A-643-81
Lumonics Research Limited (appelante)
c.
Gordon Gould, Refac International Limited, et
Patlex Corporation (intimés)
Cour d'appel, juges Pratte, Heald et Ryan—
Ottawa, 9 novembre 1982; 28 janvier 1983.
Pratique — Communication de documents et interrogatoire
préalable — Production de documents — Les intimés ont
déposé une liste de documents pertinents dans une action en
contrefaçon de brevet concernant des communications avec des
procureurs américains dans des procédures introduites 20 ans
plus tôt devant le Bureau américain des brevets — Opposition
à la production de 500 documents confidentiels — L'appelante
demande une ordonnance de production selon la Règle 455
Le privilège entre procureurs et clients ne s'étend pas aux
agents des brevets, parce qu'ils n'appartiennent pas à la pro
fession juridique, même si la correspondance porte sur des
conseils juridiques — Toutes les communications confidentiel-
les avec un membre de la profession juridique sont exemptes
de production même si les services de nature juridique sont
donnés normalement par les agents des brevets — Bien qu'un
procureur ne puisse agir devant le Bureau des brevets qu'en
tant qu'agent des brevets, c'est en sa qualité de procureur que
le client lui demande des conseils sur les procédures en matière
de brevets — Appel accueilli — Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663, Règles 448, 455 — Règles sur les brevets,
C.R.C., chap. 1250, Règle 143(1),(2).
Pratique — Affidavits — Les intimés ont déposé l'affidavit
d'un procureur sur requête en prononcé d'une ordonnance de
production de documents — L'argument selon lequel l'affida-
vit doit être celui de la partie qui réclame le privilège est rejeté
— L'affidavit a été déposé pour étayer le privilège et non pour
le revendiquer — La Règle 332 régit la substance des affida
vits — Les affidavits fondés sur ce qu'on croit, avec les motifs
à l'appui, sont recevables aux fins de requêtes interlocutoires
— L'affidavit en cause est, en substance, sinon en la forme, un
affidavit fondé sur ce qu'on croit — Le moyen d'irrecevabilité
fondé sur le dictum du juge en chef adjoint Thurlow.dans La
Reine c. A. & A. Jewellers Limited, [1978] 1 C.F. 479 (1'e
inst.) est rejeté — L'affidavit n'a pas satisfait aux exigences de
la Règle 332(1) en n'établissant pas le bien-fondé du privilège
revendiqué — Appel accueilli — Production de documents
ordonnée — Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663,
Règles 332(1), 448, 455.
Brevets — Pratique — Les intimés ont déposé une liste de
documents pertinents dans une action en contrefaçon de brevet
concernant des communications avec des procureurs améri-
cains dans des procédures introduites 20 ans plus tôt devant le
Bureau américain des brevets — Le privilège entre procureurs
et clients est invoqué pour certains — L'appelante en demande
la production en vertu de la Règle 455 — Le privilège entre
procureurs et clients ne s'étend pas aux agents des brevets,
parce qu'ils n'appartiennent pas à la profession juridique,
même si la correspondance porte sur des conseils juridiques —
Toutes les communications confidentielles avec un membre de
la profession juridique sont exemptes de production même si
les services de nature juridique sont donnés normalement par
des agents des brevets — Bien qu'un procureur ne puisse agir
devant le Bureau des brevets qu'en tant qu'agent des brevets,
c'est en sa qualité de procureur que le client lui demande des
conseils dans des affaires de brevets — Règles de la Cour
fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 448, 455 — Règles sur les
brevets, C.R.C., chap. 1250, Règle 143(1),(2).
Les intimés ont poursuivi l'appelante en contrefaçon de
brevet. En vertu de la Règle 448, chaque partie a déposé une
liste des documents se trouvant en sa possession et ayant trait à
l'affaire. Dans leur liste, les intimés se sont opposés à la
production de 500 documents composés de lettres, de mémoires
et de notes, invoquant le privilège entre procureurs et clients.
Tous les documents se rapportaient à des procédures intentées
devant le Bureau américain des brevets il y a vingt ans, et les
procureurs avec qui les intimés prétendent avoir eu des commu
nications confidentielles étaient américains. L'appelante a invo-
qué la Règle 455 pour faire ordonner la production de ces
documents. En réponse, les intimés ont déposé un affidavit
établi par l'un de leurs procureurs actuels. Le juge de première
instance a fait droit à la revendication du privilège.
