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A-160-81
Manitoba Pool Elevators (requérante) c.
Le Conseil canadien des relations du travail, le Syndicat des services du grain (C.T.C.) (intimés)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juge Heald et juge suppléant Lalande—Winnipeg, 22 octobre; Ottawa, 13 novembre 1981.
Contrôle judiciaire Demandes d'examen Relations du travail Demandes d'annulation d'ordonnances du Conseil canadien des relations du travail Le Conseil a jugé que par son offre de postes de cadre à certains employés, l'employeur requérant était animé par le désir d'exclure des employés du Syndicat intimé L'art. 184(1 Ja) du Code canadien du travail interdit à un employeur de s'ingérer dans la représentation des employés par un agent négociateur Le Conseil a ordonné que les contrats de direction soient résiliés ab initio dans la mesure ils entraient en conflit avec la convention collective et avec les conditions d'emploi, mais il n'a pas ordonné la résolution des contrats de vente de matériel en découlant La détermination de la question de savoir si les employés en question étaient des «employés» selon la définition qu'en donne le Code n'est pas une condition préalable à l'exercice par le Conseil de son pouvoir de décider si une pratique déloyale en matière de relations de travail a été commise Il échet d'examiner si le Conseil n'avait pas le pouvoir de dissocier les contrats de vente de matériel des contrats de direction Demandes rejetées Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, art. 28 Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, art. 107, 108, 118p)(i),(ii), 121, 184(1)a), 187(1 Ja), 188, 189.
Demandes tendant à l'examen et à l'annulation d'une ordon- nance du Conseil canadien des relations du travail modifiant une ordonnance antérieure, et de l'ordonnance antérieure. L'employeur requérant a, en l'absence d'un représentant syndi- cal, réuni 15 employés qui étaient membres d'une unité de négociation dont le Syndicat intimé était l'agent négociateur. On a offert des contrats de direction à ces employés, et ces derniers les ont acceptés. Certains d'entre eux ont également conclu avec l'employeur des contrats de vente de matériel. Le Conseil a conclu que l'employeur était animé par le désir d'exclure les directeurs d'élévateurs du Syndicat. Le Conseil a décidé qu'il s'agissait d'un motif interdit et que la requérante contrevenait à l'alinéa 184(1)a) du Code canadien du travail qui interdit à un employeur de s'ingérer dans la représentation des employés par un agent négociateur. Le Conseil a ordonné à l'employeur de reconnaître le Syndicat en tant qu'agent négo- ciateur exclusif et d'annuler toute mesure prise en vue d'exclure les employés en question de l'unité de négociation. Le Conseil a déclaré que ces employés étaient liés par la convention collec tive la plus récente, et a ordonné à l'employeur de reconnaître et de respecter ses obligations, aux termes de la convention, comme si ces employés n'avaient jamais été considérés comme exclus de l'unité de négociation. Finalement, le Conseil a ordonné que tous les contrats de travail individuels, à l'excep- tion de ceux portant sur des ventes de matériel, soient résiliés ab initio dans la mesure ils entraient en conflit avec les
dispositions de la convention collective. L'employeur fait valoir que le Syndicat n'était pas l'agent négociateur des employés occupant ces nouveaux postes, lesquels étaient des postes de cadre exclus de l'unité de négociation, et que ne s'étant pas demandé si les employés occupant de tels postes étaient des employés au sens du paragraphe 107(1) du Code, le Conseil a ainsi passé outre à une question préalable essentielle à l'exer- cice de la compétence lui permettant de déclarer que la requé- rante avait enfreint l'alinéa 184(1)a) du Code. Le second argument est que le Conseil n'avait pas le pouvoir de dissocier les achats de matériel des contrats de direction.
Arrêt: les demandes sont rejetées.
Le juge en chef Thurlow (le juge suppléant Lalande souscri- vant): Ces personnes étaient des employés au sens de la Loi ainsi que des membres de l'unité de négociation représentée par le Syndicat au moment ont commencé les agissements ayant fait l'objet de plaintes. Elles sont demeurées des employés au sens de la Loi au moins jusqu'au moment de la signature des contrats conclus avec la requérante. Ce sont les gestes posés par cette dernière durant cette période que le Conseil a jugés contraires à l'alinéa 184(1)a). Le Conseil avait effectivement le pouvoir de déterminer si cette conduite constituait de l'ingé- rence en ce qui concerne la représentation des employés par le Syndicat. Il n'était pas essentiel de déterminer la situation de ces particuliers après la signature de leur contrat de direction. Après avoir constaté que l'employeur avait enfreint l'alinéa 184(1)a), le Conseil avait le pouvoir d'appliquer les mesures prévues à l'article 189, qui prévoit que le Conseil peut, par ordonnance, requérir une partie de se conformer à. cet article et exiger du contrevenant de faire ou de s'abstenir de faire toute chose qu'il est juste de lui enjoindre de faire ou de ne pas faire pour remédier à la situation. Le Conseil a tout d'abord déclaré l'employeur coupable de l'infraction et lui a ordonné ensuite d'annuler toute mesure prise en vue de faire de ces employés des directeurs et de les reprendre à des postes compris dans l'unité de négociation. Le Conseil disposait, aux termes de l'article 189, du pouvoir de rendre une telle ordonnance. Pour ce qui est du second point litigieux, l'ordonnance prise dans son ensemble exige de l'employeur qu'il consente à la résolution des contrats de direction, mais ne prévoit rien quant aux droits de ce dernier d'être relevé de son engagement d'acheter le maté riel. L'ordonnance n'exige donc pas de l'employeur qu'il résolve ou accepte de résoudre les contrats d'achat de matériel. Dans un même temps cependant, cette ordonnance n'exclut ni n'en- trave expressément l'exercice par l'employeur de son droit d'exiger que chaque particulier consente, comme condition de résolution des contrats de direction, à la résolution des contrats d'achat de matériel. Le Conseil, qui n'a pas rendu d'ordonnance relativement à ces contrats d'achat de matériel, n'a pas outre- passé les limites de sa compétence en faisant allusion aux droits que l'employeur pourrait exercer à l'égard des contrats précités en cas de résolution des contrats de direction.
