T-1754-84
Manitoba Teachers' Society au nom de Fort
Alexander Teachers' Association (section locale
65 de la Manitoba Teachers' Society), Samuel
Klippenstein, Jon Mills, Patricia Morrisseau et
John A. Courchene (requérants) (plaignants)
c.
Le chef et/ou conseil de la bande indienne de Fort
Alexander et/ou conseil scolaire de Fort Alexan-
der faisant partie de l'administration de l'éduca-
tion Sagkeeng (Sagkeeng Education Authority),
réserve de Fort Alexander, Kenneth Courchene,
Paul Guimond, Nelly Abraham, Rene Spence,
Henry Courchene, Carl Fontaine, Mary Starr,
Wayne Fontaine, Josephine Swampy, Martha
Prince, David Courchene fils, Pat Bruyere, leurs
successeurs et ayants droit, toute personne ou
groupe de personnes agissant au nom des person-
nes susmentionnées (intimés)
Division de première instance, juge Rouleau—
Winnipeg, 29 octobre; Ottawa, 15 novembre 1984.
Pratique — Outrage au tribunal — Inobservation d'une
ordonnance du Conseil canadien des relations du travail
(CCRT) — Le conseil de la bande indienne et le conseil
scolaire ont refusé de négocier avec la Teachers' Society et de
réinstaller dans leurs postes les enseignants requérants — Ils
n'ont pas comparu à l'audience tenue pour permettre aux
parties d'exposer leurs raisons — Ils ont contesté la compé-
tence du CCRT et de la Cour en ce qui concerne les affaires
indiennes — Il ne doit pas être porté atteinte au bon ordre et à
l'administration de la justice, ni à la dignité de la Cour ou à
celle d'autres organismes créés par la loi — La Cour ne peut
tolérer la désobéissance lorsque la protection d'enseignants, la
négociation collective et la liberté d'association sont en jeu —
La Règle 355(2) prévoit des amendes et, à défaut, des peines
d'emprisonnement — Règles de la Cour fédérale, C.R.C.,
chap. 663, Règles 354, 355.
Relations du travail — Différend du travail — Les modali-
tés de la première convention collective ont été fixées confor-
mément à l'art. 171.1 du Code — Refus de la part du conseil
de la bande indienne et du conseil scolaire intimés de négocier
— Ingérence dans la représentation des employés, usage de
menaces et de coercition — Il a été mis fin sans motif au
contrat des enseignants requérants — Ordonnance du CCRT
enjoignant aux intimés de se conformer à la convention collec
tive et de réinstaller les enseignants dans leurs postes —
Inobservation fondée sur la non-reconnaissance de la compé-
tence du CCRT et de la Cour sur les affaires indiennes — La
jurisprudence a établi que le CCRT était compétent à connaî-
tre de la question en litige — La désobéissance entraîne des
amendes ou des peines d'emprisonnement — Code canadien du
travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 123(1) (mod. par S.C.
1977-78, chap. 27, art. 43), 171.1 (ajouté, idem, art. 62 et
mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 53), 184(1)a)
(ajouté par S.C. 1972, chap. 18, art. 1), 184(3)a) (mod. par
S.C. 1977-78, chap. 27, art. 65; 1980-81-82-83, chap. 47, art.
53), 186 (ajouté par S.C. 1972, chap. 18, art. 1).
Indiens — Conflit de travail — Le Conseil canadien des
relations du travail (CCRT) a réglé les modalités de la pre-
mière convention collective entre le syndicat provincial des
enseignants et le conseil de bande — Inobservation de l'ordon-
nance par laquelle le CCRT a ordonné la négociation avec le
syndicat — Refus des intimés d'admettre la compétence du
CCRT et de la Cour fédérale en ce qui concerne les activités
des Indiens et les réserves indiennes — Les intimés ont invoqué
la Déclaration des Premières Nations sur l'autodétermination
— Le refus des intimés de se conformer à l'ordonnance du
CCRT constitue un outrage au tribunal — Ce n'est ni à la
Cour ni au CCRT qu'il faut s'adresser pour obtenir une
solution politique.
