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A-471-81
Valentine Nicholas Leschenko (appelant)
c.
Procureur général du Canada, Solliciteur général du Canada et Commissaire des pénitenciers
(intimés)
Cour d'appel, juges Pratte et Ryan, juge suppléant Kerr—Ottawa, 14 et 23 septembre 1982.
Contrôle judiciaire Recours en equity Jugements déclaratoires Pénitenciers Appel du rejet en Division de première instance d'une demande de jugement déclaratoire portant que l'appelant bénéficie à l'égard de sa peine cana- dienne du temps de peine purgé aux États-Unis pour des infractions commises dans ce pays après son évasion au Canada Selon l'appelant, l'effet combiné de l'art. 137(1) du Code criminel, en vigueur en 1975, des art. 4 et 11 de la Loi sur le transfèrement des délinquants et de l'art. 14 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus est que le temps d'incarcération aux États-Unis doit être considéré comme du temps de peine purgé pour les condamnations prononcées contre lui au Canada Appel incident du jugement déclara- toire portant que la peine de l'appelant doit être calculée conformément à l'art. 137(1) du Code criminel en vigueur en 1975 Selon les intimés, les fonctionnaires étaient fondés à appliquer l'art. 22(4) de la Loi sur les pénitenciers au calcul de la peine découlant d'une condamnation pour tentative d'éva- sion Appel rejeté Appel incident accueilli Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 137(1) mod. par S.C. 1972, chap. 13, art. 9 Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 14 mod. par S.R.C. 1970 (let Supp.), chap. 31, art. 1; 1977-78, chap. 22, art. 19 Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 22(4) Loi sur le transfèrement des délinquants, S.C. 1977-78, chap. 9, art. 4, 11.
L'appelant, qui devait encore purger vingt ans d'une peine privative de liberté à laquelle il avait été condamné au Canada, s'est évadé d'un pénitencier canadien en décembre 1975. Il demeura en liberté jusqu'en février 1976, date à laquelle, après son arrestation aux États-Unis, il fut jugé, puis reconnu coupa- ble et condamné à quinze ans de prison pour des crimes commis dans ce pays. Après trois ans d'incarcération aux États-Unis, il fut ramené au Canada conformément à la Loi sur le transfère- ment des délinquants afin d'y purger le reliquat de sa peine. A son retour, les autorités canadiennes estimèrent qu'il lui restait à purger la partie non purgée de sa condamnation canadienne au moment de son évasion et la partie non purgée de sa condamnation américaine, concurremment. Elles refusèrent de porter à son actif les trois ans d'incarcération aux États-Unis. L'appelant soutient que le jeu combiné du paragraphe 137(1) du Code criminel en vigueur en 1975, des articles 4 et 11 de la Loi sur le transfèrement des délinquants et de l'article 14 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus constitue une autorisation légale de considérer le temps d'incarcération aux États-Unis comme une période pendant laquelle il purgeait la condamnation imposée au Canada. Le paragraphe 137(1) du Code portait qu'une personne qui s'évade doit, après avoir subi toute peine à laquelle elle est condamnée pour cette évasion,
purger la partie de la peine d'emprisonnement, incluant toute réduction légale de peine et excluant toute réduction méritée, qu'il lui restait à purger au moment de son évasion, moins toute période passée sous garde entre le jour elle a été reprise après son évasion et le jour elle a été condamnée pour cette évasion. L'article 4 de la Loi sur le transferement des délin- quants porte que, lorsqu'un délinquant canadien est transféré au Canada, sa déclaration de culpabilité et sa sentence par un tribunal de l'État étranger d'où il est transféré sont présumées être celles qu'un tribunal canadien compétent lui aurait impo sées. L'article 11 de la Loi porte qu'un délinquant canadien transféré au Canada voit porter à son actif le temps d'incarcé- ration à l'étranger au sujet de cette condamnation. Le paragra- phe 14(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus porte que, lorsqu'un individu est condamné à deux périodes d'emprisonnement ou plus ou lorsqu'il est condamné à une période supplémentaire alors qu'il est en détention, celles-ci sont censées constituer une seule sentence consistant en une période d'emprisonnement commençant le jour la première de ces sentences d'emprisonnement commence et se terminant à l'expiration de celle qui se termine la dernière.