Le juge Heald dissident en partie: Le Conseil a voulu décla- rer les contrats d'emploi en question résiliés ab initio dans la mesure ils entraient en conflit avec les dispositions de la convention collective et les conditions d'emploi des membres de l'unité de négociation. La prétendue résolution partielle du contrat d'embauche est prononcée en des termes à ce point vagues et équivoques qu'elle n'a aucun sens. La personne contre laquelle une ordonnance est rendue par un organisme possédant des pouvoirs aussi étendus que ceux du Conseil a le droit de
savoir avec une certaine précision ce qu'on lui ordonne exacte- ment de faire ou de s'abstenir de faire. Nulle part dans le Code on autorise le Conseil à résoudre la totalité ou une partie d'un contrat conclu entre deux parties sans obtenir au préalable leur consentement respectif. Le Conseil a fait erreur en incluant dans son ordonnance le paragraphe portant sur la résolution ab initio. Ce paragraphe est à ce point déraisonnable qu'il demande une intervention judiciaire, et il doit être annulé.
Jurisprudence: arrêts suivis: Union internationale des employés des services, local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association [1975] 1 R.C.S. 382; Le Syndi- cat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. La Société des alcools du Nouveau-Brunswick [1979] 2 R.C.S. 227.
DEMANDES de contrôle judiciaire. AVOCATS:
W. D. Hamilton pour la requérante.
N. W. Sherstobitoff, c.r., pour l'intimé le Conseil canadien des relations du travail. Gwen Gray pour l'intimé le Syndicat des ser vices du grain (C.T.C.).
PROCUREURS:
Thompson, Dorfman, Sweatman, Winnipeg, pour la requérante.
Sherstobitoff, Hrabinsky, Stromberg & Young, Saskatoon, pour l'intimé le Conseil canadien des relations du travail.
Kuziak & Gray, Regina, pour l'intimé le Syn- dicat des services du grain (C.T.C.).
Ce gui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Il s'agit en l'es- pèce d'une demande fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10, tendant à l'examen et à l'annulation de l'ordonnance rendue le 6 mars 1981 ou vers cette date par le Conseil canadien des relations du tra vail par suite d'une demande d'examen d'une ordonnance antérieure rendue le 13 janvier 1981 ou vers cette date. La Cour est aussi saisie d'une demande d'examen de la décision qui est à l'ori- gine de l'ordonnance antérieure. Cependant, comme l'ordonnance du 6 mars 1981 est venue remplacer les paragraphes en vigueur de l'ordon- nance antérieure, seule l'ordonnance la plus récente sera examinée.
Les seuls motifs donnant lieu à un examen fondé sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale en ce
qui a trait à l'ordonnance du Conseil sont ceux qui sont énumérés à l'alinéa 28(1)a) de cette Loi. Aux termes de cette disposition, le recours prévu n'est possible que lorsque le Conseil «n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence». L'article 122 du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, empêche l'examen des ordonnances du Conseil pour tous les autres motifs mentionnés au paragra- phe 28(1).
Le Conseil canadien des relations du travail a rendu l'ordonnance en litige à la suite de plaintes déposées par le Syndicat intimé les 25 et 31 octo- bre 1979. Le Syndicat reprochait à la requérante d'avoir contrevenu à l'alinéa 184(1)a) ainsi qu'à d'autres dispositions du Code canadien du travail, notamment en réunissant, en l'absence d'un repré- sentant du Syndicat et malgré les protestations de ce dernier, 15 employés qui étaient, à ce moment-là, membres d'une unité de négociation dont le Syndicat était l'agent négociateur, en offrant à ces employés de nouveaux contrats d'em- ploi à des postes qui, de l'avis de la requérante, étaient exclus de l'unité de négociation et en exi- geant de ces 15 employés qu'ils signent, si l'offre les intéressait, des contrats de direction au plus tard le 12 octobre 1979, délai qui fut ultérieure- ment prolongé jusqu'au 26 octobre 1979. Avant même que le Conseil eût terminé d'instruire et de juger les plaintes déposées devant lui, les 15 employés visés avaient déjà signé les contrats qui leur étaient offerts. Certains d'entre eux avaient en outre conclu avec la requérante des contrats de vente de matériel servant à leurs activités commer- ciales connexes, matériel que la requérante se pro- posait de reprendre à son compte dans le cadre de son programme de restructuration du système de gestion des activités de ses principaux élévateurs régionaux.
Au terme de six jours d'audience, le Conseil, dans des motifs comportant une vingtaine de pages, déclarait ce qui suit:
La création et l'attribution des soi-disant postes exclus, dési- gnés sous le nom de directeur de centre de services, ne peuvent représenter, à notre avis, la progression normale, «échelon par échelon» jusqu'au poste de direction, qui s'applique aux employés de l'unité de négociation. Autrement dit, les circons- tances entourant lesdites nominations ont amené le Conseil à conclure que l'intimé était animé par le désir que lui attribuait le requérant dans ses représentations, à savoir celui d'exclure les directeurs d'élévateurs du syndicat. Le Conseil conclut qu'il
s'agit d'un motif interdit et, qu'en mettant en ouvre son projet de restructuration pendant les mois de septembre et octobre 1979, l'intimé s'ingérait dans le rôle du requérant qui est de représenter les directeurs d'élévateurs, membres de son unité de négociation. L'intimé enfreint donc l'alinéa 184(1)a) du Code qui interdit à un employeur de s'ingérer dans la représentation des employés par un agent négociateur.