À la suite d'une enquête sur le différend existant entre la
Manitoba Teachers' Society et le conseil de la bande indienne
et le conseil scolaire de Fort Alexander, le Conseil canadien des
relations du travail (CCRT) a rendu, conformément à l'article
171.1 du Code, une ordonnance réglant les modalités de la
première convention collective entre les parties. Le CCRT a
statué que le conseil de bande et le conseil scolaire ont refusé de
négocier avec la Teachers' Society, qu'ils ont mis fin au contrat
des enseignants requérants, s'ingérant ainsi dans la représenta-
tion des employés en contravention de l'alinéa 184(1)a) du
Code, et qu'ils ont violé l'article 186 en usant de menaces et de
coercition. L'ordonnance du CCRT a été déposée à la Cour
fédérale, conformément au paragraphe 123(1) du Code. Devant
le refus prolongé de la bande et du conseil scolaire de négocier
et de réinstaller les enseignants dans leurs postes, la tenue d'une
audience pour permettre aux parties d'exposer leurs raisons a
été ordonnée. Même s'ils avaient été dûment assignés, les
intimés n'ont pas comparu à ladite audience parce qu'ils ne
voulaient pas admettre la compétence du CCRT ou de la Cour.
Leur position, qui a été annoncée au cours d'une conférence de
presse, reposait sur la Déclaration des Premières Nations con-
cernant l'autodétermination.
Jugement: les intimés sont coupables d'outrage au tribunal.
La Cour ne devrait pas permettre qu'il soit porté atteinte au
bon ordre et à l'administration de la justice, ni à la dignité de la
Cour ou à celle d'autres organismes créés par la loi. La Cour
suprême du Canada dans l'arrêt Francis et la Cour d'appel de
la Saskatchewan dans l'arrêt Whitebear Band Council ont
clairement démontré la compétence du CCRT pour agir dans
cette affaire. Le CCRT a la responsabilité de reconnaître
l'existence de la liberté d'association et du droit de négocier
collectivement et librement, et le Canada a assumé à cet égard
une responsabilité à l'échelle internationale. En tant que ques
tion d'intérêt public depuis longtemps au Canada, elle ne
devrait pas faire l'objet d'affrontements et de provocations. La
désobéissance ne peut être tolérée, surtout lorsque la protection
d'enseignants, la négociation collective et la liberté d'associa-
tion sont en jeu. Ce n'est ni à la Cour ni au CCRT qu'il faut
s'adresser pour obtenir une solution politique.
Suivant la Règle 355(2) de la Cour fédérale, une amende
maximale de 5 000 $ ou un emprisonnement d'au plus un an
peut être imposé dans les cas d'outrage au tribunal. Il n'existe
pas de telles limites lorsqu'il s'agit de corporations. Le conseil
de bande se voit infliger une amende de 15 000 $, le chef, une
amende de 5 000 $, et chaque membre de la bande, une amende
de 1 000 $. La Cour impose une amende moins élevée au
conseil scolaire et à ses membres et aux surintendants à l'édu-
cation parce qu'ils n'avaient d'autre choix que d'obéir aux
instructions du chef et du conseil de bande. À défaut de
paiement de leurs amendes, les particuliers intimés sont passi-
bles d'une peine d'emprisonnement.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Alliance de la Fonction publique du Canada c. Francis et
autres, [1982] 2 R.C.S. 72; Whitebear Band Council v.
Carpenters Provincial Council of Saskatchewan et al.,
[1982] 3 W.W.R. 554 (C.A. Sask.).
AVOCATS:
Mel Myers, c.r., pour les requérants (plai-
gnants).
Robert Watson pour les intimés.
PROCUREURS:
Skwark, Myers, Kussin, Weinstein, Winni-
peg, pour les requérants (plaignants).
Robert Watson, Winnipeg, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ROULEAU: La présente affaire découle
de l'inobservation d'une ordonnance du Conseil
canadien des relations du travail en date du 23
août 1984 et modifiée par une autre ordonnance
rendue ce même jour. Par une ordonnance de
justification datée du 17 octobre 1984, la Cour
fédérale a cité les intimés à comparaître devant
elle à Winnipeg, le 29 octobre 1984 14 heures.
J'étais présent à l'heure fixée et j'ai constaté que
l'ordonnance avait été signifiée à toutes les parties.
Aucun des intimés ne s'est présenté.
Conformément à l'article 171.1 du Code cana-
dien du travail [S.R.C. 1970, chap. L-1 (ajouté
par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 62 et mod. par
S.C. 1980-81-82-83, chap. 47, art. 53)], le ministre
du Travail a ordonné au Conseil canadien des
relations du travail de faire enquête sur le diffé-
rend existant entre les parties et, si le Conseil le
jugeait opportun, de régler les modalités de la
première convention collective entre elles. En con-
séquence, des audiences ont été tenues à Winnipeg
(Manitoba) les 21 et 22 août 1984.
