Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-2696-80
Smith, Kline & French Laboratories Limited, Smith, Kline & French Canada Ltd., Graham John Durant, John Colin Emmett et Charon Robin Ganellin (demandeurs)
c.
Procureur général du Canada (défendeur)
Division de première instance, juge Strayer— Ottawa, 6 et 28 octobre 1983.
Pratique Communication de documents et interrogatoire préalable Production de documents Privilège de la Couronne Les demandeurs sollicitent un jugement déclara- toire portant qu'ils ont droit aux bénéfices de certains brevets francs de toute licence obligatoire L'art. 41(4) de la Loi sur les brevets est-il inopérant parce qu'il contrevient à la Charte et que le Parlement n'avait pas la compétence pour l'adopter? Au cours de l'interrogatoire, on a posé des questions au représentant de la Couronne sur des documents relatifs au but poursuivi par les modifications apportées à la Loi Refus de répondre La Cour fédérale a ordonné qu'il réponde aux questions Le procureur général a obtenu du greffier du Conseil privé un certificat délivré conformément à l'art. 36.3(1) de la Loi sur la preuve au Canada et portant que les docu ments contiennent des renseignements confidentiels du Conseil privé Documents décrits en des termes généraux Requête en «radiations, du certificat La Cour n'est pas compétente pour le faire La requête n'a pas les formes requises pour obtenir un jugement déclaratoire Le certificat du greffier justifie-t-il la non-production? Examen des décisions rela tives au privilège de la Couronne Applicabilité des modifi cations apportées en 1982 à la Loi sur la preuve au Canada Les oppositions fondées sur le préjudice aux relations interna- tionales ou à la défense sont désormais soumises au contrôle judiciaire L'art. 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada contient une définition partielle des renseignements confiden- tiels du Conseil privé de la Reine Les critères énumérés à l'art. 36.3 constituent-ils simplement des directives adressées au greffier du Conseil privé ou servent-ils également de guide à la Cour pour déterminer si le certificat du greffier rend l'art. 36.3 applicable aux documents et les exempte donc de produc tion? Lorsque le Parlement a modifié la Loi sur la preuve au Canada, il avait l'intention de restreindre le pouvoir discré- tionnaire absolu de l'exécutif de refuser de révéler des docu ments qui dans d'autres circonstances seraient pertinents La Cour n'est pas convaincue que le certificat revendique le privilège dans les limites des restrictions existantes Le certificat n'affirme pas que les documents sont conformes aux exigences exposées à l'art. 36.3(2) Pour invoquer correcte- ment l'al. d), il faudrait affirmer que l'objet du document est lié à la prise des décisions du gouvernement ou à la formula tion de sa politique Pour s'appuyer sur l'al. e), le certificat devrait affirmer que les informations données aux ministres portaient sur des questions mentionnées dans cet alinéa Al. f) invoqué correctement Le certificat devrait mentionner la non-applicabilité des conditions de l'art. 36.3(4) Les tribu- naux ont droit à l'assurance que le greffier du Conseil privé a dûment pris en considération les critères et restrictions impo-
sés à l'exécutif par le Parlement Les documents devront être produits à moins qu'un certificat conforme aux exigences de l'art. 36.3 ne soit déposé dans les 30 jours Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 36.1, 36.2, 36.3, adoptés par S.C. 1980-81-82-83, chap. 1I1, art. 4 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 41(1),(2),(4) abrogé par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 3 Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, art. 41(4).
Il s'agit d'une requête interlocutoire dans une action par laquelle les demandeurs sollicitent des jugements déclaratoires portant qu'ils ont droit aux bénéfices de certains brevets francs de toute licence obligatoire découlant du paragraphe 41(4) de la Loi sur les brevets. La requête a été formulée comme une demande de «radiation» du certificat du greffier du Conseil privé délivré conformément au paragraphe 36.3(l) de la Loi sur la preuve au Canada. Le certificat porte que les documents visés étaient des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine et que le greffier s'opposait à leur divulgation. Les documents sont décrits en des termes généraux et une simple déclaration indique pour chaque document qu'il est visé par un des alinéas de la définition de renseignement confidentiel, au paragraphe 36.3(2). Le juge Addy avait ordonné auparavant au représentant de la Couronne de se présenter à un nouvel interrogatoire préalable pour répondre à certaines questions. Il faut déterminer d'abord si les critères et les restrictions prévus à l'article 36.3 constituent simplement des directives permet- tant au greffier du Conseil privé de décider s'il doit délivrer un certificat, ou s'ils servent en outre de guide au tribunal pour déterminer, lorsque la communication serait autrement néces- saire, si le certificat du greffier a rendu la protection de l'article 36.3 applicable aux renseignements et les exempte donc de production. Il faut déterminer, en deuxième lieu, si le certificat est conforme à l'article 36.3. Les demandeurs allèguent que le certificat est a priori défectueux car il ne respecte pas les critères et les restrictions de l'article 36.3. Le défendeur sou- tient qu'il n'est pas nécessaire que le greffier reprenne entière- ment le texte de la Loi pour montrer que le document est conforme à ses exigences mais qu'il suffit que le greffier certifie qu'il l'a examiné et qu'il est convaincu qu'il est visé par une ou plusieurs des définitions de «renseignement confidentiel». Par conséquent, en mentionnant des alinéas précis du paragraphe 36.3(2), le greffier montre qu'il a tenu compte des exigences de la loi et qu'il a jugé que les documents y étaient conformes. Le défendeur a en outre allégué qu'il est inutile de préciser que les documents ne sont pas visés par les exceptions au privilège prévues au paragraphe 36.3(4). Le défendeur prétend qu'à moins de pouvoir prouver, à partir de la preuve dûment soumise à la Cour, que les documents ne peuvent correspondre à la description contenue dans la Loi, le certificat est concluant.