Après avoir exposé les diverses étapes du litige, le Conseil a rendu une ordonnance comportant les conditions qui suivent:
(I) le Conseil déclare que l'employeur a enfreint l'alinéa 184(1)a) du Code canadien du travail (Partie V—Relations industrielles);
(2) le Conseil ordonne que l'employeur reconnaisse le syndicat en tant qu'agent négociateur exclusif des quinze particuliers;
(3) le Conseil ordonne à l'employeur d'annuler toute mesure prise en vue d'exclure les quinze particuliers de l'unité de négociation pour laquelle le syndicat est l'agent négociateur accrédité;
(4) le Conseil déclare que les quinze particuliers sont liés par la convention collective la plus récente conclue entre l'employeur et l'agent négociateur;
(5) le Conseil ordonne que l'employeur reconnaisse et respecte ses obligations, aux termes de la convention collective la plus récente, à l'égard de ces quinze membres de l'unité de négocia- tion, comme s'ils n'avaient jamais été considérés comme exclus de l'unité de négociation;
(6) pour assurer la réalisation des objectifs de la Partie V du Code canadien du travail et pour parer plus précisément à toute conséquence de la non-conformité au Code par l'employeur, qui pourrait être défavorable à la réalisation des objectifs, le Con- seil ordonne, en plus des autres redressements précisés, que tous les contrats de travail individuels entre l'employeur et les quinze particuliers soient résiliés ab initio dans la mesure ils entrent en conflit avec les dispositions de la convention collec tive et avec les conditions d'emploi des employés faisant partie de l'unité de négociation pour laquelle le syndicat est l'agent négociateur exclusif; par mesure de précision, l'ordonnance du Conseil n'annule ni ne vise à influer sur toute disposition, ou toute transaction en découlant, d'un contrat de direction conclu entre l'employeur et les quinze particuliers, en ce qui a trait à la vente, au transfert ou à tout autre acte lié à la propriété, ou toute obligation ou tout droit acquis en ce qui a trait audit matériel.
Le principal reproche dirigé contre cette ordon- nance, et le seul d'ailleurs à être débattu par les avocats, avait trait au fait que le Syndicat n'était pas l'agent négociateur des employés occupant ces nouveaux postes, lesquels étaient des postes de cadre exclus de l'unité de négociation. On repro- chait au Conseil de ne pas s'être demandé si les employés occupant de tels postes étaient des employés au sens de la définition d'«employé» du paragraphe 107(1) du Code canadien du travail et d'avoir ainsi passé outre à une question préalable
essentielle à l'exercice de la compétence qui lui avait permis de déclarer que la requérante avait enfreint l'alinéa 184(1)a) du Code. Toutefois, ces 15 personnes étaient des employés au sens de la Loi ainsi que des membres de l'unité de négocia- tion représentée par le Syndicat au moment ont commencé les agissements ayant fait l'objet de plaintes devant le Conseil. Elles sont demeurées des employés au sens de la Loi au moins jusqu'au moment de la signature des contrats conclus avec la requérante. Ce sont les gestes posés par cette dernière durant cette période que le Conseil a jugés contraires à l'alinéa 184(1)a). A la lumière de ces faits, j'estime que le Conseil avait effective- ment le pouvoir de déterminer si la conduite de la requérante constituait de l'ingérence en ce qui concerne la représentation des employés par le Syndicat. Il m'apparaît par ailleurs impossible d'affirmer que le Conseil n'avait pas la compétence pour trancher la question comme il l'a fait. A mon avis, il n'était pas essentiel que le Conseil se pro- nonce d'abord sur la situation des 15 particuliers après la signature de leur contrat de direction avant de pouvoir rendre sa décision.
Après avoir constaté que la requérante avait enfreint l'alinéa 184(1)a) en s'ingérant dans la représentation des 15 particuliers par le Syndicat, le Conseil avait le pouvoir d'appliquer les mesures prévues à l'article 189 à l'égard d'une telle infrac tion, c'est-à-dire:
189.... il peut, par ordonnance, requérir ladite partie de se conformer à ce paragraphe ou à cet article et ...
... afin d'assurer la réalisation des objectifs de la présente Partie, le Conseil peut, à l'égard de toute infraction à quelque disposition visée par le présent article, exiger d'un employeur ou d'un syndicat, par ordonnance, de faire ou de s'abstenir de faire toute chose qu'il est juste de lui enjoindre de faire ou de s'abstenir de faire afin de remédier ou de parer à toute consé- quence défavorable à la réalisation des objectifs susmentionnés que pourrait entraîner ladite infraction, et ce en plus ou à la place de toute ordonnance que le Conseil est autorisé à rendre en vertu du présent article.
Selon moi, dans les 5 premiers paragraphes de son ordonnance, le Conseil a d'abord déclaré l'em- ployeur coupable de l'infraction et lui a ensuite ordonné d'annuler toute mesure prise en vue de faire des 15 particuliers visés des directeurs de centre de services et de les reprendre à des postes compris dans la catégorie des directeurs d'éléva- teurs régionaux, laquelle constitue l'unité de négo-
ciation dont ils étaient membres. A mon avis, le Conseil disposait, aux termes de l'article 189, du pouvoir de rendre une telle ordonnance et il n'avait pas à se prononcer au préalable sur la question de savoir si les 15 particuliers visés auraient été en leur qualité de directeurs de centre de services, des personnes qui exercent des fonctions de direction au sens l'entend la définition du mot employé à l'article 107 du Code canadien du travail. L'argu- ment de la requérante est par conséquent irrecevable.
Dans son mémoire, la requérante a soulevé un autre argument qu'elle n'a pas débattu mais qu'elle n'a pas pour autant abandonné. Au dire de la requérante, le Conseil n'avait pas le pouvoir de dissocier les achats de matériel des contrats de direction. Le Conseil traite de cette question au paragraphe 6 de son ordonnance. Il y ordonne que tous les contrats de direction soient résiliés ab initio «dans la mesure ils entrent en conflit avec les dispositions de la convention collective et avec les conditions d'emploi des employés faisant partie de l'unité de négociation pour laquelle le syndicat est l'agent négociateur exclusif», mais il exclut explicitement «par mesure de précision» les ventes de matériel à la requérante conclues en même temps que les contrats de direction.
