A-364-81
Alfredo Manuel Oyarzo Marchant (requérant)
c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration
(intimé)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juge Heald et
juge suppléant Kelly—Toronto, 17 novembre et 16
décembre 1981.
Contrôle judiciaire — Demandes d'examen — Immigration
— La Commission d'appel de l'immigration a refusé de per-
mettre à la demande du requérant visant à faire réexaminer sa
revendication du statut de réfugié de suivre son cours et elle a
décidé que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la
Convention — L'art. 2(1) de la Loi sur l'immigration de 1976
définit un réfugié au sens de la Convention — Il est prouvé que
le requérant a été emprisonné, battu et interrogé en raison de
ses activités religieuses et politiques — Subséquemment, le
requérant a dû interrompre ses études, se présenter à la police
une fois par semaine et il a été menacé par les forces de
sécurité chez lui et à son lieu de travail — Les motifs de la
Commission laissent supposer que pour qu'il y ait «persécu-
tion», il doit nécessairement y avoir perte de liberté — Si tel
est le cas, la Commission a commis une erreur de droit —
Quoi qu'il en soit, la Commission a commis une erreur en ne
tenant pas compte de la preuve non contredite qui démontre
que le requérant a été congédié en raison de ses activités
religieuses et politiques, qu'il n'a pu obtenir d'autre emploi et
qu'il a été harcelé et menacé de détention — La Commission a
jugé que les activités politiques du requérant ne pouvaient être
considérées comme un engagement politique tel qu'il justifie la
crainte d'être persécuté — Elle a commis une erreur de droit
en substituant son point de vue sur la gravité des activités du
requérant à celui de l'autorité gouvernementale — Il s'agit de
savoir si l'autorité gouvernementale considère la conduite du
requérant comme étant une activité politique — Les incidents
antérieurs font partie d'un tout et on ne peut les exclure
complètement des motifs de la crainte, même s'ils ont été
relégués dans l'ombre par les événements subséquents — Le
fait que le requérant n'ait pu poursuivre ses études prouve
qu'il a subi un désavantage permanent à cause de ses opinions
politiques — Question renvoyée à la Commission pour nouvel
examen — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.). c.
10, art. 28 — Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, c.
52, art. 2(1), 71(1).
Jurisprudence: décisions mentionnées: Amayo c. Le minis-
tre de l'Emploi et de l'Immigration [1982] 1 C.F. 520;
Orellana c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
Cour fédérale, A-9-79, jugement en date du 25 juillet
1979; Astudillo c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration, Cour fédérale, A-650-78, jugement en date du 5
octobre 1979.
DEMANDE de contrôle judiciaire.
AVOCATS:
N. Goodman pour le requérant.
M. W. Duffy pour l'intimé.
PROCUREURS:
Knazan, Jackman & Goodman, Toronto, pour
le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: J'ai eu l'occasion
de lire et d'examiner les motifs de jugement rédi-
gés par le juge Heald. Je partage son avis selon
lequel la décision de la Commission d'appel de
l'immigration devrait être annulée et la question
renvoyée à la Commission pour réexamen.
Il s'agissait essentiellement pour la Commission
de savoir si, compte tenu des éléments de preuve, il
était probable que la crainte du requérant d'être
persécuté en raison de ses opinions politiques soit
justifiée. La crainte elle-même est une notion sub
jective, mais son fondement est objectif. L'examen
de la Commission a porté sur le fondement.
La preuve non contredite révèle qu'en octobre
1973, le requérant, alors âgé de 16 ans, a été
arrêté, détenu et maltraité pendant une période de
trois semaines à cause de sa participation à une
organisation politique connue sous le nom de
MAPU. Il ressort également de la preuve que pour
le même motif, on l'a par la suite empêché de
poursuivre ses études dans toute institution d'en-
seignement de son pays. Il est de plus prouvé qu'en
juin 1974, il a été détenu de nouveau jusqu'en août
1974, qu'il a été sauvagement battu et interrogé,
essentiellement au sujet de son frère qui fut égale-
ment détenu en raison de ,son engagement politi-
que, qu'à la suite de sa libération, il devait se
présenter toutes les semaines à un bureau de police
au cours des mois de septembre et octobre 1974,
qu'il a reçu des menaces des forces de sécurité
chez lui et à son travail relativement à la poursuite
de son engagement et qu'en raison de cette persé-
cution, il a quitté le Chili au mois de mai 1975
pour se rendre en Argentine.
