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A-643-81
Lumonics Research Limited (appelante) c.
Gordon Gould, Refac International Limited, et Patlex Corporation (intimés)
Cour d'appel, juges Pratte, Heald et Ryan— Ottawa, 9 novembre 1982; 28 janvier 1983.
Pratique Communication de documents et interrogatoire préalable Production de documents Les intimés ont déposé une liste de documents pertinents dans une action en contrefaçon de brevet concernant des communications avec des procureurs américains dans des procédures introduites 20 ans plus tôt devant le Bureau américain des brevets Opposition à la production de 500 documents confidentiels L'appelante demande une ordonnance de production selon la Règle 455 Le privilège entre procureurs et clients ne s'étend pas aux agents des brevets, parce qu'ils n'appartiennent pas à la pro fession juridique, même si la correspondance porte sur des conseils juridiques Toutes les communications confidentiel- les avec un membre de la profession juridique sont exemptes de production même si les services de nature juridique sont donnés normalement par les agents des brevets Bien qu'un procureur ne puisse agir devant le Bureau des brevets qu'en tant qu'agent des brevets, c'est en sa qualité de procureur que le client lui demande des conseils sur les procédures en matière de brevets Appel accueilli Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 448, 455 Règles sur les brevets, C.R.C., chap. 1250, Règle 143(1),(2).
Pratique Affidavits Les intimés ont déposé l'affidavit d'un procureur sur requête en prononcé d'une ordonnance de production de documents L'argument selon lequel l'affida- vit doit être celui de la partie qui réclame le privilège est rejeté
L'affidavit a été déposé pour étayer le privilège et non pour le revendiquer La Règle 332 régit la substance des affida vits Les affidavits fondés sur ce qu'on croit, avec les motifs à l'appui, sont recevables aux fins de requêtes interlocutoires
L'affidavit en cause est, en substance, sinon en la forme, un affidavit fondé sur ce qu'on croit Le moyen d'irrecevabilité fondé sur le dictum du juge en chef adjoint Thurlow.dans La Reine c. A. & A. Jewellers Limited, [1978] 1 C.F. 479 (1'e inst.) est rejeté L'affidavit n'a pas satisfait aux exigences de la Règle 332(1) en n'établissant pas le bien-fondé du privilège revendiqué Appel accueilli Production de documents ordonnée Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 332(1), 448, 455.
Brevets Pratique Les intimés ont déposé une liste de documents pertinents dans une action en contrefaçon de brevet concernant des communications avec des procureurs améri- cains dans des procédures introduites 20 ans plus tôt devant le Bureau américain des brevets Le privilège entre procureurs et clients est invoqué pour certains L'appelante en demande la production en vertu de la Règle 455 Le privilège entre procureurs et clients ne s'étend pas aux agents des brevets, parce qu'ils n'appartiennent pas à la profession juridique, même si la correspondance porte sur des conseils juridiques Toutes les communications confidentielles avec un membre de
la profession juridique sont exemptes de production même si les services de nature juridique sont donnés normalement par des agents des brevets Bien qu'un procureur ne puisse agir devant le Bureau des brevets qu'en tant qu'agent des brevets, c'est en sa qualité de procureur que le client lui demande des conseils dans des affaires de brevets Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 448, 455 Règles sur les brevets, C.R.C., chap. 1250, Règle 143(1),(2).
Les intimés ont poursuivi l'appelante en contrefaçon de brevet. En vertu de la Règle 448, chaque partie a déposé une liste des documents se trouvant en sa possession et ayant trait à l'affaire. Dans leur liste, les intimés se sont opposés à la production de 500 documents composés de lettres, de mémoires et de notes, invoquant le privilège entre procureurs et clients. Tous les documents se rapportaient à des procédures intentées devant le Bureau américain des brevets il y a vingt ans, et les procureurs avec qui les intimés prétendent avoir eu des commu nications confidentielles étaient américains. L'appelante a invo- qué la Règle 455 pour faire ordonner la production de ces documents. En réponse, les intimés ont déposé un affidavit établi par l'un de leurs procureurs actuels. Le juge de première instance a fait droit à la revendication du privilège.
Arrêt: l'appel est accueilli, et il est ordonné la production de certains des documents.