Arrêt: l'appel est accueilli, et il est ordonné la production de
certains des documents.
(1) Selon le droit canadien, le privilège attaché à la profes
sion juridique ne s'étend pas aux agents des brevets, ceux-ci,
comme tels, n'étant pas membres de la profession juridique.
Aucun privilège n'existe même si la communication en cause
vise à obtenir ou à donner des conseils juridiques. Tous les
renseignements confidentiels donnés à un membre de la profes
sion juridique ou provenant de ce dernier sont, toutefois,
exempts de production—et cctte règle s'applique même si ces
renseignements se rapportent au genre de services de nature
juridique que fournissent normalement des agents des brevets.
Lorsqu'un client a recours aux services d'un procureur relative-
ment aux procédures devant le Bureau des brevets, ce qu'il lui
demande, ce sont ses conseils donnés en tant que procureur et
non en tant qu'agent des brevets et ce, en dépit du fait qu'un
procureur, en tant que tel, ne saurait représenter un requérant
dans des procédures devant le Bureau des brevets.
(2) Il appartenait aux intimés de prouver le bien-fondé de
leur revendication du privilège. Il n'y a rien d'inapproprié dans
le fait que l'affidavit a été établi par l'un des procureurs des
intimés, plutôt que par les parties réclamant réellement le
privilège. L'affidavit n'a pas été déposé pour attester l'exacti-
tude de la liste des documents déposée par les intimés, et la
Règle 448 ne détermine donc pas qui doit établir cet affidavit.
Il est vrai que le privilège est celui du client et ne saurait être
revendiqué par le procureur; toutefois, l'affidavit n'a pas été
déposé dans le dessein de revendiquer le privilège. Cette reven-
dication avait déjà été faite, au nom des intimés, dans leur liste
des documents. Par conséquent, l'affidavit a été déposé unique-
ment pour établir le bien-fondé de la revendication. Si une
personne autre que les intimés est à même de prouver les faits
sur lesquels repose la revendication, notamment le caractère
confidentiel de la correspondance, il n'y a pas lieu de rejeter ni
d'écarter sa preuve. Néanmoins, l'affidavit est irrecevable pour
d'autres motifs. La Règle 332(1) précise les circonstances dans
lesquelles un affidavit fondé sur ce qu'on croit est—et n'est
pas—recevable. Cette Règle régit la substance des affidavits et
non leur forme: si une affirmation dans un affidavit ne repose
pas sur la connaissance propre du déposant, cette affirmation
est une déclaration fondée sur ce qu'on croit pour les fins de la
Règle, même si elle n'est pas rédigée comme telle. En l'espèce,
l'affidavit du procureur ne semble pas, d'après sa formulation,
être un affidavit fondé sur ce qu'il croit. Il est clair, toutefois,
que certaines déclarations faites par le procureur déposant ne
portent pas sur des faits connus de lui, puisqu'il ne peut avoir
eu personnellement connaissance de documents apparemment
écrits il y a vingt ans aux États-Unis. Nonobstant le dictum du
juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son titre) dans
l'affaire La Reine c. A. & A. Jewellers Limited, [1978] 1 C.F.
479 (1" inst.), la Règle 332(1) subordonne la recevabilité d'un
affidavit fondé sur ce qu'on croit à seulement deux conditions
préalables (bien que, une fois déclaré recevable, on puisse
attacher à cet affidavit peu de poids). Premièrement, l'affidavit
doit être déposé aux fins d'une requête interlocutoire: deuxiè-
mement, le déposant doit indiquer dans son affidavit pourquoi il
le croit. L'affidavit dont il s'agit en l'espèce n'est pas conforme
à la deuxième de ces conditions ni n'indique les faits qui
affirmeraient la revendication du privilège. La Cour est effecti-
vement saisie de presque tous les documents en question, et il
ressort de leur examen que le privilège entre procureurs et
clients s'applique à certains d'entre eux (savoir, la correspon-
dance). L'exactitude de la déclaration du déposant selon
laquelle d'autres documents (savoir, les mémoires et les notes)
avaient également été rédigés par les procureurs des intimés
n'est pas évidente, que l'on examine les documents eux-mêmes
ou les documents de la cour américaine qui ont été soumis. Par
conséquent, la revendication du privilège relativement à cette
dernière catégorie de documents ne saurait être accueillie, et il
y a lieu de les produire.
