A-156-79
Wilchar Construction Limited (appelante)
c.
La Reine (intimée)
Cour d'appel, juges Heald, Le Dain et juge sup
pléant Kelly—Toronto, 16 septembre; Ottawa, 9
octobre 1981.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Appel d'un
jugement disant que le contribuable ne peut exclure de son
revenu imposable pour l'année 1968 le montant des retenues de
garantie et des demandes de paiement partiel à l'égard des-
quelles les architectes n'avaient pas émis leur certificat —
Inclusion des retenues de garantie et des demandes de paie-
ment partiel non certifiées dans le revenu déclaré du contri-
buable des années 1962 à 1969 — Exclusion des retenues de
garantie par le contribuable en 1970 et 1971 mais inclusion des
demandes de paiement partiel non certifiées — En cause: la
déduction par le contribuable des retenues de garantie receva-
bles éventuellement — Aucune interdiction jurisprudentielle ni
légale obligeant le contribuable à choisir une méthode ayant
pour effet d'anticiper l'impôt — Adoption d'une même
méthode d'année en année exigée par les principes comptables
généralement reconnus — Déclarations du contribuable de
1962 à 1969 fondées sur une interprétation non erronée du
droit — Fin de non-recevoir opposée au changement par le
contribuable de l'imputation des demandes de paiement partiel
non certifiées — Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c.
148, art. 4, 85B(1)b).
Appel portant uniquement sur la partie du jugement de la
Division de première instance où il a été décidé que l'appelante
n'avait pas le droit d'exclure de son revenu imposable pour
l'année 1968 le montant net des retenues de garantie et des
demandes de paiement partiel à l'égard desquelles les architec-
tes n'avaient pas émis leur certificat au 31 juillet 1968. Dans
ses déclarations d'impôt pour les années 1962 1969 inclusive-
ment, l'appelante a toujours tenu compte, dans le calcul de son
revenu, des retenues de garantie et des demandes de paiement
partiel non certifiées qui demeuraient impayées à la fin de
l'année d'imposition. En 1970 et 1971, l'appelante a exclu de ce
calcul les retenues de garantie tout en continuant d'y inclure les
demandes de paiement partiel non certifiées. Le Ministre a
émis de nouvelles cotisations à l'égard des déclarations de
l'appelante pour les années 1967 et 1968; il n'a pas émis une
nouvelle cotisation qui se rapporte à la question en litige. Il
échet d'examiner si l'appelante a droit de déduire les retenues
de garantie éventuellement recevables. L'appelante soutient que
les arrêts Colford et Guay établissent que les créances receva-
bles éventuellement par un contribuable ne constituent pas un
revenu imposable; que ni les principes comptables généralement
reconnus ni le fait que l'appelante ait toujours déclaré ses
revenus en se fondant sur une interprétation erronée du droit,
ne peuvent l'emporter sur ce principe; et qu'aucune fin de
non-recevoir ne peut être opposée à l'appelante lorsqu'elle exige
d'être cotisée à l'égard de 1968 conformément à ce principe.
Arrêt: l'appel est rejeté. En l'espèce, le contribuable n'a pas
exclu les créances recevables éventuellement d'aucune de ses
déclarations pour les années 1962 1969 inclusivement. L'arrêt
Colford n'a pas décidé que l'alinéa 858(1)6) de la Loi de
l'impôt sur le revenu interdit au contribuable de choisir,
comme en l'espèce, d'inclure les sommes dont s'agit pour
l'année d'imposition 1968, et au Ministre d'y consentir, comme
en l'espèce. L'arrêt Colford ne peut être cité à titre de précé-
dent, lorsque les faits d'une affaire sont semblables à ceux de
l'espèce, que pour le principe selon lequel le Ministre ne peut
exiger du contribuable une déclaration qualifiant les sommes en
cause de revenus. La méthode choisie par l'appelante, et accep-
tée par le Ministre, a pour effet d'anticiper l'impôt et non de le
différer. Rien dans l'arrêt Colford ni dans les dispositions de la
Loi ne défend l'adoption de cette méthode d'anticiper l'impôt.
L'alinéa 85B(1)b) n'interdit pas d'employer pareille méthode.
