ou
b) dans le cas d'une action en répétition de biens en fiducie,
ou du produit de leur disposition, en possession d'un
fiduciaire, ou qu'un fiduciaire a reçus préalablement et a
convertis à son propre usage,
du moment où celui-ci a connaissance de la fraude, du manque-
ment frauduleux à la fiducie, de la conversion ou des autres
agissements du fiduciaire qui fondent l'action.
(2) Dans le cas du paragraphe (1), c'est au fiduciaire qu'il
appartient d'établir le moment à compter duquel la prescription
commence à courir.
(3) Contre le demandeur, la prescription que prévoit la
présente loi ne court
h) dans le cas d'une action pour manquement à une fiducie
non prévu au paragraphe (1),
qu'une fois connue l'identité du défendeur et reconnu que les
faits, qu'il a les moyens de connaître, sont tels que l'homme
raisonnable les connaissant, et ayant obtenu les avis que son
pareil chercherait à obtenir à leur égard, considère qu'ils
montrent que
i) une action sur ce fondement aurait, mise à part la
prescription extinctive, de bonnes chances de succès; et
j) celui dont les moyens de connaître sont en cause devrait,
dans son propre intérêt, et prenant cette circonstance en
compte, être à même d'engager une action.
(4) Pour les fins du paragraphe (3),
a) «avis» quant aux faits, s'entend de l'avis de personnes
compétentes dans leur domaine respectif que ce soit
quant à leur aspect médical, juridique ou autre, selon le
cas;
b) sont assimilés à des «faits»,
(i) l'existence d'une obligation dont le défendeur est
débiteur envers le demandeur; et
(ii) l'inexécution d'une obligation qui a causé un préju-
dice ou un dommage au demandeur;
c) celui qui se fonde sur le droit ou le titre d'un ayant cause
est réputé avoir les connaissances ou les moyens de
connaître qu'avait cet ayant cause avant de transmettre
ce droit ou ce titre;
d) la cour tient compte, à son gré, de la conduite et des
déclarations du de cujus dont la connaissance ou les
moyens de connaître sont en cause.
(5) C'est celui qui invoque la suspension de la prescription
qui a la charge d'établir qu'elle n'a couru que comme le prévoit
le paragraphe (3).
D'après la preuve qui m'a été administrée au
sujet de la dissimulation, de la découverte de la
fraude, des moyens de la connaître et de la dili
gence exercée (que j'ai déjà soulignée), les deman-
deurs sont, à mon avis, parvenus à se placer dans le
champ que couvre le paragraphe 6(3).
Reste la conclusion de manque de diligence.
Les demandeurs, dit-on, ont trop tardé; ils con-
naissaient, ou sont présumés avoir connu, dès
1958, ou peu après, leur dommage; leur retard à
poursuivre porte préjudice à la défenderesse. Ce
préjudice, c'est d'abord et avant tout, a-t-on sou-
tenu au nom de la défenderesse, les conséquences
de la mort de M. Anfield. On ne peut plus par son
témoignage réfuter les prétentions des deman-
deurs.
Anfield mourut le 23 février 1961. Les deman-
deurs auraient pu, si le 23 janvier 1958 ils avaient
connu les faits véritables, attendre au moins jus-
qu'en janvier 1964 pour engager l'action. L'argu-
ment du préjudice causé par la mort d'Anfield
perd de ce fait une grande part de sa force. M.
Arneil mourut en 1971. Il aurait sans doute été
cité comme témoin si l'action avait été instruite
avant sa mort. Mais il n'a pas joué le rôle-clé qu'a
joué Anfield lors des tractations avec la bande
indienne et le conseil. Comme je l'ai déjà dit
auparavant dans les présents motifs, j'ai gardé à
l'esprit qu'Anfield n'est plus là pour présenter ce
que la Couronne appelle l'autre version des faits.
Mais je ne considère pas comme avéré, si Anfield
et Arneil avaient été vivants, qu'ils auraient effec-
tivement donné une autre version.
Cette médaille a son revers; certains membres
de la bande indienne, que j'ai mentionnés, sont eux
aussi morts avant l'instruction. Nul doute, d'autres
membres de la bande, morts aussi depuis janvier
1958, auraient pu apporter leur témoignage.
Le droit, quant à l'opération et à l'effet de la
doctrine de l'obligation de diligence est, je pense,
adéquatement énoncé dans Halsbury's Laws of
England 17 , au paragraphe 1476:
[TRADUCTION] 1476. Défense de manque de diligence.
L'équité exige du demandeur qu'il engage sa demande sans
retard indu. C'est là le principe que sous-tend la notion de
prescription extinctive: vigilantibus et non dormientibus lex
succurrit. Une juridiction d'equity ne ranime pas la demande
quand le demandeur a dormi sur son droit et a acquiescé
pendant longtemps. On dit alors que son manque de diligence le
lui interdit.
et, au paragraphe 1477:
[TRADUCTION] Pour décider si le retard équivaut à un
manque de diligence, les principaux points à considérer sont (1)
l'acquiescement de la part du demandeur, et (2) tout change-
ment intervenu dans la situation du défendeur. Acquiescer en
ce sens ne signifie pas ne pas s'opposer à la violation d'un droit
mais donner son agrément une fois qu'a eu lieu la violation et
que le demandeur en a eu connaissance.
et encore, au paragraphe 1478:
[TRADUCTION] 1478. L'acquiescement en tant qu'élément du
manque de diligence. Le principal élément du manque de
diligence, c'est l'acquiescement, aussi parfois celui-ci a-t-il été
décrit comme la seule fin de non-recevoir d'equity due à
l'écoulement du temps. L'acquiescement implique que celui qui
acquiesce connaît ses droits et est à même de se plaindre de leur
violation.
