T-2659-81
Frederick G. Vivian (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Mahoney—
Toronto, 24 février; Ottawa, 23 mars 1983.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Cotisations —
Sociétés de gestion — Aucune fin commerciale authentique —
Les sociétés visent d'abord à diminuer l'impôt — Elles visent,
à titre secondaire, une fin de planification successorale motivée
uniquement par des considérations d'ordre fiscal et personnel,
non par des considérations d'ordre commercial — L'interven-
tion des sociétés de gestion n'est pas un «trompe-l'oeil» au sens
généralement accepté de la définition qu'en donne l'arrêt
Snook v. London & West Riding Investments Ltd., [19671 1
All E.R. 518 (C.A.) ni de la définition plus large qu'en donne
l'arrêt Le ministre du Revenu national c. Leon, [1977] 1 C.F.
249 (C.A.) — La Cour d'appel fédérale n'a pas retenu ulté-
rieurement la définition de l'arrêt Leon — La validité de la
définition de l'arrêt Leon n'est pas certaine puisque la Cour
suprême du Canada a refusé l'autorisation du pourvoi — La
Cour est convaincue que ce qui a été fait pour aboutir au
résultat souhaité—une réduction de l'impôt—constitue une
opération valide et complète — Appels accueillis.
Les demandeurs se pourvoient contre les cotisations de leurs
déclarations d'impôt sur le revenu. Le ministre du Revenu
national a inclu dans leur revenu respectif les sommes que
Newfoundland Design Association Limited (»Design») a versées
à leurs sociétés de gestion qui ont déclaré ces paiements dans
leur revenu. Les demandeurs exercent la profession d'ingénieurs
et Design est une société d'ingénieurs-conseils dont toutes les
actions sont détenues en parts égales par les demandeurs et
leurs épouses. Selon les demandeurs, les sociétés de gestion ont
été créées non uniquement pour réduire leur assujettissement à
l'impôt sur le revenu, mais aussi pour leur permettre de pour-
suivre leur carrière, pour ralentir la croissance de l'avoir propre
de Design et pour dissoudre les tensions entre eux. La réorgani-
sation visait également des considérations de planification suc-
cessorale. Il s'agit de savoir si la réorganisation avait une fin
commerciale authentique et si elle constituait un «trompe-l'oeil»
au sens qu'a donné à ce mot lord Diplock dans l'arrêt Snook v.
London & West Riding Investments Ltd., [1967] 1 All E.R.
518 (C.A.): «pour que des actes ou documents soient un
trompe-l'oeil' ... toutes les parties doivent avoir en outre
l'intention commune de ne pas créer par ces actes les droits et
obligations juridiques qu'elles paraissent y créer», ou au sens de
la définition plus large qu'en a donnée la Cour d'appel fédérale
dans l'arrêt Le ministre du Revenu national c. Leon, [1977] 1
C.F. 249 (C.A.): «Si elles ne poursuivent pas une fin commer-
ciale authentique, il s'agit alors d'un trompe-l'oeil.»
Jugement: les appels sont accueillis. L'intervention des socié-
tés de gestion n'a pas une fin commerciale authentique: elle vise
d'abord à réduire l'assujettissement des demandeurs à l'impôt
sur le revenu; elle a, à titre secondaire, une fin de planification
successorale qui, en l'absence de preuve digne de foi en sens
contraire, était motivée uniquement par des considérations
d'ordre fiscal et personnel. En outre, l'intervention des sociétés
ne constitue pas un «trompe-l'oeil» au sens que donnent à ce mot
les arrêts Snook et Leon. Les demandeurs ne peuvent échouer
que si la définition de «trompe l'oeil. adoptée dans l'arrêt Leon
reste valide. Cependant, la Cour suprême du Canada a refusé
l'autorisation du pourvoi à l'encontre de cette décision, et les
arrêts ultérieurs de la Cour d'appel fédérale indiquent que cette
Cour n'a pas considéré ce refus comme une approbation de la
définition de l'arrêt Leon. Dans l'arrêt Massey Ferguson Limi
ted c. La Reine, [1977] 1 C.F. 760 (C.A.), la Cour d'appel a
limité la définition de l'arrêt Leon aux faits qui lui sont propres;
ces faits ne sont pas différents de ceux en l'espèce. Dans l'arrêt
Stubart Investments Limited c. Sa Majesté La Reine (1981),
81 DTC 5120 (C.F. Appel), après avoir conclu que les opéra-
tions en question n'étaient pas un «trompe-l'oeil», la Cour
d'appel fédérale a ajouté que de toute manière, la Cour doit
être convaincue que l'appelante a effectivement fait ce qu'elle a
prétendu faire. En l'espèce, ce que l'on prétendait faire a été
fait; ce qui a été fait pour aboutir au résultat souhaité—une
réduction de l'impôt—constituait une opération valide et com-
plète, rien de moins.