JURISPRUDENCE
DÉCISION ÉCARTÉE:
La Reine c. A. & A. Jewellers Limited, [1978] 1 C.F. 479
(1'e inst.).
DÉCISION CITÉE:
Flexi-Coil Ltd. c. Smith -Roles Ltd., [1982] 1 C.F. 827;
59 C.P.R. (2d) 46 (1' inst.).
AVOCATS:
David W. Scott, c.r. et Terrance J. McManus
pour l'appelante.
Roger T. Hughes pour les intimés.
PROCUREURS:
Scott & Aylen, Ottawa, pour l'appelante.
Sim, Hughes, Toronto, pour les intimés.
Ce gui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Appel est formé contre un
jugement de la Division de première instance
[T-5951-78, ordonnance en date du 20 octobre
1981] portant rejet de la requête introduite par
l'appelante en vertu de la Règle 455 [Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] et tendant à
l'obtention d'une ordonnance qui enjoindrait aux
intimés de produire certains documents.
Les intimés sont demandeurs devant la Division
de première instance, où ils ont poursuivi l'appe-
lante en contrefaçon d'un brevet d'invention. Dans
cette action, l'appelante et les intimés ont déposé
des listes de tous les documents qui étaient en leur
possession et «qui ont trait à tout point litigieux de
l'affaire» (Règle 448). Toutefois, les intimés ont
refusé de produire quelque cinq cents documents
énumérés et sommairement décrits dans la partie 2
de l'annexe I de leur liste. Voici la raison qu'ils
invoquent:
[TRADUCTION] Les demandeurs s'opposent à la production des
documents énumérés dans la partie 2 de ladite annexe I du fait
du privilège entre avocat et client, ces documents faisant l'objet
d'une correspondance entre un ou plusieurs des demandeurs et
leur procureur dans le cadre d'un litige portant sur les questions
en litige en l'espèce ou en vue d'un tel litige.
La liste des documents des intimés, qui conte-
nait la déclaration citée ci-dessus, n'a pas été
attestée par un affidavit. Toutefois, après réception
d'un avis portant que l'appelante s'adresserait à la
Division de première instance pour solliciter une
ordonnance qui enjoindrait la production des docu
ments énumérés dans la partie 2 de l'annexe I, les
intimés ont déposé un affidavit dans le dessein
évident d'établir le bien-fondé de leur revendica-
tion du privilège. La partie principale de cet affi
davit est ainsi rédigée:
[TRADUCTION] Je soussigné, KENNETH D. MCKAY, avocat,
de la Communauté urbaine de Toronto, province de l'Ontario,
DÉCLARE SOLENNELLEMENT Ce qui suit:
1. Je suis avocat, associé dans le cabinet de Donald F. Sim,
c.r., procureur des demandeurs à l'instance, et je suis au
courant des questions qui font l'objet du serment en l'espèce.
2. Ces documents, énumérés dans la partie 2 de l'annexe 1 de
la liste des documents des demandeurs établie selon la Règle
448 et figurant sur la liste annexée ont été examinés par
l'avocat des demandeurs, et on croit que la revendication de
privilège à l'égard de ces documents est bien fondée en ce que
les documents y énumérés sont des lettres et notes rédigées
par les avocats des demandeurs relativement aux procédures
devant le Bureau américain des brevets concernant l'instruc-
tion de la demande d'un brevet équivalent devant ce Bureau,
un litige par voie de procédure de conflit et un règlement
possible du litige par l'octroi d'une licence ou autre, le tout
ayant été précisé dans cette liste.
3. Les documents énumérés ont fait l'objet d'une demande de
production devant la Cour de district américaine, district
central de la Floride, Division Orlando; cette Cour a examiné
ces documents et déclaré que tous les documents sauf six
d'entre eux étaient confidentiels. Ces six documents ont été
produits dans ce procès canadien. Des copies de l'ordonnance
de la Cour de Floride, ainsi que l'affidavit et les notes
déposés par les demandeurs dans ces procédures, sont
annexées aux présentes et constituent la pièce A.