Voici l'unique commentaire de la Commission
concernant la preuve de ce qui s'est passé au cours
de cette période:
[TRADUCTION] La Commission est d'avis que le fait d'être
un délégué du conseil des étudiants et un sympathisant de
MAPU entre 14 et 16 ans, ne peut être considéré comme un
engagement politique tel qu'il justifie la crainte d'être
persécuté.
A mon avis, vu la preuve non 'contredite, la
Commission a exprimé un point de vue qui doit
être considéré comme arbitraire et qui n'a pas tenu
compte de la preuve. Elle a peut-être jugé que les
incidents de 1973 et de 1974 n'avaient plus aucun
rapport avec ce qui est survenu par la suite au
requérant mais elle ne l'a pas dit et, de toute façon,
puisqu'il s'agit d'examiner le fondement d'une
crainte actuelle, ces incidents antérieurs font partie
d'un tout et on ne peut les exclure complètement
des motifs de la crainte, même s'ils ont été relégués
dans l'ombre par les événements subséquents. Le
fait que le requérant n'ait pu poursuivre ses études
en raison de ses idées et de son engagement politi-
ques prouve, en lui-même, qu'il subit un désavan-
tage permanent à cause de ses opinions politiques
et qu'il peut s'attendre à faire l'objet d'autres
mesures discriminatoires et à être frappé d'autres
incapacités dans son pays en raison de ces idées.
Pour cette seule raison, j'annulerais la décision
et renverrais la question à la Commission.
En ce qui concerne le motif additionnel dont
traite le juge Heald, je souscris à son point de vue
selon lequel la Commission semble avoir considéré
que le requérant n'a pas été victime de persécution
après avoir quitté l'Argentine pour se rendre au
Chili en avril 1976 parce qu'il n'a pas été arrêté ni
détenu. Ce faisant, celle-ci a omis, me semble-t-il,
de considérer ces événements non seulement
comme pouvant constituer une forme de persécu-
tion mais en outre comme pouvant, ajoutés aux
incidents de 1973 et de 1974, justifier le requérant
à craindre avec raison d'être persécuté à l'avenir à
cause de ses opinions politiques.
Je statuerais sur la demande comme l'a fait le
juge Heald.
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Je souscris à ces
motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Cette demande, fondée sur
l'article 28, tend à l'examen et à l'annulation d'une
décision de la Commission d'appel de l'immigra-
tion en date du 10 juin 1981, par laquelle la
Commission refusait de permettre à la demande
du requérant visant à faire réexaminer sa revendi-
cation du statut de réfugié de suivre son cours et
décidait que le requérant n'était pas un réfugié au
sens de la Convention. L'avocate du requérant a
contesté la validité de la décision en question pour
deux motifs qui, à mon avis, sont bien fondés.
J'examinerai tout d'abord l'argument selon
lequel la Commission a commis une erreur de droit
en définissant les conditions requises pour qu'une
personne puisse être considérée comme un «réfugié
au sens de la Convention» tel que défini au
paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration de
1976, S.C. 1976-77, c. 52. Voici ce que la Com
mission a déclaré (pages 4 et 5 de l'annexe I,
dossier conjoint):
[TRADUCTION] Après avoir été arrêté pour la première fois
en octobre 1973, le requérant a trouvé un emploi et a pu se
rendre en Argentine et retourner au Chili au bout d'un an sans
conséquence fâcheuse. Bien qu'il ait participé activement à la
mise sur pied d'une espèce de syndicat qui semble interdit
depuis le coup d'État, il n'a jamais été arrêté ni persécuté
depuis 1974. Son argument selon lequel il a dû changer
,d'adresse dans le but d'éviter les forces de sécurité ne semble
pas tenir debout car il avait un emploi permanent. Ces forces de
sécurité lui ont rendu visite occasionnellement à son travail et
elles auraient pu l'arrêter entre 1974 et 1979 si elles l'avaient
voulu.