Cet alinéa exige du contribuable, pour l'inclusion d'une somme,
qu'elle constitue, en droit, une somme recevable. L'alinéa
n'édicte aucune règle à l'égard des autres sommes. En l'espèce,
les sommes en litige n'ont pas le caractère de sommes receva-
bles parce qu'elles n'étaient qu'éventuellement recevables au
cours de 1968. L'article 4 de la Loi de l'impôt sur le revenu
porte que «Sous réserve des autres dispositions de la présente
Partie, le revenu provenant, pour une année d'imposition, d'une
entreprise . .. est le bénéfice en découlant pour l'année». Il n'y a
pas d'«autres dispositions» de la Loi qui interdisent à l'appelante
d'employer la méthode dont elle s'est servie pour les années
d'imposition 1962 1969 inclusivement. En conséquence, le
calcul de ces bénéfices s'effectuera selon les principes compta-
bles généralement reconnus, lesquels exigent que la même
méthode soit employée d'année en année. L'arrêt Guay ne fait
que confirmer le principe énoncé dans Colford. Comme les
déclarations de revenu uniformes de l'appelante pendant les
années 1962 1969 inclusivement ne reposent pas sur une
«interprétation erronée du droit», il s'ensuit que le deuxième
argument n'est pas acceptable puisque sa justesse se fonde sur
la justesse du premier argument. Quant au dernier argument,
comme la méthode choisie par l'appelante pour déclarer son
revenu n'est pas contraire au droit, rien n'empêche juridique-
ment d'invoquer une fin de non-recevoir. Le juge de première
instance a eu raison de juger que l'appelante n'était plus
recevable à changer l'imputation des demandes de paiement
partiel non certifiées dans le calcul de ses bénéfices de l'année
1968.
Jurisprudence: décisions interprétées: Le ministre du
Revenu national c. John Colford Contracting Co. Ltd.
[19601 R.C.E. 433, confirmée par [19621 R.C.S. viii; J. L.
Guay Ltée c. Le ministre du Revenu national [1971] C.F.
237. Décisions citées: Dominion Taxicab Association c. Le
ministre du Revenu national [19541 R.C.S. 82; Ostime
(Inspector of Taxes) c. Duple Motor Bodies, Ltd. [1961] 2
All E.R. 167; Western Smallware & Stationery Co. Ltd. c.
Le ministre du Revenu national [1972] C.F. 437; Woon c.
Le ministre du Revenu national [1951] R.C.E. 18; Ken
Steeves Sales Ltd. c. Le ministre du Revenu national
[1955] R.C.E. 108; Moulds c. La Reine [1977] 2 C.F.
487; Greenwood c. Martins Bank, Ltd. [1933] A.C. 51.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
J. M. Clow pour l'appelante.
W. J. A. Hobson, c.r. et R. E. Taylor pour
l'intimée.
PROCUREURS:
Goodman and Carr, Toronto, pour l'appe-
lante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: La Cour est saisie d'un appel
qui porte uniquement sur la partie du jugement de
la Division de première instance [[1979] 2 C.F.
220] où il a été décidé que l'appelante [TRADUC-
TION] «. . . n'a pas le droit d'exclure de son revenu
imposable pour l'année 1968 la somme de $227,-
171 qui constitue le montant net des retenues de
garantie et des demandes de paiement partiel à
l'égard desquelles les architectes n'avaient pas
émis leur certificat au 31 juillet 1968.»
Les parties ont produit un exposé conjoint des
faits, en date du 1" novembre 1974, devant la
Division de première instance [à la page 221],
lequel porte (voir D.A., page 318):
[TRADUCTION] 1. Les parties conviennent qu'au 31 juillet 1968
la compagnie appelante avait $452,123 de créances qui ne
deviendraient exigibles qu'à l'émission des certificats des archi-
tectes et que les certificats en question n'étaient pas encore
émis à cette date.
2. Les parties conviennent en outre que l'appelante a grossi de
$57,426 le total de certaines de ses dettes arrêtées au 31 juillet
1968. Par ailleurs, elle a indûment inclus dans les frais qu'elle a
subis en 1968 la somme de $167,526 qu'elle devait à ses
sous-traitants pour les travaux qu'ils avaient exécutés pour son
compte, somme qui ne deviendrait exigible qu'à l'émission des
certificats par les architectes, lesquels certificats n'étaient pas
encore émis à cette date.
