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T-2659-81
Frederick G. Vivian (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Mahoney— Toronto, 24 février; Ottawa, 23 mars 1983.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Cotisations Sociétés de gestion Aucune fin commerciale authentique Les sociétés visent d'abord à diminuer l'impôt Elles visent, à titre secondaire, une fin de planification successorale motivée uniquement par des considérations d'ordre fiscal et personnel, non par des considérations d'ordre commercial L'interven- tion des sociétés de gestion n'est pas un «trompe-l'oeil» au sens généralement accepté de la définition qu'en donne l'arrêt Snook v. London & West Riding Investments Ltd., [19671 1 All E.R. 518 (C.A.) ni de la définition plus large qu'en donne l'arrêt Le ministre du Revenu national c. Leon, [1977] 1 C.F. 249 (C.A.) La Cour d'appel fédérale n'a pas retenu ulté- rieurement la définition de l'arrêt Leon La validité de la définition de l'arrêt Leon n'est pas certaine puisque la Cour suprême du Canada a refusé l'autorisation du pourvoi La Cour est convaincue que ce qui a été fait pour aboutir au résultat souhaité—une réduction de l'impôt—constitue une opération valide et complète Appels accueillis.
Les demandeurs se pourvoient contre les cotisations de leurs déclarations d'impôt sur le revenu. Le ministre du Revenu national a inclu dans leur revenu respectif les sommes que Newfoundland Design Association Limited (»Design») a versées à leurs sociétés de gestion qui ont déclaré ces paiements dans leur revenu. Les demandeurs exercent la profession d'ingénieurs et Design est une société d'ingénieurs-conseils dont toutes les actions sont détenues en parts égales par les demandeurs et leurs épouses. Selon les demandeurs, les sociétés de gestion ont été créées non uniquement pour réduire leur assujettissement à l'impôt sur le revenu, mais aussi pour leur permettre de pour- suivre leur carrière, pour ralentir la croissance de l'avoir propre de Design et pour dissoudre les tensions entre eux. La réorgani- sation visait également des considérations de planification suc- cessorale. Il s'agit de savoir si la réorganisation avait une fin commerciale authentique et si elle constituait un «trompe-l'oeil» au sens qu'a donné à ce mot lord Diplock dans l'arrêt Snook v. London & West Riding Investments Ltd., [1967] 1 All E.R. 518 (C.A.): «pour que des actes ou documents soient un trompe-l'oeil' ... toutes les parties doivent avoir en outre l'intention commune de ne pas créer par ces actes les droits et obligations juridiques qu'elles paraissent y créer», ou au sens de la définition plus large qu'en a donnée la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Le ministre du Revenu national c. Leon, [1977] 1 C.F. 249 (C.A.): «Si elles ne poursuivent pas une fin commer- ciale authentique, il s'agit alors d'un trompe-l'oeil.»
Jugement: les appels sont accueillis. L'intervention des socié- tés de gestion n'a pas une fin commerciale authentique: elle vise d'abord à réduire l'assujettissement des demandeurs à l'impôt sur le revenu; elle a, à titre secondaire, une fin de planification successorale qui, en l'absence de preuve digne de foi en sens contraire, était motivée uniquement par des considérations d'ordre fiscal et personnel. En outre, l'intervention des sociétés
ne constitue pas un «trompe-l'oeil» au sens que donnent à ce mot les arrêts Snook et Leon. Les demandeurs ne peuvent échouer que si la définition de «trompe l'oeil. adoptée dans l'arrêt Leon reste valide. Cependant, la Cour suprême du Canada a refusé l'autorisation du pourvoi à l'encontre de cette décision, et les arrêts ultérieurs de la Cour d'appel fédérale indiquent que cette Cour n'a pas considéré ce refus comme une approbation de la définition de l'arrêt Leon. Dans l'arrêt Massey Ferguson Limi ted c. La Reine, [1977] 1 C.F. 760 (C.A.), la Cour d'appel a limité la définition de l'arrêt Leon aux faits qui lui sont propres; ces faits ne sont pas différents de ceux en l'espèce. Dans l'arrêt Stubart Investments Limited c. Sa Majesté La Reine (1981), 81 DTC 5120 (C.F. Appel), après avoir conclu que les opéra- tions en question n'étaient pas un «trompe-l'oeil», la Cour d'appel fédérale a ajouté que de toute manière, la Cour doit être convaincue que l'appelante a effectivement fait ce qu'elle a prétendu faire. En l'espèce, ce que l'on prétendait faire a été fait; ce qui a été fait pour aboutir au résultat souhaité—une réduction de l'impôt—constituait une opération valide et com- plète, rien de moins.
