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A-428-81
Verreault Navigation Inc. (requérante) c.
Syndicat international des marins canadiens, FAT-COI-CTC et Conseil canadien des relations du travail (intimés)
Cour d'appel, juges Pratte et Ryan, juge suppléant Lalande—Montréal, 21 mai; Ottawa, 20 juillet 1982.
Relations du travail Le Conseil canadien des relations du travail a accrédité le S.I.M. comme agent négociateur au chantier maritime Le Conseil n'a pas excédé sa compétence Une entreprise de dragage est une entreprise fédérale La requérante n'a pas établi que le chantier naval était une entreprise distincte de l'entreprise de dragage Code cana- dien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 2.
Compétence Conseil canadien des relations du travail Le Conseil n'a pas excédé sa compétence en accréditant le Syndicat pour les employés du chantier naval combiné à l'entreprise de dragage Une entreprise de dragage est une entreprise fédérale L'employeur n'a pas établi que le chan- tier naval était une entreprise distincte de l'entreprise de dragage Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L- I, art. 2.
Droit constitutionnel Répartition des pouvoirs Navi gation et marine marchande Pouvoir du fédéral en vertu de l'art. 91 (10) de la Loi constitutionnelle de 1867 Une entre- prise de dragage est une entreprise fédérale L'employeur exploite une entreprise de dragage combinée à un chantier naval Le chantier naval est utilisé pour construire et réparer le matériel de dragage Le C.C.R.T. est compétent pour accréditer le Syndicat comme agent négociateur Loi consti- tutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II, 5J, mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. I1 (R.-U.), annexe de la Loi constitution- nelle de 1982, 1, art. 91(10).
Contrôle judiciaire Demandes d'examen Relations du travail Le Conseil canadien des relations du travail a accrédité le S.I.M. comme agent négociateur des employés du chantier maritime de la requérante Le Conseil a-t-il excédé sa compétence? Une entreprise de dragage est une entreprise fédérale Activité intimement liée à la navigation qui relève du pouvoir fédéral en vertu de l'art. 91(10) de la Loi constitu- tionnelle de 1867 La requérante n'a pas établi que le chantier naval était une entreprise distincte de l'entreprise de dragage Le Conseil n'a pas jugé que la requérante exploi- tait deux entreprises Demande rejetée, juge suppléant Lalande dissident Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II, 5], mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 1I (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, I, art. 91(10) Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 2a) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 28, art. 49), 108 (mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 , Supp.), chap. 10, art. 28.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Regina v. Nova Scotia Labour Relations Board, Ex parte J.B. Porter Co. Ltd. (1968), 68 D.L.R. (2d) 613 (C.S.N.-E.).
AVOCATS:
André Joli-Cceur, Rémi Chartier et Claude Joli-Cceur pour la requérante.
Joseph Nuss, c.r., pour le Syndicat internatio nal des marins canadiens, FAT-COI-CTC, intimé.
Michel Décary pour le Conseil canadien des relations du travail, intimé.
PROCUREURS:
Langlois, Drouin & Associés, Québec, pour la requérante.
Ahern, Nuss & Drymer, Montréal, pour le Syndicat international des marins canadiens, FAT-COI-CTC, intimé.
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb, Montréal, pour le Conseil canadien des rela tions du travail, intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PRATTE: La requérante exploite en même temps une entreprise de dragage et un chantier naval. Elle demande l'annulation, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10] d'une décision du Conseil canadien des relations du travail qui a accrédité le Syndicat intimé comme agent négocia- teur des employés de son chantier. Elle prétend que le Conseil a excédé sa compétence en pronon- çant cette décision.
Devant le Conseil, la requérante n'a pas soulevé le moyen qu'elle invoque aujourd'hui. Elle a seule- ment soutenu qu'elle n'exploitait, en fait, qu'une seule entreprise qui était une entreprise de dragage et que son chantier n'était qu'une partie de cette entreprise. Elle concluait qu'il ne convenait pas de diviser ses employés en deux unités de négociation, mais qu'il fallait plutôt les grouper en une seule unité comprenant à la fois les employés affectés au chantier naval et au dragage.