Le Conseil a statué premièrement que les inti-
més, la bande indienne de Fort Alexander et le
conseil scolaire de Fort Alexander faisant partie de
l'administration de l'éducation Sagkeeng (Sag-
keeng Education Authority), réserve de Fort
Alexander, ont refusé de négocier avec la section
locale 65 de la Manitoba Teachers' Society;
deuxièmement, que la bande indienne et le conseil
scolaire intimés ont mis fin au contrat des ensei-
gnants Samuel Klippenstein, Jon Mills, Patricia
Morrisseau et John A. Courchene à compter du 31
août 1984, et ont ainsi violé l'alinéa 184(1)a)
[ajouté par S.C. 1972, chap. 18, art. 1] du Code en
s'ingérant dans la représentation des employés par
la Manitoba Teachers' Society et sa section locale;
et troisièmement, qu'ils ont contrevenu à l'article
186 [ajouté par S.C. 1972, chap. 18, art. 1] du
Code en usant de menaces et de coercition pour
essayer de contraindre les employés à s'abstenir de
devenir ou à cesser d'être membres de la Manitoba
Teachers' Society.
C'est à la suite de ces conclusions que, par une
ordonnance datée du 23 août 1984 et conformé-
ment à l'article 171.1 du Code canadien du tra
vail, le Conseil canadien des relations du travail a
réglé les modalités de la première convention col
lective entre la Teachers' Association, section
locale 65, le conseil de bande et le conseil scolaire.
Il a conclu que les quatre enseignants du conseil
scolaire étaient dignes de confiance et que leurs
contrats n'avaient pas été renouvelés; que le conseil
de bande s'était ingéré dans la représentation des
employés par la Manitoba Teachers' Society, et
qu'il avait essayé par des menaces et par coercition
de contraindre ces employés à s'abstenir de devenir
ou à cesser d'être membres de la Manitoba Tea
chers' Society.
Le Conseil a également fait les constatations
suivantes: le chef de la bande indienne de Fort
Alexander était Kenneth Courchene; les conseillers
de la bande comprenaient Paul Guimond, Nelly
Abraham, Rene Spence et Henry Courchene; Carl
Fontaine était président du conseil scolaire de Fort
Alexander faisant partie de l'administration de
l'éducation Sagkeeng (Sagkeeng Education
Authority); le conseil scolaire se composait de
Mary Starr, Wayne Fontaine, Josephine Swampy
et Martha Prince; le surintendant à l'éducation
était David Courchene fils et le surintendant
adjoint était Pat Bruyere.
Le Conseil a ordonné à ces intimés de cesser de
violer les alinéas 184(1)a) et 184(3)a) [mod. par
S.C. 1977-78, chap. 27, art. 65; 1980-81-82-83,
chap. 47, art. 53] et l'article 186 du Code canadien
du travail. Il a en outre ordonné que les avis de
non-rengagement des quatre enseignants, datés du
25 avril 1984 et devant prendre effet le 31 août
1984, soient annulés et que lesdits enseignants
soient réinstallés dans leurs postes; il a également
statué qu'on ne pouvait interdire l'accès de la
réserve indienne de Fort Alexander aux personnes
désignées ni les empêcher par ailleurs d'y pénétrer
aux fins d'exercer leurs fonctions à titre d'em-
ployés des écoles de la réserve indienne de Fort
Alexander.
L'ordonnance du Conseil canadien des relations
du travail a été déposée à la Cour fédérale du
Canada le 28 août 1984, conformément au para-
graphe 123(1) [mod. par S.C. 1977-78, chap. 27,
art. 43] du Code canadien du travail.
Un représentant de la Manitoba Teachers'
Society ainsi que les enseignants Samuel Klippens-
tein, Jon Mills, Patricia Morrisseau et John A.
Courchene ont témoigné au cours de l'audience
tenue le 29 octobre 1984 pour permettre aux par
ties d'exposer leurs raisons. Il ressort clairement de
leurs témoignages que le conseil de bande et le
conseil scolaire ont refusé de négocier avec la
Manitoba Teachers' Society depuis le prononcé de
l'ordonnance. Il est également évident que, en
dépit des efforts des quatre enseignants pour
retourner à leur travail et pour se faire rengager
par le conseil scolaire, ils n'ont pas pu reprendre
leur emploi qui devait débuter le Zef septembre
1984. Les intimés ont omis d'annuler les avis de
non-rengagement et de réinstaller les enseignants
dans leurs postes. Ils ont refusé de se conformer à
la première convention collective dont le Conseil
canadien des relations du travail avait fixé les
modalités dans son ordonnance du 23 août.
