T-2478-80
T-5461-80
T-5580-80
James Richardson and Sons Limited (requérante
et demanderesse)
c.
Le ministre du Revenu national (intimé et
défendeur)
Division de première instance, juge suppléant
Smith—Winnipeg, 10 et 11 décembre 1980; 11
juin 1981.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Certiorari —
Demandes de certiorari et action visant à obtenir un jugement
déclaratoire — Le Ministre cherchait à obtenir des renseigne-
ments auprès d'un courtier pour vérifier si les négociants en
denrées à terme respectaient la Loi de l'impôt sur le revenu —
Le courtier a refusé de donner les renseignements pour le motif
qu'ils étaient destinés à un essai et non à une enquête véritable
sur l'assujettissement de tel ou tel contribuable à l'impôt
La constitutionnalité de l'art. 231(3) de la Loi de l'impôt sur le
revenu qui habilite le Ministre à exiger des renseignements de
toute personne est contestée — Les ordonnances exigeant la
communication des renseignements ont été rendues par un
fonctionnaire et non par le Ministre — La délégation des
pouvoirs conférés au Ministre par l'art. 231(3) est valide
L'argument technique selon lequel l'autorisation est manifes-
tement invalide puisque «Revenu Canada» n'existait pas et ne
saurait avoir de sous-ministre est irrecevable — Les cas
relevant de l'art. 231(3) ne sont pas soumis à la condition
relative aux motifs raisonnables et probables — Les pouvoirs
d'imposition prévus à l'art. 91 de l'A.A.N.B. incluent la possi-
bilité de prendre des mesures pour déterminer quelles person-
nes sont assujetties à l'impôt — Obliger un courtier à fournir
des renseignements relève de «l'application ou ... l'exécution»
de la Loi — On ne peut interdire la démarche entreprise pour
obtenir ces renseignements pour le motif qu'elle est fondée
«sur une hypothèse gratuite» — L'applicabilité de l'arrêt The
Canadian Bank of Commerce v. The Attorney General of
Canada, 11962] R.C.S. 729 aux faits en l'espèce a été analysée
— «Personne ou personnes déterminées» ne signifie pas seule-
ment «personne ou personnes nommées» — Compte tenu des
pouvoirs très étendus prévus par l'art. 231(3), ces mots dési-
gnent «une personne ou des personnes décrites avec suffisam-
ment de détails pour pouvoir être facilement identifiées» —
L'argument selon lequel le Ministre ne faisait pas une enquête
véritable et sérieuse sur un cas spécifique d'assujettissement à
l'impôt est mal fondé — L'art. 231(3) se situe, de par son
caractère véritable, dans les limites des pouvoirs énumérés à
l'art. 91 de l'A.A.N.B. et il est valide même s'il touche la
propriété et les droits civils dans une province — L'obligation
de fournir des renseignements «sans délai» est suffisamment
conforme à la disposition législative selon laquelle ceux-ci
doivent être fournis «dans le délai raisonnable qui peut y être
fixé» — Cette obligation ne porte pas atteinte au droit de
l'individu à la jouissance de ses biens garanti par la Déclara-
tion canadienne des droits — La Cour doit faire l'équilibre
entre les droits de l'individu et les besoins d'un gouvernement
efficace dans l'exercice de ses responsabilités — Seuls les
courtiers peuvent fournir les renseignements demandés — Loi
de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art.
221(1)f), 231(3) — Règlements de l'impôt sur le revenu,
DORS/73-390, modifiés par DORS/75-298, art. 900(2)6) —
Loi sur le ministère du Revenu national, S.R.C. 1970, chap.
N-15, art. 2(1), 3(1) — Acte de l'Amérique du Nord britanni-
que, 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) /S.R.C. 1970,
Appendice II, n° 5/, art. 91(3), 92(13) — Déclaration cana-
dienne des droits, S.C. 1960, chap. 44 /S.R.C. 1970, Appendice
1111, art. la), 2e).
La requérante demande un bref de certiorari en vue d'annu-
ler deux ordonnances l'enjoignant de produire certains rensei-
gnements concernant les transactions de ses clients sur le
marché des obligations à terme. Elle tente en outre d'obtenir un
jugement déclarant que les ordonnances de l'intimé sont nulles
pour le motif que le paragraphe 231(3) de la Loi de l'impôt sur
le revenu, qui habilite le Ministre à exiger de quiconque des
renseignements ou documents pour les fins de l'application ou
de l'exécution de la Loi, va à l'encontre de la Déclaration
canadienne des droits. L'intimé a demandé les renseignements
en question afin de vérifier si les négociants en denrées à terme
respectaient la Loi de l'impôt sur le revenu. Les renseignements
ont été fournis à titre d'essai pour permettre au Ministère de
déterminer la faisabilité du projet. Lorsque celui-ci a décidé de
donner suite au projet et demandé des renseignements plus
spécifiques pour pouvoir identifier les transactions de chaque
client, la requérante s'y est opposée pour le motif que les
renseignements n'étaient pas destinés à aune enquête véritable
et sérieuse sur l'assujettissement de tel ou tel contribuable à
l'impôt», et que, par conséquent, le Ministère n'était pas habi-
lité à demander les renseignements. La requérante soutient que
les lettres-sommations étaient nulles parce qu'elles n'ont pas été
rédigées par le Ministre lui-même. L'alinéa 221(1)f) de la Loi
de l'impôt sur le revenu permet au gouverneur en conseil
d'établir des règlements autorisant un fonctionnaire désigné à
exercer les pouvoirs ou remplir les fonctions du Ministre sous le
régime de la Loi. L'alinéa 900(2)b) des Règlements de l'impôt
sur le revenu délègue au directeur de l'Impôt auprès d'un
bureau de district les fonctions attribuées au Ministre par les
paragraphes 231(2) et (3). On prétend que les fonctions du
Ministre prévues à l'article 231 ne peuvent être déléguées parce
qu'il s'agit d'un pouvoir de nature judiciaire. La requérante
soutient en outre que les lettres-sommations sont nulles parce
que les termes «Revenu Canada Impôt», qui est une entité
inexistante, apparaissaient en tête de ces lettres. Elle ajoute que
l'intimé n'avait pas compétence car les ordonnances n'ont pas
été produites aux fins de l'application ou de l'exécution de la
Loi de l'impôt sur le revenu et qu'elles n'étaient pas destinées à
une enquête véritable et sérieuse sur l'assujettissement de tel ou
tel contribuable à l'impôt. Elle fait en outre valoir que le
paragraphe 231(3) est inconstitutionnel parce qu'il contrevient
au paragraphe 92(13) de l'Acte de l'Amérique du Nord britan-
nique, 1867, qui accorde aux provinces le pouvoir exclusif de
légiférer en matière de propriété et de droits civils. L'intimé lui
répond qu'elle n'a pas repoussé la présomption de compétence
énoncée dans l'arrêt Hewson v. The Ontario Power Company of
Niagara Falls (1905), 36 R.C.S. 596. La requérante prétend
que le paragraphe 231(3) va à l'encontre de l'alinéa la) de la
Déclaration canadienne des droits, qui garantit le droit de
l'individu à la jouissance de ses biens et le droit de ne s'en voir
privé que par l'application régulière de la loi, et de l'alinéa 2e),
qui interdit d'interpréter les lois de façon à priver une personne
du droit à une audition impartiale. Enfin, le paragraphe 231(3)
prévoit qu'il faut préciser dans la lettre-sommation que les
renseignements ou documents peuvent être exigés «dans le délai
raisonnable qui peut y être fixé». L'une d'elles ne précisait
aucune date mais elle exigeait que les renseignements soient
fournis «sans délai». La requérante soutient que cette lettre-
sommation est nulle parce qu'elle n'est pas conforme à la loi.
Jugement: les demandes sont rejetées. En adoptant l'alinéa
221(1)J), le législateur visait manifestement les pouvoirs et
fonctions que le Ministre tient de la loi. Le gouverneur en
conseil était donc habilité à déléguer les pouvoirs de la façon
prévue à l'alinéa 900(2)b) des Règlements et la délégation est
donc valide. Même si les mots «Revenu Canada Impôt» appa-
raissent en tête des lettres-sommations, il ressort clairement du
contexte des lettres, des échanges de correspondance et des
entretiens antérieurs que ces lettres émanaient d'un fonction-
naire du ministère du Revenu national. Quant à savoir si les
actes de l'intimé étaient destinés à «l'application ou à l'exécu-
tion de la présente loi», le paragraphe 91(3) de l'A.A.N.B.
investit le Parlement du Canada du pouvoir législatif exclusif
en matière de «prélèvement de deniers par tous modes ou
systèmes de taxation». Le mot «prélèvement» embrasse l'établis-
sement et la levée d'impôt ainsi que les mesures prises pour
déterminer quelles personnes sont assujetties à l'impôt et pour
percevoir cet impôt. Le Parlement est donc investi de pouvoirs
législatifs étendus en matière d'application et d'exécution de la
Loi de l'impôt sur le revenu. Le Ministre cherche à obtenir des
renseignements qui permettent de vérifier l'exactitude des
déclarations d'impôt sur le revenu, manifestement pour les fins
de l'application ou de l'exécution de la Loi. L'intimé peut avoir
des motifs raisonnables de croire que les clients de la requé-
rante ne se sont pas conformés aux dispositions de la Loi de
l'impôt sur le revenu, mais il ne peut prouver quoi que ce soit
contre un client donné sans les renseignements exigés. Il
incombe à l'intimé d'essayer d'établir les faits et on ne peut
interdire la démarche entreprise par celui-ci pour le motif
qu'elle est fondée sur une hypothèse gratuite. Les prétentions
de la requérante selon lesquelles les demandes de renseigne-
ments sont discriminatoires parce que les autres courtiers en
valeurs mobilières ne sont pas tenus de fournir ces renseigne-
ments, et sont fondamentalement injustes sont sans fondement
parce que rien dans la preuve ne permet de conclure qu'il en est
ainsi. L'argument selon lequel les demandes de renseignements
vont à l'encontre des règles de la justice naturelle est irreceva-
ble parce qu'il est trop vague. Quant à savoir s'il s'agit d'une
enquête sérieuse portant sur l'assujettissement d'un ou de plu-
sieurs contribuables à l'impôt, les termes «personne ou person-
nes déterminées» désignent, dans le contexte des dispositions
législatives et des pouvoirs très étendus que prévoit le paragra-
phe 231(3), «une personne ou des personnes décrites avec
suffisamment de détails pour pouvoir être facilement identi
fiées». Ils peuvent donc s'appliquer à toutes les personnes
faisant partie d'un groupe décrit ou identifié. En l'espèce, le
groupe décrit est constitué de tous les clients de la requérante
qui ont effectué des transactions sur le marché des bons et
obligations à terme au cours des années en question. Le Minis-
tre cherche à vérifier les déclarations de chacun des clients
séparément, chacun d'eux étant considéré comme une personne
déterminée, non encore nommée, dont l'assujettissement à l'im-
pôt fait l'objet d'une enquête. Les demandes de renseignements
ne peuvent être assimilées à une «recherche à l'aveuglette».
Elles constituaient par conséquent des enquêtes sérieuses sur
des cas spécifiques d'assujettissement à l'impôt. En ce qui
concerne la question de savoir si le paragraphe 231(3) contre-
vient à l'A.A.N.B., il a déjà été décidé que les demandes de
renseignements ont été faites par le Ministre aux fins d'applica-
tion et d'exécution de la Loi de l'impôt sur le revenu. Rien
n'indique que le paragraphe 231(3) ait pour objet véritable
d'empiéter sur la compétence des provinces en matière de
propriété et de droits civils. Le paragraphe 231(3) est, de par
son caractère véritable, une disposition fiscale et il est donc
valide parce qu'il s'autorise du paragraphe 91(3) de l'A.A.N.B.
Une loi fédérale est constitutionnelle si, de par son caractère
véritable, elle porte sur un ou des domaines de compétence de
l'article 91, peu importe qu'elle touche aux domaines de compé-
tence provinciale. Puisque le paragraphe 231(3) a été déclaré
constitutionnel, le fait de ne pas avoir repoussé la présomption
de compétence justifie une telle conclusion. Le paragraphe
231(3) confère au Ministre les pouvoirs qui lui sont nécessaires
pour remplir les obligations que lui impose la Loi. En ce qui
concerne l'argument selon lequel le paragraphe 231(3) doit être
interprété restrictivement parce qu'il s'agit d'une loi fiscale,
cette règle ne s'applique pas lorsque le sens de la loi est clair.
