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T-2086-80
Maligne Building Ltd., Totem Tog Shops Jasper Limited, et Quarks & Fribbles Limited, agissant pour leur propre compte et pour celui de tous les autres preneurs de terrains situés dans la ville de Jasper, dans le parc national de Jasper, les baux de ces derniers étant semblables à ceux des demanderesses (demanderesses)
c.
La Reine et ministre de l'Environnement du Canada (défendeurs)
Division de première instance, juge Dubé— Ottawa, 27 janvier 1983.
Pratique Dépens Action rejetée avec dépens L'avo- cat des défendeurs n'a fait aucune observation relativement aux dépens Le juge a refusé d'entendre la requête fondée sur la Règle 337(5) parce qu'il n'avait pas oublié de statuer sur les dépens dans le jugement Les défendeurs ont demandé des instructions spéciales augmentant les sommes prévues au tarif En vertu de la Règle 337(5), la Cour ne peut procéder à un nouvel examen du prononcé du jugement qu'en cas d'omission La Règle 337(5) ne permet pas aux avocats de soulever une question qui n'a pas été traitée au procès Les jugements sont définitifs Il n'appartient pas au juge de taxer les dépens La demande fondée sur la Règle 344(7) doit être formulée lors du prononcé du jugement ou dans les 10 jours qui suivent La Règle 344(7) ne saurait être utilisée pour faire modifier un jugement en substituant une somme globale aux dépens à taxer La modification n'est possible que sous le régime de la Règle 337(5) ou (6), dans des circonstances précises Il n'y a pas lieu d'augmenter les dépens Les frais entre parties ne visent pas une indemnisa- tion intégrale L'importance du travail de préparation, même si l'affaire est complexe et importante, ne constitue pas un motif d'augmentation Le tarif n'est pas généreux, mais on ne saurait obtenir une augmentation au moyen d'une requête Requête rejetée Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 337(5),(6), 344(7), 346, Tarif B.
En janvier 1982, le juge a rejeté à l'audience l'action des demanderesses, les dépens étant adjugés aux défendeurs. L'avo- cat des défendeurs n'a fait aucune observation relativement aux dépens. Par la suite, les défendeurs n'ont pas pu s'entendre avec les demanderesses sur le quantum des dépens, et ils ont ainsi introduit, en juin 1982, une requête fondée sur la Règle 337(5). Le juge a refusé d'entendre la requête, disant qu'il n'avait pas oublié de statuer sur les dépens dans le jugement de première instance; qu'il n'y avait donc pas lieu de procéder à un nouvel examen du prononcé du jugement; et que l'avocat des défen- deurs devrait faire taxer les dépens de la façon habituelle. Environ un mois plus tard, les défendeurs ont invoqué la Règle 344(7)b) pour demander des directives spéciales augmentant les sommes prévues au tarif B.
Jugement: la requête en directives spéciales est rejetée. La requête antérieure des défendeurs a été rejetée parce que, en vertu de la Règle 337(5), la Cour ne peut procéder à un nouvel
examen des termes du jugement que dans le cas d'omissions prévues dans la disposition. La Règle 337(5) n'est pas simple- ment un moyen permettant à l'avocat de soulever plus tard une question qu'il n'a pas soulevée au procès. Les jugements doivent être définitifs. De plus, il n'appartient pas au juge de taxer les dépens. Quant à la demande fondée sur la Règle 344(7), elle doit être formulée lors du prononcé du jugement ou dans les 10 jours qui suivent. La présente requête des défendeurs tend en réalité à faire modifier le jugement de première instance, afin de remplacer les dépens taxés sous le régime du tarif B, de la façon habituelle, par une somme globale indiquée dans son mémoire de frais. Il ressort des décisions Crabbe, Smerchanski et Consolboard que la Règle 344(7) ne saurait être utilisée à cette fin, et qu'une telle modification peut être obtenue seule- ment au moyen d'une demande fondée sur la Règle 337(5) ou (6) et seulement pour un des cas y précisés. En l'espèce, le moyen approprié pour l'avocat des défendeurs consiste à faire taxer ses frais de la manière habituelle. Il ne s'agit pas, en tout état de cause, d'un cas il y a lieu d'accorder une augmenta tion des dépens. Les frais entre parties ne sont pas destinés à indemniser intégralement la partie qui a gain de cause. L'im- portance du travail de préparation dans un procès ne constitue pas un fondement adéquat pour qu'il soit accordé, quant aux dépens, des sommes plus grandes que celles prévues au tarif, lors même que l'importance du travail de préparation serait examinée conjointement avec d'autres facteurs comme la diffi culté ou l'importance de l'affaire. Les tarifs ne sont pas géné- reux et pourraient être augmentés; toutefois, cet objectif ne peut être atteint au moyen d'une requête.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Smerchanski c. Le ministre du Revenu national, [ 1979] 1 C.F. 801 (C.A.); MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd. c. Consolboard Inc. (1981), 124 D.L.R. (3d) 342 (C.A.F.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Carruthers c. La Reine, [1983] 2 C.F. 350 (1" inst.); Guerin, et autres c. La Reine, [1982] 2 C.F. 445; 127 D.L.R. (3d) 170 (1" inst.).