Aucun des intimés nommés ni aucun représen-
tant autorisé du conseil de la bande indienne de
Fort Alexander ou du conseil scolaire de Fort
Alexander n'a comparu à l'audience tenue pour
permettre aux parties d'exposer leurs raisons.
L'avocat engagé par les intimés a comparu et a été
entendu par la Cour. Il a d'abord fait remarquer
qu'on lui avait donné pour instructions d'informer
la Cour qu'aucun des intimés ne comparaîtrait
même s'ils avaient tous été dûment assignés et
qu'aucun d'eux ne voulait admettre la compétence
du Conseil canadien des relations du travail ou de
la Cour fédérale du Canada.
À la suite des ordonnances du Conseil canadien
des relations du travail, le chef du conseil de bande
a tenu une conférence de presse; CBC -TV y a
assisté et une bande magnétoscopique de la confé-
rence de presse a été présentée à la Cour. Le chef a
commencé sa conférence par les remarques
suivantes:
[TRADUCTION] La bande indienne de Fort Alexander ainsi que
l'administration de l'éducation Sagkeeng ont choisi de contester
l'autorité du Conseil canadien des relations du travail en ce qui
concerne les activités des Indiens et les réserves indiennes. C'est
la déclaration du gouvernement des Premières Nations indien-
nes sur l'autodétermination plutôt que l'antisyndicalisme qui est
le fondement de cette décision.
Il a poursuivi en disant:
[TRADUCTION] La communauté s'est réunie il y a deux jours et
s'est montrée déterminée quant à son intention de refuser de
réinstaller les enseignants concernés dans leurs fonctions, et elle
a décidé que nous n'interjetterons pas appel, mais que nous
allons plutôt nous en tenir fermement à notre décision de
maintenir le renvoi desdits enseignants.
L'un des témoins, John A. Courchene, qui fait
partie des enseignants suspendus et qui est
membre de la bande indienne de Fort Alexander a
déclaré dans son témoignage que le conseil scolaire
tel qu'il existe actuellement a été nommé par le
chef il y a environ dix-huit mois et que les mem-
bres précédents du conseil scolaire avaient été élus
en même temps que ceux du conseil de bande.
Toutefois, le chef et son conseil étant insatisfaits
des résultats de l'élection auraient décidé d'eux-
mêmes d'exiger la démission des membres du con-
seil scolaire et de les remplacer sans procéder à
une élection en bonne et due forme.
J'ai examiné brièvement la jurisprudence con-
cernant les bandes indiennes et la compétence des
commissions de relations du travail fédérales et
provinciales. En analysant la compétence de ces
commissions sur les réserves indiennes, je me suis
penché sur les arrêts suivants: Alliance de la
Fonction publique du Canada c. Francis et autres,
[1982] 2 R.C.S. 72; Whitebear Band Council v.
Carpenters Provincial Council of Saskatchewan et
al., [1982] 3 W.W.R. 554 (décision de la Cour
d'appel de la Saskatchewan). Ces arrêts m'ont
convaincu que le Conseil canadien des relations du
travail était compétent pour connaître de cette
affaire et qu'il était tout à fait habilité à rendre
l'ordonnance du 23 août 1984.
Il m'incombe maintenant de déterminer com
ment je dois me prononcer sur ce refus d'obéir à
une ordonnance de cette Cour. Les Règles 354 et
355 de la Cour [Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663] portent:
Règle 354. (1) Toute personne présente à une séance de la Cour
ou d'un protonotaire doit s'y comporter avec respect, garder le
silence et s'abstenir de manifester son approbation ou sa désap-
probation de ce qui s'y passe.
(2) L'observation de l'alinéa (1) est obligatoire en tout lieu
où un juge exerce les fonctions de son état.
(3) Toute personne qui contrevient à l'alinéa (1) ou qui
n'obéit pas dans l'instant à l'ordre d'un juge, d'un protonotaire
ou d'un officier sous leur autorité est coupable d'outrage au
tribunal, et, s'il est un officier de justice, le tribunal peut le
suspendre de sa fonction.