Le paragraphe 231(3) habilite le Ministre à exiger de toute
personne tout renseignement pour toute fin visée. Cette phrase
dit bien ce qu'elle veut dire, sous cette seule réserve que les
renseignements demandés doivent porter sur un revenu. On a
prétendu que l'action du Ministre ne visait pas à l'application
ou à l'exécution de la Loi parce qu'il n'y avait aucune enquête
sur une ou des personnes déterminées. Aucune règle de droit ne
dit à quel stade de l'enquête le Ministre peut autoriser la
demande de renseignements, ni même qu'une enquête doit avoir
lieu au préalable. Le mot «relative» peut s'appliquer tout aussi
bien à une enquête envisagée qu'à une enquête déjà commen
cée. Le fait que le Ministère a demandé des renseignements sur
les transactions et les bénéfices des négociants en bons et
obligations à terme pendant de nombreuses années prouve qu'il
s'agit là de quelque chose de véritable et de sérieux que l'on
peut certainement qualifier d'enquête. En ce qui concerne
l'argument selon lequel le paragraphe 231(3) va à l'encontre de
la Déclaration canadienne des droits, tout ce que le Ministre
demande, ce sont des renseignements. Les sommations ne por
tent pas atteinte au droit de qui que ce soit à la jouissance de
ses biens, ni n'impliquent-elles que quelqu'un sera ou pourra
être privé de ce droit. Quoi qu'il en soit, les derniers mots de
l'alinéa la) «que par l'application régulière de la loi» suffisent à
annihiler cet argument. La présente audition constitue l'audi-
tion impartiale garantie par l'alinéa 2e). Bien que les clients de
la requérante, dont le droit au secret pour ce qui est de leurs
transactions peut être menacé, ne soient pas parties à l'instance,
la Cour a pleine conscience de leurs droits. Lorsqu'il y a conflit
entre les droits de l'individu et les besoins d'un gouvernement
efficace dans l'exercice de ses responsabilités, il faut faire
l'équilibre entre les deux. Le Ministère a donc réellement
besoin de déterminer les faits dont il s'agit en raison de la perte
qu'il peut subir. La méthode suivie est le seul moyen pratique
d'obtenir les renseignements. L'intimé s'est engagé à garder ces
renseignements strictement confidentiels. La position de chacun
des négociants n'a donc pas le même poids que celle du
Ministère et le droit de ces négociants à la vie privée cède au
besoin de gouvernement efficace. La Déclaration canadienne
des droits n'a pas été enfreinte. Enfin, la demande n'était pas
nulle du fait de sa non-conformité aux dispositions de la loi
concernant le délai dans lequel elle devrait être présentée. Le
but de cette disposition législative est de garantir que la per-
sonne qui fait l'objet d'une demande de renseignements dispose
d'un délai raisonnable pour s'y conformer. Un délai raisonnable
n'est pas un délai précis mais on peut le déterminer par les faits
selon chaque cas d'espèce. Le Ministre devra convaincre le
tribunal qu'il n'a engagé les procédures judiciaires qu'au terme
d'un délai raisonnable, accordé à la requérante pour qu'elle
puisse se conformer à la demande. Même lorsqu'il s'agit d'un
délai précis, il se peut que le Ministre ait à convaincre la Cour
que c'est un délai raisonnable. En l'espèce, les mots «sans délai»
sont conformes au but visé par la loi.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Proprietary Articles Trade Association, et al. v. Attor-
ney -General for Canada, et al., [1931] A.C. 310; Attor-
ney -General for British Columbia v. Attorney -General
for Canada et al., [1937] A.C. 368; Nykorak v. The
Attorney General of Canada, [1962] R.C.S. 331; 33
D.L.R. (2d) 373; The Attorney General of Canada v. The
Canadian Pacific Railway et al., [1958] R.C.S. 285.
DISTINCTION FAITE AVEC:
In re Solway, [1979] 2 C.F. 471; 79 DTC 5116; [1979]
CTC 154 (C.F. 1"e inst.); In re M.N.R. v. Paroian,
Courey, Cohen & Houston (1980), 80 DTC 6077 (C.A.
Ont.); Duma Construction Company Ltd. v. Her Majesty
The Queen, [1975] 3 W.W.R. 286; 75 DTC 5273 (C.
distr. Alb.); In re The Insurance Act of Canada, [1932]
A.C. 41; In re The Board of Commerce Act, 1919 and
The Combines and Fair Prices Act, 1919, [1922] 1 A.C.
191.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Attorney General of Canada v. Bélanger (1962), 63 DTC
1289 (B.R. Qué.); Granby Construction and Equipment
Ltd. v. Milley (1974), 47 D.L.R. (3d) 427; 74 DTC 6300
(C.S.C.-B.); Re Corsini and The Queen (1979), 49
C.C.C. (2d) 208 (H.C. Ont.); The Canadian Bank of
Commerce v. The Attorney General of Canada, [1962]
R.C.S. 729; 62 DTC 1236 (C.S.C.), confirmant (1961),
62 DTC 1014; 31 D.L.R. (2d) 625 (C.A. Ont.), confir-
mant (1961), 61 DTC 1264 (H.C. Ont.); Attorney -Gen
eral for the Dominion of Canada v. Attorney -General for
the Province of Alberta et al., [1916] 1 A.C. 588.
DÉCISIONS CITÉES:
Granby Construction and Equipment Ltd. v. Milley
(1974), 50 D.L.R. (3d) 115; [1975] 1 W.W.R. 730; 74
DTC 6543 (C.A.C.-B.); Hewson v. The Ontario Power
Company of Niagara Falls (1905), 36 R.C.S. 596; The
Citizens Insurance Company of Canada v. Parsons
(1881), 7 A.C. 96; The King v. Imperial Tobacco Com
pany of Canada Limited, [1938] R.C.E. 177; His
Majesty The King v. Imperial Tobacco Company of
Canada Limited, [1939] R.C.S. 322; In the Matter of
Three Bills Passed by the Legislative Assembly of
Alberta At the 1937 (Third Session) Thereof Entitled
Respectively: An Act Respecting the Taxation of Banks;
An Act to Amend and Consolidate the Credit of Alberta
Regulations Act; An Act to Ensure the Publication of
Accurate News and Information, [1938] R.C.S. 100;
Attorney -General for Canada v. Attorney -General for
Ontario et al., [1937] A.C. 355; The Queen v. Wel
Holdings Ltd. et al. (1979), 79 D.T.C. 5081; [1979] CTC
116 (C.F. 1r inst.).
DEMANDES.
AVOCATS:
W. C. Kushneryk pour la requérante.
B. J. Meronek et B. H. Hay pour l'intimé.
PROCUREURS:
Pitblado & Hoskin, Winnipeg, pour la
requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT SMITH: La requérante-
demanderesse a exercé plusieurs voies de recours
portant sur les mêmes questions. Devant cette
Cour, elle a intenté les trois procédures suivantes:
1. Par avis introductif de requête, daté du 16
mai 1980 et produit le 20 mai 1980, une
demande en ordonnance de certiorari contre une
décision ou ordonnance, datée du 8 mai 1980 et
signifiée le même jour, par laquelle le défendeur
a enjoint à la demanderesse de produire aux
fonctionnaires du ministère du Revenu national:
a) La liste complète de ses clients avec leurs
noms, adresses et numéros de compte pour l'an-
née civile 1977,
b) Le répertoire des adresses des succursales
avec le numéro de ces dernières pour l'année
civile 1977,
dont le service des valeurs mobilières de la
demanderesse se sert dans l'établissement des
états mensuels des opérations à terme de ses
clients.
2. Par avis introductif de requête, daté du 14
novembre 1980 et produit le 20 novembre 1980,
une demande en ordonnance de certiorari contre
une décision ou ordonnance semblable, datée du
8 octobre 1980 et signifiée le même jour, par
laquelle le défendeur enjoignait à la demande-
resse de fournir au Ministre les mêmes rensei-
gnements pour les années civiles 1978 et 1979.
Cette dernière décision allait plus loin que celle
du 8 mai 1980, en tant qu'elle enjoignait à la
demanderesse de produire non seulement les
noms, adresses et numéros de compte de tous les
clients pour lesquels la demanderesse a effectué
des opérations à terme au cours de ces années
civiles, et l'adresse des succursales de la société
où ces opérations ont été effectuées, mais encore
le détail de toutes les opérations mensuelles qui
se sont soldées par un gain net ou une perte
nette au cours de chacune de ces années civiles
et pour chacun de ces clients, autant de rensei-
gnements dont se sert le service des valeurs
mobilières dans l'établissement des états men-
suels des opérations à terme de ses clients;
3. Par déclaration déposée le 20 novembre 1980,
une action tendant à plusieurs jugements décla-
ratoires portant, sous divers chefs, invalidité des
décisions ou ordonnances du défendeur en date
du 8 mai 1980 et du 8 octobre 1980, dont un
jugement déclarant que les alinéas 231(3)a) et
b) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C.
1970-71-72, chap. 63, violent les alinéas la) et
2e) de la Déclaration canadienne des droits,
S.C. 1960, chap. 44 [S.R.C. 1970, Appendice
III]. Les deux avis introductifs de requête sus-
mentionnés ne contiennent aucune allégation de
violation des dispositions de la Déclaration
canadienne des droits.
Par avis introductif de requête en date du 16
mai 1980, la requérante a saisi la Cour du Banc de
la Reine du Manitoba des mêmes recours. Cette
requête, entendue par le juge Morse le 30 octobre
1980, a été déclarée irrecevable en raison de l'in-
compétence de la Cour. Le 27 novembre 1980, la
requérante a fait appel de cette décision devant la
Cour d'appel du Manitoba. Cet appel fut inscrit au
rôle pour le 6 janvier 1981.
Saisi le 2 juin 1980 de la demande visant la
décision ou ordonnance du 8 mai 1980, n° 1,
précitée, je l'ai ajournée sine die, du consentement
des deux parties. Elle a été inscrite de nouveau au
rôle pour le 10 décembre 1980 en même temps que
la deuxième demande visant la décision ou ordon-
nance du 8 octobre 1980.
A l'ouverture, le 10 décembre 1980, de l'audi-
tion consacrée à la présente demande, l'avocat de
la requérante a, conformément à un avis de
requête déposé le 5 décembre 1980, demandé à la
Cour de rendre les ordonnances suivantes:
1. Une ordonnance portant réunion des avis
introductifs de requête en ordonnances de cer-
tiorari contre les décisions ou ordonnances, en
date du 8 mai 1980 et du 8 octobre 1980, du
défendeur (intimé), et de la déclaration déposée
le 20 novembre 1980 devant cette Cour dans
l'action en jugements déclaratoires portant inva-
lidité de ces décisions ou ordonnances.
2. Une ordonnance prescrivant le mode de signi
fication à toutes les parties intéressées de la
notification, faite par la requérante, directement
ou par personne interposée, de son intention de
contester la constitutionnalité des alinéas
231(3)a) et b) de la Loi de l'impôt sur le revenu
du Canada.
3. Une ordonnance d'ajournement de l'audition
en vue du contre-interrogatoire d'Herman Theo-
dore Yaeger au sujet de ses affidavits, versés le
25 novembre 1980 aux dossiers T-2478-80 et
T-5461-80 de cette Cour (c'est-à-dire aux dos
siers des deux avis introductifs de requête).
4. Une ordonnance d'ajournement de toute la
procédure susmentionnée en attendant l'instruc-
tion de l'affaire et la décision de la Cour d'appel
du Manitoba, qui devait entendre l'affaire le 6
janvier 1981, et en attendant l'issue de tout
pourvoi éventuel contre cette décision.
L'avocat de l'intimé n'a fait aucune objection à
la réunion des deux avis introductifs de requête et
de la déclaration. J'ai donc ordonné la réunion des
procédures qui était manifestement indiquée.
L'avocat de l'intimé n'a pas, non plus, opposé
d'objection à la demande tendant à la deuxième
ordonnance (ci-dessus). Les parties n'ont présenté
aucun argument à ce sujet.
L'avocat de l'intimé s'est opposé avec vigueur à
tout ajournement destiné au contre-interrogatoire
de M. Yaeger au sujet de ses affidavits, par ce
motif que ce dernier était présent à l'audience et
pouvait être interrogé dans la journée ou le lende-
main. Après un court débat, l'avocat de la requé-
rante s'est déclaré prêt à contre-interroger M.
Yaeger dans l'après-midi. J'ai donc ordonné que le
contre-interrogatoire ait lieu à 15 h le même jour,
savoir le 10 décembre 1980. Le contre-interroga-
toire a commencé à l'heure prévue et s'est terminé
au cours de l'après-midi.
L'avocat de l'intimé s'est opposé à tout ajourne-
ment jusqu'à la décision finale de la Cour d'appel
du Manitoba. Il s'en est suivi un long débat. Après
avoir pesé les arguments présentés par les avocats
des deux parties, j'ai conclu qu'il y avait lieu de
poursuivre l'audition de la cause et c'est ce que j'ai
ordonné.