Arrêt: l'appel est rejeté. En common law, le temps pendant lequel un prisonnier est en fuite, même s'il est alors incarcéré à l'étranger pour des crimes commis à l'étranger, n'est pas inclus dans son temps de peine. De plus, aucune disposition légale ne dit que le temps d'incarcération de l'appelant dans une prison américaine doit être considéré comme du temps de peine relatif aux condamnations prononcées contre lui au Canada. Le para- graphe 137(1) du Code criminel en vigueur à l'époque ne s'appliquait qu'aux délinquants reconnus coupables et condam- nés pour évasion, non à ceux qui, comme l'appelant, se sont évadés mais n'ont pas été condamnés pour cette évasion. De plus, ce paragraphe n'autorise pas de compter dans la peine purgée au titre des condamnations canadiennes le temps d'in- carcération aux États-Unis. C'est à bon droit que la Division de première instance a jugé que les termes «sous garde» dans ce paragraphe ne s'appliquent qu'à une incarcération dans un établissement pénitentiaire canadien. Quant aux articles 4 et 11 de la Loi sur le transferement des délinquants, l'objet de ces articles est de déterminer la durée du temps d'incarcération que devra purger au Canada le délinquant canadien transféré par suite de la condamnation étrangère. Ces dispositions ne concer- nent pas le calcul de condamnations antérieures prononcées par les juridictions canadiennes. Enfin, en conformité de l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario The Queen v. Dozois, l'argument que, selon l'article 14 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, toutes les peines auxquelles un appelant a été condamné sont fusionnées en une seule et que, par conséquent, le temps d'incarcération applicable à l'une doit être considéré comme applicable aux autres, est rejeté.
Sur l'appel incident:
En août 1974, l'appelant a été reconnu coupable de tentative d'évasion aux termes de l'alinéa 421b) du Code criminel et condamné à une peine privative de liberté de six mois. Les fonctionnaires ont alors calculé la durée totale de sa peine en appliquant le paragraphe 137(1) du Code criminel comme si l'appelant avait été condamné pour «évasion» plutôt que pour «tentative d'évasion». Lors du transfèrement de l'appelant des États-Unis au Canada, les mêmes fonctionnaires ont constaté leur erreur, c'est-à-dire l'application du paragraphe 137(1) du Code criminel au lieu du paragraphe 22(4) de la Loi sur les
pénitenciers au calcul de sa peine. Le paragraphe 22(4) porte que le détenu déclaré coupable de tentative d'évasion est immé- diatement déchu de son droit aux trois quarts de la réduction statutaire de peine inscrite à son crédit au moment l'infrac- tion a été commise. S'appuyant sur cela, les fonctionnaires ont refait le calcul de la peine de l'appelant, ce qui a eu pour effet d'allonger la durée de cette peine. L'appelant a obtenu un jugement déclaratoire de la Division de première instance disant que le paragraphe 137(1) du Code s'appliquait à la peine pour tentative d'évasion et qu'il était en droit de la faire recalculer en conséquence.
Arrêt: l'appel incident est accueilli. Le paragraphe 137(1) du Code criminel a implicitement abrogé le paragraphe 22(4) de la Loi sur les pénitenciers dans la mesure était visé le détenu reconnu coupable d'évasion, mais le cas du détenu condamné pour tentative d'évasion uniquement est toujours régi par le paragraphe 22(4). L'ordre d'appliquer le paragraphe 137(1) au calcul de cette condamnation pour tentative d'évasion serait donc une directive illégale. Toutefois, le dossier n'indique pas qu'une telle directive illégale ait été donnée en l'espèce. Même si la Cour a mentionné le paragraphe 137(1), dans les termes employés dans le mandat de dépôt, cette mention ne saurait être interprétée comme une directive d'appliquer l'article au calcul de la peine; il s'agit simplement d'une mention erronée de l'article du Code en vertu duquel la peine a été prononcée. L'appelant n'a pas droit de voir sa peine pour tentative d'éva- sion calculée comme si le paragraphe 137(1) du Code lui était applicable.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Re MacDonald and Deputy Attorney -General of Canada (1981), 59 C.C.C. (2d) 202 (C.A. Ont.); The Queen v. Dozois, (22 juillet 1981, C.A. Ont.); The Queen v. Law, (6 novembre 1981, C.A. Ont.).
AVOCATS:
Ronald R. Price, c.r., pour l'appelant. Arnold S. Fradkin pour les intimés.
