Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-878-83
Donald Demaere (requérant) c.
La Reine du chef du Canada représentée par le Conseil du Trésor (intimée)
Cour d'appel, juges Urie, Ryan et Hugessen— Ottawa, 24, 25 janvier et 20 février 1984.
Droit constitutionnel Charte des droits Liberté de circulation et d'établissement Demande d'examen et d'an- nulation de la décision d'un comité d'appel rejetant l'appel interjeté par le requérant au sujet de la nomination d'une autre personne à un poste à Vancouver L'art. 13 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique confire à la Commission le droit de déterminer la région d'un concours Seuls les employés de la région du Pacifique et de l'Institut de forma tion de Transports Canada à Cornwall étaient admissibles au concours Le requérant était employé en Colombie-Britanni- que mais dans la région ouest Violation prima facie du droit du requérant «de gagner [sa] vie dans toute province» prévu à l'art. 6(2)b) de la Charte L'art. 6(2) reconnaît le droit de se déplacer dans tout le pays, de résider et de travailler dans toute province Interprétation conciliant les différences des textes anglais et français et compatible avec un document du gouvernement, publié à l'époque des débats sur la constitution, prouvant de façon convaincante le problème auquel on cherchait à apporter une solution Le droit prévu à l'art. 6(2)6) est restreint par la clause dérogatoire de l'art. 6(3) Les quatre conditions de l'art. 6(3) sont remplies L'art. 6(3) est manifestement une «loi» Les deux critères dégagés dans la décision de la C.S.C. dans Kruger relative- ment à !'«application générale» d'une loi sont respectés L'expression «en vigueur dans une province donnée» vise les lois fédérales Distinction faite avec la décision de la C.S.C. dans The Queen v. George, [1966] R.C.S. 267 Aucune discrimination fondée sur la province de résidence étant donné que l'exclusion a eu lieu en raison de la région de l'emploi Demande fondée sur l'art. 28 rejetée Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28 Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 6, 32, 52 Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32, art. 13a), 21 Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, chap. 149, art. 87.
Fonction publique Concours restreint tenu pour un poste de contrôleur aérien à Vancouver Vancouver est située dans la région administrative du Pacifique Le requérant était en poste en Colombie-Britannique mais a été exclu parce qu'il était employé dans la région ouest L'exclusion violait-elle l'art. 6(2) de la Charte des droits? Droit de gagner sa vie dans toute province L'exclusion constitue prima facie une violation d'un droit Les droits prévus à l'art. 6(2) sont subordonnés selon l'art. 6(3)a) aux lois et usages d'application générale en vigueur dans une province donnée L'art. 13a) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique confire à la C.F.P. le droit de déterminer la région les postulants sont tenus de résider afin d'être admissibles à une nomination Une loi fédérale est une loi «en vigueur dans une province
donnée» Demande fondée sur l'art. 28 rejetée Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32, art. 13 Charte canadienne des droits et libertés, qui consti- tue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe.B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 6 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
Lois Interprétation Règles d'interprétation Appli cation de la règle selon laquelle les dispositions d'une loi doivent être interprétées en vertu du contexte Textes anglais et français comparés et rendus compatibles Un document publié par le gouvernement fédéral à l'époque des débats sur la constitution permet de déterminer le «problème» auquel on cherchait à apporter une solution grâce à l'art. 6 Les deux critères dégagés par la C.S.C. dans l'arrêt Kruger permettant de déterminer si une loi provinciale est une loi «d'application générale», ont été appliqués Distinction faite avec la déci- sion de la C.S.C. dans l'arrêt George qui porte que l'expression «en vigueur dans une province» vise les lois provinciales Aucune disposition ne mentionne précisément les lois fédérales contrairement au texte de la loi examinée dans l'arrêt George L'emploi des termes était justifié puisqu'il est possible que des lois fédérales soient en vigueur dans certaines provinces seulement.
