A-700-80
Le Syndicat international des débardeurs et maga-
siniers, section locale 502 (requérant)
c.
Terrance John Matus et le Conseil canadien des
relations du travail (intimés) *
[N ° 2 ]
Cour d'appel, juges Pratte, Urie et juge suppléant
Verchere—Vancouver, 9 octobre et 10 novembre;
Ottawa, 24 novembre 1981.
Examen judiciaire — Relations du travail — Expulsion
d'un membre du syndicat pour avoir adhéré à un deuxième
syndicat — Le syndicat permet à certains membres d'adhérer à
d'autres syndicats — Le Conseil canadien des relations du
travail a conclu à la violation par le syndicat de dispositions
du Code interdisant la discrimination — Ordonnance portant
réintégration et indemnisation — Le Conseil a rejeté l'appel
formé par le syndicat et a conclu en outre que ce dernier avait
également violé une autre disposition du Code — Il échet
d'examiner si l'art. 185e),f) et h) du Code du travail est ultra
vires du Parlement — II faut déterminer si les actions syndi-
cales affectent de façon fondamentale l'entreprise fédérale —
Il y a à examiner si le Conseil a outrepassé sa compétence —
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), c. 10, art. 28
— Code canadien du travail, S.R.C. 1970 c. L-1, art. 110(1),
122(1), 185e),f),h) — Acte de l'Amérique du Nord britannique,
1867, 30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II,
n° 5], art. 91.
La présente demande d'annulation d'une décision du Conseil
canadien des relations du travail a été entendue, sur consente-
ment, en même temps que la demande d'annulation d'une
décision antérieure du Conseil [N° du greffe: A-36-81, page
549 supra]. Les faits et les points litigieux relatifs à ces deux
demandes sont les mêmes et sont résumés dans le sommaire de
la demande antérieure.
Arrêt: la demande est rejetée.
Le juge Pratte (le juge suppléant Verchere souscrivant): Les
avocats ont eu tort de présumer que le Conseil avait modifié sa
décision initiale. Le Conseil n'a pas modifié la teneur de cette
décision. La décision finale du Conseil n'était rien d'autre qu'un
rejet de la demande en révision du syndicat. En vertu du
paragraphe 122(1) du Code, cette Cour a le pouvoir d'annuler
la décision d'un tribunal fédéral seulement lorsque ce tribunal
n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a refusé
d'exercer sa compétence. Le Conseil n'a fait qu'exercer sa
compétence, et on n'a pas fait valoir que les exigences de la
justice naturelle avaient été violées.
Le juge Urie: Le Conseil a rejeté la demande en révision et,
comme il lui était loisible de le faire, a modifié sa première
décision. Le Parlement a compétence pour légiférer sur tous les
* Étant donné que les motifs de jugement en l'espèce et dans
la cause précédente diffèrent, bien que les faits et les questions
litigieuses soient les mêmes, les motifs des deux décisions ont
été publiés dans leur totalité—L'arrêtiste.
aspects fondamentaux d'entreprises qui relèvent de son pouvoir
exclusif lors même que cela toucherait à la propriété et aux
droits civils. Bien que, de prime abord, les affaires internes d'un
syndicat relèvent de la compétence des provinces, le Conseil a le
droit de requérir les syndicats de se conformer aux dispositions
du Code. La question est de savoir si les actions du syndicat
touchent à l'essence même de l'entreprise fédérale. Comme l'a
dit le juge d'appel Laskin (tel était alors son titre) dans l'affaire
Papp c. Papp [1970] 1 O.R. 331, la p. 337, la question n'est
pas tant de savoir jusqu'où le Parlement peut empiéter sur
l'article 92 que de déterminer dans quelle mesure la propriété et
les droits civils relèvent de la compétence prépondérante du
Parlement. L'adhésion syndicale étant une condition préalable
à l'emploi dans diverses entreprises fédérales du secteur du
débardage, les règles internes des syndicats affectent l'admissi-
bilité de travailleurs et, par conséquent, l'exploitation d'entre-
prises fédérales. Puisqu'on ne saurait dire que l'interprétation
par le Conseil de l'alinéa 185e) est déraisonnable au point de ne
pouvoir rationnellement être soutenue, sa décision ne saurait
donc faire l'objet d'un examen, ni ne saurait-on dire que le
Conseil a outrepassé sa compétence en accordant au membre
du syndicat le redressement sollicité.