PROCUREURS:
Ronald R. Price, c.r., Kingston, pour l'appe- lant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: L'appelant est détenu dans un pénitencier canadien; il prétend que les autorités ont commis deux erreurs dans le calcul de son temps de peine. Il a demandé des jugements décla- ratoires en première instance ([1982] 1 C.F. 338]. Il a eu gain de cause en partie: la Cour a jugé qu'une erreur avait effectivement été commise et a
rendu l'un des deux jugements déclaratoires demandés. L'appelant forme appel de ce jugement qui, selon lui, ne devrait pas lui refuser une partie de ses conclusions. Les intimés forment appel inci dent du même jugement et font valoir que l'action de l'appelant aurait être rejetée.
L'appel soulève des points tout à fait différents de ceux de l'appel incident, aussi seront-ils exami- nés séparément.
I. Sur l'appel:
Les faits relatifs à l'appel, qu'énonce [TRADUC- TION] l'»Exposé conjoint des faits» produit en pre- mière instance, peuvent être résumés comme suit:
1. Le 20 décembre 1975, l'appelant s'est évadé du pénitencier canadien il purgeait une peine privative de liberté pour des crimes perpétrés au Canada. Au moment de son évasion, il lui restait à purger environ 20 ans.
2. Le 18 février 1976, l'appelant a été arrêté aux États-Unis et gardé à vue. Le 11 juin 1976, une juridiction américaine le condamnait à 15 ans de prison pour des crimes perpétrés aux États-Unis.
3. Postérieurement à sa condamnation aux États-Unis, l'appelant a été ramené au Canada conformément à la Loi sur le transfèrement des délinquants, S.C. 1977-78, chap. 9. Il était incarcéré aux États-Unis depuis presque trois ans.
4. L'appelant de retour dans un pénitencier canadien, les autorités responsables de l'inter- prétation et du calcul de ses condamnations estimèrent qu'il lui restait à purger, concurrem- ment, la partie non purgée, au moment de son évasion, des condamnations prononcées contre lui au Canada (quelque 20 ans) et la partie non purgée de sa condamnation américaine (quelque 12 ans); elles refusèrent de porter à son actif, et de réduire en conséquence le temps de peine qu'il lui restait à purger relativement à ses con- damnations canadiennes, les trois ans d'incarcé- ration aux États-Unis.
S'appuyant sur ces faits, l'appelant concluait en Division de première instance à jugement déclara-
toire disant «qu'il a droit de faire porter à son crédit au titre du temps de peine à purger au Canada le temps d'incarcération aux Etats-Unis et de voir la peine qu'il purge actuellement recalculée en conséquence». C'est de cette portion du juge- ment de première instance, qui refuse cette décla- ration, dont il y a appel.
Lors de son incarcération aux États-Unis, l'ap- pelant se trouvait illégalement absent du péniten- cier canadien il devait purger les condamna- tions prononcées contre lui. En common law, le temps pendant lequel un prisonnier est en fuite n'est pas inclus dans son temps de peine.' Il en est ainsi, selon moi, même s'il y a eu, pendant une partie de ce temps, incarcération dans l'État étran- ger, puisqu'une condamnation canadienne à une peine privative de liberté doit être purgée dans une prison canadienne. La seule question à résoudre en l'espèce, donc, est de savoir s'il existe une disposi tion de droit législatif disant que le temps d'incar- cération de l'appelant dans une prison américaine doit être considéré comme du temps de peine relatif aux condamnations prononcées contre lui, au Canada.
L'avocat de l'appelant a fait valoir que le para- graphe 137(1) du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, mod. par S.C. 1972, chap. 13, art. 9, en vigueur du 15 juillet 1972 au 15 octobre 1977, les articles 4 et 11 de la Loi sur le transfèrement des délinquants et l'article 14 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus sont en ce sens.
Voici quel était le texte du paragraphe 137(1) du Code criminel en vigueur du 15 juillet 1972 au 15 octobre 1977:
137. (1) Sauf disposition contraire de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, une personne qui s'évade pendant qu'elle purge une peine d'emprisonnement doit, après avoir subi toute peine à laquelle elle est condamnée pour cette évasion, purger la partie de la peine d'emprisonnement incluant toute réduction légale de peine mais excluant toute réduction méri- tée, qu'il lui restait à purger au moment de son évasion, moins toute période qu'elle a passée sous garde entre le jour elle a été reprise après son évasion et le jour elle a été condamnée pour cette évasion.
1 Re MacDonald and Deputy Attorney -General of Canada (1981), 59 C.C.C. (2d) 202 (C.A. Ont.); The Queen v. Dozois (22 juillet 1981, C.A. Ont., non publié); The Queen v. Law (6 novembre 1981, C.A. Ont., non publié).