(1) Selon le droit canadien, le privilège attaché à la profes sion juridique ne s'étend pas aux agents des brevets, ceux-ci, comme tels, n'étant pas membres de la profession juridique. Aucun privilège n'existe même si la communication en cause vise à obtenir ou à donner des conseils juridiques. Tous les renseignements confidentiels donnés à un membre de la profes sion juridique ou provenant de ce dernier sont, toutefois, exempts de production—et cctte règle s'applique même si ces renseignements se rapportent au genre de services de nature juridique que fournissent normalement des agents des brevets. Lorsqu'un client a recours aux services d'un procureur relative- ment aux procédures devant le Bureau des brevets, ce qu'il lui demande, ce sont ses conseils donnés en tant que procureur et non en tant qu'agent des brevets et ce, en dépit du fait qu'un procureur, en tant que tel, ne saurait représenter un requérant dans des procédures devant le Bureau des brevets.
(2) Il appartenait aux intimés de prouver le bien-fondé de leur revendication du privilège. Il n'y a rien d'inapproprié dans le fait que l'affidavit a été établi par l'un des procureurs des intimés, plutôt que par les parties réclamant réellement le privilège. L'affidavit n'a pas été déposé pour attester l'exacti- tude de la liste des documents déposée par les intimés, et la Règle 448 ne détermine donc pas qui doit établir cet affidavit. Il est vrai que le privilège est celui du client et ne saurait être revendiqué par le procureur; toutefois, l'affidavit n'a pas été déposé dans le dessein de revendiquer le privilège. Cette reven- dication avait déjà été faite, au nom des intimés, dans leur liste des documents. Par conséquent, l'affidavit a été déposé unique- ment pour établir le bien-fondé de la revendication. Si une personne autre que les intimés est à même de prouver les faits sur lesquels repose la revendication, notamment le caractère confidentiel de la correspondance, il n'y a pas lieu de rejeter ni d'écarter sa preuve. Néanmoins, l'affidavit est irrecevable pour d'autres motifs. La Règle 332(1) précise les circonstances dans lesquelles un affidavit fondé sur ce qu'on croit est—et n'est pas—recevable. Cette Règle régit la substance des affidavits et
non leur forme: si une affirmation dans un affidavit ne repose pas sur la connaissance propre du déposant, cette affirmation est une déclaration fondée sur ce qu'on croit pour les fins de la Règle, même si elle n'est pas rédigée comme telle. En l'espèce, l'affidavit du procureur ne semble pas, d'après sa formulation, être un affidavit fondé sur ce qu'il croit. Il est clair, toutefois, que certaines déclarations faites par le procureur déposant ne portent pas sur des faits connus de lui, puisqu'il ne peut avoir eu personnellement connaissance de documents apparemment écrits il y a vingt ans aux États-Unis. Nonobstant le dictum du juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son titre) dans l'affaire La Reine c. A. & A. Jewellers Limited, [1978] 1 C.F. 479 (1" inst.), la Règle 332(1) subordonne la recevabilité d'un affidavit fondé sur ce qu'on croit à seulement deux conditions préalables (bien que, une fois déclaré recevable, on puisse attacher à cet affidavit peu de poids). Premièrement, l'affidavit doit être déposé aux fins d'une requête interlocutoire: deuxiè- mement, le déposant doit indiquer dans son affidavit pourquoi il le croit. L'affidavit dont il s'agit en l'espèce n'est pas conforme à la deuxième de ces conditions ni n'indique les faits qui affirmeraient la revendication du privilège. La Cour est effecti- vement saisie de presque tous les documents en question, et il ressort de leur examen que le privilège entre procureurs et clients s'applique à certains d'entre eux (savoir, la correspon- dance). L'exactitude de la déclaration du déposant selon laquelle d'autres documents (savoir, les mémoires et les notes) avaient également été rédigés par les procureurs des intimés n'est pas évidente, que l'on examine les documents eux-mêmes ou les documents de la cour américaine qui ont été soumis. Par conséquent, la revendication du privilège relativement à cette dernière catégorie de documents ne saurait être accueillie, et il y a lieu de les produire.
JURISPRUDENCE
DÉCISION ÉCARTÉE:
La Reine c. A. & A. Jewellers Limited, [1978] 1 C.F. 479 (1'e inst.).
