Maurice Goguen et Gilbert Albert (requérants)
c.
Frederick Edward Gibson (intimé)
Juge en chef Thurlow—Ottawa, 24 janvier, 24
février, 1, 2, 3, 4, 7, 8, 9, 10, 11, 12 mars et 28
avril 1983.
Preuve — Divulgation de renseignements — Opposition
relative aux relations internationales ou à la défense ou à la
sécurité nationales — Requérants accusés d'avoir commis un
vol par effraction à la suite d'une enquête du Service de
sécurité de la GRC — Bandes informatiques où étaient enre-
gistrées les listes des membres d'un parti politique enlevées de
certains lieux et copiées — Les requérants demandent la
production de documents — L'intimé s'oppose en vertu de
l'art. 36.1(1) de la Loi sur la preuve au Canada à la divulga-
tion des renseignements au motif qu'elle porterait atteinte à la
sécurité nationale et aux relations internationales — Les
requérants demandent une décision sur l'opposition en vertu de
l'art. 36.2(1) — Ils allèguent que la divulgation est essentielle
pour leur système de défense — En vertu de l'art. 36.1(2), la
Cour peut prendre connaissance des renseignements et ordon-
ner leur divulgation si les raisons d'intérêt public qui justifient
la divulgation l'emportent sur les raisons d'intérêt public
invoquées lors de l'attestation — Oppositions reconnues fon-
dées et demande rejetée — La loi reconnaît des cas où l'intérêt
public dans la divulgation de renseignements dans un litige
l'emporte sur l'intérêt public dans le maintien du secret sur des
renseignements en matière de défense nationale — L'art.
36.1(2) confère au tribunal le pouvoir discrétionnaire de déter-
miner s'il y a lieu de prendre connaissance des renseignements
— Si la balance ne penche en faveur d'aucun des intérêts en
conflit, il faut procéder à un examen des renseignements afin
de vérifier s'il y a prépondérance en faveur de la divulgation —
Il ne s'agit pas en l'espèce d'un cas où il y a lieu à divulgation,
aussi n'est-il pas nécessaire de prendre connaissance des ren-
seignements — La grande quantité de documents demandés et
leur portée sont préjudiciables au Service de sécurité —
Probabilité d'un préjudice même si les renseignements deman
dés datent de 10 ans — Les infractions reprochées ne sont pas
parmi les plus graves — La divulgation n'est pas essentielle
pour les requérants puisqu'il leur est possible de citer des
témoins — Le droit des requérants à une défense pleine et
entière en vertu de la common law et des lois fédérales est une
question que doit trancher le tribunal saisi de l'inculpation —
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art.
36.1, 36.2, 36.3, adoptés par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111,
art. 4 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.),
chap. 10, art. 41, abrogé par S.C. 1980-81-82-83, chap. Ill,
art. 3.
Les requérants ont été envoyés à leur procès devant la Cour
supérieure du Québec sur des accusations de vol par effraction.
Les requérants ont été impliqués, en leur qualité d'agents de la
GRC, dans l'opération «Hame, enquête menée par le Service de
sécurité de la GRC et qui a consisté en l'entrée illicite dans
certains locaux et l'enlèvement clandestin de bandes informati-
ques où étaient enregistrées les listes des membres d'un parti
politique; ces listes ont été copiées et remises en place. À la
demande des requérants, un subpoena duces tecum a été lancé,
nommant l'intimé, le solliciteur général adjoint du Canada, et
le greffier du Conseil privé. L'intimé s'est opposé à l'aide d'une
attestation, conformément au paragraphe 36.1(I) de la Loi sur
la preuve au Canada, à la production de certains documents au
motif que leur divulgation porterait préjudice à la sécurité
nationale du Canada et à ses relations internationales. Les
requérants ont ensuite demandé, sur le fondement du paragra-
phe 36.2(1) de la Loi, que l'on statue sur l'opposition conformé-
ment au paragraphe 36.1(2). Les requérants soutiennent que
les preuves auxquelles on s'oppose sont essentielles pour leur
système de défense; ils ont l'intention de prouver que l'opération
»Ham» ne constituait pas un crime, qu'elle faisait partie des
méthodes d'enquête approuvées par la GRC et qu'ils n'ont pas
agi frauduleusement en y participant. Ils prétendent aussi que
la divulgation des renseignements ne porte pas atteinte à la
sécurité nationale du Canada ni aux relations internationales et
que l'intérêt public à les divulguer prévaut en importance sur
l'intérêt public allégué dans l'attestation. Le paragraphe
36.1(1) de la Loi prévoit qu'un ministre de la Couronne ou
toute autre personne intéressée peut s'opposer à la divulgation
de renseignements pour des raisons d'intérêt public détermi-
nées. Le paragraphe 36.1(2) prévoit qu'une cour supérieure
peut prendre connaissance des renseignements et ordonner leur
divùlgation si elle conclut que les raisons d'intérêt public qui
justifient la divulgation l'emportent sur les raisons d'intérêt
public invoquées lors de l'attestation.
Jugement: les oppositions faites dans l'attestation devraient
être reconnues fondées et la demande rejetée. En l'espèce,
l'intérêt public dans la divulgation des renseignements ne l'a
pas emporté sur l'intérêt public dans leur non-divulgation. Le
paragraphe 36.1(2) de la Loi sur la preuve au Canada semble
reconnaître qu'il peut y avoir des cas où l'intérêt public dans la
sécurité nationale et dans les relations internationales doit céder
le pas aux raisons d'intérêt public qui justifient la divulgation
dans une instance aux fins de la bonne administration de la
justice. Lorsque la divulgation est requise dans une poursuite au
criminel, la gravité des charges retenues et la sévérité de la
peine constituent d'importants facteurs dont il faut tenir
compte quand il s'agit de choisir entre les intérêts publics en
jeu. L'immunité contre la divulgation, au nom de l'intérêt
public, de renseignements nécessaires à un inculpé a été recon-
nue en Angleterre. Même s'il n'y a, au Canada, aucun précé-
dent à cet effet, on peut dire que les tribunaux n'ont jamais
infirmé un refus opposé, au nom de la sécurité nationale et des
relations internationales, à la divulgation de certains renseigne-
ments. D'ailleurs, il est très improbable qu'une telle revendica-
tion de l'immunité, faite de manière régulière, eût pu être
rejetée aux termes de la législation antérieure (c'est-à-dire
l'article 41 de la Loi sur la Cour fédérale, abrogé par l'article 3
des S.C. 1980-81-82-83, chap. 1 l l ).
Le paragraphe 36.1(2) permet à la Cour de prendre connais-
sance des renseignements demandés et lui confère le pouvoir
discrétionnaire de procéder ou non à cet examen. Le paragra-
phe emploie le terme «peut», et le juge instruisant la demande
doit être convaincu, d'après la preuve dont il est saisi, que la
divulgation s'impose ou, à tout le moins, que la balance ne
penche ni dans un sens ni dans l'autre et qu'il faut prendre
connaissance des renseignements afin de vérifier s'il y a prépon-
dérance en faveur de la divulgation. Si la nécessité de la
divulgation n'est pas démontrée, la Cour n'est pas obligée de
prendre connaissance des renseignements.
Pour ce qui est de l'intérêt public dans le maintien de la
sécurité nationale, rien dans les pièces qui lui ont été soumises
ne permet à la Cour d'écarter la déclaration contenue dans
l'attestation de l'intimé, selon laquelle la divulgation serait
préjudiciable à la sécurité nationale et aux relations internatio-
nales. En fait, la divulgation des documents demandés, en
raison de leur grande quantité et de leur portée, révélerait au
monde entier l'ensemble de la structure du Service de sécurité.
Le secret est de rigueur en matière de sécurité nationale et de
relations internationales. Le processus de rassemblement et de
triage de l'information se fait dans l'intérêt de la sécurité
publique. Certains secrets se rapportant à de telles questions
peuvent devoir être gardés indéfiniment. Le danger de préjudice
ne diminue pas avec les ans.
Pour ce qui est de l'importance de l'intérêt public dans la
divulgation, les infractions visées par l'inculpation ne sont pas
parmi les plus graves et il ne faut pas, vu les circonstances de
l'opération .Ham', faire peser le risque d'une peine sévère trop
lourdement dans la balance. Il n'est pas possible, à ce stade, de
prendre en considération la pertinence des renseignements
demandés par rapport aux points qui seront vraisemblablement
soulevés au procès. Bien que les requérants affirment dans leurs
affidavits que les renseignements sont essentiels à leur système
de défense, la Cour est incapable de conclure que la divulgation
des renseignements est indispensable à leur système de défense,
compte tenu notamment des témoins qu'ils peuvent citer afin de
témoigner sur au moins certains points qu'ils ont mentionnés.
Étant donné que la preuve administrée est fortement prépon-
dérante en faveur de l'intérêt public dans la sécurité nationale
et dans les relations internationales, il n'est pas nécessaire de
prendre connaissance de l'un quelconque des renseignements en
question: le pouvoir donné à cette fin ne doit être exercé qu'en
cas de nécessité et il n'existe aucune raison de supposer que
l'examen des renseignements révélerait qu'ils doivent être divul-
gués. Finalement, les droits des requérants en vertu de la
common law, du Code criminel, de la Déclaration canadienne
des droits et de la Charte canadienne des droits et libertés, à
une défense pleine et entière ne sont pas en cause ici. Le
paragraphe 36.1(2) demande une décision au sujet de l'impor-
tance relative de deux intérêts publics en conflit. Le point de
savoir si une telle décision porte atteinte aux droits de la
défense est une question que doit trancher le tribunal saisi de
l'inculpation.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Reg. v. Lewes Justices, Ex parte Secretary of State for
Home Department, [1973] A.C. 388 (C.L.); R. v. Secre
tary of State for the Home Department, Ex parte
Hosenball, [1977] 3 All ER 452 (C.A.); Burmah Oil Co.
Ltd. v. Governor and Company of the Bank of England
and Another, [1980] A.C. 1090 (C.L.); Conway v.
Rimmer and Another, [1968] A.C. 910 (C.L.); Sankey v.
Whitlam (1978), 21 ALR 505 (H.C.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Smallwood c. Sparling, [1982] 2 R.C.S. 686; 44 N.R.
571.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Rex v. Hardy (1794), XXIV St. Tr. 199; Marks v.
Beyfus (1890), 25 Q.B.D. 494 (C.A.); D. v. National
Society for the Prevention of Cruelty to Children, [ 1978]
A.C. 171 (C.L.); Regina v. Snider, [1954] R.C.S. 479,
confirmant [1953] 2 D.L.R. 9 (C.A. C.-B.); Le solliciteur
général du Canada et autre c. La Commission royale
d'enquête sur la confidentialité des dossiers de santé en
Ontario et autre, [1981] 2 R.C.S. 494; Le procureur
général de la province de Québec et autre c. Le procureur
général du Canada et autre, [1979] I R.C.S. 218; Robin-
son v. State of South Australia [No. 21, [1931] A.C. 704
(C.P.); Air Canada and Others v. Secretary of State for
Trade and Another, [1983] 2 W.L.R. 494; [1983] 1 All
ER 910 (C.L.).
DÉCISIONS CITÉES:
Attorney -General v. Briant (1846), 15 M. & W. 168; Ex
parte Attorney -General; Re Cook and Others (1967), 86
W.N. (Pt. 2) (N.S.W.) 222 (C.A.); Duncan and Another
v. Cammell, Laird and Company, Limited, [1942] A.C.
624 (C.L.); Attorney -General v. Jonathan Cape Ltd. and
Others, [1976] 1 Q.B. 752.
AVOCATS:
Pierre Lamontagne, c.r. et Richard Mongeau
pour le requérant Maurice Goguen.
Harvey Yarosky et Morris Fish pour le
requérant Gilbert Albert.
Joseph R. Nuss, c.r., Lorne Morphy, c.r.,
Allan Lufty, Gary H. Waxman et John B.
Laskin pour l'intimé, le procureur général du
Canada et le solliciteur général du Canada.
PROCUREURS:
Lamontagne, Mongeau, Montréal, pour le
requérant Maurice Goguen.
Yarosky, Fish, Zigman, Isaacs & Daviault,
Montréal, pour le requérant Gilbert Albert.