La loi n'est pas claire, et bien que le contribuable doive
assumer le fardeau de la preuve des faits, c'est le fisc qui
assume le fardeau d'établir que la loi impose clairement l'impôt
qu'il cherche à recouvrer.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Snook v. London West Riding Investments Ltd., [1967] 1
All E.R. 518 (C.A.).
DÉCISION ÉCARTÉE:
Le ministre du Revenu national c. Leon, [1977] I C.F.
249 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Massey Ferguson Limited c. La Reine, [1977] I C.F. 760
(C.A.); Stubart Investments Limited c. Sa Majesté La
Reine (1981), 81 DTC 5120 (C.F. Appel); Atinco Paper
Products Limited c. Sa Majesté La Reine (1978), 78
DTC 6387 (C.F. Appel).
DÉCISION CITÉE:
Spur Oil Ltd c. La Reine, [1982] 2 C.F. 113 (C.A.).
AVOCATS:
Donald Bowman, c.r. et M. A. Monteith pour
les demandeurs.
John R. Power, c.r. et Deen Olsen pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Robarts & Bowman,
Toronto, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: L'espèce concerne une
société de gestion. Elle a été entendue en même
temps que l'affaire Rex T. Parsons c. La Reine, n°
du greffe T-2660-81, suivant une preuve com
mune. Parsons a témoigné le premier; pendant son
contre-interrogatoire, le demandeur Frederick G.
Vivian a été exclu de la salle d'audience. La
question en litige concerne les cotisations relatives
à leurs déclarations personnelles d'impôt sur le
revenu pour les années 1975, 1976, 1977 et 1978.
Le Ministre a inclus dans leurs revenus respectifs
des sommes que Newfoundland Design Associates
Limited, appelée ci-après «Design», a versées à
Frederick G. Vivian Management Limited et à
Rex T. Parsons Management Limited, appelées
ci-après les «sociétés de gestion». Les sociétés de
gestion ont déclaré ces paiements avec leurs
revenus.
À toutes les époques en cause, toutes les actions
du capital-actions de Design étaient la propriété en
parts égales de Vivian, de Parsons et de leurs
épouses respectives, ou de deux sociétés de porte-
feuille dont ils possèdent respectivement toutes les
actions donnant droit de vote. Ils exercent la pro
fession d'ingénieurs. Design est une société d'ingé-
nieurs-conseils qui dispense ses services dans la
province de Terre-Neuve. A toutes les époques en
cause, les sociétés de gestion, ainsi que Vivian,
Parsons et, probablement, Design, étaient dûment
autorisés à exercer la profession d'ingénieur à
Terre-Neuve.
Vivian et Parsons sont chacun propriétaires de
toutes les 500 actions privilégiées émises donnant
droit de vote de leurs sociétés de gestion respecti-
ves et chacun est seul fiduciaire de la fiducie qui
est propriétaire de toutes les actions ordinaires
émises au profit de ses enfants. Il y a 200 actions
ordinaires émises de F.G. Vivian Management
Limited et 201 de Rex T. Parsons Management
Limited. Chaque action, ordinaire et privilégiée,
donne droit à un vote.
Il n'est pas nécessaire d'examiner en détail la
masse de documents admis en preuve de consente-
ment. Il suffit de dire que les demandeurs et les
sociétés ont requis et suivi méticuleusement des
conseils d'experts. Chaque décision est appuyée et
les documents sont clairs et précis. Vivian et Par
sons ont quitté leur emploi auprès de Design et
sont des employés de leurs sociétés de gestion
respectives. Il est évident que ces dispositions ont
été prises en vue de réduire leur impôt sur le
revenu. Cela dit, elles sont précisément ce qu'elles
prétendent être: tous les services que Vivian et
Parsons avaient fournis jusque-là à Design en tant
qu'employés sont fournis, depuis le ler octobre
1975, par les sociétés de gestion respectives. Les
salaires de Vivian et de Parsons ne leur sont plus
versés par Design mais par les sociétés de gestion.