DÉCISION CITÉE:
Flexi-Coil Ltd. c. Smith -Roles Ltd., [1982] 1 C.F. 827; 59 C.P.R. (2d) 46 (1' inst.).
AVOCATS:
David W. Scott, c.r. et Terrance J. McManus
pour l'appelante.
Roger T. Hughes pour les intimés.
PROCUREURS:
Scott & Aylen, Ottawa, pour l'appelante. Sim, Hughes, Toronto, pour les intimés.
Ce gui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Appel est formé contre un jugement de la Division de première instance [T-5951-78, ordonnance en date du 20 octobre 1981] portant rejet de la requête introduite par
l'appelante en vertu de la Règle 455 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] et tendant à l'obtention d'une ordonnance qui enjoindrait aux intimés de produire certains documents.
Les intimés sont demandeurs devant la Division de première instance, ils ont poursuivi l'appe- lante en contrefaçon d'un brevet d'invention. Dans cette action, l'appelante et les intimés ont déposé des listes de tous les documents qui étaient en leur possession et «qui ont trait à tout point litigieux de l'affaire» (Règle 448). Toutefois, les intimés ont refusé de produire quelque cinq cents documents énumérés et sommairement décrits dans la partie 2 de l'annexe I de leur liste. Voici la raison qu'ils invoquent:
[TRADUCTION] Les demandeurs s'opposent à la production des documents énumérés dans la partie 2 de ladite annexe I du fait du privilège entre avocat et client, ces documents faisant l'objet d'une correspondance entre un ou plusieurs des demandeurs et leur procureur dans le cadre d'un litige portant sur les questions en litige en l'espèce ou en vue d'un tel litige.
La liste des documents des intimés, qui conte- nait la déclaration citée ci-dessus, n'a pas été attestée par un affidavit. Toutefois, après réception d'un avis portant que l'appelante s'adresserait à la Division de première instance pour solliciter une ordonnance qui enjoindrait la production des docu ments énumérés dans la partie 2 de l'annexe I, les intimés ont déposé un affidavit dans le dessein évident d'établir le bien-fondé de leur revendica- tion du privilège. La partie principale de cet affi davit est ainsi rédigée:
[TRADUCTION] Je soussigné, KENNETH D. MCKAY, avocat, de la Communauté urbaine de Toronto, province de l'Ontario, DÉCLARE SOLENNELLEMENT Ce qui suit:
1. Je suis avocat, associé dans le cabinet de Donald F. Sim, c.r., procureur des demandeurs à l'instance, et je suis au courant des questions qui font l'objet du serment en l'espèce.
2. Ces documents, énumérés dans la partie 2 de l'annexe 1 de la liste des documents des demandeurs établie selon la Règle 448 et figurant sur la liste annexée ont été examinés par l'avocat des demandeurs, et on croit que la revendication de privilège à l'égard de ces documents est bien fondée en ce que les documents y énumérés sont des lettres et notes rédigées par les avocats des demandeurs relativement aux procédures devant le Bureau américain des brevets concernant l'instruc- tion de la demande d'un brevet équivalent devant ce Bureau, un litige par voie de procédure de conflit et un règlement possible du litige par l'octroi d'une licence ou autre, le tout ayant été précisé dans cette liste.
3. Les documents énumérés ont fait l'objet d'une demande de production devant la Cour de district américaine, district central de la Floride, Division Orlando; cette Cour a examiné
ces documents et déclaré que tous les documents sauf six d'entre eux étaient confidentiels. Ces six documents ont été produits dans ce procès canadien. Des copies de l'ordonnance de la Cour de Floride, ainsi que l'affidavit et les notes déposés par les demandeurs dans ces procédures, sont annexées aux présentes et constituent la pièce A.
