A-543-81
Compagnie des chemins de fer nationaux du
Canada (requérante)
c.
Commission canadienne des droits de la personne
et K. S. Bhinder (intimés)
Cour d'appel, juges Heald et Le Dain, juge sup
pléant Kelly-Toronto, 30 septembre 1982;
Ottawa, 13 avril 1983.
Droits de la personne - Le règlement exigeant le port du
casque de sécurité dans un centre de triage est contraire aux
pratiques religieuses d'un employé - Pas de discrimination
au sens de l'art. 7 de la Loi canadienne sur les droits de la
personne en l'absence d'intention discriminatoire ou de traite-
ment défavorable - L'art. 10 de la Loi n'interdit pas la
discrimination indirecte - La règle de sécurité est une exi-
gence professionnelle normale au sens de l'art. 14a) de la Loi,
telle que définie dans l'arrêt Commission ontarienne des droits
de la personne, et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1
R.C.S. 202 - Le principe américain selon lequel l'employeur
a le devoir, si cela ne lui crée pas de contrainte excessive, de
tenir compte des convictions religieuses de l'employé ne s'ap-
plique pas à la loi canadienne - Loi canadienne sur les droits
de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 2, 3, 7, 10, 14a),
22(2) (abrogé et remplacé par 1977-78, chap. 22, art. 5), 39(1),
41(2) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 20), (3)
- Civil Rights Act of 1964, 42 U.S.C., art. 2000e-2a(2) (éd.
1970); idem, 42 U.S.C. (Supp. II 1972), art. 2000e(j) -
Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1970, chap. 318, art.
4(1)a),b),g) (mod. par S.O. 1972, chap. 119, art. 5), (6) -
Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1980, chap. 340, art.
4(1)g),(6) - Code des droits de la personne, 1981, S.O. 1981,
chap. 53, art. 10 - Code canadien du travail, S.R.C. 1970,
chap. L-1, art. 81, 82, 84(1)g) - Human Rights Act, S.P.E.I.
1975, chap. 72, art. 2a) - Human Rights Code, R.S.B.C.
1979, chap. 186, art. 3 - Sex Discrimination Act 1975, 1975,
chap. 65 (R-U.), art. 1(1)a),6) - Race Relations Act 1976,
1976, chap. 74 (R.-U.), art. 1(1) - Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28 - Règlement du
Canada sur les vêtements et l'équipement protecteurs, C.R.C.,
chap. 1007, art. 3, 8, 9 - Règlement du Canada sur la
protection contre les dangers de l'électricité, C.R.C., chap. 998,
art. 2(1), 3, 17, 18.
En 1978, le Canadien National a adopté, en vertu du Code
canadien du travail et de ses règlements, une politique en
matière de sécurité exigeant que les électriciens d'entretien
travaillant au centre de triage de Toronto portent un casque de
sécurité. L'intimé, un Sikh qui travaillait à cet endroit depuis
1974, a refusé de s'y conformer parce que sa religion l'obligeait
à porter le turban et lui interdisait de porter autre chose sur la
tête. Il perdit donc son emploi au CN par suite de son refus de
porter le casque de sécurité.
Le tribunal des droits de la personne jugea que le CN avait
commis un acte discriminatoire contrairement aux prescriptions
de la Loi canadienne sur les droits de la personne et lui
ordonna notamment de réintégrer l'intimé dans ses fonctions
d'électricien d'entretien en le dispensant de l'obligation de
porter le casque de sécurité. Le CN demande l'examen et
l'annulation de cette décision en vertu de l'article 28 de la Loi
sur la Cour fédérale.
Arrêt (le juge Le Dain dissident): la demande est accueillie
et la décision et les ordonnances du tribunal sont annulées.
Le juge Heald: L'article 7 de la Loi canadienne sur les droits
de la personne ne vise que les actes de discrimination directe et
non ceux d'où est absente l'intention discriminatoire. L'article
10 n'a pas une portée assez large pour inclure les conséquences
des actes de discrimination indirecte. Compte tenu du libellé
différent de la loi équivalente des États-Unis, la notion de
discrimination fondée sur les conséquences préjudiciables, éla-
borée dans la jurisprudence américaine, ne peut être appliquée
au Canada.
De plus, la politique en matière de sécurité satisfait aux
critères de bonne foi et de nécessité raisonnable imposés par la
Cour suprême du Canada dans le jugement unanime rendu par
le juge McIntyre dans l'affaire Commission ontarienne des
droits de la personne, et autres c. Municipalité d'Etobicoke,
[1982] 1 R.C.S. 202, et peut donc être interprétée comme une
exigence professionnelle normale qui, à ce titre, bénéficie de la
protection de l'alinéa 14a) de la Loi. Le principe américain
reconnaissant le devoir de permettre aux employés de s'acquit-
ter de leurs obligations religieuses si cela ne cause pas de
contrainte excessive ne peut être considéré, en l'absence de
termes précis à cet effet dans les dispositions applicables,
comme faisant partie de la loi canadienne.
Le juge suppléant Kelly (souscrivant au résultat): Dans
l'exercice de ses fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, le
tribunal a été appelé à interpréter la loi qui le régit, mais il
semble en l'espèce avoir étendu son mandat pour y inclure des
domaines qui ne lui ont pas été attribués spécifiquement.
Comme le Parlement ne l'a pas dit expressément, on ne peut
présumer qu'en cas de conflit entre les droits de la personne et
d'autres dispositions législatives ou réglementaires, les droits de
la personne doivent prévaloir.
Le juge Le Dain (dissident): Il s'agit moins en l'espèce de
déterminer si l'intention de discriminer est un élément essentiel
des actes discriminatoires définis aux articles 7 et 10 de la Loi
que de rechercher si ces articles visent autant la discrimination
indirecte que la discrimination directe. L'article 7 n'englobe pas
les cas de discrimination ne comportant ni intention de discri-
miner ni traitement défavorable. En revanche, il semble que
l'article 10, par les mots «d'une manière susceptible d'annihi-
ler», ait une portée suffisamment large pour inclure les inciden
ces de la discrimination indirecte. L'alinéa 703a)(2) du Civil
Rights Act of 1964 des États-Unis, la disposition légale sur
laquelle repose l'application de la notion de conséquence préju-
diciable en matière de discrimination dans l'arrêt Griggs de la
Cour suprême des États-Unis, contient pratiquement les mêmes
termes et son interprétation dans cet arrêt a une valeur con-
vaincante en ce qui a trait à l'interprétation de l'article 10.
Selon le droit, le tribunal pouvait considérer que l'obligation
de tenir compte de la situation de l'employé est un élément
nécessaire pour que s'applique l'exception fondée sur l'exigence
professionnelle normale. L'application des divers facteurs dont
il faut tenir compte lorsqu'on détermine si la politique est
raisonnablement nécessaire ou si, dans les circonstances, l'em-
ployeur a l'obligation de s'adapter aux pratiques religieuses de
l'employé, met essentiellement en jeu des questions de fait et
dans une certaine mesure des questions de principe en matière
de droits de la personne. La Cour ne doit pas modifier les
conclusions du tribunal à cet égard puisqu'il ne les a pas .tirées
de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des élé-
ments portés à sa connaissance.. La Cour ne devrait pas non
plus intervenir à la légère dans ce qui constitue essentiellement
une question de politique en matière de droits de la personne,
portant sur l'application des principes ou critères que les tribu-
naux des droits de la personne ont élaborés sous forme d'un
courant jurisprudentiel distinct. La conclusion sur la question
de la contrainte excessive cadre bien avec l'ensemble de la
politique des droits de la personne et elle doit, comme question
de droit, étre laissée à l'appréciation d'un tel tribunal chargé de
déterminer si, dans un cas particulier, l'employeur a l'obligation
de tenir compte de la situation d'un employé.
Compte tenu de la préséance de la Loi sur les droits de la
personne, le tribunal avait nécessairement la compétence pour
tenir compte de l'application du Code et des règlements en
l'espèce, ainsi que des diverses questions touchant la sécurité et
les risques afin de déterminer si, à la lumière de toutes les
circonstances, l'employeur devait s'adapter aux pratiques reli-
gieuses de l'employé.
JURISPRUDENCE
ARRÊT APPLIQUÉ:
Commission ontarienne des droits de la personne, et
autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202;
132 D.L.R. (3d) 15.
DISTINCTION FAITE AVEC L'ARRÊT:
Griggs v. Duke Power Co., 401 U.S. 424 (1971) (S.C.);
Re Rocca Group Ltd. and Muise (1979), 102 D.L.R.
(3d) 529 (C.S.i: P: É.).
