T-391-83
Secrétaire d'État du Canada (appelant)
c.
Rafic Antoine Abi-Zeid (intimé)
Division de première instance, juge Dubé—Haw-
kesbury (Ontario), 13 septembre; Ottawa, 15 sep-
tembre 1983.
Citoyenneté — Conditions de résidence — L'intimé, 25 jours
après son entrée au Canada à titre de résident permanent, est
retourné dans son pays d'origine pour y travailler jusqu'à la
date de la présentation de sa demande de citoyenneté quatre
ans plus tard — Pendant toute l'époque en cause, la famille de
l'intimé a demeuré au Canada — Demande de citoyenneté
accueillie: malgré les absences, mode habituel de vie établi au
Canada — L'intimé était-il tenu d'accumuler trois ans de
résidence au Canada conformément à l'art. 5(1)b) de la Loi?
Aucune durée n'est spécifiée pour la période nécessaire à
l'établissement d'une résidence — Application des principes
dégagés dans In re la Loi sur la citoyenneté et in re Papado-
giorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1'e inst.) — La présence continue
au Canada de la famille de l'intimé constitue une preuve de ses
intentions — Appel rejeté — Loi sur la citoyenneté, S.C.
1974-75-76, chap. 108, art. 5(1)b), abrogé et remplacé par
S.C. 1976-77, chap. 52, art. 128 (Item 5).
L'intimé a été légalement admis au Canada à titre de
résident permanent le 5 septembre 1978. Incapable de trouver
du travail, il est retourné au Liban 25 jours après son admission
au Canada et a continué à y travailler jusqu'à la date de sa
demande de citoyenneté le 9 septembre 1982. À son arrivée au
Canada, l'intimé et sa famille se sont établis en Ontario.
L'intimé est revenu au Canada pour une période de 277 jours
pendant toute la période requise. Il maintient un compte en
banque au Canada, il cotise au Régime d'assurance-maladie de
l'Ontario et paie l'impôt sur le revenu au Canada. Le juge de la
citoyenneté a accueilli la demande de citoyenneté de l'intimé au
motif qu'il avait établi son mode habituel de vie au Canada
malgré ses nombreuses absences à l'étranger; il a donc appliqué
la décision rendue dans In re la Loi sur la citoyenneté et in re
Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1" inst.). L'appelant
soutient que le juge de la citoyenneté a rendu une décision
erronée parce que l'intimé n'a pas accumulé trois ans de
résidence au Canada, conformément à l'alinéa 5(1)b) de la Loi,
avant le début de ses absences, et que tel n'était pas le cas dans
l'arrêt Papadogiorgakis où l'appelant avait habité plus de trois
ans au Canada avant d'aller aux États-Unis pour y poursuivre
ses études.
Jugement: l'appel devrait être rejeté. Les principes dégagés
par la Cour fédérale dans des décisions antérieures sont appli-
cables en l'espèce: bien qu'il ne lui soit pas nécessaire d'être
présente au Canada, physiquement et continuellement, au cours
de toute la période indiquée à l'alinéa 5(1)b), une personne
doit, avant son absence, avoir établi sa résidence au Canada et
doit, d'une certaine façon, la continuer pendant son absence à
l'étranger. Cependant, ni la Loi ni la jurisprudence ne spéci-
fient la durée d'une période nécessaire à l'établissement d'une
résidence. Il serait illogique que l'intimé perde sa résidence en
quittant le Canada pour aller travailler à l'étranger alors que
Papadogiorgakis n'a pas perdu la sienne en allant étudier aux
États-Unis. L'intimé a effectivement déménagé son foyer du
Liban au Canada. Même si la période initiale que l'intimé a
passée au Canada était beaucoup plus brève que dans le cas de
Papadogiorgakis, la présence continue au Canada de sa famille
constitue un témoignage vibrant et vivant de ses intentions.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
In re la Loi sur la citoyenneté et in re Papadogiorgakis,
[1978] 2 C.F. 208 (1' inst.).
AVOCATS:
Yves Perrier pour l'appelant.
Aucun avocat pour le compte de l'intimé.
Michel Z. Charbonneau, amicus curiae.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelant.
Michel Z. Charbonneau, Hawkesbury (Onta-
rio), amicus curiae.
L'INTIMÉ POUR SON PROPRE COMPTE:
Rafic Antoine Abi-Zeid.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DUBÉ: Le Secrétaire d'État du Canada
en appelle de la décision du juge de la citoyenneté,
rendue le 13 janvier 1983 Ottawa, accordant la
demande de Rafic Antoine Abi-Zeid en vue d'ob-
tenir la citoyenneté, pour le motif que le juge de la
citoyenneté a erré en fait et en droit en approuvant
la demande avant que l'intimé n'ait accumulé trois
ans de résidence au Canada, contrairement aux
dispositions de l'alinéa 5(1)b) de la Loi sur la
citoyenneté [S.C. 1974-75-76, chap. 108, abrogé et
remplacé par S.C. 1976-77, chap. 52, art. 128
(Item 5)]. L'alinéa se lit comme suit:
5. (1) Le Ministre doit accorder la citoyenneté à toute
personne qui, n'étant pas citoyen, en fait la demande et qui
b) a été légalement admise au Canada à titre de résident
permanent, n'a pas depuis perdu ce titre conformément à
l'article 24 de la Loi sur l'immigration de 1976, et a, dans les
quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, totalisé au
moins trois ans de résidence au Canada calculés de la
manière suivante:
(i) elle est censée avoir acquis un demi-jour de résidence
pour chaque jour durant lequel elle résidait au Canada
avant son admission légale au Canada à titre de résident
permanent, et
(ii) elle est censée avoir acquis un jour de résidence pour
chaque jour durant lequel elle résidait au Canada après
son admission légale au Canada à titre de résident
permanent;
Il est constant que l'intimé a été légalement
admis au Canada à titre de résident permanent le
5 septembre 1978. Par contre, le 30 septembre
1978, soit quelque vingt-cinq jours après son
entrée au Canada, il s'en est retourné au Liban et
a continué d'y travailler jusqu'à la date de sa
demande de citoyenneté, soit le 9 septembre 1982.
Le juge de la citoyenneté lui a tout de même
accordé sa demande pour le motif suivant, lequel
paraît à l'antépénultième paragraphe de sa
décision:
[TRADUCTION] Je suis au courant des absences prolongées et
fréquentes du requérant à l'étranger. Toutefois, mon opinion
motivée est qu'il a établi ici, au Canada, un pied-à-terre où il
est revenu aussi souvent que possible pour être avec sa famille.
Il a centralisé au Canada son mode de vie, et ce mode n'a pas
cessé d'être centralisé ici en dépit de ses absences à l'étranger.
J'estime que cette affaire ne le cède en rien à celle où le juge
Thurlow, alors juge en chef adjoint, a rendu la décision
Papadogiorgakis.
L'intimé est arrivé au Canada accompagné de sa
femme et de ses trois enfants; il s'est établi avec sa
famille dans un appartement à Hawkesbury
(Ontario), et sa famille a toujours demeuré dans
cette ville depuis. N'ayant pas d'emploi au Cana-
da', l'intimé a dû s'en retourner au travail à son
poste à l'aéroport de Beyrouth. Il est revenu au
Canada aussi souvent qu'il le pouvait, soit un total
pour cette période de 277 jours au pays. Il main-
tient un compte en banque au Canada, soit à la
Banque Royale d'Hawkesbury. Il cotise au Régime
d'assurance-maladie de l'Ontario (oHIP). Il a payé
l'impôt sur le revenu au Canada. Il est encore
propriétaire d'une maison au Liban qu'il essaie de
liquider.
' Au cours de l'audition de cet appel, l'épouse de l'intimé (ce
dernier étant retenu à l'aéroport de Beyrouth à la suite du
conflit qui rage présentement dans cette ville) a informé l'ami-
cus curiae que son mari venait de recevoir une offre d'emploi à
l'aéroport de Mirabel, à condition qu'il obtienne sa citoyenneté
canadienne.
Les principes essentiels qui se dégagent de la
jurisprudence en la matière 2 sont à l'effet qu'il
n'est pas nécessaire d'être présent au Canada,
physiquement et continuellement, au cours de
toute la période requise. Par contre, une personne
qui s'absente physiquement doit d'abord, avant son
absence, avoir établi sa résidence au pays; elle doit
ensuite, d'une certaine façon, continuer sa rési-
dence au pays au cours de l'absence à l'étranger.
L'argument fondamental du procureur de l'ap-
pelant, si je l'ai bien compris, c'est que l'intimé n'a
pas au préalable établi de résidence légale au
Canada avant le début de ses absences. Tel n'était
pas le cas, dit-il, de l'appelant Antonios E. Papado-
giorgakis (dans l'affaire bien connue citée plus
haut), lequel avait établi un «mode habituel de vie»
en Nouvelle-Écosse avant de poursuivre ses études
à l'Université du Massachusetts aux États-Unis.
L'étudiant Papadogiorgakis était entré au Canada
le 5 septembre 1970 avec un visa d'étudiant et a
été admis comme résident permanent le 13 mai
1974. Au cours de cette période il fréquentait
l'Université Acadia en Nouvelle-Écosse et il a logé
successivement à l'Université, puis en pension et
enfin chez des amis. Il a donc vécu au Canada plus
longtemps que l'intimé avant de s'en absenter pour
ses études.
En l'espèce, il est vrai que l'intimé n'est demeuré
que vingt-cinq jours au Canada avant son retour
au travail à Beyrouth. Cependant, ni la Loi sur la
citoyenneté, ni la jurisprudence ne spécifient la
durée d'une période nécessaire à l'établissement
d'une résidence. L'intimé a été légalement admis
au Canada à titre de résident et s'est établi avec sa
famille à Hawkesbury. Il déménageait donc effec-
tivement sa nouvelle demeure, son foyer, son chez-
lui de Beyrouth à Hawkesbury. La présence conti
nue à cet endroit de son épouse et de ses enfants
constitue un témoignage vibrant et vivant de ses
intentions.
Je ne vois vraiment pas en vertu de quelle
logique l'étudiant Papadogiorgakis ne perd pas sa
résidence en allant étudier aux États-Unis, alors
que l'intimé perdrait la sienne en allant travailler
2 In re la Loi sur la citoyenneté et in re Papadogiorgakis,
[1978] 2 C.F. 208 (1fe inst.); In re la Loi sur la citoyenneté et
in re Mitha [Cour fédérale], ler juin 1979, T-4832-78; In re la
Loi sur la citoyenneté et in re Thompson [Cour fédérale], 8
juin 1979, T-548-79.
au Liban. Les principes établis par le juge en chef
Thurlow [alors juge en chef adjoint] sont les
mêmes dans les deux cas. Je cite le savant juge à la
page 214 de son jugement:
Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne
cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins
temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances
ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille
continue à y habiter durant son absence peut appuyer la
conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à
cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue.
Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y
revient fréquemment lorsque l'occasion se présente.
Même si la période initiale passée au Canada
était beaucoup plus brève dans le cas de l'intimé
que dans celui de l'étudiant Papadogiorgakis, il
n'en demeure pas moins que les racines d'implan-
tation au Canada de l'intimé sont beaucoup plus
profondes: ce sont les membres de sa propre
famille qui l'attendent au foyer.
Dans les circonstances, il n'y a pas lieu d'infir-
mer la décision du juge de la citoyenneté et cet
appel est rejeté.
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