4. Les demandeurs mettent à la disposition de la Cour pour examen, si besoin est, copies de tous les documents ainsi énumérés à l'égard desquels le caractère confidentiel est revendiqué. Voici ces liasses de documents:
a) lettres, factures, projets et autres relativement à des demandes de brevet américaines, à quelques demandes étrangères de brevet, et à des procédures de conflit, qui se présentent sous forme de lettres d'envoi, de présentation de projets à l'approbation et de comptes d'honoraires d'avocat pour services fournis. Tous ces documents sont rédigés par les procureurs du demandeur ou adressés à ceux-ci;
b) un groupe de notes manuscrites et des projets de documents accompagnés de notes manuscrites, préparés par les avocats des demandeurs en vue des procédures de conflit devant le Bureau américain des brevets et devant des cours supérieures;
c) des lettres provenant des procureurs des demandeurs et adressées à ceux-ci relativement à des procédures de con- flit aux États-Unis et à des propositions de règlement.
5. Les procédures de conflit devant le Bureau américain des brevets ressemblent en grande partie à celles engagées devant la Cour fédérale en ce qu'elles se déroulent inter partes, avec l'administration des éléments de preuve, la présentation des arguments, l'introduction possible des requêtes interlocutoi- res. Les décisions sont susceptibles d'appel devant diverses cours américaines.
Le paragraphe 3 de l'affidavit de McKay fait état d'un autre affidavit déposé devant une cour américaine. Dans cet affidavit, l'intimé Gould a simplement donné l'identité des auteurs et des destinataires des différentes lettres à l'égard des- quelles le privilège entre avocat et client a été revendiqué devant la cour américaine.
Sur la base de ces éléments de preuve et de son examen de ces documents, le juge de première instance a décidé que tous ces documents étaient confidentiels en raison du privilège entre avocat et client, et il a donc rejeté la demande de production de l'appelante.
L'appelante a maintenant retiré sa requête en production de certains des documents en question (voir paragraphe 5 de la partie I de son mémoire). Quant aux autres documents, toutefois, l'avocat de l'appelante a invoqué deux motifs pour contester la décision de la Division de première instance. Pre- mièrement, il prétend que le juge de première instance a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que les documents dont on a
demandé la production n'étaient pas des lettres entre procureurs et clients ni des notes rédigées par des procureurs, mais étaient plutôt des lettres entre agents des brevets et clients et des notes rédigées par ces agents. Deuxièmement, il fait valoir qu'en tout état de cause, l'affidavit de McKay n'a pas établi le bien-fondé de la revendication de privilège des intimés.
I—Procureur ou agent des brevets
Il est constant que tous les documents en ques tion, qu'ils soient des lettres, mémoires ou notes, se rapportent aux procédures engagées devant le Bureau américain des brevets voilà vingt ans. Il est également reconnu que les procureurs avec qui les intimés prétendent avoir eu des rapports de nature à donner lieu au privilège étaient américains.
La prétention de l'appelante, pour ce qui est de cet aspect de l'affaire, repose sur l'idée que, comme le droit des États-Unis est présumé, en l'absence de preuve contraire, semblable à notre droit, les procureurs américains des intimés, en tant que tels, n'étaient pas en droit de poursuivre les demandes devant le Bureau des brevets', puis- que ce privilège était et est encore réservé aux agents des brevets. De cette hypothèse, l'avocat de l'appelante a tiré deux conclusions: premièrement, les procureurs américains, dans leurs rapports avec les intimés, agissaient en leur qualité d'agents des brevets et non de procureurs; deuxièmement, il en découle que la correspondance entre ces procu- reurs et les intimés était, en fait, une correspon- dance entre agents des brevets et clients qui n'était pas confidentielle, le privilège attaché à la profes sion juridique ne s'étendant pas aux agents des brevets.
I Voir l'article 143 des Règles sur les brevets [C.R.C., chap. 1250]:
143. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la seule personne qui peut poursuivre une demande auprès du Bureau est un agent des brevets désigné
a) à titre d'agent; ou
b) à titre de coagent par l'agent du demandeur.
(2) L'inventeur d'une invention à l'égard de laquelle une demande est faite peut poursuivre la demande auprès du Bureau jusqu'à ce qu'une cession de son droit au brevet ou de son intérêt entier dans l'invention ait été enregistrée au Bureau.
Au Canada, il est clair que le privilège de la profession juridique ne s'étend pas aux agents des brevets. Toutefois, la seule raison en est que les agents des brevets, en tant que tels, n'appartien- nent pas à la profession juridique. C'est la raison pour laquelle la correspondance entre eux et leurs clients n'est pas confidentielle, même si cette cor- respondance est échangée dans le dessein d'obtenir ou de donner des conseils juridiques.