3. Eussent-ils été admis, ces calculs auraient pour effet de
diminuer de $227,171 le revenu de l'appelante en 1968, rédui-
sant ainsi à néant son revenu imposable de 1968 et créant une
perte qu'elle aurait pu déduire de son revenu imposable de
1967.
De plus, un témoin a été entendu au procès, soit
Robert Arthur Weavers, un fonctionnaire du
ministère du Revenu national, dont l'intervention a
conduit à l'établissement de la cotisation en litige.
Dans ses déclarations d'impôt sur le revenu pour
les années 1962 1969 inclusivement, l'appelante
a toujours tenu compte, dans le calcul de son
revenu, des retenues de garantie et des demandes
de paiement partiel non certifiées' qui demeu-
raient impayées à la fin de l'année d'imposition
(soit le 31 juillet de chacune des années mention-
nées ci-dessus). Pour ce qui est des années d'impo-
sition 1970 et 1971, l'appelante a exclu de ce
calcul les retenues de garantie tout en continuant
d'y inclure les demandes de paiement partiel non
certifiées. Le Ministre a émis de nouvelles cotisa-
tions le 29 décembre 1971 l'égard des déclara-
tions de l'appelante pour les années 1967 et 1968.
Ces nouvelles cotisations se rapportaient à de nom-
breux points qui ne sont plus contestés par les
parties. Le Ministre n'a toutefois pas émis une
nouvelle cotisation qui se rapporte à la question en
litige devant la Division de première instance et
devant cette Cour. En effet, le Ministre ne s'oppo-
sait pas à ce que l'appelante fasse état de ses
retenues de garantie et de ses demandes de paie-
ment partiel non certifiées à titre de créances et de
dettes, parce que l'expérience des années antérieu-
res lui avait enseigné que cette méthode avait pour
effet d'anticiper l'impôt et non de le différer. Cette
question a cependant été soulevée par l'appelante
le 15 mars 1972, lorsqu'elle a signifié des avis
d'opposition à l'égard des années d'imposition
1967 et 1968. Elle a, entre autres choses, revendi-
qué le droit de déduire $117,522 en 1967 et
$90,013 en 1968 titre de retenues de garantie à
recevoir éventuellement. Le Ministre n'ayant pas
donné suite à ses avis d'opposition, l'appelante a de
nouveau, le 14 mars 1974, fait valoir son droit
dans son avis d'appel à la Commission de révision
de l'impôt.
A l'audition de cet appel, l'avocat de l'appelante
a soutenu trois arguments principaux qui peuvent
se résumer comme suit:
1. Les créances recevables éventuellement par
un contribuable ne constituent pas un revenu
' J'emploie ici les mots «retenues de garantie» pour désigner
les retenues de garantie que prévoient les dispositions du
Mechanics' Lien Act, S.R.O. 1980, c. 261. Les mots «demandes
de paiement partiel non certifiées» désignent ici les demandes
de paiement partiel à l'égard desquelles les architectes n'ont pas
encore émis leur certificat.
imposable. A l'appui de ce principe, l'avocat de
l'appelante cite les arrêts Colford et Guay 2 .
2. Ni les principes comptables généralement
reconnus ni le fait que l'appelante ait toujours
déclaré ses revenus en se fondant sur une inter-
prétation erronée du droit, ne peuvent l'empor-
ter sur le principe juridique énoncé au paragra-
phe n° 1 ci-dessus.
3. Aucune fin de non-recevoir ne peut être oppo
sée à l'appelante lorsqu'elle exige d'être cotisée à
l'égard de son année d'imposition 1968 confor-
mément au principe énoncé au n° 1 ci-dessus.