Jugement: il est ordonné au défendeur de fournir les docu ments dont la production est demandée en réponse à certaines questions, à moins qu'il ne dépose un certificat en bonne et due forme dans un délai de 30 jours. La Cour n'est pas compétente pour connaître de la présente requête en «radiation» du certifi- cat pour cause de nullité. La délivrance du certificat par le greffier n'est pas une action susceptible d'examen au moyen de brefs de prérogative. Un jugement déclaratoire peut constituer un moyen approprié de faire l'examen judiciaire d'un tel certifi- cat, mais la présente action ne permettait pas d'obtenir un tel redressement. Toutefois, étant donné que le juge Addy avait déjà ordonné à la Couronne de répondre à certaines questions
exigeant la production de documents pour lesquels la Couronne, en déposant le certificat en cause, avait demandé un privilège de non-divulgation, il est question ici des procédures de commu nication des documents devant la Cour. La non-production des documents doit donc être justifiée devant la Cour. L'article 36.3 concerne seulement les oppositions à la divulgation d'un renseignement qui constitue un «renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada». Contrairement aux nouveaux articles 36.1 et 36.2 de la Loi sur la preuve au Canada, qui conservent et étendent l'application de la méthode consistant à peser le pour et le contre préconisée dans Conway v. Rimmer and Another, [1968] A.C. 910 (C.L.), et autrefois prescrite dans le paragraphe 41(1) de la Loi sur la Cour fédérale, l'article 36.3 conserve, en ce qui concerne une catégo- rie particulière de documents, les «renseignement[s] confiden- tiels] du Conseil privé de la Reine pour le Canada», l'approche restrictive adoptée dans l'arrêt Duncan and Another v. Cam- mell, Laird and Company, Limited, [1942] A.C. 624 (C.L.), et codifiée pour de nombreux documents fédéraux par le paragra- phe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale. La différence entre l'article 36.3 et le paragraphe 41(2) est que le paragraphe 41(2) ne contenait aucune définition de «renseignement confi- dentiel» alors que les paragraphes 36.3(2) et (3) en donnent une définition partielle. De plus, la règle empêchant la divulgation de documents, au paragraphe (1), est limitée par le paragraphe (4) qui prévoit qu'on ne peut refuser la divulgation de docu ments qui contiennent des renseignements confidentiels dont l'existence remonte à un moment déterminé ou dont le contenu a été rendu public. En présence d'un certificat en bonne et due forme provenant du greffier, la Cour ne peut aller au-delà du certificat et examiner les documents comme elle peut le faire en vertu des articles 36.1 et 36.2. L'opinion la plus répandue en common law est que les tribunaux devraient avoir un rôle à jouer, dans les cas pertinents, lorsqu'il s'agit de mettre en balance les intérêts publics respectifs. Bien que le Parlement n'ait pas permis aux tribunaux canadiens de jouer un rôle aussi important, il faut présumer qu'il était au courant de cette évolution de la common law lorsqu'il a adopté ses lois les plus récentes. Le Parlement avait l'intention de restreindre considé- rablement le pouvoir discrétionnaire absolu de l'exécutif de refuser de révéler des renseignements ou de produire des docu ments qui, dans d'autres circonstances, seraient pertinents pour une question soumise aux tribunaux. Le paragraphe 36.3(4) met également un frein au pouvoir discrétionnaire de l'exécutif. Le but des modifications à la Loi sur la preuve au Canada étant d'imposer des restrictions aux demandes de privilège présentées par l'exécutif, il est permis aux tribunaux de vérifier si un certificat, a priori, revendique un privilège dans les limites de ces restrictions. Ce n'est pas le cas du certificat dont il est question en l'espèce. Un certificat devrait clairement affirmer que le document est conforme aux exigences exposées aux alinéas du paragraphe 36.3(2). Le certificat en cause est égale- ment défectueux car il ne fait aucune mention du paragraphe 36.3(4). Bien qu'il ne soit pas nécessaire d'indiquer, pour chaque document, qu'il n'est pas visé par le paragraphe (4), il est cependant approprié d'ajouter une déclaration générale précisant la non-applicabilité du paragraphe 36.3(4). Les par ties et les tribunaux ont le droit de savoir que le greffier a dûment pris en considération les critères et restrictions imposés par le Parlement. Dans le contexte des alinéas d) et e) du paragraphe 36.3(2), le terme «document» est utilisé comme terme générique pour décrire diverses formes de communica-
tions ou de documents qui rapportent ou traduisent l'expression d'opinions, de renseignements concernant les affaires du Cabi net. Une lettre peut donc constituer le tout ou une partie d'un «document». L'expression «avant-projet de loi» contenue à l'ali- néa f) vise également les avant-projets de règlements.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Le procureur général de la province de Québec c. Blaikie, et autres, [1981] 1 R.C.S. 312.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Duncan and Another v. Cammell, Laird and Company, Limited, [ 1942] A.C. 624 (C.L.); Conway v. Rimmer and Another, [1968] A.C. 910 (C.L.); A.G. v. Jonathan Cape Ltd et al., [1975] 3 All E.R. 484 (Q.B.D.).