DÉCISIONS CITÉES:
Ontario Human Rights Commission et al. v. Simpsons-
Sears Ltd. (1982), 38 O.R. (2d) 423 (C.A.) (confirmant
36 O.R. (2d) 59 (C. div.)); Singh v. Rowntree MacKin
tosh Ltd., [1979] I.C.R. 554 (E.A.T. Écosse); Panesar v.
Nestlé Co. Ltd., [1980] I.C.R. 144 (C.A. Angl.); Re
Attorney -General for Alberta and Gares et al. (1976), 67
D.L.R. (3d) 635 (C.S. 1" inst. Alb.); Gay Alliance
Toward Equality c. Vancouver Sun, [ 1979] 2 R.C.S. 435;
Dewey v. Reynolds Metal Company, 429 F.2d 324 (6th
Cir. 1970) (confirmé, 402 U.S. 689 (1971) (S.C.)); Insu
rance Corporation of British Columbia c. Heerspink et
autre, [1982] 2 R.C.S. 145; 137 D.L.R. (3d) 219; Trans
World Airlines, Inc. v. Hardison et al., 432 U.S. 63
(1977) (S.C.); Re Newport and Government of Manitoba
(1982), 131 D.L.R. (3d) 564.
AVOCATS:
L. L. Band, c.r. et G. Poppe pour la
requérante.
R. G. Juriansz pour la Commission cana-
dienne des droits de la personne, intimée.
I. Scott, c.r. et Raj Anand pour K. S. Bhin-
der, intimé.
I. G. Whitehall, c.r. et J. McCann pour le
procureur général du Canada.
PROCUREURS:
Contentieux, Canadien National, Toronto,
pour la requérante.
Contentieux, Commission canadienne des
droits de la personne pour la Commission
canadienne des droits de la personne, intimée.
Cameron, Brewin & Scott, Toronto, pour K.
S. Bhinder, intimé.
Le sous-procureur général du Canada pour le
procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: J'ai eu l'avantage de lire les
motifs de jugement de mon collègue le juge Le
Dain, mais en toute déférence je ne peux souscrire
aux conclusions qu'il propose.
À mon avis, le juge Le Dain a su résumer de
façon précise et succincte les faits pertinents à
l'examen des questions soulevées par la présente
demande et je ne vais y ajouter que dans la mesure
nécessaire à la compréhension de mes motifs. Je
suis également d'accord avec les renvois qu'il fait
aux dispositions pertinentes des lois et règlements
applicables en l'espèce ainsi qu'avec sa conclusion
suivant laquelle l'article 7 de la Loi canadienne sur
les droits de la personne [S.C. 1976-77, chap. 33]
ne vise que les actes de discrimination directe et
non ceux d'où sont absents toute intention discri-
minatoire et tout traitement défavorable. Comme
le tribunal a jugé que l'appelante n'avait aucune
intention discriminatoire lorsqu'elle a appliqué à
l'intimé Bhinder sa politique relative au port du
casque de sécurité, je suis d'avis qu'il a fait erreur
en concluant à une contravention à l'article 7 dans
les circonstances de la présente espèce.
Toutefois, je suis en désaccord avec le juge Le
Dain lorsqu'il affirme que l'article 10 de la Loi
canadienne sur les droits de la personne a une
portée suffisamment large pour inclure les consé-
quences des actes de discrimination indirecte. La
décision de la Cour suprême des États-Unis dans
l'affaire Griggs v. Duke Power Co., 401 U.S. 424
(1971) [S.C.], citée par le juge Le Dain, a été
abondamment commentée tant dans des articles
que dans des jugements. On a dit qu'il s'agissait
d'une décision historique parce qu'elle avait
approuvé la définition suivante de la discrimina
tion:
[TRADUCTION] La discrimination est un comportement qui a
pour effet de désavantager les membres de groupes minoritaires
par rapport aux membres de groupes majoritaires. Les justifica
tions fondées sur des impératifs d'entreprise sont toutefois
admises en défense'.
Dans son analyse, le professeur Blumrosen souli-
gne que ce principe d'interprétation libérale «exige
une assise» que l'on trouve, en l'occurrence, à
l'alinéa 703a)(2) du Titre VII du Civil Rights Act
of 1964 [42 U.S.C. art. 2000e-2a(2) (éd. 1970)].
Le professeur ajoute:
[TRADUCTION] Cette disposition interdit à un employeur de
«prendre des mesures susceptibles de nuire» (adversely affect) à
la situation d'un individu en tant qu'employé en raison de sa
race, de sa couleur, de sa religion, de son sexe ou de son origine
nationale. L'origine de l'expression »adversely affect» est assez
nébuleuse. Elle ne figurait pas dans la première version de la
Loi sur l'égalité d'accès à l'emploi de l'État de New York ... et
constitue donc techniquement un nouveau point de départ en
matière d'interprétation des lois. Elle suggère que les tribunaux
doivent s'attacher davantage aux conséquences des actes qu'à
l'état d'esprit de leur auteur 2 .
L'alinéa 703a)(2) du Civil Rights Act of 1964
prévoyait que:
[TRADUCTION] 703. a) Constitue un acte illégal le fait pour un
employeur—
(2) d'établir à l'endroit de ses employés des restrictions, des
différences ou des catégories d'une manière susceptible d'anni-
hiler les chances d'emploi ou d'avancement de quiconque ou,
d'une façon générale, de nuire à la situation de quiconque en
tant qu'employé en raison de sa race, de sa couleur, de sa
religion, de son sexe ou de son origine nationale.
L'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de
la personne 3 emploie les mots «d'une manière sus-
' Il s'agit d'une citation tirée d'un article d'Alfred W. Blum-
rosen, professeur de droit à l'Université Rutgers et conciliateur
principal à la Commission d'égalité d'accès à l'emploi des
Etats-Unis (1965-67). Michigan Law Review, vol. 71, p. 67.
2 Michigan Law Review, vol. 71, p. 74.
3 L'article 10 se lit comme suit:
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'em-
ployeur ou l'association d'employés
a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les
mises en rapport, l'engagement, les promotions, la forma
tion, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect
d'un emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière suscepti
ble d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un
individu ou d'une catégorie d'individus.
ceptible d'annihiler» mais non l'expression «d'une
façon générale, de nuire». En toute déférence, je
suis en désaccord avec l'opinion suivant laquelle
l'article 10 peut, même en l'absence de l'expression
qui précède, recevoir la même interprétation que
l'alinéa 703(a)2) précité si on l'examine dans le
contexte global de la Loi. L'article 2 de la Loi
canadienne° prévoit que même si tous les individus
ont droit à l'égalité des chances d'épanouissement,
ce droit n'existe que «... dans la mesure compati
ble avec leurs devoirs ... au sein de la société ...»
L'article fait aussi état «... des considérations
fondées sur ... la religion ...» (C'est moi qui
souligne.) En outre, le paragraphe 14a) assujettit
l'existence de ce droit de la personne au droit de
l'employeur d'imposer des exigences professionnel-
les normales liées notamment à la sécurité et à
l'efficacité de son entreprise commerciale. J'atta-
che de l'importance à l'absence des mots «ou ... de
nuire» dans la loi canadienne car, sans eux, l'arrêt
Griggs précité perd à mon avis son caractère per-
suasif. Si le Parlement avait voulu prévoir à
l'article 10 les cas de [TRADUCTION] «conséquen-
ces préjudiciables» sans intention, il aurait dû insé-
rer dans cette disposition les mots pour le dires. En
° L'article 2 définit l'objet de la Loi canadienne sur les droits
le la personne et dit notamment:
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation
canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de
compétence du Parlement du Canada, [au principe suivant
lequel]:
a) tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs
devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des
chances d'épanouissement, indépendamment des considé-
rations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique,
la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille
ou l'état de personne graciée ou, en matière d'emploi, de
leurs handicaps physiques;
S On trouve un exemple du langage clair et explicite qui, à
mon avis, s'impose, eu égard aux autres articles précités de la
Loi canadienne sur les droits de la personne, dans la modifica
tion apportée en 1982 à l'article 10 du Ontario Human Rights
Code [R.S.O. 1980, chap. 340, abrogé et remplacé par le Code
des droits de la personne, 1981, S.O. 1981, chap. 53. La
disposition modifiée fut examinée par le juge d'appel Lacour-
cière dans l'affaire Ontario Human Rights Commission et al. v.
Simpsons-Sears Ltd. [(1982), 38 O.R. (2d) 423 (C.A.)].
L'article 10 du Code ontarien modifié prévoit:
10. Constitue une atteinte à un droit reconnu dans la
première partie le fait d'imposer une exigence, notamment de
qualité requise, qui n'est pas un motif de discrimination
illicite mais qui a pour résultat d'exclure un groupe de
(Suite à la page suivante)
l'absence de ces mots, je ne puis conclure que le
tribunal a eu raison, en se fondant sur l'article 10
précité, de juger que l'appelante avait à première
vue commis un acte discriminatoire en l'espèce.