J'examinerai d'abord le premier argument plaidé
par l'avocat de l'appelante, tel qu'il est résumé plus
haut. L'appelante soutient que les arrêts Colford
et Guay (précités) sont des précédents qui établis-
sent le principe juridique selon lequel un revenu
n'est recevable que s'il s'agit d'une somme à
l'égard de laquelle le contribuable a franchi toutes
les étapes nécessaires à l'établissement de son droit
de prendre action en vue de percevoir cette somme,
même si son droit d'action ne peut être exercé
immédiatement. L'appelante soutient donc que les
créances qui constituent seulement des sommes
éventuellement recevables par le contribuable, ne
forment nullement un revenu aux fins de l'impôt.
De plus, l'appelante soutient que le juge de pre-
mière instance a commis une erreur en droit lors-
qu'il a jugé que la méthode de déclaration du
revenu aux fins de l'impôt entérinée par les arrêts
Colford et Guay (précités), est une méthode per-
mise, mais nullement impérative. Dans Colford
(précité), le contribuable était un sous-entrepre
neur qui vendait et posait du matériel de plombe-
rie, de chauffage, de climatisation et de ventila
tion. Il recevait chaque mois de l'entrepreneur
principal des paiements partiels qui couvraient de
85% 90% de la valeur du travail effectué, alors
que l'entrepreneur principal conservait un solde de
10% 15%, selon le cas, à titre de retenue de
garantie'. Le paiement final intervenait lorsque le
2 M.R.N. c. John Colford Contracting Co. Ltd. [1960]
R.C.É. 433, confirmé par la Cour suprême du Canada à [ 1962]
R.C.S. viii; J. L. Guay Ltée c. M.R.N. [1971] C.F. 237.
' A la lecture du jugement rendu dans l'arrêt Colford, il me
semble évident que le juge y emploie l'expression «retenue de
garantie» au sens large et que cette expression comprend les
«demandes de paiement partiel non certifiées».
projet était terminé et que l'architecte ou l'ingé-
nieur nommé au contrat avait émis le certificat
attestant la conformité du travail. Pour l'année
d'imposition 1953, le contribuable n'avait pas
déclaré, à l'égard de trois contrats en cours, soit un
contrat important en Ontario et deux autres de
moindre importance au Québec, des paiements
partiels qu'il avait effectivement reçus et qui s'éle-
vaient à $80,000, ni des retenues de garantie qu'il
n'avait pas encore reçues et qui s'élevaient à
$67,000. La Cour a jugé en premier lieu que les
paiements totalisant $80,000, effectivement reçus
durant l'année 1953, étaient à bon droit imposa-
bles en 1953, conformément aux dispositions de la
Loi de l'impôt sur le revenu. De plus, la Cour a
jugé que la partie des retenues de garantie, à
l'égard de laquelle des certificats d'architectes ou
d'ingénieurs avaient été reçus pendant l'année
d'imposition 1953, était à bon droit imposable en
1953, à titre de «montants recevables» en 1953, au
sens de l'alinéa 85B(1)b) de la Loi de l'impôt sur
le revenu, S.R.C. 1952, c. 148 4 , et cela même si, en
vertu des dispositions du contrat, ces sommes
n'étaient pas payables pendant cette année d'impo-
sition. Toutefois, la Cour a jugé que l'autre partie
des retenues de garantie, celle à l'égard de laquelle
un certificat de l'ingénieur ou de l'architecte n'a
été émis que dans une année postérieure, ne consti-
tuait pas un «montant recevable» visé par ledit
alinéa 85B(1)b), précité.
Je crois qu'il est important de signaler que c'est
le Ministre qui, dans Colford (précité), cherchait à
inclure dans le revenu de l'année 1953 des «mon-
tants recevables» que la Cour a jugé ne pas consti-
tuer des «montants recevables», à cause de leur
caractère éventuel qui a été discuté plus haut. Je
° Cet alinéa 85B(1)b), tel que rédigé pendant l'année d'impo-
sition 1953, porte:
85B. (1) Dans le calcul du revenu d'un contribuable pour
une année d'imposition,
b) tout montant recevable à l'égard de biens vendus ou de
services rendus dans le cours de l'entreprise pendant l'an-
née doit être inclus, nonobstant le fait que le montant n'est
pas recevable avant une année subséquente, à moins que la
méthode adoptée par le contribuable pour le calcul du
revenu provenant de l'entreprise et acceptée aux fins de la
présente Partie ne l'astreigne pas à inclure, dans le calcul
de son revenu pour une année d'imposition, un montant
recevable, sauf s'il a été reçu dans l'année;
N.B.: Le même alinéa s'applique également à l'année d'imposi-
tion sous étude en l'espèce, soit l'année 1968.