DÉCISIONS CITÉES:
Landreville c. La Reine, [1977] 1 C.F. 419 (1"e inst.); Le procureur général du Canada et autre c. Commission des droits de la personne, [1977] C.S. 47; (sub nom. Human Rights Commission v. A.G. of Canada), 134 D.L.R. (3d) 17 (C.S.C.); Carey v. The Queen in right of Ontario et al. (1983), 39 O.R. (2d) 273 (C.A.); United States v. Nixon, President of the United States, et al., 418 U.S. 683 (Sup. Ct. 1974); Sankey v. Whitlam et al. (1978), 142 C.L.R. 1 (H.C. Aust.); Gloucester Properties Ltd. et al. v. The Queen in right of British Columbia et al. (1981), 129 D.L.R. (3d) 275 (C.A. C.-B.); Smallwood c. Sparling, [1982] 2 R.C.S. 686; 44 N.R. 571; Goguen et autre c. Gibson, [1983] 1 C.F. 872.
AVOCATS:
R. G. McClenahan, c.r. et R. A. MacDonald pour les demandeurs.
D. H. Aylen, c.r. et J. P. Lordon pour le défendeur.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: Il s'agit d'une requête inter- locutoire présentée dans le cadre d'une action dans laquelle les demandeurs sollicitent divers juge- ments déclaratoires portant qu'ils ont droit aux bénéfices de certains brevets [TRADUCTION] «francs de toute licence obligatoire découlant de l'article 41(4) de la Loi sur les brevets ....» Le paragraphe 41(4) prévoit l'obtention obligatoire d'une licence pour les brevets portant sur des
médicaments et sur des procédés destinés à la préparation ou à la production de médicaments. Les demandeurs affirment dans leur déclaration amendée que le paragraphe 41(4) de la Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, est inopérant parce qu'il est contraire aux dispositions de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, chap. 44 [S.R.C. 1970, Appendice III], qu'il est nul et non avenu parce qu'il contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés, qui cons- titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), et que le Parlement du Canada n'avait pas la compétence pour l'adopter.
Pendant l'interrogatoire préalable de M. Gariepy, représentant de la Couronne à cette fin, les demandeurs ont posé certaines questions (numéros 289, 291 et 374) qui constituaient en réalité des demandes pour que la Couronne pro- duise toute la documentation relative au but pour- suivi par la modification de la Loi sur les brevets résultant de l'incorporation du paragraphe 41(4). (Ce paragraphe a été ajouté à la Loi sur les brevets par S.C. 1968-69, chap. 49, art. 1.) M. Gariepy a refusé de répondre à certaines questions et une demande a été présentée à la Cour pour obtenir une ordonnance lui enjoignant de se pré- senter à un nouvel interrogatoire préalable pour répondre à plusieurs questions. Le 6 juillet 1982, le juge Addy a rendu une telle ordonnance au sujet de plusieurs questions, dont notamment les ques tions numéros 289, 291 et 374 mentionnées plus haut [Cour fédérale, T-2696-80, jugement en date du 6 juillet 1982].
Depuis cette date, les avocats des parties ont échangé une correspondance abondante en ce qui a trait aux documents qui seraient pertinents pour répondre à ces questions. L'avocat du procureur général a produit de nombreux documents mais il a revendiqué un privilège de non-divulgation pour certains autres. Lorsque les demandeurs ont réclamé la divulgation de ces autres documents, l'avocat du procureur général a obtenu du greffier du Conseil privé un certificat censé avoir été déli- vré conformément au paragraphe 36.3(1) de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, tel qu'adopté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4. Le certificat porte que les documents énumérés dans son annexe [TRADUCTION] «con-
tiennent des renseignements confidentiels du Con- seil privé de la Reine pour le Canada» et que le greffier s'oppose à la divulgation de ces documents et des renseignements qu'ils contiennent. Le certi- ficat est daté du 15 septembre 1983. Son annexe contient une liste de 70 documents numérotés. Les documents ne sont pas identifiés mais ils sont seulement décrits en des termes très généraux; une déclaration indique pour chaque document, qu'il est visé par un ou plusieurs alinéas du paragraphe 36.3(2) de la Loi sur la preuve au Canada.
Dans leur requête adressée à la Cour, les demandeurs sollicitent la «radiation» du certificat du greffier du Conseil privé pour les motifs suivants:
[TRADUCTION] a) le certificat est nul parce qu'apparemment les documents qui y sont énumérés par le greffier du Conseil privé ne sont pas visés par l'article 36.3(2) de la Loi sur la preuve au Canada;
b) le certificat est nul parce que sa description des documents qui sont présumés y être décrits est insuffisante;
c) le certificat est nul parce qu'il ne décrit pas les documents avec suffisamment de détails pour permettre à la Cour de déterminer s'ils sont visés par l'article 36.3(2) ou l'article 36.3(4) de la Loi sur la preuve au Canada;
d) le certificat est nul parce que le greffier du Conseil privé a réclamé le privilège de la confidentialité pour des documents qui ne sont pas privilégiés.
Les demandeurs sollicitent aussi une ordonnance enjoignant au défendeur de produire les documents énumérés dans le certificat.
