T-9227-82
Robert Collin (requérant)
c.
Raymond Lussier (intimé)
Division de première instance, juge Decary—
Montréal, 7 février; Ottawa, 24 février 1983.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Certiorari —
Détenu transféré d'un établissement à sécurité moyenne à un
établissement à sécurité maximale — Le requérant demande
l'annulation, par voie certiorari, de la décision de le transférer
aux motifs que le transfèrement (1) est ultra vires en ce qu'il
constitue une punition déguisée; (2) contrevient aux art. 13 et
14 du Règlement sur le service des pénitenciers, et à l'art. 22
de la directive n° 260 du commissaire en ce que le requérant a
été transféré à un établissement dont les conditions de sécurité
sont plus sévères qu'il n'est nécessaire; (3) contrevient à l'art. 7
de la Charte en ce qu'il porte atteinte à la sécurité du détenu
— Détenu non coupable d'infractions disciplinaires — Le
détenu occupait le poste de commis aux affaires judiciaires et
avait constitué des dossiers concernant l'administration de
l'établissement — Le détenu souffre d'une maladie du coeur —
Il échet de savoir si l'établissement à sécurité maximale peut
dispenser les soins médicaux nécessaires en cas d'urgence —
Motifs du transfèrement énoncés par le coordonnateur régional
des transferts en termes vagues, imprécis — Conclusion de la
Cour selon laquelle le transfèrement du détenu découle de ses
activités à titre de commis aux affaires judiciaires — Le
transfert constitue une punition déguisée et est ultra vires vu la
notion de «prison au sein d'une prison» — Violation des art.
13 et 14 du Règlement sur le service des pénitenciers vu le
transfèrement du détenu à un établissement dont les conditions
de sécurité sont plus sévères qu'il n'est nécessaire — La
sécurité de la personne du détenu mise en danger du fait de sa
détention dans un lieu où les conditions sont telles qu'elles
provoquent chez le détenu un état d'angoisse accru — La
justice fondamentale doit être respectée lorsque les décisions
d'un organisme administratif risquent de porter atteinte à la
sécurité d'une personne — Lorsque le transfèrement d'un
détenu a pour effet de porter atteinte à la sécurité de sa
personne, il ne s'agit plus d'une simple décision administrative
mais d'une décision touchant au droit constitutionnel — Cas-
sation, par voie de certiorari, de la décision de transférer le
détenu et ordonnance de retour du détenu dans un établisse-
ment à sécurité moyenne — Compétence de la Cour fédérale
d'accorder le redressement, sous forme de dommages-intérêts,
prévu à l'art. 24(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 —
Dommages-intérêts de $18,136 accordés au détenu au titre de
perte pécuniaire, dommages moraux, privation de soins médi-
caux et atteinte à la sécurité de sa personne (diminution de
l'espérance de vie et dommages-intérêts exemplaires)
Charte canadienne des droits et libertés, étant la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 24(1) — Loi cana-
dienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33,
art. 54 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10, art. 2, 17, 18, 28 — Loi sur les pénitenciers, S.R.C.
1970, chap. P-6, art. 13(3), 29(1)(b),(3) — Règlement sur le
service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, art. 13, 14, 38(2)
— Règle 600 de la Cour fédérale.
Le requérant sollicite un bref de certiorari en vue de faire
annuler la décision de l'intimé, le directeur d'un Centre régio-
nal de réception, de le transférer de l'établissement Leclerc, un
pénitencier à sécurité moyenne, à l'établissement de Laval, un
pénitencier à sécurité maximale. Le requérant demande égale-
ment une ordonnance lui accordant, conformément au paragra-
phe 24(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, la réparation que
le tribunal estimera juste et convenable. Le requérant allègue,
au soutien de sa requête, (1) que la décision de l'intimé est
ultra vires en ce que le transfèrement constitue une punition
déguisée; (2) que cette décision contrevient aux articles 13 et 14
du Règlement sur le service des pénitenciers et à l'article 22 de
la directive n° 260 du Commissaire aux services correctionnels,
en ce que le requérant a été transféré à un établissement on les
conditions de sécurité sont plus sévères que ne le requiert son
cas; et (3) que cette décision contrevient à l'article 7 de la
Charte en ce qu'elle porte atteinte à sa sécurité et constitue une
négation des garanties prévues par la Charte. Le requérant
occupait, à l'établissement Leclerc, le poste de commis aux
affairs judiciaires des détenus. Il avait participé activement,
avant son transfèrement, à la constitution de dossiers mettant
en cause l'administration et le personnel de l'établissement.
L'un de ces dossiers donna lieu à une action devant cette Cour;
les deux autres dossiers traitaient de la disparition, des cuisines
de l'établissement, de quantités considérables de viande, dispa-
rition que les détenus attribuaient directement au personnel de
la prison, et de l'emploi, par les autorités pénitentiaires, d'im-
portantes sommes d'argent versées par les détenus au fonds de
développement social. Le requérant n'a jamais été déclaré
coupable d'infractions disciplinaires. Selon le coordonnateur
régional des transferts, le comportement inacceptable du requé-
rant et la nécessité d'assurer le bon ordre de l'établissement
justifiaient le transfert du détenu. Le requérant demanda la
révision de son cas, mais sans succès. Il allègue que sa détention
à l'établissement de Laval lui cause un préjudice grave: elle met
sa vie en danger, en ce sens qu'il lui est impossible d'avoir
rapidement accès aux soins médicaux que nécessite son état de
santé (il est cardiaque), et que le stress auquel il est soumis
pourrait être fatal.
Jugement: la Cour casse, par voie de certiorari, la décision de
transférer le requérant et ordonne que ce dernier soit replacé
dans un établissement à sécurité moyenne. En l'absence de faits
précis démontrant que le requérant était susceptible de compro-
mettre la sécurité de l'établissement, il devient évident que la
décision de le transférer découle de ses activités à titre de
commis aux affaires judiciaires. Les motifs du transfèrement du
requérant ont été énoncés par le coordonnateur régional des
transferts en termes vagues, imprécis. La décision de l'intimé
équivaut à une punition déguisée; elle est ultra vires compte
tenu de la notion de «prison au sein d'une prison« établie par la
Cour suprême du Canada dans l'arrêt Martineau c. Le Comité
de discipline de l'Institution de Matsqui. Aux termes de cette
notion, le transfert à un établissement dont les conditions de
sécurité sont plus sévères constitue une punition, car cela
diminue la liberté du détenu.
La décision de l'intimé contrevient aux articles 13 et 14 du
Règlement sur le service des pénitenciers et à l'article 22 de la
directive n° 260 du commissaire en ce que le requérant a été
transféré à un établissement dont les conditions de sécurité sont
plus sévères que ne le requiert son cas. L'article 13 prévoit que,
conformément aux directives du commissaire aux services cor-
rectionnels, un détenu doit être incarcéré dans l'établissement
qui semble le plus approprié compte tenu de la protection du
public et du programme de traitement disciplinaire. L'article 22
de la directive n° 260 prévoit qu'un détenu ne doit pas normale-
ment être maintenu dans des conditions de sécurité plus sévères
qu'il n'est nécessaire. Compte tenu du fait que le requérant a
fait partie de la population carcérale générale de l'établisse-
ment jusqu'à la veille de son transfèrement, et du fait qu'il
était, en tout temps, autorisé à circuler à l'intérieur de l'établis-
sement, il n'a pas été démontré qu'il ait été susceptible de
compromettre la sécurité de l'établissement à sécurité maxi-
male. L'arrogance et l'impolitesse du requérant ne justifient pas
le transfèrement. Puisque les directives du commissaire font
l'objet d'une mention spéciale à l'article 13 du Règlement, il
s'ensuit qu'elles constituent plus que des guides; elles ont force
de loi et le détenu est en droit d'exiger que soient respectés les
critères qui y sont élaborés pour ce qui concerne tant l'établisse-
ment où il est détenu que le niveau de sécurité de l'établisse-
ment auquel il est transféré. De plus, l'article 14 du Règlement
exige un examen attentif du dossier d'un détenu avant de
procéder à son transfert. La directive n° 257, qui prévoit la
préparation de rapports périodiques sur l'évolution du cas, a été
émise afin de satisfaire aux exigences de l'article 14. La preuve
établit, toutefois, que le requérant n'a jamais pris connaissance
du «Rapport récapitulatif sur l'évolution du cas», un document
non confidentiel à l'origine, semble-t-il, de la décision de le
transférer.