L'article était en vigueur au moment de l'évasion de l'appelante. Cela, d'après son conseil, suffirait à le rendre applicable à l'appelant bien qu'il n'ait été ni reconnu coupable ni condamné pour son évasion au moment l'article était en vigueur. Lorsque l'appelant revint au Canada après son évasion, faisait valoir son défenseur, il devait purger en vertu de cette disposition [TRADUCTION] «le reste de la peine privative de liberté qu'il purgeait ... au moment de son évasion, moins le temps d'incarcé- ration» aux États-Unis.
Cet argument est mal fondé. D'abord, je pense- rais que l'article ne s'est appliqué qu'aux délin- quants effectivement reconnus coupables et con- damnés pour évasion. Ensuite, présumant que l'article s'applique à ceux qui, comme l'appelant, se sont évadés mais n'ont pas été condamnés pour cette évasion, son seul effet, dans le cas de l'évadé, serait de disposer qu'il doit «purger la partie de la peine d'emprisonnement incluant toute réduction légale de peine mais excluant toute réduction méri- tée, qu'il lui restait à purger au moment de son évasion». Les termes mêmes du reste de l'article font qu'il ne peut viser celui qui n'a pas encore été condamné pour son évasion. Enfin, c'est à bon droit, je crois, que la Division de première instance a jugé que les termes «sous garde», qu'on retrouve au paragraphe 137(1), ne s'appliquent qu'à une incarcération dans un établissement pénitentiaire canadien.
Les autres dispositions légales invoquées au nom de l'appelant pour soutenir que le temps d'incarcé- ration aux États-Unis devait être considéré comme du temps de peine au titre des condamnations canadiennes sont les articles 4 et 11 de la Loi sur le transfèrement des délinquants et le paragraphe 14(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus. Voici les articles 4 et 11 de la Loi sur le transfèrement des délinquants:
e L'article 6 de la Loi de 1977 modifiant le droit pénal, S.C. 1976-77, chap. 53, en vigueur le 15 octobre 1977 l'abrogea et le remplaça par la disposition dont voici un extrait:
137. (1) La personne déclarée coupable d'évasion commise alors qu'elle purgeait une peine d'emprisonnement doit être condamnée à purger concurremment, la partie de sa sentence non encore purgée au moment de son évasion et la peine d'emprisonnement à laquelle elle est condamnée pour l'éva- sion, sauf si la cour, le juge, le juge de paix ou le magistrat qui l'a condamnée pour l'évasion ordonne que ces deux peines soient purgées consécutivement ...
4. Lorsqu'un délinquant canadien est transféré au Canada, sa déclaration de culpabilité et sa sentence, s'il y a en une, par un tribunal de l'État étranger d'où il est transféré sont présumées être celles qu'un tribunal canadien compétent lui aurait impo sées pour une infraction criminelle.
11. (1) Un délinquant canadien transféré au Canada
a) bénéficie des remises de peine que lui a accordées l'État étranger il fut déclaré coupable et condamné calculées au jour de son transfèrement; et
b) peut bénéficier d'une réduction de peine comme s'il était incarcéré le jour de son transfèrement conformément à une condamnation prononcée par un tribunal canadien.
(2) Les remises de peine mentionnées à l'alinéa la) sauf celles accordées pour le temps véritablement passé en détention conformément à la sentence que lui a imposée le tribunal étranger sont sujettes à déchéance pour une infraction discipli- naire comme s'il s'agissait de réductions de peines acquises en vertu de la Loi sur les pénitenciers ou de la Loi sur les prisons et les maisons de correction.
Et voici le paragraphe 14(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, mod. par l'art. 1 des S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 31, puis par l'art. 19 des S.C. 1977-78, chap. 22:
14. (l) Lorsque, le 25 mars 1970 ou avant ou après cette date,
a) un individu est condamné à deux périodes d'emprisonne- ment ou plus, ou que
b) un détenu qui est en détention est condamné à une ou des périodes supplémentaires d'emprisonnement,
les périodes d'emprisonnement auxquelles il a été condamné, y compris dans un cas visé à l'alinéa b) la ou les périodes d'emprisonnement qu'il est en train de purger, sont, à toutes fins de la présente loi, du Code criminel, de la Loi sur les pénitenciers et de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, censées constituer une seule sentence consistant en une période d'emprisonnement commençant le jour la pre- mière de ces sentences d'emprisonnement commence et se terminant à l'expiration de celle de ces périodes d'emprisonne- ment qui se termine la dernière.
L'avocat de l'appelant a soutenu, si j'ai bien compris, que, puisque la condamnation prononcée contre son client aux États-Unis était réputée, de par l'article 4 de la Loi sur le transfèrement des délinquants, assimilable à une condamnation par une juridiction canadienne, il s'ensuivait que le temps d'incarcération de l'appelant aux Etats- Unis, en vertu de la condamnation prononcée par la juridiction américaine, devait être considéré comme du temps d'incarcération dans un établisse- ment pénitentiaire canadien, purgé conformément à une condamnation prononcée par une juridiction
canadienne. Je ne partage pas cet avis. Le juge en chef adjoint, dont le jugement sur ce point a été approuvé par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt The Queen v. Dozois 3 a, à bon droit selon moi, rejeté cet argument. La Loi sur le transfère- ment des délinquants porte qu'un délinquant cana- dien peut purger au Canada la condamnation qu'a prononcée le tribunal d'un pays étranger. L'objet des articles 4 et 11 est de déterminer la durée du temps d'incarcération au Canada du délinquant canadien transféré par suite de la condamnation étrangère. Ces dispositions ne modifient en rien, à mon avis, le calcul des condamnations antérieures prononcées par les juridictions canadiennes.
L'avocat de l'appelant a aussi invoqué l'article 14 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus. D'après lui, selon cette disposition, toutes les peines auxquelles l'appelant a été condamné sont fusionnées en une seule et, par conséquent, le temps d'incarcération applicable à l'une ou l'autre des peines doit être considéré comme applicable aux autres. Le même argument a été avancé en Cour d'appel de l'Ontario dans l'espèce The Queen v. Dozois (précitée) et elle l'a rejeté. Je ne vois aucune raison de ne pas me conformer à cette décision.
Par ces motifs, donc, je confirmerais la décision de première instance et refuserais le premier juge- ment déclaratoire auquel avait conclu le deman- deur.
Avant de statuer sur l'autre point, je dois dire qu'avant l'audition de l'appel, l'avocat de l'appe- lant a demandé, par requête écrite, sur le fonde- ment de la Règle 324, une ordonnance l'autorisant à modifier sa déclaration et à faire la preuve de faits nouveaux, de façon à montrer que les 5 et 14 novembre 1980 trois autres condamnations à des peines privatives de liberté avaient été prononcées contre l'appelant: une pour s'être trouvé illicite- ment en liberté au Canada et deux pour évasion. M. le juge Le Dain a rejeté cette requête le 23 novembre 1981. A l'audition de l'appel, l'avocat de l'appelant a présenté à nouveau la même requête. La Cour a pris la chose en délibéré. A mon avis, la décision de M. le juge Le Dain ne devrait pas être réformée; le conseil de l'appelant n'est pas parvenu à démontrer que ces condamnations des 5 et 14
3 Non publié, en date du 22 juillet 1981 (C.A. Ont.).
novembre 1980 influent en quelque manière sur les points soulevés par l'appel.
II. Sur l'appel incident:
Les faits mis en cause par l'appel incident sont constants:
1. Le 29 août 1974, l'appelant, alors incarcéré au pénitencier de la Saskatchewan, a été reconnu coupable de tentative d'évasion et con- damné à une peine privative de liberté de six mois. Le mandat de dépôt, lancé le même jour, portait que l'appelant avait été reconnu coupa- ble de [TRADUCTION] «tentative illicite d'éva- sion du pénitencier de la Saskatchewan, en infraction à l'art. 421b) du Code criminel»; il portait aussi que l'appelant avait été condamné à [TRADUCTION] «une peine privative de liberté de 6 mois, à purger au pénitencier de la Saskat- chewan, conformément à l'art. 137 du Code criminel».
2. Par suite de cette condamnation, les fonction- naires du Service canadien des pénitenciers ont calculé la durée de la peine de l'appelant appli- quant lors de ce calcul le paragraphe 137(1) du Code criminel, comme si l'appelant avait été condamné pour évasion plutôt que pour tentative d'évasion.