Demande d'examen et d'annulation de la décision d'un comité d'appel rejetant l'appel interjeté par le requérant au sujet de la nomination à Vancouver d'un contrôleur aérien à la suite d'un concours restreint. Le requérant est contrôleur aérien, en poste dans le nord-est de la Colombie-Britannique qui fait partie de la région ouest. En vertu du pouvoir de déterminer la région des concours conféré à la Commission de la Fonction publique par l'article 13 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, un concours auquel seuls les employés de la région du Pacifique et de l'Institut de formation de Trans ports Canada à Cornwall étaient admissibles a été tenu pour pourvoir à un poste dans la région du Pacifique. La candidature du requérant n'a pas été examinée. Il s'agit de savoir si le droit du requérant «de gagner [sa] vie dans toute province» garanti par l'alinéa 6(2)b) de la Charte a été violé en raison du caractère restreint du concours.
Arrêt: la demande fondée sur l'article 28 est rejetée. Le paragraphe 6(2) n'est pas simple et le fait qu'il existe des différences importantes entre ses textes anglais et français le rend encore plus compliqué. L'alinéa 6(2)b) du texte anglais parle du droit «to pursue the gaining of a livelihood» dans toute province alors que le texte français parle du droit «de gagner [sa] vie dans toute province». Dans l'arrêt Re Skapinker and Law Society of Upper Canada (1983), 145 D.L.R. (3d) 502, les juges de la majorité de la Cour d'appel de l'Ontario étaient d'avis que l'alinéa 6(2)b) signifie un droit au travail qui n'est pas limité aux «personnes qui se déplacent». Selon l'opinion minoritaire exprimée, ce droit «n'a de sens que lorsque la personne désire aller s'installer dans une autre province». L'in- terprétation du paragraphe 6(2) qui permet de concilier au mieux les deux textes, tout en respectant son contexte, est qu'il confère le droit d'aller s'installer, de résider et d'être admis sur le marché du travail partout au Canada. Cette interprétation est également compatible avec un document publié par le gouvernement fédéral en 1980, à l'époque des débats sur la constitution, et qui prouve de façon convaincante que le «pro- blème» auquel on cherchait à apporter une solution par l'article
6 ne résultait pas simplement des entraves restreignant la circulation de la main-d'œuvre entre les provinces mais égale- ment de toutes les entraves de ce genre à l'intérieur du pays, qu'on les trouve et quel que soit le niveau de gouvernement qui les établisse. L'exclusion du requérant du concours constituait prima facie une violation de son droit à chercher un emploi n'importe au Canada. Les droits garantis par le paragraphe 6(2) sont cependant subordonnés au paragraphe 6(3). Quatre conditions doivent être réunies pour que l'exception prévue à l'alinéa 6(3)a) l'emporte sur les droits accordés par le paragra- phe 6(2). La disposition dérogatoire doit être contenue dans une «loi ou un usage». La Loi sur l'emploi dans la Fonction publique est une loi. La loi doit être une loi «d'application générale». Dans Kruger et autre c. Sa Majesté La Reine, la C.S.C. a statué qu'une loi est «d'application générale» lors- qu'elle a une portée uniforme sur tout le territoire et que son objet et son intention ne sont pas «relatifs à» un groupe de citoyens. La Loi sur l'emploi dans la Fonction publique res- pecte ces deux critères. La troisième condition est que la loi doit être «en vigueur dans une province donnée». En se fondant sur la décision de la C.S.C. dans l'arrêt Her Majesty The Queen v. George, [1966] R.C.S. 267, le requérant allègue que cette expression restreint l'application de la disposition dérogatoire aux lois provinciales et ne vise pas du tout les lois fédérales. Dans l'arrêt George, l'expression «toutes lois d'application géné- rale et en vigueur, à l'occasion, dans une province» ne visait pas les lois fédérales. Toutefois, le texte législatif dont il était question en l'occurrence commençait comme suit: «Sous réserve ... de quelque autre loi du Parlement du Canada.» Il résultait de cette mention spécifique des lois fédérales que, lorsqu'on parlait de lois d'application générale en vigueur dans une province, on ne visait pas les lois fédérales. Le paragraphe 6(3) ne contient pas de disposition restrictive de ce genre. Les termes «lois ... en vigueur dans une province donnée» ont un sens assez large pour comprendre les lois fédérales. L'emploi de ces termes est justifié puisqu'il est possible que des lois fédérales soient en vigueur dans certaines provinces seulement. Par conséquent, toute violation des droits accordés au requérant par le paragra- phe 6(2) est justifiée par les dispositions de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. La quatrième condition est qu'«une telle loi ou un tel usage ne doit établir entre les personnes aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle». La condition iv) est remplie. Le requérant n'a pas été exclu du concours parce qu'il résidait en Colombie-Britannique mais parce qu'il résidait et travaillait dans une partie de cette province qui n'est pas située dans la région du Pacifique.