conviens avec le juge de première instance que
l'arrêt Colford (précité) constitue un précédent à
l'appui du principe selon lequel un contribuable
peut exclure de telles sommes de son revenu. Tou-
tefois, en l'espèce, le contribuable n'a pas exclu ces
sommes d'aucune de ses déclarations pour les
années 1962 1969 inclusivement. D'après moi,
l'arrêt Colford (précité) n'a pas décidé que l'alinéa
85B(1)b) de la Loi interdit au contribuable de
choisir, comme en l'espèce, d'inclure les sommes
dont s'agit dans son année d'imposition 1968, et au
Ministre d'y consentir, comme en l'espèce. Je crois
que l'arrêt Colford (précité) ne peut être cité à
titre de précédent, lorsque les faits d'une affaire
sont semblables à ceux de l'espèce, que pour le
principe selon lequel le Ministre ne peut exiger que
le contribuable déclare les sommes en cause à titre
de revenus. Comme je le disais plus haut, la
méthode choisie par l'appelante et acceptée par le
Ministre a pour effet d'anticiper l'impôt et non de
le différer. Je suis dans l'incapacité de trouver quoi
que ce soit, dans l'arrêt Colford (précité) ou dans
les dispositions de la Loi, qui défende l'adoption de
cette méthode qui anticipe l'impôt. Selon moi,
l'alinéa 85B(1)b) n'interdit pas d'employer pareille
méthode. Cet alinéa n'exige du contribuable l'in-
clusion d'une somme que si elle constitue, en
droits, une somme recevable. L'alinéa n'édicte
aucune règle à l'égard des sommes qui ne consti
tuent pas des sommes recevables. En l'espèce, les
sommes en litige n'ont pas le caractère de sommes
recevables parce qu'elles n'étaient qu'éventuelle-
ment recevables au cours de l'année d'imposition
1968.
L'article 4 de la Loi de l'impôt sur le revenu
porte:
4. Sous réserve des autres dispositions de la présente Partie,
le revenu provenant, pour une année d'imposition, d'une entre-
prise ... est le bénéfice en découlant pour l'année.
Comme je l'ai précédemment mentionné, j'ai été
incapable de trouver d'«autres dispositions» de la
Loi qui interdiraient à l'appelante d'employer la
méthode dont elle s'est, en l'espèce, servie pour les
années d'imposition 1962 1969 inclusivement. En
conséquence, le calcul de ces bénéfices s'effectuera
5 J'emploie les mots »en droit» pour tenir compte de l'arrêt
Colford.
selon les principes comptables généralement recon-
nus 6 , lesquels exigent que la même méthode soit
employée d'année en année'. Je pense que ces
principes ont été respectés en l'espèce.
L'arrêt Guay cité plus haut n'a pour effet que de
confirmer le principe énoncé dans Colford (pré-
cité) et, selon moi, n'ajoute rien à ce principe et
n'en étend aucunement la portée. Alors que l'arrêt
Colford (précité) porte sur des sommes recevables,
l'arrêt Guay (précité) porte sur des sommes paya-
bles; toutefois, à mon avis, ces deux arrêts énon-
cent le même principe.
Quant au deuxième argument principal de l'ap-
pelante, formulé plus haut, je le rejette parce que
je ne peux souscrire à l'argument selon lequel les
déclarations de revenu uniformes de l'appelante
pendant les années 1962 à 1969 inclusivement
reposent sur une «interprétation erronée du droit».
Pour les motifs énoncés plus haut, je ne peux donc
souscrire à ce deuxième argument parce que sa
justesse se fonde nécessairement sur la justesse du
premier argument.