Ainsi l'acquiescement est fonction de la connaissance, de la
capacité et de la liberté que l'on a. Quant à la connaissance que
l'on a, on ne peut acquiescer aux prétentions des autres à moins
de connaître parfaitement son droit de les contester. Le deman-
deur qui ignore son droit d'action par la fraude du défendeur,
ne manque de diligence que lorsqu'il découvre la vérité ou est
présumé l'avoir découverte. Il n'est pas nécessaire toutefois que
le demandeur ait connu le recours exact dont il jouissait; il
suffit qu'il ait eu connaissance des faits générateurs du recours.
Quant à la capacité, le mineur ou l'aliéné mental ne peuvent
acquiescer ni manquer de diligence.
et, au paragraphe 1480:
[TRADUCTION] 1480. Modification de la situation du défen-
deur. Doit aussi être pris en compte tout changement de
situation du défendeur intervenu par suite du retard du deman-
deur à engager l'action. Cela peut se produire, par exemple,
parce que le retard a fait qu'il ne dispose plus des preuves
nécessaires pour se défendre de la demande. La juridiction
d'equity ne permettra pas qu'on fasse valoir une créance inac
tive alors que les moyens de s'en défendre, si d'aventure elle se
révélait sans fondement, n'existent plus.
et enfin, au paragraphe 1481:
[TRADUCTION] Outre la prescription légale, le temps par
lui-même ne saurait être opposé à l'action mettant en cause une
17 Vol. 16 (4' éd.). Voir aussi Snell's Principles of Equity
(27' éd. 1973), p. 35.
fiducie expresse. Le temps ne peut être opposé à certains cas de
manquement à une fiducie, quoique, lorsqu'il n'y a pas pres
cription extinctive légale, à l'action pour manquement à une
fiducie, comme à tout autre recours d'equity, on puisse opposer
l'acquiescement, qu'il s'agisse de l'assentiment donné au man-
quement ou d'une ratification subséquente, ou encore de cir-
constances autres qui, ajoutées au retard, rendent inéquitable
d'accueillir l'action.
J'ai déjà jugé que la conduite du personnel de la
Direction des affaires indiennes équivalait à une
fraude en equity et que les demandeurs n'ont eu
connaissance, effectivement ou par interprétation,
des conditions véritables de location du terrain de
golf qu'en mars 1970; on ne peut dire des deman-
deurs, d'après la preuve administrée et les faits de
l'espèce, qu'ils ont manqué de diligence en ne
parvenant pas à découvrir plus tôt les conditions
du bail. J'ai aussi traité du prétendu préjudice
qu'aurait subi la défenderesse du fait que la pour-
suite n'a pas été intentée avant 1975. J'ai jugé non
fondé ce moyen.
Tout cela, à mon avis, fait que les demandeurs
échappent à la doctrine d'equity du manque de
diligence. Je ne vois ici aucune iniquité à faire
droit à la demande des demandeurs. La défende-
resse—en pratique les concitoyens des deman-
deurs—n'a pas été incitée, par quelque retard, à
changer d'attitude.
La défense de manque de diligence échoue donc.
Dans sa plaidoirie, l'avocat de la défenderesse a
demandé que celle-ci soit, vu les faits, exonérée de
toute responsabilité personnelle pour le manque-
ment à la fiducie. L'article 98 de l'ancienne Trus
tee Act a été cité ' 8 . Cet article reprend essentielle-
ment les termes de l'actuelle Trustee Act 19 , que
voici:
[TRADUCTION] 98. Le tribunal, s'il est d'avis que le fidu-
ciaire, indépendamment de son mode de nomination, est ou
pourrait être tenu personnellement responsable du manquement
à la fiducie, alors que l'opération qu'on prétend qualifier de
manquement à la fiducie a eu lieu, bien qu'il ait agi honnête-
ment et raisonnablement, et qu'on doive en toute justice ne pas
lui tenir rigueur de ce manquement ni de n'avoir pas cherché à
obtenir des directives du tribunal à ce sujet, peut, en tout ou en
partie, ne pas retenir la responsabilité personnelle du fiduciaire.
La juridiction en cause ici, dans la nouvelle loi
comme dans l'ancienne législation, c'est la Cour
18 S.R.C.-B. 1960, c. 390.
19 S.R.C.-B. 1979, c. 414.
suprême de Colombie-Britannique. Cette disposi
tion ne peut donc attribuer à notre juridiction cette
compétence de grâce.
Même si notre juridiction avait cette compé-
tence, dans les circonstances, je n'accorderais pas,
ne fût-ce qu'en partie, ce moyen à la défenderesse.
Le personnel de la Direction des affaires indiennes,
en contractant le bail du club de golf, a agi, à mon
avis, honnêtement. Il n'y a pas eu malhonnêteté
délibérée ni volontaire envers la bande indienne.
Mais le personnel et, en dernier ressort, la défende-
resse, n'ont pas agi en bon père de famille en
signant un bail sans se représenter d'abord devant
la bande indienne. Je ne puis voir ce qui, en toute
justice, pourrait excuser la défenderesse.
LES DOMMAGES
Je juge donc qu'il y a eu, de la part de la
défenderesse, un manquement à la fiducie qu'elle
avait acceptée.
J'ai aussi jugé qu'il est probable que la bande
indienne, si elle avait connu les conditions du bail
du 22 janvier 1958, n'aurait pas voté le 6 octobre
1957 pour céder les terrains en location au club de
golf.
Ce qui pose la question extrêmement difficile
des dommages-intérêts. De nombreuses preuves,
au cours de cette instruction fort longue, ont été
administrées à ce sujet. La plupart l'ont été par des
experts en différents domaines.