La décision de l'intimé contrevient également à l'article 7 de
la Charte canadienne des droits et libertés. Cet article garantit
le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Le
droit d'accès aux soins médicaux se rattache au droit à la
sécurité de la personne. La preuve démontre qu'en cas de
maladie, les mesures d'urgence, la nuit, à l'établissement de
Laval, sont inadéquates. La jurisprudence reconnaît qu'une
personne qui a fait un infarctus, tel le requérant, est sujette à
un état d'angoisse particulier. Il découle de l'ensemble du
dossier que la détention du requérant à l'établissement de Laval
porte atteinte à la sécurité de sa personne. L'article 7 de la
Charte prévoit qu'il ne peut être porté atteinte aux droits qui y
sont garantis qu'en conformité avec les principes de justice
fondamentale. Faire une distinction dans le contenu de la
justice fondamentale en fonction de celui qui viole ce droit
serait vider de sens la garantie conférée par la Charte. L'article
7 de la Charte confère aux trois droits qui y sont mentionnés un
statut particulier. Par conséquent, lorsqu'on porte atteinte à la
sécurité de la personne, la justice fondamentale exige qu'un
organisme administratif agisse équitablement, c'est-à-dire qu'il
doit aviser la personne de l'infraction qu'elle aurait commise et
lui donner l'occasion de se défendre. L'organisme administratif
a également le devoir de statuer en toute impartialité, en tenant
compte de tous les éléments de preuve. Le transfert d'un
prisonnier à un établissement dont les conditions de sécurité
sont plus sévères n'est pas une simple décision d'ordre adminis-
tratif; c'est une décision qui met en cause le droit constitution-
nel et la justice fondamentale doit, par conséquent, être respec-
tée. Si la Loi sur les pénitenciers et le Règlement y afférent, du
fait de leur silence en matière de transfèrement, devaient être
interprétés comme ne permettant pas l'application de ces prin-
cipes, on devrait les considérer comme inconstitutionnels.
La décision de l'intimé contrevient également à l'obligation
d'agir équitablement imposée aux administrateurs depuis l'ar-
rêt Martineau. L'intimé ne peut justifier le défaut de produire
les rapports de sécurité préventive sur lesquels serait fondée sa
décision en invoquant l'article 54 de la Loi canadienne sur les
droits de la personne qui crée une exception quant au droit des
personnes d'avoir accès à leurs dossiers. Même si les motifs à
l'origine d'un transfèrement sont souvent d'ordre sécuritaire, il
reste que la nature de ces motifs doit être divulguée au détenu,
ce qui n'a pas été fait en l'espèce.
Cette Cour a compétence pour accorder le redressement, sous
forme de dommages-intérêts, prévu au paragraphe 24(1) de la
Loi constitutionnelle de 1982. Le requérant est détenu dans un
pénitencier fédéral et l'intimé est un «office, commission ou
autre tribunal fédéral» tel que défini à l'article 2 de la Loi sur
la Cour fédérale. De plus, les articles 17 et 18 de la Loi
confèrent à la Division de première instance compétence pour
instruire une demande de redressement sous forme de domma-
ges-intérêts et pour délivrer un bref de certiorari ou de manda-
mus. La Cour accorde au requérant des dommages-intérêts de
$18,136 au titre de la perte pécuniaire, des dommages moraux,
de la privation de soins médicaux et de l'atteinte à la sécurité de
la personne du requérant (diminution de l'espérance de vie et
dommages-intérêts exemplaires).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de
Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Nicholson c. Haldimand-
Norfolk Regional Board of Commissioners of Police,
[1979] 1 R.C.S. 311.
DECISIONS APPLIQUÉES:
Re Abrahams and Attorney -General of Canada (1983),
142 D.L.R. (3d) 1 (C.S.C.); Landman et al. v. Royster et
al. (1971), 333 F.Supp. 621 (U.S.D.C.); Cardinal et al.
v. Director of Kent Institution, [1982] 3 W.W.R. 593
(C.A.C.-B.); Regina v. Gaming Board for Great Britain,
Ex parte Benaim et al., [ 1970] 2 Q.B. 417; Re Rowling v.
The Queen (1980), 57 C.C.C. (2d) 169 (H.C. Ont.);
Wolff et al. v. McDonnell (1974), 94 S.Ct. 2963.
DECISION EXAMINÉE:
Re Anaskan v. The Queen (1977), 76 D.L.R. (3d) 351
(C.A. Ont.).
DECISIONS CITÉES:
Commission des droits de la personne du Québec c.
Anglsberger, [1982] C.P. 82; Curr c. La Reine, [ 1972]
R.C.S. 889; Dodge v. Bridger et al. (1978), 4 C.C.L.T. 83
(H.C. Ont.); Mercier c. Smith, Cour supérieure, Mont-
réal, 500-05-021 261-753, jugement en date du 29
novembre 1979.
REQUÊTE.
AVOCATS:
Nicole Daignault pour le requérant.
Stephen Barry pour l'intimé.
PROCUREURS:
Nicole Daignault, Montréal, pour le requé-
rant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DECARY: Le requérant demande
l'émission d'un bref de certiorari ou une ordon-
nance de la nature d'un tel bref, annulant la
décision de l'intimé de transférer le requérant de
l'institution Leclerc, pénitencier à sécurité
moyenne, à l'institution Laval, pénitencier à sécu-
rité maximale.
Le requérant allègue au soutien de sa requête
que:
(1) la décision est illégale et ultra vires des
pouvoirs de l'intimé en ce que le transfèrement
constitue une punition déguisée;
(2) la décision va à l'encontre des articles 13 et
14 du Règlement sur le service des pénitenciers,
C.R.C., chap. 1251, et de l'article 22 de la
directive du commissaire n° 260, en ce que le
requérant a été transféré dans une institution où
le degré de sécurité est plus sévère que celui que
nécessite son cas. L'article 22 a remplacé l'arti-
cle 8 de la directive n° 260 la suggestion et du
consentement du procureur de l'intimé dans la
requête;
(3) la décision contrevient à l'article 7 de la Loi
constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), en
ce qu'elle met en danger la sécurité de la per-
sonne du requérant et constitue une négation des
garanties à lui conférées par ladite Loi;
(4) pour tout autre motif que le procureur du
requérant pourrait soulever avec la permission
du tribunal.
Le requérant demande de plus l'émission d'un
bref de mandamus, ordonnant le respect des droits
constitutionnels, statutaires, réglementaires et
légaux du requérant et son transfert dans une
institution à sécurité moyenne.
Le requérant demande enfin une ordonnance,
conformément au paragraphe 24(1) de la Loi
constitutionnelle de 1982, accordant au requérant
la réparation que le tribunal estimera convenable
et juste eu égard aux circonstances.