Les faits qui ont donné lieu aux procédures
ci-dessus s'étaient produits au cours d'une longue
période.
Vers octobre 1975, l'intimé a décidé qu'il était
nécessaire de vérifier si les négociants en denrées à
terme respectaient la Loi de l'impôt sur le revenu.
Or, on ne peut obtenir des renseignements précis et
impartiaux sur les opérations de ces négociants
qu'auprès des courtiers de denrées à terme. La
requérante est l'un de ces courtiers les plus impor-
tants au Canada.
A la demande de l'intimé, la requérante a con-
senti à établir, à partir du l er janvier 1976, les états
mensuels des opérations à terme de ses clients sous
forme assimilable par machine. En février 1977,
l'intimé a demandé à la requérante de mettre à la
disposition du Ministère le dossier de ces états
dans le cadre de son programme de vérification de
l'observation de la Loi de l'impôt sur le revenu. La
requérante a refusé mais, à la demande du Minis-
tère, a consenti à lui fournir le dossier des états des
opérations à terme d'un mois, pour qu'il puisse
déterminer si les renseignements contenus dans les
états, sous la forme présentée, pouvaient servir aux
fins prévues. Ces renseignements ont été communi-
qués à titre confidentiel et aux seules fins d'essai, à
la condition que le Ministère ait demandé aux
autres négociants en valeurs de lui communiquer
des renseignements similaires.
S'ensuivent discussions et échanges de corres-
pondance pendant deux ans et trois mois. Le 28
juin 1979, l'intimé a écrit à la requérante (pièce
«H» annexée à l'affidavit en date du 25 novembre
1980 de H. T. Yaeger) pour l'informer que le
Ministère était prêt à traiter les renseignements
contenus dans ces dossiers pour tous les mois de
1977 (à l'exception du mois de janvier pour lequel
le dossier n'a pas été retenu). La lettre porte:
[TRADUCTION]—le Ministère respectera le caractère confiden-
tiel de ces renseignements, et garantit qu'il ne sera fait aucun
usage direct ou indirect des renseignements tirés des dossiers au
cours de la période d'essai.
—à la fin de notre période d'essai:
(1) le Ministère préviendra la société, le cas échéant, de son
intention d'utiliser ces renseignements dans le cadre du
programme de vérification de l'observation de la Loi de
l'impôt sur le revenu, auquel cas nous vous signifierons
comme convenu la demande de production des rensei-
gnements contenus dans ces dossiers.
(2) le Ministère s'engage à faire de même avec les autres
courtiers canadiens en denrées à terme, en leur deman-
dant de produire leurs dossiers et en utilisant les rensei-
gnements obtenus dans le cadre du programme.
La requérante a fourni (sauf pour le mois de
janvier) un exemplaire des dossiers de 1977 qui ont
été traduits pour servir dans le programme. Ces
dossiers ne contenaient cependant pas tous les
renseignements requis. Le 21 décembre 1979, le
Ministère écrit à la requérante (pièce «J» annexée
à l'affidavit de M. Yaeger) pour l'informer qu'à
l'étape suivante du programme, le Ministère a
besoin de ce qui suit:
[TRADUCTION] (1) Le répertoire complet des bureaux avec
leurs adresse et numéro de bureau.
(2) La liste complète des clients avec leurs noms, adresses et
numéros de compte.
Le 25 février 1980, les procureurs de la requé-
rante, Pitblado & Hoskin, ont répondu à cette
lettre notamment en ces termes (voir la pièce «K»
annexée à l'affidavit de M. Yaeger):
[TRADUCTION] Il était entendu que ces renseignements sont
destinés à un essai, et non à une enquête véritable et sérieuse
sur l'assujettissement de tel ou tel contribuable à l'impôt.
Il appert que cet essai préliminaire est fondé sur les rensei-
gnements obtenus de Richardsons uniquement, et non sur des
renseignements obtenus de toute autre maison de courtage.
En notre qualité de procureurs de Richardsons, nous nous
demandons si le Ministère est habilité à réclamer ces renseigne-
ments et si Richardsons a le droit de les fournir, en l'absence
d'une disposition légale expresse et d'une ordonnance ou som-
mation exécutoire.
Richardsons est tenue au secret professionnel à l'égard des
affaires de ses clients. Toute indiscrétion volontaire de Richard-
sons serait répréhensible et porterait atteinte, si elle venait à
être connue, à sa réputation et à sa position sur le marché.
A notre avis, ni l'article 231(3), ni aucun autre article de la
Loi de l'impôt sur le revenu, n'habilite le Ministère à exiger les
renseignements dont s'agit, à moins qu'ils ne soient destinés à
aune enquête véritable et sérieuse portant sur l'assujettissement
de tel ou tel contribuable à l'impôt».
Les mots entre guillemets du paragraphe précédent sont tirés
de l'arrêt Canadian Bank of Commerce vs Attorney General of
Canada, en date du 25 juin 1962, de la Cour suprême du
Canada, 62 DTC 1236 la page 1238.
Ces deux lettres, en date du 21 décembre 1979
et du 25 février 1980, font clairement ressortir les
vues opposées des parties. D'une part, chacun des
états mensuels fournis à l'intimé contient les
numéros de compte pour lesquels des transactions
ont été effectuées durant le mois, le numéro du
bureau qui a effectué la transaction et le montant
du bénéfice ou de la perte du client à la suite de la
transaction, mais n'indique ni le nom, ni l'adresse
du client, ni l'adresse du bureau. Les bénéfices et
pertes qui figurent sur ces états ne servent à rien
au programme de vérification de l'observation de
la Loi de l'impôt sur le revenu, si l'on ne peut les
rattacher aux clients pour lesquels ces opérations
ont été effectuées.
D'autre part, la requérante craint que la divul-
gation des noms et adresses de ses clients, pour
lesquels les opérations ont été effectuées, ne consti-
tue une violation du secret professionnel auquel
elle est tenue envers ces clients et que, si ce
manquement venait à être connu, il ne porte
sérieusement préjudice à sa réputation et à sa
position sur le marché. Les parties s'opposent
encore l'une à l'autre par leur interprétation res
pective de la loi. L'intimé a toujours soutenu que le
Ministère était pleinement habilité à exiger de la
requérante qu'elle fournisse tous les renseigne-
ments demandés, alors que celle-ci a soutenu avec
tout autant de conviction que l'intimé ne l'était
nullement.
Les parties n'arrivaient pas à régler leur diffé-
rend. Le 8 mai 1980, l'intimé a, par décision ou
ordonnance formelle, enjoint à la requérante de lui
fournir les renseignements dont s'agit pour l'année
1977. La requérante réplique en déposant, le 20
mai 1980, l'avis introductif de requête, en date du
16 mai 1980. Comme indiqué plus haut, cette
demande fut ajournée sine die le 2 juin 1980. Par
la suite, l'intimé, par décision ou ordonnance for-
melle en date du 8 octobre 1980, a enjoint à la
requérante de fournir des renseignements similai-
res pour les années 1978 et 1979, et la requérante
a déposé le deuxième avis introductif de requête.
La requérante a également saisi cette Cour par
déclaration, déposée le 20 novembre 1980, par
laquelle elle conclut aux mêmes remèdes que par
les deux avis de requête. De plus, la requérante a
produit un avis en date du 9 décembre 1980, pour
annoncer son intention de contester, au cours de
l'action ou de la procédure, la constitutionnalité
des alinéas 231(3)a) et b) de la Loi de l'impôt sur
le revenu du Canada.
Le paragraphe (3) de l'article 231 de la Loi de
l'impôt sur le revenu porte:
231... .
(3) Pour toute fin relative à l'application ou à l'exécution de
la présente loi, le Ministre peut, par lettre recommandée ou par
demande signifiée à personne exiger de toute personne
a) tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire,
y compris une déclaration de revenu ou une déclaration
supplémentaire, ou
b) la production ou la production sous serment de livres,
lettres, comptes, factures, états (financiers ou autres) ou
autres documents,
dans le délai raisonnable qui peut y être fixé.
La requérante (demanderesse) conteste la cons-
titutionnalité de l'ensemble du paragraphe (3) de
la Loi de l'impôt sur le revenu, alors que l'ordon-
nance-sommation du 8 mai 1980 était fondée sur
l'alinéa 231(3)b) de cette Loi, et celle du 8 octobre
1980, fondée sur l'alinéa 231(3)a) de cette même
Loi.
Les motifs de contestation des décisions ou
ordonnances du 8 mai 1980 et du 8 octobre 1980,
sont énoncés de manière presque identique dans les
deux avis introductifs de requête déposés devant la
Cour, comme suit:
[TRADUCTION] 1. L'intimé n'avait pas compétence ou excédait
sa compétence lorsqu'il rendait la décision ou ordonnance dont
s'agit.
2. Ladite décision ou ordonnance:
a) n'a rien à voir avec l'application ou l'exécution de la Loi
de l'impôt sur le revenu;
b) est fondée sur une hypothèse gratuite;
c) est discriminatoire;
d) est fondamentalement injuste;
e) va à l'encontre des règles de justice naturelle;
f) ne se rapporte pas à une enquête véritable et sérieuse sur
l'assujettissement d'un contribuable à l'impôt.
3. S'il autorise pareille décision ou ordonnance, le paragraphe
231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu va à l'encontre des
dispositions du paragraphe 92(13) de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique, 1867, modifié, et échappe à la compétence
législative du Parlement, que ce soit au regard de l'article 91 ou
de tout autre article de cet Acte.
4. Tout autre motif que les avocats peuvent soulever avec la
permission de la Cour.
Le premier paragraphe de ces motifs constitue
une allégation générale d'incompétence ou d'excès
de compétence. De nombreux facteurs, invoqués à
l'appui de cette allégation, se retrouvent dans les
six alinéas a) à f) inclusivement du deuxième
paragraphe et dans le troisième paragraphe. D'au-
tres facteurs n'y sont cependant pas consignés.
L'avocat conteste la validité des décisions ou
ordonnances portant communication des rensei-
gnements demandés. Ces décisions ou ordonnances
n'ont pas été rendues par le Ministre lui-même,
mais par M. Stubel, directeur de l'Impôt au
bureau de Winnipeg. L'alinéa 221(1)J) de la Loi
de l'impôt sur le revenu porte:
221. (1) Le gouverneur en conseil peut établir des règlements
f) autorisant un fonctionnaire désigné ou une catégorie dési-
gnée de fonctionnaires à exercer les pouvoirs ou remplir les
fonctions du Ministre sous le régime de la présente loi,
L'alinéa 900(2)b) des Règlements de l'impôt
sur le revenu, DORS/73-390, modifié par
DORS/75-298, pris par voie de décret, porte
notamment:
900... .
(2) Un fonctionnaire qui occupe le poste de Directeur de
l'Impôt auprès d'un bureau de district du Ministère du Revenu
national, Impôt, peut exercer les pouvoirs et remplir les fonc-
tions que la Loi attribue au Ministre en vertu:
b) les paragraphes ... 231(2) et (3) de la Loi,
L'avocat soutient que le Ministre ne peut pas
déléguer le pouvoir de rendre des décisions ou
ordonnances visées aux paragraphes 231(2) et (3)
de la Loi, car il s'agit là d'un pouvoir de nature
judiciaire qui, à l'opposé d'un pouvoir administra-
tif, ne peut être délégué. Cet avocat cite trois
précédents, qu'il y a lieu d'étudier.
Le plus ancien de ces précédents est l'affaire
Granby Construction and Equipment Ltd. v.
Milley (1974), 47 D.L.R. (3d) 427; 74 DTC 6300
(C.S.C.-B.). Dans cette affaire, le Ministre avait
fait saisir des documents gardés chez un contribua-
ble de Vancouver et dans des coffrets de sûreté
tenus à son nom, dans une banque de Prince
Rupert. La saisie était fondée sur le paragraphe
231(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Ce texte
prévoit que si le Ministre a des motifs raisonnables
de croire qu'une infraction à la Loi a été commise,
il peut, avec l'agrément d'un juge d'une cour de
comté, autoriser une perquisition et une saisie.