Quant au dernier argument de l'appelante selon
lequel aucune fin de non-recevoir ne peut lui être
opposée en l'espèce, son avocat s'appuie fortement
sur quatre jugements rendus par la Cour de l'Échi-
quier et par la Division de première instance'. Le
principe fondamental qu'énoncent ces quatre déci-
sions se trouve succinctement exposé comme suit
dans Phipson on Evidence, 8 e édition, à la page
667:
[TRADUCTION] Les fins de non-recevoir, quelles qu'elles
soient, restent cependant soumises à une règle générale: elles ne
peuvent aller à l'encontre des lois d'application générale ....
Ainsi, lorsqu'une loi impose des mesures particulières, aucune
fin de non-recevoir ne pourra valider son inobservation ....
J'estime, pour les motifs déjà exposés, que la
méthode choisie en l'espèce par l'appelante pour
déclarer son revenu, et acceptée par l'intimée, n'est
pas contraire au droit. En conséquence, le principe
juridique invoqué par l'appelante, qui est énoncé
6 Voir Dominion Taxicab Association c. M.R.N. [1954]
R.C.S. 82 la p. 85.
7 Voir Ostime (Inspector of Taxes) c. Duple Motor Bodies,
Ltd. [1961] 2 All E.R. 167 à la p. 175.
8 Western Smallware & Stationery Co. Ltd. c. M.R.N.
[1972] C.F. 437, par le juge Cattanach; Woon c. M.R.N.
[1951] R.C.E. 18, par le juge Cameron; Ken Steeves Sales
Limited c. M.R.N. [1955] R.C.E. 108, par le juge Cameron;
Moulds c. La Reine [1977] 2 C.F. 487, par le juge Marceau.
dans Phipson (précité) et qui se retrouve dans les
quatre décisions mentionnées ci-dessus, n'est en
l'espèce d'aucune pertinence.
Ayant conclu que rien n'empêche juridiquement
l'intimée d'invoquer une fin de non-recevoir, il me
reste seulement à déterminer si, en l'espèce, les
éléments essentiels d'une fin de non-recevoir ont
été prouvés. Sur ce point, je crois que le juge de
première instance a eu raison de juger que l'appe-
lante n'est plus recevable à changer l'imputation
des demandes de paiement partiel non certifiées
dans le calcul de ses bénéfices de l'année d'imposi-
tion 1968. Les éléments essentiels d'une fin de
non-recevoir ont souvent été formulés comme suit:
(1) une affirmation qui a pour but d'inciter la
personne à qui elle est faite à adopter une
certaine ligne de conduite;
(2) une action résultant de l'affirmation, de la
part de la personne à qui l'affirmation a été
faite; et
(3) un préjudice causé à cette personne, lequel
découle de cette action 9 .
Le juge de première instance a exposé comme suit
l'essentiel des faits relatifs à cette question [aux
pages 225 227] (voir D.A., aux pages 323 et
324):
La défenderesse a fait état dans sa déclaration d'impôt de
1968 d'un revenu basé sur des bénéfices dont le calcul tenait
compte des demandes de paiement partiel non certifiées qu'elle
a faites ou reçues. Elle a appliqué cette même méthode de
calcul de 1962 1971 inclusivement. Dans ses avis d'opposition
comme dans son avis d'appel devant la Commission de révision
de l'impôt, elle mentionnait les retenues de garantie comme
étant [TRADUCTION] «à recevoir éventuellement» et [TRADUC-
TION] «non légalement exigibles» au cours de ses années d'im-
position 1967 et 1968. Elle ne mentionnait pas les demandes de
paiement partiel non certifiées.
Les faits articulés aux paragraphes 3, 4 et 5 de l'avis d'appel
sont contraires à la vérité. La défenderesse n'a pas déduit des
retenues de garantie s'élevant à $117,552 et à $90,013 respecti-
vement en calculant ses revenus de 1967 et de 1968 et le
Ministre, par ses avis de nouvelle cotisation, n'a pas non plus
majoré son revenu de ces sommes. Il m'a fallu faire ces
constatations et citer ces paragraphes parce que la défenderesse
n'a pas jugé nécessaire dans cette action de les réitérer et s'est
contentée de prendre comme points de départ l'exposé conjoint
des faits et la décision de la Commission de révision de l'impôt.