La mesure du dommage, c'est la perte réelle que
les actes ou omissions ont causé au patrimoine
confié en fiducie: Fales c. Canada Permanent
Trust Co. 20 Les demandeurs ont:
[TRADUCTION] ... droit d'être replacés dans la même situa
tion, autant que faire se peut, que s'il n'y avait pas eu manque-
ment à la fiducie. Tout mode de preuve portant sur cette
question est admissible. 21
L'un des points les plus difficiles de l'espèce se
pose, compte tenu des faits constatés, au début
même de l'instruction sur le dommage. Si les
demandeurs n'avaient pas accepté le bail du 22
janvier 1958, que se serait-il passé?
20 [1977] 2 R.C.S. 302, le juge Dickson à la p. 320.
21 Toronto-Dominion Bank c. Uhren (1960) 32 W.W.R. 61
(C.A. Sask.), le juge d'appel Gordon à la p. 66. Voir aussi le
juge d'appel Culliton à la p. 73.
Plusieurs éventualités étaient possibles; certaines
ont été esquissées dans la preuve administrée,
d'autres, dans les plaidoiries; d'autres encore sont
possibles.
Ainsi, bien qu'on n'en ait pas parlé, ni lors de
l'administration de la preuve, ni en plaidoiries, les
Indiens, par l'intermédiaire de la Direction des
affaires indiennes, et le club de golf auraient pu
poursuivre les négociations pour finalement en
arriver à un accord. La défenderesse a cité MM.
McIntosh, Jackson, Harrison, Pipes et Gillespie.
J'appellerai ces témoins, comme groupe, les
témoins du club de golf. Je conclus de leurs témoi-
gnages qu'il est fort peu probable que le club de
golf ait accepté la suppression du plafond de 15%
imposé aux hausses de loyer pour la seconde recon-
duction de 15 ans, ou toute réduction de durée de
15 à 10 ans. Je crois qu'il est aussi fort peu
probable, d'après le témoignage de McIntosh, que
le club de golf ait abandonné la clause lui donnant
le droit d'enlever les améliorations au terme, quel
qu'il soit, du bail. Je ne crois pas non plus que le
club de golf aurait accepté une renégociation du
bail, ou un arbitrage, sur la base du meilleur et
plus rentable usage du terrain.
J'écarte donc toute évaluation du dommage qui
serait fondée sur le genre de location au club de
golf qu'aurait jugée favorable la bande indienne,
par opposition au bail actuellement en vigueur.
Le principal témoin des demandeurs au sujet du
dommage fut M. A. G. Oikawa. Il est évaluateur
foncier et conseiller en matière d'évaluation fon-
cière, d'études de marché et de faisabilité.
La défenderesse, au sujet de l'évaluation des 162
acres, a cité MM. W. Palmer, K. W. Behr et D. D.
Davis.
M. Palmer est directeur de la division de l'éva-
luation foncière de Vancouver de A. E. Lepage
Western Limited. Il est aussi vice-président princi
pal et évaluateur en chef pour les opérations
nationales d'évaluation de cette organisation. Behr
est un évaluateur au service de cette même organi
sation. Davis est un évaluateur foncier d'expé-
rience. Il est dans l'immobilier au service de Ker &
Ker Ltd. depuis plus de quarante ans. Cette société
est une des sociétés immobilières les plus impor-
tantes de Vancouver.
Oikawa, Palmer, Behr et Davis ont été tous du
même avis sur un point fort important: les 162
acres étaient, en 1957 et 1958, et sont encore, un
immeuble résidentiel de la ville de Vancouver de
premier ordre. Tous les quatre s'entendent pour
dire que le meilleur usage, l'usage le plus rentable
de cet immeuble, en 1958 comme maintenant,
serait d'en faire un terrain résidentiel, non un
terrain de golf.
Mais Oikawa et les trois autres cessent de s'en-
tendre lorsqu'il s'agit de la mise sur le marché de
l'immeuble en 1958, si on garde à l'esprit que le
terrain ne pouvait qu'être loué et non vendu.
D'après Oikawa, le terrain aurait dû être loti
pour recevoir des habitations résidentielles unifa-
miliales louées d'avance pour 99 ans. Il envisageait
environ 438 lots. Il pensait qu'on aurait pu les
commercialiser en cinq ans. Il reconnaissait qu'il
ne se faisait aucune location de ce genre à Vancou-
ver en 1958. Le concept d'un bail payable d'avance
de 99 ans n'était pas toutefois inconnu. Mais pas
dans l'immobilier à Vancouver en 1958. Oikawa
pensait, d'après ses recherches, d'après aussi les
conditions économiques et la demande de lots rési-
dentiels, que ces 162 acres auraient pu être loties à
partir de 1958 de la façon que je viens de décrire
brièvement.
Les trois évaluateurs cités par la défense ne
partageaient pas cette opinion. Ceux-ci pensaient
que le terrain ne pouvait être loti et loué à l'avance
pour 99 ans. A leur avis, le bail intervenu avec le
club de golf était à l'époque ce que l'on pouvait
faire de mieux; la Direction des affaires indiennes
avait eu raison de conclure le bail en vigueur.
D'après certaines des preuves administrées
devant moi, certaines personnes s'étaient dites
intéressées en 1957 et en 1958 par les terrains de
la bande indienne pour faire un lotissement domi-
ciliaire, même si c'était pour louer seulement. Le
témoin Kelly avait préparé un plan pour le terrain
des Musqueams pour le personnel de la Direction
des affaires indiennes. J'ai déjà mentionné ce
témoignage. Toutefois, ces plans n'avaient pas
l'envergure que leur donne Oikawa dans son
témoignage. Il y a eu quelques propositions, au
cours de ces mêmes années, pour un aménagement
domiciliaire et l'érection de maisons à apparte-
ments lorsque des appels d'offres ont été faits pour
la location du terrain de la réserve indienne n° 5
Capilano.