Jurisprudence: arrêt appliqué: Le Syndicat canadien de la
Fonction publique, section locale 963 c. La Société des
alcools du Nouveau-Brunswick [1979] 2 R.C.S. 227.
Arrêt approuvé: Papp c. Papp [1970] 1 O.R. 331. Arrêts
mentionnés: In re la validité et l'application de la Loi sur
les relations industrielles et sur les enquêtes visant les
différends du travail [1955] R.C.S. 529; Orchard c.
Tunney [1957] R.C.S. 436; Commission du salaire mini
mum c. The Bell Telephone Co. of Canada [1966] R.C.S.
767.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
M. D. Shortt pour le requérant.
I. G. Nathanson pour l'intimé Terrance John
Matus.
J. Baigent pour l'intimé le Conseil canadien
des relations du travail.
W. B. Scarth, c.r., pour le procureur général
du Canada.
PROCUREURS:
Shortt & Company, Vancouver, pour le
requérant.
Davis & Company, Vancouver, pour l'intimé
Terrance John Matus.
Baigent & Jackson, Vancouver, pour l'intimé
le Conseil canadien des relations du travail.
Le sous-procureur général du Canada pour le
procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: La demande fondée sur l'arti-
cle 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970
(2e Supp.), c. 10, tend à l'examen et à l'annulation
de la décision par laquelle le Conseil canadien des
relations du travail a, le 7 octobre 1980, rejeté la
demande, introduite par le requérant dans la pré-
sente instance, en révision et en annulation d'une
autre décision rendue par le Conseil le 6 mars
1980. Dans celle-ci, le Conseil a jugé que le re-
quérant avait violé l'alinéa 185h) du Code cana-
dien du travail, S.R.C. 1970, c. L-1, en expulsant
l'intimé Matus de ses rangs et, par suite de cette
conclusion, a ordonné au syndicat de réintégrer ce
dernier et de le dédommager de la perte financière
qu'il avait subie du fait d'être expulsé illégalement.
A l'audition de la présente demande fondée sur
l'article 28, qui a été entendue en même temps que
la demande formée par le requérant sur le fonde-
ment de l'article 28 contre la décision du 6 mars
1980, l'avocat du requérant a fait valoir que la
décision attaquée avait, en fait, modifié la décision
du 6 mars 1980. D'une part, l'avocat du requérant
a cité un passage de la décision attaquée où, selon
lui, le Conseil reconnaissait avoir commis une
erreur en déclarant, dans sa décision du 6 mars
1980, que la conduite du requérant avait violé
l'article 110 du Code; l'avocat a donc présumé que
le Conseil avait ainsi modifié sa décision anté-
rieure. D'autre part, l'avocat de l'intimé Matus et
celui du Conseil ont fait état d'un autre passage de
la décision attaquée où, selon eux, le Conseil aurait
dit que le requérant, en expulsant l'intimé Matus,
avait violé l'alinéa 185e) du Code; les avocats ont
donc présumé que le Conseil avait ainsi modifié sa
décision antérieure, où il avait conclu à la violation
par le requérant de l'alinéa 185h), en concluant en
outre que le requérant avait également violé l'ali-
néa 185e). A mon avis, ces deux suppositions sont
erronées. La décision attaquée est une décision par
laquelle a été tranchée la demande, introduite par
le requérant à l'instance, tendant à l'annulation de
la décision du 6 mars. Le Conseil a rejeté cette
demande. Il faut se référer au dernier paragraphe
de la décision attaquée. Dans la première phrase
de ce paragraphe, le Conseil voit ainsi sa décision
antérieure:
Conformément au préambule et à l'esprit du Code, le Conseil
s'est penché sur un problème et a remédié à un tort qu'on
cherchait à faire redresser par le biais du Code.
Voici sa conclusion:
Après avoir réexaminé l'affaire à fond, nous ne voyons rien qui
nous convainc de revenir sur le redressement ordonné dans la
décision n° 211, ni sur les conclusions y exprimées. En consé-
quence, la requête en révision est rejetée.
Dans les dix pages précédant ce paragraphe final,
les motifs invoqués par le Conseil sont simplement
des motifs donnés pour appuyer sa décision de
rejeter la demande en révision et en annulation; ils
ne constituent pas une décision portant modifica
tion de la décision du 6 mars 1980.