Ils sont restés administrateurs et dirigeants de
Design. Chaque société de gestion emploie l'épouse
de son actionnaire principal et lui verse un traite-
ment purement nominal pour remplir des tâches
au sein de la société de gestion; cependant, les
services fournis à Design par chacune des sociétés
de gestion sont, de fait, fournis entièrement par
Vivian et Parsons personnellement. Les services
fournis à Design par les sociétés de gestion sont les
services prévus en vertu des contrats de gestion et
les sociétés de gestion sont en conséquence payées
par Design de façon strictement conforme aux
conditions de ces contrats. Les services prévus aux
contrats sont exactement les mêmes que ceux
qu'ils fournissaient auparavant à titre d'employés,
et leurs rapports avec le personnel de Design n'ont
pas été modifiés de façon apparente en consé-
quence de l'intervention des sociétés de gestion.
Bref, les rapports entre Design, les sociétés de
gestion, les fiducies et Vivian et Parsons sont
absolument licites, définis de façon précise par
écrit, et de fait, chacun s'y est conformé.
Chaque société de gestion a un bureau à la
résidence de son principal actionnaire. Les lignes
téléphoniques sont distinctes, et elles dispensent
des services d'ingénieur-conseil à des clients autres
que Design. Elles n'ont pas d'autres employés que
Vivian, Parsons et leurs épouses respectives. Sauf
une seule exception, lorsque les services d'autres
personnes ont été requis, ils ont été dispensés par le
personnel de Design, laquelle s'est fait rembourser
aux taux prévus à l'occasion par l'Association of
Professional Engineers of Newfoundland. Cette
exception concerne la facture de 5 080 $ de la
société de gestion de Vivian en 1979, dont il est
question plus loin. La société a payé à un tiers
2 080 $ à l'égard de cette facture.
Je ne puis accepter le témoignage de Parsons
qu'il n'aurait pas effectué les opérations dont il
s'agit uniquement en raison des avantages fiscaux
parce que ces opérations sont trop encombrantes.
De même, je ne puis admettre que Vivian doute
qu'il y ait vraiment un avantage fiscal. L'impôt
personnel sur le revenu de Vivian, suivant sa décla-
ration, pour l'année 1974, la dernière année com-
plète avant la réorganisation, était de 48 623 $
pour un revenu imposable de 91 260 $. L'impôt sur
le revenu total de Vivian personnellement et de sa
société de gestion, suivant leurs déclarations, pour
1976, la première année complète après la réorga-
nisation, est de 67 639 $ pour des revenus imposa-
bles combinés de 174 528 $. Dans le cas de Par
sons, les chiffres correspondants indiquent, pour
l'année 1974, un impôt de 48 378 $ pour des reve-
nus imposables de 93 026 $ et, combiné pour 1976,
un impôt de 63 886 $ pour des revenus imposables
de 167 558 $.
En plus des considérations d'ordre fiscal, une
des raisons de la réorganisation était de permettre
à Vivian et à Parsons de poursuivre séparément
leur carrière et de se faire connaître sur le plan
professionnel indépendamment de Design et de
leur association l'un à l'autre. Dans les trois der-
niers mois de l'année 1975, la société de gestion de
Vivian a reçu de Design 30 525 $ en vertu du
contrat de gestion et n'a rien reçu d'autres person-
nes. Par la suite, les montants pertinents sont:
1976 1977 1978 1979
De Design 139 056 $ 120 510 $ 142 492 $ 162 450 $
D'autres personnes 3 574 1 945 2 248 5 080
Paiements à Design 2 823 1 038 296 Nil
De même, pour les trois derniers mois de l'année
1975, la société de gestion de Parsons a reçu
29 726 $ de Design et n'a rien reçu d'autres per-
sonnes; les montants pertinents par la suite sont:
1976 1977 1978 1979
De Design 140 131 $ 123 410 $ 146 682 $ 159 173 $
D'autres personnes 4 285 5 891 3 185 420
Paiements à Design 2 944 58 3 109 Nil
Les montants ci-dessus reçus d'autres personnes
sont des recettes brutes. Les paiements faits à
Design représentent les sommes payées chaque
année par chaque société de gestion pour les servi-
ces fournis par les employés de Design pour effec-
tuer des travaux pour d'autres personnes. Pour les
quatre années en cause, la société de gestion de
Vivian a reçu de Design 98,5 p. 100 de son revenu
net pour ses services, et la société de Parsons a
reçu de Design 98,6 p. 100 de son revenu.