DÉCISION CITÉE:
Crabbe c. Le ministre des Transports, [1973] C.F. 1091 (C.A.).
AVOCATS:
J. E. Redmond, c.r., pour les demanderesses. P. G. C. Ketchum, c.r., pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Milner & Steer, Edmonton, pour les deman- deresses.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DURÉ: Les 19 et 20 janvier 1982, j'ai présidé à l'instruction de cette action à Edmonton (Alberta) et j'ai rejeté à l'audience l'action des demanderesses avec dépens. L'avocat des défen- deurs, M. P. Ketchum, c.r., n'a alors fait aucune observation relativement aux dépens. Le 28 janvier 1982, j'ai distribué les motifs et le dispositif du jugement.
Le 16 juin 1982, M. Ketchum a écrit au greffier de la Cour pour l'informer qu'il n'avait pu parvenir à une entente sur le quantum des dépens et qu'il serait nécessaire d'avoir recours à des instructions de la Cour pour régler cette affaire. Il a donc demandé que sa requête datée du 2 mars 1982 et fondée sur la Règle 337(5) soit entendue par la Cour. La Règle 337(5) est ainsi conçue:
Règle 337... .
(5) Dans les 10 jours de prononcé d'un jugement en vertu de l'alinéa (2)a), ou dans tel délai prolongé que la Cour pourra accorder, soit avant, soit après l'expiration du délai de 10 jours, l'une ou l'autre des parties pourra présenter à la Cour, telle qu'elle est constituée au moment du prononcé, une requête demandant un nouvel examen des termes du prononcé, mais seulement l'une ou l'autre ou l'une et l'autre des raisons suivantes:
a) le prononcé n'est pas en accord avec les motifs qui, le cas échéant, ont été donnés pour justifier le jugement;
b) on a négligé ou accidentellement omis de traiter d'une question dont on aurait traiter.
La question m'a été soumise le 30 juin 1982 et le même jour je donnais, dans une note, la réponse suivante:
[TRADUCTION] Je n'ai pas l'intention d'entendre cette requête. Il n'y a pas lieu de procéder à un nouvel examen des termes du prononcé. Je n'ai pas oublié de statuer sur les dépens dans le jugement: ils ont été adjugés aux défendeurs. Il reste aux procureurs des défendeurs à faire procéder à la taxation des dépens conformément aux Règles.
Le 27 juillet 1982, M. Ketchum a écrit de nouveau à la Cour pour lui demander [TRADUC- TION] «une audience spéciale en vertu de la Règle 344(7)b) pour requérir la Cour de donner des instructions augmentant les sommes prévues au tarif et accordant une indemnité spéciale à un témoin.» La lettre demandait également que je préside cette audience spéciale. La Règle invoquée est ainsi conçue:
Règle 344. ..
(7) Une partie peut
b) après que la Cour aura décidé du jugement à prononcer, au moment la requête pour l'obtention d'un jugement est présentée,
que le jugement ait ou non réglé la question des dépens, requérir la Cour de donner, au sujet des dépens, des directives spéciales aux termes de la présente Règle, y compris une directive visée au tarif B, et de statuer sur tout point relatif à l'application de tout ou partie des dispositions de la Règle 346. Une demande faite à la Cour d'appel en vertu du présent alinéa doit être faite devant le juge en chef ou un juge désigné par lui, mais l'une ou l'autre partie peut demander à un tribunal composé d'au moins trois juges de la Cour d'examiner une décision ainsi obtenue.
En réponse à cette requête, le juge en chef adjoint a avisé M. Ketchum que sa demande serait entendue par la Cour à Edmonton le 20 septembre 1982. Il a personnellement entendu la requête à la date et au lieu prévus et a rendu l'ordonnance suivante:
[TRADUCTION] Ordonnance est rendue accordant aux défen- deurs une prorogation du délai pour déposer et signifier un avis de requête tendant à obtenir une ordonnance accordant une augmentation des sommes indiquées dans les dépens taxés en l'espèce. La requête sera entendue à Edmonton par le juge Dubé à la date et à l'heure que fixera la Cour.
Le 29 octobre 1982, le juge en chef adjoint a présidé une conférence téléphonique à laquelle participaient les avocats des parties et a rendu l'ordonnance suivante:
[TRADUCTION] IL EST ORDONNÉ que les parties soumettent par écrit leurs observations au juge de première instance relati- vement aux questions suivantes:
I. Est-il approprié en l'espèce que la demande des défendeurs tendant à obtenir une augmentation de la somme accordée à titre de dépens (y compris le remboursement de sommes versées aux experts) soit entendue et jugée par le juge de première instance avant la taxation?
2. Les défendeurs devraient-ils obtenir une augmentation des dépens et, le cas échéant, de combien?
À la suite de cette ordonnance, les deux parties ont déposé leurs observations respectives en décembre 1982. Voici donc l'ordonnance et les motifs de l'ordonnance que je rends en l'espèce.
Selon moi, la Règle 337(5) (appelée Slip Rule (Règle de l'omission)) signifie clairement que la Cour peut procéder à un nouvel examen des termes du prononcé du jugement lorsque ce prononcé n'est pas conforme aux motifs donnés par le juge ou lorsque le juge a omis de statuer sur une question. En d'autres termes, si la Cour a fait une omission relative à une question technique, elle peut prendre
les mesures nécessaires pour remédier à la situa tion. La Règle de l'omission n'est pas un moyen de permettre aux avocats de soulever après le procès une question qu'ils n'ont pas soulevée au procès. Il va de soi que les jugements doivent être définitifs. Je trouve un appui à ce point de vue dans l'obser- vation faite récemment par mon collègue le juge Walsh dans Carruthers c. La Reine' il dit à la page 354:
La Règle 337(5) précise toutefois les motifs pour lesquels le prononcé peut être modifié, notamment lorsqu'on a négligé ou accidentellement omis de traiter d'une question dont on aurait traiter. Il est difficile de conclure qu'une directive spéciale concernant les frais d'un témoin-expert est une question qu'on a négligé ou accidentellement omis de traiter puisqu'il n'y a rien qui oblige la Cour à décider qu'une telle ordonnance devrait être rendue au moment de son jugement.
Ce qui explique ma première réaction à l'avis de requête de M. Ketchum telle qu'énoncée dans ma note précitée. Selon les termes du prononcé, juge- ment a été rendu en faveur de M. Ketchum, avec dépens, tel que requis dans sa défense et au cours du procès. Il n'appartient pas au juge de taxer les dépens. Les dépens sont taxés conformément à la Règle 346 par l'officier taxateur approprié. Lors- qu'une partie n'est pas satisfaite de la taxation faite par l'officier taxateur, elle peut se pourvoir en appel.
Dans ses observations écrites, M. Ketchum fait valoir que la procédure appropriée est celle qu'ex- plique le juge en chef Jackett dans Smerchanski c. Le ministre du Revenu nationale il dit aux pages 804 et 805:
Il faut obtenir des instructions spéciales de la Cour modifiant les montants prévus au tarif, comme il est prévu à l'article 3 du tarif B et dans certaines règles, avant le début de la procédure de taxation de sorte que ces instructions puissent appuyer la réclamation des sommes indiquées au mémoire de frais lors de la taxation.
Du rapprochement des Règles 344(7) et 337(5), il résulte à mon sens que la demande d'instructions pour augmenter le montant des dépens doit être présentée tandis que l'affaire est assez récente pour que la Cour puisse juger si les circonstances de l'espèce justifient une dérogation aux Règles normales du tarif...
Dans l'affaire Smerchanski, le ministre du Revenu national intimé avait demandé que la Cour ordonne que lui soit versée la somme de 8 626 $ au
1 [1983] 2 C.F. 350 (lfe inst.). z [1979] 1 C.F. 801 (C.A.).
titre des dépens. Le juge en chef Jackett a dit que la décision Crabbe c. Le ministre des Transports' l'obligeait à rejeter cette requête. Il a dit ce qui suit la page 803]:
D'après ce précédent, il me semble que si la Cour ordonne le paiement des dépens taxés, elle ne peut pas prescrire ensuite le paiement d'une somme globale à moins de procéder à un nouvel examen du jugement pour l'une des raisons énumérées aux Règles 337(5) et 337(6). Tel n'est pas le cas en l'espèce. [La Règle 337(6) porte sur les erreurs de rédaction.]
En d'autres termes, une partie peut demander à la Cour, en vertu de la Règle 344(7), des directives spéciales relatives aux dépens, mais elle doit le faire lors du prononcé du jugement ou dans les 10 jours qui suivent, pendant que le juge l'a encore frais à la mémoire.