Si la décision attaquée est considérée comme
étant simplement une décision portant rejet d'une
demande en révision et en annulation, la présente
demande fondée sur l'article 28 doit être, à l'évi-
dence, rejetée. En vertu du paragraphe 122(1) du
Code canadien du travail, les seuls motifs auxquels
la Cour peut infirmer une décision du Conseil sont
ceux qui sont mentionnés au paragraphe 28(1) de
la Loi sur la Cour fédérale, disposition qui donne
à la Cour le pouvoir d'annuler la décision d'un
tribunal fédéral lorsque ce tribunal «m'a pas
observé un principe de justice naturelle ou a autre-
ment excédé ou refusé d'exercer sa compétence».
On n'a pas fait valoir que le Conseil avait omis
d'observer un principe de justice naturelle. En
rejetant la demande en révision et en annulation, le
Conseil n'a fait qu'exercer sa compétence.
Par ces motifs, j'estime qu'il y a lieu de rejeter
la demande.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: La Cour a été saisie de deux
demandes d'examen et d'annulation, fondées sur
l'article 28, de deux décisions rendues par le Con-
seil canadien des relations du travail («le Conseil»).
Dans la première décision (A-36-81) rendue le 6
mars 1980, il a été jugé que le requérant avait
enfreint l'alinéa 185h) du Code canadien du tra
vail (de Code»)'. La deuxième, datée du 7 octobre
' S.R.C. 1970, c. L-1, Partie V, modifié.
1980 a été rendue par suite d'une demande en
révision introduite par le requérant en vertu de
l'article 119 du Code. Le Conseil a rejeté cette
demande et, d'après mon interprétation de sa déci-
sion, malgré un langage parfois contradictoire
dans celle-ci, il a modifié sa première décision,
comme il lui était loisible de le faire, en concluant
en outre à la violation par le requérant de l'alinéa
185e) du Code parce que ce dernier avait mis fin à
l'emploi de l'intimé Matus dans le secteur du
débardage pour des raisons autres que le défaut de
paiement des cotisations syndicales et des contri
butions. C'est la décision du 6 mars 1980, modifiée
par la décision du 7 octobre 1980, qu'on cherche à
faire annuler dans la présente demande.
Le requérant (ci-après appelé parfois «section
locale 502») est un syndicat au sens du Code. A
toutes les époques en cause, il était signataire
d'une convention collective avec la British Colum-
bia Maritime Employers Association (Association
des employeurs des industries maritimes de la
Colombie-Britannique), qui est mandataire pour
différents employeurs dans une aire géographique
donnée, dont le port de New Westminster.
L'intimé Matus a été membre cotisant de la
section locale 502 depuis 1965 jusqu'à son expul
sion de cette section en octobre 1977. Il ne faisait
pas partie d'une équipe régulière de débardeurs
travaillant, par l'entremise du bureau d'embau-
chage du syndicat, pour un employeur particulier.
Il devait plutôt se présenter à ce bureau tous les
jours pour obtenir du travail chez divers
employeurs. Au cours d'une période de ralentisse-
ment des activités au port de New Westminster, il
obtint du travail dans une usine de la société
Rayonier, tout près de chez lui. Pour ce faire, il
devait devenir membre cotisant du Syndicat inter
national des travailleurs de bois d'Amérique. Entre
temps, il continua de verser ses cotisations au
requérant. Vers la fin de l'été de 1977, il fut accusé
par la section locale 502 d'avoir contrevenu aux
dispositions de l'article 5b) de la constitution et des
règles de procédure de celle-ci; cet article prévoit
notamment:
Article 5. Obligations des membres
Voici les obligations des membres:
b) n'être membre d'aucun autre syndicat.
Après avoir épuisé tous les recours au sein de
l'organisation de son syndicat, M. Matus fut exclu
de la section locale 502 pour cette violation. La
preuve montre toutefois que le requérant autorise
certains de ses membres à faire du débardage tout
en étant membres d'un autre syndicat. L'expulsion
eut pour conséquence de l'empêcher de travailler
comme débardeur. Il adressa alors une plainte au
Conseil en vertu de l'article 187 du Code et, à la
suite d'une audience, ce dernier jugea:
a) Que l'intimé Matus était un employé au sens
du Code;
b) Que la section locale 502 avait violé l'alinéa
185h) du Code en expulsant l'intimé Matus; et
c) Que la section locale 502 avait également
enfreint l'alinéa 185f) en expulsant M. Matus.