La réorganisation visait également à ralentir, à
arrêter ou à inverser la croissance de l'avoir propre
de Design et de permettre ainsi aux employés
d'avoir part dans l'avoir propre. Depuis 1975, per-
sonne, si ce n'est les demandeurs, leurs épouses et
leurs sociétés de portefeuille, n'a participé à l'avoir
propre de Design. Il n'y a pas de preuve qu'une
offre de participation ait été faite jusqu'à présent
aux employés.
Vivian et Parsons ont témoigné qu'il y avait
entre eux sous l'ancien régime des tensions qui
semblent s'être dissoutes comme par enchantement
avec la réorganisation. Ils n'ont formulé aucune
théorie rationnelle pour expliquer ce phénomène.
On a décrit un point de tension qui se posait en
raison d'une direction du genre [TRADUCTION]
«frères siamois» qui existait avant la mise sur pied
des sociétés de gestion. Bien que les problèmes
soient exposés avec une certaine précision, on n'a
pas mentionné que leur résolution ait été un objec-
tif plutôt qu'un résultat de la réorganisation. Il est
surprenant de voir qu'une structure organisation-
nelle décrite comme étant trop encombrante pour
se justifier seulement par d'importantes économies
d'impôt ait eu un résultat aussi heureux.
L'expression [TRADUCTION] «fonds de risque»
englobe un autre point. Ils s'inquiétaient au sujet
des fonds accumulés de Design disponibles pour
acquitter des dommages-intérêts qui pouvaient être
élevés fondés sur des réclamations en responsabi-
lité professionnelle. Je puis comprendre l'impor-
tance de cette inquiétude, mais là encore, je ne vois
pas comment l'intervention des sociétés de gestion
a pu résoudre ce problème ni comment elle l'a
effectivement résolu. L'opération en question n'a
pas entraîné de distribution des surplus. Cela s'est
fait ultérieurement par l'intervention des sociétés
de portefeuille.
Un troisième point identifié porte sur les diver
gences d'opinions entre Vivian et Parsons concer-
nant l'investissement des fonds excédentaires de
Design. Là encore, puisqu'il n'y a pas eu de distri-
bution des surplus, on ne voit pas comment l'inter-
vention des sociétés de gestion a pu résoudre ce
conflit ni comment elle l'a effectivement résolu. La
preuve n'indique pas comment ces fonds étaient
investis avant le Z ef octobre 1975 ni comment ils
ont été investis par la suite. Les deux témoins
affirment l'existence de ce désaccord mais je
remarque, à la lecture de leurs formules de décla-
ration d'impôt personnel, qu'ils partagent un inté-
rêt à un secteur d'investissement plutôt particulier:
la production de films canadiens. Cela provient
peut-être d'un intérêt culturel commun.
Certes, il y a l'élément de planification successo-
rale. La seule raison qu'a fait valoir Parsons est le
remords d'être séparé de ses enfants à cause de ses
affaires et la volonté, par conséquent, de faire
quelque chose pour eux. Si louable que ce soit, ce
n'est pas là une fin commerciale. Je ne veux pas
éliminer la possibilité que la planification successo-
rale puisse avoir dans certains cas une fin commer-
ciale authentique ainsi que des fins fiscales et
personnelles. Si cette possibilité existe, la preuve
n'en a pas été faite en l'espèce.