JURISPRUDENCE DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Kruger et autre c. Sa Majesté La Reine, [1978] 1 R.C.S. 104; Sa Majesté La Reine c. Compagnie Immobilière BCN Limitée, [1979] 1 R.C.S. 865.
DÉCISION ÉCARTÉE:
Re Skapinker and Law Society of Upper Canada (1983), 145 D.L.R. (3d) 502.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Her Majesty The Queen v. George, [1966] R.C.S. 267.
AVOCATS:
Catherine H. MacLean et Douglas Brown
pour le requérant.
John M. Sims pour l'intimée.
PROCUREURS:
Nelligan/Power, Ottawa, pour le requérant. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE RYAN: J'ai eu l'avantage de lire les motifs du jugement du juge Hugessen dans les- quels il expose les faits et cite les dispositions pertinentes de la loi et de la Charte. Comme lui, j'estime que la demande présentée en vertu de l'article 28 devrait être rejetée.
L'alinéa 6(2)b) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] garantit aux citoyens canadiens et aux personnes ayant le statut de résidents permanents le droit «de gagner leur vie dans toute province.» Ce droit est cependant subordonné à l'alinéa 6(3)a) de la Charte. Lorsqu'ils sont considérés en corrélation, les alinéas 6(2)b) et 6(3)a) ont pour effet de protéger un citoyen canadien ou un résident per manent contre la suppression de son droit à gagner sa vie dans toute province par une loi ou un usage en vigueur dans la province, ou par une loi ou un usage fédéral en vigueur dans la province qui ne serait pas conforme aux dispositions de l'alinéa 6(3)a). Pour que l'alinéa 6(3)a), s'applique, il faut que la loi ou l'usage soit d'application générale et n'établisse «entre les personnes» aucune distinction «fondée principalement sur la province de rési- dence antérieure ou actuelle». Le droit garanti par l'alinéa 6(2)b) de la Charte est évidemment subor- donné en outre à la réserve énoncée à l'article 1 de la Charte par l'expression «ne peuvent être res- treints que par». Je soulignerais également que les droits énoncés au paragraphe 6(2) sont subordon- nés à l'alinéa 6(3)b) ainsi qu'à l'alinéa 6(3)a), et qu'il faut lire les paragraphes 6(2) et 6(3) en corrélation avec le paragraphe 6(4); toutefois, seul l'alinéa 6(3)a) est pertinent en l'espèce.
Le requérant a allégué en fait que la restriction apportée à son admissibilité comme candidat au concours, contenue dans la disposition portant que seuls les employés de la région du Pacifique et de l'Institut de formation de Transports Canada à Cornwall étaient admissibles audit concours, l'a privé de son droit de gagner sa vie en Colombie- Britannique en occupant un meilleur poste. Cette restriction était en réalité la détermination de la partie de la Fonction publique les candidats devaient être employés pour être admissibles au concours. Cette détermination était permise par l'article 13 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique [S.R.C. 1970, chap. P-32] et a été faite en vertu d'un règlement et conformément à un manuel du personnel du ministère des Transports. Cette restriction n'a établi «entre les personnes aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle». Le fait que cette détermination ait eu certains effets en matière de résidence ne change rien à son objectif principal.
Pour les motifs exposés par le juge Hugessen, je conclus également que la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique est une loi d'application géné- rale, au sens qu'ont ces termes à l'alinéa 6(3)a) de la Charte, en vigueur en Colombie-Britannique, province le requérant travaillerait s'il avait été nommé au poste qui faisait l'objet du concours; cette Loi est en réalité une loi fédérale applicable partout au Canada. La restriction dont le requé- rant s'est plaint était donc permise par une loi visée par l'alinéa 6(3)a) de la Charte. Le droit prévu par la Charte, dont il a revendiqué l'exer- cice, était subordonné à cette loi.