L'autorisation a été signée par le directeur des
Enquêtes spéciales et approuvée par un juge d'une
cour de comté. Saisi de l'action en restitution des
documents saisis, le juge de première instance a
accueilli la requête en mainlevée de saisie et jugé
invalide l'autorisation par ce motif que le paragra-
phe 231(4) investit le Ministre d'un pouvoir de
nature judiciaire qui ne peut être délégué sans
autorisation expresse de la loi. On ne peut inter-
préter l'alinéa 221(1)f), qui prévoit la délégation
de «pouvoirs et fonctions», de façon à l'étendre à
un pouvoir de nature judiciaire. Le juge Bouck
s'est prononcé en ces termes, vers la fin de la page
435 du recueil des D.L.R.:
[TRADUCTION] La première phrase du paragraphe 231(4) [de
la Loi de l'impôt sur le revenu de 1972], «Lorsque le Ministre a
des motifs raisonnables pour croire», indique la volonté du
législateur de prévoir que le Ministre doit avoir des motifs
raisonnables de croire qu'une infraction à la Loi ou à un
règlement a été ou sera probablement commise. Cette exigence
ne figurait pas dans l'ancienne loi par laquelle le législateur
habilitait le Ministre à agir «pour toute fin ayant trait à
l'application ou à l'exécution de la présente loi».
Et d'ajouter:
[TRADUCTION] Le nouveau paragraphe prévoit un rôle plus
actif, sinon exclusivement principal, pour le Ministre lorsqu'il
s'agit de décider s'il y a lieu d'invoquer le paragraphe 231(4).
Celui-ci modifie le statut du Ministre et, de simple décision
ministérielle, son acte est devenu l'exercice d'un pouvoir judi-
ciaire discrétionnaire que lui confie le législateur.
A la page 439:
[TRADUCTION] Le pouvoir de délégation visé à l'alinéa
221(1)0 a pour objet des «pouvoirs» et «fonctions», mais ne
porte pas expressément sur la fonction judiciaire du Ministre.
Je dois donc appliquer la règle d'interprétation des lois selon
laquelle on ne peut déléguer un pouvoir de nature judiciaire
sans autorisation formelle de la loi.
Il a donc annulé l'autorisation de perquisition et
de saisie. Cette décision a été portée en appel
devant la Cour d'appel de Colombie-Britannique,
dont l'arrêt est rapporté à (1974), 50 D.L.R. (3d)
115; [1975] 1 W.W.R. 730; 74 DTC 6543
(C.A.C.-B.). La Cour d'appel a infirmé la décision
du juge Bouck. Le juge McFarlane, rendant le
jugement de la Cour d'appel, s'est prononçé en ces
termes à la page 120 du recueil des D.L.R.:
[TRADUCTION] Tout en admettant que l'exercice des pou-
voirs conférés par le paragraphe 231(4) peut représenter une
grave atteinte au droit de propriété et au droit à la vie privée, je
dois dire que la volonté du législateur est clairement énoncée à
l'alinéa 221(1)f).
A mon avis, les pouvoirs et fonctions du Ministre sont ceux
qu'il tient de la loi, dont les pouvoirs et fonctions visés au
paragraphe 231(4). Puisque le sens est clair, j'estime qu'il est
futile de donner à ces pouvoirs et fonctions des qualificatifs
comme administratif, législatif, judiciaire ou quasi judiciaire.
Je conclus donc que l'alinéa 221(1)f) habilite le gouverneur en
conseil à déléguer au directeur, conformément au paragraphe
900(5) des Règlements, les pouvoirs et fonctions prévus par le
paragraphe 231(4) pour le Ministre, et je tiens cette délégation
de pouvoirs pour valide.
Le même raisonnement s'applique à la déléga-
tion des pouvoirs que le Ministre tient du paragra-
phe 231(3), laquelle délégation est, à mon avis,
également valide.
Le deuxième précédent cité est, par ordre chro-
nologique, le jugement Re Corsini and The Queen
(1979), 49 C.C.C. (2d) 208 (H.C. Ont.), rendu
par le juge Cory de la Cour suprême de l'Ontario.
Il s'agit également d'une affaire de perquisition et
de saisie. Il fallait déterminer s'il y avait, entre
autres, erreur ressortant du dossier par ce motif
que l'autorisation avait été accordée à un orga-
nisme inexistant. Dans le coin supérieur gauche de
la formule de demande et d'autorisation, figuraient
les mots «Revenu Canada Impôt» et en-dessous, les
mots «Sous-ministre». Le contribuable soutenait
qu'il n'existait aucun organisme appelé Revenu
Canada Impôt.
Le paragraphe 2(1) de la Loi sur le ministère du
Revenu national, S.R.C. 1970, c. N-15, porte:
2. (1) Est établi un ministère du gouvernement du Canada,
appelé ministère du Revenu national, auquel préside le ministre
du Revenu national nommé par commission sous le grand
sceau.
Le paragraphe 3(1) prévoit de même la nomina
tion de deux fonctionnaires, savoir le «sous-minis-
tre du Revenu national pour l'impôt» et le «sous-
ministre du Revenu national pour les douanes et
l'accise».
Le contribuable soutenait que «Revenu Canada»
n'existait pas et, de ce fait, ne saurait avoir de
sous-ministre, et que, par suite, l'autorisation était
manifestement invalide. Le juge Cory s'est pro-
noncé en ces termes à la page 215:
[TRADUCTION] Voilà un argument solide et convaincant. On ne
saurait trop répéter le principe applicable selon lequel charbon-
nier est maître dans sa maison. Le droit d'entrer, d'inspecter, de
perquisitionner et de saisir doit être restrictivement défini par
les termes de la loi qui autorise cette entrée, perquisition ou
saisie.
Le distingué juge cite ensuite deux décisions du
juge Cattanach, de la Division de première ins
tance de la Cour fédérale du Canada, que le
contribuable a invoquées à l'appui de l'argument
ci-dessus. Dans la première affaire, In re Solway,
[1979] 2 C.F. 471; 79 DTC 5116; [1979] CTC
154 (C.F. lie inst.), la Cour avait à se prononcer
sur un affidavit, produit à l'appui d'une demande
en ordonnance enjoignant à Solway de comparaî-
tre en qualité de débiteur confirmé par jugement.
Après avoir analysé le paragraphe 2(1) de la Loi
sur le ministère du Revenu national, le juge Catta-
nach s'est prononcé en ces termes aux pages 472 et
473 [Recueil des arrêts de la Cour fédérale]:
Donc, en décrétant l'article 2(1) (précité) en ces termes, le
Parlement a nommé ce ministère du Gouvernement du Canada
le «ministère du Revenu national». Cela étant, on ne peut
appeler ce ministère par un autre nom, tel que «Revenu
Canada, Impôt», à moins que pareil changement de nom ne soit
autorisé par l'adoption d'une disposition législative appropriée
par le Parlement, ce qu'il n'a pas fait. De plus, aucun acte
exécutif ou administratif, ce qui a dû être le cas ici, et encore
moins un acte donnant suite au caprice d'un particulier, ne peut
changer le nom d'un ministère prescrit par une loi du Parle-
ment du Canada.
Si le signataire de l'affidavit est un employé de Revenu
Canada, Impôt, comme il l'affirme sous serment, il n'est donc
pas un employé du ministère du Revenu national et s'il n'est pas
un employé de ce ministère, il n'a pas accès aux renseignements
qu'il dit connaître dans son affidavit.
La deuxième affaire, The Queen v. Wel Hold
ings Ltd. et al. (1979), 79 DTC 5081; [1979] CTC
116 (C.F. ire inst.), a été jugée de la même
manière.
A la lumière des faits de la cause, le juge Cory
n'a pas retenu l'argument ci-dessus, mais a conclu
que le fonctionnaire qui avait rempli la demande,
M. Bradshaw, était désigné à deux reprises dans la
demande par son titre officiel exact, savoir celui de
directeur général adjoint de l'observation pour les
enquêtes spéciales du ministère du Revenu natio
nal. Il a cependant ajouté:
[TRADUCTION] Je m'empresse d'ajouter que ma décision serait
différente si la demande n'énonçait pas aussi clairement le titre
exact de M. Bradshaw.
En l'espèce, les faits se rapprochent dans une
certaine mesure des faits de la cause Corsini, à
cette exception près qu'il s'agit d'une simple
demande de renseignements et non d'une affaire
de perquisition et de saisie. C'est donc le paragra-
phe 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui
s'applique en l'espèce, et non le paragraphe
231(4). Les seuls documents produits qui rappel-
lent l'affaire Corsini sont les deux lettres-somma-
tions en date du 8 mai 1980 et du 8 octobre 1980.
Ces deux documents portent, dans leur coin supé-
rieur gauche, les mots suivants, imprimés en
anglais et en français:
Revenue Canada Revenu Canada
Taxation Impôt
La lettre du 8 mais 1980 porte, sous la signature
de M. Stubel, son titre officiel exact, à savoir
directeur de l'Impôt au ministère du Revenu natio
nal. La lettre du 8 octobre 1980 porte, quant à elle,
sous sa signature, les mots: directeur de l'Impôt,
bureau de district de Winnipeg. Ce document ne
mentionne nulle part le ministère du Revenu natio
nal, mais on peut y lire au premier paragraphe:
[TRADUCTION] «... comme vous le savez, le minis-
tre du Revenu national désire obtenir de vous la
liste des clients pour lesquels vous effectuez des
transactions en votre qualité de courtier en den-
rées». Il ressort du contexte de cette lettre, des
échanges de correspondance et des entretiens anté-
rieurs, qu'elle émanait du directeur de l'Impôt du
bureau de district de Winnipeg du ministère du
Revenu national. Aucun affidavit n'a été produit
et personne n'affirme sous serment, ainsi que le
rapporte le juge Cattanach dans In re Solway,
qu'il est au service de Revenu Canada, Impôt.
Je ne peux donc accueillir cet argument très
spécieux.
Le troisième précédent, cité par l'avocat de la
requérante, est la décision In re M.N.R. v.
Paroian, Courey, Cohen & Houston (1980), 80
DTC 6077 (C.A. Ont.), de la Cour d'appel de
l'Ontario. Il s'agit là aussi d'une affaire d'entrée et
de perquisition, comme dans les deux affaires pré-
cédentes. Comme indiqué plus haut, le paragraphe
231(4) requiert en pareils cas que le Ministre ait
des motifs raisonnables de croire qu'une infraction
à la Loi ou à un règlement a été ou sera probable-
ment commise. Par ailleurs, le Ministre ne peut
autoriser une entrée, une perquisition et une saisie,
sans recevoir d'abord l'agrément d'un juge. Le cas
relevant du paragraphe 231(3) ne sont soumis à
aucun de ces impératifs, sans doute parce qu'ils ne
comportent pas une violation du droit de propriété
privée. La seule condition prévue par le paragra-
phe 231(3) est que la demande de renseignements
soit faite «pour toute fin relative à l'application ou
à l'exécution de la présente loi».
Tout valable qu'il soit à l'égard des causes
comme celle dont il était saisi, j'estime que le
raisonnement tenu par le juge Morden, qui a rendu
la décision de la Cour d'appel dans Paroian, n'a
pas d'application en l'espèce.
L'avocat a, en fait, cité une affaire qui relève du
paragraphe 231(3), l'affaire Duma Construction
Company Ltd. v. Her Majesty The Queen, [1975]
3 W.W.R. 286; 75 DTC 5273 (C. distr. Alb.). Le
directeur de l'Impôt à Edmonton avait demandé à
l'appelante, conformément à l'alinéa 231(3)b), de
produire certains documents en les envoyant au
bureau de district de l'impôt d'Edmonton. Le juge
R. H. Belzil de la Cour de district a jugé que le
pouvoir d'ordonner la production de documents ne
comporte pas le pouvoir d'exiger qu'ils soient
envoyés à un endroit donné, auquel cas l'intéressé
aurait à se séparer des documents sans aucune
garantie de récupération.
En l'espèce, les deux lettres-sommations ne
demandent pas que la requérante envoie quelque
part des documents en sa possession. Elles ne
demandent que la communication des renseigne-
ments tirés de documents ainsi que les listes des
clients et des succursales. Je ne pense donc pas que
cette jurisprudence puisse être de quelque secours
à la requérante.
L'avocat de l'intimé s'appuie sur plusieurs pré-
cédents pour défendre la constitutionnalité du
paragraphe 231(3) de la Loi de l'impôt sur le
revenu. Il cite d'abord l'arrêt Hewson v. The
Ontario Power Company of Niagara Falls (1905),
36 R.C.S. 596, titre de magistère pour la règle
de la présomption légale de la compétence du
Parlement, règle qui préside à l'interprétation de
ses lois. Au début des motifs de son jugement, le
juge en chef Taschereau rappelle que le premier
argument invoqué par l'appelant est que la loi du
Dominion, portant constitution de la compagnie
intimée, 50 & 51 Vict., chap. 120, excède la
compétence du Parlement et est inconstitution-
nelle. Il déclare ensuite [à la page 603]:
[TRADUCTION] Il lui incombe de prouver le bien-fondé de cet
argument; il y a une présomption de droit selon laquelle le
Parlement du Dominion n'excède pas ses pouvoirs.