Les University Endowment Lands (U.E.L.)
étaient, et sont encore, pour ainsi dire contigus à la
réserve Musqueam. En 1956, un rapport, appelé le
rapport Turner, avait été rédigé et soumis, vers la
fin de l'année, au gouvernement de Colombie-Bri-
tannique de l'époque. Des extraits de ce rapport
ont été produits (pièce 179). Il recommandait le
lotissement d'une grande portion des U.E.L. pour
des habitations unifamiliales ou d'usage divers,
avec des centres commerciaux et d'autres installa
tions. L'aménagement proposé devait reposer sur
la location à long terme.
Robert P. Murdoch a témoigné pour les deman-
deurs. Il est maintenant président directeur géné-
ral des U.E.L. Il est entré au service de l'organisa-
tion le 1" juillet 1956 comme président directeur
adjoint. Après la parution du rapport Turner, un
grand nombre de personnes intéressées à acquérir
des lots ou des habitations se sont adressées à lui et
à son personnel. La plupart ignoraient le concept
de location à long terme mais, lorsqu'on leur a
expliqué, elles ont persisté à se dire intéressées. Le
personnel a conservé les noms de ceux qui, si le
rapport Turner devenait réalité, avaient laissé
entendre qu'ils pourraient se porter acquéreurs.
Malheureusement, ce dossier a été égaré. Murdoch
prétend qu'il y avait un nombre important de
locataires éventuels. C'est dans la deuxième moitié
et vers la fin des années 50 qu'on manifesta le plus
d'intérêt à cet égard. Il n'y aurait eu aucune
difficulté, si le rapport Turner s'était matérialisé, à
lotir deux à trois cents lots par an jusqu'à épuise-
ment des terrains.
J'ai déjà jugé qu'un bail avec le Shaughnessy
Heights Golf Club n'aurait pu être conclu aux
conditions approuvées par la bande indienne en
octobre 1957:
a) $29,000 l'an pour la première période de
location;
b) reconduction renégociée tous les 10 ans sans
aucune restriction sur la façon d'évaluer le
terrain;
c) aucun plafonnement de 15% des hausses de
loyer pour la deuxième reconduction de 10 ans;
d) retour à la bande indienne en cas de résilia-
tion ou au terme du bail de toutes les
améliorations.
Trois études de rentabilité, prenant pour base
une location comme terrain de golf, m'ont été
fournies: par Oikawa, par Davis et par Behr.
Oikawa a d'abord fixé la valeur sur le marché
des 162 acres, à diverses époques, en fonction d'un
lotissement pour location résidentielle, payable
d'avance, de 99 ans. D'après ses travaux, 6% cons-
tituait, en 1958, un taux de rendement raisonna-
ble. Il obtenait un rendement économique, pour le
22 janvier 1958, de $97,080 l'an. Les demandeurs
évidemment opposent ce chiffre aux $29,000 effec-
tivement versés pour les premiers 15 ans.
Davis a suivi une démarche quelque peu diffé-
rente. Elle est, comme il l'a dit, théorique, cela se
comprend. D'après lui, le terrain n'aurait pu être
loué à long terme sur le marché. Pour arriver à ces
chiffres, il calcula la valeur, à différentes dates,
des propriétés. Il réduisit alors ce chiffre puisque
les terrains devaient être loués et non vendus. Pour
1958, il eut recours au même pourcentage de
rendement économique qu'Oikawa: 6%. Cela don-
nait, selon sa méthode, $61,460 l'an.
Davis procéda à une autre évaluation. Il estima
la valeur sur le marché des 162 acres, à différentes
époques, en considérant que le meilleur et le plus
rentable usage était comme terrain de golf. Il
débuta avec le loyer initial de $29,000 l'an du bail
en vigueur. Il évalua la valeur annuelle du loyer,
comme terrain de golf, à différentes dates comme
suit:
1958: $ 29,000
1968: 99,630
1973: 194,820
1978: 372,000
Voici les estimations de loyers d'Oikawa fondées
sur sa méthode, décrite ci-dessus:
1958: $ 97,080
1968: 231,750
1973: 615,740
1978: 1,428,300
Behr a reconnu valide le loyer de $29,000 l'an
pour 1958. Il s'est servi du taux d'intérêt selon la
Loi nationale sur l'habitation, de l'indice des prix
à la consommation, de l'indice synthétique des
salaires hebdomadaires des industries et des salai-
res de l'industrie de la construction pour démon-
trer la tendance à la hausse dans les prix de 1958 à
1978. Il a calculé les hausses pondérées en fonction
de l'année de base et s'en est alors servi pour
établir le rendement économique normal des
années subséquentes. Voici ces résultats:
1958: $ 29,000
1968: 63,800
1973: 69,310
1978: 103,440
Toutes ces évaluations indiquent une même con
clusion, que Davis a décrite ainsi:
[TRADUCTION] Sachant, ce que nous savons aujourd'hui, la
hausse considérable des terrains et les taux d'intérêt élevés,
nous pouvons démontrer, en nous fondant sur les années 1968,
1973 et 1978, que le loyer convenu avec le Shaughnessy
Heights Golf Club était beaucoup trop bas. Toutefois, en 1958,
nous ignorions ces faits; aussi l'auteur est-il forcé de conclure,
dans l'optique de 1958, qu'il s'agissait là d'un bail raisonnable.
Malheureusement, il ne s'agit pas de savoir si le
bail du club de golf en vigueur est raisonnable ou
non, mais bien de connaître l'ampleur de la perte
subie, compte tenu que le bail du club de golf
n'aurait probablement pas été conclu. J'ai résumé
la preuve administrée à ce sujet de la valeur
uniquement pour illustrer, entre autres choses, la
hausse considérable du prix des terrains, celui en
cause comme les autres, depuis 1957 et 1958.