La défenderesse avait certes indiqué en temps utile qu'elle
voulait modifier sa méthode de comptabilisation des retenues de
garantie, la nouvelle méthode pouvant alors s'appliquer à l'an-
née 1968 et une nouvelle cotisation pouvant être établie, le cas
9 Voir: Greenwood c. Martins Bank, Ltd. [1933] A.C. 51.
échéant, à l'égard de son revenu redressé de 1969. Elle avait
cependant indiqué trop tard qu'elle voulait modifier sa méthode
de comptabilisation des demandes de paiement partiel non
certifiées pour pouvoir appliquer la nouvelle méthode à l'année
1968 et permettre, le cas échéant, l'établissement d'une nou-
velle cotisation à l'égard de sa déclaration d'impôt de 1969. M.
Weavers a déposé qu'une application de cette nouvelle méthode
à l'année 1968, alors que l'établissement d'une nouvelle cotisa-
tion complémentaire n'était plus possible à l'égard de 1969,
résulterait en une perte de recettes fiscales, quoique le montant
exact de cette perte ne fût pas admis en preuve.
La défenderesse a déclaré ses bénéfices de 1968 et de 1969,
lesquels ont été calculés de la même manière. La demanderesse
s'est basée sur ces déclarations pour lui fixer les cotisations
qu'elle devait pour ces deux années. Permettre à la défenderesse
de modifier la méthode de calcul de ses bénéfices de 1968 et de
contredire ainsi les déclarations sur lesquelles s'est basée la
demanderesse, créera une situation dans laquelle cette dernière
aurait agi à l'encontre de ses propres intérêts.
La défenderesse cherche essentiellement à appliquer à son
année d'imposition 1968 une nouvelle méthode de comptabilisa-
tion de ses bénéfices sans toutefois appliquer la même méthode
à l'année 1969, ce qui est illogique et, à mon avis, tout à la fois
contraire à la loi.
Selon moi, la preuve dont disposait le juge de
première instance l'autorisait à tirer les conclu
sions de fait et à faire les déductions que rapporte
son jugement. A la lumière des faits de l'espèce, je
pense qu'il n'a pas commis une erreur en droit
lorsqu'il a décidé d'accueillir la fin de non-rece-
voir. Toutefois, l'appelante a soutenu que la preuve
produite démontre clairement que l'intimée con-
naissait ou devait connaître, avant que le droit
d'émettre une nouvelle cotisation à l'égard de l'an-
née d'imposition 1969 ne soit prescrit conformé-
ment aux dispositions de la loi, l'intention de l'ap-
pelante de changer sa méthode de déclarer les
demandes de paiement partiel non certifiées. Ni la
preuve testimoniale ni la preuve documentaire
n'établit cela. A la lecture de la preuve écrite, il est
évident qu'alors que l'appelante a soulevé cette
question le 15 mars 1972 dans ses avis d'opposi-
tion, à l'égard des retenues de garantie éventuelle-
ment recevables, elle n'a soulevé la question des
demandes de paiement partiel non certifiées qu'en
novembre 1974, lorsqu'elle a produit auprès de la
Commission de révision de l'impôt son avis d'appel
modifié. Les avocats des deux parties ont admis
que le droit d'émettre une nouvelle cotisation, à
l'égard de l'année d'imposition 1969, a été prescrit
en vertu de la loi pendant les mois de l'été 1974,
soit avant la production de l'avis d'appel modifié
ou la préparation de l'exposé conjoint des faits.
Ces dates sont importantes parce que l'appelante
n'a modifié son affirmation initiale qui a incité
l'intimée à adopter la ligne de conduite qu'elle a
suivie qu'après qu'il eut été trop tard pour que
l'intimée puisse éviter de subir le préjudice et la
perte de revenus qui en ont découlé. J'ai également
lu en entier le témoignage rendu à l'audience
par Weavers, ce qui m'a convaincu qu'à aucun
moment avant le 1" novembre 1974, ce témoin n'a
cru, à partir de ses échanges avec les mandataires
de l'appelante, que celle-ci avait l'intention de
demander ou qu'elle avait demandé de changer sa
méthode de déclarer les demandes de paiement
partiel non certifiées.
Par tous ces motifs, je rejette l'appel avec
dépens.
LE JUGE LE DAIN: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: Je souscris à ces
motifs.
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