Le Conseil ordonna à la section locale 502 de
réintégrer l'intimé Matus et de lui verser une
indemnité conformément à l'article 189 du Code.
Le requérant demanda alors au Conseil de révi-
ser sa décision, à la suite de quoi ce dernier rendit
sa décision le 7 octobre 1980. Le Conseil rejeta la
demande en révision et jugea, outre les conclusions
exposées ci-dessus, que le requérant avait violé
l'alinéa 185e) du Code en mettant, de fait, M.
Matus dans l'impossibilité d'obtenir du travail
dans le secteur du débardage pour des raisons
autres que le défaut de paiement des cotisations
syndicales et contributions.
Les parties pertinentes de l'article 185 sont ainsi
rédigées:
185. Nul syndicat et nulle personne agissant pour le compte
d'un syndicat ne doit
e) exiger d'un employeur qu'il mette fin à l'emploi d'un
employé parce que celui-ci a été exclu définitivement ou
temporairement du syndicat pour une raison autre que le
défaut de paiement des cotisations périodiques, contributions
et droits d'adhésion que tous les membres du syndicat sont
uniformément tenus de payer pour adhérer ou rester adhé-
rents au syndicat;
J) exclure définitivement ou temporairement un employé du
syndicat ou lui rc/fuser l'adhésion au syndicat en lui appli-
quant d'une manière discriminatoire les règles du syndicat
relatives à l'adhésion;
h) exclure définitivement ou temporairement un employé du
syndicat, prendre contre lui des mesures disciplinaires ou lui
imposer une forme quelconque de sanction parce qu'il a
refusé d'accomplir un acte constituant une contravention à la
présente Partie; ...
Pour comprendre le premier des deux points
litigieux soulevés par le requérant, il est également
nécessaire de prendre en considération le paragra-
phe 110(1) du Code:
110. (1) Tout employé est libre d'adhérer au syndicat de son
choix et de participer à ses activités licites.
D'après l'avocat du requérant, les deux points
litigieux dans le présent appel sont:
a) que, d'après la Constitution, les dispositions
du Code canadien du travail invoquées par le
Conseil, en particulier les alinéas 185e), f) et h)
excèdent la compétence législative du Parlement
du Canada, en ce qu'elles ont pour effet de
réglementer les règles internes d'un syndicat en
matière d'adhésion («La question constitution-
nelle»); et
b) que si ces alinéas sont intra vires, le Conseil a
outrepassé sa compétence conférée par le Code
en concluant à la violation par le requérant du
paragraphe 110(1) et des alinéas 185e), f) et h)
de ce Code, et en accordant le redressement
sollicité, censément, en vertu des articles 121 et
189 («La question d'interprétation»).
La question constitutionnelle
Le requérant soutient qu'en vertu de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867, 30 & 31
Vict., c. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n°
5], le Parlement du Canada ne peut pas adopter de
lois ayant trait au règlement interne d'un syndicat
en ce qui concerne l'adhésion de ses membres.
D'après l'avocat, le Parlement a le pouvoir de
réglementer les rapports entre employeurs et
employés dans le cadre d'une entreprise fédérale
(article 108) seulement dans la mesure où une telle
réglementation est essentielle ou vitale à l'exploita-
tion d'une telle entreprise. Sinon, toujours selon
l'avocat, ces rapports sont régis normalement par
chaque législature provinciale comme une question
de droit de propriété ou de contrat.
Depuis l'affaire In re la validité et l'application
de la Loi sur les relations industrielles et sur les
enquêtes visant les différends du travail 2 , le Parle-
ment a indubitablement compétence sur les entre-
prises qui tombent dans le champ d'application de
l'article 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord bri-
tannique, 1867. Il a compétence pour légiférer sur
tous les aspects fondamentaux, essentiels ou vitaux
d'entreprises qui relèvent de son pouvoir exclusif,
lors même que cela toucherait à la propriété et aux
droits civils. A titre d'exemple, dans l'affaire Com
mission du salaire minimum c. The Bell Tele
phone Company of Canada 3 , le juge Martland
s'exprime en ces termes au nom de la Cour:
[TRADUCTION] A mon avis, toutes les questions qui font
essentiellement partie de l'exploitation d'une entreprise inter-
provinciale en tant qu'affaire active sont des questions qui
relèvent du contrôle législatif exclusif du Parlement fédéral en
vertu de l'art. 91(29).