Avant de donner mes conclusions, je vais expo-
ser maintenant, dans un tableau, les diverses éva-
luations fournies par les évaluateurs.
Valeur
sur le Valeur
marché, sur le Valeur Valeur du loyer
pleine 1 marché, du loyer à l'acre comme
propriété location à l'acre terrain de golf
Howell 890,000
I Oikawa 1,540,000 1,618,000 97,080 6%
9 Palmer
5 & Behr 1,625,000 81,250 6% 29,000 (Behr)
8 Davis 1,687,500 1,024,300 61,460 6% 29,000
I Oikawa 2,916,000 3,090,000 231,750 7 1 / 2 %
9 Behr 3,907,000 280,900 7.19% 63,800
6 Davis 4,725,000 2,578,400 219,160 8 1 / 2 % 99,600
8
1 Oikawa 7,244,000 615,740 8 1 / 2 %
9 Behr 9,414,200 712,650 7.57% 69,300
7 Davis 9,450,000 4,867,000 438,030 9% 194,800
3
1 Oikawa 15,870,000 1,428,300 9%
9 Behr 17,854,000 1,535,440 8.6% 103,440
7 Davis 16,875,000 8,173,800 858,250 10 1 / 2 % 372,000
1 Oikawa 19,837,500 1,884,600 9 1 / 2 % Oikawa ajoute 5%
9 l'an à compter de
8 1978 pour obtenir la
3 valeur sur le marché
Oikawa 23,805,000 2,380,500 10% Oikawa ajoute 5%
9 l'an à compter de
8 1983 pour obtenir la
8 valeur sur le marché
Notes: I. Les valeurs des loyers de Behr sont calculées en fonction de la valeur du
droit de propriété sur le marché.
2. Oikawa et Davis se sont servis de leur valeur de location pour le calcul de
leur valeur des loyers.
Il est surprenant de constater qu'il y a peu de
différences entre ces évaluations. Lorsqu'on com
pare les valeurs sur le marché d'Oikawa pour ces
différentes années, calculées en fonction d'une
location, et celles de Behr et Davis, calculées en
fonction du droit de propriété, les différences ne
sont pas si importantes que cela. Mais la valeur sur
le marché que donne Davis, en fonction d'une
location, est considérablement inférieure à celle
d'Oikawa, particulièrement pour les dernières
années. Je considère les évaluations d'Oikawa
comme plus réalistes. Il les a préparées en fonction
du coût du lotissement. Davis, lui, a cherché à
obtenir la valeur du droit de propriété puis, en
réduisant d'un certain pourcentage somme toute
arbitraire, à obtenir la valeur de location.
Une différence est perceptible: la valeur du droit
de propriété d'Howell en 1956 par rapport à celle
que donnent les autres pour 1958. Je ne juge pas
qu'il y a eu manquement à la fiducie, et responsa-
bilité à cet égard, de la défenderesse. Je suis
convaincu qu'Howell a fait de son mieux en
décembre 1956. En 1958, la valeur des terrains
avait augmenté. En 1978 et en 1979, lorsque
Oikawa, Palmer, Behr et Davis ont fait leur
recherche, ils venaient après coup et disposaient de
meilleures techniques et de meilleurs outils de
recherche.
Mais de plus, ce qui est tout aussi remarquable,
ces évaluations s'accordent. Selon la recherche et
les conclusions de chacun, la valeur des 162 acres a
à peu près décuplé entre 1958 et 1978.
Après avoir considéré soigneusement la preuve
administrée, je conclus que les 162 acres auraient,
à un moment donné, pu être mises sur le marché,
loties et louées pour 99 ans, d'avance, pour des
habitations unifamiliales et, éventuellement, multi-
familiales. A cet égard, je préfère l'opinion d'Oi-
kawa à celle des autres.
Mais je ne suis pas convaincu que la superficie
aurait été nécessairement lotie dès 1958, ou aussi-
tôt que le pense Oikawa. Il faut se rappeler que la
bande indienne, en 1957 et 1958, cherchait à
commercialiser, pour location à long terme, au-
delà des 162 acres. Étaient disponibles d'après
Howell, 220 acres de terrain résidentiel, de pre
mier ordre.
Certains de ces terrains, mises à part les 162
acres, ont depuis été lotis pour location de 99 ans.
Un lotissement de 40 acres, connu sous le nom de
Musqueam Park, a commencé à être aménagé à
l'extrémité nord-est du terrain de golf en 1965. Il
s'est agi de location à long terme, de 99 ans, non
payable à l'avance cependant. La majorité des
habitations furent construites en 1967 et en 1968.
En 1971 et en 1972, une autre superficie, le
Salish Park, fut lotie. Les terrains sont loués pour
99 ans, à l'avance.
Je ne doute pas que si le lotissement des parcs
Musqueam et Salish s'est révélé un succès, dans
une certaine mesure, cela est dû à la présence du
terrain de golf. Je ne crois pas cependant les vues
de la Couronne et de certains de ses témoins selon
lesquels le club aurait été le premier responsable
de la réussite des deux lotissements. Je ne crois pas
non plus, comme l'ont soutenu dans leur témoi-
gnage certains des experts de la défenderesse, que
des superficies aussi grandes (220 acres) n'aient pu
être loties avec succès, pour location résidentielle à
long terme, sans que n'existe quelque installation
du genre d'un terrain de golf, ou autre.