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Cette demande fondée sur l'article 28 soulève carrément la question de la portée de l'article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés et, en particulier, de ses paragra- phes 6(2) et 6(3). Elle nécessite également l'exa- men par la Cour des interprétations contradictoi- res dont le paragraphe 6(2) a fait l'objet devant la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Re Ska- pinker and Law Society of Upper Canada (1983),
145 D.L.R. (3d) 502, dont le pourvoi en Cour suprême du Canada doit être entendu sous peu.
L'appelant est contrôleur aérien, en poste à Fort St. John qui est situé à l'extrémité nord-est de la Colombie-Britannique. Aux fins administratives, Fort St. John est situé dans la région ouest de l'Administration canadienne de la circulation aérienne.
Au printemps 1983, un concours restreint a été tenu pour un poste de contrôleur aérien à Vancou- ver. Vancouver est situé, du point de vue adminis- tratif, dans la région du Pacifique de l'Administra- tion canadienne de la circulation aérienne. Les modalités mêmes du concours prévoyaient que seuls les employés de la région du Pacifique et de l'Institut de formation de Transports Canada à Cornwall y étaient admissibles. Par conséquent, M. Demaere a été exclu du concours et sa candida- ture n'a pas été examinée. L'appel qu'il a interjeté à un comité d'appel en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32, a été rejeté, et c'est pourquoi il a présenté une demande fondée sur l'article 28.
Le seul moyen invoqué à l'appui de la demande consiste à dire que les droits accordés au requérant par le paragraphe 6(2) de la Charte des droits ont été violés parce que le caractère restreint du con- cours l'empêche de gagner sa vie comme contrô- leur aérien à Vancouver.
Voici le texte de l'article 6 de la Charte des droits:
6. (1) Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir.
(2) Tout citoyen canadien et toute personne ayant le statut de résident permanent au Canada ont le droit:
a) de se déplacer dans tout le pays et d'établir leur résidence dans toute province;
b) de gagner leur vie dans toute province.
(3) Les droits mentionnés au paragraphe (2) sont subordonnés:
a) aux lois et usages d'application générale en vigueur dans une province donnée, s'ils n'établissent entre les personnes aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle;
b) aux lois prévoyant de justes conditions de résidence en vue de l'obtention des services sociaux publics.
(4) Les paragraphes (2) et (3) n'ont pas pour objet d'inter- dire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer, dans
une province, la situation d'individus défavorisés socialement ou économiquement, si le taux d'emploi dans la province est inférieur à la moyenne nationale.
Le paragraphe 6(2) n'est pas simple, et le fait qu'il existe des différences importantes entre ses textes anglais et français le rend encore plus com- pliqué. Les deux textes disent que les droits men- tionnés sont accordés aux citoyens canadiens et aux personnes ayant le statut de résidents perma nents au Canada, mais l'alinéa a) du texte anglais reconnaît le droit «to move to ... any province» alors que le texte français du même alinéa accorde celui «de se déplacer dans tout le pays». La con- jonction «and» reliant les alinéas a) et b) du texte anglais est omise dans le texte français. Enfin, l'alinéa b) du texte anglais accorde seulement le droit «to pursue the gaining of a livelihood» dans toute province, droit qui paraît, à première vue, beaucoup plus limité que le droit «de gagner [sa] vie dans toute province», prévu par le texte français.
Les juges de la majorité et celui de la minorité de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Ska- pinker (précité) proposent des interprétations dia- métralement opposées de l'alinéa 6(2)b). Pour les juges de la majorité, représentés par le juge d'ap- pel Grange, il s'agit d'un droit au travail qui n'est pas limité aux [TRADUCTION] «personnes qui se déplacent». Selon l'opinion minoritaire exprimée par le juge d'appel Arnup, ce droit [TRADUCTION] «n'a de sens que lorsque la personne désire aller s'installer dans une autre province». (Voir D.L.R. aux pages 508 et 515.)
En toute déférence, il me semble qu'il y a place pour une position intermédiaire entre ces deux points de vue. D'une part, j'admets comme le juge d'appel Grange que ni le libellé de cet alinéa ni son contexte n'indiquent que ce droit appartient uni- quement aux personnes se déplaçant d'une pro vince à une autre. L'emploi des termes «in any province» ne signifie pas, à mon avis, que seules les personnes qui souhaitent franchir les frontières provinciales bénéficient des droits accordés, et le texte français confirme ce point de vue.