Comme j'ai conclu que le tribunal a appliqué de
façon erronée les articles 7 et 10 de la Loi aux faits
de l'espèce, il est probablement inutile d'examiner
les autres questions soulevées aux présentes car,
sauf erreur de ma part, cette conclusion suffit pour
annuler la décision du tribunal. Toutefois, comme
ces autres questions ont été longuement et fort
habilement plaidées devant nous et compte tenu du
dispositif que je propose, c'est-à-dire le renvoi de
l'affaire devant le tribunal, avec directives, j'estime
préférable d'aborder également la seconde ques
tion examinée par mon collègue le juge Le Dain.
Cette seconde question consiste à déterminer si
le tribunal a fait erreur en concluant que la politi-
que de la requérante relativement au port du
casque de sécurité n'était pas une exigence profes-
sionnelle normale au sens de l'alinéa 14a) de la Loi
canadienne sur les droits de la personne 6 . Le
tribunal avait devant lui une masse imposante de
témoignages d'experts qui n'ont pas été réfutés et
qui ont établi les points suivants:
a) au centre de triage de Toronto où travaillait
l'intimé Bhinder en qualité d'électricien, le lieu
de travail ainsi que le travail accompli par Bhin-
der étaient dangereux;
b) le port du casque de sécurité par les employés
du centre de triage de Toronto permet d'éviter
les blessures à la tête ou à tout le moins d'en
réduire considérablement la gravité;
(Suite de la page précédente)
personnes défini par un motif de discrimination illicite ou de
reconnaître une qualité ou d'accorder une préférence à un
groupe de ce genre dont fait partie la personne lésée; sauf:
a) si l'exigence est normale compte tenu des circons-
tances;
b) si la présente loi stipule que la pratique d'un acte
discriminatoire en raison d'un tel motif n'enfreint pas
un droit. [C'est moi qui souligne.]
6 Le paragraphe 14a) prévoit ce qui suit:
14. Ne constituent pas des actes discriminatoires
a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restric
tions, conditions ou préférences de l'employeur qui démon-
tre qu'ils sont fondés sur des exigences professionnelles
normales;
c) il était raisonnable et nécessaire, pour la
propre sécurité de Bhinder, qu'il porte un casque
de sécurité approuvé par l'A.C.N.; et
d) l'exigence de la requérante relativement au
port du casque de sécurité par ses employés du
centre de triage de Toronto lorsqu'ils travaillent
sur ou sous le train Turbo et les voies de répara-
tion, ou près de ces lieux, était fondée sur des
réalités pratiques et, sur le plan de la sécurité,
était appuyée par les faits et la logique.
S'appuyant sur les témoignages susmentionnés
et sur d'autres éléments de preuve, le tribunal a
fait les constatations de fait suivantes:
(1) la requérante n'a fait preuve d'aucune ani-
mosité envers les Sikhs ou leur religion; elle n'a
pas eu l'intention d'insulter M. Bhinder ou
d'agir avec malveillance à son égard; la politique
de la requérante relative au port du casque de
sécurité a été adoptée simplement pour faciliter
l'exploitation de son entreprise et la requérante
n'avait donc nullement l'intention d'exercer une
discrimination à l'égard de M. Bhinder en raison
de sa religion (dossier conjoint, vol. XV, p.
1587);
(2) la politique de la requérante n'était pas
fondée sur un stéréotype ou un préjugé injustifié
(dossier conjoint, vol. XV, p. 1649);
(3) il ne fait aucun doute que M. Bhinder
courait un plus grand risque de blessure s'il
n'acceptait pas de porter le casque de sécurité
et, d'une manière générale, on peut supposer
que, si une exemption était accordée à M. Bhin-
der et donc vraisemblablement à tous les Sikhs,
le taux d'accident chez la requérante et la
somme des indemnités qu'elle serait en consé-
quence appelée à verser à ses employés augmen-
teraient (dossier conjoint, vol. XV, p. 1689); et
(4) d'une façon générale, la politique relative au
port du casque de sécurité visait un objectif
louable, c'est-à-dire accroître la sécurité des
employés et diminuer les obligations de la requé-
rante au titre du régime d'indemnisation (dos-
sier conjoint, vol. XV, p. 1695).
Je suis d'avis qu'il faut appliquer en l'espèce les
critères formulés par la Cour suprême du Canada
dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de
la personne, et autres c. Municipalité dEto-
bicoke 7 afin de déterminer si la politique de la
requérante relative au port du casque de sécurité
constitue une exigence professionnelle normale au
sens de l'alinéa 14a) précité. Il fallait déterminer,
dans l'arrêt Etobicoke, si une disposition prévoyant
la mise à la retraite obligatoire des pompiers muni-
cipaux à l'âge de 60 ans était une exigence profes-
sionnelle normale pour un tel poste au sens du
paragraphe 4(6) du Ontario Human Rights Code,
R.S.O. 1970, chap. 318. Prononçant le jugement
unanime de la Cour, le juge McIntyre a appliqué
un double critère: le premier, qui est subjectif,
prévoit que l'exigence «... doit être imposée hon-
nêtement, de bonne foi et avec la conviction sin-
cère que cette restriction est imposée en vue d'as-
surer la bonne exécution du travail en question
d'une manière raisonnablement diligente, sûre et
économique, et non pour des motifs inavoués ou
étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'al-
ler à l'encontre de ceux du Code». Le second, qui
est objectif, prévoit que l'exigence «... doit en
outre se rapporter objectivement à l'exercice de
l'emploi en question, en étant raisonnablement
nécessaire pour assurer l'exécution efficace et éco-
nomique du travail sans mettre en danger l'em-
ployé, ses compagnons de travail et le public en
général».
Pour ce qui est du premier critère, il semble
évident à la lecture du résumé des constatations de
fait du tribunal que tous les éléments de ce critère
subjectif sont réunis en l'espèce. Compte tenu des
témoignages non réfutés d'experts que j'ai résumés
plus haut, et des constatations de fait du tribunal,
je conclus que le critère objectif a également été
respecté en grande partie. Le tribunal a jugé que la
preuve démontrait que la politique relative au port
du casque de sécurité visait la bonne exécution du
travail de M. Bhinder et des autres employés du
centre de triage de Toronto car ceux qui ne portent
pas le casque courent un plus grand risque de
blessures, et peuvent ainsi entraîner une hausse des
obligations de l'employeur au titre du régime d'in-
demnisation. La preuve et les constatations formu-
lées aux présentes démontrent manifestement que
l'exigence était «raisonnablement nécessaire» pour
assurer l'exécution efficace et économique du tra
vail, et la sécurité de l'employé visé. Le tribunal
n'a pas conclu que le défaut de se conformer à
' [[1982] 1 R.C.S. 202, la p. 208]; 132 D.L.R. (3d) 15, aux
pp. 19 et 20.
cette exigence mettrait en danger le grand public
ou les autres employés de quelque façon que ce
soit. Cependant, je ne pense pas que l'absence
d'une telle constatation rende inapplicable aux cir-
constances de la présente espèce le critère formulé
dans l'arrêt Etobicoke. Lorsqu'on examine le
caractère normal de l'exigence de la requérante
relative au port du casque de sécurité, il importe
selon moi de se rappeler que, d'une part, la législa-
tion du travail en vigueur actuellement (les
articles 81 et 82 du Code canadien du travail,
S.R.C. 1970, chap. L-1) exige des employeurs
qu'ils protègent tous leurs employés des dangers et
risques qu'il est impossible d'éliminer du lieu de
travail et que d'autre part, ces exigences légales et
le pouvoir conféré par l'alinéa 84(1)g) du Code,
ont amené la promulgation du Règlement du
Canada sur les vêtements et l'équipement protec-
teurs [C.R.C., chap. 1007] et le Règlement du
Canada sur la protection contre les dangers de
l'électricité [C.R.C., chap. 998]. Rappelons égale-
ment qu'il a été établi en preuve que le ministère
du Travail a rejeté la requête de la Commission
intimée qui lui demandait d'exercer sa discrétion
pour autoriser le port du turban au lieu du casque
de sécurité.
À mon avis, le fait que la politique de la requé-
rante relative au port du casque de sécurité soit
conforme à la politique en vigueur dans l'ensemble
de l'industrie et le fait que les organismes gouver-
nementaux de réglementation l'aient jugée valide
et aient refusé toute dispense, sont autant de preu-
ves objectives supplémentaires de son caractère
normal.