Il faut d'abord noter qu'il s'agit d'une demande de «radiation» du certificat. Je ne crois pas que la Cour soit compétente pour «radier» un tel certifi- cat. Même si le greffier avait correctement été mis en cause, je ne crois pas que la délivrance du certificat soit une action susceptible d'examen au moyen de l'un des brefs de prérogative. Un juge- ment déclaratoire peut constituer un moyen appro- prié de faire l'examen judiciaire du certificat, mais la présente action ne revêt pas les formes requises pour obtenir un jugement déclaratoire. L'avocat des demandeurs a été incapable de me citer un texte particulier qui permettrait à la Cour de radier le certificat.
Cependant, ce n'est pas tout. C'est du procédé de communication des documents utilisé devant la Cour dont il est question en l'espèce. Mon collègue le juge Addy a déjà rendu une ordonnance enjoi- gnant à la Couronne de répondre notamment aux
questions 289, 291 et 374, et à priori, ces questions exigent en réponse la production de documents administratifs relatifs au contexte de la modifica tion de la Loi sur les brevets. La Couronne a reconnu, en déposant le certificat du greffier du Conseil privé, qu'elle avait en sa possession 70 documents de ce genre. Ces documents n'ont pas été produits. Leur non-production doit être justi- fiée devant la Cour et la Couronne affirme qu'elle l'a fait en fournissant le certificat du greffier du Conseil privé. J'ai donc la responsabilité de m'as- surer que le certificat justifie la non-production des documents; pour ce faire, je dois m'assurer qu'il respecte la disposition de la loi autorisant la non-production, c'est-à-dire l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada, invoqué par la Couronne.
Il n'est pas nécessaire de refaire en détail l'histo- rique de l'évolution au cours des dernières décen- nies de la question du privilège (ou si l'on préfère, de l'immunité) de la Couronne en ce qui concerne la divulgation de documents dans des litiges civils. Cet historique a été repris en détail dans d'autres décisions: voir par exemple, Landreville c. La Reine, [1977] 1 C.F. 419 (lie inst.), aux pages 421 et 422; Le procureur général du Canada et autre c. Commission des droits de la personne, [1977] C.S. 47 66; (sub nom. Human Rights Commis sion v. A.G. of Canada), 134 D.L.R. (3d) 17 (C.S.C.), aux pages 24 26; Carey v. The Queen in right of Ontario et al. (1983), 39 O.R. (2d) 273 (C.A.).
La Chambre des lords a adopté une interpréta- tion très libérale du privilège de la Couronne dans Duncan and Another v. Cammell, Laird and Com pany, Limited, [1942] A.C. 624 (C.L.), elle a jugé qu'à toutes fins pratiques, les tribunaux accepteraient, sans examiner les documents en cause, l'affidavit d'un ministre portant que la divulgation de ces documents serait préjudiciable à l'intérêt public. Toutefois, cette interprétation a été grandement atténuée dans d'autres juridictions de common law et au Royaume-Uni même, dans une décision ultérieure de la Chambre des lords, Conway v. Rimmer and Another, [1968] A.C. 910 (C.L.), elle a jugé que lorsqu'un ministre pré- tend que la divulgation de documents porterait atteinte à l'intérêt public, les tribunaux peuvent examiner les documents afin de mettre en balance
l'intérêt public dans la non-divulgation et l'intérêt public dans l'administration de la justice pour laquelle la divulgation est demandée. On a affirmé que, malgré tout le respect que l'on doit accorder à l'opinion d'un ministre, en particulier dans les domaines il lui est plus facile de déterminer le dommage éventuel, le tribunal devrait prendre la décision finale. Il existe un rapport peut-être encore plus étroit entre l'espèce et une décision ultérieure de la division du Banc de la Reine, en Angleterre, dans A.G. v. Jonathan Cape Ltd et al., [1975] 3 All E.R. 484 (Q.B.D.), dans laquelle une injonction visant à mettre fin à la publication de documents du Cabinet datant d'environ dix ans a été refusée. Dans ce cas, le juge a lu certains documents avant de conclure qu'ils pouvaient être publiés.
Dans d'autres juridictions de common law, dont certaines provinces canadiennes, la tendance est également à ce que les tribunaux soient prêts à examiner, si nécessaire, les documents de la nature de communications confidentielles du Cabinet et à mettre en balance l'intérêt public dans la non- divulgation et l'intérêt public dans la bonne admi nistration de la justice. Voir par exemple: United States v. Nixon, President of the United States, et al., 418 U.S. 683 (Sup. Ct. 1974); Sankey v. Whitlam et al. (1978), 142 C.L.R. 1 (H.C. Aust.); Gloucester Properties Ltd. et al. v. The Queen in right of British Columbia et al. (1981), 129 D.L.R. (3d) 275 (C.A. C.-B.); Smallwood c. Sparling, [1982] 2 R.C.S. 686; 44 N.R. 571; et Carey v. The Queen in right of Ontario et al. (précité).