Il est constant qu'en l'espèce, le travail accompli
par les débardeurs au port de New Westminster,
dont l'intimé Matus, s'effectuait dans le cadre
d'une entreprise fédérale. Les avocats des parties,
ainsi que le Conseil, ont également reconnu que, de
prime abord, les affaires internes d'un syndicat qui
concernent ses membres tombent dans le domaine
de la propriété ou des droits contractuels et relè-
vent de la compétence législative des provinces;
que ces matières ne sont donc pas du ressort du
Code canadien du travail et que, par voie de
conséquence, elles ne relèvent pas du Conseil cana-
dien des relations du travail. Mais il me semble
également clair que si dans ses rapports avec ses
membres un syndicat enfreint certaines disposi
tions du Code, le Conseil a, dans le cadre de son
pouvoir, le droit de requérir le syndicat de se
conformer à ces dispositions et de replacer les
employés touchés par ces violations dans la situa
tion où ils se trouvaient auparavant. C'est parce
que le Conseil a estimé que la section locale 502
avait violé au moins les alinéas e), f) et h) de
l'article 185 qu'il a rendu la décision dont l'annula-
tion est demandée dans la présente action. Pour
déterminer, à la lumière de la jurisprudence, si le
Conseil est habilité à rendre une telle décision, il
faut trancher la question de savoir si les actions du
requérant touchent à l'essence même de l'entre-
prise fédérale. Autrement dit, il faut, en l'espèce,
déterminer les limites de la compétence du
Parlement.
2 [1955] R.C.S. 529.
3 [1966] R.C.S. 767 à la p. 772.
Dans l'affaire Papp c. Papp 4 , le juge d'appel
Laskin (tel était alors son titre), de la Cour d'appel
de l'Ontario, a formulé un critère utile pour cette
détermination. La question soulevée dans cette
affaire était de savoir si • le Parlement pouvait, en
vertu de sa compétence sur «le mariage et le
divorce», réglementer la garde des enfants dans
une action de divorce. Voici le critère qu'il a
formulé:
[TRADUCTION] Lorsqu'il existe, comme c'est le cas ici, une
compétence reconnue de légiférer jusqu'à un certain point, le
problème posé par les limites (lorsque ce point est dépassé) est
résolu de meilleure manière en se demandant s'il existe un
rapport rationnel, fonctionnel entre ce que l'on reconnaît
comme valide et ce qui est contesté.
A la page 337 du recueil, le juge Laskin fait en
outre cette remarque:
[TRADUCTION] Nulle part dans la liste des pouvoirs provin-
ciaux prévus à l'A.A.N.B. il n'est fait mention de garde ni
même d'enfants; et lorsqu'on étudie ce qu'on appelle la réparti-
tion de la totalité du pouvoir législatif touchée par l'Acte (voir
Murphy c. Le Canadien Pacifique et le procureur général du
Canada [1958] R.C.S. 626 la p. 643, 15 D.L.R. (2e) 145 aux
pp. 153 et 154, 77 C.R.T.C. 322), nous nous retrouvons encore
une fois devant la question familière de déterminer la portée
d'un pouvoir fédéral énuméré tel que «le mariage et le divorce.
par opposition au vaste pouvoir provincial portant sur «la
propriété et les droits civils dans la province». Appliquons à
l'espèce, en les adaptant, les propos tenus par le juge Rand dans
Le procureur général du Canada c. Le Canadien Pacifique et
les Chemins de fer nationaux du Canada, [ 1958] R.C.S. 285, à
la p. 290, 12 D.L.R. (2°) 625, la p. 628, 76 C.R.T.C. 241: «il
est impossible de séparer les pouvoirs afférents aux matières qui
tombent normalement dans le champ de compétence provincial,
la propriété et les droits civils en particulier, de certains para-
graphes de l'art. 91 ... en vertu desquels l'on ne pourrait guère
faire deux pas sans y toucher.» En pareil cas donc, «la question
n'est pas tant de savoir jusqu'où le Parlement peut empiéter sur
l'art. 92 que de déterminer dans quelle mesure la propriété et
les droits civils relèvent de la compétence prépondérante du
Parlement [en matière de mariage et divorce].. [C'est moi qui
souligne.]