L'avocat soutient que la requérante ne s'est pas
acquittée de cette charge de la preuve. J'en con-
viens, ne serait-ce que pour souligner que, si les
motifs sur lesquels je me fonde pour conclure à la
constitutionnalité du paragraphe 231(3) ne sont
pas entièrement convaincants, la requérante n'a
pas, à mon avis, fait la preuve du contraire.
L'avocat de l'intimé cite encore la jurisprudence
suivante:
1. Attorney -General for British Columbia v.
Attorney -General for Canada et al., [1937]
A.C. 368, arrêt également cité par l'avocat de la
requérante.
2. Nykorak v. The Attorney General of Canada,
[1962] R.C.S. 331; 33 D.L.R. (2d) 373.
3. The Attorney General of Canada v. The
Canadian Pacific Railway et al., [1958] R.C.S.
285.
Ces trois arrêts établissent le principe général
selon lequel une loi adoptée par le Parlement est
constitutionnelle si elle relève essentiellement de
l'un des domaines de compétence prévus par l'arti-
cle 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britanni-
que, 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C.
1970, Appendice II, n° 5], peu importe qu'elle
puisse toucher à la propriété et aux droits civils, ou
à tout autre domaine de compétence prévu à l'arti-
cle 92, autant de domaines qui relèvent de la
compétence exclusive des provinces.
Le premier de ces arrêts porte sur la constitu-
tionnalité de l'article 498A du Code criminel. Lord
Atkin, rendant le jugement du Conseil privé, s'est
prononcé en ces termes à la page 375:
[TRADUCTION] La seule limitation des pouvoirs pléniers du
Dominion dans la détermination de ce qui sera criminel ou non,
c'est la condition que le Parlement ne doit pas, sous le couvert
de légiférer réellement et essentiellement en matière criminelle,
légiférer de façon à empiéter sur toute catégorie de sujets
énumérés à l'art. 92. Le fait que cette législation y porte
atteinte en fait ne constitue pas une objection. Si on tente
réellement de modifier le droit criminel, les droits civils préexis-
tants pourront évidemment être affectés.
Le deuxième arrêt porte sur l'article 50 de la Loi
sur la Cour de l'Echiquier, S.R.C. 1952, chap. 98,
qui traite, en matière de détermination de la res-
ponsabilité dans toute action intentée par ou
contre la Couronne, de la qualité de serviteur de la
Couronne d'un membre des forces armées. Il a été
jugé que, de par le paragraphe 91(7) de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867, le texte de
loi en cause était valide, même s'il pouvait avoir
pour effet accessoire d'affecter la propriété et les
droits civils à l'intérieur de la province.
Le troisième arrêt porte sur la constitutionnalité
de l'article 198 de la Loi sur les chemins de fer,
S.R.C. 1952, chap. 234, aux termes duquel une
compagnie de chemin de fer, régie par cette Loi,
n'a pas droit, à moins qu'elle ne les ait expressé-
ment achetés et qu'ils lui aient été cédés, aux
mines et minerais des terrains qu'elle achète ou
prend en vertu de ses pouvoirs coercitifs. La Cour
a jugé que le Parlement avait compétence pour
adopter cet article qui se rapporte aux chemins de
fer interprovinciaux, en vertu de l'exception prévue
par l'alinéa a) du paragraphe 92(10), même s'il
existait une loi provinciale prévoyant que la trans
mission de la propriété d'un terrain était réputée
opérer la cession des mines et minerais. Ci-dessous
un passage des motifs prononcés par le juge Rand,
à la page 290:
[TRADUCTION] Il est impossible de séparer les pouvoirs affé-
rents aux matières qui tombent normalement dans le champ de
compétence provincial, la propriété et les droits civils en parti-
culier, et certains domaines de compétence prévus par l'art. 91
de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, sous le régime
desquels l'on ne pourrait faire deux pas sans toucher à ces
pouvoirs. Dans chaque cas de ce genre, la question n'est pas
tant de savoir dans quelle mesure le Parlement peut empiéter
sur l'art. 92, mais de déterminer dans quelle mesure la pro-
priété et les droits civils relèvent de la compétence prépondé-
rante du Parlement.
Pour ce qui est du paragraphe 2 des motifs de
contestation de la constitutionnalité des deux
ordonnances-sommations, et en premier lieu de
l'alinéa a), il y aurait lieu de rappeler ici le pouvoir
fiscal du Parlement. Le paragraphe 91(3) de l'Acte
de l'Amérique du Nord britannique, 1867 investit
le Parlement du Canada du pouvoir législatif
exclusif en matière de «prélèvement de deniers par
tous modes ou systèmes de taxation». On peut
difficilement concevoir des mots qui confèrent un
pouvoir d'imposition plus étendu ou plus universel.
Ces mots embrassent indéniablement le prélève-
ment de deniers par la levée d'un impôt sur le
revenu. A mon avis, le mot «prélèvement» embrasse
non seulement l'établissement et la levée d'impôts,
mais aussi les mesures prises pour déterminer
quels particuliers sont assujettis à l'impôt et pour
percevoir cet impôt. Le Parlement est donc investi
de pouvoirs législatifs étendus en matière d'appli-
cation et d'exécution de la Loi de l'impôt sur le
revenu.
Pour se prononcer sur l'allégation contenue dans
l'alinéa a) du paragraphe 2, il faut savoir ce qu'on
entend par «application et exécution». En l'espèce,
la question est nettement circonscrite par les faits
de la cause: il ne s'agit que de savoir si ces termes
s'entendent également de l'obligation faite à un
courtier de fournir au Ministère les noms et adres-
ses de tous les clients pour lesquels il a acheté ou
vendu des valeurs mobilières, de même que le
numéro de compte de chaque client et le montant
des gains et pertes de chaque client relativement à
ces opérations pour chaque mois de l'année. L'avo-
cat de la requérante soutient que ces termes n'em-
brassent pas pareille obligation.
A l'appui de cet argument, l'avocat a produit un
cahier contenant neuf jurisprudences, pour la plu-
part des arrêts du Conseil privé, ainsi que le texte
des articles 91 et 92 de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique, 1867 et des paragraphes
231(2),(3) et (4) de la Loi de l'impôt sur le
revenu. Les neuf arrêts portent sur la constitution-
nalité ou non de certaines dispositions de lois
fédérales et provinciales. Après une étude fouillée
de ces neuf causes, je suis parvenu à la conclusion
que, dans aucune d'elles, les faits ne ressemblent à
ceux qui nous intéressent en l'espèce, et qu'aucune
d'elles ne m'éclaire vraiment sur la question nette-
ment délimitée sur laquelle je dois me prononcer, à
savoir si les termes «application ou ... exécution
de la présente loi» embrassent les démarches entre-
prises par l'intimé pour obtenir de la requérante
des renseignements sur les transactions de valeurs
mobilières de ses clients. Je reviendrai sur ces
jurisprudences à propos de la constitutionnalité du
paragraphe 231(3) de la Loi.
L'avocat de la requérante n'a pas été convain-
cant à cet égard. Ce que le Ministre cherche à
obtenir, comme le souligne l'avocat de l'intimé, ce
sont des renseignements qui permettent de vérifier
l'exactitude de déclarations d'impôt sur le revenu.
A cette fin, il demande à voir les relevés de
transactions qui peuvent être imposables. C'est ce
qui ressort des sommations elles-mêmes et aussi de
la correspondance échangée par les parties. Les
démarches entreprises par le Ministre visent claire-
ment, à mon avis, l'application ou l'exécution de la
Loi. Je ne peux donc accueillir à cet égard l'argu-
ment de l'avocat de la requérante.
Selon l'alinéa b) du paragraphe 2, la décision ou
ordonnance est fondée sur une hypothèse gratuite.
Cela est vrai dans la mesure où l'intimé n'a pas
lieu de croire ou de dire, avant qu'il n'ait obtenu
les renseignements demandés, que tel ou tel client
de la requérante a pu omettre, en violation de la
Loi de l'impôt sur le revenu, de déclarer toutes ses
transactions de bons et d'obligations à terme pour
les trois années civiles dont s'agit. Si l'intimé pos-
sédait déjà la preuve de pareil manquement, il
aurait probablement déjà porté son attention sur
cette personne.
L'intimé peut avoir de bonnes raisons de croire
qu'un ou plusieurs clients de la requérante, dont il
ignore les noms, ont pu, dans leurs déclarations
d'impôt sur le revenu, passer sous silence leurs
transactions de bons et d'obligations à terme pour
ces trois années. La corroboration de ce soupçon
pourrait se trouver au deuxième paragraphe des
deux affidavits en date du 25 novembre 1980 de
M. Yaeger, comme suit: [TRADUCTION] «Vers
octobre 1975, l'intimé a décidé qu'il était néces-
saire de vérifier si les négociants en denrées à
terme respectaient la Loi de l'impôt sur le revenu.»
Il est difficile de penser que l'intimé aurait pu
procéder à la longue enquête dont s'agit s'il n'avait
aucune raison de croire qu'il y avait infraction à la
Loi de l'impôt sur le revenu. Il serait manifeste-
ment injuste de sa part de formuler une allégation
de cette nature sur la foi de simples soupçons et
sans s'appuyer sur des faits bien établis. D'autre
part, il incombe à l'intimé d'établir les faits s'il a
lieu de croire, à partir de motifs raisonnables, que
certains des négociants en valeurs mobilières ne
déclarent pas comme il convient, les profits et
pertes qui résultent de leurs opérations.
La requérante a soutenu, à un certain moment,
que l'intimé pourrait obtenir par d'autres moyens
les renseignements qu'il cherche. Rien dans la
preuve, cependant, n'indique quels pourraient être
ces autres moyens, à supposer même qu'ils exis-
tent. Le seul élément de preuve se rapportant à ce
point se trouve au paragraphe 3 de l'affidavit de
M. Yaeger où il déclare sous serment: [TRADUC-
TION] «On ne peut obtenir des renseignements
précis et impartiaux sur les opérations de ces
négociants qu'auprès des courtiers de denrées à
terme. La requérante est l'un de ces courtiers les
plus importants au Canada».
M. Yaeger déclare encore au paragraphe 21 de
son affidavit:
[TRADUCTION] 21. Il est pratiquement exclu que le Ministre
applique les dispositions de la Loi et s'assure sérieusement et
véritablement de son observation de la part des négociants en
denrées à terme s'il n'a pas à sa disposition les renseignements
demandés, vu qu'il n'existe pas d'autre source indépendante qui
permette d'établir l'existence de ces transactions.
J'en conclus qu'on ne peut pas interdire, par ce
motif qu'«elle est fondée sur une hypothèse gra-
tuite», la démarche entreprise par l'intimé pour
obtenir de la requérante les renseignements
demandés.
La requérante soutient à l'alinéa c) que la déci-
sion ou ordonnance de l'intimé «est discrimina-
toire» du fait qu'à sa connaissance, elle est la seule
société de courtage de valeurs mobilières à laquelle
le Ministre a demandé des renseignements de ce
genre. Rien ne permet de conclure qu'il en est
ainsi. A ce sujet, M. Yaeger a fait l'objet d'un
contre-interrogatoire assez détaillé de Me Kushne-
ryk.
On peut lire les questions et réponses suivantes à
la page 19 de la transcription de son contre-inter-
rogatoire:
[TRADUCTION] Q. N'est-il pas vrai, M. Yaeger, que votre
ministère cherche à obtenir ces renseignements et ces
relevés uniquement chez James Richardson & Sons
Limited?
R. Non, ce n'est pas vrai.
Q. Qu'avez-vous à dire alors?
R. Nous nous sommes enquis auprès d'autres maisons de
courtage.
Q. Quelles autres maisons de courtage?
R. A Toronto.
Q. Quelles autres maisons de courtage?
R. Ça va. Je n'ai pas le document devant moi. J'ai vu au
passage une note de service à ce sujet. Je sais qu'il y a eu
des enquêtes auprès d'autres maisons de courtage.
En réponse à une autre question, il reconnaît
que le bureau de Winnipeg du Ministère (où il
travaille) n'a affaire, en ce moment et dans le
cadre de ce programme, qu'avec James Richard-
son and Sons Limited. Me Meronek l'a alors inter-
rogé à nouveau pour lui poser une seule question:
[TRADUCTION] Q. Qui faisait l'objet du programme consa-
cré au marché des denrées à terme, qui mettait l'intéres-
sée en cause?
R. Tous les négociants en denrées.
Je ne peux donc accueillir l'argument de la
requérante selon lequel la décision ou ordonnance
de l'intimé est discriminatoire.