D'autre part, tous les renseignements confiden- tiels donnés à un membre de la profession juridi- que ou provenant de ce dernier en vue d'obtenir des conseils juridiques sont exempts de production, que ces renseignements se rapportent ou non au genre d'avis ou d'opinions juridiques que donnent normalement des agents des brevets. Un conseil juridique ne cesse pas de l'être simplement parce qu'il a trait à des procédures devant le Bureau des brevets. D'habitude, ces procédures donnent lieu à des questions juridiques; pour cette raison, lors- qu'on a recours aux services d'un procureur relati- vement à ces procédures, ce qu'on demande réelle- ment, ce sont des conseils et de l'aide juridiques, et ce, en dépit du fait qu'un procureur, en tant que tel, ne saurait représenter un requérant dans des procédures devant le Bureau des brevets.
Par ces motifs, j'estime qu'il y a lieu de rejeter la première prétention de l'appelante.
II—L'affidavit
Les intimés ont refusé de produire les documents au motif qu'ils étaient confidentiels. Il leur appar- tenait de prouver que leur prétention au privilège était bien fondée. Le seul élément de preuve qu'ils aient produit à cette fin, à part les documents eux-mêmes, est l'affidavit de Kenneth D. McKay que j'ai déjà reproduit.
L'avocat de l'appelante fait valoir que cet affi davit était irrégulier pour deux raisons: en premier lieu, il s'agissait de l'affidavit d'un procureur plutôt que de la partie réclamant le privilège et, en second lieu, il s'agissait d'un simple affidavit fondé sur ce qu'on croit qui n'établissait pas les éléments nécessaires du privilège.
À l'appui de son argument que l'affidavit aurait être établi par la partie réclamant le privilège plutôt que par un de ses procureurs, l'avocat de
l'appelante invoque tout d'abord la Règle 448 selon laquelle un affidavit attestant l'exactitude d'une liste des documents doit être celui de la partie elle-même; il s'appuie également sur le fait que le privilège est celui du client plutôt que celui du procureur; il soutient en dernier lieu que l'un des éléments essentiels d'une correspondance exempte de production est son caractère confiden- tiel qui, selon lui, ne pourrait être établi que par la partie elle-même.
J'estime qu'il faut rejeter ces arguments. L'affi- davit de McKay n'est pas un affidavit attestant l'exactitude d'une liste des documents. Aucun affi davit de ce genre n'a jamais été déposé dans les présentes procédures. L'affidavit de McKay a été déposé uniquement pour établir les faits sur les- quels reposait la revendication du privilège. Si une personne autre que les intimés eux-mêmes était à même de prouver ces faits, je ne vois pas pourquoi on devrait rejeter ou écarter sa preuve. Il est vrai que le privilège est celui du client et ne saurait être revendiqué par le procureur. Toutefois, l'affidavit n'a pas été déposé dans le dessein de revendiquer le privilège. Cette revendication avait déjà été faite, au nom des intimés, dans la liste des documents. Comme je l'ai déjà dit, l'affidavit a été déposé pour établir le bien-fondé de la revendication. J'ajoute que je ne vois pas pourquoi le témoignage du client lui-même serait requis . pour prouver le caractère confidentiel d'une correspondance qu'il a eue avec son avocat.
Par ces motifs, je trouve nullement fondée la prétention de l'appelante selon laquelle l'affidavit de McKay était irrecevable parce que son auteur n'était pas la partie revendiquant le privilège.
L'avocat fait également valoir que l'affidavit était irrégulier parce qu'il s'agissait d'un affidavit fondé sur ce qu'on croit qui n'était pas recevable sous le régime de la Règle 332(1). En réponse à cet argument, l'avocat des intimés soutient qu'à son avis, l'affidavit de McKay n'était pas un affi davit fondé sur ce qu'il croit, mais un affidavit dans lequel le déposant affirmait simplement la véracité de certains faits. Comme McKay n'a pas fait l'objet d'un contre-interrogatoire sur son affi davit, et qu'aucun élément de preuve n'a été pro- duit pour contredire ses affirmations, l'avocat des intimés prétend que la sincérité de ces affirmations ne saurait maintenant être contestée.