Dans l'application du critère précédent, il faut
se rappeler les faits de l'espèce. Le Conseil a jugé
que le requérant avait enfreint les articles 110 et
185 du Code, précités, en expulsant l'intimé Matus
du fait de son adhésion simultanée à un autre
syndicat. L'adhésion est une condition préalable à
l'emploi dans diverses entreprises fédérales du sec-
teur du débardage, comme c'était le cas en l'es-
pèce. Dans ce secteur, les employeurs n'engagent
pas directement leurs employés. C'est plutôt le
bureau d'embauchage qui leur fournit la main
4 [1970] 1 O.R. 331 aux pp. 335 et 336.
d'oeuvre. L'expulsion de M. Matus de la section
locale 502 a eu pour effet de le mettre dans
l'impossibilité de trouver du travail dans le secteur
du débardage.
Dès lors, il me semble clair que le rapport
rationnel et fonctionnel entre la réglementation des
relations employeur-employé dans des entreprises
fédérales et les règles internes des syndicats est la
mesure dans laquelle celles-ci affectent l'admissibi-
lité de personnes à un emploi dans ces entreprises.
Il est concevable qu'en appliquant ces règles, un
syndicat puisse, en expulsant certains de ses mem-
bres pour des raisons telles que celles invoquées en
l'espèce, priver un employeur donné de la totalité
ou d'un nombre considérable d'employés au détri-
ment de l'entreprise fédérale de cet employeur. Si
tel est le cas, pourrait-on raisonnablement préten-
dre que ces règles n'affectent pas manifestement,
de façon fondamentale, une partie au moins de
l'exploitation d'entreprises fédérales? Je pense que
non. J'estime donc que le Parlement a le pouvoir
d'en réglementer l'application.
Cette conclusion est renforcée par la décision
rendue par la Cour suprême du Canada dans
l'affaire Orchard c. Tunney 5 , où le juge Rand dit
ceci à propos d'une situation où il y avait un
accord d'exclusivité syndicale:
[TRADUCTION] ... l'adhésion syndicale assure à chaque
membre le droit de continuer dans cet emploi, à l'abri de toute
ingérence indue de la part du syndicat ou de ses dirigeants.
L'adhésion est le signe d'admission et de continuité et, en ce qui
concerne l'employeur, enlever ce signe c'est, directement ou
immédiatement, faire obstacle à ce droit.
Le droit d'adhérer à un syndicat est prévu au
paragraphe 110(1) du Code. Perdre ce droit, dans
le contexte des faits de l'espèce, affecte de façon
fondamentale tant l'employé que l'employeur, et
puisque l'emploi considéré s'inscrit dans le cadre
d'une entreprise fédérale, le Conseil est habilité
par une loi fédérale valide à prendre les mesures
appropriées.
Par conséquent, le moyen de droit constitution-
nel que fait valoir le requérant doit être rejeté.
La question d'interprétation
Pour des raisons de commodité, je répète la
question formulée par le requérant.
5 [1957] R.C.S. 436à la p. 446.
[TRADUCTION] Si la réglementation des règles internes relati
ves à l'adhésion syndicale relève de la compétence législative du
Parlement, le Conseil canadien des relations du travail a-t-il
outrepassé sa compétence, conférée par le Code canadien du
travail, en décidant que le syndicat requérant avait violé les
articles 110(1) et 185h) de cette loi et en accordant les redres-
sements sollicités, conformément aux articles 189 et 121?
Selon les deux intimés, le Conseil n'a pas
outrepassé sa compétence en l'espèce et, par consé-
quent, ses décisions ne sont pas susceptibles d'être
examinées par la présente Cour.
L'article 122 du Code prévoit les limites du
pouvoir d'examen de cette Cour. L'article 122(1)
est ainsi conçu:
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente
Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est définitive et
ne peut être remise en question devant un tribunal ni revisée
par un tribunal, si ce n'est conformément à l'alinéa 28(1)a) de
la Loi sur la Cour fédérale.