L'avocat de la requérante prétend que le Conseil a décidé d'accréditer le Syndicat comme agent
négociateur des employés du chantier naval parce qu'il a considéré que le chantier naval de la requé- rante était une entreprise distincte de son entre- prise de dragage. Cela étant, le Conseil, a-t-il dit, a excédé sa compétence en prononçant la décision attaquée parce qu'un chantier naval n'est pas une «entreprise fédérale» au sens de l'article 2 du Code canadien du travail [S.R.C. 1970, chap. L-1, mod. par S.C. 1976-77, chap. 28, art. 49]'. I1 a ajouté que, de toute façon, même si le chantier naval devait être considéré comme une partie ou un accessoire de l'entreprise de dragage, la compé- tence du Conseil en la matière serait douteuse parce qu'il ne serait pas certain qu'une entreprise de dragage soit une entreprise fédérale. Cepen- dant, l'avocat de la requérante s'est expressément refusé à plaider ce moyen; il a affirmé que l'intérêt de sa cliente exigeait qu'il demeure silencieux sur ce point.
Je veux d'abord dire qu'une entreprise de dra- gage me paraît être une entreprise fédérale comme l'a décidé la Cour suprême de Nouvelle-Écosse dans l'affaire Regina v. Nova Scotia Labour Rela tions Board, Ex parte J.B. Porter Co. Ltd. (1968), 68 D.L.R. (2d) 613 (C.S.N.-É.) Le dragage est une activité qui consiste à creuser les fonds sous- marins dans le but principal de créer, réparer ou entretenir des voies navigables et des ports. Une entreprise de dragage est, à mon avis, une entre- prise fédérale, non pas parce qu'elle utilise des équipements flottants ou parce qu'elle fait norma- lement affaires dans plusieurs provinces, mais parce que son activité est si intimement liée à la navigation qu'elle ressortit au pouvoir du Parle- ment fédéral, en vertu du paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867», de légiférer en matière de «Navigation and Shipping«.
1 L'article 2 du Code donne une définition de l'expression «entreprise fédérale» dont le début se lit comme suit:
2. Dans la présente loi
«entreprise, affaire ou ouvrage de compétence fédérale» ou «entreprise fédérale» signifie tout ouvrage, entreprise ou affaire ressortissant au pouvoir législatif du Parlement du Canada, y compris, sans restreindre la généralité de ce qui précède:
a) tout ouvrage, entreprise ou affaire réalisé ou dirigé dans le cadre de la navigation et des expéditions par eau (internes ou maritimes), y compris la mise en service de navires et le transport par navire partout au Canada;
30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5], mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1.
Pour réussir, l'avocat de la requérante devait donc commencer par établir que le chantier naval était une entreprise distincte de l'entreprise de dragage exploitée par la requérante. Il ne l'a pas fait. Il a voulu s'appuyer sur les constatations de fait contenues dans la décision attaquée. Mais, contrairement à ce qu'il a prétendu, le Conseil n'a jamais jugé que la requérante exploitait deux entreprises entièrement distinctes; il a seulement exprimé des doutes sur ce point et jugé que les deux activités de la requérante étaient suffisam- ment distinctes pour qu'il soit opportun de diviser ses employés en deux unités de négociation. D'au- tre part, les renseignements que contiennent le dossier et la preuve faite devant le Conseil (en particulier aux volumes XVI, XVII et XVIII du Dossier d'appel) ne permettent pas de conclure que le chantier naval, qui existe dans le but principal de construire et réparer l'équipement de dragage de la requérante, soit autre chose qu'une partie de l'entreprise de dragage.
Dans ces circonstances, je ne peux dire que le Conseil ait excédé sa compétence en prononçant la décision attaquée. Je rejetterais donc la requête.
LE JUGE RYAN: Je suis d'accord.