D'autre part, je conviens, avec le juge d'appel Arnup, qu'il serait vraiment étrange de découvrir une disposition aussi révolutionnaire que la garan- tie constitutionnelle d'un droit au travail enfouie
dans un des alinéas d'un article traitant principale- ment de la liberté de circulation (comme l'indique d'ailleurs son intitulé, bien qu'il ne s'agisse pas d'un élément déterminant, j'en conviens avec les juges Grange et Arnup). Une des règles fondamen- tales d'interprétation exige l'examen des diverses dispositions d'une loi en fonction de leur contexte (Sa Majesté La Reine c. Compagnie Immobilière
BCN Limitée, [1979] 1 R.C.S. 865, la page 872). Cette règle doit sûrement s'appliquer égale- ment à la Charte.
À mon avis, l'interprétation du paragraphe 6(2) qui permet de concilier au mieux les textes de ce paragraphe dans les deux langues officielles, tout en respectant son contexte, est qu'il confère le droit d'aller s'installer, de résider et d'être admis sur le marché du travail partout au Canada. En d'autres termes, si j'estime d'une part que ce para- graphe n'accorde pas un droit au travail, je pense par ailleurs qu'il ne se limite pas à la liberté de circulation entre les provinces.
Cette interprétation est également compatible avec les documents dont la Cour a été saisie. L'avocat du procureur général du Canada a pré- senté un document intitulé «Les fondements consti- tutionnels de l'union économique canadienne», publié par le gouvernement fédéral en 1980, à l'époque des débats sur la constitution. Ce docu ment contient une recension «de certaines restric tions actuelles ou potentielles à la circulation des biens, des services, de la main-d'oeuvre et des capitaux au Canada». Parmi les exemples de res trictions à la libre circulation de la main-d'oeuvre donnés dans cette recension, six au moins n'ont aucun rapport avec les frontières provinciales, et quatre d'entre eux visent des restrictions imposées par le gouvernement fédéral. Le document parle de la nécessité «d'assurer que le Canada demeurera un pays sans frontières intérieures, au sein duquel les personnes, les biens, les services et les capitaux pourront circuler librement». Cela prouve de façon convaincante que le «problème» auquel on cher- chait à apporter une solution grâce à l'article 6, ne résultait pas simplement des entraves restreignant la circulation de la main-d'oeuvre entre les provin ces mais également de toutes les entraves de ce genre à l'intérieur du pays, qu'on les trouve et quel que soit le niveau de gouvernement qui les établisse.
Je conclus, par conséquent, que l'exclusion du requérant du concours tenu pour pourvoir au poste de contrôleur aérien à Vancouver constituait prima fade une violation de son droit à chercher un emploi n'importe au Canada et donc d'un droit garanti par le paragraphe 6(2) de la Charte.
Il faut ensuite se demander si les dispositions de l'alinéa 6(3)a) peuvent valider une telle violation. Cet alinéa subordonne les droits accordés par le paragraphe 6(2):
6. (3) ...
a) aux lois et usages d'application générale en vigueur dans une province donnée, s'ils n'établissent entre les personnes aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle .. .
L'alinéa 13a) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32 con- fère spécifiquement à la Commission de la Fonc- tion publique le droit de
13....
a) déterminer la région les postulants sont tenus de résider afin d'être admissibles à une nomination .. .
Quatre conditions doivent être réunies pour que l'exception prévue à l'alinéa 6(3)a) de la Charte l'emporte sur les droits accordés par le paragraphe 6(2). La disposition dérogatoire doit être contenue:
i) dans une loi ou un usage,
ii) d'application générale,
iii) en vigueur dans une province donnée, et
iv) une telle loi ou un tel usage ne doit établir entre les personnes aucune distinction fondée prin- cipalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle.
La condition i) ne pose pas de problème: la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique est indiscu- tablement une loi.