Ahern, Nuss & Drymer, Montréal, pour l'in-
timé, le procureur général du Canada et le
solliciteur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: Les requérants,
Maurice Goguen et Gilbert Albert, ont été envoyés
à leur procès devant la Cour supérieure du Québec
à Montréal sur des accusations, aux termes du
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, de con-
certation avec des tiers pour commettre un vol par
effraction et de vol avec effraction. Le complot
aurait eu lieu entre le 8 août 1972 et le 8 janvier
1973 et l'effraction, le 8 janvier 1973.
Le 5 janvier 1983, la Cour supérieure, à la
demande des requérants, lançait une citation à
comparaître et à produire (subpoena), nommant
l'intimé, Frederick Edward Gibson, solliciteur
général adjoint du Canada et Gordon F. Osbaldes-
ton, greffier du Conseil privé du Canada, et leur
intimant de se présenter devant le tribunal et de
produire un nombre considérable de documents,
comportant quelque 8,200 pages, a-t-on dit. Dans
le cas de M. Gibson, ils sont énumérés dans une
liste de vingt-huit volumes et dossiers et, dans le
cas de M. Osbaldeston, dans une liste d'une tren-
taine d'autres, qui d'après la description de la liste,
comportent à la fois des volumes et de simples
documents. La citation a été signifiée le même
jour.
Le 12 janvier 1983, l'intimé produisait auprès de
la Cour supérieure une attestation désignant M.
Gibson comme étant le solliciteur général adjoint
du Canada et disant:
[TRADUCTION] 2. J'ai personnellement examiné et soigneuse-
ment étudié les documents et dossiers existants, à l'exclusion
des documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour
le Canada, qui sont énumérés dans la citation lancée par la
Cour le 5 janvier 1983 et qui sont antérieurs au mois de février
1973.
3. J'ai aussi personnellement examiné et soigneusement étudié
les documents énumérés à l'annexe «A» ci-jointe, soit une partie
des pièces énumérées dans la citation lancée par la Cour le 5
janvier 1983 à l'adresse du greffier du Conseil privé, M.
Gordon F. Osbaldeston.
4. Les documents et dossiers mentionnés dans la citation et
décrits au paragraphe 2 de la présente attestation et à l'annexe
«A» font partie des archives du Service de sécurité de la
Gendarmerie royale du Canada (ci-après appelé «le Service de
sécurité»).
5. Pour ce qui est des documents et dossiers que j'affirme au
paragraphe 2 de la présente attestation avoir examinés et
étudiés, j'atteste à la Cour, conformément à l'article 36.1(l) de
la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10,
modifiée par S.C. 1980-81-82, chap. 111, que la production ou
la communication des documents ou la divulgation de leur
contenu, sauf ce qui a été rendu public par des instances
judiciaires ou le rapport de la Commission d'enquête sur certai-
nes activités de la Gendarmerie royale du Canada constituée
par le décret C.P. 1977-1911 du 6 juillet 1977 en vertu de la
Partie I de la Loi sur les enquêtes, S.R.C. 1970, chap. I-13,
porteraient préjudice à la sécurité nationale du Canada et à ses
relations internationales; je m'oppose donc à la divulgation de
ces documents et dossiers et de leur contenu.
6. Quant aux documents que j'affirme, au paragraphe 3 de la
présente attestation, avoir examinés et étudiés, j'atteste à la
Cour, conformément à l'article 36.1(1) de la Loi sur la preuve
au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, modifiée par S.C. 1980-
81-82, chap. 11I, que leur production ou communication ou la
divulgation de leur contenu, sauf ce qui a été rendu public par
des instances judiciaires ou le rapport de la Commission d'en-
quête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du
Canada constituée par le décret C.P. 1977-1911 du 6 juillet
1977 en vertu de la Partie I de la Loi sur les enquêtes, S.R.C.
1970, chap. I-13, porteraient préjudice à la sécurité nationale
du Canada et à ses relations internationales; je m'oppose donc à
la divulgation de ces documents et de leur contenu.
7. J'atteste en outre à la Cour que la production ou la commu
nication des documents ou la divulgation des renseignements
auxquelles je me suis opposé aux paragraphes 5 et 6 de la
présente attestation porteraient préjudice à la détection, à la
prévention ou à la suppression d'activités subversives ou hostiles
dirigées contre le Canada ou portant atteinte à sa sûreté. Ainsi,
sans restreindre la portée générale de ce qui précède, la produc
tion ou la communication des documents ou la divulgation de
leur contenu révéleraient l'identité ou permettraient d'identi-
fier: a) les sources humaines et techniques d'information du
Service de sécurité; b) ses cibles; c) ses méthodes et stratégies
opérationnelles et administratives, dont notamment les métho-
des et les techniques spécifiques qu'il utilise dans ses opérations
et pour la collecte, l'évaluation et la transmission de renseigne-
ments; et d) les liaisons du Service de sécurité avec des agences
de renseignements et de sécurité étrangères et les informations
qu'elles fournissent.
8. Je crois savoir qu'une preuve testimoniale sera faite dans
cette instance. Si l'on devait chercher à faire connaître par une
preuve testimoniale le contenu des documents et dossiers à la
divulgation desquels je m'oppose dans la présente attestation, je
m'y opposerais aussi pour les motifs énoncés dans le cas des
pièces littérales en cause.
À cette attestation est jointe une annexe énumé-
rant dix-neuf des pièces de la liste de documents
que la citation adressée à M. Osbaldeston lui
intimait de produire.
Le lendemain, le 13 janvier 1983, les requérants
demandèrent, sur le fondement de l'article 36.2 de
la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970,
chap. E-10, adopté par S.C. 1980-81-82-83, chap.
111, art. 4, que l'on statue sur l'opposition confor-
mément au paragraghe 36.1(2) de cette Loi.
Les articles 36.1, 36.2 et 36.3 de la Loi sur la
preuve au Canada
Ces dispositions sont nouvelles. Elles sont à cer-
tains égards extraordinaires et modifient considé-
rablement le droit positif. Elles ont été adoptées au
titre de l'annexe III de la «Loi édictant la Loi sur
l'accès à l'information et la Loi sur la protection
des renseignements personnels, modifiant la Loi
sur la preuve au Canada et la Loi sur la Cour
fédérale et apportant des modifications corrélati-
ves à d'autres lois» et ont été proclamées en
vigueur en novembre 1982. Au même moment, est
entrée en vigueur une disposition de la même Loi,
abrogeant l'article 41 de la Loi sur la Cour fédé-
rale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, abrogé par
S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 3. Pour plus de
commodité, je le reproduis ici ainsi que les nouvel-
les dispositions pertinentes:
Loi sur la Cour fédérale
41. (I) Sous réserve des dispositions de toute autre loi et du
paragraphe (2), lorsqu'un ministre de la Couronne certifie par
affidavit à un tribunal qu'un document fait partie d'une catégo-
rie ou contient des renseignements dont on devrait, à cause d'un
intérêt public spécifié dans l'affidavit, ne pas exiger la produc
tion et la communication, ce tribunal peut examiner le docu
ment et ordonner de le produire ou d'en communiquer la teneur
aux parties, sous réserve des restrictions ou conditions qu'il juge
appropriées, s'il conclut, dans les circonstances de l'espèce, que
l'intérêt public dans la bonne administration de la justice
l'emporte sur l'intérêt public spécifié dans l'affidavit.
(2) Lorsqu'un ministre de la Couronne certifie par affidavit à
un tribunal que la production ou communication d'un docu
ment serait préjudiciable aux relations internationales, à la
défense ou à la sécurité nationale ou aux relations fédérales-
provinciales, ou dévoilerait une communication confidentielle
du Conseil privé de la Reine pour le Canada, le tribunal doit,
sans examiner le document, refuser sa production et sa
communication.
Loi sur la preuve au Canada
36.1 (1) Un ministre de la Couronne du chef du Canada ou
toute autre personne intéressée peut s'opposer à la divulgation
de renseignements devant un tribunal, un organisme ou une
personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de
renseignements, en attestant verbalement ou par écrit devant
eux que ces renseignements ne devraient pas être divulgués
pour des raisons d'intérêt public déterminées.
(2) Sous réserve des articles 36.2 et 36.3, dans les cas où
l'opposition visée au paragraphe (1) est portée devant une cour
supérieure, celle-ci peut prendre connaissance des renseigne-
ments et ordonner leur divulgation, sous réserve des restrictions
ou conditions qu'elle estime indiquées, si elle conclut qu'en
l'espèce, les raisons d'intérêt public qui justifient la divulgation
l'emportent sur les raisons d'intérêt public invoquées lors de
l'attestation.
Le paragraphe (3) prévoit que la question de
l'opposition sera décidée par la Division de pre-
mière instance de la Cour fédérale ou par la cour
supérieure de la province, selon les modalités pré-
vues audit paragraphe, mais sous réserve des arti
cles 36.2 et 36.3. L'article comporte des disposi
tions concernant l'appel de ces décisions.
36.2 (1) Dans les cas où l'opposition visée au paragraphe
36.1(1) se fonde sur le motif que la divulgation porterait
préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la
sécurité nationales, la question peut être décidée conformément
au paragraphe 36.1(2), sur demande, mais uniquement par le
juge en chef de la Cour fédérale ou tout autre juge de cette
cour qu'il charge de l'audition de ce genre de demande.
(2) Le délai dans lequel la demande visée au paragraphe (I)
peut être faite est de dix jours suivant l'opposition, mais le juge
en chef de la Cour fédérale ou le juge de cette cour qu'il charge
de l'audition de ce genre de demande peut modifier ce délai s'il
l'estime indiqué.
(3) II y a appel de la décision visée au paragraphe (1) devant
la Cour d'appel fédérale.
(4) Le paragraphe 36.1(6) s'applique aux appels prévus au
paragraphe (3) et le paragraphe 36.1(7) s'applique aux appels
des jugements rendus en vertu du paragraphe (3), compte tenu
des adaptations de circonstance.
(5) Les demandes visées au paragraphe (I) font, en premier
ressort ou en appel, l'objet d'une audition à huis clos; celle-ci a
lieu dans la région de la Capitale nationale définie à l'annexe de
la Loi sur la Capitale nationale si la personne qui s'oppose à la
divulgation le demande.
(6) La personne qui a porté l'opposition qui fait l'objet d'une
demande ou d'un appel a, au cours des auditions, en première
instance ou en appel et sur demande, le droit de présenter des
arguments en l'absence d'une autre partie.
36.3 (1) Le tribunal, l'organisme ou la personne qui ont le
pouvoir de contraindre à la production de renseignements sont,
dans les cas où un ministre de la Couronne ou le greffier du
Conseil privé s'opposent à la divulgation d'un renseignement,
tenus d'en refuser la divulgation, sans l'examiner ni tenir
d'audition à son sujet, si le ministre ou le greffier attestent par
écrit que le renseignement constitue un renseignement confi-
dentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada.
Autant que je sache, la présente demande est la
première à être faite en vertu de ces dispositions et
c'est incontestablement la première qui soit fondée
sur l'article 36.2.
L'article 36.2 a ceci d'extraordinaire qu'il dis
pose que seul «le juge en chef de la Cour fédérale
ou tout autre juge de [la Cour fédérale] qu'il
charge de l'audition de ce genre de demande», peut
statuer sur la demande et qu'il prévoit aussi, par
renvoi au paragraphe 36.1(2), l'examen par le juge
en chef ou par le juge désigné, d'informations dont
on s'oppose à la divulgation en raison du tort
qu'elle pourrait faire aux relations internationales,
à la défense ou à la sécurité nationales. Le para-
graphe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale qui a
été abrogé ne permettait pas ce recours.
La Loi apporte également ceci de nouveau que
l'opposition n'est plus nécessairement présentée
par un affidavit d'un ministre de la Couronne,
mais peut être faite par une attestation orale ou
écrite d'un ministre de la Couronne du chef du
Canada ou de tout autre intéressé. Je note en
passant qu'il n'est pas contesté que M. Gibson est
autorisé à faire les oppositions en cause.
Notons également que les termes -
... certifie ... qu'un document fait partie d'une catégorie ou
contient des renseignements dont on devrait ... ne pas exiger la
production et la communication ...
de l'ancien paragraphe 41(1) de la Loi sur la Cour
fédérale, ont été supprimés et remplacés par
... attestant ... que ces renseignements ne devraient pas être
divulgués ....