3. Quelques années plus tard, lors du transfère- ment de l'appelant des États-Unis au Canada, les mêmes fonctionnaires ont constaté leur erreur de 1974, soit l'application du paragraphe 137(1) du Code criminel au lieu du paragraphe 22(4) de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, au calcul de la peine de l'appe- lant; ils ont corrigé leur prétendue erreur, ce qui aurait eu pour effet, apparemment, d'allonger la durée du temps d'incarcération de l'appelant. 4
Ce sont les faits qui ont amené l'appelant à conclure à un jugement déclaratoire disant «que l'article 137(1) du Code criminel de l'époque s'ap- plique en droit à la peine pour tentative d'évasion à laquelle il a été condamné le 29 août 1974 et qu'il
^ Je ne comprends pas comment l'application du paragraphe 22(4) de la Loi sur les pénitenciers, en lieu et place du paragraphe 137(1) du Code criminel, au calcul de la durée de la peine de l'appelant peut lui porter préjudice; toutefois, les avocats des deux parties ont déclaré s'entendre à cet égard.
a droit de voir la peine qu'il purge recalculée en conséquence».
Le juge de première instance a prononcé ce jugement déclaratoire. Il estima d'abord que les termes de la condamnation de l'appelant exi- geaient l'application du paragraphe 137(1) du Code criminel à son calcul; il n'avait pas le pouvoir de modifier cette condamnation. C'est la déci- sion dont appel incident.
Il est utile de rappeler le texte du paragraphe 137(1) du Code criminel de 1974:
137. (1) Sauf disposition contraire de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, une personne qui s'évade pendant qu'elle purge une peine d'emprisonnement doit, après avoir subi toute peine à laquelle elle est condamnée pour cette évasion, purger la partie de la peine d'emprisonnement incluant toute réduction légale de peine mais excluant toute réduction méri- tée, qu'il lui restait à purger au moment de son évasion, moins toute période qu'elle a passée sous garde entre le jour elle a été reprise après son évasion et le jour elle a été condamnée pour cette évasion.
Lorsque cette disposition fut promulguée, en 1972, elle abrogeait implicitement le paragraphe 22(4) de la Loi sur les pénitenciers dans la mesure il visait le détenu reconnu coupable d'évasion. Voici ce paragraphe de la Loi sur les pénitenciers:
22....
(4) Chaque détenu déclaré coupable par un tribunal criminel de l'infraction d'évasion, de l'infraction de tentative d'évasion ou de l'infraction que constitue le fait d'être illégalement en liberté est immédiatement déchu de son droit aux trois quarts de la réduction statutaire de peine, inscrite à son crédit au moment l'infraction a été commise.
La simple lecture de ces deux dispositions montre clairement, selon moi, que si le juge qui a condamné l'appelant pour tentative d'évasion en 1974 a vraiment ordonné d'appliquer le paragra- phe 137(1) au calcul de cette condamnation, il a donné une directive illégale et commis un excès de pouvoir. Le paragraphe 137(1) s'appliquait à l'évadé condamné pour cette évasion; de toute évidence, il ne s'appliquait pas à l'appelant qui n'avait que tenté de s'évader et avait été reconnu coupable et condamné en conséquence. La con- damnation de l'appelant était donc régie par le paragraphe 22(4) de la Loi sur les pénitenciers et non par le paragraphe 137(1) du Code criminel; il n'appartenait pas au juge qui prononça la condam- nation d'ordonner le contraire.
Toutefois, à mon avis, le dossier n'indique pas que le juge qui prononça la condamnation ait jamais donné une telle directive illégale. Le dossier comporte des photocopies du mandat de dépôt (qui, comme je l'ai dit, mentionne l'article 137 du Code criminel) et de la décision du juge endossant la dénonciation. Cet endossement, toutefois, est illisible, de sorte qu'il est impossible de savoir si le juge s'est vraiment référé à l'article 137 dans sa décision. J'ajouterais que, même si le juge, dans sa décision, s'est référé à l'article 137 du Code crimi- nel dans les termes employés dans le mandat de dépôt, je n'interprète pas cette mention comme une directive d'appliquer l'article 137 au calcul de la peine; il s'agit simplement d'une mention erronée de l'article du Code en vertu duquel la peine a été prononcée. Il s'ensuit donc, à mon avis, contraire- ment à ce qu'a statué la Division de première instance, que l'appelant n'a pas droit de voir sa peine pour tentative d'évasion calculée comme si le paragraphe 137(1) du Code criminel, en vigueur en 1974, lui était applicable.
Par ces motifs, je rejetterais l'appel et accueille- rais l'appel incident, avec dépens, substituant au jugement de la Division de première instance un arrêt rejetant l'action de l'appelant avec dépens.
LE JUGE RYAN: Je souscris à cet avis.
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: Je souscris aussi à cette opinion.
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