A-1207-82
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (appe-
lant)
c.
Gloria Frances Robbins (intimée)
Cour d'appel, juges Heald, Urie et Mahoney—
Vancouver, 26 et 28 septembre 1983.
Immigration — Appel d'une décision de la Commission
d'appel de l'immigration accueillant l'appel du rejet par le
Ministre de la demande de droit d'établissement de l'époux de
l'intimée — L'intimée est une citoyenne canadienne — La
Commission a conclu à l'absence de liens étroits entre l'intimée
et son mari et que le seul but du mariage était de soutenir la
demande de résidence permanente — L'agent des visas en Inde
a refusé d'accorder le visa de séjour nonobstant le parrainage
d'une citoyenne canadienne — L'art. 9(4) de la Loi sur l'immi-
gration de 1976 prévoit que l'agent des visas «peut» délivrer un
visa si, à son avis, le visiteur satisfait aux exigences de la Loi
et des règlements — L'art. 4a) du Règlement prévoit que tout
citoyen canadien peut parrainer son conjoint — Appel rejeté
— Il n'est pas nécessaire de déterminer si le verbe «peut» à
l'art. 9(4) exprime la faculté ou l'obligation — L'agent des
visas n'a pas le pouvoir discrétionnaire de refuser le visa
lorsqu'il existe un mariage valide — Aucune preuve d'invali-
dité du mariage — L'agent des visas n'est pas autorisé à
examiner le mariage pour vérifier le but en vue duquel il a été
contracté — Le raisonnement de l'affaire lantsis (falsely
called Papatheodorou) v. Papatheodorou, [1971J I O.R. 245
(C.A.) est appliqué — Les motifs n'ont aucun effet sur la
validité d'un mariage — Loi sur l'immigration de 1976, S.C.
1976-77, chap. 52, art. 9(4) — Loi d'interprétation, S.R.C.
1970, chap. I-23, art. 3(1), 28 — Règlement sur l'immigration
de 1978, DORS/78-172, art. 2(1), 4a).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Iantsis (falsely called Papatheodorou) v. Papatheodorou,
[1971] 1 O.R. 245 (C.A.).
AVOCATS:
C. Roth pour l'appelant.
A. Bhullar pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelant.
A. Bhullar, Vancouver, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Dans le présent appel d'une
décision de la Commission d'appel de l'immigra-
tion («la Commission»), l'appelant soutient que la
majorité des membres de celle-ci ont commis une
erreur en accueillant l'appel de l'intimée du rejet
par le Ministre de la demande de droit d'établisse-
ment présentée par M. Harbhajan Singh Narwal,
époux de l'intimée qui est citoyenne canadienne.
La majorité des membres de la Commission ont
tiré une conclusion de fait selon laquelle ail n'y a
pas de liens étroits entre les deux époux ... M"°
Robbins [l'intimée devant la présente Cour] a
contracté mariage par complaisance envers ses
amis, dans l'unique but de soutenir la demande de
résidence permanente au Canada de Harbhajan
Singh Narwal et non pas pour favoriser la venue
de son conjoint au Canada afin de faire vie
commune.»
Le membre dissident a souscrit à cette conclu
sion qui, à mon avis, était abondamment appuyée
par la preuve.
La seule question en litige dans le présent appel
découle du fait que lorsque M. Narwal a demandé
un visa de séjour au Canada à New Delhi, en Inde,
l'agent des visas a refusé de le lui accorder, bien
que M. Narwal ait été parrainé par son épouse au
Canada qui, comme je l'ai déjà dit, est citoyenne
canadienne. Apparemment l'agent a pris cette
décision en se fondant sur le pouvoir discrétion-
naire que le paragraphe 9(4) de la Loi sur l'immi-
gration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52], («la
Loi») lui donnait de délivrer ou non un visa malgré
l'alinéa 4a) du Règlement [Règlement sur l'immi-
gration de 1978, DORS/78-172] qui prévoit le
droit d'un citoyen canadien de parrainer une
demande de droit d'établissement présentée par
son conjoint.
