A-229-81
Muhsin Engin Ergul (Requérant)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(Intimé)
Cour d'appel, les juges Pratte et Urie et le juge
suppléant Verchere—Vancouver, 5 et 9 octobre
1981.
Examen judiciaire — Immigration — Demande d'examen et
d'annulation de la décision de l'arbitre de prononcer un avis
d'interdiction de séjour contre le requérant — La revendication
du statut de réfugié du requérant a été rejetée — L'enquête a
été reprise par un arbitre autre que celui qui la présidait au
moment de l'ajournement — Le requérant s'est opposé, préten-
dant qu'en vertu de l'art. 35(3) du Règlement sur l'immigra-
tion de 1978 l'enquête ne pouvait être reprise par un nouvel
arbitre sans que le requérant y consente, parce que des preuves
réelles avaient été produites avant l'ajournement — II échet
d'examiner si c'est en vertu de l'art. 46 de la Loi sur l'immi-
gration de 1976 que l'enquête a été reprise — Il échet d'exa-
miner si l'art. 35(3) du Règlement exige le consentement du
requérant à la reprise de l'enquête par un nouvel arbitre — Loi
sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c. 52, art. 27, 45(1),
46(1),(2), 115(1) — Règlement sur l'immigration de 1978,
DORS/78-172, art. 35(3) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2' Supp.), c. 10, art. 28.
A la suite d'une décision concluant que le requérant n'était
pas un réfugié au sens de la Convention, l'enquête tenue afin
d'établir si celui-ci était demeuré au Canada sans autorisation
après avoir perdu sa qualité de visiteur a été reprise par un
autre arbitre que celui qui présidait l'enquête au moment de
l'ajournement. Le requérant s'est opposé à ce changement
d'arbitre et a prétendu que selon l'article 35(3) du Règlement
sur l'immigration de 1978, l'enquête ne pouvait être reprise par
un nouvel arbitre sans que le requérant y consente, parce que
des preuves réelles avaient été produites avant l'ajournement.
L'arbitre a rejeté cet argument pour le motif que l'article 35(3)
ne s'appliquait pas à la reprise d'une enquête en vertu de
l'article 46(1) de la Loi sur l'immigration de 1976, et a
prononcé un avis d'interdiction de séjour contre le requérant. Il
échet d'examiner si l'enquête a été ajournée conformément à
l'article 46 de la Loi et si l'article 35(3) du Règlement exige le
consentement du requérant à la reprise de l'enquête par un
nouvel arbitre.
Arrêt: la demande est accueillie. Si un arbitre commence une
enquête au cours de laquelle la personne revendique le statut de
réfugié et ajourne l'enquête sans avoir décidé ce qu'exige
l'article 45(1) de la Loi, c'est-à-dire sans avoir décidé s'il
convient de prononcer le renvoi ou l'interdiction de séjour de la
personne visée, l'enquête n'est pas véritablement ajournée en
vertu de l'article 45(1). Et lorsque cette enquête est reprise par
la suite, cette reprise n'est pas régie par l'article 46(1) de la Loi
puisque l'enquête n'est pas reprise à la seule fin mentionnée à
l'article 46(2), c'est-à-dire prononcer le renvoi ou l'interdiction
de séjour, mais également dans le but d'arriver à la décision qui
aurait dû normalement être prise avant l'ajournement. Par
conséquent, dans un tel cas, l'article 35(3) du Règlement
s'applique et l'enquête ne peut être reprise par un arbitre
différent de celui qui a commencé l'enquête, sans le consente-
ment de la personne concernée. En l'espèce, il est admis que
l'arbitre qui a commencé l'enquête l'a ajournée dès qu'il a
conclu que les allégations contenues dans le rapport préparé en
vertu de l'article 27 étaient bien fondées, sans avoir décidé s'il
convenait de prononcer l'expulsion ou l'interdiction de séjour du
requérant. Il fallait donc que ce dernier donne son
consentement.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
Dennis G. McCrea pour le requérant.
A. Louie pour l'intimé.
PROCUREURS:
Rosenbloom, McCrea & Leggatt, Vancouver,
pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE PRATTE: Il s'agit d'une requête fondée
sur l'article 28 attaquant la décision, rendue par
un arbitre en vertu de la Loi sur l'immigration de
1976, S.C. 1976-77, c. 52, d'émettre un avis d'in-
terdiction de séjour ordonnant au requérant de
quitter le Canada avant minuit le 20 mai 1981.