La Règle 332(1) précise les circonstances dans lesquelles est recevable la preuve provenant d'un affidavit et fondée sur ce qu'on croit:
Règle 332. (1) Les affidavits doivent se restreindre aux faits que le témoin est en mesure de prouver par la connaissance qu'il en a, sauf en ce qui concerne les requêtes interlocutoires pour lesquelles peuvent être admises des déclarations fondées sur ce qu'il croit et indiquant pourquoi il le croit.
À mon avis, cette disposition ne régit pas la forme des affidavits, mais régit leur substance. C'est-à-dire qu'un affidavit dans lequel un dépo- sant allègue des faits qu'il n'est pas en mesure de prouver par la connaissance qu'il en a va à l'encon- tre de la première partie de la Règle, quelle que soit la forme de cet affidavit. Il s'ensuit qu'à mon sens, un affidavit peut être, en effet, un affidavit fondé sur ce qu'on croit même s'il n'est pas établi comme tel.
L'affidavit de McKay ne se présente pas, à première vue, comme un affidavit fondé sur ce qu'on croit. Au premier paragraphe, le déposant dit qu'il est associé, en vue de la pratique du droit, dans le cabinet de Toronto qui représente les inti- més dans ces procédures et il affirme être «au courant des questions qui font l'objet du serment en l'espèce». Aux paragraphes 2 et 4 de l'affidavit, il déclare sous serment que les documents en ques tion sont soit des lettres provenant des procureurs des demandeurs [intimés] ou adressées à ceux-ci relativement à des procédures devant le Bureau américain des brevets, soit des mémoires et notes rédigés par les procureurs des demandeurs [inti- més] en vue des mêmes procédures. Toutefois, l'affidavit ne dit pas si la connaissance que McKay a eue de ces faits était de première ou de seconde main. Il est clair toutefois que sa connaissance ne saurait être de première main. Comment pou- vait-il, lui qui pratiquait le droit à Toronto, avoir une connaissance directe et personnelle des cir- constances dans lesquelles des résidents américains s'étaient écrit des lettres confidentielles voilà plus de vingt ans? Comment pouvait-il établir l'identité des différentes parties à cette correspondance? Comment pouvait-il établir que des notes et des documents non signés qui avaient, dit-on, été écrits il y a plus de vingt ans avaient été rédigés par les procureurs américains des intimés? En dépit de sa forme, l'affidavit de McKay n'est pas, à mon sens, un affidavit qui doit «se restreindre aux faits que le témoin est en mesure de prouver par la connais-
sance qu'il en a»; il s'agit en fait d'un affidavit dans lequel McKay estime que les documents en question en l'espèce sont du genre visé aux para- graphes 2 et 4 de son affidavit.
L'avocat de l'appelante fait valoir que l'affidavit de McKay n'est pas recevable en preuve, parce qu'il n'existait aucune circonstance spéciale justi- fiant le dépôt d'un affidavit fondé sur des rensei- gnements tenus pour véridiques. À l'appui de cet argument, l'avocat a fait mention de la décision rendue récemment par le juge Mahoney dans l'af- faire Flexi-Coil Ltd. c. Smith -Roles Ltd., [[1982] 1 C.F. 827]; 59 C.P.R. (2d) 46 [i fe inst.], et du dictum suivant du juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son titre) dans l'affaire La Reine c. A. & A. Jewellers Limited, [1978] 1 C.F. 479 [i re inst.], à la page 480:
Dans la préparation du matériel à l'appui des requêtes interlocutoires, il semble devenu pratique courante d'écarter l'application de la première clause de cette Règle et d'utiliser la seconde comme moyen d'éviter la prestation du serment dans une déclaration par une personne au courant des faits et pour lui faire dire, devant la Cour, ce qu'elle sait, sous forme de ouï-dire auquel prête serment quelqu'un qui n'en a pas lui- même connaissance. Tel n'est pas le but de la Règle. La Cour a droit à la déclaration sous serment d'une personne qui a une connaissance personnelle des faits, lorsque ladite personne peut la fournir. La deuxième partie de la Règle est purement facultative, et doit être utilisée seulement lorsque la meilleure des preuves, à savoir la déposition sous serment de la personne qui sait, ne peut pas être obtenue immédiatement, pour des raisons admissibles ou évidentes.