En appendice au motif de l'affaire Smerchanski, le juge en chef Jackett a reformulé comme suit un paragraphe trompeur du jugement Crabbe la page 807]:
Dans l'affaire présente, le jugement fut prononcé à l'au- dience; la question de l'allocation d'une somme globale au lieu de frais taxés aurait donc pu être mentionnée avant que le jugement soit prononcé. Elle aurait aussi pu être soulevée par une requête présentée en vertu de la Règle 337(5) ou (6), à savoir, au motif que (1) (Règle 337(5)) le prononcé n'est pas en accord avec les motifs du jugement ou qu'il y a une omission accidentelle, ou (2) (Règle 337(6)) il y a une erreur de rédaction ou une omission accidentelle qui exige une correction.
Ce que M. Ketchum tente d'obtenir au moyen de sa demande c'est que la Cour modifie son jugement rejetant l'action avec dépens, de telle sorte qu'au lieu de faire taxer les dépens de la façon normale, conformément au tarif B, elle rem- placerait la somme adjugée par le montant indiqué dans son mémoire de frais qui est joint à sa demande. Une requête semblable a été rejetée dans l'affaire MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd. c. Consolboard Inc. 4 le juge Ryan de la Cour d'appel fédérale, se fondant sur les affaires Smerchanski et Crabbe, dit à la page 347:
Cela étant, je suis d'avis que cette Cour n'a pas, aux termes d'une demande formulée en vertu de l'alinéa (7) de ladite Règle, le pouvoir de remplacer les dépens accordés par le jugement de la Cour suprême par le paiement d'une somme rixe ou globale.
La solution au problème de M. Ketchum, je le répète, est très simplement de soumettre son mémoire de frais à l'officier taxateur approprié, de la manière habituelle. S'il n'est pas satisfait de la taxation de cet officier, il peut interjeter appel.
3 [1973] C.F. 1091 (C.A.).
4 (1981), 124 D.L.R (3d) 342 (C.F. Appel).
La réponse à la première question règle en même temps la seconde, c'est-à-dire de savoir si les défendeurs devraient obtenir une augmentation des dépens. Toutefois, pour prévenir toute autre perte de temps et d'énergie, je dis dès maintenant que, dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je n'accorderais aucune augmentation des dépens relativement à ce procès de deux jours. Il ressort très clairement de la décision Smerchanski sus- mentionnée que les frais entre parties ne sont pas destinés à indemniser intégralement la partie qui a gain de cause et que l'importance du travail de préparation à lui seul, ou conjointement avec d'au- tres facteurs comme la difficulté ou l'importance de l'affaire, ne constitue pas un fondement adé- quat pour l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge d'augmenter le montant des frais prévus au tarif. Je suis certainement prêt à admettre, comme probablement la plupart des juges et des avocats, que les tarifs de la Cour fédérale sont moins que généreux envers la partie qui a gain de cause et pourraient être augmentés en cette période d'infla- tion à taux élevé. Cet objectif ne peut être atteint au moyen d'une requête présentée à la Cour. À cet égard, une citation de mon collègue le juge Collier dans une affaire récente, Guerin, et autres c. La Reine', la page 454 du Recueil des arrêts de la Cour fédérale] semble très à-propos:
Les affaires Smerchanski et Consolboard furent toutes deux, tant en première instance qu'en appel, longues, compliquées et difficiles, comme fut la présente espèce. Mais ces facteurs ne suffisent pas, je pense, à justifier une directive spéciale en matière de dépens. Sans doute les tarifs de la Cour fédérale, établis en 1971, sont, à cause de la hausse considérable de l'inflation et du coût de la vie durant les 10 dernières années, fort bas. Le remède consiste, à mon avis, à hausser les tarifs, non à permettre des hausses arbitraires dans chaque cas d'es- pèce afin de compenser les hausses inflationnistes et économi- ques du passé.
Voici donc ma réponse _ à ces deux questions: premièrement, il ne convient pas en l'espèce de demander au juge de première instance de statuer, avant la taxation, sur la demande d'augmentation des dépens présentée par les défendeurs; deuxième- ment, il ne convient pas en l'espèce d'accorder aux défendeurs une augmentation des dépens. La requête des défendeurs est donc rejetée avec dépens, lesquels dépens seront taxés par un officier taxateur si nécessaire.
ORDONNANCE
La requête des défendeurs est rejetée avec dépens.
5 [1982] 2 C.F. 445; 127 D.L.R. (3d) 170 (1'° inst.).
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