Voici le texte du passage de l'ordonnance du Conseil qui traite de cette question:
Reconnaissant d'abord et avant tout l'autorité du syndicat, le Conseil ordonne à l'employeur de faire tout ce qui est néces- saire pour annuler les mesures qu'il a prises dans sa tentative d'exclure les directeurs de station de l'unité de négociation. Ces mesures comprennent la résiliation des contrats individuels conclus avec les directeurs de station, puisque lesdits contrats vont à l'encontre même des dispositions de la convention collec tive qui s'appliquent à eux. En ce qui concerne les contrats d'achat ou de vente d'épandeurs et d'autre matériel agricole, contrats conclus entre l'intimé et les directeurs de centre de services, le Conseil ne sait pas si quelqu'un tient à ce qu'il les examine. Aussi, comme il est d'avis que ces ententes ne font pas l'objet d'un litige entre les parties, il a décidé de ne pas intervenir à ce sujet. En outre, le Conseil ne rendra pas pour le moment d'ordonnance officielle prévoyant des directives préci- ses. Il tient en effet à donner à l'employeur la chance de prendre les mesures qui s'imposent sans qu'il doive rendre une ordonnance officielle. Toutefois, le Conseil se réserve le droit de rendre une telle ordonnance si les circonstances l'y obligent.
Il y a plusieurs faits qui méritent d'être souli- gnés au sujet du paragraphe 6 de l'ordonnance. Ce paragraphe tend manifestement à la résolution des contrats de direction. Toutefois, l'article 189 ne
confère aucunement au Conseil le pouvoir de résoudre un contrat. Cette disposition ne l'autorise qu'à exiger d'un employeur ou d'un syndicat de faire ou de s'abstenir de faire toute chose qu'il est juste de lui enjoindre de faire ou de s'abstenir de faire, afin de remédier ou de parer à toute consé- quence que pourrait entraîner une infraction à la Loi. Il est possible, je crois, d'interpréter le para- graphe 6 de façon à y voir une ordonnance exi- geant de la requérante qu'elle annule les contrats de direction, bien qu'une telle interprétation semble rendre le paragraphe redondant puisque le Conseil a déjà exercé son pouvoir d'exiger de la requérante qu'elle annule les contrats de direction et rétablisse le status quo ante aux paragraphes 3, 4 et 5 de son ordonnance. Dans son ensemble, le paragraphe 6 apparaît donc, si le Conseil était compétent pour l'inclure dans les conditions de son ordonnance, conclusion à laquelle je crois que la Cour doit arriver si possible, inutile eu égard au but visé par ladite ordonnance.
Deuxièmement, le Conseil emploie au paragra- phe 6 une expression qui semble envisager une résolution partielle ou limitée des contrats de direction. Il est aisé de concevoir qu'un organisme compétent puisse résoudre ou annuler une partie seulement d'une ordonnance rendue par lui ou par un organisme inférieur. Toutefois, un contrat de services est, par essence, un contrat synallagmati- que et ne peut, selon moi, être résolu que totale- ment ou pas du tout. De plus, il ressort nettement de la portée des paragraphes précédents que le but visé était la résolution complète des contrats de direction et le rétablissement du status quo ante en ce qui concerne les employés.
Troisièmement, l'ordonnance exigeant que la requérante annule les contrats de direction ne peut, à mon avis, avoir d'effet que du consente- ment de chacun des 15 particuliers visés. Ces derniers pourraient manifester leur consentement en reconnaissant le Syndicat comme leur agent négociateur ou en acceptant la résolution des con- trats de direction.
Finalement, la résolution d'un contrat ne peut, selon moi, être équitable que dans la mesure les deux parties sont remises, autant que faire se peut, en l'état elles se trouvaient avant la signature dudit contrat. Conséquemment, comme l'une des raisons qui ont incité les parties à conclure les
contrats de direction était l'engagement pris par la requérante d'acheter du matériel, cette dernière devrait à la fois être relevée de cet engagement, au titre de condition de la résolution des contrats de direction, et obtenir la résolution de ces contrats.
A mon avis, l'ordonnance prise dans son ensem ble exige de la requérante qu'elle consente à la résolution des contrats de direction, mais ne pré- voit rien quant aux droits de cette dernière d'être relevée de son engagement d'acheter le matériel. L'ordonnance n'exige donc pas de l'employeur qu'il résolve ou accepte de résoudre les contrats d'achat de matériel. Dans un même temps cepen- dant, cette ordonnance n'exclut ni n'entrave expressément l'exercice par la requérante de son droit d'exiger que chaque particulier consente, comme condition de résolution des contrats de direction, à la résolution des contrats d'achat de matériel. J'estime donc que le Conseil, qui n'a pas rendu d'ordonnance relativement à ces contrats d'achat de matériel, n'a pas outrepassé les limites de sa compétence en faisant allusion aux droits que la requérante pourrait exercer à l'égard des con- trats précités en cas de résolution des contrats de direction.
Je rejetterais les demandes.
* * *
Ce que suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD (dissident en partie): Les pré- sents motifs ont trait à deux demandes fondées sur l'article 28. La demande A-775-80 tend à l'exa- men et à l'annulation d'une décision rendue par le Conseil intimé le 22 octobre 1980. La demande A-160-81 tend pour sa part à l'examen et à l'annu- lation d'une décision rendue par le Conseil intimé le 6 mars 1981. Comme la décision qu'a rendue le Conseil le 6 mars 1981 est venue modifier sa décision du 22 octobre 1980, en conformité du pouvoir qu'a le Conseil, en vertu de l'article 119 du Code canadien du travail, «de reviser, annuler ou modifier» toute décision ou ordonnance qu'il a rendue, les motifs qui suivent se rapportent à la plainte dirigée contre la décision du 22 octobre 1980, modifiée par celle du 6 mars 1981.