L'ancienne mention au paragraphe 41(1) de
... l'intérêt public dans la bonne administration de la justice
a aussi été remplacée par les
... les raisons d'intérêt public qui justifient la divulgation ....
On remarquera aussi que l'article 41 ne s'appli-
quait qu'à des écrits. Les nouvelles dispositions
parlent de «renseignements», terme suffisamment
large pour couvrir l'information écrite et non
écrite.
Il me semble qu'à l'article 36.2 le législateur
manifeste sa volonté de ne plus considérer le secret
invoqué en raison du préjudice que la divulgation
porterait aux relations internationales, à la défense
ou à la sécurité nationales, comme absolu, mais
relatif, et assujetti au contrôle judiciaire. En outre,
l'opposant n'est plus nécessairement un ministre de
la Couronne mais, que ce soit ou non le ministre,
l'attestation en elle-même n'empêchera pas auto-
matiquement la divulgation. Ce sera au tribunal
d'en juger. En cela, l'auteur de l'opposition, son
intérêt au maintien du secret et sa connaissance de
la nécessité du secret ont leur importance. D'autre
part, la confidentialité de l'information et, espé-
rons-le, la cohérence de la démarche et les normes
applicables à ces décisions se trouvent, dans une
certaine mesure, protégées par la désignation d'un
juge unique, au moins en première instance, pour
connaître de la demande et statuer sur les
oppositions.
Mais il est important de noter, je pense, que si le
pouvoir de statuer sur la question n'est plus dévolu
à un ministre de la Couronne mais au tribunal,
l'intérêt public qu'il y a à interdire la divulgation
d'informations préjudiciables à la défense ou à la
sécurité nationales ou aux relations internationales
demeure. Son importance est toujours aussi
grande. On pense à la maxime: Salus populi est
suprema lex. Ce que la loi semble reconnaître
néanmoins, c'est qu'il peut y avoir des cas où, dans
des circonstances données, cet intérêt public doit
céder devant des raisons d'intérêt public qui justi-
fient la divulgation, c'est-à-dire dans une instance
civile ou criminelle, aux fins de la bonne adminis
tration de la justice; l'importance de cet intérêt
dépend des circonstances. Dans une affaire dont
l'enjeu est mineur, il l'emporterait difficilement
sur l'intérêt général en matière de sécurité natio-
nale ou de relations internationales. Dans une
poursuite au criminel relative à une infraction
grave, voire capitale, son importance pourrait
devenir considérable s'il était démontré que l'infor-
mation était essentielle à la défense ou à la
poursuite.
Ainsi, dans Rex v. Hardy', lord Eyre, juge en
chef, parlant du secret protégeant les sources de
renseignements de la police, fait observer:
[TRADUCTION] ... il existe une règle qui est universellement
reconnue, vu son importance pour le public en ce qui concerne
la détection des crimes; cette règle dit qu'on ne doit pas révéler
sans nécessité l'identité des personnes qui ont permis cette
détection: si l'on peut démontrer qu'il est réellement nécessaire
à la recherche de la vérité de révéler l'identité de ces personnes,
je ne m'y opposerai pas ....
Dans Marks v. Beyfus 2 , lord Esher, Maître des
rôles, dit, après avoir cité la règle interdisant de
divulguer les noms des informateurs:
[TRADUCTION] Or, cette règle sur les poursuites criminelles
intentées par le ministère public repose sur des motifs qui
relèvent de l'intérêt public et s'il s'agit en l'espèce de ce genre
de poursuites, elle s'applique; j'estime qu'il s'agit d'une pour-
suite criminelle intentée par le ministère public et que la règle
s'applique. Je ne dis pas que cette règle ne peut jamais souffrir
d'exception; si, au procès d'un prisonnier, le juge est d'avis qu'il
est nécessaire ou juste de divulguer le nom de l'informateur
pour démontrer l'innocence du prisonnier, il y a alors conflit
entre deux intérêts publics et c'est celui selon lequel il ne faut
pas condamner un innocent lorsqu'il est possible de prouver son
innocence qui doit prévaloir. Mais à cette unique exception
près, cette règle d'intérêt public échappe à tout pouvoir discré-
' (1794), XXIV St. Tr. 199, la p. 808.
2 (1890), 25 Q.B.D. 494 (C.A.), aux pp. 498 et 500.
tionnaire; il s'agit d'un principe de droit et il doit à ce titre être
appliqué par le juge au procès qui ne doit pas considérer qu'il a
le pouvoir discrétionnaire de dire au témoin s'il doit répondre
ou non.
Dans la même affaire, le lord juge Bowen a dit:
[TRADUCTION] La seule exception à cette règle serait le cas
d'un procès criminel, où le juge s'apercevrait que l'application
stricte de la règle pourrait vraisemblablement entraîner un déni
de justice; il pourrait l'assouplir en faveur de l'innocence; s'il ne
le faisait pas, des personnes innocentes risqueraient d'être
déclarées coupables.
Dans D. v. National Society for the Prevention
of Cruelty to Children 3 , lord Simon of Glaisdale
dit au sujet du secret protégeant les sources d'in-
formation policières:
[TRADUCTION] Ici, toutefois, le droit apporte un tempéra-
ment à la règle. L'intérêt public qu'il y a à ne pas condamner
un innocent est si fort qu'il prévaut sur l'intérêt général qu'il y
a à protéger le secret des sources d'information policières de
sorte que, par exception, ces preuves doivent être admises
lorsque c'est nécessaire pour établir l'innocence dans un procès
au criminel: voir les citations de Reg. v. Lewes Justices, Ex
parte Secretary of State for the Home Department [1973]
A.C. 388, 408A. Il semble que l'on soit parvenu à établir un
équilibre en matière d'intérêt public entre la règle générale et
son exception, de sorte que les intérêts généraux de la société
sont bien servis en reconnaissant la même force à l'intérêt
pub' .• dans la bonne administration de la justice, qui n'est pas
de caractère exclusif.
Dans Regina v. Snider 4 , la Cour d'appel de la
Colombie-Britannique et la Cour suprême du
Canadas ont jugé que dans une poursuite au crimi-
nel l'intérêt public dans la bonne administration de
la justice prévalait sur l'intérêt public invoqué par
le ministre du Revenu national, concernant le
secret des déclarations d'impôt sur le revenu.
Le juge en chef de la Colombie-Britannique, le
juge Sloan, fait observer dans ses motifs:
[TRADUCTION] Il me semble que dans un cas de ce genre, les
décisions Marks v. Beyfus (1890), 25 Q.B.D. 494, la p. 498,
et Humphrey v. Archibald (1893) 20 O.A.R. 267, la p. 270,
peuvent être utiles. Selon moi, cette jurisprudence établit le
principe que lorsqu'il y a conflit d'intérêts publics, celui qui est
primordial doit prévaloir. Cela étant, je suis d'avis que la bonne
administration de la justice prime la perception d'un revenu
pour la Couronne.
À mon avis, le même raisonnement s'appliquerait si un
accusé demandait la production de déclarations d'impôt afin
d'établir son innocence. Il n'y aurait pas alors conflit entre
organes du gouvernement, mais j'estime qu'on ne saurait passer
3 [1978] A.C. 171 (C.L.), à la p. 232.
4 [1953] 2 D.L.R. 9 (C.A. C.-B.), aux pp. 13, 14, 16 et 43.
5 [1954] R.C.S. 479,à la p. 487.
sous silence d'autres principes fondamentaux qui s'opposent à
ceux que le Ministre invoque. A mon avis, il est d'intérêt public
que la vie et la liberté d'un innocent ne soient pas injustement
mises en péril. Cet intérêt prime et doit aussi prévaloir. À cette
fin, je suis d'avis que le premier juge d'une instance criminelle
devrait pouvoir se prononcer sur l'opposition du Ministre dans
la même mesure et le même but, lorsque les déclarations
d'impôt sont demandées par l'accusé pour établir son inno
cence, que lorsque le procureur général en demande la produc
tion pour aider à la poursuite de l'inculpé: Marks v. Beyfus,
précité et Humphrey v. Archibald, précité.
Mon opinion repose sur le principe que lorsque divers intérêts
publics entrent en conflit, celui qui est primordial—en l'espèce,
l'administration de la justice criminelle—doit prévaloir. Ce sont
les tribunaux et non le ministre du Revenu national qui sont les
gardiens de cette justice.
Le juge Robertson de la Cour d'appel, après
avoir examiné la jurisprudence antérieure, a dit:
[TRADUCTION] À mon avis, cette jurisprudence aboutit à la
règle suivante: lorsque deux principes d'ordre public entrent en
conflit, celui qui est primordial doit prévaloir. Le principe
d'ordre public sur lequel s'appuie le ministre du Revenu natio
nal ne concerne que la perception de contributions; l'autre
principe, selon lequel on ne doit pas condamner un innocent,
touche fondamentalement à la liberté du sujet; à mon avis, il ne
fait aucun doute qu'il est primordial.
En Cour suprême du Canada, le juge Kellock a
résumé la règle comme suit:
[TRADUCTION] En conséquence, il est d'intérêt public de sauve-
garder le secret de documents pouvant nuire à l'intérêt général
si, par exemple, leur divulgation peut porter préjudice à la
défense nationale ou aux bonnes relations diplomatiques, ou si
leur classification est nécessaire au bon fonctionnement d'un
service public; mais, par ailleurs, l'intérêt public dicte aussi
qu'«il ne faut pas condamner un innocent lorsqu'il est possible
de prouver son innocence»; lord Esher, Maître des rôles, dans
l'arrêt Marks v. Beyfus ((1890) 25 Q.B.D. 494, la p. 498).
On ne saurait dire toutefois que l'un ou l'autre intérêt prédo-
mine invariablement.
Il ressort clairement de cette jurisprudence que
la fin d'intérêt public résidant dans la bonne admi
nistration de la justice criminelle est très impor-
tante; elle l'est d'autant plus lorsque la divulgation
est requise afin d'établir l'innocence d'une per-
sonne accusée d'un crime. Même alors, toutefois,
son importance sera, à mon avis, fonction de la
gravité des charges retenues et de la sévérité de la
peine pouvant être prononcée en cas de condamna-
tion. Dans Rex v. Hardy précité, il s'agissait de
haute trahison, crime sanctionné à l'époque par la
pendaison en public et l'écartèlement. On donne-
rait forcément moins de poids à l'intérêt public
dans la bonne administration de la justice si les
renseignements demandés étaient nécessaires au-
jourd'hui pour se défendre d'une infraction à la
circulation, quoique là aussi le principe soit appli
cable: l'intérêt public dans la bonne administration
de la justice ne doit jamais être minimisé ni consi-
déré comme secondaire.
Si important que soit cet intérêt public toutefois,
je crois que la nature des questions de relations
internationales, de défense et de sécurité nationales
est telle que les cas où le maintien du secret de
certaines informations pouvant leur porter préju-
dice sera considéré moins important que la bonne
administration de la justice, même en matière
criminelle, seront rares.
Dans l'arrêt Reg. v. Lewes Justices, Ex parte
Secretary of State for Home Department 6 , lord
Salmon dit de cet intérêt public:
[TRADUCTION] De toute évidence, une preuve fournie par un
ministre d'État doit être traitée avec le plus grand respect. Si le
secret est demandé parce que la divulgation du contenu d'un
document peut mettre en péril la sûreté de l'État ou les
relations diplomatiques, les tribunaux doivent normalement
faire droit à la demande. Ce sont des questions relevant de
l'exécutif dont les tribunaux n'ont que peu ou pas d'expérience.
Ce qui paraît anodin au non-initié pourrait en réalité être un
important secret de défense ou causer des difficultés
diplomatiques.
Dans R. v. Secretary of State for the Home
Department, Ex parte Hosenball 7 , lord Denning,
Maître des rôles, décrit l'importance de cet intérêt
public comme suit:
[TRADUCTION] L'intérêt public dans la sûreté du Royaume est
si grand que les sources de renseignements ne doivent pas être
révélées, ni leur nature, s'il en résulte le moindre risque de faire
découvrir ces sources. La raison en est que, dans ce domaine où
la dissimulation est reine, nos ennemis pourraient tenter d'éli-
miner la source de ces informations. C'est pourquoi elles ne
doivent pas être divulguées. Pas même à la Chambre des
Communes, ni à un tribunal, ni à une juridiction d'enquête ni à
quelque autre commission, établie par la loi ou non, si ce n'est
dans la mesure où le Secrétaire de l'Intérieur estime que cela ne
présente aucun risque. Si grand que soit l'intérêt public à
sauvegarder la liberté de l'individu et à lui rendre justice, en
dernier ressort, il doit céder le pas à la sécurité du pays
lui-même.