Pour les motifs précités, je conclus que le tribu
nal a fait erreur en ne concluant pas que la politi-
que de la requérante relative au port du casque de
sécurité était une exigence professionnelle normale
qui, à ce titre, bénéficiait de la protection de
l'alinéa 14a) de la Loi canadienne sur les droits de
la personne.
En concluant au contraire que l'exigence n'était
pas normale au sens de l'alinéa 14a), le tribunal a
adopté le principe suivant lequel, si cela ne lui
causait pas de contrainte excessive, la requérante
avait le devoir de prendre les mesures nécessaires
pour que Bhinder puisse s'acquitter de ses obliga
tions religieuses, en le dispensant du port du
casque. Comme l'a souligné mon collègue le juge
Le Dain, ce principe nous vient du droit américain,
plus particulièrement d'une modification apportée
en 1972 [42 U.S.C., par. 2000e(j) (Supp. II
1972)] au Titre VII du Civil Rights Act of 1964
qui a imposé cette obligation particulière au para-
graphe 701j).
En toute déférence, j'estime que le tribunal a
fait erreur en voyant dans la loi canadienne une
disposition qui manifestement n'y apparaît pas.
Comme je l'ai fait remarquer plus tôt dans mes
motifs, les critères applicables à l'égard de l'alinéa
14a) sont ceux que la Cour suprême du Canada a
formulés dans l'arrêt Etobicoke précité. Ces critè-
res ne mentionnent aucune obligation pour l'em-
ployeur de tenir compte de la situation des
employés. Si le Parlement avait voulu imposer une
telle obligation supplémentaire, il l'aurait fait dans
un langage clair et non équivoque. En l'absence
d'un tel langage, la Cour aurait tort, à mon avis,
d'usurper les fonctions législatives du Parlement
sous le couvert d'une interprétation judiciaire.
Par conséquent, j'accueillerais la demande
fondée sur l'article 28 et j'annulerais la décision et
les ordonnances du tribunal devant qui je renver-
rais l'affaire pour décision, tenant compte de ma
conclusion suivant laquelle l'obligation faite à l'in-
timé Bhinder par la requérante de porter le casque
de sécurité au centre de triage de Toronto ne
constitue pas un acte discriminatoire au sens de la
Loi canadienne sur les droits de la personne.
* *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN (dissident): On demande en
l'espèce, en vertu de l'article 28, l'examen et l'an-
nulation d'une décision d'un tribunal des droits de
la personne constitué en vertu de la Loi canadienne
sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap.
33. Dans cette décision, la requérante la Compa-
gnie des chemins de fer nationaux du Canada
(«CN») a été trouvée coupable d'un acte discrimi-
natoire envers l'intimé Bhinder pour un motif
fondé sur la religion parce qu'elle lui a imposé,
comme condition d'emploi, de porter un casque de
sécurité alors qu'un des préceptes de la religion
Sikh qu'il pratique, l'oblige à porter le turban et
lui interdit de porter autre chose sur la tête.
Bhinder est entré en fonctions au CN en avril
1974. Après une période de stage, il a occupé
pendant plus de quatre années le poste d'électri-
cien d'entretien du train Turbo au centre de triage
de Toronto. Il travaillait de 23 heures à 7 heures.
Le 30 novembre 1978, le CN annonça qu'à partir
du l er décembre 1978, tous les employés travaillant
au centre de triage de Toronto devraient porter un
casque de sécurité. Bhinder informa son contre-
maître qu'il ne pouvait se conformer à cette direc
tive à cause de sa religion. Dans une lettre datée
du 5 décembre 1978, le contremaître en chef, R. E.
Barratt, avisa Bhinder que personne ne serait dis-
pensé du port du casque de sécurité et qu'à partir
de 23 heures le 6 décembre 1978, il devrait donc
porter le casque pour être autorisé à travailler. En
conséquence, Bhinder cessa de travailler comme
électricien pour le CN après le 5 décembre 1978.
Il ne voulait pas accepter d'autre poste que celui
d'électricien et tous les postes de ce genre étaient
assujettis à l'exigence du port du casque de sécu-
rité. Il perdit donc son emploi au CN par suite de
son refus de porter le casque de sécurité.
Le 7 décembre 1978, Bhinder adressa à la Com
mission canadienne des droits de la personne une
plainte fondée sur un acte discriminatoire pour
motif de religion. Le 3 octobre 1979, la Commis
sion, conformément au paragraphe 39(1) de la
Loi, constitua un tribunal des droits de la personne
formé de Peter Cumming, Mary Eberts et Joan
Wallace. Le tribunal, présidé par le professeur
Cumming, tint en décembre 1979 une audience qui
dura plusieurs jours. Divers éléments de preuve
dont des témoignages d'experts y furent présentés.
Des observations écrites furent déposées après l'au-
dience et le tribunal rendit sa décision le 22 sep-
tembre 1981. Dans des motifs très élaborés comp-
tant quelque cent soixante pages, le tribunal a
analysé les questions de fait et de droit soulevées
en l'espèce et a fait une étude détaillée de la
jurisprudence pertinente en matière de droits de la
personne. Le tribunal jugea que le CN avait
commis un acte discriminatoire contrairement aux
prescriptions de la Loi et accorda à Bhinder une
indemnité de 14 500 $ pour perte de salaire. En
outre, il ordonna au CN de réintégrer Bhinder
dans ses fonctions d'électricien d'entretien, si
celui-ci en exprimait le désir, et ce, en le dispen-
sant de l'obligation de porter le casque de sécurité
et en lui reconnaissant l'ancienneté et le salaire
dont il aurait joui s'il était demeuré à son poste
après le 5 décembre 1978.
La plainte alléguant la discrimination est fondée
sur les articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les
droits de la personne:
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un
individu, ou
b) de défavoriser un employé,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction
illicite.
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur
ou l'association d'employés
a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les
mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation,
l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un
emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible
d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu
ou d'une catégorie d'individus.
L'article 3 définit les motifs de distinction
illicite:
3. Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinc
tion illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine
nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la
situation de famille ou l'état de personne graciée et, en matière
d'emploi, sur un handicap physique.
Voici le texte d'une autre disposition pertinente
en l'espèce l'alinéa 14a):
14. Ne constituent pas des actes discriminatoires
a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions,
conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils
sont fondés sur des exigences professionnelles normales;
Dans le cadre de l'examen des questions soule-
vées par la présente demande fondée sur l'article
28, nous devrons nous pencher sur quelques autres
dispositions législatives, dont certains articles du
Code canadien du travail en matière de sécurité au
travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, et les règlements
suivants établis sous l'autorité dudit Code: le
Règlement du Canada sur les vêtements et l'équi-
pement protecteurs, C.R.C., chap. 1007 (ci-après
«le règlement sur les vêtements protecteurs») et le
Règlement du Canada sur la protection contre les
dangers de l'électricité, C.R.C., chap. 998 (ci-
après «le règlement sur la protection contre les
dangers de l'électricité»).
Les articles 81 et 82 du Code, qui imposent
respectivement aux employeurs et aux employés
des entreprises fédérales certaines obligations en
matière de sécurité, prévoient:
81. (1) Quiconque dirige une entreprise fédérale doit le faire
de manière à ne pas mettre en danger la sécurité ou la santé de
toute personne employée dans le cadre d'une telle entreprise.
(2) Quiconque dirige une entreprise fédérale doit adopter et
suivre des méthodes et techniques raisonnables destinées à
prévenir ou diminuer le risque de lésion professionnelle dans
l'exploitation de cette entreprise.
82. Quiconque est employé dans le cadre d'une entreprise
fédérale doit, dans son travail,
a) prendre toutes les précautions raisonnables et nécessaires
pour assurer sa propre sécurité et celle de ses collègues; et
b) à tous les moments opportuns, utiliser les dispositifs et
porter les vêtements ou les accessoires destinés à sa protec
tion et que lui fournit son employeur, ou que la présente
Partie l'oblige à utiliser ou à porter.
L'alinéa 84(1)g) du Code qui confère au gouver-
neur en conseil le pouvoir d'établir des règlements
concernant la sécurité porte:
84. (1) Sous réserve de toute autre loi du Parlement du
Canada et des règlements établis sous son régime, le gouver-
neur en conseil peut établir des règlements concernant la
sécurité et la santé des personnes employées dans le cadre d'une
entreprise fédérale, et prévoyant à cette fin des mesures de
sécurité relatives au fonctionnement ou à l'utilisation des
usines, machines, équipements, véhicules, matériaux, bâti-
ments, structures et lieux utilisés ou devant être utilisés relati-
vement à une entreprise fédérale. Sans restreindre la généralité
de ce qui précède, il peut établir des règlements:
g) prescrivant les normes applicables aux vêtements et acces-
soires protecteurs que doivent porter les employés, régissant
leur utilisation et précisant qui doit les fournir;
Les dispositions pertinentes du règlement sur les
vêtements protecteurs en sont les articles 3, 8 et 9:
3. Dans le cas où
a) il n'est pas raisonnablement possible d'éliminer un danger
du travail ou de contenir le danger dans des limites sûres, et
od
b) le port ou l'utilisation, par un employé, d'un équipement
de protection individuelle empêchera une blessure ou dimi-
nuera sensiblement la gravité des blessures,
l'employeur doit s'assurer que chaque employé exposé à un tel
danger porte ou utilise cet équipement de la façon prescrite par
le présent règlement.