En ce qui concerne la condition ii), la question de savoir quand une loi provinciale est une loi «d'application générale» a été tranchée de manière définitive par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Kruger et autre c. Sa Majesté La Reine, [1978] 1 R.C.S. 104. Le juge Dickson, parlant au nom de la Cour, a énoncé deux critères la page 110):
En premier lieu, il faut examiner la portée territoriale de la Loi. Si la Loi n'a pas une portée uniforme sur tout le territoire, rien ne sert d'aller plus loin, il faut répondre par la négative. Par
contre si la loi a une portée uniforme sur tout le territoire, il faut en étudier le but et les effets. L'objet et l'intention de la loi ne doivent pas être «relatifs à» un groupe de citoyens. Mais le fait qu'elle soit plus lourde de conséquences à l'égard d'une personne que d'une autre ne l'empêche pas, pour autant, d'être une loi d'application générale. Très peu de lois ont des effets uniformes. On franchit la frontière lorsqu'un texte législatif, bien que traitant d'un autre sujet, a pour effet de porter atteinte au statut ou aux droits d'un groupe particulier.
Bien qu'il s'agisse en l'espèce d'une loi fédérale, je ne vois aucune raison valable d'appliquer des critères différents. Il est, à mon avis, incontestable que la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique respecte ces deux critères.
Je crois également que, compte tenu des circons- tances de l'espèce, la condition iv) est remplie. Le requérant n'a pas été exclu du concours parce qu'il réside en Colombie-Britannique, qui est la pro vince de résidence de tous les candidats admissi- bles employés dans la région du Pacifique, mais parce qu'il réside et travaille dans une partie de cette province qui n'est pas située dans la région du Pacifique.
Le principal argument avancé par le requérant pour exclure l'application de la clause dérogatoire du paragraphe 6(3) de la Charte concerne la con dition iii). Il allègue que l'expression «en vigueur dans une province donnée» restreint l'application de cette clause aux lois provinciales et ne vise pas du tout les lois fédérales. Il fonde entièrement son argument sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Her Majesty The Queen v. George, [ 1966] R.C.S. 267, il a été jugé que l'expression
toutes lois d'application générale et en vigueur, à l'occasion, dans une province
contenue à l'article 87 de la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1952, chap. 149], ne visait pas les lois fédérales. Cette décision a été confirmée et appli- quée quelques années plus tard dans Kruger, précité.
À mon avis, cet argument ne doit pas être retenu. Sans vouloir diminuer de quelque manière l'importance et l'autorité des arrêts George et Kruger, j'estime qu'il faut les interpréter dans leur contexte. Ces arrêts traitaient de l'interprétation de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, une loi fédérale. Voici le début de cet article:
87. Sous réserve des dispositions de quelque traité et de quelque autre loi du Parlement du Canada, toutes lois d'appli- cation générale et en vigueur, à l'occasion, dans une province sont applicables aux ... [C'est moi qui souligne.]
Cet article contenait donc une disposition visant expressément les lois fédérales et c'est cette men tion spécifique des lois fédérales qui a amené le juge Martland, au nom de la majorité dans George, à dire la page 280):
[TRADUCTION] ... lorsque l'article parle des «lois d'application générale et en vigueur, à l'occasion, dans une province», il ne vise pas par cette expression les lois du Canada.
Ces considérations sont absentes de l'interpréta- tion du paragraphe 6(3) de la Charte. Les termes utilisés, «dois ... en vigueur dans une province donnée», ont sûrement un sens assez large pour comprendre les lois fédérales. L'emploi de ces termes est justifié puisqu'il n'est pas rare que des lois fédérales soient en vigueur dans certaines pro vinces seulement. L'article 32 de la Charte prévoit expressément qu'elle s'applique au Parlement et au gouvernement du Canada, et l'article 52 [de la Loi constitutionnelle de 1982] dispose qu'elle fait partie de la «loi suprême» du Canada. Faute de dispositions restrictives à l'alinéa 6(3)a), il m'est impossible d'affirmer qu'une loi fédérale qui est en vigueur dans une ou dans toutes les provinces ne constitue pas une loi «en vigueur dans une province donnée» aux fins de la Charte.
Par conséquent, je suis d'avis que toute violation des droits accordés au requérant par le paragraphe 6(2) est justifiée par les dispositions de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et validée par les dispositions de l'alinéa 6(3)a). Je rejetterais donc cette demande fondée sur l'article 28.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.