Le paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour
fédérale autorise cette Cour à annuler une décision
rendue par un tribunal fédéral lorsque ce tribunal
«n'a pas observé un principe de justice naturelle ou
a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compé-
tence». On a fait valoir que l'allégation d'erreur
faite par le requérant n'est pas, au fond, que le
Conseil aurait excédé ou refusé d'exercer sa com-
pétence, mais est, en réalité, qu'il y aurait eu
erreur dans l'interprétation des dispositions du
Code; cette prétendue erreur ne saurait donc faire
l'objet d'un examen par cette Cour.
Je suis du même avis.
Dans l'affaire Le Syndicat canadien de la Fonc-
tion publique, section locale 963 c. La Société des
alcools du Nouveau-Brunswick 6 , la Cour suprême
du Canada, par l'entremise du juge Dickson, dit
ceci, à la page 233, propos du recours, par des
tribunaux d'instance supérieure, à de prétendues
erreurs de compétence pour leur permettre
d'examiner les décisions de commissions des rela
tions de travail:
Il est souvent très difficile de déterminer ce qui constitue une
question de compétence. A mon avis, les tribunaux devraient
éviter de qualifier trop rapidement un point de question de
compétence, et ainsi de l'assujettir à un examen judiciaire plus
étendu, lorsqu'il existe un doute à cet égard.
6 [1979] 2 R.C.S. 227.
Le juge Dickson a développé ce point de vue
dans le passage suivant de ses motifs de décision,
aux pages 235 et 236:
On veut protéger les décisions d'une commission des relations
de travail, lorsqu'elles relèvent de sa compétence, pour des
raisons simples et impérieuses. La commission est un tribunal
spécialisé chargé d'appliquer une loi régissant l'ensemble des
relations de travail. Aux fins de l'administration de ce régime,
une commission n'est pas seulement appelée à constater des
faits et à trancher des questions de droit, mais également à
recourir à sa compréhension du corps jurisprudentiel qui s'est
développé à partir du système de négociation collective, tel qu'il
est envisagé au Canada, et à sa perception des relations de
travail acquise par une longue expérience dans ce domaine.
Il a par la suite formulé, à la page 237 du
recueil, un critère à l'usage des cours de justice
lorsqu'il s'agit d'examiner les décisions de commis
sions telles que le Conseil canadien des relations
du travail:
La Commission a-t-elle interprété erronément les dispositions
législatives de façon à entreprendre une enquête ou à répondre
à une question dont elle n'était pas saisie? Autrement dit,
l'interprétation de la Commission est-elle déraisonnable au
point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation
pertinente et d'exiger une intervention judiciaire?
La décision du Conseil dans cette demande a
rejeté la demande en révision de sa décision du 6
mars 1980, et me semble, également, avoir modifié
celle-ci en jugeant que:
En vue d'établir une norme de protection pour les employés
travaillant dans des industries où l'adhésion syndicale est une
condition préalable, le Parlement a adopté l'alinéa 185e) du
Code z .
Compte tenu du caractère particulier du secteur du débardage,
le syndicat, en expulsant M. Matus pour avoir contrevenu à une
disposition discriminatoire de ses statuts, a lui-même contre-
venu au Code. On a mis fin à l'emploi de M. Matus dans le
secteur du débardage pour des raisons autres que le défaut de
paiement des cotisations périodiques, contributions et droits
d'adhésion que tous les membres sont uniformément tenus de
payer.
Il m'est tout à fait impossible de dire que l'inter-
prétation par le Conseil de l'alinéa 185e) dans les
circonstances susmentionnées est déraisonnable au
point de ne pouvoir rationnellement être soutenue.
Cela étant, le Conseil n'a pas outrepassé sa compé-
tence, et sa décision ne saurait donc faire l'objet
d'un examen par cette Cour. Il est donc inutile que
nous examinions l'exactitude de l'interprétation
des alinéas 185h) et J) donnée dans la décision
du 6 mars 1980.
7 Voir supra, p. 563.
Il m'est également impossible de conclure que le
Conseil a commis une erreur en interprétant ses
pouvoirs d'accorder des redressements sous le
régime de l'article 189 du Code; donc, encore une
fois, on ne saurait dire qu'il a outrepassé sa compé-
tence en accordant à M. Matus le redressement
sollicité.
Par ces motifs, j'estime qu'il y a lieu de rejeter
la demande fondée sur l'article 28.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT VERCHERE: Par les motifs
invoqués par le juge Pratte, auxquels je souscris,
j'estime qu'il y a lieu de rejeter la présente
demande.
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