8. (1) Il est interdit à un employé d'entreprendre une tâche
ou de pénétrer dans un lieu de travail lorsque, pour ce faire, le
présent règlement prescrit le port ou l'utilisation de tout genre
d'équipement de protection individuelle, à moins
a) qu'il ne porte ou n'utilise ce genre d'équipement de
protection individuelle de la manière prescrite par le présent
règlement;
b) qu'il n'ait reçu des directives et une formation relative-
ment au fonctionnement et à l'utilisation appropriés et sûrs
de cet équipement de protection individuelle conformément
aux dispositions de l'article 5; et
e) qu'il n'ait inspecté visuellement cet équipement de protec
tion individuelle pour s'assurer autant que possible, que
l'équipement le protégera contre les risques professionnels.
(2) L'employé doit prendre soin de tout l'équipement de
protection individuelle que lui fournit son employeur, conformé-
ment aux directives et à la formation qu'il a reçues en vertu de
l'article 5.
(3) L'employé qui est d'avis qu'un équipement de protection
individuelle ne le protège plus convenablement contre les ris-
ques professionnels doit immédiatement faire rapport au
responsable.
9. (1) Dans le cas où l'employeur exige qu'un employé porte
un casque-protecteur afin de satisfaire aux prescriptions de
l'article 3, ce casque doit être conforme aux dispositions de la
norme Z94.1-1966 de l'Association canadienne de normalisa
tion, modifiée de temps à autre, ou à une norme approuvée par
le chef de Division.
(2) Dans le cas où l'employeur exige qu'un employé porte un
dispositif protecteur de la tête autre qu'un casque-protecteur
afin de satisfaire aux prescriptions de l'article 3, ce dispositif
protecteur de la tête doit être conforme aux bonnes pratiques de
la sécurité au travail ou à une norme approuvée par le chef de
Division.
Les dispositions pertinentes du règlement sur la
protection contre les dangers de l'électricité sont la
définition de l'expression «installation électrique»
au paragraphe 2(1) et les articles 3, 17 et 18 de ce
règlement:
2. (1)...
«installation électrique» désigne un équipement, un dispositif,
un appareillage, une filerie, un conducteur, un ensemble ou
une partie d'ensemble qui sont utilisés pour la production, la
transformation, la transmission, la distribution, l'emmagasi-
nage, la régularisation, le mesurage ou l'utilisation d'énergie
électrique dont l'ampacité et la tension présentent un danger
pour les employés; (electrical facility)
3. Le présent règlement s'applique
a) à l'emploi relatif à un ouvrage, entreprise ou affaire de
compétence fédérale, et
b) à l'emploi par une corporation établie pour remplir une
fonction ou une attribution pour le compte du gouvernement
du Canada
auxquels s'applique la Loi, sauf l'emploi relatif à l'exploitation
souterraine d'une mine.
17. Il est interdit à l'employeur de permettre à un employé de
travailler et à un employé de travailler sur une installation
électrique
a) ayant une tension d'au plus 250 volts entre deux conduc-
teurs ou entre un conducteur et la terre, s'il y a possibilité de
prendre un choc électrique dangereux, ou
b) ayant une tension supérieure à 250 volts, mais inférieure à
5,200 volts entre deux conducteurs ou d'au plus 3,000 volts
entre le conducteur et la terre,
à moins que ledit employé n'utilise l'équipement et les vête-
ments de protection isolés qui sont nécessaire, selon les saines
pratiques de protection contre les dangers de l'électricité, ou
qu'un agent de sécurité exige qu'il utilise pour se protéger
contre les blessures durant l'exécution de son travail.
18. Il est interdit à un employeur de permettre à un employé
de travailler ou à un employé de travailler sur une installation
électrique lorsque les saines pratiques de protection contre les
dangers de l'électricité exigent le port d'un casque protecteur, à
moins de porter un casque protecteur conforme aux prescrip
tions de la classe B de la norme Z94.1-1966 de l'Association
canadienne de normalisation, y compris les modifications qui
s'y rattachent.
Le ministère fédéral du Travail (généralement
désigné sous le nom de «Travail Canada») doit
veiller au respect des règlements et des dispositions
du Code en matière de sécurité. En février 1979, la
Commission, par l'entremise du directeur pour
l'Ontario, Richard Nolan, demanda à Travail
Canada d'exercer le pouvoir «discrétionnaire» que
lui confère le paragraphe 9(2) du règlement sur les
vêtements protecteurs et de déclarer le port du
turban conforme au règlement. Thomas Beaton,
directeur régional de l'Ontario, refusa. Ce dernier,
dans la lettre datée du 14 février 1979 qu'il fit
parvenir à Nolan, faisait état du succès de la
campagne en faveur du port du casque de sécurité
dans les entreprises fédérales, qui avait permis de
diminuer la fréquence et la gravité des blessures à
la tête. Il soulignait également qu'un employé
blessé à la tête pouvait faire naître une situation
dangereuse pour ses collègues de travail. Pour ces
motifs et pour d'autres raisons, M. Beaton jugea
qu'aucune «dispense» ne pouvait être accordée.
Dans sa déposition, il affirma que s'il avait le
pouvoir discrétionnaire d'approuver une autre
forme de protection pour la tête, en vertu du
règlement sur les vêtements protecteurs, il ne pen-
sait pas l'avoir en vertu du règlement sur la protec
tion contre les dangers de l'électricité.
Le tribunal a jugé que le CN n'avait pas l'inten-
tion de discriminer en obligeant M. Bhinder à
porter le casque de sécurité mais que, dans les
faits, cette politique avait eu à son endroit un effet
discriminatoire. Même si cette politique visait tous
les employés travaillant au centre de triage de
Toronto, elle plaçait M. Bhinder dans une situa
tion particulière puisque ce dernier ne pouvait s'y
conformer sans enfreindre les préceptes de sa reli
gion. L'obligation faite à Bhinder de respecter
cette exigence a donc créé à son endroit une
distinction pour un motif interdit par la Loi. Cette
exigence a annihilé les chances d'emploi et d'avan-
cement de M. Bhinder pour un motif fondé sur la
religion. C'est pour cette raison que le tribunal a
jugé que le CN avait refusé de continuer d'em-
ployer M. Bhinder pour un motif de distinction
illicite au sens de l'article 7 de la Loi et avait fixé
ou appliqué des directives susceptibles d'annihiler
ses chances d'emploi ou d'avancement au sens de
l'article 10.
Après avoir conclu qu'il y avait de prime abord,
acte discriminatoire, le tribunal s'est ensuite
demandé si le CN avait fait la preuve qu'il s'agis-
sait d'un cas d'application de la défense fondée sur
l'exigence professionnelle normale aux termes de
l'alinéa 14a). Le tribunal a conclu que la politique
du CN relativement au port du casque de sécurité
n'était pas, dans le cas de M. Bhinder, une exi-
gence professionnelle normale. Je vais tenter ci-
après de résumer son analyse très complète de la
question. M. Bhinder pouvait s'acquitter de façon
satisfaisante de son travail en portant un turban.
La politique du CN relativement au port du
casque de sécurité était une bonne politique car
elle permettait de réduire le nombre de blessures à
la tête et M. Bhinder courait un plus grand risque
de blessures de ce genre s'il portait un turban au
lieu d'un casque de sécurité, mais l'accroissement
du risque était relativement mineur. En outre, le
refus de Bhinder de porter le casque n'entraînait
pas de risque de blessures pour les autres employés
ou le public en général. Dans ces circonstances,
Bhinder devait être autorisé à courir le risque de
subir une blessure plutôt que d'être contraint de
choisir entre sa religion et son emploi. Le CN avait
le devoir, si cela ne lui créait pas de contrainte
excessive, de tenir compte des convictions religieu-
ses de M. Bhinder en lui permettant de porter le
turban au lieu du casque de sécurité. A titre
d'employeur figurant à l'annexe 2, en vertu de la
Loi sur les accidents du travail de l'Ontario,
R.S.O. 1980, chap. 539, le CN est tenu d'indemni-
ser directement ses employés et ferait donc face à
un accroissement de ses obligations au titre du
régime d'indemnisation si M. Bhinder et d'autres
Sikhs étaient autorisés à porter le turban au lieu
du casque de sécurité. Cependant, une telle hausse
des coûts d'indemnisation ne constituait pas une
contrainte excessive puisqu'elle faisait partie des
risques inhérents à l'emploi visés par le régime
d'indemnisation des travailleurs. D'ailleurs, même
si cette hausse des coûts constituait une contrainte
excessive, la liberté de religion devrait l'emporter
en importance relative.