Comme je vois les choses, le terrain, n'avait été
de la location par le club de golf, n'aurait pu être
aménagé que quelques années après 1958. Vrai-
semblablement de la publicité aurait été faite. On
aurait procédé à un appel d'offres afin de lotir et
de louer à long terme. Je suis convaincu qu'il y
aurait eu des offres et que des baux de 99 ans
auraient été conclus. Le lotissement aurait pu, au
début, n'être que limité, expérimental en quelque
sorte. A mon avis, la superficie aurait bel et bien
été sur la voie du lotissement complet, à vocation
résidentielle, pour location à long terme, aux envi
rons de 1968 1971. J'ai choisi cette période
quelque peu arbitraire en fonction du témoignage
d'Oikawa sur les tendances économiques et finan-
cières, les mouvements de population, les valeurs
foncières, la demande de logements et le manque
de terrains de 1958 1973.
J'en viens maintenant au montant des domma-
ges.
Les demandeurs font valoir, dans leur plaidoirie,
quatre moyens de calculer le dommage.
Le premier consisterait à déterminer la perte de
rendement économique, raisonnable, pour la bande
indienne depuis 1958 jusqu'à l'arrivée du terme du
bail en 2033. Je ne me propose pas d'énoncer par
le menu détail ce calcul. On a parlé d'une perte
minimale d'environ $45,000,000. Cette méthode
présuppose, comme revenu de loyers, celui d'Oi-
kawa, de $97,080 l'an pour 1958, et ceux qu'il
prévoyait pour 1968, 1973 et 1978. Le calcul (fort
simplifié ici) fait alors appel aux différences entre
ces chiffres et ceux des loyers du club de golf à la
date de l'instruction. On évalue alors la perte
future.
Cette méthode n'est pas d'un grand secours. Elle
présuppose que le terrain aurait pu produire sur le
marché le rendement locatif trouvé pour 1958 et
pour les années suivantes. Mais je constate, comme
je l'ai déjà dit, qu'il est fort peu probable que ce
rendement ait pu être atteint dès 1958. Cette
démarche présuppose aussi que le bail du club de
golf demeurera en vigueur jusqu'en 2033, ce qui
n'est pas réaliste.
La seconde méthode est une variation de la
première, certains autres facteurs étant pris en
compte. Le chiffre total, selon celle-ci, est à nou-
veau d'environ $45,000,000. Les mêmes commen-
taires que dans le cas de la première s'appliquent.
Le troisième moyen d'évaluer le dommage est
fondé sur la perte subie par la bande indienne en
présumant que le terrain aurait dû être, et aurait
été, en 1958, loti pour une location de 99 ans,
payable d'avance. Le droit de retour est lui aussi
évalué. Le dommage calculé s'élève à environ 53
millions de dollars.
Le quatrième moyen consiste à [TRADUCTION]
«... déterminer la perte pour la bande indienne de
la possibilité de lotir le bien-fonds ...v à la date du
procès. Il s'agit de la différence entre ce que la
bande a reçu en vertu du bail actuel et ce qu'elle
recevra à compter de la date d'instruction du
procès jusqu'en 2033, selon le meilleur et plus
rentable usage qu'on pourrait en faire comme l'a
dit Oikawa. Y serait ajoutée la valeur du droit de
retour. Ce moyen présume que le terrain n'avait
pas, à la date du procès, encore été loti. Le dom-
mage évalué, selon ce moyen, s'élèverait à 71
millions de dollars.
On me permettra ce commentaire. Aucune des
méthodes suggérées n'est entièrement irréaliste.
Les calculs fondés sur l'acceptation de l'ensemble
de la preuve des demandeurs relatifs au dommage
me paraissent, à tout prendre, prudents.
Mais, comme je l'ai dit, aucun de ces modes ne
prend en compte une éventualité des plus plausi-
bles: en 1988, ou au moment d'une reconduction
ultérieure, le club de golf peut fort bien décider,
vu, évidemment, les loyers élevés qui s'annoncent,
de résilier le bail. Le contrat lui donne ce droit.
Je ne puis accepter l'évaluation du dommage
selon les calculs des demandeurs.
Les évaluations avancées sont fondées en réalité
sur mon acceptation de tous les postulats d'Oi-
kawa. Ses connaissances, sa recherche et son
savoir-faire m'ont fort impressionné. Mais, comme
je l'ai dit, je suis moins optimiste que lui quant aux
possibilités du marché en 1958. Par ailleurs, je ne
souscris pas aux vues des experts de la défense
selon lesquels, en 1958, le bail conclu avec le club
de golf était le seul possible.
Mes vues se situent en fait quelque part entre
celles des demandeurs et celles de la défenderesse.
Mais je ne doute nullement que les demandeurs,
par suite du manquement à la fiducie de la défen-
deresse, ont subi un préjudice considérable.
L'avocat de la défenderesse a soutenu que le
dommage des demandeurs, si on accepte le témoi-
gnage d'Oikawa tel quel, n'aurait pas dépassé
$1,618,000. C'était là la valeur de location, pour
99 ans, payable d'avance, des 162 acres en 1958.
Cet argument ignore plusieurs faits. Je n'en men-
tionnerai que deux. Il ne tient pas compte de la
valeur de retour des améliorations à la fin des
baux. Il ne tient pas compte non plus du rende-
ment des investissements possibles avec les loyers
payés d'avance.
L'avocat de la défenderesse a aussi soutenu que,
d'après l'ensemble de la preuve administrée, les
demandeurs n'avaient subi aucun dommage; il se
pourrait même, de quelque façon, qu'ils se soient
enrichis. Je n'ai ni suivi le développement ni com-
pris cet argument lorsqu'il a été soutenu. Après
réexamen, je ne comprends toujours pas.
Même si le dommage peut se révéler difficile, ou
même pratiquement impossible, à calculer, si le
tribunal est convaincu qu'il y a eu effectivement
préjudice, il doit l'évaluer au mieux de sa possibi-
lité même si cela implique une part de conjecture.