Dans D. v. National Society for the Prevention
of Cruelty to Children, lord Simon of Glaisdale dit
[à la page 233]:
6 [1973] A.C. 388 (C.L.), à la p. 412.
7 [1977] 3 All ER 452 (C.A.), à la p. 460.
[TRADUCTION] Donc, pour s'éloigner encore un peu plus de
l'intérêt public dans la bonne administration de la justice, la loi
reconnaît d'autres intérêts publics pertinents, qui peuvent ne
pas toujours être complémentaires, par exemple, la sécurité
nationale. Si une société est désorganisée ou détruite par ses
ennemis internes ou externes, l'administration de la justice est
elle-même au nombre des victimes. Silent enim leges inter
arma. C'est pourquoi la loi dit: si important soit-il pour l'admi-
nistration de la justice que toutes les preuves pertinentes soient
administrées devant le tribunal, ces preuves ne doivent pas être
produites si, compte tenu des intérêts publics en jeu, le péril que
causerait leur divulgation pour la sécurité nationale surpasse le
profit qu'en tirerait le processus judiciaire—et les tribunaux
considéreront presque toujours une attestation ministérielle
comme concluante en matière de sécurité nationale au sens
étroit: voir lord Parker of Waddington dans l'arrêt The Zamora
[ 1916] 2 A.C. 77, la p. 107.
Enfin, dans l'arrêt Le solliciteur général du
Canada et autre c. La Commission royale d'en-
quête sur la confidentialité des dossiers de santé
en Ontario et autre', le juge Martland écrit:
Le fondement de l'existence de ce principe de droit, qui a
évolué dans le domaine des enquêtes criminelles, est encore plus
ferme lorsqu'il s'agit du travail policier dans la protection de la
sécurité nationale. Dans bon nombre de cas où, en l'espèce, on a
tenté d'obtenir de la police les noms de ses informateurs, il était
question d'une enquête policière sur la possibilité de violence
contre des fonctionnaires de l'État, y compris des chefs d'État.
On reconnaît que ces enquêtes sont du ressort de la police. Le
principe de droit qui protège contre la divulgation de l'identité
des personnes qui fournissent des renseignements dans le cadre
d'une enquête policière sur le crime se justifie d'autant plus
lorsqu'il s'agit de la protection de la sécurité nationale contre la
violence et le terrorisme.
En l'espèce, les avocats des requérants ont fait
valoir à plusieurs reprises que, jusqu'à aujourd'hui,
aucun tribunal canadien n'a confirmé un refus
opposé, au nom de l'intérêt public, à la divulgation
de certains renseignements nécessaires à l'inculpé
d'une infraction criminelle et que la Cour ne
devrait pas créer un tel précédent. L'immunité
contre la divulgation a cependant été reconnue en
Angleterre dans l'arrêt Attorney -General v.
Briant 9 et en Nouvelle-Galles du Sud dans l'arrêt
Ex parte Attorney -General; Re Cook and
Others 10 . À supposer cependant qu'il n'y ait aucun
précédent canadien de ce genre, il est, je pense,
tout aussi vrai que les tribunaux n'ont jamais
encore infirmé un refus opposé, au nom de la
sécurité nationale ou des relations internationales,
8 [1981] 2 R.C.S. 494, à la p. 537.
9 (1846), 15 M. & W. 168.
10 (1967), 86 W.N. (Pt. 2) (N.S.W.) 222 (C.A.).
à la divulgation de certains renseignements. D'ail-
leurs, il est très improbable qu'une telle revendica-
tion de l'immunité, faite de manière régulière, eût
pu être rejetée aux termes de la législation anté-
rieure. Dans l'arrêt Le procureur général de la
province de Québec et autre c. Le procureur géné-
ral du Canada et autre", le juge Pigeon décrit la
situation comme suit [aux pages 248 et 249]:
Ni la constitutionnalité de l'art. 41 ni son applicabilité ne
sont contestées et j'estime inutile de passer en revue les arrêts
célèbres de la Chambre des lords, dans les affaires Duncan v.
Carmel! Laird & Co. Ltd. ([1942] A.C. 624) et Conway v.
Rimmer ([1968] A.C. 910), qui donnent des points de vue
différents quant à la nature du privilège en question en common
law. Le Parlement a par la suite édicté des dispositions expres
ses qui définissent le droit applicable au Canada et il est évident
que l'affidavit a été soumis au commissaire en conformité du
par. (2) de l'art. 41. On a longuement débattu à l'audience la
question de savoir si ce genre d'affidavit est vraiment concluant
ou s'il peut être contesté de quelque manière. Je n'estime pas
nécessaire de trancher ce point car si ce genre d'affidavit peut
être contesté, ce ne peut être que devant un tribunal compétent;
le commissaire n'est pas un tribunal compétent et ne possède
pas les pouvoirs d'un tel tribunal.
Mais, bien que le paragraphe 36.1(2) autorise
maintenant la Cour à prendre connaissance des
renseignements demandés, il indique aussi, à mon
avis, l'intention de conférer à la Cour le pouvoir
discrétionnaire de procéder ou non à cet examen.
Une jurisprudence constante et abondante
fondée sur la common law et relative à ce qu'on a
appelé [TRADUCTION] «le privilège de la Cou-
ronne» appelé maintenant [TRADUCTION] «l'im-
munité d'intérêt public», a décidé que la cour peut
prendre connaissance des documents dont on
refuse la communication afin de décider si la
demande doit être rejetée. Il a aussi été jugé que
c'est à la cour qu'il appartient de décider s'il a été
suffisamment établi qu'elle doit prendre connais-
sance des documents à cette fin. Ces arrêts, dont
notamment Robinson v. State of South Australia
[No. 4' 2 , Conway v. Rimmer and Another' 3 ,
Burmah Oil Co. Ltd. v. Governor and Company of
the Bank of England and Another 14 , et Air
Canada and Others v. Secretary of State for
" [1979] 1 R.C.S. 218.
12 [1931] A.C. 704 (C.P.).
13 [1968] A.C. 910 (C.L.).
14 [1980] A.C. 1090 (C.L.).
Trade and Another 15 , concernent des litiges de
droit civil où la question se posait au stade de
l'interrogatoire préalable. Dans certains cas,
notamment dans les arrêts Robinson et Air
Canada, la décision se fondait, au moins en partie,
sur les règles de la cour en matière de communica
tion de pièces. Voici la règle 13 du règlement
anglais, l'ordonnance 24:
[TRADUCTION] 13.—(1) Aucune ordonnance de production
de documents pour examen ou dépôt à la Cour ne sera rendue
sur le fondement des règles précédentes, à moins que la Cour ne
soit d'avis que l'ordonnance est nécessaire pour statuer équita-
blement sur le litige ou l'affaire, ou pour en réduire les frais.
(2) Lorsque, dans le cas d'une requête en production d'un
document pour examen ou pour dépôt sur le fondement de la
présente ordonnance, l'immunité de production est invoquée ou
qu'il est fait opposition à cette production pour tout autre
motif, la Cour est autorisée à examiner le document pour
décider si l'immunité ou l'opposition est valide.
Des règles similaires sont en vigueur dans plu-
sieurs juridictions. La Règle 457 des Règles de la
Cour fédérale équivaut grosso modo au deuxième
paragraphe de la règle anglaise.
Dans l'arrêt Robinson v. State of South Austra-
lia [No. 2], le Conseil privé, après avoir décidé que
la Cour avait le pouvoir d'ordonner la communica
tion malgré l'immunité réclamée, et de prendre
connaissance des pièces pour décider si elle devait
rendre l'ordonnance, ajouta que la règle de la
Cour, semblable à la règle anglaise, était assez
large pour inclure l'immunité revendiquée au nom
de l'intérêt public et ainsi régir la procédure à
suivre lorsqu'elle était invoquée. Cette façon de
voir fut rejetée par la Chambre des lords dans
l'arrêt Duncan and Another v. Cammell, Laird
and Company, Limited' 6 . Mais dans Air Canada
and Others v. Secretary of State for Trade and
Another, quatre des cinq lords qui entendirent
l'appel parlèrent de la règle et de la pratique qui
en résulte comme du fondement de leur décision de
ne pas prendre connaissance des documents alors
en cause. Si je mentionne cela, c'est qu'il n'y a pas
ici de règle de ce genre à appliquer et que, pour
cette raison, le raisonnement suivi dans l'arrêt Air
Canada peut en partie ne pas être applicable.
Toutefois, mise à part cette question des règles
de la cour, le but du paragraphe 36.1(2) me paraît
être l'attribution à la Cour du pouvoir de prendre
15 [1983] 2 W.L.R. 494; [1983] 1 All ER 910 (C.L.).
16 [1942] A.C. 624 (C.L.), à la p. 641.
connaissance des renseignements demandés. Le
paragraphe emploie le terme «peut», qui n'a pas un
sens impératif mais facultatif; aussi, la nature de
la demande me paraît être telle qu'avant d'exercer
le pouvoir de prendre connaissance des renseigne-
ments, le juge instruisant la demande doit être
convaincu, d'après la preuve dont il est saisi, que la
divulgation s'impose, c'est-à-dire que l'intérêt
public dans la divulgation dans le cas d'espèce est
plus important que l'intérêt public à préserver le
caractère confidentiel de ces renseignements ou, à
tout le moins, que la balance ne penche ni dans un
sens ni dans l'autre et qu'il faut donc prendre
connaissance des renseignements afin de décider
quel intérêt public doit l'emporter. Cette interpré-
tation paraît en harmonie avec la démarche de la
Chambre des lords dans l'arrêt Air Canada ainsi
qu'avec l'évolution antérieure du droit relatif à
l'examen des documents par la Cour dans de tels
cas; elle est, je pense, autorisée par le libellé du
paragraphe 36.1(2) et devrait donc être adoptée.
L'objet de cet examen judiciaire, quand il a lieu,
est de vérifier s'il y a prépondérance en faveur de
la divulgation. C'est à mon avis l'intention qu'ex-
prime le paragraphe. En revanche, si la nécessité
de la divulgation n'a pas été démontrée et si la
balance penche nettement d'un côté, il faut, bien
entendu, faire droit à l'opposition et, dans ce cas,
je ne pense pas que le paragraphe exige que la
Cour prenne connaissance des renseignements
pour voir si cet examen fera pencher la balance
dans l'autre sens. Interpréter le paragraphe autre-
ment obligerait, me semble-t-il, la Cour à prendre
connaissance des renseignements à chaque fois. Ce
n'est probablement pas là l'intention du législa-
teur, surtout dans les cas où l'opposition est fondée
sur des questions aussi délicates que la sécurité et
la défense nationales et les relations internationa-
les.
Lord Wilberforce discute de la façon d'aborder
la question de l'examen dans l'arrêt Burmah Oil, à
la page 1116:
[TRADUCTION] Ceci m'amène à la question de l'examen. On
dit maintenant: «Regardons les documents et nous verrons—il
n'y a aucun mal à cela. S'ils ne contiennent rien, aucun
dommage n'aura été causé; s'il y a effectivement quelque chose,
nous serons en mesure d'en évaluer l'importance.» Ainsi pré-
senté (et pour être juste envers les éminents avocats de la
Burmah, l'argument n'est guère développé dans leur plaidoirie),
cela peut paraître tentant. Mais, tout en respectant l'opinion
contraire, je suis fermement d'avis que nous ne devons pas
céder à ce chant des sirènes. Le poids de la jurisprudence est à
l'opposé et rien ne justifierait de modifier la loi. D'ailleurs, ce
ne serait pas un progrès, à mon avis.
Après avoir cité diverses opinions jurispruden-
tielles, lord Wilberforce poursuit [à la page 1117]:
[TRADUCTION] En principe, je ne saurais considérer comme
souhaitable que les tribunaux se chargent de cet examen, si ce
n'est dans les rares instances où il est presque assuré qu'il sera
concluant, mais certainement pas sur la foi d'une simple affir
mation de la partie réclamant la communication qu'on pourrait
y trouver quelque chose en sa faveur, ou en vertu de quelque
intuition non corroborée—c'est-à-dire de simples conjectures. Il
faut d'abord départager assez clairement les responsabilités
ministérielles d'une part et judiciaires d'autre part. Chacun a sa
propre contribution à apporter à la solution de la « question de
l'intérêt public—le contrôle judiciaire n'est pas un «bien en soi»;
ce n'est qu'un aspect—valable certes—du gouvernement démo-
cratique où coexistent plusieurs responsabilités. La jurispru
dence actuelle, depuis l'arrêt Conway v. Rimmer, a soigneuse-
ment procédé à ce partage. C'est au ministre qu'il appartient de
définir l'intérêt public et les raisons qui, d'après lui, font qu'une
divulgation des pièces y portera atteinte. De même, le tribunal
responsable de l'administration de la justice, avant de décider
que le ministre doit céder, devrait avoir quelque chose de
matériel, d'identifiable, à poser sur un plateau de la balance.
Passer outre à l'avis du ministre en ayant recours à des
expressions «vagues» ou à des affirmations gratuites, c'est faire
précisément ce que les tribunaux ne tolèrent pas des ministres.
En outre, les décisions relatives au secret pour motif d'intérêt
public sont rendues par les juges de première instance ou les
juges seuls en cabinet. Ils doivent pouvoir rendre ces décisions
en fonction des règles simples qui sont fournies par le droit
positif actuel. S'ils encourageaient une procédure générale
d'examen, les tribunaux s'engageraient sur une voie dange-
reuse: ils n'ont en général ni le temps ni l'expérience requise
pour procéder dans chaque cas à un examen soigneux des
documents afin de les évaluer. Il se peut, et il est même
probable, que le résultat varie d'un tribunal à l'autre, d'une
affaire à l'autre. Le cas d'espèce fournit un exemple de conclu
sions contradictoires fondées sur les mêmes pièces: voir [1979]
1 W.L.R. 473. Cette incertitude inévitable ne rehausse pas
l'image de la justice et ne peut qu'encourager les appels.
Quelques années plus tôt, lord Reid a dit dans
l'arrêt Conway v. Rimmer and Another, à la page
953:
[TRADUCTION] Il me semble que si les motifs du Ministre
sont tels qu'un juge puisse légitimement les évaluer, il lui faut,
par ailleurs, prendre en considération l'importance éventuelle,
dans l'espèce dont il a à connaître, des documents ou autres
preuves dont on cherche à refuser la communication. S'il décide
que, tout bien pesé, les documents devraient probablement être
produits, je crois qu'il vaudrait mieux en général qu'il en prenne
d'abord connaissance avant d'ordonner leur production; et s'il
pense que les raisons du Ministre ne sont pas exprimées claire-
ment, il devrait les examiner avant d'en ordonner la production.
Je ne vois rien de mal à ce que le juge prenne connaissance des
documents sans qu'ils soient communiqués aux parties. Lord
Simon a dit (dans l'arrêt Duncan ([1942] A.C. 624, la p.
640»: «lorsque la Couronne est partie à l'instance ... cela
équivaudrait à communiquer avec l'une des parties à l'exclusion
de l'autre.. Ce n'est pas mon avis. Les parties ont les raisons du
Ministre devant les yeux. Lorsqu'un document n'a pas été
rédigé pour le profit du juge, il me semble que c'est un abus de
langage de dire que le juge «communique avec. le détenteur du
document parce qu'il en prend connaissance. Si, à la lecture du
document, il estime toujours qu'il doit être produit, il ordonnera
cette production.
Les avocats ont débattu dans leurs plaidoiries de
la charge de la preuve. À mon avis, il découle de ce
qui précède ainsi que du libellé du paragraphe
36.1(2) que, dans le cas d'espèce, il appartient aux
requérants de démontrer que l'intérêt public dans
la divulgation prévaut sur la sécurité nationale et
les relations internationales, intérêts publics fort
importants invoqués dans l'attestation de l'intimée.
Les avocats des requérants ont appelé l'attention
de la Cour sur l'arrêt récent de la Cour suprême
du Canada Smallwood c. Sparling" concernant
une revendication d'immunité au titre du secret du
Cabinet par un ancien premier ministre de Terre-
Neuve qui était cité à témoigner à une enquête
publique; le juge Wilson a dit [à la page 707]:
Me fondant sur l'arrêt Cape précité, je conclus qu'il incombe
à M. Smallwood d'établir que l'intérêt public dans la responsa-
bilité collective du Cabinet serait mis en danger par une
divulgation particulière qu'on lui demande de faire. De même,
j'estime qu'il y a lieu de rejeter toute demande générale d'im-
munité sur ce fondement.
Je n'interprète pas ce passage comme traitant de
la charge de la preuve dans un cas exigeant une
décision aux termes du paragraphe 36.1(2) de la
Loi sur la preuve au Canada. Dans l'arrêt Small-
wood, il n'y avait pas de loi applicable et l'immu-
nité était revendiquée non pas par un ministre de
la Couronne mais par un ancien ministre qui récla-
mait une injonction pour interdire aux intimés
d'agir sur le fondement de la citation qui l'obli-
geait à témoigner, avant même qu'on l'interroge ou
qu'on exige des renseignements ou documents
précis pour lesquels il invoquait une immunité
d'intérêt public. Il est donc compréhensible que si
l'opposition de M. Smallwood à la divulgation,
qu'elle ait été faite dans l'instance qui a abouti au
pourvoi en Cour suprême ou lors de l'enquête,
devait être acceptée, c'est à lui qu'il incomberait
17 [1982] 2 R.C.S. 686; 44 N.R. 571.
d'abord de démontrer que la divulgation du rensei-
gnement particulier demandé pourrait nuire à l'in-
térêt public. En tant que simple citoyen, il serait
obligé de fournir à la Cour au moins autant de
renseignements et de détails que ce qui est exigé
par les tribunaux d'un ministre de la Couronne qui
dépose un affidavit excipant de l'immunité d'inté-
rêt public.
Je n'interprète pas le paragraphe cité de l'arrêt
Smallwood comme allant au-delà. Je ne pense pas
qu'il traite de la question de l'importance relative
de certains intérêts publics contradictoires. Mais
que ce soit ou non le cas, en l'espèce, les pièces
produites par les deux parties sont telles qu'à mon
avis, la question de la charge de la preuve n'a plus
d'importance.
J'en viens maintenant aux faits et aux pièces
dont je suis saisi.
À l'époque où les infractions auraient été perpé-
trées, c'est-à-dire entre le 8 août 1972 et le 8
janvier 1973, les deux requérants étaient des sous-
officiers de la Gendarmerie royale du Canada
[ci-après appelée la GRC], stationnés à Montréal,
et employés dans le Service de sécurité de la
Gendarmerie. Les charges retenues contre eux
découlent de ce qu'on a appelé l'opération «Ham»,
un incident dans lequel étaient impliqués de nom-
breux agents du Service de sécurité de rangs diffé-
rents et qui a consisté en l'entrée illicite dans
certains locaux et l'enlèvement clandestin de
bandes informatiques où étaient enregistrées les
listes des membres d'un parti politique; ces listes
ont été copiées et remises en place. Neuf autres
membres ou anciens membres de la Gendarmerie
sont aussi inculpés. Dans un cas, celui de l'inspec-
teur Claude Vermette, le procès a duré du 13 avril
1982 au 7 mai 1982, date à laquelle la nullité du
procès pour vice de forme dirimant a été déclarée.
Il y a subséquemment eu sursis à cette poursuite
par ordonnance de la Cour supérieure, ordonnance
dont on m'a dit que la Couronne avait formé
appel.
Deux enquêtes publiques avaient déjà été tenues
sur certains événements, dont l'opération «Ham»,
la première par la Commission d'enquête McDo-
nald constituée par le décret C.P. 1977-1911 du 6
juillet 1977, sur le fondement de la Partie I de la
Loi sur les enquêtes, S.R.C. 1970, chap. I-13, dont
le but était d'enquêter et de faire rapport sur,
notamment, les activités de la GRC «non autori-
sées ni prévues par la loi». Durant plusieurs
années, la Commission a réuni des preuves et
plusieurs rapports ont été rédigés; ils mentionnent
l'opération «Ham» et un chapitre spécial qui y est
consacré n'a pas été publié. La seconde enquête fut
celle de la Commission Keable, constituée par le
gouvernement de la province de Québec.
La procédure
Comme il n'existe aucune règle de procédure
établie dans le cas des demandes fondées sur le
paragraphe 36.2(1), les avocats des requérants ont
aussi demandé, au moment de l'introduction de
leur demande, des directives au sujet de l'audience;
le 24 janvier 1983, il a été répondu notamment
que:
[TRADUCTION] 2. Les requérants produiront, le 7 février 1983
au plus tard, au greffe de la Cour fédérale à Ottawa, l'affidavit
et les autres pièces qu'ils veulent faire valoir à l'appui de leur
position ainsi qu'un mémoire énonçant les faits et les points de
droit de leur argumentation, avec une annexe comportant copie
des extraits pertinents de toute pièce spécifiquement invoquée;
copies de toutes ces pièces devront être remises aux avocats de
l'intimé;
3. L'intimé, au plus tard le 21 février 1983, produira au greffe
de la Cour fédérale à Ottawa l'affidavit et les autres pièces qu'il
entend faire valoir au soutien de sa position ainsi qu'un
mémoire énonçant les faits et les points de droit de son argu
mentation, avec une annexe comportant copie des extraits
pertinents de toute pièce spécifiquement invoquée; copies de
toutes ces pièces devront être remises aux avocats des
requérants.
L'affaire devait être instruite à Ottawa à partir du
1" mars 1983.
Les pièces des requérants
Conformément à ces directives, les requérants
ont produit un affidavit de Gilbert Albert, qui
mentionne la demande de décision concernant l'op-
position et ses annexes, qui rappelle les charges
retenues, la citation à témoigner et l'opposition
excipée, et qui mentionne enfin le procès avorté de
l'inspecteur Vermette. En voici les paragraphes 9,
10 et 11:
9. Au cours dudit procès de l'Inspecteur Vermette, plusieurs
témoins furent entendus, tant à la demande de la poursuite qu'à
celle de la défense et, au cours des témoignages, plusieurs faits
reflétés [sic] dans les documents demandés par le subpoena
mentionné ci-dessus (l'appendice «C» à la susdite lettre du 13
janvier 1983) et qui font l'objet du certificat mentionné au
paragraphe 6 ci-dessus (appendice «D» à la lettre du 13 janvier
1983) ont été dévoilés; à cet effet, je produis les exhibits
suivants:
a) la transcription des témoignages rendus lors du procès de
l'Inspecteur Vermette, comme exhibit «E»;
b) toutes les cassettes de l'enregistrement mécanique du
procès de l'Inspecteur Vermette, comme exhibit «F»;
10. Les circonstances et les faits qui ont mené aux accusations
portées contre mon co-demandeur et moi-même sont relatés
généralement dans un rapport secret préparé par la Commis
sion d'enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale
du Canada (Commission MacDonald [sic]) que je produis
comme exhibit «G»;
11. De plus, pour expliquer le contexte du document exhibit
«G», je produis également un extrait de deux pages du rapport
public de ladite Commission comme exhibit «H».
La pièce «G» est le chapitre non publié du
rapport de la Commission McDonald traitant spé-
cifiquement de l'opération «Ham». La pièce «H» ne
fait qu'en donner le contexte.
Au cours des neuf jours d'instruction de la
demande, plusieurs autres pièces ont été admises;
elles ont été désignées par les lettres F-1, F-2,
F-2a), I, J, K, L et M.
La pièce F-1 est l'enregistrement sur cassette du
contre-interrogatoire du surintendant R. B. Gavin
du 30 avril 1982 au sujet de son affidavit du 29
avril 1982 concernant les résultats de la recherche
des documents demandés par la citation à compa-
raître lancée lors du procès Vermette, au nom de la
défense.
La pièce F-2 est une copie de l'enregistrement
sur cassette du procès Vermette des 13, 14 et 15
avril 1982.
La pièce F-2a) est une copie des motifs du
jugement de madame le juge Barrette-Joncas du
19 avril 1982 rejetant les requêtes présentées au
nom de la défense qui demandait la suspension de
l'instance Vermette.
La pièce I est une copie du mémoire, en date du
21 avril 1971, décrivant la procédure interne suivie
à la GRC pour obtenir l'autorisation de procéder à
des opérations comportant des visites clandestines.
Il est coté «Très secret» mais a été admis comme
pièce D-5 au procès Vermette et n'est plus
classifié.
La pièce J, cotée elle aussi «Secret», a été pro-
duite comme pièce D-6 au procès Vermette et n'est
plus classifiée: c'est un mémoire de la GRC, rédigé
apparemment en 1972 ou antérieurement, qui
énonce les objectifs et les buts du service de sou-
tien technique, connu comme étant la section E du
service ou direction générale de sécurité et du
renseignement de la Gendarmerie.
La pièce K est une copie de l'affidavit du 29
avril 1982 sur lequel a porté le contre-interroga-
toire du surintendant Gavin.
La pièce L est un affidavit, en date du 3 mai
1982, de Robert Phillip Kaplan, le solliciteur géné-
ral du Canada, s'opposant, en vertu du paragraphe
41(2) de la Loi sur la Cour fédérale, à la produc
tion ou à la divulgation de documents énumérés
dans la citation à comparaître et produire délivrée
au nom de la défense pendant le procès Vermette,
et à toute déposition portant sur le contenu de ces
documents, au motif que ces production, divulga-
tion et déposition porteraient préjudice à la sécu-
rité nationale.
La pièce M est la transcription des notes sténo-
graphiques d'une partie des débats du procès Ver-
mette où l'avocat de la Couronne déclare qu'il
conteste la crédibilité de Robert Potvin, un témoin
de la défense et un des prétendus membres du
complot, contre lequel pèsent des charges similai-
res à celles retenues contre les requérants, quant
aux raisons ayant justifié l'opération «Ham».
Les avocats des requérants ont demandé que soit
annexée au dossier une copie du discours du Pre
mier ministre du Québec devant l'Assemblée
nationale qui a été la cause de l'avortement du
procès Vermette; l'avocat de l'intimé s'y est opposé
et la demande a été refusée.
Pour répondre aux arguments avancés par les
avocats de l'intimé et fondés dans une large
mesure sur l'arrêt Air Canada and Others v.
Secretary of State for Trade and Another, qui a
été prononcé par la Chambre des lords et distribué
au cours de l'instruction de la demande, les avocats
des requérants ont demandé dans leur réplique
l'autorisation de soumettre d'autres affidavits por-
tant sur la nécessité, de leur point de vue, de
produire certains documents à leur procès.
Ils ont obtenu cette autorisation et ont produit
un affidavit supplémentaire du requérant Gilbert
Albert, le 21 mars 1983, et un affidavit de l'autre
requérant, Maurice Goguen, le 31 mars 1983.
Dans son affidavit, Gilbert Albert dit qu'il a l'in-
tention de témoigner à son procès et de citer
Robert Potvin comme témoin à décharge; il
affirme que le témoignage de ce dernier ainsi que
le sien sont essentiels à son système de défense.
Voici le paragraphe 5 de cet affidavit:
Dans le cours de ma défense, j'ai l'intention de prouver ce qui
suit:
a) l'opération «Ham» n'était pas une opération criminelle;
b) ladite opération a été entreprise pour des raisons sérieuses
reliées aux enquêtes du Service de Sécurité de la Gendarme-
rie Royale du Canada;
c) ladite opération faisait partie des méthodes d'enquête
discutées, planifiées, utilisées et approuvées par la section «E»
et par les hautes instances des Services de Sécurité à l'époque
pertinente;
d) je n'ai pas agi «frauduleusement» ou «sans apparence de
droit» en participant à ladite opération;
Le déposant dit ensuite que son témoignage et
celui de Robert Potvin sont essentiels pour établir
les éléments de sa défense mentionnés au paragra-
phe 5; qu'en raison de l'opposition des avocats de
l'intimé et du fait qu'il n'a pas l'habilitation de
sécurité requise, il n'a pu prendre connaissance des
documents énumérés dans les listes annexées à la
citation; que, d'après son avocat, les documents
mentionnés dans la citation et la divulgation de
leur contenu sont essentiels pour démontrer les
éléments de son système de défense; et que l'attes-
tation de l'intimé va l'empêcher de prouver les
faits essentiels à son système de défense.
Pour sa part, Maurice Goguen dit dans son
affidavit que si la Couronne parvenait à démontrer
qu'il a participé à la planification ou à l'exécution
de l'opération «Ham», il entendait témoigner pour
son propre compte et citer Robert Potvin comme
témoin à sa décharge; et que s'il devenait néces-
saire de présenter une défense, il entendait prouver
notamment que:
[TRADUCTION] a) Il n'y avait pas d'intention générale de
commettre un crime dans la planification et l'exécution de
l'opération «HAM»;
b) L'opération «HAM» ne constituait pas un crime;
c) Personne n'avait agi frauduleusement ou sans apparence
de droit lors de la planification et de l'exécution de l'opéra-
tion «HAM»;
d) Il n'y avait aucune intention de priver qui que ce soit,
temporairement ou définitivement, de quoi que ce soit dans
la planification et l'exécution de l'opération «HAM»;
Le déposant décrit ensuite trois secteurs sur
lesquels, à l'époque, la section G du Service de
sécurité, son employeur, faisait enquête et affirme
bien connaître le contexte des documents et des
dossiers du Service de sécurité de la GRC qui ont
été rédigés au sujet de deux de ces secteurs, au
moment où l'opération «Ham» a été planifiée et
exécutée, et savoir, en outre, qu'une enquête sui-
vait son cours dans un troisième secteur; il déclare
que l'opération «Ham» a été planifiée et exécutée
pour des raisons sérieuses, dans le cadre de ces
trois enquêtes et qu'il lui faudra démontrer à son
procès l'existence de ces raisons sérieuses qui sont
fondées sur des renseignements que le Service de
sécurité de la GRC possédait alors et qu'on
retrouve dans les documents et dossiers du Service
datant de l'époque où fut planifiée et exécutée
l'opération «Ham». Il ajoute ensuite dans l'affida-
vit:
[TRADUCTION] 17. Les postes 3 à 24 de l'annexe jointe à la
citation adressée à l'intimé contiennent vraisemblablement des
pièces concernant directement les enquêtes décrites au paragra-
phe 10 du présent affidavit;
18. Ces pièces corroboreraient substantiellement les défenses
mentionnées au paragraphe 8 du présent affidavit et, sans ces
documents, je pourrais être privé de moyens de défense
adéquats;
19. De plus, afin de fournir une défense pleine et entière, s'il est
nécessaire de le faire, je devrai témoigner, sans restriction, au
sujet de l'enquête décrite au paragraphe 10 du présent affidavit
et faire appel en outre au témoignage dudit Robert Potvin et
d'autres personnes à ce sujet;
20. L'opération «HAM» n'aurait été ni planifiée ni entreprise
sans l'approbation préalable et constante de mes supérieurs de
l'époque au quartier général de la Gendarmerie royale du
Canada, à Ottawa et à Montréal;
21. Certains de ces officiers supérieurs sont inculpés comme
complices de l'infraction dont je suis accusé;
22. Les postes 1, 2 et 25 28 de l'annexe à la citation adressée
à l'intimé et les postes 8 à 19 de l'annexe «A» de l'attestation de
l'intimé en date du 12 janvier 1983, concernent l'autorisation
donnée par lesdits officiers supérieurs, dont certains de ceux
qu'on prétend mes complices;
23. Lesdits postes contiennent vraisemblablement des pièces
utiles comme corroboration au sujet de l'intention et de la
motivation desdits officiers supérieurs, qui ont approuvé l'opé-
ration «HAM»; sans ces documents, je pourrais être privé de
moyens de défense adéquats;
24. Avant mon témoignage devant la Commission d'enquête sur
certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada, men-
tionnée aux paragraphes 5 et 6 de ladite attestation de l'intimé,
j'ai lu les documents mentionnés aux postes 1 à 7 de l'annexe
«A» de ladite attestation; ce sont des extraits des dossiers du
Service de sécurité de la Gendarmerie royale du Canada por-
tant sur les raisons graves qui ont justifié l'autorisation, la
planification et l'exécution de l'opération aHAM»;
25. Lesdits postes contiennent vraisemblablement des pièces qui
corroboreraient substantiellement les moyens de défense men-
tionnés au paragraphe 8 du présent affidavit ainsi que l'inten-
tion et la motivation des officiers supérieurs qui ont approuvé
l'opération «HAM»; sans ces documents, je pourrais être privé de
moyens de défense adéquats;
Les pièces de l'intimé
J'en viens maintenant aux pièces dont je suis
saisi à l'appui de l'opposition. Il s'agit des cinq
premières et de la huitième annexes mentionnées
dans le mémoire de l'intimé sur les faits et le droit,
et jointes à celui-ci, et de deux autres documents
reçus au cours de l'instruction et numérotés 9 et
10, dont un affidavit de l'intimé coté «Très secret»,
inscrit comme produit le 21 février 1983, qui a été
remis ensuite à la garde du solliciteur général
adjoint, et y est resté, sauf lorsqu'il a servi à
l'instruction. Les avocats des requérants ont pu
prendre connaissance de cet affidavit. Voici ces
annexes:
1. Une copie de l'attestation de l'intimé déposée
auprès de la Cour supérieure.
2. Les premier, deuxième et troisième rapports
de la Commission McDonald, soit quatre volu
mes en tout.
3. Une liste des mentions faites dans les
deuxième et troisième rapports de la Commis
sion au sujet de visites clandestines pratiquées
par le Service de sécurité et par la Direction des
enquêtes criminelles de la GRC.
4. Un ensemble d'environ 56 documents déposés
auprès de la Commission McDonald et désignés
alors comme pièce F-1. On m'a dit que ces
documents comportent des renseignements dont
la publication permettrait aux spécialistes de
déduire certains autres faits qui doivent rester
secrets.
5. Cette annexe est une version révisée des docu
ments de l'annexe 4. Elle a été remise aux
requérants.
8. La transcription des notes sténographiques
des dépositions des requérants devant la Com
mission McDonald, les 24 et 25 avril 1978.
9. La copie d'un affidavit de Robert Phillip
Kaplan, solliciteur général du Canada, en date
du 8 avril 1982, produit au procès Vermette
pour faire opposition, en vertu du paragraphe
41(2) de la Loi sur la Cour fédérale, à la
divulgation de documents réclamés par la cita
tion lancée par la Cour supérieure au solliciteur
général adjoint du Canada, au motif que la
production des documents ou la divulgation de
leur contenu serait préjudiciable aux relations
internationales ou à la sécurité nationale.
10. La copie d'un affidavit supplémentaire de
M. Kaplan, semblable à celui visé au paragra-
phe 9, en date du 27 avril 1982, s'opposant à la
production des documents apparaissant sur une
liste annexée.
L'affidavit secret de l'intimé est volumineux; il a
26 pages et comprend au total 63 paragraphes. Les
16 premiers paragraphes traitent de la citation à
comparaître et à produire des documents et de
l'attestation, puis énoncent certains principes géné-
raux relatifs à la sécurité nationale et aux relations
internationales; ils expliquent pour quelles raisons
il faut assurer le secret des renseignements et
comment la divulgation de ces informations pour-
rait porter préjudice à la sécurité nationale et aux
relations internationales.
Les requérants se sont opposés au paragraphe 6
parce qu'il traduit une opinion que le déposant, à
leur avis, n'était pas habilité à donner. Le dépo-
sant, que la carrière et l'expérience ont mené au
poste de solliciteur général adjoint est, je pense,
suffisamment qualifié pour affirmer tout ce qui
apparaît au paragraphe 6 et qui pourrait être
considéré comme une opinion. En conséquence, je
rejette cette objection. Je serais d'ailleurs du même
avis, s'il fallait ne pas tenir compte du
paragraphe 6.