Au sujet des dispositions du Code canadien du
travail en matière de sécurité, des règlements sur
les vêtements protecteurs et sur la protection
contre les dangers de l'électricité et du pouvoir que
détient Travail Canada en vertu de ces dispositions
législatives, le tribunal a tiré les conclusions sui-
vantes. Il a d'abord jugé que, malgré les pouvoirs
conférés à Travail Canada et l'existence des dispo
sitions législatives en matière de sécurité au tra
vail, il avait compétence pour décider si la politi-
que du CN relativement au port du casque de
sécurité constituait, de prime abord, un acte discri-
minatoire dans le cas de M. Bhinder et, dans
l'affirmative, si cette politique était une exigence
professionnelle normale. Les dispositions du Code
en matière de sécurité au travail de même que les
règlements doivent être appliqués dans le respect
de la Loi canadienne sur les droits de la personne
qui, en cas de conflit, doit prévaloir. A supposer
que le Code et les règlements aient fait du port du
casque de sécurité au centre de triage de Toronto
une obligation légale, cette exigence n'en aurait
pas moins constitué de prime abord un acte discri-
minatoire dans le cas de M. Bhinder et n'aurait
pas pour autant été considérée comme une exi-
gence professionnelle normale à son endroit. En
l'espèce, cependant, l'employeur pouvait faire le
nécessaire pour s'adapter aux pratiques religieuses
de M. Bhinder en lui permettant de porter le
turban sans entrer en conflit avec les dispositions
du Code et des règlements. Le Code n'exige en
effet que des mesures de sécurité raisonnables. Le
port du turban comme autre mode de protection
était une solution de rechange conforme aux exi-
gences du règlement sur les vêtements protecteurs.
Par ailleurs, la preuve n'a pas démontré l'existence
d'un danger susceptible d'entraîner l'application
du règlement sur la protection contre les dangers
de l'électricité.
Le procureur général du Canada s'est joint au
CN pour contester la décision du tribunal. La
Commission et M. Bhinder, représentés par leurs
avocats, appuient sa décision.
Il a été admis au cours des débats, comme l'a
constaté le tribunal, que le CN n'avait nullement
l'intention d'agir de façon discriminatoire à l'en-
droit de M. Bhinder en lui imposant le port du
casque et que la religion de ce dernier lui interdi-
sait de porter sur la tête autre chose qu'un turban.
Voici, suivant l'ordre dans lequel je me propose
de les examiner, les arguments invoqués par les
avocats du CN et du procureur général du
Canada:
1. Le tribunal a fait une erreur de droit en
jugeant que la politique du CN relativement au
port du casque de sécurité, même si elle visait
tous les employés du centre de triage de Toronto
sans aucune intention discriminatoire, n'en cons-
tituait pas moins dans le cas de M. Bhinder, un
acte discriminatoire à cause des conséquences
qu'elle avait pour ce dernier en raison de ses
convictions religieuses.
2. Le tribunal a fait une erreur de droit en
décidant que le port du casque imposé par le CN
n'était pas, dans le cas de M. Bhinder, une
exigence professionnelle normale; que le CN
avait l'obligation de s'adapter aux pratiques reli-
gieuses de M. Bhinder en l'autorisant à porter le
turban au lieu du casque; et que le CN pouvait
le faire sans imposer de contrainte excessive à
son entreprise.
3. Le tribunal a fait une erreur de droit ou a
fondé sa décision sur des constatations de fait
erronées ne concordant pas avec la preuve en
jugeant, d'une part, que le port du turban,
comme autre mode de protection, était conforme
aux exigences du règlement sur les vêtements
protecteurs et, d'autre part, que le règlement sur
la protection contre les dangers de l'électricité
ne s'appliquait pas; et le tribunal a outrepassé sa
compétence ou a fait une erreur de droit en
décidant dans un premier temps qu'une mesure
de sécurité imposée en conformité d'un devoir ou
d'une obligation créée par le Code et les règle-
ments constituait, de prime abord, dans le cas de
M. Bhinder, un acte discriminatoire et non une
exigence professionnelle normale et en ordon-
nant dans un second temps que M. Bhinder soit
dispensé de cette exigence alors même que Tra
vail Canada lui avait refusé une telle dispense.
De toute évidence, l'application des dispositions
du Code et des règlements en matière de sécurité a
une incidence directe sur la question de savoir si le
tribunal a fait une erreur de droit en jugeant que
la politique du CN relativement au port du casque
de sécurité constituait, de prime abord, dans le cas
de M. Bhinder, un acte discriminatoire et n'était
pas une exigence professionnelle normale. Cepen-
dant, je trouve préférable de n'étudier leur applica
tion et leur incidence sur ces questions qu'après
avoir déterminé si le tribunal a fait ou non erreur
sur le sens de discrimination aux articles 7 et 10 de
la Loi et d'«exigences professionnelles normales» à
l'alinéa 14a).
La première question consiste donc à déterminer
si les articles 7 et 10 de la Loi visent aussi les
conséquences préjudiciables ou la discrimination
indirecte, c'est-à-dire les cas où un employeur
adopte sans intention discriminatoire une exigence
ou une condition d'emploi visant tous les employés
sans exception, mais qui, dans les faits, nuit, de
façon générale, à la situation d'un employé pour
un motif de distinction illicite. Le développement
de ce nouveau concept de discrimination aux
États-Unis et en Grande-Bretagne a été étudié
dans les analyses intéressantes qu'en ont faites
Blumrosen dans «Strangers in Paradise: Griggs v.
Duke Power Co. and the Concept of Employment
Discrimination» (1972), 71 Mich. L. Rev. 59;
Lustgarten dans «The New Meaning of Discrimi
nation», [1978] Public Law 178; et Tarnopolsky
dans Discrimination and The Law in Canada,
1982, chap. IV. Les tribunaux des droits de la
personne du Canada ont été influencés par le
développement de ce concept de conséquences pré-
judiciables ou de discrimination indirecte qu'ils ont
appliqué dans divers contextes législatifs.
L'adoption du concept de conséquences préjudi-
ciables ou de discrimination indirecte découle prin-
cipalement de l'arrêt Griggs v. Duke Power Co.,
401 U.S. 424 (1971) [S.C.], dans lequel la Cour
suprême des États-Unis a jugé que l'imposition de
certains critères et de certaines exigences en
matière de scolarité constituait une pratique d'em-
bauche illégale aux termes de l'alinéa 703a)(2) du
Titre VII du Civil Rights Act of 1964. En effet,
même si ces exigences visaient autant les Blancs
que les Noirs, sans intention discriminatoire, elles
avaient pour effet d'annihiler les chances d'emploi
ou d'avancement d'un nombre disproportionné de
Noirs en raison des handicaps dont ils souffraient
déjà par suite de la discrimination généralisée dont
ils faisaient l'objet antérieurement. En outre, ces
exigences ne pouvaient être raisonnablement justi
fiées par les fonctions à remplir. L'alinéa 703a)(2)
interdit les pratiques «susceptible[s] d'annihiler les
chances d'emploi ou d'avancement de quiconque
ou, d'une façon générale, de nuire à la situation de
quiconque en tant qu'employé en raison de sa race,
de sa couleur, de sa religion, de son sexe ou de son
origine nationale». La Cour a décidé que la Loi
visait non seulement la discrimination intention-
nelle mais aussi les pratiques qui, bien qu'en appa-
rence neutres, avaient pour effet d'annihiler les
chances d'emploi ou d'avancement de certaines
personnes pour des raisons tenant directement à
leur race et qui ne pouvaient se justifier par des
impératifs commerciaux.