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Voici les motifs du jugement rendus en français par
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LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE (dissident): La - requérante demande l'ana lation,-en verti - de - t ar ticle 28 de la Loi sur la Cour fédérale, d'une décision du Conseil canadien des relations du tra vail du 3 juillet 1981 accréditant le Syndicat intimé comme agent négociateur des employés de son chantier maritime à Les Méchins.
Le Conseil a constaté que le chantier maritime n'était pas que l'accessoire des opérations de dra- gage de la requérante, qu'il avait une activité indépendamment de ces opérations et que les employés du chantier et ceux affectés au dragage devaient faire partie d'unités de négociation dis- tinctes. Il ne nous appartient pas de réviser ces constatations.
La décision du juge en chef Cowan dans l'af- faire Regina v. Nova Scotia Labour Relations Board, Ex parte J.B. Porter Co. Ltd. (1968), 68
D.L.R. (2d) 613 (C.S.N.-É.), ne me semble pas être pertinente, car, à la page 623, il est dit:
[TRADUCTION] La demande dans l'affaire en instance se rap- porte aux employés de la compagnie requérante [pour un bref de certiorari] qui sont affectés aux installations terrestres de son dépôt de Dartmouth.
Le dépôt de Dartmouth n'a qu'une utilité, subvenir à l'entre- tien de la flotte de navires de la compagnie et aux installations flottantes de génie, de construction et de dragage. [C'est moi qui souligne.]
Le juge en chef avait constaté aussi [aux pages 622 et 623]:
[TRADUCTION] Aucun travail au dépôt de Dartmouth n'est exécuté pour le public; les travaux qui y sont effectués le sont seulement pour les bâtiments flottants de la compagnie dans la région de l'Atlantique.
La question que pose cette requête est donc de savoir si les employés d'un chantier maritime—qui n'est pas, comme celui de Dartmouth, exclusive- ment affecté à la maintenance de navires et de dragues appartenant au même employeur—relè- vent de la compétence fédérale pour leurs relations de travail ou s'ils ne doivent pas rester sous la juridiction provinciale. Ils ne passeraient sous la juridiction fédérale que s'ils sont «dans le cadre d'une entreprise fédérale» (article 108 du Code canadien du travail [mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1]).
Or, en l'occurrence, pour dire que l'entreprise de construction et de réparation de navires de la requérante est fédérale, il faut que cette activité comme entreprise ressorte au pouvoir législatif du Parlement du Canada du fait qu'elle se réalise
... dans le cadre de la navigation et des expéditions par eau (internes ou maritimes), y compris la mise en service de navires et le transport par navire partout au Canada;
Pour préciser le sens à donner à l'expression «mise en service de navires» dans cet alinéa a) de l'article 2 du Code canadien du travail, il faut se reporter à la version anglaise. Il s'agit de «opera- tion of ships», ce qui ne comprend pas la construc tion et la réparation.
À mon avis, un chantier maritime, ne faisant pas partie intégrante d'une entreprise fédérale comme dans l'affaire Porter, n'est pas en soi une entre- prise fédérale. Aussi il n'est pas étonnant de voir, d'après le dossier, que les agents négociateurs dans les chantiers maritimes au Canada sont accrédités par les autorités provinciales.
Si l'on considère le chantier maritime de la requérante comme faisant partie de son entreprise de dragage, cela ne change pas, à mon avis, la réponse qu'il faut donner à la question de compé- tence que pose cette requête.
Le dragage, pas plus que la construction et la réparation de navires, ne tombe sous le chef consti- tutionnel de «Navigation and Shipping». Draguer, tout comme construire un quai, se relie et a des rapports à la navigation, mais ce n'est pas une activité qui s'exerce «dans le cadre de la naviga tion». Il faut noter aussi qu'une drague n'est pas un navire au sens de la Loi sur la marine marchande du Canada [S.R.C. 1970, chap. S-9].
Le fait que la requérante exerce son entreprise de dragage dans plus d'une province n'ajoute rien et n'en fait pas une entreprise fédérale pour les fins du Code canadien du travail.
Ma conclusion est que le Conseil a excédé sa compétence en accréditant le Syndicat intimé et que sa décision doit être annulée.
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