Il ressort de cet extrait qu'en déclarant que le
requérant «n'a jamais été arrêté ni persécuté ...»,
la Commission semble conclure que l'«arrestation»
constitue un élément essentiel de la «persécution».
Dans ce même extrait précité, la Commission
insiste sur le fait qu'entre 1974 et 1979, les forces
de sécurité auraient pu facilement arrêter le requé-
rant si elles l'avaient voulu. A mon avis, les motifs
de la Commission laissent supposer que d'après
elle, pour qu'il y ait «persécution», il aurait néces-
sairement fallu que le requérant soit privé de sa
liberté. Si tel est le cas, la Commission a, à mon
avis, commis une erreur de droit en appliquant une
définition aussi restreinte'. Si tel n'est pas le cas,
' Pour une opinion similaire quant à la nécessité de mauvais
traitements physiques comme élément essentiel de la persécu-
tion, voir: Amayo c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion [1982] 1 C.F. 520.
la Commission a commis une erreur en ne tenant
pas compte de la preuve détaillée et non contredite
qui démontre que le requérant a été congédié en
raison de ses activités au sein du centre chrétien et
du syndicat, qu'il n'a pu obtenir d'autre emploi à
cause de ces activités et qu'il a été harcelé et
menacé de détention jusqu'à ce qu'il quitte le Chili
pour se rendre au Canada.
Quant à la seconde allégation d'erreur de droit
qui, à mon avis, est également justifiée, on prétend
que la Commission s'est trompée en décidant si le
requérant était un réfugié au sens de la Conven
tion, puisqu'elle a substitué sa propre évaluation de
la gravité des activités du requérant à celle de
l'autorité gouvernementale. Cette allégation se
fonde sur l'extrait suivant des motifs de la Com
mission (page 4 de l'annexe I, dossier conjoint):
La Commission est d'avis que le fait d'être un délégué du
conseil des étudiants et un sympathisant de MAPU entre 14 et
16 ans, ne peut être considéré comme un engagement politique
tel qu'il justifie la crainte d'être persécuté.
Toutefois, la preuve non contredite révèle qu'en
1973, le requérant, alors âgé de 16 ans, a été
détenu pendant trois semaines, battu à l'aide de
crosses de carabines et à coups de poing et inter-
rogé sans arrêt. Il est donc établi qu'il a été
persécuté à l'âge de 16 ans. La Commission a donc
substitué son point de vue, quelle qu'en soit la
source, à celui du gouvernement militaire, que l'on
peut déduire des actes de ce gouvernement. La
présente Cour a jugé que cette façon d'agir consti-
tue une erreur de droite. Pour déterminer s'il y
avait activité politique, le critère crucial n'est pas
de savoir si la Commission estime que le requérant
a participé à des activités politiques mais plutôt si
l'autorité gouvernementale du pays dont il prétend
être un réfugié considère sa conduite comme étant
une activité politique. Si on applique ce critère aux
faits en l'espèce, il apparaît clairement que le
gouvernement du Chili a jugé que le requérant a
participé à des activités politiques alors qu'il était
âgé de 16 ans puisqu'il a été gravement maltraité à
cause de ces activités. A mon avis, la Commission
2 Voir: Orellana c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, Cour fédérale, A-9-79, jugement en date du 25 juillet
1979. Voir également: Astudillo c. Le ministre de l'Emploi et
de l'Immigration, Cour fédérale, A-650-78, jugement en date
du 5 octobre 1979.
a donc commis une erreur de droit en ne tenant
pas compte de cette preuve de persécution.
En conséquence, je suis d'avis que la Commis
sion a commis une erreur de droit en ce qui
concerne les deux questions susmentionnées. J'an-
nulerais la décision et je renverrais la question à la
Commission d'appel de l'immigration pour réexa-
men en fonction de la preuve, conformément au
paragraphe 71(1) et aux autres dispositions de la
Loi sur l'immigration de 1976.
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Je souscris à ces
motifs.
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