Règle 355. (1) Est coupable d'outrage au tribunal quiconque
désobéit à un bref ou une ordonnance de la Cour ou d'un de ses
juges, ou agit de façon à gêner la bonne administration de la
justice, ou à porter atteinte à l'autorité ou à la dignité de la
Cour. En particulier, un officier de la justice qui ne fait pas son
devoir, et un shérif ou huissier qui n'exécute pas immédiate-
ment un bref ou qui ne dresse pas le procès-verbal d'exécution y
afférent ou qui, enfreint une règle dont la violation le rend
passible d'une peine, est coupable d'outrage au tribunal.
(2) Sauf disposition contraire, quiconque est coupable d'ou-
trage au tribunal est passible d'une amende qui, dans le cas
d'un particulier ne doit pas dépasser $5,000 ou d'un emprison-
nement d'un an au plus. L'emprisonnement et, dans le cas d'une
corporation, une amende, pour refus d'obéissance à un bref ou
une ordonnance, peuvent être renouvelés jusqu'à ce que la
personne condamnée obéisse.
(3) Quiconque se rend coupable d'outrage au tribunal en
présence du juge dans l'exercice de ses fonctions peut être
condamné sur-le-champ, pourvu qu'on lui ait demandé de
justifier son comportement.
(4) Une personne ne peut être condamnée pour outrage au
tribunal commis hors de la présence du juge que s'il lui a été
signifié une ordonnance de justification lui enjoignant de com-
paraître devant la Cour, au jour et à l'heure fixés pour entendre
la preuve des actes dont il est accusé et pour présenter, le cas
échéant, sa défense en exposant les raisons de sa conduite.
Cette ordonnance, rendue par le juge soit de sa propre initia
tive, soit sur demande, doit obligatoirement être signifiée à
personne, à moins qu'un autre mode de signification ne soit
autorisé pour des raisons valables. La demande d'ordonnance
de justification enjoignant d'exposer les raisons peut être pré-
sentée sans qu'il soit nécessaire de la faire signifier.
(5) La procédure prévue à l'alinéa (4) n'exclut pas une
demande d'incarcération en vertu du chapitre I de la Partie
VII. L'une ou l'autre de ces deux méthodes de procédure peut
être appliquée, mais le fait de s'être engagé dans l'une de ces
deux voies supprime la possibilité de s'engager dans l'autre. Les
autres dispositions de la présente Règle n'excluent pas les
pouvoirs inhérents à la Cour; et la présente Règle ainsi que les
pouvoirs inhérents à la Cour peuvent être invoqués en toute
circonstance appropriée.
L'avocat des intimés a déposé devant la Cour
une déclaration rédigée au nom du conseil de
bande de la réserve de Fort Alexander ainsi qu'une
copie de la Déclaration du conseil conjoint des
Premières Nations de la Fraternité des Indiens du
Canada. Le texte soumis à la Cour porte à la
page 2:
[TRADUCTION] Le créateur nous a transmis des règles régissant
nos rapports et définissant nos droits et nos responsabilités et
l'ensemble de notre riche héritage culturel, ainsi que les valeurs
qui nous ont encouragés à nous montrer disposés à envisager le
partage de nos terres dans le respect mutuel des autres peuples
en quête d'un avenir où ils seraient libérés de l'oppression
sociale, politique, religieuse ou économique existant dans leurs
propres pays d'origine.
Il est ironique de constater que les intimés lais-
sent entendre à la Cour qu'il faut respecter le droit
d'une personne de se soustraire à l'oppression
sociale, politique, religieuse ou économique, mais
qu'ils ont omis pour leur part de respecter la
volonté des membres de la bande qui avaient pré-
cédemment élu un conseil scolaire; ils ont refusé
aux enseignants, dont un bon nombre sont mem-
bres de la bande, le droit de se syndiquer, et ils ne
veulent pas reconnaître le droit et la liberté d'asso-
ciation ni le droit de négocier collectivement et
librement.
Quoique provocantes, les déclarations du chef
intimé ne doivent pas troubler indûment le Conseil
canadien des relations du travail qui a la responsa-
bilité de reconnaître l'existence de la liberté d'asso-
ciation et du droit de négocier collectivement et
librement. Le gouvernement du Canada a ratifié la
Convention n° 87 de l'Organisation internationale
du travail concernant la liberté syndicale et la
protection du droit syndical; le Canada a assumé à
cet égard une responsabilité à l'échelle internatio-
nale. Il s'agit depuis longtemps au Canada d'une
question d'intérêt public et elle ne devrait pas faire
l'objet d'affrontements et de provocations. L'objec-
tif de la Cour n'est pas de soulever des controver-
ses, mais elle ne devrait pas permettre qu'il soit
porté atteinte au bon ordre et à l'administration de
la justice, ni à la dignité de la Cour ou à celle
d'autres organismes créés par la loi.