Une convention collective liait le Syndicat intimé et la requérante durant la période perti-
nente (du Zef août 1978 au 31 juillet 1980). Étaient visés par cette convention collective, tous les employés de la requérante travaillant aux éléva- teurs régionaux du Manitoba et faisant partie de la catégorie des directeurs et directeurs adjoints d'élévateurs régionaux, les aides occasionnels étant toutefois exclus. Dans une lettre du 17 septembre 1979, la requérante a informé le Syndicat intimé de son projet de restructuration du système d'ex- ploitation de ses 15 principaux élévateurs régio- naux au Manitoba. Ce projet prévoyait la mise sur pied de «centres de services» et la création d'un nouveau poste exclu, celui de «directeur de centre de services». La requérante a souligné que ces nouveaux postes seraient d'abord offerts aux direc- teurs d'élévateurs déjà en poste dans les 15 stations visées. Les 15 directeurs en question étaient tous assujettis à la convention collective. Avant la modification proposée, c'était le directeur d'éléva- teur qui occupait le poste supérieur dans chacune de ces stations. Aux termes du projet de restructu- ration envisagé, le directeur de centre de services serait lié à la requérante en vertu d'un contrat en due forme. Ses fonctions seraient plus variées et d'une portée plus étendue que celles du directeur d'élévateur. En dépit des protestations du Syndi- cat, la requérante convia les 15 directeurs d'éléva- teurs visés à une réunion le 20 septembre 1979. Elle leur présenta alors certains documents dont un projet de contrat de direction. La requérante informa les directeurs d'élévateurs de son intention de leur offrir ces postes en priorité et de leur faire signer un contrat de direction avec la compagnie. Les 15 directeurs d'élévateurs sans exception signèrent un contrat de direction pour obtenir un poste de directeur de centre de services. La clause 7 de ce contrat se lit comme suit (voir le dossier conjoint, Vol. II, page 235):
[TRADUCTION] 7. La compagnie s'engage à fournir au direc- teur les installations et le matériel qui, selon elle, sont nécessai- res à l'exploitation du centre de services. Dans les cas le directeur possède déjà (ou est en train de se procurer) le matériel jugé nécessaire aux activités du centre, le présent contrat comprendra en annexe une entente distincte prévoyant les modalités d'une éventuelle vente dudit matériel par le directeur.
Après avoir signé le présent contrat, le directeur s'engage à ne pas se procurer personnellement le matériel nécessaire à l'ex- ploitation du centre.
Conformément à ladite clause 7, les directeurs qui possédaient déjà ou étaient en train de se procurer le matériel jugé nécessaire à l'exploitation du
centre l'ont vendu à la requérante. Un exemple de ce type d'entente distincte figure aux pages 231 à 234 inclusivement du dossier conjoint, Vol. II.
Le 25 octobre 1979, le Syndicat a saisi le Con- seil d'une plainte faisant état de pratiques déloya- les de la part de la requérante. Il prétendait que celle-ci avait enfreint les articles 136(1)a), 184(1)a), 184(3)b), 184(3)e) et 186 du Code canadien du travail.
Par suite des audiences tenues en rapport avec ces accusations, le Conseil a reconnu la compagnie coupable d'avoir enfreint l'alinéa 184(1)a) du Code canadien du travail'. Après un exposé détaillé des faits en litige, le Conseil a conclu comme suit (voir le dossier conjoint, Vol. V, page 705):
La création et l'attribution des soi-disant postes exclus, dési- gnés sous le nom de directeur de centre de services, ne peuvent représenter, à notre avis, la progression normale, «échelon par échelon» jusqu'au poste de direction, qui s'applique aux employés de l'unité de négociation. Autrement dit, les circons- tances entourant lesdites nominations ont amené le Conseil à conclure que l'intimé était animé par le désir que lui attribuait le requérant dans ses représentations, à savoir celui d'exclure les directeurs d'élévateurs du syndicat. Le Conseil conclut qu'il s'agit d'un motif interdit et, qu'en mettant en oeuvre son projet de restructuration pendant les mois de septembre et octobre 1979, l'intimé s'ingérait dans le rôle du requérant qui est de représenter les directeurs d'élévateurs, membres de son unité de négociation. L'intimé enfreint donc l'alinéa 184(1)a) du Code qui interdit à un employeur de s'ingérer dans la représentation des employés par un agent négociateur.
Dans un premier temps, la requérante soutient que le Conseil a outrepassé les limites de sa compé- tence en refusant de se prononcer sur une question essentielle à l'exercice de ses pouvoirs, savoir la question de déterminer si les directeurs de centre de services intéressés étaient des Remployés» au sens de la Partie V du Code. Pour étayer cet argument, la requérante s'appuie sur le passage des motifs du Conseil qui se lit comme suit (voir le dossier conjoint, Vol. V, pages 706 et 707):
Bien que le Conseil ait ordonné à l'employeur de résilier les contrats individuels pour se conformer à l'alinéa 184(1)a) du Code, il ne croit pas qu'il soit nécessaire de tirer une conclusion
' Ledit alinéa 184(1)a) se lit comme suit:
184. (1) Nul employeur et nulle personne agissant pour le compte d'un employeur ne doit
a) participer à la formation ou à l'administration d'un syndicat ou à la représentation des employés par un syndi- cat, ni s'y ingérer; ...
indiquant si l'intimé a réussi, par le biais de ces contrats individuels, à exclure les employés de l'unité de négociation parce qu'ils étaient devenus grâce à ses démarches des person- nes exerçant des fonctions de direction. A notre avis, que l'intimé ait réussi ou non, les mesures qu'il a prises, dans sa tentative de détruire l'intégrité de l'unité de négociation, étaient elles-mêmes contraires à l'alinéa 184(1)a). Enfin, ayant cons- taté qu'effectivement il y a eu violation du Code et ayant ordonné le redressement des torts causés, le Conseil conclut qu'il est inutile de trancher la question de savoir si les employés étaient devenus des personnes exerçant des fonctions de direction.