Sous l'influence de l'arrêt Griggs, le Royaume-
Uni a adopté une législation sur les droits de la
personne renfermant cette notion de conséquences
préjudiciables en matière de discrimination que les
commentateurs et les tribunaux britanniques dési-
gnent généralement sous le nom de discrimination
«indirecte»: voir à cet égard Lustgarten, op. cit.,
page 178; Singh v. Rowntree MacKintosh Ltd.,
[1979] I.C.R. 554 [E.A.T. Écosse], à la page 555;
Panesar v. Nestlé Co. Ltd., [1980] I.C.R. 144
[C.A. Angl.], à la page 146. Les alinéas a) et b) du
paragraphe 1(1) du Sex Discrimination Act 1975
[1975, chap. 65 (R.-U.)] et du Race Relations Act
1976 [1976, chap. 74 (R.-U.)] établissent la dis
tinction entre la discrimination «directe» et la dis
crimination «indirecte». Le paragraphe 1(1) de la
Loi de 1976 prévoit:
[TRADUCTION] 1. (1) Commet un acte discriminatoire à
l'égard d'une autre personne quiconque, dans quelques circons-
tances pertinentes aux fins de toute disposition de la présente
loi—
a) pour des motifs raciaux traite cette autre personne
moins favorablement qu'il ne traite ou traiterait d'autres
personnes; ou
b) impose à cette autre personne une exigence ou une
condition qu'il applique ou appliquerait également à des
personnes n'appartenant pas au même groupe ethnique
que cette personne mais—
(i) qui est telle que le nombre de personnes faisant
partie du même groupe ethnique que cette personne qui
peuvent s'y conformer est considérablement inférieur au
nombre de personnes qui n'appartiennent pas à ce
groupe ethnique et qui peuvent s'y conformer; et
(ii) qu'il ne peut justifier sans égard à la couleur, la
race, la nationalité ou les origines ethniques ou nationa-
les de la personne qu'elle vise; et
(iii) qui cause un préjudice à cette autre personne
parce qu'elle ne peut s'y conformer.
Le professeur Cumming, en sa qualité de com-
missaire enquêteur nommé en vertu du Ontario
Human Rights Code, R.S.O. 1970, chap. 318 et
ses modifications, a appliqué le concept des consé-
quences préjudiciables en matière de discrimina
tion dans deux décisions qui ont été examinées par
les cours et dont fait état le tribunal en l'espèce:
Re Complaint of Ishar Singh (le 31 mai 1977) et
Re Complaint of Ann J. Colfer (le 12 janvier
1979). Ces plaintes étaient fondées sur les alinéas
a), b) et g) du paragraphe 4(1) du Code (modifié
par S.O. 1972, chap. 119, art. 5) qui se lisent
comme suit:
[TRADUCTION] 4.—(1) Nul ne doit
a) refuser de proposer ou de recruter une personne en vue
d'un emploi;
b) congédier ni refuser d'employer ou de continuer à
employer une personne;
g) assujettir un employé à une distinction injuste quant à une
condition de travail,
en raison de la race, des croyances, de la couleur, de l'âge, du
sexe, de l'état civil, de la nationalité, de l'ascendance ou du
lieu d'origine de la personne ou de l'employé.
Dans l'affaire Singh, la plainte était portée par un
Sikh qui s'était vu refuser un emploi en raison de
ses convictions religieuses, contrairement à l'alinéa
4(1)a), par une agence de service de sécurité qui
exigeait que ses employés soient rasés et portent
une casquette. Dans l'affaire Colfer, la plainte
était portée par une femme qui, pour des raisons
fondées sur son sexe, s'était vu refuser un emploi
contrairement aux prescriptions des alinéas a) et
b) et qui avait fait l'objet de discrimination en
contravention de l'alinéa g) parce qu'elle ne pou-
vait se conformer à l'exigence de taille et de poids
visant les officiers de police. Le professeur Cum
ming a jugé que •l'intention de discriminer n'était
pas un élément essentiel d'une contravention au
paragraphe 4(1), mais qu'il suffisait que l'exigence
imposée à tous sans intention de discriminer ait des
conséquences préjudiciables pour un motif de dis
tinction illicite. Dans sa décision, le professeur
Cumming renvoyait à l'arrêt Griggs v. Duke
Power Co. et au passage fréquemment cité de
l'arrêt Re Attorney -General for Alberta and
Gares et al. (1976), 67 D.L.R. (3d) 635 [C.S. I re
inst. Alb.] portant sur les dispositions de l'Indivi-
dual's Rights Protection Act de l'Alberta, S.A.
1972, chap. 2, en matière d'égalité de traitement,
dans lequel, rejetant l'argument qu'aucune indem-
nité n'était due puisqu'il n'y avait pas eu intention
de discriminer, le juge D. C. McDonald dit à la
page 695: [TRADUCTION] «Ce sont les conséquen-
ces discriminatoires qui sont interdites et non pas
l'intention discriminatoire.» Cependant, il s'agis-
sait là clairement d'un cas de traitement défavora-
ble n'exigeant pas l'application du concept de con-
séquences préjudiciables ou de discrimination
indirecte.
Il en est de même de l'arrêt Re Rocca Group
Ltd. and Muise (1979), 102 D.L.R. (3d) 529 [C.S.
Î.-P.-E.] dans lequel le juge McDonald de la Cour
d'appel de l'Île-du-Prince -Edouard rendant juge-
ment pour la majorité affirmait [à la p. 533] que
[TRADUCTION] «l'intention n'a aucune pertinence
quant à la question de savoir s'il y a eu discrimina
tion». Dans cette affaire, il fallait déterminer si la
clause d'un bail de location dans un centre com
mercial stipulant que les services offerts par un
salon de coiffure pour hommes ne pouvaient
s'adresser qu'aux hommes était nulle pour cause de
discrimination au sens de l'alinéa 2a) du Human
Rights Act de l'Île-du-Prince -Edouard, S.P.E.I.
1975, chap. 72, qui prévoit que [TRADUCTION]
«Nul ne doit agir de façon discriminatoire ...
contre un individu ou une catégorie d'individus
relativement à la jouissance de lieux, services et
installations auxquels les membres du public ont
accès ...» Pour appuyer ses propos, le juge McDo-
nald a fait état des arrêts Griggs et Gares, des
décisions du professeur Cumming dans les affaires
Singh et Colfer et de ce que disait le juge en chef
Laskin dans la cause Gay Alliance Toward Equa
lity c. Vancouver Sun, [1979] 2 R.C.S. 435, à la
page 446: «L'article 3 du Human Rights Code ne
soulève pas la question de l'intention.»
Dans l'affaire Ontario Human Rights Commis
sion et al. v. Simpsons-Sears Ltd. (1982), 38 O.R.
(2d) 423 (C.A.); 36 O.R. (2d) 59 (C. div.), la
Cour divisionnaire et la Cour d'appel de l'Ontario
ont refusé d'appliquer le concept des conséquences
préjudiciables aux termes de l'alinéa 4(1)g) du
Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1980, chap.
340, qui était similaire à la disposition invoquée
dans l'arrêt Colfer. Dans cette affaire, une adven-
tiste du septième jour se plaignait du fait que
l'obligation de travailler le samedi constituait une
discrimination pour un motif fondé sur ses convic
tions religieuses. La Cour d'appel, confirmant de
façon unanime le jugement majoritaire de la Cour
divisionnaire, jugea que l'intention de discriminer
était un élément essentiel d'une infraction à l'ali-
néa 4(1)g). Le professeur Edward Ratushny, en sa
qualité de commissaire enquêteur, avait jugé, en
s'appuyant sur l'arrêt Gares et les décisions du
professeur Cumming dans les affaires Singh et
Colfer, que l'intention de discriminer n'était pas
un élément essentiel. La conclusion de la Cour
divisionnaire et de la Cour d'appel sur ce point
reposait sur l'opinion suivant laquelle l'expression
«en raison de» au paragraphe 4(1) visait les motifs
d'un acte particulier, mais était également influen
cée, de toute évidence, par l'absence de «clause
dérogatoire» permettant à l'employeur d'opposer
une exception ou une défense fondée sur un impé-
ratif commercial ou un compromis acceptable. On
a souligné que la défense d'exigence profession-
nelle normale prévue au paragraphe 4(6) du Code
ne visait que les cas de discrimination dans l'em-
ploi fondés sur l'âge, le sexe ou l'état civil. On a
également souligné qu'il n'existait pas de disposi
tion législative comparable au paragraphe 701j) du
Civil Rights Act of 1964 des Etats-Unis qui fut
adopté en 1972 pour obliger les employeurs à
s'adapter d'une manière raisonnable aux pratiques
religieuses de leurs employés s'ils pouvaient le faire
sans imposer de contrainte excessive à leurs entre-
prises. Le juge Southey de la Cour divisionnaire et
le juge Lacourcière de la Cour d'appel estimaient
que les propos du juge D. C. McDonald dans
l'arrêt Gares relativement aux dispositions portant
sur l'égalité de traitement n'étaient d'aucun
secours dans l'interprétation de l'alinéa 4(1)g) du
Code. En ce qui concerne l'arrêt Griggs, le juge
Southey affirmait en outre que, selon lui, il ne
s'appliquait pas parce qu'il visait les conditions de
discrimination raciale très particulières aux États-
Unis. Le juge d'appel Lacourcière trouva un argu
ment supplémentaire en faveur de sa conclusion
suivant laquelle l'intention discriminatoire était un
élément essentiel dans la décision du législateur
ontarien de prévoir expressément les cas de consé-
quences préjudiciables ou de discrimination indi-
recte à l'article 10 du Code des droits de la
personne, 1981 (S.O. 1981, chap. 53):
10. Constitue une atteinte à un droit reconnu dans la pre-
mière partie le fait d'imposer une exigence, notamment de
qualité requise, qui n'est pas un motif de discrimination illicite
mais qui a pour résultat d'exclure un groupe de personnes
défini par un motif de discrimination illicite ou de reconnaître
une qualité ou d'accorder une préférence à un groupe de ce
genre dont fait partie la personne lésée; sauf:
a) si l'exigence est normale compte tenu des circonstances;
b) si la présente loi stipule que la pratique d'un acte
discriminatoire en raison d'un tel motif n'enfreint pas un
droit.