4. Les demandeurs mettent à la disposition de la Cour pour
examen, si besoin est, copies de tous les documents ainsi
énumérés à l'égard desquels le caractère confidentiel est
revendiqué. Voici ces liasses de documents:
a) lettres, factures, projets et autres relativement à des
demandes de brevet américaines, à quelques demandes
étrangères de brevet, et à des procédures de conflit, qui se
présentent sous forme de lettres d'envoi, de présentation de
projets à l'approbation et de comptes d'honoraires d'avocat
pour services fournis. Tous ces documents sont rédigés par
les procureurs du demandeur ou adressés à ceux-ci;
• b) un groupe de notes manuscrites et des projets de
documents accompagnés de notes manuscrites, préparés
par les avocats des demandeurs en vue des procédures de
conflit devant le Bureau américain des brevets et devant
des cours supérieures;
c) des lettres provenant des procureurs des demandeurs et
adressées à ceux-ci relativement à des procédures de con-
flit aux États-Unis et à des propositions de règlement.
5. Les procédures de conflit devant le Bureau américain des
brevets ressemblent en grande partie à celles engagées devant
la Cour fédérale en ce qu'elles se déroulent inter partes, avec
l'administration des éléments de preuve, la présentation des
arguments, l'introduction possible des requêtes interlocutoi-
res. Les décisions sont susceptibles d'appel devant diverses
cours américaines.
Le paragraphe 3 de l'affidavit de McKay fait
état d'un autre affidavit déposé devant une cour
américaine. Dans cet affidavit, l'intimé Gould a
simplement donné l'identité des auteurs et des
destinataires des différentes lettres à l'égard des-
quelles le privilège entre avocat et client a été
revendiqué devant la cour américaine.
Sur la base de ces éléments de preuve et de son
examen de ces documents, le juge de première
instance a décidé que tous ces documents étaient
confidentiels en raison du privilège entre avocat et
client, et il a donc rejeté la demande de production
de l'appelante.
L'appelante a maintenant retiré sa requête en
production de certains des documents en question
(voir paragraphe 5 de la partie I de son mémoire).
Quant aux autres documents, toutefois, l'avocat de
l'appelante a invoqué deux motifs pour contester la
décision de la Division de première instance. Pre-
mièrement, il prétend que le juge de première
instance a commis une erreur en ne tenant pas
compte du fait que les documents dont on a
demandé la production n'étaient pas des lettres
entre procureurs et clients ni des notes rédigées par
des procureurs, mais étaient plutôt des lettres entre
agents des brevets et clients et des notes rédigées
par ces agents. Deuxièmement, il fait valoir qu'en
tout état de cause, l'affidavit de McKay n'a pas
établi le bien-fondé de la revendication de privilège
des intimés.
I—Procureur ou agent des brevets
Il est constant que tous les documents en ques
tion, qu'ils soient des lettres, mémoires ou notes, se
rapportent aux procédures engagées devant le
Bureau américain des brevets voilà vingt ans. Il est
également reconnu que les procureurs avec qui les
intimés prétendent avoir eu des rapports de nature
à donner lieu au privilège étaient américains.
La prétention de l'appelante, pour ce qui est de
cet aspect de l'affaire, repose sur l'idée que,
comme le droit des États-Unis est présumé, en
l'absence de preuve contraire, semblable à notre
droit, les procureurs américains des intimés, en
tant que tels, n'étaient pas en droit de poursuivre
les demandes devant le Bureau des brevets', puis-
que ce privilège était et est encore réservé aux
agents des brevets. De cette hypothèse, l'avocat de
l'appelante a tiré deux conclusions: premièrement,
les procureurs américains, dans leurs rapports avec
les intimés, agissaient en leur qualité d'agents des
brevets et non de procureurs; deuxièmement, il en
découle que la correspondance entre ces procu-
reurs et les intimés était, en fait, une correspon-
dance entre agents des brevets et clients qui n'était
pas confidentielle, le privilège attaché à la profes
sion juridique ne s'étendant pas aux agents des
brevets.
I Voir l'article 143 des Règles sur les brevets [C.R.C., chap.
1250]:
143. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la seule personne
qui peut poursuivre une demande auprès du Bureau est un
agent des brevets désigné
a) à titre d'agent; ou
b) à titre de coagent par l'agent du demandeur.
(2) L'inventeur d'une invention à l'égard de laquelle une
demande est faite peut poursuivre la demande auprès du
Bureau jusqu'à ce qu'une cession de son droit au brevet ou de
son intérêt entier dans l'invention ait été enregistrée au
Bureau.
Au Canada, il est clair que le privilège de la
profession juridique ne s'étend pas aux agents des
brevets. Toutefois, la seule raison en est que les
agents des brevets, en tant que tels, n'appartien-
nent pas à la profession juridique. C'est la raison
pour laquelle la correspondance entre eux et leurs
clients n'est pas confidentielle, même si cette cor-
respondance est échangée dans le dessein d'obtenir
ou de donner des conseils juridiques.