Je ne saurais souscrire à cet argument. À mon sens, la Règle 332(1) subordonne la recevabilité d'une déposition sous forme d'affidavit fondé sur ce qu'on croit à seulement deux conditions: pre- mièrement, l'affidavit doit être déposé lors d'une requête interlocutoire et, deuxièmement, le dépo- sant doit indiquer dans son affidavit pourquoi il le croit. Une fois ces conditions remplies, la déposi- tion sous forme d'affidavit est, à mon avis, receva- ble bien qu'elle puisse avoir peu de poids ou de valeur probante ou n'avoir aucun poids ni valeur probante.
L'avocat de l'appelante fait valoir en dernier lieu que l'affidavit de McKay n'a pas satisfait aux exigences de la dernière partie de la Règle 332(1) et qu'il était, en tout état de cause, insuffisant pour établir le privilège revendiqué.
Je suis d'accord avec cette dernière prétention. Les documents mentionnés dans l'affidavit de
McKay sont de deux sortes: il s'agit, primo, de lettres (que contiennent les liasses a) et c) men- tionnées aux sous-alinéas 4a) et c) de l'affidavit), et, secundo, de mémoires et notes (que contient la liasse b)). Dans la mesure il se rapporte à cette correspondance, l'affidavit affirme simplement qu'il s'agissait d'une correspondance provenant des procureurs des demandeurs [intimés] et adressée à ceux-ci, affirmation qui, même si elle s'avérait, ne prouverait pas le caractère confidentiel de la cor- respondance. Toutefois, cela ne veut pas dire que le juge de première instance a eu tort de conclure que cette correspondance était confidentielle. En effet, à l'examen, il devient manifeste qu'il s'agit non seulement d'une correspondance provenant des procureurs des demandeurs [intimés] ou de leurs prédécesseurs en titre et adressée à ceux-ci, mais qu'il s'agit aussi d'une correspondance du genre auquel s'étend le privilège légal. Toutefois, j'exclus de cette conclusion le document 398 que je n'ai pas pu trouver dans les trois liasses de documents soumis à l'examen de la Cour. Dans la mesure l'affidavit de McKay se rapporte à la deuxième catégorie de documents, il affirme que les mémoi- res et notes non signés avaient, en fait, été rédigés par les procureurs des demandeurs [intimés]. L'af- fidavit n'indique pas le fondement de cette convic tion. De plus, rien dans le jugement de la cour américaine ni dans la preuve soumise devant cette cour n'étaie cette conviction, et, excepté les docu ments nos 498 et 499 qui sont suffisamment recon- naissables par leur contenu, il est impossible, à l'examen de ces documents eux-mêmes, de déter- miner leur auteur. Pour cette raison, il n'a pas été établi que cette deuxième catégorie de documents (qui comprend les documents inclus dans la liasse b) et, aussi, le document 251, ainsi que le document 259A que je n'ai pu trouver nulle part), sauf les documents 498 et 499, était exempte de production.
Par ces motifs, j'estime qu'il y a lieu d'accueillir l'appel, d'infirmer la décision par laquelle la Divi sion de première instance a rejeté la requête en production introduite par l'appelante et, à l'égard de cette requête, d'ordonner que les documents portant les numéros suivants dans la liste des documents des intimés soient produits à l'appe- lante pour examen et reproduction: n°° 251, 313, 398, 213A, 213B, 213C, 213D, 213E, 213F, 213G, 227, 227A, 249, 253, 254, 255A, 258, 258A, 25813,
259, 259A, 262, 262A, 263, 263A, 266, 267,
267A, 268, 269, 270, 271, 272, 273, 275, 276,
284A, 298, 299, 300, 301, 302, 326, 327, 346.
Je suis d'avis d'adjuger à l'appelante ses dépens tant devant cette Cour qu'en première instance. Les trois liasses de documents qui ont été déposées en même temps que l'affidavit de McKay devront être retournées aux intimés.
LE JUGE HEALD: Je souscris aux motifs ci-dessus.
LE JUGE RYAN: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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