La requérante soutient à l'alinéa d) que la déci-
sion ou ordonnance de l'intimé «est fondamentale-
ment injuste». Il est évident que cette allégation est
fondée sur la même interprétation erronée des faits
qu'à l'alinéa c), savoir que le programme ne vise
que James Richardson and Sons Limited. Cet
argument succombe donc par le même motif.
La requérante soutient à l'alinéa e) que la déci-
sion ou ordonnance de l'intimé va à l'encontre des
règles de justice naturelle. Cet argument est trop
vague. Ni les plaidoiries, ni l'argument présenté
par l'avocat, n'indiquent quelles règles de justice
naturelle auraient été violées par la décision ou
ordonnance. Qui plus est, il est constant que les
règles de justice naturelle, aussi bien établies
soient-elles, n'anéantissent pas les règles détermi-
nées qu'a adoptées l'autorité législative compé-
tente. Par ces motifs, je ne peux accueillir cet
argument non plus.
La requérante soutient à l'alinéa f) que la déci-
sion ou ordonnance de l'intimé «ne se rapporte pas
à une enquête véritable et sérieuse sur l'assujettis-
sement d'un contribuable à l'impôt». L'un des prin-
cipaux arguments de l'avocat de la requérante
repose sur cette allégation. La requérante invoque
le précédent The Canadian Bank of Commerce v.
The Attorney General of Canada (1961), 61 DTC
1264 (H.C. Ont.). Cette décision du juge Morand,
de la Cour suprême de l'Ontario, a été portée par
la suite devant la Cour d'appel de l'Ontario,
(1961), 62 DTC 1014; 31 D.L.R. (2d) 625 (C.A.
Ont.), puis devant la Cour suprême du Canada,
[1962] R.C.S. 729; 62 DTC 1236.
Dans l'affaire Bank of Commerce, le Ministre
demandait à la banque de fournir des renseigne-
ments et de produire des documents sur les comp-
tes de l'un de ses clients, l'Union Bank of Switzer-
land. Les faits de cette cause étaient fort différents
de ceux de l'espèce, parce que le Ministre enquê-
tait sur les transactions d'un seul client, lequel
était identifié, alors qu'en l'espèce, le Ministre
réclame des informations sur toutes les transac
tions de tous les clients de la demanderesse en bons
et obligations à terme, sans qu'aucun d'eux ne soit
identifié. Ils ne sont mentionnés qu'en leur qualité
de clients de la demanderesse (requérante), qui ont
effectué des transactions dans ce domaine au cours
des années civiles 1977 à 1979 inclusivement.
Chacun d'eux possède un numéro de compte et la
demanderesse (requérante) peut facilement les
identifier, tout comme leurs transactions.
Rendant le jugement en Cour suprême de l'On-
tario dans l'affaire Bank of Commerce, le juge
Morand s'est prononcé en ces termes à la page
1265:
[TRADUCTION] Il a été reconnu à Faudition de la requête que le
Ministre agissait de bonne foi et que la demande (de renseigne-
ments et de production de documents) se rapporte à une
enquête véritable et sérieuse portant sur l'assujettissement
d'une ou de plusieurs personnes déterminées à l'impôt, et que le
Ministre avait de bonnes raisons de croire que ces contribuables
sont parmi les personnes mentionnées dans le mémoire spécial.
Le Ministre a refusé d'identifier la ou les personnes visées, soit
par leur nom, soit par quelque description que ce soit.
Je note que les parties étaient convenues d'un
mémoire spécial et que le paragraphe 11 de ce
mémoire comportait des renseignements confiden-
tiels sur les affaires d'autres personnes, en sus de
l'Union Bank of Switzerland. C'est à ces personnes
que le juge Morand fait allusion à la fin de l'ex-
trait ci-dessus.
Il a conclu que la demanderesse devait fournir
les renseignements et produire les documents
demandés dans la sommation.
La décision majoritaire de la Cour d'appel de
l'Ontario, rendue par le juge en chef Porter, par-
tage la même conclusion. Voici le sommaire de
l'arrêt rapporté dans le recueil des DTC:
[TRADUCTION] Arrêt: L'appel est rejeté (avec une dissi
dence). La banque appelante est tenue de fournir les renseigne-
ments et de produire les documents requis par le Ministre, et
encourt l'amende prévue pour son défaut de se conformer à la
sommation du Ministre. Le paragraphe 126(2) habilite le
Ministre à exiger de n'importe qui tout renseignement pour
toute fin relative à l'application ou à l'exécution de la Loi.
[Note: Le paragraphe 126(2) qui était en vigueur à l'époque a
été renuméroté 231(3).] Même si le Ministre ne fait pas
enquête sur l'impôt exigible de l'appelante, il tient de cette
disposition le pouvoir de demander, dans un but déterminé, à
l'appelante de lui fournir les renseignements et documents en sa
possession se rapportant à l'assujettissement de tiers à l'impôt.
Il a été établi que le Ministre visait à l'application ou à
l'exécution de la Loi, et non à une fin quelconque sans rapport
avec l'assujettissement à l'impôt. Puisqu'ils visent des fins
expressément prévues par la Loi, les actes du Ministre sont des
actes administratifs et non judiciaires et, à ce titre, ils ne sont
pas susceptibles de contrôle judiciaire. Que, dans l'exercice de
ses fonctions, le Ministre ait imposé sans nécessité à l'appelante
un fardeau onéreux, voilà une question qui n'est pas non plus
susceptible de contrôle judiciaire.
Le juge Schroeder a vigoureusement affirmé ses
vues dans ses motifs dissidents en Cour d'appel.
D'après lui, le législateur ne visait pas à conférer
au Ministre ou à certains fonctionnaires de son
Ministère les pouvoirs absolus qui ressortiraient
d'une interprétation littérale de l'alinéa 126(2)b),
lequel alinéa devrait être restrictivement interprété
comme n'autorisant qu'une demande de renseigne-
ments ou de production de documents à l'égard
d'une personne ou d'une société donnée, ou une
demande comportant par ailleurs des détails
précis.
Les neufs juges de la Cour suprême du Canada
ont rejeté l'appel de la demanderesse. Deux opi
nions ont été rendues, l'une par le juge en chef
Kerwin, dont le jugement a été partagé par les
juges Taschereau, Abbott et Judson. Le juge
Cartwright [tel était alors son titre] a rendu l'autre
opinion à laquelle ont souscrit les juges Locke,
Fauteux, Martland et Ritchie. A la lumière des
plaidoiries et de l'exposé conjoint des faits, le juge
en chef a conclu que l'Union Bank of Switzerland
était [TRADUCTION] «une personne faisant l'objet
d'une enquête», alors que d'après le juge
Cartwright, on ne savait pas trop si elle faisait ou
non l'objet d'une enquête. L'importance que repré-
sente cette divergence d'opinions pour l'affaire en
instance tient à ce que l'Union Bank of Switzer-
land était la seule personne nommée dans la
demande de renseignements (bien que le mémoire
fasse état de plusieurs autres particuliers et socié-
tés). Si l'Union Bank ne faisait pas l'objet d'une
enquête, les faits de cette cause offrent une plus
grande analogie avec ceux de l'espèce où nulle
personne ou société n'a été «identifiée» comme
faisant l'objet d'une enquête.
Les juges de la Cour suprême du Canada con-
cluaient à l'unanimité que la sommation adressée
par le Ministre à l'appelante visait à l'application
ou à l'exécution de la Loi de l'impôt sur le revenu
et avait pour but d'obtenir des renseignements sur
l'assujettissement à l'impôt d'une ou plusieurs per-
sonnes données qui faisaient l'objet d'une enquête.
Les deux jugements confirment expressément les
principales conclusions du juge en chef Porter dans
l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario. Ni l'un ni
l'autre ne fait état des motifs du juge Schroeder en
Cour d'appel, mais il ressort des deux jugements
qu'aucun juge de la Cour suprême du Canada n'a
souscrit à ses conclusions.
Il reste encore à élucider un point, savoir ce
qu'on entend par les mots «personne ou personnes
déterminées» dans les jugements qui précèdent.
Ont-ils pour seule signification «personne ou per-
sonnes nommées»? Je ne le crois pas. Dans l'affaire
Bank of Commerce, l'Union Bank of Switzerland
était la seule personne «nommée» dans la demande.
Le juge Cartwright ne semble attacher aucune
importance au fait qu'à son avis, cette banque
pouvait ne pas faire l'objet d'une enquête. Il lui
suffisait que plusieurs autres personnes et sociétés,
faisant ou non l'objet d'une enquête, fussent «men-
tionnées» dans le mémoire. A mon avis, ces mots
signifient dans le contexte des dispositions législa-
tives et des pouvoirs très étendus que prévoit le
paragraphe 231(3): «une personne ou des person-
nes décrites avec suffisamment de détails pour
pouvoir être facilement identifiées». Ils peuvent
donc s'appliquer à toutes les personnes faisant
partie d'un groupe décrit ou par ailleurs identifié.
En l'espèce, il y a un groupe décrit, savoir tous les
clients de la requérante (demanderesse) qui ont
effectué des transactions sur le marché des bons et
obligations à terme au cours des trois années dont
s'agit. Le Ministre veut, par sa demande, obtenir
des renseignements qui lui permettent de vérifier
l'exactitude des déclarations d'impôt sur le revenu
de chacun de ces clients au cours de ces trois
années. Les déclarations de chacun de ces clients
doivent être instruites séparément de celles des
autres. A mon avis, on peut considérer chacun
d'eux comme une personne déterminée, non encore
nommée, et dont l'assujettissement à l'impôt fait
l'objet d'une enquête, de même que chacun des
autres membres du groupe. Je conclus donc des
faits de la cause que les demandes de renseigne-
ments faites par le Ministre ne peuvent être assi-
milées à une [TRADUCTION] «recherche à l'aveu-
glette». En conséquence, je ne peux accueillir
l'argument de la requérante selon laquelle les déci-
sions ou ordonnances du Ministre n'ont aucun
rapport avec une enquête véritable et sérieuse sur
un cas spécifique d'assujettissement à l'impôt.
Je me penche maintenant sur l'argument figu-
rant au paragraphe 3 des avis introductifs de
requête de la requérante, à savoir que le paragra-
phe 231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu va à
l'encontre des dispositions du paragraphe 92(13)
de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique,
1867, modifié, et échappe à la compétence législa-
tive que le Parlement tient de l'article 91 ou de
tout autre article de cet Acte. Comme indiqué plus
haut, j'analyserai quelques-uns des neuf arrêts
cités par l'avocat de la requérante.
Le premier précédent cité, In re The Insurance
Act of Canada, [1932] A.C. 41, est le dernier en
date de plusieurs arrêts du Conseil privé sur la
constitutionnalité des lois en matière d'assurance,
dont le premier était The Citizen Insurance Com
pany of Canada v. Parsons (1881), 7 A.C. 96.
L'arrêt In re The Insurance Act of Canada portait
sur les articles 11 et 12 de la Loi des assurances du
Canada, S.R.C. 1927, chap. 101, et sur les articles
16, 20 et 21 de la Loi spéciale des revenus de
guerre, S.R.C. 1927, chap. 179. Les articles 11 et
12 de la Loi des assurances interdisaient à toute
compagnie canadienne ou étrangère et à tout
aubain de s'occuper d'assurances au Canada, sans
un permis délivré par le gouvernement du Canada.
D'autres articles prévoyaient des amendes pour
infraction à l'article 11 ou 12. L'article 16 de la
Loi spéciale des revenus de guerre requérait tout
résident canadien de payer au gouvernement du
Canada un impôt de cinq pour cent de la valeur
nette de toute prime, s'il faisait assurer des biens
situés au Canada par toute compagnie britannique
ou étrangère ou par tout assureur, qui ne déte-
naient pas le permis prévu à la Loi des assurances.
Le Comité judiciaire du Conseil privé a jugé que
tous ces articles étaient inconstitutionnels.
Le vicomte Dunedin, après avoir examiné les
arrêts antérieurs, a conclu l'arrêt du Comité judi-
ciaire comme suit:
[TRADUCTION] Leurs Seigneuries ne peuvent mieux expri-
mer leur avis qu'en paraphrasant ce passage des motifs pronon-
cés par le juge Duff dans l'arrêt Reciprocal Insurers': «Confor-
mément au principe inhérent de ces décisions, leurs Seigneuries
jugent qu'il est bien établi que le Parlement du Canada ne peut
pas, sous le couvert de la création de sanctions pénales en
application du paragraphe 91(27), intervenir dans un champ de
compétence sur lequel il n'a aucun pouvoir à moins de recourir
à cet artifice. S'il ressort de la loi prise dans son ensemble que,
malgré les apparences d'une loi pénale, elle traite, de par sa
nature et son objet, de matières qui sont de la compétence
exclusive des provinces, elle doit être déclarée inconstitution-
nelle.» Si l'on remplace les mots «la création de sanctions
pénales en application du paragraphe 91(27)» par les mots
«l'exercice des pouvoirs fiscaux prévus au paragraphe 91(3)», et
le mot «pénale» par le mot «fiscale», cette phrase traduit parfai-
tement les vues de leurs Seigneuries.