Le paragraphe 9(4) de la Loi et l'alinéa 4a) du
Règlement prévoient respectivement:
9. ...
(4) L'agent des visas, qui constate que l'établissement ou le
séjour au Canada d'une personne visée au paragraphe (1) ne
contreviendrait ni à la présente loi ni aux règlements, peut lui
délivrer un visa attestant qu'à son avis, le titulaire est un
immigrant ou un visiteur qui satisfait aux exigences de la
présente loi et des règlements. [C'est moi qui souligne.]
4. Tout citoyen canadien ou résident permanent résidant au
Canada et âgé d'au moins dix-huit ans peut parrainer une
demande de droit d'établissement présentée par
a) son conjoint;
«Conjoint> est défini au paragraphe 2(1) du
Règlement:
2.(1)...
.conjoint», par rapport à toute personne, désigne la personne
reconnue aux termes des lois de toute province du Canada
comme étant l'époux ou l'épouse de cette personne;
Une partie importante des débats devant notre
Cour a porté sur la question de savoir si, dans son
contexte, le verbe «peut» du paragraphe 9(4)
devrait être interprété comme ayant un caractère
facultatif ou obligatoire. Selon l'argumentation des
parties, si ce verbe marque une faculté, l'agent des
visas était autorisé, d'après les faits de cette
affaire, à refuser de délivrer le visa. En revanche,
s'il marque l'obligation, dans le cas où l'établisse-
ment «ne contreviendrait ni à la présente loi ni aux
règlements», le visa devait être délivré même si le
but du mariage était de rendre la situation de M.
Narwal conforme aux dispositions de la Loi et du
Règlement en vue de faciliter son admission au
Canada.
Nous estimons qu'il n'est pas nécessaire de
déterminer si le verbe «peut» doit être interprété
dans le contexte du paragraphe 9(4) comme expri-
mant la faculté ou l'obligation. Il va sans dire que
d'habitude on lui attribue son sens ordinaire et
qu'il a un caractère facultatif, donnant ainsi un
pouvoir discrétionnaire à la personne qui exerce
une attribution'. Sans doute y a-t-il de la jurispru
dence selon laquelle, dans certaines occasions, il
doit être interprété comme le verbe «doit», impo-
sant par conséquent un caractère obligatoire à
l'acte qui doit être accompli. À supposer, sans
toutefois me prononcer à ce sujet, que dans le
contexte du paragraphe 9(4) le verbe «peut» con-
fère un pouvoir discrétionnaire à l'agent des visas,
lui permettant de décider si un visa doit ou non
être délivré, j'estime qu'il est empêché d'exercer ce
pouvoir discrétionnaire dans les cas où il existe un
mariage valide. Rien dans le dossier n'indique que
le mariage contracté par l'intimée avec M. Narwal
n'était pas reconnu en vertu des lois de la Colom-
bie-Britannique. Par conséquent, l'agent des visas
n'était pas autorisé à examiner le mariage pour
vérifier le but en vue duquel il avait été contracté.
Puisque l'alinéa 4a) du Règlement (dont la validité
Voir Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, paragra-
phe 3(1) et article 28.
n'a pas été contestée) accorde à tout citoyen cana-
dien résidant au Canada et âgé d'au moins dix-
huit ans le droit de parrainer une demande de droit
d'établissement présentée par son conjoint, ce droit
ne peut, à mon avis, être rejeté à moins que le
mariage ne soit inexistant ou invalide. Comme en
l'espèce il n'y avait et il n'y a aucune preuve
d'invalidité du mariage, l'agent des visas, qui a
vérifié si le requérant du droit d'établissement
n'était pas inadmissible au Canada pour une autre
raison—ce qui semble être le cas dans la présente
affaire—était alors obligé de délivrer le visa parce
que l'épouse de M. Narwal, l'intimée, avait par-
rainé sa demande de droit d'établissement.
J'estime qu'il s'agit de la bonne conclusion
d'après le raisonnement de la Cour d'appel de
l'Ontario dans l'affaire Iantsis (falsely called
Papatheodorou) v. Papatheodorou, [1971] 1 O.R.