La loi n'est pas claire, et bien que le contribuable doive assumer le fardeau de la preuve des faits, c'est le fisc qui assume le fardeau d'établir que la loi impose clairement l'impôt qu'il cherche à recouvrer.
JURISPRUDENCE DÉCISION APPLIQUÉE:
Snook v. London West Riding Investments Ltd., [1967] 1 All E.R. 518 (C.A.).
DÉCISION ÉCARTÉE:
Le ministre du Revenu national c. Leon, [1977] I C.F. 249 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Massey Ferguson Limited c. La Reine, [1977] I C.F. 760 (C.A.); Stubart Investments Limited c. Sa Majesté La Reine (1981), 81 DTC 5120 (C.F. Appel); Atinco Paper Products Limited c. Sa Majesté La Reine (1978), 78 DTC 6387 (C.F. Appel).
DÉCISION CITÉE:
Spur Oil Ltd c. La Reine, [1982] 2 C.F. 113 (C.A.). AVOCATS:
Donald Bowman, c.r. et M. A. Monteith pour les demandeurs.
John R. Power, c.r. et Deen Olsen pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Robarts & Bowman, Toronto, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: L'espèce concerne une société de gestion. Elle a été entendue en même temps que l'affaire Rex T. Parsons c. La Reine, du greffe T-2660-81, suivant une preuve com mune. Parsons a témoigné le premier; pendant son contre-interrogatoire, le demandeur Frederick G. Vivian a été exclu de la salle d'audience. La question en litige concerne les cotisations relatives à leurs déclarations personnelles d'impôt sur le revenu pour les années 1975, 1976, 1977 et 1978. Le Ministre a inclus dans leurs revenus respectifs des sommes que Newfoundland Design Associates Limited, appelée ci-après «Design», a versées à Frederick G. Vivian Management Limited et à Rex T. Parsons Management Limited, appelées ci-après les «sociétés de gestion». Les sociétés de gestion ont déclaré ces paiements avec leurs revenus.
À toutes les époques en cause, toutes les actions du capital-actions de Design étaient la propriété en parts égales de Vivian, de Parsons et de leurs épouses respectives, ou de deux sociétés de porte- feuille dont ils possèdent respectivement toutes les actions donnant droit de vote. Ils exercent la pro fession d'ingénieurs. Design est une société d'ingé- nieurs-conseils qui dispense ses services dans la province de Terre-Neuve. A toutes les époques en cause, les sociétés de gestion, ainsi que Vivian, Parsons et, probablement, Design, étaient dûment autorisés à exercer la profession d'ingénieur à Terre-Neuve.
Vivian et Parsons sont chacun propriétaires de toutes les 500 actions privilégiées émises donnant droit de vote de leurs sociétés de gestion respecti- ves et chacun est seul fiduciaire de la fiducie qui est propriétaire de toutes les actions ordinaires émises au profit de ses enfants. Il y a 200 actions ordinaires émises de F.G. Vivian Management Limited et 201 de Rex T. Parsons Management Limited. Chaque action, ordinaire et privilégiée, donne droit à un vote.
Il n'est pas nécessaire d'examiner en détail la masse de documents admis en preuve de consente- ment. Il suffit de dire que les demandeurs et les sociétés ont requis et suivi méticuleusement des conseils d'experts. Chaque décision est appuyée et
les documents sont clairs et précis. Vivian et Par sons ont quitté leur emploi auprès de Design et sont des employés de leurs sociétés de gestion respectives. Il est évident que ces dispositions ont été prises en vue de réduire leur impôt sur le revenu. Cela dit, elles sont précisément ce qu'elles prétendent être: tous les services que Vivian et Parsons avaient fournis jusque-là à Design en tant qu'employés sont fournis, depuis le ler octobre 1975, par les sociétés de gestion respectives. Les salaires de Vivian et de Parsons ne leur sont plus versés par Design mais par les sociétés de gestion. Ils sont restés administrateurs et dirigeants de Design. Chaque société de gestion emploie l'épouse de son actionnaire principal et lui verse un traite- ment purement nominal pour remplir des tâches au sein de la société de gestion; cependant, les services fournis à Design par chacune des sociétés de gestion sont, de fait, fournis entièrement par Vivian et Parsons personnellement. Les services fournis à Design par les sociétés de gestion sont les services prévus en vertu des contrats de gestion et les sociétés de gestion sont en conséquence payées par Design de façon strictement conforme aux conditions de ces contrats. Les services prévus aux contrats sont exactement les mêmes que ceux qu'ils fournissaient auparavant à titre d'employés, et leurs rapports avec le personnel de Design n'ont pas été modifiés de façon apparente en consé- quence de l'intervention des sociétés de gestion. Bref, les rapports entre Design, les sociétés de gestion, les fiducies et Vivian et Parsons sont absolument licites, définis de façon précise par écrit, et de fait, chacun s'y est conformé.
Chaque société de gestion a un bureau à la résidence de son principal actionnaire. Les lignes téléphoniques sont distinctes, et elles dispensent des services d'ingénieur-conseil à des clients autres que Design. Elles n'ont pas d'autres employés que Vivian, Parsons et leurs épouses respectives. Sauf une seule exception, lorsque les services d'autres personnes ont été requis, ils ont été dispensés par le personnel de Design, laquelle s'est fait rembourser aux taux prévus à l'occasion par l'Association of Professional Engineers of Newfoundland. Cette exception concerne la facture de 5 080 $ de la société de gestion de Vivian en 1979, dont il est question plus loin. La société a payé à un tiers 2 080 $ à l'égard de cette facture.
Je ne puis accepter le témoignage de Parsons qu'il n'aurait pas effectué les opérations dont il s'agit uniquement en raison des avantages fiscaux parce que ces opérations sont trop encombrantes. De même, je ne puis admettre que Vivian doute qu'il y ait vraiment un avantage fiscal. L'impôt personnel sur le revenu de Vivian, suivant sa décla- ration, pour l'année 1974, la dernière année com- plète avant la réorganisation, était de 48 623 $ pour un revenu imposable de 91 260 $. L'impôt sur le revenu total de Vivian personnellement et de sa société de gestion, suivant leurs déclarations, pour 1976, la première année complète après la réorga- nisation, est de 67 639 $ pour des revenus imposa- bles combinés de 174 528 $. Dans le cas de Par sons, les chiffres correspondants indiquent, pour l'année 1974, un impôt de 48 378 $ pour des reve- nus imposables de 93 026 $ et, combiné pour 1976, un impôt de 63 886 $ pour des revenus imposables de 167 558 $.
En plus des considérations d'ordre fiscal, une des raisons de la réorganisation était de permettre à Vivian et à Parsons de poursuivre séparément leur carrière et de se faire connaître sur le plan professionnel indépendamment de Design et de leur association l'un à l'autre. Dans les trois der- niers mois de l'année 1975, la société de gestion de Vivian a reçu de Design 30 525 $ en vertu du contrat de gestion et n'a rien reçu d'autres person- nes. Par la suite, les montants pertinents sont:
1976 1977 1978 1979
De Design 139 056 $ 120 510 $ 142 492 $ 162 450 $
D'autres personnes 3 574 1 945 2 248 5 080
Paiements à Design 2 823 1 038 296 Nil
De même, pour les trois derniers mois de l'année 1975, la société de gestion de Parsons a reçu 29 726 $ de Design et n'a rien reçu d'autres per- sonnes; les montants pertinents par la suite sont:
1976 1977 1978 1979
De Design 140 131 $ 123 410 $ 146 682 $ 159 173 $
D'autres personnes 4 285 5 891 3 185 420
Paiements à Design 2 944 58 3 109 Nil
Les montants ci-dessus reçus d'autres personnes sont des recettes brutes. Les paiements faits à Design représentent les sommes payées chaque année par chaque société de gestion pour les servi-
ces fournis par les employés de Design pour effec- tuer des travaux pour d'autres personnes. Pour les quatre années en cause, la société de gestion de Vivian a reçu de Design 98,5 p. 100 de son revenu net pour ses services, et la société de Parsons a reçu de Design 98,6 p. 100 de son revenu.
La réorganisation visait également à ralentir, à arrêter ou à inverser la croissance de l'avoir propre de Design et de permettre ainsi aux employés d'avoir part dans l'avoir propre. Depuis 1975, per- sonne, si ce n'est les demandeurs, leurs épouses et leurs sociétés de portefeuille, n'a participé à l'avoir propre de Design. Il n'y a pas de preuve qu'une offre de participation ait été faite jusqu'à présent aux employés.
Vivian et Parsons ont témoigné qu'il y avait entre eux sous l'ancien régime des tensions qui semblent s'être dissoutes comme par enchantement avec la réorganisation. Ils n'ont formulé aucune théorie rationnelle pour expliquer ce phénomène.
On a décrit un point de tension qui se posait en raison d'une direction du genre [TRADUCTION] «frères siamois» qui existait avant la mise sur pied des sociétés de gestion. Bien que les problèmes soient exposés avec une certaine précision, on n'a pas mentionné que leur résolution ait été un objec- tif plutôt qu'un résultat de la réorganisation. Il est surprenant de voir qu'une structure organisation- nelle décrite comme étant trop encombrante pour se justifier seulement par d'importantes économies d'impôt ait eu un résultat aussi heureux.
L'expression [TRADUCTION] «fonds de risque» englobe un autre point. Ils s'inquiétaient au sujet des fonds accumulés de Design disponibles pour acquitter des dommages-intérêts qui pouvaient être élevés fondés sur des réclamations en responsabi- lité professionnelle. Je puis comprendre l'impor- tance de cette inquiétude, mais encore, je ne vois pas comment l'intervention des sociétés de gestion a pu résoudre ce problème ni comment elle l'a effectivement résolu. L'opération en question n'a pas entraîné de distribution des surplus. Cela s'est fait ultérieurement par l'intervention des sociétés de portefeuille.
Un troisième point identifié porte sur les diver gences d'opinions entre Vivian et Parsons concer- nant l'investissement des fonds excédentaires de Design. encore, puisqu'il n'y a pas eu de distri-
bution des surplus, on ne voit pas comment l'inter- vention des sociétés de gestion a pu résoudre ce conflit ni comment elle l'a effectivement résolu. La preuve n'indique pas comment ces fonds étaient investis avant le Z ef octobre 1975 ni comment ils ont été investis par la suite. Les deux témoins affirment l'existence de ce désaccord mais je remarque, à la lecture de leurs formules de décla- ration d'impôt personnel, qu'ils partagent un inté- rêt à un secteur d'investissement plutôt particulier: la production de films canadiens. Cela provient peut-être d'un intérêt culturel commun.
Certes, il y a l'élément de planification successo- rale. La seule raison qu'a fait valoir Parsons est le remords d'être séparé de ses enfants à cause de ses affaires et la volonté, par conséquent, de faire quelque chose pour eux. Si louable que ce soit, ce n'est pas une fin commerciale. Je ne veux pas éliminer la possibilité que la planification successo- rale puisse avoir dans certains cas une fin commer- ciale authentique ainsi que des fins fiscales et personnelles. Si cette possibilité existe, la preuve n'en a pas été faite en l'espèce.