Quant à la question de savoir si les articles 7
et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la
personne constituent un fondement légal suffisant
pour justifier l'application de la notion de consé-
quences préjudiciables ou de discrimination indi-
recte, les avocats ont discuté du libellé des articles
2, 7 et 10 de la Loi. L'article 2 définit comme suit
l'objet de la Loi en matière de discrimination:
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation
canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compé-
tence du Parlement du Canada, aux principes suivants:
a) tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs
devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des
chances d'épanouissement, indépendamment des considéra-
tions fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la
couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou
l'état de personne graciée ou, en matière d'emploi, de leurs
handicaps physiques;
Les avocats du CN et du procureur général du
Canada ont soutenu que les mots «des considéra-
tions fondées sur», à l'article 2, indiquaient que la
Loi visait les mesures prises pour des motifs discri-
minatoires. Ils ont souligné également que les mots
«pour un motif de distinction illicite» aux articles 7
et 10 de la Loi suggéraient aussi l'idée d'intention.
De leur côté, les avocats de la Commission et de
M. Bhinder ont prétendu que le mot «indirecte-
ment» à l'article 7 et l'expression «d'une manière
susceptible d'annihiler» à l'article 10 visaient les
conséquences de l'acte indépendamment de l'inten-
tion. Ils ont soutenu en outre que le libellé du
paragraphe 41(3) de la Loi qui confère au tribunal
le pouvoir d'ordonner le paiement d'une indemnité
supplémentaire lorsque l'acte discriminatoire a été
commis «de propos délibéré ou avec négligence»
montre bien que l'intention de discriminer n'est
pas nécessaire pour qu'il y ait un acte discrimina-
toire donnant ouverture à un redressement en
vertu du paragraphe 41(2).
À mes yeux, il s'agit moins en l'espèce de déter-
miner si l'intention de discriminer est un élément
essentiel des actes discriminatoires définis aux arti
cles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de
la personne que de rechercher si ces articles visent
autant la discrimination indirecte que la discrimi
nation directe. De toute évidence, la Loi vise les
conséquences discriminatoires et, dans les cas de
traitement défavorable tel l'inégalité de salaires,
l'élément objectif de discrimination importe plus
que l'intention. Il y a une distinction entre le
traitement défavorable, qui peut être ou ne pas
être le fruit d'une intention discriminatoire, mais
qui généralement le sera, et le traitement qui à
première vue semble uniforme, mais qui aura
néanmoins une incidence discriminatoire sur un
individu particulier pour un motif de distinction
illicite.
On pourrait penser que le mot «indirectement» à
l'article 7 de la Loi indique que l'on vise autant la
discrimination indirecte que directe, mais, à mon
avis, il ne fait que qualifier la façon dont sont
commis les actes qui y sont décrits («refuser d'em-
ployer ou de continuer d'employer un individu» ou
«défavoriser un employé») plutôt que la façon dont
ils produisent leur effet discriminatoire. Je ne crois
pas non plus que les mots «de propos délibéré ou
avec négligence» au paragraphe 41(3), qui définis-
sent un certain état d'esprit ou degré d'intention,
établissent clairement que l'article 7 vise autant la
discrimination indirecte que directe. Selon moi,
l'article 7 ne vise que la discrimination directe, à
savoir la discrimination avec l'intention de discri-
miner ou le traitement défavorable infligé avec ou
sans intention pour un motif de distinction illicite.
Cet article n'englobe donc pas les cas de discrimi
nation ne comportant ni intention de discriminer ni
traitement défavorable.
En revanche, il semble que l'article 10 ait une
portée suffisamment large pour inclure les inciden
ces de la discrimination indirecte qui sont couver-
tes, à mon avis, par les mots «d'une manière sus
ceptible d'annihiler» et plus précisément par
l'expression «d'une manière susceptible». Ce sont
pratiquement les mêmes termes que dans l'alinéa
703a)(2) du Civil Rights Act of 1964 des États-
Unis, la disposition légale sur laquelle repose l'ap-
plication de la notion de conséquences préjudicia-
bles en matière de discrimination dans l'arrêt
Griggs. Il est vrai que les mots «ou, d'une façon
générale, de nuire» apparaissaient également dans
cette disposition et que les commentateurs leur ont
accordé une certaine importance dans l'explication
de la décision (voir Blumrosen, op. cit., page 74;
Tarnopolsky, op. cit., page 89), mais, à mon avis,
ils n'ajoutent rien, aux fins de la présente espèce, à
ce qu'expriment déjà les mots «d'une manière sus
ceptible d'annihiler». En outre, je note que, malgré
la présence des mots «en raison de» à l'alinéa
703a)(2), la Cour a néanmoins conclu que cette
disposition autorisait l'application de la notion des
conséquences préjudiciables. J'abonde dans le
même sens pour ce qui est des mots «pour un motif
... illicite» à l'article 10 qui, relativement aux
conséquences, signifient en raison d'un motif de
distinction illicite.
Pour ces motifs, abstraction faite de la question
de l'application et de l'incidence des dispositions
du Code canadien du travail et des règlements en
matière de sécurité, je conclus que l'article 10 de la
Loi canadienne sur les droits de la personne suffi-
sait pour étayer la conclusion suivant laquelle, de
prime abord, le CN avait commis un acte
discriminatoire.
La seconde question qui se pose est de savoir si
le tribunal a fait une erreur de droit en jugeant que
la politique du CN relativement au port du casque
de sécurité ne constituait pas, dans le cas de
Bhinder, une exigence professionnelle normale.
Les avocats du CN et le procureur général du
Canada se sont principalement appuyés sur l'inter-
prétation de cette exception ou défense par la Cour
suprême du Canada dans l'arrêt Commission
ontarienne des droits de la personne, et autres c.
Municipalité d'Etobicoke [[1982] 1 R.C.S. 202];
132 D.L.R. (3d) 15. Dans cette affaire, il fallait
déterminer si une disposition prévoyant la mise à
la retraite obligatoire des pompiers municipaux à
l'âge de 60 ans constituait une exigence profession-
nelle normale du poste ou de l'emploi, au sens du
paragraphe 4(6) du Ontario Human Rights Code,
R.S.O. 1970, chap. 318. Le juge McIntyre, qui
prononça le jugement unanime de la Cour, dit ceci
à la page 208 [Recueil des arrêts de la Cour
suprême] :
Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restric
tion comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être
imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère
que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne
exécution du travail en question d'une manière raisonnablement
diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués
ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à
l'encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter
objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant
raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et
économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses
compagnons de travail et le public en général.
Les avocats du CN et le procureur général du
Canada ont plaidé qu'à la lumière de cette défini-
tion et des constatations du tribunal quant au but
visé par le CN en imposant le port du casque de
sécurité et aux effets véritables de cette politique,
la seule conclusion possible en droit était de décla-
rer qu'il s'agissait d'une exigence professionnelle
normale au sens de l'alinéa 14a) de la Loi. Le
tribunal a conclu que l'exigence relative au port du
casque de sécurité n'avait pas été adoptée ni appli-
quée à M. Bhinder par le CN avec une intention
discriminatoire, mais que la compagnie l'avait
imposée à tous ses employés du centre de triage de
Toronto en croyant honnêtement améliorer ainsi
leur sécurité. Selon eux, cette conclusion satisfai-
sait au critère subjectif. Le tribunal a également
décidé que l'exigence relative au port du casque de
sécurité était une politique valable qui devait amé-
liorer la sécurité des employés tout en permettant
de réduire les obligations du CN au chapitre du
régime d'indemnisation et que, par ailleurs, Bhin-
der courait un plus grand risque de blessures, à
peine plus élevé cependant, s'il portait le turban au
lieu du casque de sécurité. Selon les avocats, cela
satisfaisait au critère objectif.
Voici de quelle façon le tribunal a abordé la
question de l'exigence professionnelle normale. