T-3212-82
Harlequin Enterprises Limited (appelante)
c.
Registraire des marques de commerce (intimé)
Division de première instance, juge Mahoney—
Ottawa, 27 juin et 8 juillet 1983.
Marques de commerce — Pratique — Appel est formé, en
vertu de l'art. 56, contre la décision par laquelle le registraire
a considéré la demande d'enregistrement de la marque «Har-
lequin Superromance» pour emploi en liaison avec «des publi
cations, à savoir des livres» comme abandonnée pour défaut de
poursuite de la demande sous le régime de l'art. 35 — Appel
accueilli — L'appelante ne fait pas défaut dans la poursuite de
la demande pour avoir refusé de se désister du droit à l'usage
exclusif du mot «Superromance», ainsi que l'a exigé le regis-
traire — Le registraire doit reprendre l'examen de la demande
en partant du principe que sa décision de considérer celle-ci
comme abandonnée est nulle — La Loi sur les marques de
commerce vise à assurer qu'un requérant obtienne l'enregistre-
ment d'une marque enregistrable — Le requérant a droit à une
décision quant à savoir si la marque de commerce est enregis-
trable — L'appel formé est une voie de recours inappropriée
puisque le registraire n'a rendu aucune décision donnant lieu
au droit d'appel prévu à l'art. 56 — La voie appropriée
consiste dans le recours visé à l'art. 18 de la Loi sur la Cour
fédérale — La Cour ne saurait infirmer la décision du regis-
traire parce que cela équivaudrait à statuer sur un appel formé
contre une décision qui n'a pas été rendue — Avant toute
ordonnance enjoignant au registraire de permettre la poursuite
de la demande et l'annonce de celle-ci dans le Journal des
marques de commerce, il faut, en vertu de l'art. 36(1), qu'il ait
conclu qu'il n'est pas convaincu que la marque de commerce
n'est pas enregistrable — La Cour a droit au bénéfice de la
décision du registraire à la lumière des éléments de preuve
avant qu'on lui demande de rendre elle-même sa décision —
Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10,
art. 12(1)b), 34, 35, 36, 56 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 18.
AVOCATS:
N. R. Shapiro, c.r. et A. J. Finlayson pour
l'appelante.
Y. Perrier pour l'intimé.
PROCUREURS:
Shapiro & Cohen, Ottawa, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Appel est formé, en vertu
de l'article 56 de la Loi sur les marques de com
merce', contre une décision qu'aurait rendue le
registraire des marques de commerce dans l'ins-
truction de la demande formée par l'appelante en
vue d'obtenir l'enregistrement de la marque «Har-
lequin Superromance» pour emploi en liaison avec
[TRADUCTION] «des publications, à savoir des
livres». Cet appel a été entendu sur preuve com
mune avec deux autres appels formés contre des
décisions identiques relativement à l'enregistre-
ment de la marque «Harlequin Superromance» et
du dessin en forme de losange et de la marque
«Harlequin Superromance» illustrés ci-dessous 2 et
marqués respectivement A et B. Le point litigieux
est identique dans chaque appel et porte sur le mot
«Superromance».
L'intimé a requis l'appelante, en vertu de l'arti-
cle 34 de la Loi, de se désister du droit à l'usage
exclusif du mot «Superromance» en dehors de la
marque de commerce, conformément à l'alinéa
12(1)b). L'appelante ne s'est pas exécutée. Le 8
mars 1982, l'intimé a rendu la décision suivante:
[TRADUCTION] J'estime que le mot SUPERROMANCE, lorsqu'on
l'emploie en liaison avec «des publications, à savoir des livres»,
indique manifestement au lecteur éventuel que les livres sont
des romans, qu'ils sont de type «super», et qu'ils l'emportent sur
tous les autres du genre ou la plupart d'entre eux.
La requérante ne s'étant pas conformée aux exigences de
l'article 34 de la Loi sur les marques de commerce, la demande
est traitée comme abandonnée en application de l'article 35 de
la Loi.
L'intimé n'a pas rejeté la demande; il l'a considé-
rée comme abandonnée.
Les dispositions applicables de la Loi sont ainsi
rédigées:
' S.R.C. 1970, chap. T-10.
2 Nos du greffe: T-3213-82 et T-3214-82.
34. Le registraire peut requérir celui qui demande l'enregis-
trement d'une marque de commerce de se désister du droit à
l'usage exclusif, en dehors de la marque de commerce, de telle
partie de la marque qui n'est pas indépendamment enregistra-
ble, mais ce désistement ne porte pas préjudice ou atteinte aux
droits du requérant, existant alors ou prenant naissance par la
suite, dans la matière qui fait l'objet du désistement, ni ne porte
préjudice ou atteinte au droit que possède le requérant à
l'enregistrement lors d'une demande subséquente si la matière
faisant l'objet du désistement est alors devenue distinctive des
marchandises ou services du requérant.
35. Lorsque, de l'avis du registraire, un requérant fait défaut
dans la poursuite d'une demande produite aux termes de la
présente loi ou de toute loi concernant les marques de com
merce et exécutoire antérieurement au 1" juillet 1954, le
registraire peut, après avoir donné au requérant avis de ce
défaut, traiter la demande comme abandonnée, à moins qu'il ne
soit remédié au défaut dans le délai que l'avis spécifie.
La Loi sur les marques de commerce vise essen-
tiellement à assurer qu'un requérant obtienne, de
plein droit, l'enregistrement d'une marque de com
merce si celle-ci est enregistrable. Le requérant a
droit à une décision quant à savoir si la marque de
commerce est enregistrable ou non et cela implique
nécessairement le droit pour lui d'exiger du regis-
traire qu'il instruise la demande d'enregistrement.