Les 47 paragraphes restants de l'affidavit trai-
tent de chaque point mentionné dans l'attestation
(sauf dans le cas de deux postes qui n'ont pu être
retrouvés ou ne comportant aucun document de
cette période qui ait pu être retracé) en donnant
une brève description de son contenu et en expli-
quant l'effet préjudiciable que sa divulgation
aurait sur la sécurité nationale ou les relations
internationales, ou les deux.
L'argumentation des requérants
Les extraits suivants du mémoire sur les faits et
le droit présenté par les requérants donnent l'es-
sentiel des moyens qu'ils font valoir en faveur de la
divulgation des renseignements.
[TRADUCTION] Les requérants soutiennent que les preuves
littérales auxquelles on s'oppose sont essentielles pour leur
permettre de fournir une réponse complète et une défense
pleine et entière aux charges retenues contre eux.
Les requérants soutiennent aussi que la divulgation des preuves
littérales requises de M. Osbaldeston et de l'intimé, et la preuve
testimoniale relative au contenu desdits documents, ne portent
pas atteinte à la sécurité nationale du Canada ni aux relations
internationales et, subsidiairement, que l'intérêt public qu'il y
aurait à les divulguer prévaut en importance sur l'intérêt public
invoqué dans l'attestation.
Les documents décrits dans les citations à comparaître et à
produire (subpoenas duces tecum) signifiées aux autorités fédé-
rales sont nécessaires à l'accusé pour établir le contexte et les
objectifs de l'opération entreprise par la GRC, en l'occurrence
l'opération «Ham», et corroborer leur défense de bonne foi et
croyance honnête en la licéité de l'opération. -
Il n'est pas vraiment contesté que les membres du Service de
sécurité de la GRC sont entrés, de nuit, par effraction dans les
locaux des «Messageries Dynamiques»; qu'ils se sont emparés
des enregistrements et les ont transportés dans un autre immeu-
ble, les ont copiés puis les ont ramenés, plusieurs heures plus
tard, au lieu exact où ils avaient été pris. Il n'est pas non plus
contesté que l'opération avait été approuvée au plus haut niveau
par le Service de sécurité de la GRC. Le litige entre la
Couronne et la défense porte sur les fins pour lesquelles l'opéra-
tion a eu lieu et les conséquences juridiques qui en découlent.
La défense soutient que l'opération «Ham» a eu lieu dans le but
d'obtenir des renseignements importants pour le Service de
sécurité de la GRC, dans le cadre de l'exécution de son mandat
dans les domaines suivants:
a) Une enquête sur les fuites de renseignements classifiés du
gouvernement fédéral, transmis par des fonctionnaires à des
membres du PQ. La GRC était en possession de renseigne-
ments indiquant que plusieurs membres influents du PQ
avaient organisé un réseau activement engagé dans la col-
lecte de telles informations. Leurs activités consistaient
notamment à tenter de recruter des membres de la GRC afin
d'obtenir certains renseignements secrets intéressant le PQ.
b) Une enquête sur l'ingérence de plusieurs gouvernements
étrangers—tant «amicaux» qu'«hostiles»—dans les affaires
internes du Canada par le biais d'une collaboration clandes
tine avec des mouvements séparatistes du Québec et d'un
appui donné à ces mouvements. À cet égard, la GRC avait
reçu une demande écrite d'un haut fonctionnaire du bureau
du Premier ministre demandant une enquête au sujet d'une
contribution clandestine de $350,000 fournie au PQ par un
gouvernement étranger.
On se rappellera que les questions mentionnées aux paragra-
phes a) et b) sont liées puisque les membres du PQ impliqués
dans les tentatives d'obtention de renseignements confidentiels
du gouvernement communiquaient aussi avec les agents des
gouvernements étrangers précités.
c) Une enquête afin de prévenir des actes terroristes qui
seraient commis dans le but de promouvoir l'indépendance
du Québec.
La GRC était décidée à empêcher le renouvellement d'actes de
terrorisme plutôt que de se borner à réagir après coup, comme
ce fut le cas dans les affaires Cross et Laporte en 1970. Dans ce
contexte, il importait que le Service de sécurité puisse suivre les
déplacements et les activités des terroristes avoués et de leurs
partisans.
Malgré certaines indications d'un renouveau possible du terro-
risme, Pierre Vallières, qui avait prêché la violence pour pro-
mouvoir l'indépendance du Québec, avait récemment semblé
changer de stratégie, appelant ses disciples à renoncer à la
violence en faveur d'une activité politique au sein d'organisa-
tions comme le PQ. Le Service de sécurité désirait savoir: a)
combien de ceux qui avaient été impliqués dans des activités
terroristes avaient rejoint les rangs du PQ; b) où ils étaient et
quelles étaient leurs activités; c) s'ils formaient des groupes
importants dans certaines associations de comté du PQ.
Les justifications de l'opération «Ham», le raisonnement qui y a
conduit et le rapport qui existe entre les enregistrements du PQ
et l'enquête ouverte par le Service de sécurité de la GRC, aux
époques en cause, sont exposés dans les témoignages de Mau-
rice Goguen, de Gilbert Albert et de Robert Potvin au procès
de l'inspecteur Claude Vermette, l'un des prétendus auteurs du
complot, tenu devant un juge et un jury en Cour supérieure du
Québec au printemps 1982. MM. Goguen et Albert avaient été
cités par la Couronne et M. Potvin par la défense. Tous trois
étaient membres du Service de sécurité à l'époque et avaient été
impliqués dans l'opération «Ham», les deux premiers à Mont-
réal, et le troisième à Ottawa. Tous trois sont inculpés de
complot. C'est au cours du contre-interrogatoire de M. Potvin
par l'avocat de la Couronne que le Premier ministre du Québec,
devant l'Assemblée nationale, a fait cette tirade qui a conduit le
président du tribunal, madame Claire Barrette-Joncas, à pro-
noncer l'annulation du procès pour vice de forme dirimant le 7
mai 1982, puis au sursis d'instance ordonné par le juge Benja-
min Greenberg de la Cour supérieure le l er octobre 1982,
ordonnance dont la Couronne a formé appel.
Le débat entre la Couronne et la défense n'est pas limité à des
points de droit; il met aussi en cause d'importantes questions de
fait, dont le but en vue duquel l'opération «Ham» a été conçue
et exécutée. Au cours de l'interrogatoire de Maurice Goguen et
du contre-interrogatoire de Robert Potvin, Me Jean-Pierre
Bonin, procureur de la Couronne, a contesté leurs explications.
Il a laissé entendre que le véritable objet de l'opération «Ham»
était d'identifier les séparatistes travaillant pour les gouverne-
ments fédéral et provincial, afin de ne pas leur donner de
promotions, les autres raisons fournies ci-dessus n'étant que des
justifications après le fait ....
Pour se défendre, les accusés doivent pouvoir expliquer pleine-
ment au jury le contexte et les buts de l'opération «Ham». Ils ne
le peuvent pas si on leur interdit l'accès aux documents concer-
nant les questions liées à cette opération et sur lesquels ils se
sont appuyés à l'époque, et si on les empêche de témoigner à
leur sujet et de les produire devant le tribunal. Le fait que
l'affaire concerne des événements datant de près de onze ans
accentue la nécessité d'obtenir ces pièces. À cet égard, nous
renvoyons Votre Seigneurie à l'appendice 3 qui contient les
extraits pertinents des témoignages de MM. Goguen, Albert et
Potvin au procès Vermette, où ils exposent les difficultés décou-
lant de l'interdiction qui leur est faite d'avoir accès aux dossiers
et documents avec lesquels ils ont travaillé à l'époque, de se
référer à leur contenu et de les produire devant le tribunal. Les
documents en question sont décrits dans la citation visant M.
Osbaldeston et aux paragraphes 1 à 24 de celle qui concerne
l'intimé. Les paragraphes 2 et 3 de l'attestation s'y rapportent.
Ce qui précède traite principalement des circonstances et des
buts de l'opération «Ham». Certains documents sont nécessaires
aussi pour démontrer que les accusés croyaient l'opération licite
puisque les visites clandestines, afin de réunir des informations
nécessaires à la sécurité nationale (appelées opérations
«Puma»), étaient un mode d'opération officiel bien établi du
Service de sécurité de la GRC.
Les documents décrits aux paragraphes 25 28 de la citation
adressée à M. F. Gibson, et au paragraphe 2 de l'attestation,
traitent des divers aspects de ces opérations, notamment de la
stratégie, des objectifs, des directives, de la planification et du
financement de la GRC.
Dans le vol, l'état d'esprit de l'inculpé peut décider de sa
culpabilité ou de son innocence. S'emparer du bien d'autrui
n'est pas en soi un crime. L'appropriation doit se faire non
seulement avec l'intention de priver le propriétaire, provisoire-
ment ou définitivement, de son bien, mais elle doit aussi être
«frauduleuse et sans apparence de droit». La défense en l'espèce
non seulement nie qu'il y a eu intention de priver les propriétai-
res des bandes leur appartenant, provisoirement ou définitive-
ment, mais aussi que les actes qui font l'objet de l'inculpation
n'ont pas été fait «frauduleusement et sans apparence de droit».
Au procès Vermette, l'avocat de la Couronne a interrogé des
témoins sur les motifs de l'opération «Ham», estimant qu'il
s'agissait de points pertinents. Le président du tribunal,
madame Claire Barrette-Joncas, a jugé les raisons de l'opéra-
tion admissibles, parce que révélatrices de l'état d'esprit de ceux
qui ont participé à son élaboration et à son exécution.
Les requérants Goguen et Albert entendent soutenir à leur
procès qu'ils ont agi de bonne foi, pour des raisons graves, liées
à leurs fonctions d'agents du Service de sécurité de la GRC, sur
le fondement des renseignements que leur avaient fournis divers
dossiers et documents de travail. Ils soutiendront aussi qu'ils
ont agi en croyant honnêtement que leurs actes étaient licites.
Les documents décrits dans les deux citations et auxquels on
s'oppose dans l'attestation leur sont nécessaires pour corroborer
leur défense selon laquelle l'opération «Ham» a été entreprise
pour les raisons précitées, en s'appuyant sur les renseignements
précités et dans la croyance en sa légalité, comme il est affirmé
ci-dessus.
L'opposition de l'intimé, si elle devait être reçue, ne permettra
pas aux accusés d'expliquer au jury pourquoi ils ont agi de la
manière dont on se plaint et les privera de preuves essentielles à
leur défense.
L'argumentation de l'intimé
Voici ce que répond l'intimé:
I . En vertu du paragraphe 36.1(2), c'est aux
requérants qu'il appartient de démontrer «qu'en
l'espèce, les raisons d'intérêt public qui justifient la
divulgation l'emportent sur les raisons d'intérêt
public invoquées lors de l'attestation»; ce fardeau
est particulièrement lourd lorsque l'intérêt public
en cause consiste à protéger contre tout préjudice
la sécurité nationale ou les relations internationa-
les ou, comme en l'espèce, les deux. La préserva-
tion de la sécurité nationale et des relations inter-
nationales a été reconnue comme une con-
sidération plus élevée que la protection d'autres
intérêts publics; et lorsque, comme en l'espèce,
l'attestation comporte une prétention valide et bien
fondée à l'immunité d'intérêt public, les tribunaux
répugnent à prendre connaissance des documents
faisant l'objet de l'opposition, en particulier lors-
que l'intérêt public invoqué est la protection de la
sécurité nationale ou des relations internationales.
Les tribunaux ont aussi reconnu que des renseigne-
ments relatifs à la sécurité nationale ou aux rela
tions internationales peuvent devoir demeurer
secrets indéfiniment, ou longtemps après que d'au-
tres informations jugées confidentielles pour d'au-
tres raisons peuvent être divulguées en toute
sécurité.
2. Saisie d'une demande de ce genre, la Cour
devrait procéder en deux temps: déterminer
d'abord si, d'après les preuves réunies tant en
faveur qu'à l'encontre de la divulgation, il lui est
nécessaire de prendre connaissance des pièces; si
l'attestation, et toute pièce jointe à l'appui, mon-
trent que les documents demandés ont été soigneu-
sement examinés et si elles donnent des raisons
claires et convaincantes en faveur du secret,
comme on le prétend en l'espèce, la Cour doit
rejeter la demande sans prendre connaissance des
documents, sauf dans les circonstances exception-
nelles d'une affaire criminelle, inexistantes dans le
cas d'espèce, où le requérant démontrerait qu'un
document particulier, dont il demande la produc
tion, contient les renseignements nécessaires à la
démonstration de son innocence. Si la Cour con-
clut qu'il est nécessaire de prendre connaissance du
document, et uniquement dans ce cas, la Cour en
prend alors connaissance, met en balance les inté-
rêts opposés et décide si l'intérêt public assuré par
le maintien du secret doit céder le pas.