D'autre part, tous les renseignements confiden-
tiels donnés à un membre de la profession juridi-
que ou provenant de ce dernier en vue d'obtenir
des conseils juridiques sont exempts de production,
que ces renseignements se rapportent ou non au
genre d'avis ou d'opinions juridiques que donnent
normalement des agents des brevets. Un conseil
juridique ne cesse pas de l'être simplement parce
qu'il a trait à des procédures devant le Bureau des
brevets. D'habitude, ces procédures donnent lieu à
des questions juridiques; pour cette raison, lors-
qu'on a recours aux services d'un procureur relati-
vement à ces procédures, ce qu'on demande réelle-
ment, ce sont des conseils et de l'aide juridiques, et
ce, en dépit du fait qu'un procureur, en tant que
tel, ne saurait représenter un requérant dans des
procédures devant le Bureau des brevets.
Par ces motifs, j'estime qu'il y a lieu de rejeter
la première prétention de l'appelante.
II—L'affidavit
Les intimés ont refusé de produire les documents
au motif qu'ils étaient confidentiels. Il leur appar-
tenait de prouver que leur prétention au privilège
était bien fondée. Le seul élément de preuve qu'ils
aient produit à cette fin, à part les documents
eux-mêmes, est l'affidavit de Kenneth D. McKay
que j'ai déjà reproduit.
L'avocat de l'appelante fait valoir que cet affi
davit était irrégulier pour deux raisons: en premier
lieu, il s'agissait de l'affidavit d'un procureur
plutôt que de la partie réclamant le privilège et, en
second lieu, il s'agissait d'un simple affidavit fondé
sur ce qu'on croit qui n'établissait pas les éléments
nécessaires du privilège.
À l'appui de son argument que l'affidavit aurait
dû être établi par la partie réclamant le privilège
plutôt que par un de ses procureurs, l'avocat de
l'appelante invoque tout d'abord la Règle 448
selon laquelle un affidavit attestant l'exactitude
d'une liste des documents doit être celui de la
partie elle-même; il s'appuie également sur le fait
que le privilège est celui du client plutôt que celui
du procureur; il soutient en dernier lieu que l'un
des éléments essentiels d'une correspondance
exempte de production est son caractère confiden-
tiel qui, selon lui, ne pourrait être établi que par la
partie elle-même.
J'estime qu'il faut rejeter ces arguments. L'affi-
davit de McKay n'est pas un affidavit attestant
l'exactitude d'une liste des documents. Aucun affi
davit de ce genre n'a jamais été déposé dans les
présentes procédures. L'affidavit de McKay a été
déposé uniquement pour établir les faits sur les-
quels reposait la revendication du privilège. Si une
personne autre que les intimés eux-mêmes était à
même de prouver ces faits, je ne vois pas pourquoi
on devrait rejeter ou écarter sa preuve. Il est vrai
que le privilège est celui du client et ne saurait être
revendiqué par le procureur. Toutefois, l'affidavit
n'a pas été déposé dans le dessein de revendiquer le
privilège. Cette revendication avait déjà été faite,
au nom des intimés, dans la liste des documents.
Comme je l'ai déjà dit, l'affidavit a été déposé
pour établir le bien-fondé de la revendication.
J'ajoute que je ne vois pas pourquoi le témoignage
du client lui-même serait requis . pour prouver le
caractère confidentiel d'une correspondance qu'il a
eue avec son avocat.
Par ces motifs, je trouve nullement fondée la
prétention de l'appelante selon laquelle l'affidavit
de McKay était irrecevable parce que son auteur
n'était pas la partie revendiquant le privilège.
L'avocat fait également valoir que l'affidavit
était irrégulier parce qu'il s'agissait d'un affidavit
fondé sur ce qu'on croit qui n'était pas recevable
sous le régime de la Règle 332(1). En réponse à
cet argument, l'avocat des intimés soutient qu'à
son avis, l'affidavit de McKay n'était pas un affi
davit fondé sur ce qu'il croit, mais un affidavit
dans lequel le déposant affirmait simplement la
véracité de certains faits. Comme McKay n'a pas
fait l'objet d'un contre-interrogatoire sur son affi
davit, et qu'aucun élément de preuve n'a été pro-
duit pour contredire ses affirmations, l'avocat des
intimés prétend que la sincérité de ces affirmations
ne saurait maintenant être contestée.