Le requérant, originaire de Turquie, est arrivé
au Canada en qualité de visiteur le 12 décembre
1978. A la suite d'un rapport établi en vertu de
l'article 27 de la Loi sur l'immigration de 1976,
une enquête a été instituée pour déterminer s'il
était demeuré sans autorisation au Canada après
avoir perdu sa qualité de visiteur. Dès le début de
l'enquête, il a revendiqué le statut de réfugié au
sens de la Convention. Conformément au paragra-
phe 45(1), l'arbitre a néanmoins poursuivi son
enquête et a conclu que l'allégation figurant dans
le rapport rédigé en vertu de l'article 27 était bien
fondée. A la suite de cette conclusion, il a ajourné
son enquête pour que soit examinée la revendica-
tion du statut de réfugié par le requérant. Cette
revendication a été déclarée mal fondée et il a été
décidé que le requérant n'était pas un réfugié au
sens de la Convention. L'enquête a été ensuite
reprise par un arbitre autre que celui qui la prési-
dait au moment de l'ajournement. A la reprise de
l'enquête, l'avocat du requérant s'est opposé à ce
changement d'arbitre. Il a invoqué le paragraphe
35(3) du Règlement [Règlement sur l'immigration
de 1978, DORS/78-172] et a prétendu que l'en-
quête ne pouvait être reprise par un nouvel arbitre,
sans le consentement du requérant, pour le motif
que des preuves réelles avaient été produites avant
l'ajournement. L'arbitre a rejeté cet argument et a
décidé que le paragraphe 35(3) du Règlement ne
s'appliquait pas à la reprise d'une enquête en vertu
du paragraphe 46(1) de la Loi. Il a donc continué
son enquête et après être arrivé à la conclusion
qu'il ne s'agissait pas d'un cas oit il convenait
d'émettre une ordonnance d'expulsion, il a émis
l'avis d'interdiction de séjour attaqué par la pré-
sente demande fondée sur l'article 28.
L'avocat du requérant a soulevé plusieurs ques
tions. J'estime qu'il suffit d'en examiner une seule:
selon le paragraphe 35(3) du Règlement, le con-
sentement du requérant était-il requis pour la
reprise de l'enquête par un nouvel arbitre?
Les dispositions législatives pertinentes à cette
question sont le paragraphe 35(3) du Règlement,
le paragraphe 45(1) et l'article 46 de la Loi.
Le paragraphe 35(3) du Règlement se lit
comme suit:
35....
(3) L'enquête ajournée selon la Loi ou le présent règlement
peut, avec le consentement de la personne en cause ou lorsque
aucune preuve réelle n'a été produite, être reprise par un arbitre
autre que celui qui a présidé l'enquête ajournée'.
Le paragraphe 45(1) et l'article 46 de la Loi
contiennent les dispositions suivantes:
45. (1) Une enquête, au cours de laquelle la personne en
cause revendique le statut de réfugié au sens de la Convention,
doit être poursuivie. S'il est établi qu'à défaut de cette revendi-
cation, l'enquête aurait abouti à une ordonnance de renvoi ou à
un avis d'interdiction de séjour, elle doit être ajournée et un
agent d'immigration supérieur doit procéder à l'interrogatoire
sous serment de la personne au sujet de sa revendication.
' Ce Règlement a été adopté en vertu de l'alinéa 115(1)q) de
la Loi:
115. (1) Le gouverneur en conseil peut établir des
règlements
q) établissant la procédure à suivre en matière d'enquête,
indiquant ... les cas où une enquête ajournée peut être
reprise par un autre arbitre que celui qui l'a commencée;
46. (1) L'agent d'immigration supérieur, informé conformé-
ment au paragraphe 45(5) que la personne en cause n'est pas
un réfugié au sens de la Convention, doit faire reprendre
l'enquête, dès que les circonstances le permettent, par l'arbitre
qui en était chargé ou par un autre arbitre, à moins que la
personne en cause ne demande à la Commission, en vertu du
paragraphe 70(1), de réexaminer sa revendication; dans ce cas,
l'enquête est ajournée jusqu'à ce que la Commission notifie sa
décision au Ministre.