Au soutien de sa requête, le requérant, Robert
Collin, allègue par affidavit, avec pièces A à I
inclusivement, que, au cours de sa détention à
Leclerc, il était employé comme commis aux affai-
res légales des détenus. Il a, au cours de l'été 1982,
été particulièrement actif dans la préparation de
trois dossiers collectifs qui touchent à l'administra-
tion de l'institution Leclerc: (1) le dossier de la
double occupation qui a donné lieu à un recours
devant la Division de première instance de la Cour
fédérale sous le n° T-6575-82; le jugement rendu le
23 septembre 1982 fait présentement l'objet d'un
appel devant la division d'appel de cette Cour sous
le n° A-1102-82; (2) le dossier de la cuisine, qui
fait état d'une enquête recherchant les causes et les
remèdes à la situation de l'alimentation à l'institu-
tion Leclerc; (3) le dossier de l'implication du
comité des détenus dans le budget du développe-
ment social: une tentative d'obtenir des pièces
justificatives de certaines dépenses, dont 66% sont
défrayés par les détenus.
Pendant son incarcération, le requérant a été
l'objet de très peu de rapports d'infractions aux
règlements de l'institution; il a été acquitté lors de
l'audition par le tribunal disciplinaire pour l'un de
ces rapports et l'on n'a pas procédé quant aux
autres rapports.
Il est convaincu que son transfèrement en insti
tution à sécurité maximale est dû à son travail
relatif à ces dossiers collectifs.
Ce transfèrement serait non fondé et lui cause-
rait un préjudice extrêmement grave: (1) il met-
trait en danger la vie du requérant qui dit avoir
fait un infarctus en septembre 1978 et subi deux
autres attaques cardiaques depuis. Il lui serait
impossible d'avoir un accès immédiat aux soins
médicaux que pourrait nécessiter son état. De plus,
il ne pourrait obtenir la diète végétarienne qu'il
avait à l'institution Leclerc. L'atmosphère qui
régnerait à Laval augmenterait le stress qui pour-
rait lui être fatal; (2) il subirait une perte de
rémunération, son salaire passant de $36 par
quinze jours à $18 pour la même période; (3) il
serait privé de relations familiales et de toute
visite. En effet, à la première visite que lui faisait
sa mère, âgée de 69 ans, elle a été sujette à une
fouille à nu que rien ne justifiait. Il refuse de lui
voir imposer pareille humiliation à nouveau.
L'intimé a produit en réponse deux affidavits.
Le premier est celui du Dr Jean-Yves Balthazard,
responsable des services médicaux à l'institution
Laval, et il fait état d'un hôpital constitué de deux
départements; l'hôpital serait bien équipé pour
subvenir aux exigences immédiates que peut néces-
siter le cas du requérant.
L'intimé a encore produit l'affidavit de M.
François Alarie, coordonnateur régional des trans-
ferts au ministère du Solliciteur général du
Canada, lequel allègue que le requérant a été
transféré pour des raisons ayant trait à la sécurité
de l'institution Leclerc et s'appuie sur un docu
ment intitulé «Rapport récapitulatif sur l'évolution
du cas» lequel rapport est produit comme pièce P-1
à l'appui dudit affidavit.
Les deux déclarants ont été interrogés sur affi
davit le 28 janvier 1983. La transcription des notes
sténographiques de ces interrogatoires a été pro-
duite au dossier de la Cour.
De l'ensemble de la preuve il ressort ce qui suit:
Robert Collin, le requérant, est âgé de 47 ans.
En 1964, il a été condamné à mort pour meurtre et
sa peine a été commuée en emprisonnement à
perpétuité en 1968. II est incarcéré depuis 19 ans.
Il s'est intéressé, au cours des années, aux droits
des détenus et est devenu un véritable technicien
du droit carcéral; il est ce qu'il est convenu d'appe-
ler un «jailhouse lawyer».
En octobre 1981, Robert Collin, après quelque
temps passé en libération, était réincarcéré à l'ins-
titution Leclerc, un pénitencier à sécurité moyenne
portant la cote sécuritaire S-5, et y demeura jus-
qu'au 26 octobre 1982, date à laquelle il fut trans-
féré à l'institution Laval, un pénitencier à sécurité
maximale, portant la cote de sécurité S-6.
Pendant sa détention à l'institution Leclerc,
Robert Collin a occupé le poste de commis aux
affaires légales jusqu'au moment de sa démission,
le 28 septembre 1982, après quoi il a été affecté à
l'atelier de métal.
Bien qu'une demande de transfèrement datée du
18 octobre 1980, selon la pièce P-1 de l'affidavit de
François Alarie, ait été formulée dans son cas, il
est resté en population générale à l'institution
Leclerc jusqu'au 24 octobre 1982 à 20 h 5,
moment où il fut placé en ségrégation administra
tive tel qu'il appert à la pièce I de l'affidavit du
requérant, rapport du 24 octobre 1982, sur lequel
on n'a cependant pas procédé vu le transfèrement.
A cause de son poste de commis aux affaires
légales des détenus, le requérant était muni d'un
permis permanent de circuler dans l'institution
Leclerc, qui ne lui a jamais été retiré, même après
sa démission du 28 septembre 1982, car il conti-
nuait de s'occuper du dossier de la double occupa
tion, et son procureur a déposé au dossier de la
Cour l'original du permis lors de l'audition.
Le 26 octobre 1982, immédiatement après son
arrivée au pénitencier Laval, Robert Collin
demandait par écrit les motifs de ce transfèrement
et ce ne fut que le 4 novembre suivant qu'il reçut
une réponse de M. François Alarie, coordonnateur
des transfèrements; cette lettre est la pièce H de
l'affidavit de Robert Collin et se lit comme suit:
Nous accusons réception de votre lettre du 26 octobre 1982,
concernant votre transfert du Leclerc à l'établissement Laval.
Ce transfert fut décidé suite à la recommandation des autorités
de l'établissement Leclerc basé sur votre attitude et votre
comportement jugés inacceptables dans un établissement à
sécurité médium. Ces données sont clairement établies dans le
rapport de gestion de cas et dans les rapports de la sécurité
préventive. Vos relations tendues et verbalement agressives
envers le personnel des unités résidentielles et leur effet d'en-
traînement au niveau de la population justifient une telle
mesure pour assurer le bon ordre de l'établissement.
Nous espérons que vous saurez réévaluer la situation, vous
impliquer positivement au niveau des programmes offerts au
Laval et mériter un retour éventuel au médium.
Les motifs du transfèrement sont, comme on le
voit, évoqués en termes vagues et imprécis. On y
réfère à un rapport de gestion de cas et à des
rapports de sécurité préventive sans cependant dire
clairement de quelle nature sont les griefs qui
fondent la décision de transfèrement. Ils ne sont
appuyés par aucune condamnation du tribunal dis-
ciplinaire au cours de l'incarcération à Leclerc du
requérant.
Le requérant s'est adressé à la direction régio-
nale pour demander une révision de cette décision
étant donné que sa santé et la sécurité de sa
personne étaient ou risquaient d'être durement
atteintes par son incarcération au maximum
Laval. La réponse qui lui est parvenue, datée du 9
novembre 1982, est signée de Guy Villemure,
administrateur régional, programme aux délin-
quants, et dispose de la demande de révision en
une seule phrase:
Je crois savoir que déjà vous avez questionné votre transfert
auprès du coordonnateur régional des transferts par note de
service des motifs à l'appui de ce déplacement.
Il m'apparait [sic] donc inutile d'élaborer davantage sur ce
point particulier.
Le reste de la lettre est un commentaire dont un
paragraphe est particulièrement révélateur:
Nul ne peut faire abstraction de la volubilité de Robert Collin
ni de son esprit de synthèse cependant, s'il voulait faire un
véritable effort et se prendre en mains [sic] tout en laissant aux
autres détenus le soin de régler leurs propres problèmes, il
s'éviterait sûrement les désagréments et une foule de petits
ennuis.
Il est raisonnable de comprendre que l'implica-
tion de Robert Collin comme commis aux affaires
légales à l'institution Leclerc constitue le motif du
transfèrement.
Le 2 décembre 1982, la requête introductive
d'instance du requérant était déposée au greffe de
la Cour fédérale et ce n'est que le 19 janvier 1983,
lors de la signification au procureur du requérant
de l'affidavit de François Alarie pour l'intimé, que
le requérant a eu connaissance du rapport récapi-
tulatif sur lequel se fonde le transfèrement men-
tionné dans la lettre du 4 novembre 1982.
L'interrogatoire sur affidavit de M. Alarie a eu
lieu le 26 janvier 1983. A la fin d'un long interro-
gatoire, M. Alarie, aux pages 68 et 69 de la
transcription des notes sténographiques, reconnaît
que les véritables raisons pour lesquelles M. Collin
a été transféré ont à voir avec ces fameux rapports
de la sécurité préventive mentionnés à la lettre du
4 novembre précédent, et, en particulier, avec un
incident de sécurité survenu au Leclerc et men-
tionné dans un rapport de sécurité préventive.
Plus tôt au cours de l'interrogatoire, M. Alarie
avait admis qu'ayant eu l'occasion d'examiner le
dossier de M. Collin au moment d'une demande de
transfèrement à sécurité moindre qu'avait formu-
lée M. Collin en juin 1982, les raisons du transfè-
rement actuel étaient effectivement fondées sur
des événements survenus entre le mois de juin
1982 et le mois d'octobre de la même année.
A la fin de ce même interrogatoire, plus précisé-
ment à la page 75, M. Alarie reconnaît qu'on fait
allusion au rôle que jouait M. Collin dans l'établis-
sement Leclerc dans les rapports de la sécurité
préventive, c'est-à-dire à son rôle de commis aux
affaires légales, mais il maintient que la raison du
transfèrement n'est pas directement reliée aux dos
siers collectifs sur lesquels M. Collin a travaillé au
cours de l'été. Cependant, jamais il ne dévoile la
nature exacte des prétendus incidents ayant trait à
la sécurité de l'établissement qui seraient, d'après
lui, la cause du transfèrement.
Considérant l'ensemble de la preuve soumise
devant le tribunal, le tribunal conclut que le trans-
fèrement de M. Collin est le résultat de son acti-
vité comme commis aux affaires légales, d'autant
plus qu'avant l'été dernier, il n'avait encore jamais,
dans l'exercice de ses fonctions, entrepris des dos
siers qui mettaient en cause l'administration du
pénitencier ou le personnel de l'institution.
A ce moment, cependant, les dossiers constitués
par M. Collin mettent en cause les agissements du
personnel du pénitencier. Une analyse des pièces
soumises à l'appui de l'affidavit du requérant,
particulièrement les pièces D et E, révèlent que les
détenus attribuent directement aux agents d'unité
résidentielle et aux autres membres du personnel
la responsabilité de la disparition des cuisines du
pénitencier de 1,000 à 1,500 livres de viande
mensuellement.
Par ailleurs, dans le dossier de l'implication du
comité des détenus dans le budget de développe-
ment social, il appert que les détenus mettent en
doute le bien-fondé de dépenses pour une somme
de $44,450 dont ils ont eux-mêmes défrayé
$29,450.
Le 14 juillet 1982, le chef du développement
social répondait à la demande du comité des déte-
nus d'obtenir des pièces justificatives de ces
dépenses:
Je pense que ces achats ont été faits et autorisés par le
D.-A.Soc.* et que sauf si [sic] il y a soupçon de malhonnêteté
dans un de mes départements, je pense que ces achats et ceux
effectués dans l'avenir sont du domaine de la gestion.
(*directeur-adjoint à la socialisation)
Enfin, le 10 août 1982, le directeur de l'institu-
tion informait le comité des détenus des limites de
leur rôle de la façon suivante:
Votre implication dans le budget de développement social
consiste à faire connaître, à l'intérieur de comités de discussion
à cet effet (sports, activités culturelles, etc.) vos priorités sur les
dépenses à venir.
Les dépenses passées ont été faites de bonne foi et c'est la
prérogative des gestionnaires de gérer.
En l'absence de faits précis démontrant que le
requérant est devenu un risque sécuritaire dans
l'institution Leclerc, et devant ce qui ressort de
l'analyse des pièces déposées à l'appui de l'affida-
vit du requérant, il semble évident qu'on a trans-
féré le requérant parce que son activité à l'inté-
rieur de ses fonctions de commis aux affaires
légales devenait gênante.
L'état de santé de M. Collin tel qu'allégué dans
son affidavit n'est nullement contredit par l'affida-
vit du D' Balthazard. Au contraire, ce qui ressort
de l'interrogatoire du D' Balthazard, c'est qu'ef-
fectivement il est extrêmement difficile pour une
personne incarcérée au maximum Laval d'obtenir
rapidement des soins, particulièrement la nuit.
Le requérant ayant établi que son transfèrement
constitue une punition déguisée, la question à
laquelle le tribunal doit répondre est la suivante: la
décision est-elle légale ou ultra vires des pouvoirs
de l'intimé?
La source des pouvoirs de l'intimé c'est d'abord
la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6.
Le paragraphe 13(3) prévoit que le commissaire
ou tout fonctionnaire agissant sous ses ordres peut
ordonner un transfert d'un pénitencier à l'autre.
Par ailleurs, le paragraphe 29(3) de la même Loi
autorise le commissaire aux services correctionnels
à faire des directives pour l'administration des
pénitenciers, sous réserve de la Loi et de tous les
règlements édictés par le gouverneur en conseil.
La directive du commissaire n° 260 qui s'intitule
«TRANSFERTS À L'INTÉRIEUR DU CANADA», auto-
rise à l'alinéa 5b les directeurs des Centres de
réception régionaux, poste qu'occupe l'intimé Ray-
mond Lussier, à ordonner par mandat, un transfert
de détenu:
5....
b. ... d'un établissement fédéral dans leur propre région à
un autre établissement dans cette même région ...
Il est stipulé à cette même directive à l'article 21
que
21. Les transferts peuvent être effectués pour des motifs
dictés par les nécessités de la garde, par les affectations
aux programmes (y compris les programmes médicaux)
et par les exigences administratives du Service.
Cependant, il est aussi stipulé à l'article 22
qu'un détenu doit seulement être transféré dans un
établissement qui satisfait aux exigences de son
classement en matière de sécurité.
Par ailleurs, la Loi sur les pénitenciers donne à
l'alinéa 29(1)b) le pouvoir au gouverneur en con-
seil de faire des règlements relatifs à la discipline
des détenus.
Le Règlement sur le service des pénitenciers a
pourvu aux mesures disciplinaires à l'article 38.
Il est stipulé au paragraphe 38(2):
38. ...
(2) Un détenu n'est puni que
a) sur l'ordre du chef de l'institution ou d'un fonctionnaire
désigné par le chef de l'institution; ou
b) sur l'ordre d'un tribunal disciplinaire.
Le fait de transférer un détenu d'une institution
à sécurité moindre à une autre institution à sécu-
rité plus grande constitue effectivement une puni-
tion car c'est une diminution de sa liberté. Ce fait
est reconnu par la jurisprudence.
Dans l'affaire Oswald v. The Attorney General
of British Columbia, une affaire non rapportée,
portant le n° C.C. 801304 de la Cour suprême de
la Colombie-Britannique, le juge en chef McEa-
chern, dans son jugement du 30 décembre 1980,
déclare à la page 7:
[TRADUCTION] L'établissement de Kent est un pénitencier à
sécurité maximale. L'établissement de Matsqui est un péniten-
cier à sécurité moyenne et le transfèrement de Matsqui à Kent
a pour effet de réduire, en quelque sorte, la liberté d'un
prisonnier.
Et il ajoute:
[TRADUCTION] La liberté d'un prisonnier enfermé dans une
unité de ségrégation est encore plus réduite, de sorte que les
prisonniers emploient l'expression isolement cellulaire (terme
que le directeur n'accepte pas) pour décrire la ségrégation.