La Règle 332(1) précise les circonstances dans
lesquelles est recevable la preuve provenant d'un
affidavit et fondée sur ce qu'on croit:
Règle 332. (1) Les affidavits doivent se restreindre aux faits
que le témoin est en mesure de prouver par la connaissance
qu'il en a, sauf en ce qui concerne les requêtes interlocutoires
pour lesquelles peuvent être admises des déclarations fondées
sur ce qu'il croit et indiquant pourquoi il le croit.
À mon avis, cette disposition ne régit pas la
forme des affidavits, mais régit leur substance.
C'est-à-dire qu'un affidavit dans lequel un dépo-
sant allègue des faits qu'il n'est pas en mesure de
prouver par la connaissance qu'il en a va à l'encon-
tre de la première partie de la Règle, quelle que
soit la forme de cet affidavit. Il s'ensuit qu'à mon
sens, un affidavit peut être, en effet, un affidavit
fondé sur ce qu'on croit même s'il n'est pas établi
comme tel.
L'affidavit de McKay ne se présente pas, à
première vue, comme un affidavit fondé sur ce
qu'on croit. Au premier paragraphe, le déposant
dit qu'il est associé, en vue de la pratique du droit,
dans le cabinet de Toronto qui représente les inti-
més dans ces procédures et il affirme être «au
courant des questions qui font l'objet du serment
en l'espèce». Aux paragraphes 2 et 4 de l'affidavit,
il déclare sous serment que les documents en ques
tion sont soit des lettres provenant des procureurs
des demandeurs [intimés] ou adressées à ceux-ci
relativement à des procédures devant le Bureau
américain des brevets, soit des mémoires et notes
rédigés par les procureurs des demandeurs [inti-
més] en vue des mêmes procédures. Toutefois,
l'affidavit ne dit pas si la connaissance que McKay
a eue de ces faits était de première ou de seconde
main. Il est clair toutefois que sa connaissance ne
saurait être de première main. Comment pou-
vait-il, lui qui pratiquait le droit à Toronto, avoir
une connaissance directe et personnelle des cir-
constances dans lesquelles des résidents américains
s'étaient écrit des lettres confidentielles voilà plus
de vingt ans? Comment pouvait-il établir l'identité
des différentes parties à cette correspondance?
Comment pouvait-il établir que des notes et des
documents non signés qui avaient, dit-on, été écrits
il y a plus de vingt ans avaient été rédigés par les
procureurs américains des intimés? En dépit de sa
forme, l'affidavit de McKay n'est pas, à mon sens,
un affidavit qui doit «se restreindre aux faits que le
témoin est en mesure de prouver par la connais-
sance qu'il en a»; il s'agit en fait d'un affidavit
dans lequel McKay estime que les documents en
question en l'espèce sont du genre visé aux para-
graphes 2 et 4 de son affidavit.
L'avocat de l'appelante fait valoir que l'affidavit
de McKay n'est pas recevable en preuve, parce
qu'il n'existait aucune circonstance spéciale justi-
fiant le dépôt d'un affidavit fondé sur des rensei-
gnements tenus pour véridiques. À l'appui de cet
argument, l'avocat a fait mention de la décision
rendue récemment par le juge Mahoney dans l'af-
faire Flexi-Coil Ltd. c. Smith -Roles Ltd., [[1982]
1 C.F. 827]; 59 C.P.R. (2d) 46 [i fe inst.], et du
dictum suivant du juge en chef adjoint Thurlow
(tel était alors son titre) dans l'affaire La Reine c.
A. & A. Jewellers Limited, [1978] 1 C.F. 479 [i re
inst.], à la page 480:
Dans la préparation du matériel à l'appui des requêtes
interlocutoires, il semble devenu pratique courante d'écarter
l'application de la première clause de cette Règle et d'utiliser la
seconde comme moyen d'éviter la prestation du serment dans
une déclaration par une personne au courant des faits et pour
lui faire dire, devant la Cour, ce qu'elle sait, sous forme de
ouï-dire auquel prête serment quelqu'un qui n'en a pas lui-
même connaissance. Tel n'est pas le but de la Règle. La Cour a
droit à la déclaration sous serment d'une personne qui a une
connaissance personnelle des faits, lorsque ladite personne peut
la fournir. La deuxième partie de la Règle est purement
facultative, et doit être utilisée seulement lorsque la meilleure
des preuves, à savoir la déposition sous serment de la personne
qui sait, ne peut pas être obtenue immédiatement, pour des
raisons admissibles ou évidentes.