Si je n'ai pas mentionné les autres prétendues fins commerciales que font valoir les témoignages, c'est parce que j'estime qu'elles sont encore plus forcées que celles que j'ai examinées. Je conclus que l'intervention des sociétés de gestion (1) n'a pas une fin commerciale authentique, (2) vise d'abord à réduire directement leur assujettisse- ment à l'impôt sur le revenu, (3) a, à titre secon- daire, une fin de planification successorale qui, en l'absence de preuve digne de foi en sens contraire, doit être considérée comme ayant aussi été motivée uniquement par des considérations d'ordre fiscal et personnel, non par des considérations d'ordre com mercial, et (4) n'est pas un trompe-l'oeil au sens que le droit reconnaît généralement à cette expres sion. Je pense que c'est l'opinion souvent citée de lord Diplock dans l'arrêt Snook v. London & West Riding Investments Ltd. la page 528]':
[TRADUCTION] Je croirais que, s'il [le trompe-l'oeil] a quelque signification en droit, il désigne ces actes faits, ou passés par les parties à la transaction et qui visent à simuler, aux yeux des tiers ou du tribunal, la création de droits et d'obligations juridiques différents des droits et obligations juridiques que les parties ont véritablement entendu créer (dans la mesure elles ont voulu en créer). Cependant, il est, me semble-t-il, clair en droit, en morale et dans la jurisprudence ... que, pour que des
' [1967] 1 All E.R. 518 (C.A.).
actes ou documents soient un «trompe-l'oeil», avec toutes les conséquences juridiques qui peuvent en découler, toutes les parties doivent avoir en outre l'intention commune de ne pas créer par ces actes les droits et obligations juridiques qu'elles paraissent y créer. Aucune intention implicite d'un des «simula- teurs» n'affecte les droits d'une partie qu'il trompe.
Cette définition paraît avoir été retenue dans plu- sieurs arrêts récents de la Cour d'appel fédérale 2 concernant la Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1)].
Cependant, la définition de «trompe-l'oeil», dans le contexte de la Loi de l'impôt sur le revenu, a été élargie de façon importante dans l'arrêt Le minis- tre du Revenu national c. Leon 3 dans lequel la Cour d'appel fédérale a dit:
Si elles ne poursuivent pas une fin commerciale authentique, il s'agit alors d'un trompe-l'oeil ... En l'espèce, les accords ne poursuivent pas de fin commerciale authentique mais ont pour seul but de réaliser des économies d'impôt.
Suivant cette définition, l'intervention des sociétés de gestion constitue un trompe-l'oeil. La Cour suprême du Canada a refusé l'autorisation du pourvoi à l'encontre de cette décision 4 .
Dans l'arrêt Massey Ferguson Limited c. La Reines, la Cour d'appel fédérale, composée de juges différents, a dit relativement à l'arrêt Leon:
Je ne suis pas du tout sûr que j'aurais souscrit aux principes généraux énoncés, dans cet arrêt relativement à l'existence d'un «trompe-l'oeil». Je pense qu'il faut les limiter aux faits qui lui sont propres.
Les faits dans l'affaire Massey Ferguson étaient très différents de ceux dans l'affaire Leon. Il n'en est pas de même des faits en l'espèce.
De même, dans l'arrêt Stubart Investments Limited c. Sa Majesté La Reine 6 , en regard de faits très différents de ceux en l'espèce, une autre formation de la Cour d'appel dont faisaient partie, par coïncidence, les juges qui ont rédigé les motifs de jugements dans les arrêts Leon et Massey Fer- guson a dit, après avoir repris la définition que lord Diplock a donnée de «trompe-l'oeil»:
2 Stubart Investments Limited c. Sa Majesté La Reine, infra, à la p. 5123; Spur Oil Ltd. c. La Reine, [1982] 2 C.F. 113 [C.A.], à la p. 126.
3 [1977] 1 C.F. 249 [C.A.], aux pp. 256 et 257. ° [1976] 2 R.C.S. ix.
5 [1977] 1 C.F. 760 [C.A.], à la p. 772.
6 (1981), 81 DTC 5120 [C.F. Appel], aux pp. 5124 et s.