Le registraire peut exiger un désistement, mais le
requérant, sans doute conscient des conséquences,
est en droit de ne pas s'exécuter. Il a parfaitement
le droit de s'exposer au rejet de sa demande en ne
se désistant pas et de prendre ses risques en appel
plutôt que d'être contraint à un désistement qu'il
ne désire pas. Il est possible qu'il obtienne ainsi
l'enregistrement qu'il souhaite avoir. S'il n'a pas
gain de cause en appel, il peut toujours formuler
une nouvelle demande, assortie cette fois du désis-
tement. Cela implique seulement qu'il faut y con-
sacrer du temps et de l'argent.
Le refus par l'appelante de se conformer à l'exi-
gence de désistement ne pouvait justifier l'opinion
qu'elle faisait défaut dans la poursuite de sa
demande. Il s'agissait d'une opinion fondée sur une
fiction dont l'intimé était manifestement conscient.
L'appelante ne faisait pas défaut dans la poursuite
de sa demande; elle insistait, comme elle avait
parfaitement le droit de le faire, pour que l'intimé
instruise la demande d'enregistrement. En considé-
rant la demande comme abandonnée, l'intimé n'a
rendu aucune décision. Dans les circonstances, la
voie appropriée pour la requérante [l'appelante]
consistait à se prévaloir du recours prévu à l'article
18 de la Loi sur la Cour fédérale' et non du droit
d'appel prévu à l'article 56 de la Loi sur les
marques de commerce.
Dans le présent appel, le redressement vise:
[TRADUCTION] A. À faire infirmer la décision du registraire
des marques de commerce et à faire déclarer que le mot
SUPERROMANCE est indépendamment enregistrable et que son
emploi ne va pas à l'encontre de l'alinéa 12(1)b) de la Loi sur
les marques de commerce.
B. À faire enjoindre au registraire de permettre la poursuite de
la demande n° 455 313 et l'annonce de celle-ci dans le Journal
des marques de commerce.
Pour l'audition de l'appel, les avocats sont tombés
d'accord sur le principe qu'un refus de se confor-
mer à une demande de désistement ne constitue
pas un défaut au sens de l'article 35. L'ordonnance
enjoignant au registraire de permettre à la
demande de suivre son cours équivaut au redresse-
ment que l'appelante aurait obtenu si elle s'était
prévalue de l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale. Je n'ai aucune objection à formuler à cet
égard. Toutefois, le redressement demandé au
paragraphe A équivaudrait à statuer sur un appel
formé contre une décision qui n'a pas été rendue.
De même, faire annoncer la demande dans le
Journal des marques de commerce exige, comme
condition préalable prévue au paragraphe 36(1) de
la Loi, que l'intimé ait conclu qu'il n'est pas
convaincu que la marque de commerce n'est pas
enregistrable; il s'agit là encore d'une décision qui
n'a pas encore été rendue. Bien qu'il semble clair
que l'intimé aurait rejeté la demande pour les
motifs invoqués au _ premier paragraphe de sa
«décision» susmentionnée, il n'en demeure pas
moins qu'il ne l'a pas fait.
C'est avec réticence que j'ai entendu les argu
ments des avocats au sujet du redressement
demandé au paragraphe A. Plus j'examine ce que
j'ai entendu, plus je suis persuadé que j'ai eu
raison d'hésiter à les entendre. Quelque évidente
que soit la décision qui aurait été rendue, et
malgré que l'avocat de l'intimé ait manifestement
consenti à ce que la Cour statue sur cette action
comme s'il s'agissait d'un appel légitimement
formé relatif au caractère enregistrable du mot
«Superromance» sous le régime de l'alinéa 12(1)b),
la décision donnant lieu à un droit d'appel prévu à
l'article 56 n'a pas été rendue. Jusqu'à ce qu'elle
3 S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10.
ait été rendue, et à supposer qu'il s'agisse d'un
rejet, un appel ne peut être interjeté.
Il est évident que lors d'un appel, la Cour doit
attacher beaucoup d'importance à la décision du
registraire. Cette proposition a pour corollaire que
la décision du registraire est importante pour la
Cour sur le plan pratique en plus d'être une condi
tion préalable sur le plan juridique. Dans un sys-
tème jurisprudentiel où les précédents sont impéra-
tifs, la décision finale intéresse autant la Cour et le
public que les parties. Il existe maintenant bon
nombre d'éléments de preuve qui n'étaient pas
disponibles lorsque l'intimé a fait connaître son
intention. La Cour a droit au bénéfice de la déci-
sion de l'intimé à la lumière de ces éléments de
preuve avant qu'on lui demande de rendre elle-
même sa décision.
S'il s'était agi d'une demande formée sous le
régime de l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale, j'aurais rendu une ordonnance de man-
damus, et j'aurais adjugé à l'appelante ses dépens.
En l'occurrence, il est évident que les frais réelle-
ment engagés ne correspondent nullement à une
demande sommaire. Il sera rendu une ordonnance
enjoignant à l'intimé de reprendre l'examen de la
demande en partant du principe que sa décision de
considérer celle-ci comme abandonnée est nulle.
L'appelante devrait avoir la possibilité de soumet-
tre à l'appui de sa demande les documents supplé-
mentaires qu'on peut lui conseiller de soumettre.
Copies de ces motifs de jugement seront versées au
dossier des actions T-3213-82 et T-3214-82 et en
feront partie.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.