La requérante a poursuivi son raisonnement comme suit: aux termes de l'article 108 du Code, la Partie V dudit Code (Partie traitant des rela tions industrielles) s'applique entre autres «aux employés dans le cadre d'une entreprise fédérale». En vertu de l'alinéa 184(1)a) qui figure lui aussi dans ladite Partie V du Code, se rend coupable d'une infraction, tout employeur ou toute personne agissant pour le compte de ce dernier qui participe, entre autres, à la «représentation des employés par un syndicat ...» ou qui s'y ingère. Le paragraphe 107 (1) du Code qui définit le mot «employé» aux fins de la Partie V, exclut expressément, entre autres, «une personne qui participe à la direc tion ...». Les sous-alinéas 118p)(i) et (ii) donnent au Conseil le pouvoir de déterminer, entre autres, au cours de toute procédure tenue devant lui, si une personne est un employé ou si une personne participe à la direction. Conséquemment, eu égard aux dispositions de la loi que nous venons de citer et au fait que le Conseil avait le pouvoir de décider si les directeurs de centre de services en cause étaient visés par la définition que le Code donne au mot «employé», ou s'ils en étaient par ailleurs exclus parce qu'ils participaient «à la direction», la requérante soutient que le Conseil était tenu de trancher cette question essentielle, selon elle, à l'exercice de son pouvoir d'instruire et de juger si la Manitoba Pool s'était rendue coupable de prati- ques déloyales. Dès lors, comme le Conseil n'avait pas répondu à ladite question par l'affirmative, la condition préalable à l'exercice de sa compétence n'avait pas été remplie et il était donc incompétent pour connaître du litige. Je ne partage pas cet avis.
Dans la plainte de pratiques déloyales qu'il a portée contre la requérante, le Syndicat soutient, entre autres, qu'il y a eu contravention à l'alinéa 184(1)a) du Code canadien du travail. L'alinéa
187(1)a) prévoit et autorise le dépôt d'une plainte de cette nature. Le Conseil avait le devoir, confor- mément à l'article 188, d'instruire et de juger la plainte. Le Syndicat et l'employeur requérant avaient un intérêt suffisant en ce qui concerne l'enquête relative à la plainte. L'objet général de la plainte, c'est-à-dire, la présumée ingérence de la requérante dans la représentation des employés par l'agent négociateur dûment accrédité, en l'occur- rence le Syndicat intimé, est clairement prévu dans le Code, à son alinéa 184(1)a) plus précisément. En outre, l'objet du présent litige en est un à l'égard duquel le Conseil peut tenir une enquête. Je conclus donc qu'en l'espèce le Conseil avait «compétence dans le sens strict du pouvoir de procéder à une enquêtent ou, comme le disait le juge Dickson dans l'affaire La Société des alcools du Nouveau-Brunswick 3 :
... la Commission a tranché une question qui lui revenait pleinement et qu'il appartenait à elle seule de trancher dans les limites de sa compétence.
A mon avis, comme le Conseil était compétent pour trancher une question qui lui revenait de plein droit, il n'était pas tenu de déterminer si les 15 directeurs de centre de services étaient des «employés» aux termes des définitions du Code précitées avant d'exercer sa compétence. Selon moi, la conclusion du Conseil selon laquelle a... que l'intimé ait réussi ou non, les mesures qu'il a prises, dans sa tentative de détruire l'intégrité de l'unité de négociation, étaient elles-mêmes contrai- res à l'alinéa 184(1)a)» était raisonnablement fondée eu égard à la preuve présentée devant lui et, en tranchant ainsi, le Conseil n'a pas commis d'erreur de droit, ni outrepassé les limites de sa compétence. La requérante admet que les 15 direc- teurs de centre de services ont été des directeurs d'élévateurs visés par l'ordonnance d'accréditation du Conseil et qu'ils le sont demeurés jusqu'à la signature de leur contrat de direction au cours des mois d'octobre et de novembre 1979. Les agisse- ments que le Syndicat reproche à la compagnie et expose dans sa plainte ont eu lieu entre le 17 septembre 1979 et la date de la signature des contrats de direction. Ce sont ces démarches de
2 Voir Union internationale des employés des services, local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association [1975] 1 R.C.S. 382 la p. 389.
3 Le Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. La Société des alcools du Nouveau-Brunswick [1979] 2 R.C.S. 227à la p. 237.
l'employeur qui, suivant les conclusions du Con- seil, ont constitué de l'ingérence dans la représen- tation des employés par le Syndicat en contraven tion de l'alinéa 184(1)a). On ne peut rai- sonnablement soutenir que, durant cette période, les 15 particuliers visés n'étaient pas des «employés», car leur situation ne pouvait changer qu'une fois le contrat de direction signé par les deux parties. En conséquence, et par les motifs précités, je rejetterais le premier argument de la requérante selon lequel le Conseil aurait ou- trepassé les limites de sa compétence.
La requérante prétend d'autre part que le Con- seil était incompétent pour dissocier les achats de matériel des contrats de direction. Dans ses motifs, après avoir conclu que la requérante avait enfreint l'alinéa 184(1)a) du Code, le Conseil s'est penché sur la question des mesures de redressement qui devaient être prises. Il s'exprime ainsi aux pages 705 et 706 du dossier conjoint, Vol. V:
Nous devons maintenant ordonner une réparation certaine en vue de corriger les effets de cette infraction évidente au droit fondamental d'un syndicat accrédité par le présent Conseil, de représenter des employés. Dans la présente affaire, le Conseil usera du pouvoir de redressement que lui confèrent les articles 189 et 121 du Code, aux fins de rétablir les droits exclusifs de négociation et de représentation du syndicat, dont l'intimé a gêné l'exercice de façon évidente.
Le Conseil ordonne donc à l'employeur de reconnaître le requérant comme étant l'agent négociateur légal des employés de l'unité de négociation créée par le Conseil en 1973, qui comprend les quinze personnes appelées directeurs de station. En conséquence, l'intimé est tenu, à l'occasion de toute négocia- tion collective à l'égard de l'unité de négociation, de négocier les conditions de travail de tous les employés de l'unité de négociation, y compris les quinze directeurs de station.