Peu après l'affaire Conway v. Rimmer and Ano ther, le Parlement du Canada a adopté la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, qui est entrée en vigueur en 1971. L'article 41 de la Loi traitait du champ d'application du privi- lège de la Couronne et de la procédure à suivre pour obtenir son application à des documents de la Couronne du chef du Canada. Le paragraphe 41(1) semblait suivre la façon d'aborder cette question adoptée dans Conway v. Rimmer and Another: en règle générale, lorsqu'un ministre de la Couronne certifiait par affidavit qu'un docu ment ne devrait pas être divulgué en raison d'un intérêt public spécifique, le tribunal en cause pou- vait examiner le document et mettre en balance les
intérêts afin de déterminer si le document devait être divulgué. Le paragraphe 41(2) suivait toute- fois l'approche de l'arrêt Cammell, Laird et s'ap- pliquait à une catégorie de documents large et imprécise. Ce paragraphe prévoyait que lorsqu'un ministre affirmait dans un affidavit que la produc tion ou la communication d'un document serait préjudiciable aux relations internationales, à la défense ou à la sécurité nationales ou aux relations fédérale-provinciales, ou dévoilerait une communi cation confidentielle du Conseil privé de la Reine pour le Canada, «le tribunal doit, sans examiner le document, refuser sa production et sa communica tion». En d'autres termes, il suffisait simplement d'un affidavit indiquant que le document entrait dans l'une de ces catégories pour que le tribunal ne puisse plus examiner le document. Comme l'a dit le juge Mahoney au sujet de ce paragraphe dans Landreville c. La Reine (précité) à la page 422:
Cet article exclut l'évolution au Canada d'un privilège de la Couronne en vertu duquel la décision finale relativement à la production dans un procès de documents pertinents relèverait d'un pouvoir judiciaire indépendant, plutôt que d'un pouvoir exécutif intéressé, reconnaissant que, dans les circonstances, le conflit ne met pas en cause l'intérêt public et l'intérêt privé mais deux intérêts publics.
Ce paragraphe restait très controversé et le Parle- ment a abrogé en totalité l'article 41 lorsqu'il a modifié la Loi sur la preuve au Canada en 1982 en y ajoutant les articles 36.1, 36.2 et 36.3. L'article 36.1, qui concerne les demandes de privilège de la Couronne pour des «renseignements», est en quel- que sorte équivalent à l'ancien paragraphe 41(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Il prévoit les procédures spéciales que doit suivre une cour supé- rieure ou la Division de première instance de la Cour fédérale lorsqu'elle examine les renseigne- ments et pèse le pour et le contre de leur divulga- tion. L'article 36.2 englobe une grande partie du domaine sur lequel portait auparavant le paragra- phe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale car il traite des oppositions à la divulgation de renseigne- ments pour le motif que la divulgation porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales. Il appartient au juge en chef de la Cour fédérale ou à tout autre juge de cette Cour qu'il désigne de se prononcer sur l'opposition présentée. Apparemment, il peut examiner la nature de l'opposition et celle des renseignements et décider si l'opposition est bien fondée. Voir Goguen et autre c. Gibson, précité,
page 872. Ainsi, les oppositions fondées sur le préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales sont soumises à un certain contrôle judiciaire alors qu'elles ne l'étaient pas sous le régime des dispositions anté- rieures du paragraphe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale.
L'article 36.3 concerne seulement les oppositions à la divulgation d'un renseignement qui constitue un «renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada». Voici le libellé de cet article:
36.3 (1) Le tribunal, l'organisme ou la personne qui ont le pouvoir de contraindre à la production de renseignements sont, dans les cas un ministre de la Couronne ou le greffier du Conseil privé s'opposent à la divulgation d'un renseignement, tenus d'en refuser la divulgation, sans l'examiner ni tenir d'audition à son sujet, si le ministre ou le greffier attestent par écrit que le renseignement constitue un renseignement confi- dentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada.
(2) Pour l'application du paragraphe (1), «un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada» s'entend notamment d'un renseignement contenu dans:
a) une note destinée à soumettre des propositions ou recom- mandations au Conseil;
b) un document de travail destiné à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques à l'examen du Conseil;
c) un ordre du jour du Conseil ou un procès-verbal de ses délibérations ou décisions;
d) un document employé en vue ou faisant état de communi cations ou de discussions entre ministres de la Couronne sur des questions liées à la prise des décisions du gouvernement ou à la formulation de sa politique;
e) un document d'information à l'usage des ministres de la Couronne sur des questions portées ou qu'il est prévu de porter devant le Conseil, ou sur des questions qui font l'objet des communications ou discussions visées à l'alinéa d);
J) un avant-projet de loi.
(3) Pour l'application du paragraphe (2), «Conseil» s'entend du Conseil privé de la Reine pour le Canada, du Cabinet et de leurs comités respectifs.
(4) Le paragraphe (1) ne s'applique pas:
a) à un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada dont l'existence remonte à plus de vingt ans;
b) à un document de travail visé à l'alinéa (2)b), dans les cas les décisions auxquelles il se rapporte ont été rendues publiques ou, à défaut de publicité, ont été rendues quatre ans auparavant.