Si je n'ai pas mentionné les autres prétendues
fins commerciales que font valoir les témoignages,
c'est parce que j'estime qu'elles sont encore plus
forcées que celles que j'ai examinées. Je conclus
que l'intervention des sociétés de gestion (1) n'a
pas une fin commerciale authentique, (2) vise
d'abord à réduire directement leur assujettisse-
ment à l'impôt sur le revenu, (3) a, à titre secon-
daire, une fin de planification successorale qui, en
l'absence de preuve digne de foi en sens contraire,
doit être considérée comme ayant aussi été motivée
uniquement par des considérations d'ordre fiscal et
personnel, non par des considérations d'ordre com
mercial, et (4) n'est pas un trompe-l'oeil au sens
que le droit reconnaît généralement à cette expres
sion. Je pense que c'est là l'opinion souvent citée de
lord Diplock dans l'arrêt Snook v. London & West
Riding Investments Ltd. [à la page 528]':
[TRADUCTION] Je croirais que, s'il [le trompe-l'oeil] a quelque
signification en droit, il désigne ces actes faits, ou passés par les
parties à la transaction et qui visent à simuler, aux yeux des
tiers ou du tribunal, la création de droits et d'obligations
juridiques différents des droits et obligations juridiques que les
parties ont véritablement entendu créer (dans la mesure où elles
ont voulu en créer). Cependant, il est, me semble-t-il, clair en
droit, en morale et dans la jurisprudence ... que, pour que des
' [1967] 1 All E.R. 518 (C.A.).
actes ou documents soient un «trompe-l'oeil», avec toutes les
conséquences juridiques qui peuvent en découler, toutes les
parties doivent avoir en outre l'intention commune de ne pas
créer par ces actes les droits et obligations juridiques qu'elles
paraissent y créer. Aucune intention implicite d'un des «simula-
teurs» n'affecte les droits d'une partie qu'il trompe.
Cette définition paraît avoir été retenue dans plu-
sieurs arrêts récents de la Cour d'appel fédérale 2
concernant la Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C.
1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap.
63, art. 1)].
Cependant, la définition de «trompe-l'oeil», dans
le contexte de la Loi de l'impôt sur le revenu, a été
élargie de façon importante dans l'arrêt Le minis-
tre du Revenu national c. Leon 3 dans lequel la
Cour d'appel fédérale a dit:
Si elles ne poursuivent pas une fin commerciale authentique,
il s'agit alors d'un trompe-l'oeil ... En l'espèce, les accords ne
poursuivent pas de fin commerciale authentique mais ont pour
seul but de réaliser des économies d'impôt.
Suivant cette définition, l'intervention des sociétés
de gestion constitue un trompe-l'oeil. La Cour
suprême du Canada a refusé l'autorisation du
pourvoi à l'encontre de cette décision 4 .
Dans l'arrêt Massey Ferguson Limited c. La
Reines, la Cour d'appel fédérale, composée de
juges différents, a dit relativement à l'arrêt Leon:
Je ne suis pas du tout sûr que j'aurais souscrit aux principes
généraux énoncés, dans cet arrêt relativement à l'existence d'un
«trompe-l'oeil». Je pense qu'il faut les limiter aux faits qui lui
sont propres.
Les faits dans l'affaire Massey Ferguson étaient
très différents de ceux dans l'affaire Leon. Il n'en
est pas de même des faits en l'espèce.
De même, dans l'arrêt Stubart Investments
Limited c. Sa Majesté La Reine 6 , en regard de
faits très différents de ceux en l'espèce, une autre
formation de la Cour d'appel dont faisaient partie,
par coïncidence, les juges qui ont rédigé les motifs
de jugements dans les arrêts Leon et Massey Fer-
guson a dit, après avoir repris la définition que
lord Diplock a donnée de «trompe-l'oeil»:
2 Stubart Investments Limited c. Sa Majesté La Reine, infra,
à la p. 5123; Spur Oil Ltd. c. La Reine, [1982] 2 C.F. 113
[C.A.], à la p. 126.
3 [1977] 1 C.F. 249 [C.A.], aux pp. 256 et 257.
° [1976] 2 R.C.S. ix.
5 [1977] 1 C.F. 760 [C.A.], à la p. 772.
6 (1981), 81 DTC 5120 [C.F. Appel], aux pp. 5124 et s.