Reconnaissant d'abord et avant tout l'autorité du syndicat, le Conseil ordonne à l'employeur de faire tout ce qui est néces- saire pour annuler les mesures qu'il a prises dans sa tentative d'exclure les directeurs de station de l'unité de négociation. Ces mesures comprennent la résiliation des contrats individuels conclus avec les directeurs de station, puisque lesdits contrats vont à l'encontre même des dispositions de la convention collec tive qui s'appliquent à eux. En ce qui concerne les contrats d'achat ou de vente d'épandeurs et d'autre matériel agricole, contrats conclus entre l'intimé et les directeurs de centre de services, le Conseil ne sait pas si quelqu'un tient à ce qu'il les examine. Aussi, comme il est d'avis que ces ententes ne font pas l'objet d'un litige entre les parties, il a décidé de ne pas intervenir à ce sujet. En outre, le Conseil ne rendra pas pour le moment d'ordonnance officielle prévoyant des directives préci- ses. Il tient en effet à donner à l'employeur la chance de prendre les mesures qui s'imposent sans qu'il doive rendre une ordonnance officielle. Toutefois, le Conseil se réserve le droit de rendre une telle ordonnance si les circonstances l'y obligent.
Ultérieurement, le Conseil rendit, après modifica tions, l'ordonnance officielle suivante datée du 6 mars 1981 (laquelle fait l'objet de la demande fondée sur l'article 28 portant le de greffe A-160-81) (voir le dossier conjoint aux pages 46 et 47):
ATTENDU QUE le Conseil canadien des relations du travail a reçu du Syndicat des services du grain (C.T.C.) une plainte déposée en vertu du paragraphe 187(1) du Code canadien du Travail (Partie V—Relations industrielles), alléguant que Manitoba Pool Elevators ne s'était pas conformé aux articles 136, 184 et 186 du Code;
ET ATTENDU QUE, après enquête sur la plainte et étude des représentations écrites et orales des parties en cause, le Conseil a rendu sa décision avec motifs dans laquelle il juge que l'employeur a enfreint l'alinéa 184(1)a) du Code;
ET ATTENDU QUE, bien que le Conseil n'ait rendu aucune ordonnance officielle à cette date, laissant ainsi à l'employeur la possibilité d'agir sans la contrainte d'une ordonnance offi- cielle, il s'est réservé le droit de rendre une telle ordonnance s'il y a lieu;
ET ATTENDU QUE le redressement du Conseil tend à restau- rer le droit du syndicat en tant qu'agent négociateur exclusif de l'unité de négociation pour laquelle il a été accrédité, y compris les quinze gérants d'élévateurs ruraux dont les postes ont été renommés unilatéralement par l'employeur comme postes de directeurs de centre de services, postes exclus de l'unité de négociation, ce qui va à l'encontre de l'alinéa 184(1)a) du Code;
ET ATTENDU QUE le Conseil a décidé en l'instance que, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de redressement, il ne voulait pas s'ingérer dans les affaires de l'employeur et des quinze employés en question en ce qui a trait au matériel, parce que, entre autres, les intérêts relatifs au commerce et aux biens de tierces personnes non identifiées pourraient être minés et que ni le plaignant ni l'intimé n'avait demandé au Conseil de prendre des mesures en ce qui avait trait à ces affaires;
ET ATTENDU QUE, à la demande de l'employeur, avec l'as- sentiment du syndicat, le Conseil a rendu une ordonnance officielle le 13 janvier 1981;
ET ATTENDU QUE le Conseil canadien des relations du travail a reçu de Manitoba Pool Elevators une requête en révision présentée en vertu de l'article 119 du Code canadien du travail (Partie V—Relations industrielles) en vue d'obtenir des préci- sions sur certaines conditions de l'ordonnance du Conseil;
ET ATTENDU QUE le libellé de l'ordonnance du Conseil ne traduisait peut-être pas exactement l'intention du Conseil;
ET ATTENDU QUE le Conseil juge nécessaire, par souci de précision, de remplacer les conditions figurant à l'ordonnance du 13 janvier 1981 par les conditions qui suivent;
EN CONSEQUENCE:
(1) le Conseil déclare que l'employeur a enfreint l'alinéa 184(1)a) du Code canadien du travail (Partie V—Relations industrielles);
(2) le Conseil ordonne que l'employeur reconnaisse le syndicat en tant qu'agent négociateur exclusif des quinze particuliers;
(3) le Conseil ordonne à l'employeur d'annuler toute mesure prise en vue d'exclure les quinze particuliers de l'unité de
négociation pour laquelle le syndicat est l'agent négociateur accrédité;
(4) le Conseil déclare que les quinze particuliers sont liés par la convention collective la plus récente conclue entre l'employeur et l'agent négociateur;
(5) le Conseil ordonne que l'employeur reconnaisse et respecte ses obligations, aux termes de la convention collective la plus récente, à l'égard de ces quinze membres de l'unité de négocia- tion, comme s'ils n'avaient jamais été considérés comme exclus de l'unité de négociation;
(6) pour assurer la réalisation des objectifs de la Partie V du Code canadien du travail et pour parer plus précisément à toute conséquence de la non-conformité au Code par l'employeur, qui pourrait être défavorable à la réalisation des objectifs, le Con- seil ordonne, en plus des autres redressements précisés, que tous les contrats de travail individuels entre l'employeur et les quinze particuliers soient résiliés ab initio dans la mesure ils entrent en conflit avec les dispositions de la convention collec tive et avec les conditions d'emploi des employés faisant partie de l'unité de négociation pour laquelle le syndicat est l'agent négociateur exclusif; par mesure de précision, l'ordonnance du Conseil n'annule ni ne vise à influer sur toute disposition, ou toute transaction en découlant, d'un contrat de direction conclu entre l'employeur et les quinze particuliers, en ce qui a trait à la vente, au transfert ou à tout autre acte lié à la propriété, ou toute obligation ou tout droit acquis en ce qui a trait audit matériel.