Dans l'espèce Frigidaire Corporation c. Steed-
man 22 , le juge d'appel Masten aurait dit:
[TRADUCTION] Lorsque, comme en l'espèce, on a finalement
démontré qu'il y a responsabilité, la Cour ne se laissera pas
arrêter dans son évaluation du dommage par la difficulté de
réunir les preuves suffisantes ni par l'impossibilité d'appliquer
une mesure mathématique précise pour en établir le montant.
Voir Carson c. Willits (1930), 65 O.L.R. 456 et la jurispru
dence qui y est citée. En l'espèce, la question difficile qui se
pose c'est d'établir le montant du préjudice, dû à la crise
économique, à l'insolvabilité des locataires ou à des causes
similaires, que la demanderesse aurait probablement subi si le
contrat avait été exécuté selon ses stipulations et si l'on avait
donné à la demanderesse possession des billets des locataires
comme il avait été stipulé. Évaluer ce qui aurait pu se produire
dans des circonstances qui ne se sont pas produites relève de la
pure conjecture, mais la jurisprudence et la doctrine sont
formelles: c'est là le devoir de la Cour. Le docte juge de la
juridiction d'appel a dit qu'il souscrivait à l'évaluation de 15
pour cent et acceptait l'arrêt de la Cour dans les termes
proposés par le juge d'appel Middleton.
Sur le même sujet, le juge Spence, dans l'arrêt
Penvidic Contracting Co. Ltd. c. International
Nickel Co. of Canada, Ltd. 23 a dit, alors qu'il
prononçait l'arrêt de la Cour:
La difficulté à déterminer le montant des dommages-intérêts
a été envisagée dans la célèbre cause anglaise Chaplin v. Hicks
([1911] 2 K.B. 786), qui a été suivie en Division d'appel de la
Cour suprême de l'Ontario dans l'affaire Wood v. Grand Valley
Railway Company ((1913), 30 O.L.R. 44), où le juge en chef
Meredith a dit aux pp. 49 et 50:
[TRADUCTION] Il existe sans aucun doute des causes où il est
impossible de convenir de l'existence d'un préjudice réparable
par l'adjudication de dommages-intérêts à la suite d'une
rupture de contrat, mais les cours ont maintes fois répété que
la difficulté à déterminer l'étendue du préjudice ne constitue
pas un motif pour refuser d'accorder des dommages-intérêts
considérables, et la décision la plus extrême dans ce domaine
est peut-être celle de Chaplin v. Hicks, (1911) 2 K.B. 786.
Dans cette affaire, le jury avait conclu, à la suite de la
rupture du contrat par le défendeur, que la demanderesse
avait perdu la chance d'être choisie par ce dernier parmi
cinquante jeunes filles comme une des douze à qui il avait
promis, si elles étaient choisies, des emplois comme actrices
pour une période et un salaire déterminés, et l'action a été
intentée en vue de recouvrer des dommages-intérêts pour la
rupture du contrat, et le jury a fixé à £100 le montant de ces
dommages-intérêts. Le défendeur a allégué que les domma-
ges étaient beaucoup trop indirects et qu'ils étaient indéter-
22 [1934] O.W.N. 139 la p. 144.
23 [1976] I R.C.S. 267 aux pp. 279 et 280.
minables. La première prétention a été déclarée irrecevable
par la Cour et a donc été rejetée. Quant à la seconde, on a
déclaré que «lorsqu'une perte réelle résultant de la rupture
d'un contrat n'est pas douteuse mais difficile à estimer en
argent, le jury doit faire pour le mieux; il n'est pas nécessaire
qu'il y ait dans chaque cas une mesure absolument précise
des dommages»: le lord juge Fletcher Moulton à la page 795.
Lorsque l'affaire Wood v. Grand Valley Railway Company,
précitée, a été plaidée devant la Cour suprême du Canada, la
décision a été rendue par le juge Davies et elle fut publiée à 51
R.C.S. 283, où le savant juge a dit à la p. 289:
[TRADUCTION] A la lumière des faits de cette cause, c'était
vraiment impossible d'évaluer avec grande précision le préju-
dice subi par la demanderesse, mais il me semble que les
savants juges ont clairement établi qu'une telle impossibilité
ne «décharge pas pour autant l'auteur du préjudice de l'obli-
gation de payer des dommages pour la rupture du contrat» et
que d'autre part, le tribunal doit évaluer le préjudice même
si, en pareilles circonstances, le jury ou le juge doit «agir au
mieux», et sa conclusion ne sera pas infirmée même si le
montant accordé n'est en fait que le fruit de conjectures.
On doit au lord juge Waller 24 le commentaire
récent, visant, cependant, je pense, l'évaluation du
dommage d'un cas d'espèce:
[TRADUCTION] Je reconnais avec le juge que l'évaluation des
dommages est conjecturale.
J'évalue les dommages des demandeurs à
$10,000,000e
Pour décider du montant à accorder, j'ai tenté
de suivre au cours de mes délibérations, plusieurs
méthodes. J'ai agi ainsi dans l'espoir que je pour-
rais parvenir à établir, même vaguement, un fon-
dement mathématique pour justifier ce montant.
Mais je me suis trouvé incapable d'établir une
raison précise ou un mode précis, mathématique
ou autre, à cet égard. Les dommages-intérêts pécu-
niaires consistent, évidemment, en une somme glo-
bale. Il s'agit d'une réaction éduquée, fondée sur la
preuve administrée, les opinions fournies, les
moyens soulevés et, finalement, mes conclusions
quant aux faits.