L'appelante a admis avoir conclu ces transactions dans le but
d'utiliser les pertes fiscales accumulées par Grover. Cela ne
constitue en soi rien de répréhensible, et encore moins rien
d'illégal, puisque toute personne a le droit d'arranger ses affai-
res de manière à réduire au minimum ou à supprimer ses
impôts, tant qu'elle respecte les limites que fixe la loi. Il me
semble inutile, injuste et, peut-être, injustifié de qualifier de
manière péjorative ces transactions de «trompe-l'oeil», même si
je dois reconnaître qu'en l'espèce, c'est certainement à cette
conclusion que nous amène la preuve. Même si ces transactions
ne constituent pas un trompe-l'oeil, cela n'autorise pas nécessai-
rement l'appelante à soutenir que les nouvelles cotisations du
Ministre sont erronées. A mon avis, l'appelante doit de toute
manière convaincre la Cour qu'elle a effectivement fait ce
qu'elle a prétendu faire, soit transmettre ses actifs et son
entreprise à Grover. Puisque le but avoué de ces transactions
est d'atténuer les conséquences fiscales attribuables aux bénéfi-
ces de l'entreprise d'aromatisants par la déduction des pertes
subies par Grover, le tribunal est en droit et a même l'obliga-
tion d'étudier l'ensemble de la preuve qui se rapporte aux
transactions, afin de déterminer si ce qui a été fait dans le but
de parvenir au résultat visé est véritablement suffisant pour
permettre au tribunal de conclure à l'existence d'une transac
tion valide et complète.
Dans l'arrêt Stubart, la Cour d'appel a également
saisi l'occasion de répéter ce qu'elle avait déjà dit
dans l'arrêt Atinco Paper Products Limited c. Sa
Majesté La Reine'.
Je ne peux terminer sans faire connaître ma position sur la
question générale des transactions censées avoir été effectuées à
des fins de programmes successoraux et d'évasion fiscale. C'est
un lieu commun que de dire que chaque contribuable a le droit
de conduire ses affaires comme il l'entend pour réduire sa dette
fiscale. On n'a jamais dit que cette pratique était contraire à
l'ordre public. Il est aussi vrai que la présente Cour n'est pas la
gardienne du ministre du Revenu national. Quoi qu'il en soit, la
Cour a l'obligation d'examiner minutieusement tous les gestes
d'un contribuable afin de s'assurer qu'ils sont, de fait, confor-
mes à la loi applicable. Le fait d'utiliser certains moyens pour
parvenir au résultat souhaité ne suffit pas; il faut s'assurer que
non seulement ces moyens paraissent réguliers, c'est-à-dire en
règle quant à la forme, mais, de fait, qu'ils constituent, à tous
égards, des transactions juridiquement valables et réelles. Si la
présente Cour, ou si toute autre cour, négligeait de s'acquitter
de son obligation fondamentale d'examiner avec soin tous les
aspects des transactions en cause, elle ferait preuve de négli-
gence non seulement dans l'exécution de ses fonctions judiciai-
res, mais à l'égard du public en général. C'est pour cette raison
que je ne peux souscrire à la proposition quelquefois formulée
voulant qu'une transaction ou qu'une série de transactions
faites en vue de réduire l'impôt à payer (c'est du moins ce
qu'espère le contribuable), fassent l'objet d'une interprétation
stricte ou large. La seule ligne de conduite permise à la Cour
est d'appliquer la loi comme elle la comprend aux faits consta-
tés dans la transaction en question. Si la transaction résiste à
cet examen minutieux, alors la Cour peut, bien entendu, y faire
droit; sinon, elle doit échouer.
7 (1978), 78 DTC 6387 (C.F. Appel), à la p. 6395.
Dans les arrêts Stubart et Atinco, cette Cour a
conclu que les opérations, ou les séries d'opéra-
tions, ne pouvaient résister à un examen minu-
tieux. En l'espèce, il en va autrement. Ce que l'on
prétendait faire a effectivement été fait; ce qui a
été fait pour aboutir au résultat souhaité, une
réduction de l'impôt, constituait une opération ou
des séries d'opérations valides et complètes, rien de
moins. Les demandeurs ne peuvent échouer que si
la définition de «trompe-l'oeil» adoptée dans l'arrêt
Leon reste valide. Les arrêts ultérieurs de la Cour
d'appel indiquent que cette Cour n'a pas considéré
que le refus de l'autorisation de pourvoi par la
Cour suprême du Canada équivalait à une appro
bation de cette définition. Ces arrêts ultérieurs
soulèvent un doute quant à la validité de cette
définition.
La loi n'est pas claire. En matière d'impôt, bien
que le contribuable doive assumer le fardeau de la
preuve des faits, c'est le fisc qui assume le fardeau
d'établir que la loi impose clairement l'impôt qu'il
cherche à recouvrer. Les appels à l'encontre des
cotisations sont accueillis avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.