Et à la page 17, toujours du même jugement, le
juge déclare:
[TRADUCTION] Je ne doute pas qu'un emprisonnement à l'inté-
rieur même d'une prison puisse être légal ou illégal, suivant les
circonstances particulières de chaque cas.
Cette décision s'appuie sur le concept de «prison
au sein d'une prison> tel qu'établi par la Cour
suprême du Canada dans Martineau c. Le Comité
de discipline de l'Institution de Matsqui' [ci-après
appelé Martineau (N° 2)].
L'affaire Oswald a été portée en appel [Cardi-
nal et al. v. Director of Kent Institution] 2 . Sur ce
point précis de la notion de «prison au sein d'une
prison», la Cour d'appel a confirmé encore une fois
l'opinion du juge en chef McEachern. En effet, à
la page 604, le juge MacDonald, juge d'appel, un
des deux juges majoritaires, s'exprimait ainsi:
[TRADUCTION] Ce que signifie l'isolement disciplinaire ....
Il s'agit manifestement d'une privation grave qui peut avoir des
conséquences physiques et mentales néfastes. C'est pourquoi la
loi exige qu'il y ait équité dans la procédure.
Dans la présente instance, étant donné l'absence
de motifs clairs révélés par l'intimé pour justifier le
transfèrement à un pénitencier à sécurité maxi-
male, ce transfèrement constituant de plus, en
l'instance, une punition pour le requérant, la déci-
sion est illégale et ultra vires des pouvoirs de
l'intimé.
Comme second motif pour demander que soit
émis un bref de certiorari à l'encontre de la déci-
sion de l'intimé, le requérant a allégué que le
transfèrement a été fait dans une institution où le
degré de sécurité est plus sévère que celui que
nécessite son cas.
L'article 13 du Règlement sur le service des
pénitenciers se lit comme suit:
13. Le détenu doit, conformément aux directives, être incar-
céré dans l'institution qui semble la plus appropriée, compte
tenu
a) du degré et de la nature de la surveillance jugée nécessaire
ou désirable pour la protection de la société; et
b) du programme de traitement disciplinaire jugé le plus
approprié au détenu.
L'article 14 du même Règlement, qui traite de
la classification, se lit comme suit:
14. Le dossier d'un détenu doit être soigneusement examiné
avant qu'une décision ne soit prise relativement à la classifica
tion, première ou nouvelle, ou au transfert du détenu.
La directive portant sur les transferts à l'inté-
rieur du Canada, n° 260 des directives du commis-
saire aux services correctionnels, stipule à l'article
22:
22. Les détenus ne doivent être transférés que dans des
établissements qui satisfont aux exigences de leur classifi-
1 [1980] 1 R.C.S. 602.
2 [1982] 3 W.W.R. 593 (C.A.C.-B.).
cation sécuritaire. Normalement, ils ne doivent pas être
maintenus dans une situation ou dans des conditions de
sécurité plus sévères qu'il n'est nécessaire.
Enfin, la directive du commissaire n° 250 intitu-
lée «GESTION DES CAS» stipule à l'article 5:
5. Les peines doivent être administrées et gérées conformé-
ment aux procédures et aux instructions approuvées par le
Comité supérieur de gestion et publiées dans le Manuel des
politiques et procédures de la Gestion des cas.
Le chapitre 2 de ce manuel donne les critères
que doit employer le Service canadien des péniten-
ciers pour décider de la classification d'un détenu.
Il appert que cette classification se fait en fonction
d'une cote sécuritaire donnée aux diverses institu
tions. Cette procédure est décrite dans «Introduc-
tion to Canadian Prison Law and Administra
tion», publiée par l'Université Queen's de
Kingston, dont les auteurs sont le professeur
Fergus O'Connor assisté de Peter Wardell et de
Me Charlene Zeagman. Tous les éléments qui ser-
vent à déterminer dans quel pénitencier, à son
arrivée, sera gardé un détenu doivent être compa-
rés, selon le manuel de gestion de cas, à des
critères intitulés «Critères Benchmark» et à un
guide pour l'interprétation des Benchmarks en
vertu desquels il apparaît que la classification de
1 M. Collin est au niveau S-5, c'est-à-dire un niveau
1de sécurité d'un individu qui, sans avoir jamais
participé à des prises d'otages, sans avoir d'histoire
d'évasion, a cependant été incarcéré à la suite
d'une condamnation pour une infraction majeure
au Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34,
c'est-à-dire, dans son cas, un meurtre, et purgeant
par ailleurs une peine de plus de 10 ans
d'incarcération.
La directive du commissaire n° 257 intitulée
«INSCRIPTIONS ET RAPPORTS», stipule à l'article 4:
4. Il doit y avoir, applicable à chaque détenu, un système
clairement défini d'inscriptions et de rapports afin d'assu-
rer que des renseignements adéquats et fiables seront
disponibles au moment de prendre des décisions concer-
nant l'évolution du plan de séjour du détenu concerné.
Et à l'article 5:
5. Dans les établissements, et ce pour chaque détenu, on doit
prendre note quotidiennement des activités et on doit faire
un rapport périodique sur l'évolution du sujet; on doit
verser des copies de ces rapports au dossier du détenu.
Cette directive a été émise pour répondre aux
exigences de l'article 14 du Règlement sur le
service des pénitenciers.
Parmi ces divers rapports se trouve le «Rapport
récapitulatif sur l'évolution du cas». C'est ce rap
port qui a été soumis par M. Alarie comme pièce
P-1 de son affidavit.
Comme le dit M. O'Connor dans l'ouvrage cité
ci-haut:
[TRADUCTION] Du point de vue du détenu, le rapport récapitu-
latif sur l'évolution du cas est le document le plus important
émanant du Service correctionnel canadien au cours de la
sentence. Ce rapport est préparé par l'équipe de gestion des cas
et soumis à l'autorité chargée de prendre une décision concer-
nant le transfèrement .... Avant de compléter le rapport réca-
pitulatif sur l'évolution du cas, l'équipe de gestion des cas
procède à un examen approfondi du cas, et elle en discute avec
le détenu.
Et plus loin:
[TRADUCTION] Le rapport récapitulatif sur l'évolution du cas
n'est pas censé être un document confidentiel et les renseigne-
ments qui y sont contenus peuvent être communiqués au
détenu.
Dans le cas qui nous occupe, non seulement il
n'y a pas eu d'entrevue avec M. Collin, mais il
appert que le rapport en question ne lui a jamais
été montré. On remarque sur ce rapport, à la
dernière page, un endroit spécifiquement destiné à
recevoir la signature du détenu et il est prévu au
manuel de gestion de cas que si le détenu refuse de
signer ce rapport, on doit le noter dans l'espace
réservé à sa signature.
Non seulement il n'y a pas eu de consultation
avec M. Collin mais dans son interrogatoire sur
affidavit, M. Alarie nous informe que l'étude du
dossier en vue du transfèrement n'a été faite, dans
ce cas comme dans les autres, semble-t-il, que sur
les documents soumis par le pénitencier. Or, la
signature qui apparaît sur ce document est celle,
non pas des personnes responsables de M. Collin,
c'est-à-dire Mme Latour, son agent de gestion de
cas, et M. Boulerice, le responsable de l'équipe de
gestion de cas, mais bien celle de M. Germain,
autre agent de gestion de cas, qui n'a jamais eu la
responsabilité de M. Collin. M. Alarie nous dit
qu'il suppose que ce n'est qu'une question de signa
ture et que le rapport a effectivement été préparé
par Mme Latour. Cependant, il nous dit aussi qu'il
n'y a eu aucune demande d'information supplé-
mentaire concernant ce rapport, pas plus qu'il n'y
a eu d'entrevue avec le personnel responsable de
M. Collin.
L'article 13 du Règlement sur le service des
pénitenciers réfère directement aux directives du
commissaire. Ces directives deviennent de ce fait
plus que des guides et le détenu est justifié d'exiger
que soient respectés les critères élaborés dans ces
directives pour tout ce qui concerne tant l'endroit
où il doit être en détention que le niveau de
sécurité de l'institution où il est transféré.
Il faut noter que si, dans l'affaire Martineau (N°
2), la Cour suprême a décidé que les directives du
commissaire n'avaient pas force de loi, les directi
ves dont il était alors question ne faisaient pas
l'objet d'une mention spéciale ni dans la Loi ni
dans le Règlement sur le service des pénitenciers.
Tenant compte du fait que M. Collin a continué
d'être détenu parmi la population générale de
l'établissement jusqu'à la veille de son transfère-
ment, tenant compte aussi du fait que son permis
permanent de circuler ne lui a jamais été retiré,
rien ne démontre que M. Collin soit devenu un
risque communautaire suffisamment élevé pour
être incarcéré dans une institution de cote S-6.
La décision de l'intimé Lussier contrevient au
devoir d'agir avec équité, imposé aux administra-
teurs par la jurisprudence depuis l'affaire Marti-
neau (No 2). Dans cette affaire, la Cour suprême
s'est largement inspirée des décisions américaines
et anglaises. Or, plusieurs de ces décisions sont
pertinentes pour analyser la nature du transfère-
ment en l'espèce.
Dans l'affaire Landman et al. v. Royster et al. 3 ,
le juge Merhige décrit les conditions et procédures
de transfèrement à l'intérieur de la prison connue
sous le nom de Virginia State Farm, transfèrement
de la population générale à l'unité de ségrégation
appelée C -cell. A la page 627, le juge s'exprime
ainsi:
[TRADUCTION] Les critères en vertu desquels on décide d'en-
fermer un homme dans l'unité appelée C -cell ou de l'en sortir
sont extrêmement flous. Son attitude, sa mauvaise influence, sa
tendance à défier l'autorité ou sa conduite rebelle, notées dans
les rapports écrits ou oraux des gardiens, peuvent le condamner
à la sécurité maximale pendant de nombreuses années.
3 (1971), 333 F.Supp. 621 (U.S.D.C.).
Dans cette affaire, le tribunal décide que le
requérant avait droit à une protection procédurale
et il conclut [à la page 634]:
[TRADUCTION] Le tribunal est convaincu que la peine infligée
à Landman est due essentiellement au fait qu'il s'est prévalu de
son droit de produire des requêtes devant les tribunaux et qu'il
a aidé d'autres prisonniers à le faire.
Dans l'affaire qui nous occupe, l'intimé a fait
état du caractère et de la personnalité du requé-
rant. Il a été question de son arrogance, de son
impolitesse envers le personnel des pénitenciers.
Ces critères, qui pourraient à la rigueur justifier
un transfèrement dans une autre institution de
même cote sécuritaire, sont insuffisants pour un
transfèrement en pénitencier à sécurité maximale.
Le procureur de l'intimé a cité la jurisprudence
constante de la Division de première instance de
cette Cour s'appuyant sur les larges pouvoirs
donnés au Service canadien des pénitenciers par la
Loi et son Règlement pour suggérer d'écarter l'in-
tervention des tribunaux dans les affaires de trans-
fèrement. Cette jurisprudence est entièrement
basée sur la décision Re Anaskan v. The Queen 4 .
La Cour d'appel d'Ontario avait alors décidé que
les prisonniers n'ayant aucun droit d'être détenus
dans une institution en particulier, les affaires de
transfèrement étaient une décision purement admi
nistrative et, en conséquence, la Cour avait refusé
de se reconnaître juridiction. L'affaire Martineau
(No 2) a définitivement renversé cette jurispru
dence.
Pour n'avoir pas produit les rapports de la sécu-
rité préventive sur lesquels est prétendument basée
la décision de transfèrement de M. Collin, M.
Alarie se réfère à l'article 54 de la Partie IV,
«Protection des renseignements personnels» de la
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C.
1976-77, chap. 33, qui crée une exception à l'accès
des individus à leur dossier. Cet article 54 se lit [en
partie] comme suit:
54. Le ministre compétent dont relève une banque fédérale
de données peut la dispenser de l'application de tout ou partie
du paragraphe 52(1) si, à son avis, la divulgation tant de
l'existence d'un dossier ou d'éléments d'un dossier concernant
un individu dans la banque que la divulgation de renseigne-
ments y figurant est susceptible
4 (1977), 76 D.L.R. (3d) 351 (C.A. Ont.).
d) dans le cas d'un individu condamné pour infraction à une
loi du Parlement,
(i) d'avoir de graves conséquences sur son programme
pénitentiaire, sa libération conditionnelle ou sa surveillance
obligatoire,
(ii) d'entraîner la divulgation de renseignements qui, à
l'origine, ont été obtenus expressément ou implicitement
sous le sceau du secret, ou
(iii) de causer, à lui ou à quiconque, des dommages,
corporels ou autres;
e) d'entraîner la divulgation de renseignements personnels
concernant un autre individu;
Dans l'affaire Martineau (N° 2), le juge Dick-
son, en particulier, s'est appuyé sur la cause améri-
caine Wolff et al. v. McDonnell 5 . Dans cette
affaire, la Cour suprême des États-Unis a examiné
les procédures disciplinaires dans le Nebraska
State Prison System. La Cour a reconnu que les
autorités des prisons ont un intérêt légitime à
protéger les délateurs anonymes à l'intérieur des
prisons. Cependant, cet intérêt ne doit pas aller
jusqu'à renverser le droit d'un prisonnier de con-
naître la nature de ce qu'on lui reproche, cette
nature se distinguant de l'identité de l'informateur.
Dans l'affaire Regina y. Gaming Board for
Great Britain, Ex parte Benaim et al. 6 , à la page
431, lord Denning, M.R., déclare:
[TRADUCTION] Si la Commission des jeux de hasard était
tenue de divulguer ses sources de renseignements, personne ne
dirait mot sur ces clubs, par crainte de représailles.... Si la
Commission était obligée de révéler tous les détails, elle pour-
rait trahir le délateur et le placer dans une situation dange-
reuse. Mais j'aurais cru que, sans aller aussi loin, la Commis
sion devrait, dans chaque cas, être en mesure de fournir au
requérant suffisamment de renseignements sur les objections
soulevées à son sujet pour lui permettre d'y répondre. Cela n'est
que juste et la Commission doit toujours être juste, sinon, les
présents tribunaux n'hésiteront pas à intervenir.
Il arrive fréquemment que des transfèrements
soient effectués et que les motifs invoqués au
soutient de ces transfèrements soient des raisons
sécuritaires. Cependant, on ajoute généralement de
quelle nature sont ces raisons, c'est-à-dire, à titre
d'exemple: soupçon de tentative d'évasion, ou
soupçon d'intention de prise d'otage, etc. Dans le
cas en l'espèce, aucune mention n'a été faite de la
nature des raisons sécuritaires sous-tendant le
motif avancé pour transférer le requérant.
5 (1974), 94 S.Ct. 2963.
6 [1970] 2 Q.B. 417, la p. 431.
Dans l'affaire Re Rowling v. The Queen', les
faits sont les suivants: un prisonnier détenu dans
une prison est transféré dans une autre prison,
moins [TRADUCTION] «plaisante». Les raisons du
transfert ne lui sont fournies qu'après sa demande
de révision et on invoque alors [TRADUCTION]
«soupçon de prise d'otage». Bien que la Cour refuse
d'intervenir dans ce cas d'espèce, le juge Cory, de
la Haute Cour de justice de l'Ontario, se référant à
l'affaire Martineau (N° 2), n'en déclare pas moins
qu'il y a un devoir d'agir équitablement imposé à
l'autorité qui décide du transfèrement, et il ajoute
à la page 176:
[TRADUCTION] Bien que le Ministre soit également habilité à
transférer un prisonnier d'un établissement à un autre, il ne fait
pas de doute que celui-ci doit être traité équitablement, lorsque
ses droits fondamentaux sont en jeu. La réadaptation du prison-
nier est un principe important de la détermination de la peine.
La meilleure façon de protéger la société serait sans aucun
doute de réadapter tous les prisonniers. Si chaque prisonnier
était parfaitement réadapté, l'établissement rendrait à la
société un citoyen utile à sa collectivité. Les autorités péniten-
tiaires peuvent contribuer à la réadaptation des prisonniers en
faisant preuve d'équité dans leurs rapports avec ceux-ci.
Dans l'affaire Re Abrahams and Attorney -
General of Canada [(1983), 142 D.L.R. (3d) 1
(C.S.C.)], jugement rendu le 25 janvier 1983 par
l'honorable juge Wilson, jugement unanime de la
Cour suprême du Canada, aux pages 7 et 8, le juge
Wilson s'exprime ainsi:
[TRADUCTION] Puisque le but général de la Loi est de procurer
des prestations aux chômeurs, je préfère opter pour une inter-
prétation libérale des dispositions relatives à la réadmissibilité
aux prestations. Je crois que tout doute découlant de l'ambi-
guïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataire.
Le droit carcéral, comme la loi sur l'assurance-
chômage, est du droit social. Le but de cette loi,
une fois assurée la protection de la société, est de
favoriser la réhabilitation du détenu. En consé-
quence, malgré les larges pouvoirs attribués au
Service canadien des pénitenciers, toute difficulté
de langage doit être interprétée en faveur de l'ad-
ministré. Les obligations imposées à l'administra-
teur par les articles 13 et 14 du Règlement sur le
service des pénitenciers doivent être respectées. La
Cour conclut que dans l'espèce, l'intimé Lussier a
manqué à son devoir d'agir avec équité en transfé-
rant le requérant dans une institution où le niveau
de sécurité est plus élevé que celui que nécessite
son cas.
1 (1980), 57 C.C.C. (2d) 169 (H.C. Ont.).
Le requérant allègue encore, comme troisième
motif au soutient de sa demande de révision de la
décision, que celle-ci contrevient à l'article 7 de la
Loi constitutionnelle de 1982 en ce qu'elle met en
danger la sécurité de sa personne et constitue une
négation des garanties à lui conférées par ladite
Loi.
L'article 7 est la première des garanties juridi-
ques enchâssées dans la Constitution canadienne et
se lit comme suit:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
Cet article reprend d'une part une partie de
l'objet de la Déclaration canadienne des droits,
S.C. 1960, chap. 44 [S.R.C. 1970, Appendice 1I1],
laquelle reprenait elle-même la garantie donnée
par la Constitution américaine dans ses Cinquième
et Quatorzième Amendements.
On a retiré de la Constitution canadienne le
quatrième droit qui était celui à la propriété.
Cependant, le droit à la sécurité de la personne
demeure et il s'agit de définir ce que contient ce
droit.
La Loi constitutionnelle de 1982 étant en
vigueur depuis le mois d'avril 1982 seulement, le
procureur du requérant s'est contenté de référer à
deux ouvrages relativement récents: Hogg, P. W.,
Canada Act 1982 annotated, The Carswell Com
pany Limited, Toronto, 1982, et Beaudoin, G. A.,
et Tarnopolsky, W. S., Charte canadienne des
droits et libertés, Wilson & Lafleur/Sorej, Mont-
réal, 1982. Ces deux ouvrages qui analysent la
nouvelle Constitution sont utiles pour définir cette
notion de la sécurité de la personne. Beaudoin et
Tarnopolsky citent [à la page 336] la Commission
de réforme du droit qui nous offre la définition
suivante:
... la sécurité de la personne signifie non seulement la protec
tion de l'intégrité physique mais encore le droit aux choses
nécessaires à la vie ... .
On reconnaît dans cet ouvrage à la page 339 que
le droit d'accès aux soins médicaux se rattache au
droit à la sécurité de la personne.
Or, l'affidavit de Robert Collin décrit sa santé
physique et son état de cardiaque. Il soulève dans
la question du préjudice qui lui est causé par son
transfert à l'institution Laval le fait qu'il doit
maintenant, pour avoir accès aux soins médicaux,
procéder par requête alors qu'à l'institution
Leclerc, il avait un accès beaucoup plus facile à
l'infirmerie. Par contre, l'affidavit du D' Baltha-
zard, le médecin institutionnel responsable des
soins médicaux à l'institution Laval, fait état de
l'existence d'un hôpital «bien organisé» à l'institu-
tion Laval. Cependant, lors de son interrogatoire
sur affidavit, le Dr Balthazard décrivant la procé-
dure d'urgence pour l'accès aux soins admet que la
nuit, dans les cellules où ils sont enfermés à clé, il
n'existe pas de sonnette d'alarme pour les détenus.
Il admet encore que, pour attirer l'attention en cas
d'urgence, le détenu doit ou crier ou frapper sur les
barreaux de sa cellule. Bien que responsable des
soins médicaux, il admet n'être pas au courant de
la façon dont les détenus peuvent avoir les soins
immédiats nécessaires. Il reconnaît que les gar-
diens, qui n'ont aucune formation spéciale pour
déterminer si les symptômes des malades sont
urgents ou non, se font probablement l'intermé-
diaire entre le détenu et le personnel hospitalier,
réduit à une seule infirmière la nuit, qui décidera
d'intervenir ou non à partir de l'interprétation des
symptômes que lui soumettent verbalement les
gardiens bien plus que sur ces symptômes eux-
mêmes. Il ajoute qu'il n'est présent au pénitencier
que le matin et qu'il a conservé une pratique privée
en plus de ses responsabilités à l'institution Laval.
Les maladies cardiaques étant une des causes les
plus fréquentes de décès dans ce pays, le comporte-
ment à adopter par un profane qui se trouve en
présence d'un malade semblant souffrir d'une crise
cardiaque est devenu un lieu commun. Les recom-
mandations de base sont les suivantes: ne faire
faire aucun exercice violent à la personne affectée
et l'acheminer le plus rapidement possible vers un
service d'urgence d'hôpital. Dans ces circons-
tances, il est étonnant de lire ce que nous dit le
Dr Balthazard lors de son interrogatoire:
La douleur est très intense mais ne l'empêche pas de cogner sur
les barreaux, ne l'empêche pas de crier.
Le Dr Balthazard ne croit pas que le stress
occasionné par la détention à l'institution Laval
soit une cause d'angoisse spéciale pour une per-
sonne atteinte d'une maladie cardiaque. Il admet
cependant que l'anxiété conduit au stress et que le
stress peut déclencher une crise cardiaque.
La jurisprudence pour sa part reconnaît qu'une
personne qui a déjà eu une attaque coronarienne
subit des anxiétés spéciales. Dans l'affaire Mercier
c. Smith 8 , le juge Forest déclare:
Il en demeure que le demandeur reste handicapé sérieusement,
ne peut risquer des activités demandant plus d'efforts que la
normale, subit quotidiennement des inconvénients, des anxiétés,
les tourments de toute personne qui a déjà eu une attaque
coronarienne et il a une incapacité partielle permanente qui
résulte de cet accident.
Il résulte de l'ensemble du dossier que la déten-
tion à l'institution Laval où déjà, après un mois de
détention, le requérant avait entendu tirer des
coups de feu à huit occasions différentes, où le Dr
Balthazard admet avoir constaté le décès dans leur
cellule pendant la nuit de deux de ses patients, en
l'espace du seul mois de janvier 1983, cette déten-
tion, en augmentant l'anxiété du requérant due à
son état de santé, risque d'aggraver sa maladie et
en le privant d'accès à des soins médicaux adé-
quats, elle porte atteinte effectivement à la sécurité
de sa personne.