Je ne saurais souscrire à cet argument. À mon
sens, la Règle 332(1) subordonne la recevabilité
d'une déposition sous forme d'affidavit fondé sur
ce qu'on croit à seulement deux conditions: pre-
mièrement, l'affidavit doit être déposé lors d'une
requête interlocutoire et, deuxièmement, le dépo-
sant doit indiquer dans son affidavit pourquoi il le
croit. Une fois ces conditions remplies, la déposi-
tion sous forme d'affidavit est, à mon avis, receva-
ble bien qu'elle puisse avoir peu de poids ou de
valeur probante ou n'avoir aucun poids ni valeur
probante.
L'avocat de l'appelante fait valoir en dernier lieu
que l'affidavit de McKay n'a pas satisfait aux
exigences de la dernière partie de la Règle 332(1)
et qu'il était, en tout état de cause, insuffisant pour
établir le privilège revendiqué.
Je suis d'accord avec cette dernière prétention.
Les documents mentionnés dans l'affidavit de
McKay sont de deux sortes: il s'agit, primo, de
lettres (que contiennent les liasses a) et c) men-
tionnées aux sous-alinéas 4a) et c) de l'affidavit),
et, secundo, de mémoires et notes (que contient la
liasse b)). Dans la mesure où il se rapporte à cette
correspondance, l'affidavit affirme simplement
qu'il s'agissait d'une correspondance provenant des
procureurs des demandeurs [intimés] et adressée à
ceux-ci, affirmation qui, même si elle s'avérait, ne
prouverait pas le caractère confidentiel de la cor-
respondance. Toutefois, cela ne veut pas dire que
le juge de première instance a eu tort de conclure
que cette correspondance était confidentielle. En
effet, à l'examen, il devient manifeste qu'il s'agit
non seulement d'une correspondance provenant des
procureurs des demandeurs [intimés] ou de leurs
prédécesseurs en titre et adressée à ceux-ci, mais
qu'il s'agit aussi d'une correspondance du genre
auquel s'étend le privilège légal. Toutefois, j'exclus
de cette conclusion le document 398 que je n'ai pas
pu trouver dans les trois liasses de documents
soumis à l'examen de la Cour. Dans la mesure où
l'affidavit de McKay se rapporte à la deuxième
catégorie de documents, il affirme que les mémoi-
res et notes non signés avaient, en fait, été rédigés
par les procureurs des demandeurs [intimés]. L'af-
fidavit n'indique pas le fondement de cette convic
tion. De plus, rien dans le jugement de la cour
américaine ni dans la preuve soumise devant cette
cour n'étaie cette conviction, et, excepté les docu
ments nos 498 et 499 qui sont suffisamment recon-
naissables par leur contenu, il est impossible, à
l'examen de ces documents eux-mêmes, de déter-
miner leur auteur. Pour cette raison, il n'a pas été
établi que cette deuxième catégorie de documents
(qui comprend les documents inclus dans la liasse
b) et, aussi, le document n° 251, ainsi que le
document n° 259A que je n'ai pu trouver nulle
part), sauf les documents 498 et 499, était exempte
de production.
Par ces motifs, j'estime qu'il y a lieu d'accueillir
l'appel, d'infirmer la décision par laquelle la Divi
sion de première instance a rejeté la requête en
production introduite par l'appelante et, à l'égard
de cette requête, d'ordonner que les documents
portant les numéros suivants dans la liste des
documents des intimés soient produits à l'appe-
lante pour examen et reproduction: n°° 251, 313,
398, 213A, 213B, 213C, 213D, 213E, 213F, 213G,
227, 227A, 249, 253, 254, 255A, 258, 258A, 25813,
259, 259A, 262, 262A, 263, 263A, 266, 267,
267A, 268, 269, 270, 271, 272, 273, 275, 276,
284A, 298, 299, 300, 301, 302, 326, 327, 346.
Je suis d'avis d'adjuger à l'appelante ses dépens
tant devant cette Cour qu'en première instance.
Les trois liasses de documents qui ont été déposées
en même temps que l'affidavit de McKay devront
être retournées aux intimés.
LE JUGE HEALD: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
LE JUGE RYAN: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
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