L'appelante a admis avoir conclu ces transactions dans le but d'utiliser les pertes fiscales accumulées par Grover. Cela ne constitue en soi rien de répréhensible, et encore moins rien d'illégal, puisque toute personne a le droit d'arranger ses affai- res de manière à réduire au minimum ou à supprimer ses impôts, tant qu'elle respecte les limites que fixe la loi. Il me semble inutile, injuste et, peut-être, injustifié de qualifier de manière péjorative ces transactions de «trompe-l'oeil», même si je dois reconnaître qu'en l'espèce, c'est certainement à cette conclusion que nous amène la preuve. Même si ces transactions ne constituent pas un trompe-l'oeil, cela n'autorise pas nécessai- rement l'appelante à soutenir que les nouvelles cotisations du Ministre sont erronées. A mon avis, l'appelante doit de toute manière convaincre la Cour qu'elle a effectivement fait ce qu'elle a prétendu faire, soit transmettre ses actifs et son entreprise à Grover. Puisque le but avoué de ces transactions est d'atténuer les conséquences fiscales attribuables aux bénéfi- ces de l'entreprise d'aromatisants par la déduction des pertes subies par Grover, le tribunal est en droit et a même l'obliga- tion d'étudier l'ensemble de la preuve qui se rapporte aux transactions, afin de déterminer si ce qui a été fait dans le but de parvenir au résultat visé est véritablement suffisant pour permettre au tribunal de conclure à l'existence d'une transac tion valide et complète.
Dans l'arrêt Stubart, la Cour d'appel a également saisi l'occasion de répéter ce qu'elle avait déjà dit dans l'arrêt Atinco Paper Products Limited c. Sa Majesté La Reine'.
Je ne peux terminer sans faire connaître ma position sur la question générale des transactions censées avoir été effectuées à des fins de programmes successoraux et d'évasion fiscale. C'est un lieu commun que de dire que chaque contribuable a le droit de conduire ses affaires comme il l'entend pour réduire sa dette fiscale. On n'a jamais dit que cette pratique était contraire à l'ordre public. Il est aussi vrai que la présente Cour n'est pas la gardienne du ministre du Revenu national. Quoi qu'il en soit, la Cour a l'obligation d'examiner minutieusement tous les gestes d'un contribuable afin de s'assurer qu'ils sont, de fait, confor- mes à la loi applicable. Le fait d'utiliser certains moyens pour parvenir au résultat souhaité ne suffit pas; il faut s'assurer que non seulement ces moyens paraissent réguliers, c'est-à-dire en règle quant à la forme, mais, de fait, qu'ils constituent, à tous égards, des transactions juridiquement valables et réelles. Si la présente Cour, ou si toute autre cour, négligeait de s'acquitter de son obligation fondamentale d'examiner avec soin tous les aspects des transactions en cause, elle ferait preuve de négli- gence non seulement dans l'exécution de ses fonctions judiciai- res, mais à l'égard du public en général. C'est pour cette raison que je ne peux souscrire à la proposition quelquefois formulée voulant qu'une transaction ou qu'une série de transactions faites en vue de réduire l'impôt à payer (c'est du moins ce qu'espère le contribuable), fassent l'objet d'une interprétation stricte ou large. La seule ligne de conduite permise à la Cour est d'appliquer la loi comme elle la comprend aux faits consta- tés dans la transaction en question. Si la transaction résiste à cet examen minutieux, alors la Cour peut, bien entendu, y faire droit; sinon, elle doit échouer.
7 (1978), 78 DTC 6387 (C.F. Appel), à la p. 6395.
Dans les arrêts Stubart et Atinco, cette Cour a conclu que les opérations, ou les séries d'opéra- tions, ne pouvaient résister à un examen minu- tieux. En l'espèce, il en va autrement. Ce que l'on prétendait faire a effectivement été fait; ce qui a été fait pour aboutir au résultat souhaité, une réduction de l'impôt, constituait une opération ou des séries d'opérations valides et complètes, rien de moins. Les demandeurs ne peuvent échouer que si la définition de «trompe-l'oeil» adoptée dans l'arrêt Leon reste valide. Les arrêts ultérieurs de la Cour d'appel indiquent que cette Cour n'a pas considéré que le refus de l'autorisation de pourvoi par la Cour suprême du Canada équivalait à une appro bation de cette définition. Ces arrêts ultérieurs soulèvent un doute quant à la validité de cette définition.
La loi n'est pas claire. En matière d'impôt, bien que le contribuable doive assumer le fardeau de la preuve des faits, c'est le fisc qui assume le fardeau d'établir que la loi impose clairement l'impôt qu'il cherche à recouvrer. Les appels à l'encontre des cotisations sont accueillis avec dépens.
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