A mon avis, il est manifeste que l'article 189 du Code confère au Conseil le pouvoir de se prononcer comme il l'a fait aux paragraphes 1 à 5 inclusive- ment de son ordonnance du 6 mars 1981, précitée. Dans ses motifs, le Conseil s'est aussi appuyé sur l'article 121 du Code. Toutefois, cet article traite des pouvoirs généraux du Conseil et n'autorise ce dernier qu'à prendre les mesures nécessaires ou incidentes pour lui permettre d'exercer d'une
manière efficace les autres pouvoirs qui lui sont expressément attribués par d'autres dispositions du Code. Selon moi, l'article 121 ne donne pas au Conseil d'autres pouvoirs que ceux que lui sont expressément conférés à l'article 189 4 .
4 Les passages de l'article 189 qui sont pertinents aux faits du présent litige se lisent comme suit:
189. Lorsque, en vertu de l'article 188, le Conseil décide qu'une partie que concerne une plainte a enfreint ... l'un des articles ... 184, ... il peut, par ordonnance, requérir ladite partie de se conformer à ce paragraphe ou à cet article ...
en outre, afin d'assurer la réalisation des objectifs de la présente Partie, le Conseil peut, à l'égard de toute infraction à quelque disposition visée par le présent article, exiger d'un employeur ou d'un syndicat, par ordonnance, de faire ou de s'abstenir de faire toute chose qu'il est juste de lui enjoindre de faire ou de s'abstenir de faire afin de remédier ou de parer à toute conséquence défavorable à la réalisation des objectifs susmentionnés que pourrait entraîner ladite infraction, et ce en plus ou à la place de toute ordonnance que le Conseil est autorisé à rendre en vertu du présent article.
J'en conclus donc que le Conseil a agi dans les limites de sa compétence en prononçant les para- graphes 1 à 5 inclusivement de son ordonnance du 6 mars 1981.
Cependant, il convient à mon avis d'examiner plus attentivement le pouvoir du Conseil en ce qui a trait au paragraphe 6 de son ordonnance.
Au paragraphe 6 de son ordonnance, le Conseil déclare les 15 contrats d'emploi résolus ab initio dans la mesure ils sont incompatibles avec les dispositions de la convention collective et les condi tions d'emploi des membres de l'unité de négocia- tion. Toutefois, le paragraphe 3 de l'ordonnance annule toute mesure prise par l'employeur afin d'exclure les 15 particuliers de l'unité de négocia- tion, le paragraphe 4 déclare que ces 15 particu- liers sont liés par la convention collective et, au paragraphe 5, le Conseil ordonne que l'employeur «reconnaisse et respecte» ses obligations aux termes de la convention collective à l'égard de ces 15 membres comme s'ils n'avaient jamais été considé- rés par l'employeur comme exclus de l'unité de négociation. Conséquemment, le premier problème que me pose le paragraphe 6 de l'ordonnance, c'est que la résolution ab initio qui y est prononcée me semble superflue et redondante puisqu'elle tend à apporter un remède déjà prévu aux paragraphes 3, 4 et 5 de ladite ordonnance.
En outre, un deuxième problème se pose du fait que la prétendue résolution partielle du contrat d'embauche entre l'employeur et l'employé est pro- noncée en des termes à ce point vagues et équivo- ques qu'elle n'a plus aucun sens. L'ordonnance tend à résilier la partie du contrat d'emploi qui est incompatible avec: a) les modalités de la conven tion collective et b) toute autre condition d'emploi alors en vigueur. La personne contre laquelle une ordonnance est rendue par un organisme possédant des pouvoirs d'exécution aussi étendus que ceux du Conseil a le droit de savoir avec une certaine précision ce qu'on lui ordonne exactement de faire ou de s'abstenir de faire. A mon avis, il semble impossible en l'espèce que la requérante puisse savoir avec certitude quelles sont exactement les dispositions des contrats de direction qui sont réso- lues et quelles sont celles qui sont toujours en vigueur. Parallèlement, il m'est impossible de con- cevoir comment le Conseil pourrait appliquer le paragraphe 6 vu son ambiguïté.
Un troisième problème réside selon moi dans le fait que nulle part aux articles 121, 189 ou ailleurs dans le Code, on autorise le Conseil a résoudre la totalité ou une partie d'un contrat conclu par deux parties sans obtenir au préalable leur consente- ment respectif.
Par les motifs qui précèdent, je conclus que le Conseil a fait erreur en prononçant le paragraphe 6 de son ordonnance du 6 mars 1981. La dernière question qu'il me reste à trancher relativement à ce paragraphe est celle de savoir si le Conseil a interprété les pouvoirs qui lui sont conférés par le Code canadien du travail de manière que cette interprétation soit «déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législa- tion pertinente et d'exiger une intervention judi- ciaire» 5 . L'article 189 confère au Conseil le pou- voir d'exiger d'un employeur qu'il fasse toute chose qu'il est juste de lui enjoindre de faire afin de remédier à la plainte en question ou de parer à toute conséquence que pourrait entraîner son inob- servation de l'alinéa 184(1)a). A mon avis, pour les trois motifs que j'ai énoncés ci-dessus, il serait injuste d'exiger de l'employeur qu'il se conforme au paragraphe 6 de ladite ordonnance. Ce para- graphe me paraît à ce point déraisonnable qu'il exige une intervention judiciaire. J'annulerais donc le paragraphe 6 de l'ordonnance rendue par le Conseil le 6 mars 1981. Je rejetterais, à tous autres égards, les deux demandes fondées sur l'article 28.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Je conclus tout comme le juge en chef au rejet des demandes et je souscris à ses motifs, sauf en ce qui a trait au paragraphe 6 de l'ordonnance du Conseil.
Le Conseil a «résilié» les contrats de direction en vue d'atteindre un objectif limité relevant de sa compétence en vertu du Code canadien du travail. Il n'a annulé les contrats que dans cette limite et, à strictement parler, ne les a pas résolus mais plutôt rendus inopérants en ce qui concerne le Code du travail.
5 Le Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. La Société des alcools du Nouveau-Brunswick, précité.
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