3. Les requérants ne sont pas parvenus à démon-
trer que la Cour devrait prendre connaissance des
documents car:
a) en demandant la production de quelque 8,200
pages de documents, ils ne sont pas parvenus à
établir qu'un seul de ces documents contient en
toute probabilité des renseignements précis
nécessaires à la démonstration de leur inno
cence;
b) ils ne sont pas parvenus à administrer un
commencement de preuve qu'un seul de ces
documents contient des informations nécessaires
à la démonstration de leur innocence;
c) ils ne sont pas parvenus à démontrer qu'ils
sont dans l'impossibilité de faire valoir les points
dont ils veulent saisir la juridiction d'instruction.
4. Les requérants n'ont pas besoin de ces docu
ments. Dans leur système de défense, ils peuvent
établir par leur propre témoignage, sans preuve
littérale, qu'ils n'ont pas agi frauduleusement ni
sans apparence de droit. Pour faire appel à ces
documents dans ce système de défense, il leur faut
établir qu'ils ont lu les documents et que c'est pour
cela qu'ils croyaient leurs actions licites. Si les
requérants n'ont pas lu les documents, ils ne peu-
vent être ni nécessaires ni importants pour leur
défense; or, les requérants n'ont pas démontré
qu'ils ont lu les documents ni que ceux-ci les ont
amenés à croire sincèrement que l'opération était
licite et morale.
5. Les dépositions des requérants devant la Com
mission McDonald démontrent que leur impres
sion que l'opération «Ham» était licite et morale ne
résultait pas de la teneur de l'un des documents en
cause, mais des directives reçues de leurs supé-
rieurs quant à l'exécution de ces opérations et du
fait qu'ils croyaient que leurs supérieurs n'exige-
raient jamais qu'ils s'engagent dans des activités
illicites ou immorales. L'existence de ces directives
n'est pas contestée; on les retrouve aux appendices
4 et 5.
En conséquence, l'intimé fait valoir que:
a) les requérants n'ont pu démontrer que le
tribunal devrait prendre connaissance des docu
ments; et que
b) de toute façon, ils n'ont pas démontré que
l'intérêt public dans la divulgation prévaut sur
l'intérêt public qu'il y a à éviter tout préjudice à
la sécurité nationale et aux relations internatio-
nales.
L'importance de l'intérêt public dans le maintien
de la sécurité nationale et des relations internatio-
nales
En premier lieu, pour ce qui est de l'importance
de l'intérêt public dans le maintien de la sécurité
nationale et des relations internationales, on ne
m'a rien cité, et je n'ai rien trouvé dans les pièces
soumises qui permette de mettre en doute ou
d'écarter l'opinion exprimée par l'intimé dans l'at-
testation, selon laquelle la divulgation de ce qui est
demandé serait préjudiciable à la sécurité natio-
nale ou aux relations internationales, et rien non
plus qui mette en cause ou réfute le contenu de
l'affidavit secret de l'intimé. Je dois donc conclure
que la divulgation de l'information demandée por-
terait préjudice à la sécurité nationale et aux
relations internationales de la façon énoncée dans
l'attestation et dans l'affidavit. Je dois faire obser
ver toutefois, sans vouloir paraître critique, qu'une
attestation qui, comme celle-ci, se borne à identi
fier les renseignements dont on refuse la divulga-
tion, par référence au contenu d'une multitude de
documents, dont certains sont eux-mêmes volumi-
neux, et qui n'ont pas déjà été rendus publics par
le rapport de la Commission McDonald, laisse à la
Cour, ainsi qu'à la Cour supérieure, la tâche
ingrate de découvrir l'objet de l'opposition sur la
foi d'une vague formule, alors qu'une description
intelligible aurait permis de reconnaître les diffé-
rents documents. De plus, rien dans l'attestation ni
dans l'affidavit secret, ni ailleurs dans les pièces,
ne fournit un critère d'évaluation de la gravité du
danger ou du préjudice pouvant résulter de la
divulgation de tel ou tel renseignement particulier.
Indépendamment de ce que peuvent contenir ces
pièces, la meilleure indication de la gravité du
risque pour la sécurité nationale et les relations
internationales, réside dans la quantité et la portée
des documents demandés; leur divulgation, à mon
avis, pourrait révéler au monde entier l'ensemble
de la structure du Service de sécurité, ses points
forts et ses faiblesses, ses méthodes et ses techni
ques, ses ressources, ses stratégies et ses cibles, et
ses rapports avec les services de renseignements
étrangers alliés.
En matière de sécurité nationale et de relations
internationales, le secret est de rigueur. Le temps
et l'effort consacrés à rassembler et à trier l'infor-
mation sont considérables. Le processus est con-
tinu. Il se fait dans l'intérêt de la sécurité publique.
Ce qui est acquis par tous ces efforts est vite
compromis, voire perdu, par la révélation de ren-
seignements qui devraient demeurer secrets.
En outre, bien que les renseignements concernés
par cette demande datent d'au moins dix ans, je ne
pense pas que leur divulgation puisse être considé-
rée pour cela moins préjudiciable. Comme on l'a
souligné au moins dans l'une des affaires citées,
certains secrets de la sécurité nationale peuvent
devoir être gardés ainsi indéfiniment. Voir Attor-
ney -General v. Jonathan Cape Ltd. and Others'$.
Je pense qu'il en est de même des secrets liés aux
relations internationales. L'opinion exprimée par le
juge en chef adjoint Gibbs de la Cour d'appel dans
l'arrêt Sankey v. Whitlam 19 , va dans le même sens.
Dans les deux cas, dix ou vingt ans ne sauraient
réduire le danger d'une divulgation dommageable.
Enfin, il faut tenir compte de ce que le Canada
n'est pas actuellement en guerre. Si un état de
guerre existait, je doute que l'on puisse soutenir
que l'intérêt public dans la sécurité nationale n'est
pas supérieur à l'intérêt public dans la bonne
administration de la justice; car en temps de
guerre, la vie de tous les citoyens est en péril. Le
fait que le pays ne soit pas en guerre joue un peu
en faveur des requérants mais, dans l'état actuel
des relations internationales, du terrorisme politi-
que et de la subversion, fort peu. Il faut maintenir
une vigilance constante, comme on l'a toujours
fait, pour assurer la sécurité de la nation.
L'importance de l'intérêt public dans la divulga-
tion
Mais, qu'en est-il alors de l'importance de l'inté-
rêt public contradictoire, en matière d'administra-
tion de la justice, qui veut que justice soit faite?
Les avocats ont, à juste titre, rappelé que la
demande de documents est faite à l'occasion d'une
poursuite pour infractions criminelles et qu'elle a
18 [1976] 1 Q.B. 752, la p. 770.
19 (1978), 21 ALR 505 (H.C.), à la p. 528.
pour objet d'assurer la défense des requérants sur
qui pèsent ces charges. Il est certain que cela
constitue une considération importante à prendre
en compte, importante car la simple déclaration de
culpabilité aurait des conséquences graves pour les
requérants, importante aussi parce que la peine
prononcée pourrait être un emprisonnement d'une
durée non négligeable. Mais les infractions visées
par l'inculpation ne sont pas parmi les plus graves
et, sans m'avancer sur la peine éventuellement
imposée au cas où il y aurait déclaration de culpa-
bilité, je ne crois pas que, vu les circonstances des
agissements des requérants dans le contexte de
l'opération «Ham», il faille faire peser le risque
d'une peine sévère trop lourdement dans la
balance.
Autre circonstance dont il faudrait, je pense,
tenir compte, c'est la pertinence de l'information et
des documents demandés par rapport aux points
qui seront vraisemblablement soulevés au procès.
Je ne crois pas qu'il soit possible, à ce stade,
d'isoler des points précis et de juger de la perti
nence des documents ou des renseignements à leur
égard. Je ne crois pas non plus que les documents
et renseignements utiles pour la défense se limitent
aux documents que les requérants ont lus et à
l'information dont ils ont eu connaissance à l'épo-
que. Je présume donc que, s'ils étaient fournis, les
documents et leur contenu seraient admis et perti-
nents. Néanmoins, j'ai l'impression que certains,
sinon un grand nombre, peuvent n'avoir aucune
pertinence. J'ai aussi l'impression que la plupart
ou la totalité des documents n'ont probablement
qu'un rapport lointain avec les points en cause,
qu'ils se situent à l'extrême limite de l'admissibilité
et qu'ils ne seront utiles, dans le meilleur des cas,
que pour confirmer l'existence même des preuves
directes qu'il pourrait déjà y avoir. D'après leur
description, je ne pense pas qu'un des documents
fasse par lui-même preuve d'un fait nécessaire au
système de défense choisi par les requérants dans
leur mémoire des points à plaider.
Dans leurs affidavits, les requérants disent que
les documents et ce qu'ils contiennent sont essen-
tiels à leur système de défense. C'est compréhensi-
ble. Leur carrière et leur liberté sont en péril. Je ne
doute pas de leur bonne foi. Mais le requérant
Albert ne se fonde pas sur ce qu'il sait personnelle-
ment mais sur ce que lui a dit son avocat sur la
nécessité d'obtenir ces documents et renseigne-
ments. Et l'affidavit du requérant Goguen com-
porte des expressions comme «contiennent vraisem-
blablement» et «je pourrais être privé de moyens de
défense adéquats». Après avoir donné à la question
toute l'attention que je puis lui donner, je suis
incapable de considérer la divulgation de ces docu
ments et renseignements comme indispensable au
système de défense des requérants, compte tenu
notamment des témoins qu'ils peuvent citer afin de
témoigner en termes généraux sur au moins cer-
tains points qu'ils disent devoir prouver pour corro-
borer leurs propres témoignages.
L'importance relative des divers intérêts publics
en conflit
D'après l'ensemble des pièces dont je suis saisi,
je suis d'avis que, dans le cas d'espèce, non seule-
ment l'intérêt public dans la sécurité nationale et
dans les relations internationales n'est pas surpassé
par l'intérêt public dans la bonne administration
de la justice, mais même que la preuve administrée
est fortement prépondérante en faveur du premier
et que le second doit donc lui céder le pas. C'est
pourquoi il n'est pas, à mon avis, nécessaire que je
demande à prendre connaissance de l'un quelcon-
que des documents ou renseignements en question;
cela n'est pas souhaitable car le pouvoir donné à
cette fin ne doit être exercé qu'en cas de nécessité
et, compte tenu de l'ensemble du cas d'espèce, je
ne vois aucune raison de supposer que l'examen
des documents et de leur contenu révélerait qu'ils
doivent être divulgués ou qu'un tel examen servi-
rait quelque autre fin utile.
Au cours des plaidoiries, les avocats des requé-
rants ont mis l'accent sur leur droit, en vertu de la
common law, du Code criminel du Canada, de la
Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960,
chap. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III] et de la
Charte canadienne des droits et libertés, qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), à une défense pleine et entière.
Ce droit n'est pas contesté, Mais il n'est pas en
cause ici. Ce que demande le paragraphe 36.1(2),
c'est une décision au sujet de l'importance relative
de deux intérêts publics en conflit. Le point de
savoir si une telle décision porte atteinte de quel-
que manière au droit de la défense est, me semble-
t-il, une question que doit trancher le tribunal saisi
de l'inculpation. Cette question ne peut être réso-
lue sur la présente demande, pas plus que l'effet
possible sur le droit de l'accusé de la décision à
rendre en l'espèce ne doit être prise en compte
lorsqu'il s'agit de la rendre.
En conséquence, je suis d'avis que, dans le cas
d'espèce, vu les pièces dont je suis saisi, l'intérêt
public dans la non-divulgation des documents et de
leur contenu, en raison du préjudice à la sécurité
nationale et aux relations internationales que cau-
serait leur divulgation, l'emporte sur l'intérêt
public dans leur divulgation. Telle est ma décision.
Il est donc fait droit aux oppositions énoncées dans
l'attestation et la demande doit être rejetée.
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