(2) L'arbitre chargé de poursuivre l'enquête en vertu du
paragraphe (1), doit, comme si la revendication du statut de
réfugié n'avait pas été formulée, prononcer le renvoi ou l'inter-
diction de séjour de la personne
a) à qui le Ministre n'a pas reconnu le statut de réfugié au
sens de la Convention, si le délai pour demander le réexamen
de sa revendication prévu au paragraphe 70(1) est expiré; ou
b) à qui la Commission n'a pas reconnu le statut de réfugié
au sens de la Convention.
Il me paraît évident que le paragraphe 35(3) du
Règlement ne peut s'appliquer à une enquête
reprise en vertu de l'article 46 de la Loi. S'il
s'appliquait, il en résulterait que ce Règlement
rendrait illégal une manière de procéder que la Loi
autorise expressément. Il ne peut en être ainsi. Un
règlement adopté par le gouverneur en conseil ne
peut avoir pour effet de modifier la Loi.
Cependant, il me paraît plus difficile de déter-
miner si l'enquête en question a été reprise en
conformité avec l'article 46. Si c'est le cas, cette
enquête pouvait être reprise devant un autre arbi-
tre sans le consentement du requérant (paragraphe
46(1)), mais si ce n'est pas le cas, un autre arbitre
ne pouvait reprendre cette enquête sans le consen-
tement du requérant (paragraphe 35(3) du
Règlement).
Le paragraphe 46(2) précise les devoirs d'un
arbitre qui reprend une enquête ajournée en vertu
du paragraphe 45(1). Il ne s'agit pas de faire une
enquête ni de décider quoi que ce soit mais, sim-
plement, de «prononcer l'ordonnance ou l'interdic-
tion de séjour de la personne» comme si la per-
sonne visée par l'enquête n'avait pas revendiqué le
statut de réfugié. Le paragraphe 46(2) n'exige pas
de l'arbitre qu'il fasse autre chose parce que, la
plupart du temps, c'est la seule chose qui reste à
faire pour mettre fin à l'enquête. Si l'on rapproche
le paragraphe 45(1) du paragraphe 46(2), il me
paraît en ressortir clairement que l'arbitre qui a
commencé l'enquête doit, avant de l'ajourner, non
seulement conclure au bien-fondé des allégations
contenues dans le rapport sur la personne visée par
l'enquête mais décider également s'il convient de
prononcer le renvoi ou l'interdiction de séjour de
cette personne.
Si un arbitre commence une enquête au cours de
laquelle la personne revendique le statut de réfugié
et ajourne l'enquête sans avoir décidé ce qu'exige
le paragraphe 45(1), l'enquête n'est pas véritable-
ment ajournée en vertu du paragraphe 45(1). Et
lorsque cette enquête est reprise par la suite, cette
reprise n'est pas régie par le paragraphe 46(1)
puisque l'enquête n'est pas reprise à la seule fin
mentionnée au paragraphe 46(2) mais également
dans le but d'arriver à la décision qui aurait dû
normalement être prise avant l'ajournement. Par
conséquent, dans un tel cas, le paragraphe 35(3)
du Règlement s'applique et l'enquête ne peut être
reprise par un arbitre différent de celui qui a
commencé l'enquête, sans le consentement de la
personne concernée.
En l'espèce, il est admis que l'arbitre qui a
commencé l'enquête l'a ajournée dès qu'il a conclu
que les allégations contenues dans le rapport pré-
paré en vertu de l'article 27 étaient bien fondées,
sans avoir décidé s'il convenait de prononcer l'ex-
pulsion ou l'interdiction de séjour de la personne.
Par conséquent, cette enquête ne pouvait être
reprise par un autre arbitre sans le consentement
du requérant.
Par ces motifs, je suis d'avis d'accueillir cette
requête, d'annuler la décision attaquée et de ren-
voyer cette affaire devant l'agent d'immigration
supérieur approprié qui prendra les mesures vou-
lues pour que l'enquête au sujet du requérant soit
reprise par l'arbitre qui l'a commencée ou, si cela
est impossible, pour qu'une nouvelle enquête soit
instituée.
* * *
LE JUGE URIE y a souscrit.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT VERCHERE y a souscrit.
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