Sans faire de comparaison détaillée des modifi cations de la Loi sur la preuve au Canada et de l'ancien article 41 de la Loi sur la Cour fédérale, on peut noter que dans l'ensemble, les nouveaux articles 36.1 et 36.2 de la Loi sur la preuve au Canada conservent, et étendent, l'application de la méthode consistant à «peser le pour et le contre» qui était préconisée dans l'arrêt Conway v. Rimmer and Another et prescrite dans le paragra- phe 41(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Toute- fois, l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada conserve en grande partie, en ce qui con- cerne une catégorie particulière de documents, les «renseignement[s] confidentiel[s] du Conseil privé de la Reine pour le Canada», l'approche restrictive adoptée dans l'arrêt Cammell, Laird et codifiée pour de nombreux documents fédéraux au Canada par le paragraphe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale. Mais il est important de noter que le paragraphe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale prévoyait simplement que, lorsqu'un ministre certi- fiait par un affidavit que la production ou la communication d'un document «dévoilerait une communication confidentielle du Conseil privé de la Reine pour le Canada» (aucune définition de «communication confidentielle» n'était donnée), le tribunal devait alors, sans examiner le document, en refuser la production ou la communication. L'article 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada contient toutefois aux paragraphes (2) et (3) une définition partielle des renseignements confiden- tiels, et l'application de la règle empêchant la divulgation de documents, au paragraphe (1), est limitée par le paragraphe (4). Ce paragraphe pré- voit en effet qu'on ne peut refuser la divulgation de renseignements confidentiels dont l'existence remonte à plus de vingt ans ou de documents de travail qui ont entraîné des décisions qui ont été rendues publiques ou, à défaut de publicité, ont été rendues quatre ans auparavant.
Il me semble que la question essentielle en l'es- pèce est de déterminer si l'on doit considérer que les critères et les restrictions concernant la non- divulgation des renseignements confidentiels du Cabinet constituent simplement, comme l'allègue l'avocat du procureur général du Canada, des directives permettant au greffier du Conseil privé de décider s'il doit délivrer un certificat, ou si ces critères et restrictions servent en outre de guide au tribunal pour déterminer, dans un cas la com-
munication serait autrement nécessaire, si un certi- ficat du greffier du Conseil privé a rendu la protec tion de l'article 36.3 applicable aux rensei- gnements et les exempte donc de production au cours des procédures dont la cour est saisie.
En demandant que le certificat soit considéré comme nul, l'avocat des demandeurs (requérants) défend manifestement la dernière interprétation, de sorte que le tribunal peut examiner la forme du certificat et vérifier s'il respecte les critères et les restrictions de l'article 36.3. L'avocat soutient que le certificat était défectueux pour plusieurs raisons. Le paragraphe 3 du certificat porte que [TRADUC- TION] «pour les motifs exposés dans l'annexe jointe aux présentes, tous les documents qui y sont men- tionnés ... contiennent des renseignements qui constituent des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada». L'an- nexe contient une liste de 70 documents mais ne donne aucun détail concernant leurs dates, leurs titres, leurs auteurs, leurs destinataires, etc. La première inscription en est un exemple typique:
[TRADUCTION] 1. Le document 1 est la copie d'une note destinée à informer un ministre de la Couronne et est, par conséquent, visé par l'alinéa 36.3(2)e) de la Loi sur la preuve au Canada.
L'avocat des demandeurs (requérants) allègue que le certificat renvoie à l'annexe pour justifier l'affir- mation que le document constitue un renseigne- ment confidentiel du Conseil privé de la Reine, et qu'une déclaration comme celle contenue dans la première inscription ne réclame pas correctement le privilège prescrit à l'article 36.3. Il soutient, au sujet de documents comme celui-là, que la catégo- rie de renseignements confidentiels définis à l'ali- néa 36.3(2)e) par les termes mêmes de la loi se limite aux documents d'information à l'usage des ministres «sur des questions portées ou qu'il est prévu de porter devant le Conseil», ou que ces renseignements sont des documents faisant état de communications ou de discussions mentionnées à l'alinéa d) «sur des questions liées à la prise des décisions du gouvernement ou à la formulation de sa politique». La description du premier document, dans le certificat, ne précise pas l'objet des infor- mations données. L'avocat fait valoir qu'on pour- rait rédiger une note pour informer un ministre sur toutes sortes de questions n'ayant rien à voir avec celles portées devant le Cabinet ni avec la prise des décisions du gouvernement ni avec la formulation de sa politique.
Un autre exemple de l'opposition des requérants au certificat concerne la description du troisième document:
[TRADUCTION] 3. Le document 3 est la copie d'une note adressée au Conseil et est, par conséquent, visé par l'alinéa 36.3(2)a) de la Loi sur la preuve au Canada.
L'avocat souligne que le domaine d'application de «renseignement confidentiel» à l'alinéa a) invoqué ici, se limite à «une note destinée à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil». Le greffier du Conseil privé s'est contenté d'affirmer dans cette description qu'il s'agit de la copie d'une «note adressée au Conseil» qui «par conséquent» donne droit à l'application du privilège. Il ne déclare pas que la note était destinée à présenter des propositions ou des recommandations au Con- seil. Je crois qu'il est inutile, à ce moment-ci, d'entrer dans les détails des autres objections sou- levées contre le certificat.
L'avocat du procureur général du Canada sou- tient, en fait, qu'il n'est pas nécessaire que le greffier du Conseil privé reprenne entièrement le texte de la Loi pour montrer que le document est conforme à ses exigences. Il suffit que le greffier certifie qu'il l'a examiné et qu'il est convaincu qu'il est visé par une ou plusieurs des définitions de «renseignement confidentiel». En mentionnant des alinéas particuliers du paragraphe 36.3(2), le gref- fier montre qu'il a tenu compte des exigences de la loi et il faut conclure qu'il a jugé que les docu ments étaient conformes à ces exigences. De même, il ne lui est pas nécessaire de préciser que les documents ne sont pas visés par les exceptions au privilège contenues au paragraphe 36.3(4). L'avocat affirme qu'à moins de pouvoir prouver, à partir de la preuve dûment soumise à la Cour, que les documents ne peuvent correspondre à la des cription contenue dans la Loi, le certificat est concluant. En l'absence d'une telle preuve, nous devons, dit-il, admettre que l'opinion du greffier est probante.