L'article 7 de la Loi constitutionnelle de 1982
déclare que:
7.... il ne peut être porté atteinte à ce droit sauf en
conformité avec les principes de justice fondamentale.
Ces mots «les principes de justice fondamentale»
ne sont pas les mêmes que ceux qui étaient
employés par la Déclaration canadienne des droits
de 1960, lesquels faisaient référence au «due pro
cess of law» repris de la Constitution américaine.
Il faut se rappeler que dans l'arrêt Curr 9 le juge
Laskin a interprété cette clause «due process of
law» d'une façon restrictive, c'est-à-dire en la limi-
tant à une protection procédurale.
Cette interprétation restrictive s'est peu à peu
diluée jusqu'à ne plus signifier que: «according to
law». Cependant, les affaires Nicholson [Nichol-
son c. Haldimand-Norfolk Regional Board of
Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311] et
Martineau (No 2) ont introduit dans la jurispru
dence le concept du devoir d'équité et jusqu'à
8 Cour supérieure, Montréal, 500-05-021 261-753, jugement
en date du 29 novembre 1979 (Annuaire de jurisprudence du
Québec 1980, n° 2435).
9 [1972] R.C.S. 889.
l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, c'est
cette notion que les auteurs ont appelée «la nou-
velle justice naturelle», que les tribunaux ont appli-
quée aux matières administratives.
Quels sont donc la portée et le sens de la clause
des principes de justice fondamentale dans la Loi
constitutionnelle de 1982? En droit anglais, les
mots «justice fondamentale», «justice naturelle»,
«British justice», ont toujours été considérés
comme synonymes. Leur contenu repose sur deux
principes de base: la règle audi alteram partem
d'une part et la règle nemo judex in sua causa,
d'autre part.
La protection assurée par l'article 7 de la Charte
canadienne des droits et libertés est attachée à la
personne et au droit lui-même. Faire une distinc
tion dans le contenu de la justice fondamentale en
fonction de celui qui viole ce droit, ce serait vider
de sens la garantie conférée par la Loi constitu-
tionnelle de 1982.
Les arrêts Nicholson et Martineau (N° 2)
avaient à décider de la juridiction respective de la
Cour d'appel fédérale et de la Division de première
instance de cette même Cour conférée par les
articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10. Indépendam-
ment de cette juridiction, l'article 7 de la Charte
confère aux trois droits mentionnés à cet article un
statut particulier. En conséquence, la justice fon-
damentale, lorsqu'il est question d'une atteinte
portée à la sécurité de la personne, impose à toute
Administration le devoir d'aviser l'administré
qu'une décision est considérée et qu'on lui fasse
connaître le grief qu'on peut avoir contre lui. Par
ailleurs, l'administré doit se voir offrir la possibi-
lité de se défendre et de faire des représentations
pertinentes. L'Administration a, de plus, le devoir
de juger du cas en toute impartialité et de prendre
sa décision en fonction de la totalité de la preuve
qui lui est soumise.
En matière de transfèrement dans un péniten-
cier à sécurité plus grande que celui où est détenu
le prisonnier, lorsque ce transfèrement a pour effet
de porter atteinte à la sécurité de la personne, il ne
s'agit plus d'une simple décision administrative
mais bien d'une décision touchant au droit consti-
tutionnel et, par conséquent, la justice fondamen-
tale doit être respectée.
Si la Loi et le Règlement sur le service des
pénitenciers, du fait de leur silence en matière de
transfèrement, devaient être interprétés comme ne
permettant pas l'application des principes de jus
tice fondamentale dans ce cas, on devrait les consi-
dérer comme étant inconstitutionnels.
Pour les motifs exposés ci-haut, la Cour accorde
l'émission du bref de certiorari, annule et casse la
décision de l'intimé, Raymond Lussier, de transfé-
rer le requérant, Robert Collin, de l'institution
Leclerc à l'institution Laval.
Pour les mêmes motifs, la Cour ordonne à l'in-
timé de transférer immédiatement le requérant,
Robert Collin, dans une institution à sécurité
moyenne et de respecter les droits constitutionnels,
statutaires et réglementaires du requérant.
Dans son avis introductif d'instance, le requé-
rant a demandé au tribunal une ordonnance lui
accordant la réparation que le tribunal estime
convenable et juste eu égard aux circonstances,
conformément au paragraphe 24(1) de la Loi
constitutionnelle de 1982.
Ce paragraphe crée un recours en cas d'atteinte
aux droits et libertés garantis par la Loi constitu-
tionnelle de 1982 et se lit comme suit:
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation
des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente
charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la
réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard
aux circonstances.
La première question soulevée par ce paragra-
phe est celui de la qualité pour agir. Le requérant
étant en l'instance la victime, il a de toute évidence
qualité pour agir.
La seconde question qui se pose est celle de la
compétence du tribunal. En l'instance, le requérant
est un détenu dans un pénitencier fédéral et l'in-
timé est un «office, commission ou autre tribunal
fédéral» tel que défini à l'article 2 de la Loi sur la
Cour fédérale. Par ailleurs, les articles 17 et 18 de
la même Loi donnent compétence à la Division de
première instance tant pour entendre d'une
demande de redressement sous forme de domma-
ges-intérêts que pour émettre un certiorari ou un
mandamus.
Quant à la réparation convenable et juste eu
égard aux circonstances, la Loi confère au tribunal
une discrétion absolue.
Le requérant a fait la preuve du préjudice qu'il a
subi et le tribunal l'évalue comme suit:
1. Perte pécuniaire $ 136.00
2. Dommages moraux:
pour avoir été privé de la visite de
sa mère pendant les 4 mois de sa
détention à l'institution Laval 500.00
3. Soins médicaux:
Pour avoir été privé tant de sa diète
végétarienne que lui a refusé [sic] le
D' [sic] Balthazard que de l'accès à des
soins médicaux adéquats: 2,500.00
4. Atteinte à la sécurité de sa personne:
a) diminution de l'espérance de vie:
tenant compte de l'âge du
requérant, de sa condamnation à
perpétuité et des progrès de la
médecine: 7,500.00
b) dommages exemplaires: 7,500.00
Total: $18,136.00
Pour établir le montant de ces dommages, le
tribunal s'appuie sur la jurisprudence suivante:
dommages moraux: Commission des droits de la
personne du Québec c. Anglsberger'°; soins médi-
caux: Mercier c. Smith [précité]; atteinte à la
sécurité de la personne, dommages exemplaires:
Dodge v. Bridger et al."
Au cours de l'audition, le procureur de l'intimé
n'a fait aucune représentation à l'encontre du
quantum proposé par le requérant. Il s'est contenté
de dire que le requérant aurait dû demander des
dommages par le biais d'une action conformément
à la Règle 600 de la Cour fédérale. Les Règles de
pratique de la Cour fédérale ont pour but de
faciliter la marche normale des procès plutôt que
de la retarder ou d'y mettre fin prématurément.
Elles visent aussi à faire apparaître le droit et à en
assurer la sanction. Le requérant ayant fait la
preuve tant de la responsabilité de l'intimé que du
10 [1982] C.P. 82, la p. 85.
11 (1978), 4 C.C.L.T. 83 (H.C. Ont.).
préjudice qu'il a subi, ce serait diluer le recours
prévu au paragraphe 24(1) de la Loi constitution-
nelle de 1982 que de l'obliger à introduire une
nouvelle instance devant la Cour fédérale pour
obtenir la réparation à laquelle il a droit.
En conséquence, la Cour condamne l'intimé,
Raymond Lussier, à payer au requérant, Robert
Collin, la somme de $18,136 (DIX-HUIT MILLE
CENT TRENTE-SIX DOLLARS) avec les intérêts
depuis la date de l'assignation.
La Cour rejette la requête verbale de l'intimé de
lui accorder un sursis pour l'exécution du présent
jugement.
La Cour condamne l'intimé aux dépens.
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