Si les Premières Nations de ce pays cherchent à
obtenir une solution politique, c'est au Parlement
qu'elles doivent s'adresser et non au Conseil cana-
dien des relations du travail ni à la Cour. Celle-ci
ne peut tolérer la désobéissance, surtout lorsqu'il
s'agit de la protection d'enseignants, de la négocia-
tion collective et de la liberté d'association. Il
incombe à la Cour de s'assurer que des organismes
élus régulièrement, en l'espèce le conseil scolaire,
ne soient pas forcés de suivre les ordres du conseil
de bande et de mettre en application les démissions
qui ont été imposées par un conseil intolérant, ces
organismes étant autorisés à agir par leurs com-
mettants et restant en fonction grâce à leur respect
du processus électoral.
Compte tenu de la preuve, je suis convaincu
qu'il y a eu violation flagrante d'une ordonnance
de cette Cour. Suivant le paragraphe 355(2) des
Règles de la Cour fédérale du Canada, quiconque
est coupable d'outrage au tribunal est passible
d'une amende qui ne doit pas dépasser 5 000 $ ou
d'un emprisonnement d'un an au plus. Dans le cas
d'une corporation ou d'un autre organisme dûment
créé par la loi, il n'existe pas de limite quant à
l'amende pour refus d'obéissance à un bref ou à
une ordonnance.
Par conséquent, j'impose une amende de
15 000 $ au conseil de la bande indienne de Fort
Alexander; j'impose en outre au chef Kenneth
Courchene une amende de 5 000 $ qu'il devra
verser dans les trente jours ou, à défaut, un empri-
sonnement de trente jours, et finalement, une
amende de 1 000 $ à chaque membre du conseil de
la bande indienne de Fort Alexander. Ces derniers
ont trente jours pour payer leur amende ou, à
défaut, ils devront purger une peine d'emprisonne-
ment de sept jours.
En ce qui concerne le conseil scolaire de Fort
Alexander, les membres du conseil et les surinten-
dants à l'éducation, j'estime qu'ils n'avaient d'au-
tre choix que d'obéir aux instructions du chef et du
conseil de bande, qu'il est possible que les mem-
bres du conseil scolaire aient été nommés sans le
vouloir et que les surintendants n'aient pu qu'ac-
cepter les directives du chef et du conseil de bande.
J'impose donc une amende de 500 $ au conseil
scolaire de Fort Alexander faisant partie de l'ad-
ministration de l'éducation Sagkeeng (Sagkeeng
Education Authority), et à chacun des membres
dudit conseil ainsi qu'aux surintendants à l'éduca-
tion, une amende de 50 $ qu'ils devront verser dans
un délai de trente jours ou, à défaut, un emprison-
nement de trois jours.
Au Canada, les contestations d'ordre constitu-
tionnel n'ont rien de nouveau. La Cour est cons-
tamment appelée à connaître de contestations por-
tant sur l'administration du gouvernement fédéral,
mais il est rare que l'on constate un mépris aussi
clair de nos institutions. Si le conseil de la bande
indienne de Fort Alexander désire contester la
constitutionnalité du Conseil canadien des rela
tions du travail ou de cette Cour, il doit alors
comparaître, faire valoir son point de vue, exposer
ses motifs de contestation et utiliser tous les
moyens juridiques qui sont à sa disposition. J'ai
sérieusement envisagé la possibilité d'imposer une
peine d'emprisonnement, mais j'espère que les
amendes imposées sont suffisamment sévères pour
que l'ordonnance soit observée. Il ne faudrait pas
oublier que la désobéissance peut entraîner le pro-
noncé d'autres ordonnances. Refuser obstinément
de respecter une ordonnance pourrait être consi-
déré comme une infraction continue et peut faire
l'objet d'autres ordonnances de justification.
Il est manifestement dans l'intérêt public de
préserver l'autorité de la justice dans ce pays et il
est de mon devoir d'imposer à cet effet les peines
appropriées.
Les requérants ont droit aux dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.