Je vais toutefois énoncer, pour le bénéfice des
parties, les facteurs et événements que j'ai eus à
l'esprit. La liste n'est pas exhaustive:
a) La difficulté de déterminer le moment du
lotissement des 162 acres, la manière d'y procé-
der et leur rendement pécuniaire, le tout, en
présumant que le bail actuel n'aurait jamais été
conclu.
24 Joyce c. Yeoman [1981] 1 W.L.R. 549 (C.A. Royaume-
Uni) à la p. 555.
b) La possibilité que la superficie aurait pu,
jusqu'à aujourd'hui même, n'être lotie d'aucune
manière satisfaisante ni n'avoir fourni aucun
rendement économique normal.
c) La hausse incroyable de la valeur des ter
rains, la montée de l'inflation et des taux d'inté-
rêt depuis 1958 et l'impossibilité, en 1958, de les
prévoir.
d) La réciproque de c), soit que ces fameuses
hausses doivent être prises en compte dans toute
attribution de dommages-intérêts.
e) La possibilité que le bail en cours reste en
vigueur jusqu'à son terme, en 2033.
f) La possibilité non moins réelle, à mon avis,
que le bail soit résilié à la prochaine re-
conduction.
g) Les loyers perçus par les demandeurs à ce
jour en vertu du bail en vigueur et ce qu'ils
pourront percevoir à l'avenir si le bail demeure.
h) La valeur de retour des améliorations tant à
l'arrivée du terme des baux résidentiels de 99
ans payés à l'avance qu'à l'arrivée de celui du
bail du club de golf.
J'ajouterai ceci. Je n'ai pas ignoré les déposi-
tions des autres experts cités par les parties pour
établir le dommage, quoique je ne me sois pas
référé à eux. Pour les demandeurs, il y a eu MM.
Collisbird, Frizzell, Jefferson, Wheeler et Tatters -
field; pour la défenderesse, il y a eu M. Goldberg
et M. Boyle a effectué certains calculs. Je n'ai pas
jugé nécessaire de mentionner leurs témoignages
mais cela ne signifie pas que je n'en ai pas tenu
compte.
DOMMAGES-INTÉRÊTS PUNITIFS OU EXEMPLAI-
RES
Les demandeurs exigent, outre les dommages-
intérêts d'indemnisation, des dommages-intérêts
punitifs ou exemplaires. Il y a lieu à des dommages
exemplaires lorsque la conduite d'un défendeur a
été suffisamment outrageante pour justifier une
sanction 25 . Les juridictions britanniques ont res -
25 Voir McGregor on Damages (14e éd. 1980) par. 309 sqq.
treint les cas d'attribution de dommages punitifs 26 .
Mais elles ont établi certains cas dans lesquels
on peut accorder des dommages-intérêts exem-
plaires 27 :
[TRADUCTION] La première catégorie c'est l'action oppres
sive, arbitraire ou inconstitutionnelle des fonctionnaires du
gouvernement. Je n'élargirai pas cette catégorie je dis cela en
fonction expresse des faits de l'espèce—aux actions oppressives
des personnes morales ou physiques, privées. Lorsqu'un homme
est plus puissant qu'un autre, il est inévitable qu'il cherche à
faire usage de son pouvoir pour arriver à ses fins et si ce pouvoir
est de beaucoup supérieur à celui des autres, il peut, peut-être,
être taxé de s'en servir oppressivement. S'il se sert de son
pouvoir illégalement, il doit bien sûr payer pour cette illégalité
de la manière habituelle, mais il n'est pas puni simplement
parce qu'il est le plus puissant. Dans le cas du gouvernement,
c'est différent car les fonctionnaires, les serviteurs du gouverne-
ment, sont aussi les serviteurs du peuple et leur pouvoir, quand
ils en font usage, doit toujours être subordonné à leur obligation
de servir.
Je ne peux qualifier les actes d'Anfield et d'Ar-
neil, et des fonctionnaires d'Ottawa, d'oppressifs,
d'arbitraires ou de tyranniques. J'ai déjà jugé non
fondées les allégations de malhonnêteté, de fraude
morale et de dissimulation délibérée ou malicieuse.
Le personnel de la Direction des affaires indiennes
a cru avoir le droit de négocier les conditions
finales du bail sans avoir à consulter la bande
indienne. J'ai jugé en fait qu'il n'avait pas ce droit.
Cela ne fait pas de leur action une conduite
oppressive ni arbitraire, justifiant la sanction des
dommages-intérêts exemplaires.
Voilà qui clôt mes motifs relatifs aux domma-
ges-intérêts.
RÉSUMÉ
Il y a lieu à jugement déclaratoire disant que la
défenderesse a commis un manquement à une
fiducie et que les demandeurs en ont subi un
préjudice en conséquence.
Le dommage est évalué à $10,000,000.
Je ne joindrai pas un dispositif formel aux pré-
sents motifs. Les demandeurs ont réclamé l'intérêt
en cas d'attribution de dommages-intérêts. Ce
point n'a pas été débattu. Demeure aussi en litige
la question des frais judiciaires, y inclus certains
arguments que l'on pourrait soutenir au sujet de
26 Voir Rookes c. Barnard [1964] A.C. 1129. Voir aussi
Cassel! & Co. Ltd. c. Broome [1972] A.C. 1027.
27 Lord Devlin dans l'affaire Rookes (précitée) à la p. 1226.
leur montant et du fondement de la taxation ou de
leur attribution. Il sera donc loisible aux deman-
deurs de présenter une requête pour jugement dans
laquelle ces questions, et toute autre question liti-
gieuse, pourront être traitées. Les parties convien-
dront d'une date d'audition avec l'administrateur
de district; à défaut d'entente, je fixerai cette date.
En terminant, j'offre mes excuses pour le retard
mis à rendre cette décision°
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