Je partage entièrement l'interprétation du droit
que donne le paragraphe cité. A mon avis, toute-
fois, cela n'est d'aucun secours à la requérante
puisque, comme indiqué plus haut, j'ai conclu que
la demande de renseignements a été faite par le
Ministre aux fins d'application et d'exécution de la
Loi de l'impôt sur le revenu. Rien n'indique en
l'espèce une autre fin quelle qu'elle soit. Rien
n'indique que, sous le couvert de l'application ou
de l'exécution de la Loi, le paragraphe 231(3) ait
pour objet véritable d'empiéter sur la compétence
que les provinces tiennent du paragraphe 92(13)
de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique,
1867 en matière de propriété et de droits civils, ou
sur toute autre compétence provinciale prévue par
d'autres dispositions de cet Acte. Une loi n'est pas
inconstitutionnelle du seul fait qu'elle affecte les
droits civils. Ce principe est illustré par le
deuxième arrêt cité par l'avocat Proprietary Arti
cles Trade Association, et al. v. Attorney -General
for Canada, et al., [1931] A.C. 310.
Cet arrêt portait sur la constitutionnalité en tout
ou en partie de la Loi des enquêtes sur les coali
tions, S.R.C. 1927, chap. 26, et sur la constitution-
nalité de l'article 498 du Code criminel.
Aux termes de l'article 32 de la Loi des enquêtes
sur les coalitions, quiconque participait à la for
mation ou à l'exploitation d'une coalition qui était
au détriment du public et qui restreignait ou lésait
l'industrie ou le commerce, commettait un acte
criminel punissable d'une amende ou d'une peine
d'emprisonnement.
Aux termes de l'article 498 du Code, quiconque
complotait, se coalisait ou s'entendait pour limiter
indûment les facilités de transport, restreindre le
commerce, diminuer la fabrication ou la concur
rence, commettait un acte criminel punissable
d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement.
Le Conseil privé a jugé que ces deux textes de
loi relevaient bien de la compétence en matière de
loi criminelle que le Parlement du Canada tenait
du paragraphe 91(27) de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique, 1867. Le sommaire porte en
partie:
[TRADUCTION] Si la loi, de par son caractère véritable, se situe
dans les limites des pouvoirs énumérés à l'art. 91, il importe peu
qu'elle affecte la propriété et les droits civils dans les provinces
(paragraphe 92(13)) ou affecte, ce qui n'est pas le cas, l'admi-
nistration de la justice dans les provinces (paragraphe 92(14)).
Le jugement a été rendu par lord Atkin qui s'est
prononcé en ces termes aux pages 326 et 327:
[TRADUCTION] Partant, si la loi en question s'autorise de
l'une ou l'autre des catégories spécifiquement énumérées dans
l'art. 91, rien ne sert de dire que cette loi affecte la propriété et
les droits civils dans les provinces. La plupart des sujets spécifi-
quement mentionnés dans l'art. 91 affectent la propriété et les
droits civils, mais, dans la mesure où la législation édictée par le
Parlement se situe, de par son caractère véritable, dans les
limites des pouvoirs énumérés, elle peut constitutionnellement
affecter le domaine de la propriété et des droits civils.
Il est indéniable que le paragraphe 231(3) de la
Loi de l'impôt sur le revenu est, de par son carac-
tère véritable, une disposition de loi fiscale; il
s'autorise donc du paragraphe 91(3) de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867.
Le troisième précédent cité par l'avocat, Attor-
ney -General for the Dominion of Canada v.
Attorney -General for the Province of Alberta et
al., [1916] 1 A.C. 588, est une affaire d'assurance
antérieure au premier arrêt invoqué. L'article 4 de
la Loi des assurances, 1910, 9 & 10 Edw. 7, chap.
32, du Canada prévoyait, pour quiconque enten-
dait s'occuper d'assurances dans ce pays, l'obliga-
tion d'obtenir au préalable un permis délivré par le
gouvernement du Canada. L'article 70 prévoyait
une amende pour la première infraction à cette
obligation et une peine d'emprisonnement pour
toute infraction subséquente. Cet arrêt du Conseil
privé contient un exposé de la règle de droit appli
cable; règle qui a été citée et suivie à maintes
reprises depuis lors. Le Conseil privé a conclu en
ces termes [sommaire, aux pages 588 et 589]:
[TRADUCTION] ... le Parlement du Canada n'avait pas le
pouvoir d'adopter cette loi parce que le pouvoir conféré par le
paragraphe 91(2) de l'Acte de l'Amérique du Nord britanni-
que, 1867, qui permet de légiférer sur «la réglementation du
trafic et du commerce», n'embrasse pas la réglementation, par
un système de permis, d'un commerce particulier auquel les
Canadiens sont par ailleurs libres de s'adonner dans les provin
ces...
Et plus loin:
[TRADUCTION] ... cette loi ne pouvait être adoptée en vertu du
pouvoir général, prévu par l'art. 91, de faire des lois pour la
paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, parce qu'elle
empiète sur le pouvoir législatif conféré aux provinces par le
paragraphe 92(13), pour faire des lois relatives aux «droits
civils dans la province».
Quel que soit l'appui que la requérante a pensé
trouver dans ce jugement, j'estime qu'il est, à la
lumière des faits de la cause, entièrement anéanti
par le passage cité plus haut de l'arrêt Proprietary
Articles.
L'avocat a invoqué en quatrième lieu l'arrêt In
re The Board of Commerce Act, 1919 and The
Combines and Fair Prices Act, 1919, [1922] 1
A.C. 191. La première des deux lois mentionnées
instituait la Commission de commerce. La seconde
habilitait la Commission à réprimer et à interdire
les coalitions qu'elle jugeait contraires à l'intérêt
public. Elle lui accordait aussi le pouvoir de répri-
mer les accumulations d'articles d'alimentation, de
vêtements et de combustibles au-delà de la quan-
tité raisonnablement utilisée pour être consommée
par un particulier pour son ménage ou par un
commerçant pour les fins de son commerce, de
même qu'elle lui permettait d'exiger que l'excédent
soit offert en vente à des prix justes et lui accordait
le pouvoir d'imposer des sanctions de nature
pénale pour toute infraction à la Loi.
Le Conseil privé a jugé que le Parlement du
Canada n'avait pas le pouvoir d'adopter ces deux
Lois parce qu'elles constituaient une grave ingé-
rence dans [TRADUCTION] «la propriété et les
droits civils dans les provinces», un domaine de
compétence exclusive confié aux provinces par le
paragraphe 92(13) de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique, 1867. Ces deux Lois ne pou-
vaient se réclamer d'aucune disposition de l'article
91, ni du paragraphe (2) sur le trafic et le com
merce, ni du paragraphe (27) sur la loi criminelle.
Cet arrêt non plus n'est d'aucun secours pour la
requérante, puisque j'ai conclu que le Parlement
fédéral était habilité à adopter le paragraphe
231(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, sous le
régime du paragraphe 91(3) sur la taxation.
L'avocat a encore invoqué les arrêts suivants:
Le cinquième —The King v. Imperial Tobacco Company of
Canada Limited, [1938] R.C.É. 177.
Le sixième —His Majesty The King v. Imperial Tobacco
Company of Canada Limited, [1939] R.C.S.
322, appel en Cour suprême du Canada du
cinquième arrêt ci-dessus de la Cour de
l'Échiquier.
Le septième —Attorney -General for British Columbia v.
Attorney -General for Canada et al., [1937]
A.C. 368.
Le huitième —In the Matter of Three Bills Passed by the
Legislative Assembly of Alberta At the 1937
(Third Session) Thereof Entitled Respec
tively:
"An Act Respecting the Taxation of
Banks";
"An Act to Amend and Consolidate the
Credit of Alberta Regulations Act";
"An Act to Ensure the Publication of
Accurate News and Information", [1938]
R.C.S. 100.
Le neuvième —Attorney -General for Canada v. Attorney -
General for Ontario et al., [1937] A.C. 355.
J'ai lu les motifs de tous ces arrêts, et il n'est pas
nécessaire d'en faire l'analyse en l'espèce. A mon
avis, aucun de ces arrêts n'est d'un secours quel-
conque pour la requérante (demanderesse).
Il s'agit en l'espèce de juger la constitutionnalité
d'une disposition d'une loi du Parlement du
Canada, plus précisément du paragraphe 231(3)
de la Loi de l'impôt sur le revenu. On peut rappe-
ler de la manière suivante le principe fondamental
et bien établi à l'égard d'une telle loi: une loi
adoptée par le Parlement est constitutionnelle si,
de par son caractère véritable, elle porte sur l'un
ou des domaines de compétence de l'article 91 de
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867,
peu importe qu'elle touche à un ou à des domaines
de compétence de l'article 92, lesquels relèvent de
la juridiction exclusive des provinces, tels la pro-
priété et les droits civils dans la province, au
paragraphe 92(13), et généralement toutes les
matières d'une nature purement locale ou privée
dans la province, au paragraphe 92(16). Par
contre, une telle loi est inconstitutionnelle si,
malgré la forme ou l'apparence d'une loi adoptée
en vertu d'un ou de plusieurs paragraphes de l'arti-
cle 91, son caractère véritable porte sur un
domaine relevant de la compétence exclusive des
provinces.
Comme indiqué plus tôt dans ces motifs, il est
indéniable que le paragraphe 231(3) de la Loi de
l'impôt sur le revenu s'autorise du paragraphe
91(3) qui prévoit le prélèvement de deniers par
tous modes ou systèmes de taxation. Il investit le
ministre du Revenu national des pouvoirs propres
à l'accomplissement des obligations et responsabi-
lités que lui impose la Loi de l'impôt sur le revenu.
L'obligation qui incombe au Ministère d'appliquer
et d'exécuter la Loi comprend nécessairement
l'obligation et la responsabilité de déterminer, par
tout moyen raisonnable, quels sont les contribua-
bles qui doivent un impôt et combien ils doivent
payer. En ce qui concerne la preuve, le seul moyen
pratique de déterminer quelles sont les personnes
qui se livrent aux opérations à terme, lesquelles
d'entre elles réalisent des bénéfices ou subissent
des pertes, et combien elles ont gagné ou perdu, est
de se renseigner auprès des courtiers qui ont effec-
tué les transactions. Le Ministre a besoin de tous
les renseignements qu'il demande à la requérante.
A mon avis, les deux demandes sont légales et
raisonnables, leur légalité n'étant pas contestable
du fait qu'elles peuvent causer à la requérante
beaucoup de tracas et de frais.
L'avocat de la requérante a également soulevé
deux ou trois autres points qu'il y a lieu de com-
menter brièvement. Il évoque le principe selon
lequel une loi fiscale doit être interprétée restricti-
vement, et cite plusieurs précédents dans lesquels
ce principe a été suivi ou commenté. Je ne conteste
ni le principe, ni les causes citées à l'appui. Ce
principe ne signifie toutefois pas qu'on doit res-
treindre encore le sens de mots employés dans une
loi et dont le sens est clairement exprimé, ou leur
donner un autre sens que leur sens grammatical
ordinaire. Il appert qu'aucune des décisions citées
ne donne une interprétation différente du droit en
la matière.
En l'espèce, le sens du paragraphe 231(3) de la
Loi de l'impôt sur le revenu est très clair. Il
habilite le Ministre à exiger de toute personne tout
renseignement pour toute fin visée. Cette phrase
dit bien ce qu'elle veut dire, sous cette seule
réserve que les renseignements demandés doivent
porter sur un revenu, attendu que cette phrase se
trouve dans la Loi de l'impôt sur le revenu et que
la demande de renseignement doit être faite aux
fins d'application ou d'exécution de la Loi.
L'avocat de la requérante soutient aussi qu'en
l'espèce, il n'y a aucune enquête, ni sur la requé-
rante, ni sur aucun de ses clients, ni sur qui que ce
soit, et qu'en conséquence, l'action du Ministre ne
visait pas à l'application ou à l'exécution de la Loi.