Il ressort du paragraphe 36.3(1) qu'en présence d'un certificat en bonne et due forme provenant du greffier du Conseil privé et s'opposant à la divulga- tion de renseignements devant le tribunal, ce der- nier ne peut aller au-delà du certificat et examiner les documents comme il peut le faire en vertu des articles 36.1 et 36.2 de la Loi sur la preuve au Canada. Comme je l'ai déjà fait remarquer, il
existe des précédents à ce genre d'exclusion des tribunaux en faveur du pouvoir exécutif dans la décision concernant la divulgation de documents ou de renseignements. L'histoire du privilège de la Couronne indique aussi, toutefois, que l'opinion la plus répandue maintenant en common law est que les tribunaux devraient avoir un rôle à jouer, dans les cas pertinents, lorsqu'il s'agit de mettre en balance les intérêts publics respectifs. Bien que le Parlement du Canada n'ait pas permis aux tribu- naux canadiens de jouer un rôle aussi important en ce qui concerne les documents et les renseigne- ments de l'administration fédérale, il faut présu- mer qu'il était au courant de cette évolution de la common law lorsqu'il a adopté ses lois les plus récentes. Cela laisse supposer que lorsque le Parle- ment a modifié la Loi sur la preuve au Canada, il avait l'intention de restreindre considérablement le pouvoir discrétionnaire absolu de l'exécutif de refuser de révéler des renseignements ou de pro- duire des documents qui, dans d'autres circons- tances, seraient pertinents pour une question sou- mise aux tribunaux. C'est certainement pour ce motif que le Parlement a cherché, pour la première fois, à fournir au moins une définition partielle de ce qu'est un renseignement confidentiel du Cabi net. Bien que la définition contenue au paragraphe 36.3(2) ne soit pas censée être exhaustive, il est difficile d'imaginer qu'on pourrait considérer que les documents qui sont implicitement mais mani- festement exclus des catégories de documents qui y sont énumérées sont encore visés par l'expression générale «renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine». En l'espèce, le greffier du Conseil privé invoque pour chacun des 70 docu ments une des définitions particulières contenues dans les divers alinéas du paragraphe 36.3(2) et il ne prétend pas qu'ils entrent de quelque autre manière que ce soit dans le champ d'application de la catégorie générale des «renseignement[s] confi- dentiel[s] du Conseil privé de la Reine pour le Canada».
Il semble que le Parlement a également voulu mettre un frein au pouvoir discrétionnaire de l'exé- cutif au moyen du paragraphe 36.3(4) qui dit, en fait, que même si, dans certains cas, des renseigne- ments peuvent correspondre à la définition de ren- seignements confidentiels du Cabinet, ils ne sont pas privilégiés et ne peuvent faire l'objet d'un certificat du greffier du Conseil privé. Il s'agit
d'une autre différence importante avec le paragra- phe 41(2) de la Loi sur la Cour fédérale qui accordait à l'exécutif un pouvoir discrétionnaire absolu pour présenter une demande de privilège non susceptible d'examen au sujet de toute com munication confidentielle du Conseil privé de la Reine pour le Canada, même si elle remontait à très longtemps et même si son contenu était connu de longue date.
Il semble donc que le but de ces modifications était, du moins en partie, d'imposer des restrictions aux demandes de privilège présentées par l'exécu- tif. Ces restrictions étant imposées expressément par la loi, il est certainement permis à un tribunal de vérifier si le certificat, à priori, revendique un privilège dans les limites de ces restrictions.
Je ne suis pas convaincu qu'il en est ainsi. Lorsqu'on prétend dans le certificat, en se fondant sur les définitions contenues dans les divers alinéas du paragraphe 36.3(2), qu'un document est un renseignement confidentiel, il faudrait clairement affirmer que le document est conforme aux exigen- ces exposées dans ces alinéas. Par exemple, lors- qu'on y invoque l'alinéa a), il faudrait indiquer que la note adressée au Conseil était destinée à lui soumettre des propositions ou des recommanda- tions. On n'y a pas recours à l'alinéa b) et il semble qu'on ait invoqué correctement l'alinéa c). En revanche, le recours à l'alinéa d) ne remplit pas cette condition. Un exemple typique de cet emploi est le document 22 du certificat qui dit:
[TRADUCTION] 22. Le document 22 est la copie d'une lettre échangée entre des ministres de la Couronne et est, par consé- quent, visé par l'alinéa 36.3(2)d) de la Loi sur la preuve au Canada.
Dans le texte de la loi, l'alinéa d) est soigneuse- ment limité aux «communications ou ... discus sions entre ministres de la Couronne sur des ques tions liées à la prise des décisions du gouvernement ou à la formulation de sa politique». Il ne vise pas les communications concernant des événements sociaux, des affaires personnelles, etc. Le certificat se borne à affirmer que le document en question est une lettre échangée entre des ministres et une telle affirmation ne suffit pas pour déterminer si le document peut légalement être protégé par le pri- vilège. Par conséquent, pour invoquer correcte- ment l'alinéa d), il faudrait affirmer que l'objet de ce document est lié à la prise des décisions du gouvernement ou à la formulation de sa politique.