245 (C.A.) dans laquelle le juge d'appel Schroe-
der, dans une situation de fait très différente, a
déclaré ce qui suit au sujet de la validité d'un
mariage [aux pp. 248 et 249]:
[TRADUCTION] Le mariage est plus qu'un contrat. Il crée des
obligations et des droits mutuels comme tous les contrats, mais
en plus il confère un statut. En substance, il peut être défini
comme l'union volontaire pour la vie d'un homme et d'une
femme à l'exclusion de tous les autres: Hyde v. Hyde and
Woodmansee (1866), L.R. 1 P. & D. 130; Robb v. Robb et al.
(1891), 20 O.R. 591.
Dans Swift v. Kelly (1835), 3 Knapp 257, la p. 293, 12
E.R. 648, le comité judiciaire du Conseil privé a exprimé
l'opinion suivante à l'égard des effets de la fraude et du
mensonge sur la validité du mariage:
En fait, il semble généralement admis dans le droit de tous
les pays, et certainement en droit anglais, que, à moins qu'il
n'y ait certaines dispositions de fond de la loi exigeant que
certaines choses soient faites d'une manière précise, un
mariage ne peut être déclaré nul simplement sur la preuve
qu'il a été contracté en vertu de fausses représentations et
que, sans ces manoeuvres, le consentement n'aurait jamais été
obtenu. Sauf si le conjoint induit en erreur a été trompé sur
l'identité de son époux et, par conséquent, n'a donné aucun
consentement, aucune forme de fraude ne suffit à faire
annuler un mariage contracté en connaissance de cause.
[C'est moi qui souligne.]
Sir F. H. Jeune, président des Courts of Probate, Divorce
and Admiralty, s'est fondé sur l'affaire Swift v. Kelly, précitée,
pour rendre sa décision dans l'affaire Moss v. Moss (otherwise
Archer), [1897] P. 263, la p. 267, où il a passé en revue de
nombreux arrêts et ouvrages de doctrine anglais portant sur ce
point et a souligné que, si les avocats anglais parlent fréquem-
ment du mariage comme d'un contrat, ils «n'ont jamais été
induits en erreur par une analogie imparfaite pour le considérer
simplement comme un contrat ou pour lui attribuer toutes les
caractéristiques et conditions des contrats civils ordinaires».
Aux pages 267 et 268, il fait mention des distinctions que l'on
fait habituellement entre eux. Sir William Scott a déclaré dans
l'affaire Turner v. Meyers, falsely calling herself Turner
(1808), 1 Hag. Con. 414, 161 E.R. 600, qu'il existe une
différence marquée entre un contrat commercial et un mariage,
qui est à la fois un contrat civil et un voeu religieux, car les
parties contractantes n'ont pas le pouvoir de le dissoudre et la
doctrine anglaise a toujours suivi la règle selon laquelle la
fausse représentation, frauduleuse ou innocente, n'a, en elle-
même, aucun effet sur la validité du mariage, sauf dans le cas
évidemment où la fausse représentation entraîne une erreur de
fond, par exemple sur la nature de la cérémonie ou l'identité de
l'autre partie au mariage comme lorsque A est incitée à épouser
B croyant épouser C.
Il ressort de cette citation que, si la fausse
représentation, frauduleuse ou innocente, n'a
aucun effet sur la validité d'un mariage, on peut
conclure à plus forte raison, que les motifs pour
lesquels le mariage a été contracté ne peuvent
avoir un tel effet. Ainsi, un agent des visas ne peut
refuser un visa en se fondant simplement sur son
opinion quant à la bonne foi des parties à un
mariage.
Bien que, de toute évidence, certaines personnes
dénuées de scrupules puissent abuser des vœux du
mariage et des lois sur l'immigration pour deman-
der le droit d'établissement, il incombe au Parle-
ment de corriger cette situation. Le rôle de la Cour
est simplement d'interpréter le texte de la loi tel
qu'il est rédigé et non de le modifier.
En conséquence, il y a lieu de rejeter l'appel.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs.
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