L'avocat de l'intimé a opposé à cet argument le
précédent Attorney General of Canada v. Bélanger
(1962), 63 DTC 1289 (B.R. Qué.). Il s'agissait
d'une affaire de défaut de déclaration d'impôt sur
le revenu, malgré une sommation du Ministre. La
Cour du Banc de la Reine du Québec a infirmé le
jugement de première instance qui avait rejeté la
poursuite pour défaut de déclaration d'impôt. Le
juge Ouimet s'est prononcé en ces termes à la page
1292:
[TRADUCTION] a) Il n'est pas nécessaire de prouver que «la
demande est faite au cours d'une enquête ordonnée en vertu de
la Loi de l'impôt sur le revenu».
b) Une demande de production d'une déclaration de revenu,
faite conformément à l'article 126(2) [actuellement rénuméroté
231(3)], peut être faite en dehors d'une enquête ordonnée par le
Ministre ou une autre personne autorisée.
L'avocat de la requérante fait remarquer que
l'arrêt Bank of Commerce, précité, de la Cour
suprême du Canada, rendu quelques semaines
après l'arrêt Bélanger, l'emporte sur celui-ci. Je
conviens que l'arrêt Bank of Commerce doit préva-
loir dans la mesure où il y a conflit entre les deux.
Il s'agit cependant de savoir dans quelle mesure les
deux arrêts sont en conflit l'un avec l'autre. Ce qui
ressort de ,l'arrêt Bélanger, c'est qu'il n'est pas
nécessaire de procéder à une vérification, à une
saisie de livres ou de documents, ni de tenir une
enquête, avant d'exiger la production d'une décla-
ration d'impôt sur le revenu. L'arrêt Bank of
Commerce ne constitue pas, à mon avis, une néga-
tion de cette conclusion. Dans l'affaire Bank of
Commerce, les deux parties convenaient que la
demande était relative à une enquête sérieuse et
véritable sur l'impôt exigible d'une ou de plusieurs
personnes déterminées. Il s'agissait là d'une ques
tion de fait, et ce fut là un élément déterminant
qui a amené la Cour à conclure que le Ministre
agissait aux fins d'application ou d'éxécution de la
Loi. Ni l'un ni l'autre jugement rendu en cette
affaire ne dit à quel stade de l'enquête le Ministre
peut autoriser la demande de renseignements, ni
même qu'une enquête doit avoir lieu au préalable.
Le mot «relative» peut s'appliquer tout aussi bien à
une enquête envisagée qu'à une enquête déjà
commencée.
A part ce que j'ai dit au paragraphe précédent,
je conclus qu'il s'agit en l'espèce d'une enquête
véritable et sérieuse qui a été jugée nécessaire il y
a plusieurs années. N'ayant pu obtenir des rensei-
gnements librement fournis, le Ministre cherche
maintenant à se les assurer par les voies officielles
mises à sa disposition par le paragraphe 231(3).
Dès le début, il était évident que le Ministère
cherchait des renseignements sur les transactions
et les bénéfices des négociants en bons et obliga
tions à terme. Le fait que le Ministre a poursuivi
cet objectif pendant de si nombreuses années jus-
qu'à la présente étape prouve qu'il s'agit là de
quelque chose de véritable et de sérieux que l'on
peut certainement qualifier d'enquête.
J'ai déjà exprimé mon opinion sur le sens des
mots «personne ou personnes déterminées», pris
dans le contexte de la Loi de l'impôt sur le revenu.
L'avocat de la requérante relève un vice de
forme entachant la demande du 8 mai 1980. Selon
le paragraphe 231(3), il faut préciser dans la
demande que les renseignements ou documents
sont exigés «dans le délai raisonnable qui peut y
être fixé». La demande du 8 octobre 1980 indique
que les renseignements devaient être fournis au
plus tard le 8 décembre 1980, ce qui est conforme
à cette disposition de la loi. Toutefois, la demande
du 8 mai 1980 ne précise aucune date ou délai; elle
exige que les renseignements soient fournis [TRA-
DUCTION] «sans délai». L'avocat soutient que ces
mots ne sont pas conformes à la loi qui doit être
interprétée restrictivement et, qu'en conséquence,
la demande est nulle.
L'avocat de l'intimé soutient que, dans le con-
texte de cette demande en particulier, les mots
«sans délai» signifient [TRADUCTION] «dans un
délai raisonnable», «sans tarder» ou «aussitôt que
possible», et qu'ils sont donc conformes à la loi.
Le but de cette disposition législative est de
garantir que la personne qui fait l'objet d'une
demande de renseignements dispose d'un délai rai-
sonnable pour s'y conformer (délai qui pourra
varier considérablement selon la quantité de ren-
seignements demandés et le temps requis pour les
recueillir et les rassembler, etc.) et qu'elle s'y
conforme dans ce délai raisonnable. Les mots «sans
délai» ne sont pas rigoureusement conformes à la
loi, mais en tant qu'ils signifient «dans un délai
raisonnable», signification que leur ont souvent
donnée les cours de justice et qui, à mon avis, doit
leur être attribuée en l'espèce, ils assurent à la
requérante toute la protection prévue par la loi. Un
délai raisonnable n'est pas un délai précis, comme
une période fixe ou un dernier délai, mais on peut
le déterminer par les faits selon chaque cas d'es-
pèce. Si, en l'espèce, les renseignements demandés
ne sont pas promptement fournis et que le Ministre
engage des procédures judiciaires, il devra con-
vaincre le tribunal qu'il ne les a engagées qu'au
terme d'un délai raisonnable, accordé à la requé-
rante pour qu'elle puisse se conformer à la
demande.
Même à l'égard de la sommation du 8 octobre
1980, qui accorde à la requérante un délai de deux
mois pour s'y conformer, il se peut que le Ministre
ait à convaincre la Cour que le délai de deux mois
constitue un délai raisonnable. Ce serait le cas si la
requérante objectait assez tôt qu'elle ne disposait
pas d'un délai suffisant et si elle pouvait établir de
prime abord la nécessité d'un délai plus long.
Il appert qu'en l'espèce, les mots «sans délai»,
employés dans la demande du 8 mai 1980, sont
conformes au but visé par la règle qui s'incarne
dans le texte de loi dont s'agit. Je ne pense pas que
les mots «dans le délai raisonnable qui peut y être
fixé» du paragraphe 231(3) aient pour effet d'inva-
lider une demande formulée comme celle en l'es-
pèce, surtout s'il n'y a pas lieu de conclure que la
requérante en a subi ou pourra en subir un préju-
dice. Je conclus donc que la demande du 8 mai
1980 ne doit pas être annulée par ce motif.
Il échet enfin d'examiner si, selon l'allégation
faite dans l'action intentée devant cette Cour par
déclaration du 20 novembre 1980, les alinéas
231(3)a) et b) enfreignent les alinéas 1 a) et 2e) de
la Déclaration canadienne des droits. Ces derniers
alinéas portent:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de
l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont
existé et continueront à exister pour tout individu au Canada
quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa
religion ou son sexe:
a) le droit de l'individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la
personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de ne
s'en voir privé que par l'application régulière de la loi;
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du
Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob-
stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et
s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou
enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et
déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la
diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du
Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de
sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la
définition de ses droits et obligations;
En ce qui concerne l'alinéa la), le seul droit que
puisse viser cette allégation serait «le droit ... à la
jouissance de ses biens, et le droit de ne s'en voir
privé». Tout ce que le Ministre demande, ce sont
des renseignements. Ses sommations ne portent
pas atteinte au droit de qui que ce soit à la
jouissance de ses biens; elles n'impliquent pas non
plus que quelqu'un sera ou pourra être privé de ce
droit. Même si cela n'était pas le cas, les derniers
mots de l'alinéa l a), «que par l'application régu-
lière de la loi», suffisent, à mon avis, à annihiler cet
argument. A la lumière des faits et vu les règles de
droit applicables, il appert, comme indiqué plus
haut, que le Ministre applique régulièrement la loi
en faisant ces deux demandes de renseignements.
Quant à l'alinéa 2e), je pense que, s'il s'applique
en l'espèce, cette audition des deux requêtes a
précisément pour objet de garantir une audition
impartiale. Il est vrai que les clients de la requé-
rante, dont le droit au secret pour ce qui est de
leurs transactions peut être menacé par le rejet des
requêtes, ne sont pas parties à l'instance, mais la
Cour a pleine conscience de leurs droits. Il y a
toujours, dans les affaires de ce genre, conflit entre
les droits de l'individu, d'une part, et le but et les
besoins d'un gouvernement efficace dans l'exercice
de ses responsabilités, d'autre part. Il est alors
nécessaire de faire l'équilibre entre les deux pla
teaux de la balance, mais il est bien difficile de
décider lequel des deux doit peser plus lourd.
En l'espèce, la nécessité qu'il y a pour le minis-
tère du Revenu national d'établir et de percevoir,
autant que possible, l'impôt sur le revenu payable
par les négociants en denrées à terme, du fait des
bénéfices réalisés sur leurs transactions, est impor-
tante et peut-être très importante. Nombreux sont
ceux qui se livrent à cette activité au Canada, et
d'importants bénéfices sont parfois réalisés pen-
dant une année ou même au cours d'une seule
transaction. Si l'on en juge par le nombre des
affaires de fraude fiscale qui passent en jugement,
il se peut que certains de ces négociants cèdent
parfois à la tentation de ne pas déclarer, aux fins
de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés à
l'occasion d'une ou de plusieurs transactions. Il ne
fait pas de doute que cette tentation est d'autant
plus grande que les bénéfices sont plus importants.
Si cette tentation est grande, c'est que le risque
d'être découvert peut sembler infime. En général,
seuls le négociant et son courtier connaissent ou
doivent connaître les bénéfices réalisés par le négo-
ciant, et seul le négociant sait ou doit savoir s'il a
déclaré dans ses revenus tous les bénéfices réalisés
par ces transactions. Que ces bénéfices soient
passés sous silence sciemment, ou à la suite d'un
oubli ou d'une autre erreur involontaire, c'est le
fisc qui subit une perte, dont une partie est suppor-
tée par les provinces eu égard aux accords de
partage des recettes fiscales entre le Canada et les
provinces. Il se peut qu'au cours d'une année quel-
conque, la perte subie par les différents gouverne-
ments soit nulle ou marginale, mais il se peut aussi
qu'elle soit substantielle. Le Ministère a donc réel-
lement besoin de déterminer les faits dont s'agit.
Comme indiqué plus haut, l'intimé affirme que le
seul moyen pratique de les établir, c'est d'obtenir
ces renseignements auprès des courtiers. C'est le
but visé par les demandes du Ministre, en date du
8 mai et du 8 octobre 1980. Il n'a été indiqué à la
Cour aucun autre moyen efficace d'obtenir les
renseignements requis. Je considère donc exacte la
preuve de l'intimé sur ce point.
Je n'accorde pas le même poids à la position des
négociants qui sont les clients de la requérante et
qui seront peut-être affectés par l'issue de ces
procédures auxquelles ils ne sont pas parties. Le
droit de l'individu à la vie privée cède au besoin de
gouvernement efficace lorsque la situation est
assez grave pour le justifier. En l'espèce, l'intimé
demande ou exige, à propos de leurs transactions
de valeurs mobilières, des renseignements qu'il
s'est engagé à garder strictement confidentiels. Cet
engagement signifie, à mon avis, que seuls les
fonctionnaires du Ministère qui doivent les ins-
truire connaîtront le contenu de ces renseigne-
ments. Le risque que ces renseignements devien-
nent un secret de polichinelle est infime, voire nul.
Cet engagement ne vaut pas, bien entendu, dans le
cas où les renseignements obtenus sont tels qu'ils
justifient une nouvelle action en justice. A titre
d'exemple, si le Ministre intente une action crimi-
nelle ou civile contre un négociant, et qu'il lui soit
nécessaire de soumettre en preuve les renseigne-
ments qui l'ont amené à agir en justice, le droit au
secret du négociant cédera aux impératifs de la
justice.
Je conclus, à la lumière des faits de la cause, que
les demandes du Ministre ne vont pas à l'encontre
de l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des
droits, pour ce qui est des clients de la requérante.
Si le Ministre vient à intenter une action en justice
contre n'importe lequel d'entre eux à la suite des
renseignements obtenus, son droit à une audition
impartiale sera parfaitement protégé en vertu de la
loi.
La conclusion finale à laquelle je suis parvenu,
non sans difficulté et malgré mes doutes, est que je
dois rejeter les deux demandes, introduites par la
requérante devant cette Cour par voie d'avis intro-
ductifs de requête, datés respectivement du 16 mai
1980 et du 14 novembre 1980, et déposés respecti-
vement le 20 mai 1980 et le 20 novembre 1980. Je
dois également rejeter l'action intentée par la
demanderesse (requérante pour ce qui est des deux
requêtes ci-dessus), par déclaration datée du 20
novembre 1980 et déposée le même jour. Les trois
procédures, réunies par ordonnance de la Cour en
date du 10 décembre 1980, sont rejetées avec un
seul décompte de dépens pour les deux journées
d'audience du 10 et 11 décembre 1980.
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