De même, la formulation utilisée pour décrire le document 1 (voir plus haut) n'invoque pas correctement l'alinéa e). Pour s'appuyer sur l'ali- néa e), le certificat devrait affirmer que les infor- mations données aux ministres portaient sur des questions mentionnées dans cet alinéa.
Je crois que le certificat invoque correctement l'alinéap à l'égard du document 11:
[TRADUCTION] I1. Le document 11 est le dossier de rédac- tion législative 213000-52 qui contient divers avant-projets de modifications et les directives qui s'y rattachent et des notes des discussions tenues à ce sujet, et est, par conséquent, visé par l'alinéa 36.3(2)f) de la Loi sur la preuve au Canada.
L'avocat des requérants soutient que cette descrip tion se rapporte à des documents autres que des avant-projets, qui ne sont donc pas visés par l'ex- pression «avant-projet de loi», mais il me semble qu'il est impossible de séparer les directives sur la rédaction et les notes des discussions sur la rédac- tion de l'avant-projet de loi lui-même. Divulguer les documents connexes équivaudrait très proba- blement à révéler le contenu de l'avant-projet. On peut dire la même chose des descriptions des docu ments 51, 52 et 53. L'avocat des requérants a également soulevé une objection au sujet de la description du document 50 qui concerne des [TRADUCTION] «avant-projets de règlements». Il soutient que les règlements ne sont pas des lois et que, par conséquent, ils ne peuvent constituer des «avant-projets de loi» au sens de l'alinéa f). Je rejette cette objection. Les règlements constituent une forme de législation déléguée. Il est évident que le but recherché par le privilège de confiden- tialité des avant-projets de lois est le même lors- qu'il s'agit de la non-divulgation des avant-projets de règlements. Voir Le procureur général de la province de Québec c. Blaikie, et autres, [1981] 1 R.C.S. 312, aux pages 319 321.
Je crois que le certificat est défectueux pour une autre raison; en effet, il ne fait aucune mention du paragraphe 36.3(4) qui prévoit des exceptions au privilège de non-divulgation des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'indiquer, pour chaque document, qu'il n'est pas visé par le para- graphe (4), mais j'estime cependant que le greffier du Conseil privé devrait ajouter une déclaration générale précisant qu'aucun des renseignements confidentiels en cause ne date de plus de vingt ans et que, par conséquent, l'alinéa (4)a) est inapplica-
ble, et indiquant aussi qu'aucun des documents n'est un document de travail (ce qui semble être le cas en l'espèce) ou, dans les cas il s'agit de documents de travail, qu'aucun d'eux n'est visé par la description contenue à l'alinéa (4)b). En l'es- pèce, cependant, les parties reconnaissent qu'aucun des renseignements confidentiels en cause n'a plus de vingt ans et, en outre, qu'il n'y a apparemment parmi ceux-ci aucun document de travail. Toute- fois, pour des motifs que je vais exposer mainte- nant, je pense que le certificat devrait contenir une mention de ce genre au sujet de la non-applicabi- lité des conditions énoncées au paragraphe 36.3(4).
Les exigences que je viens d'exposer quant à la formulation d'un certificat peuvent sembler trop formalistes pour certains. Comme l'a allégué la Couronne en l'espèce, on ne m'a soumis aucune preuve démontrant que les documents énumérés dans le certificat ne respectent pas les critères de la loi, bien qu'ils ne soient pas correctement décrits comme respectant toutes ces exigences. Néan- moins, compte tenu des changements que le Parle- ment du Canada a apporté au droit de façon à imposer à l'exécutif certains critères et restrictions dans sa revendication du privilège au moyen d'un certificat non susceptible d'examen, les parties et les tribunaux ont droit au moins à l'assurance que le greffier du Conseil privé a dûment pris en considération ces critères et ces restrictions. Dans sa forme actuelle, le certificat est défectueux car il n'indique pas à tous égards que le greffier les a effectivement pris en compte.
Les requérants ont soulevé une autre objection qui, à mon avis, ne peut être retenue. Ils ont soutenu que le terme «document» aux alinéas d) et e) du paragraphe 36.3(2) n'inclut pas une lettre échangée entre des ministres, adressée aux minis- tres ou en provenant, ni une lettre portant sur des discussions des ministres. Bien que, dans le lan- gage courant, on ne puisse dire qu'une lettre est un «document», il semble que dans le contexte des alinéas d) et e), le terme «document» est utilisé comme terme générique pour décrire diverses formes de communications ou de documents qui rapportent ou traduisent l'expression d'opinions, de renseignements, etc., concernant les affaires du Cabinet. En ce sens, une lettre peut constituer le tout ou une partie d'un «document».
ORDONNANCE
Il est ordonné par les présentes que le défendeur fournisse aux demandeurs les documents dont la production est demandée en réponse aux questions numéros 289, 291 et 374 de l'interrogatoire préala- ble du représentant du défendeur, tel que requis par l'ordonnance du juge Addy, datée du 6 juillet 1982, dans les trente jours de la date de la présente ordonnance ou dans tout autre délai dont les par ties peuvent convenir, à moins que le défendeur ne dépose avant l'expiration de ce délai un certificat en bonne et due forme comme l'exige l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.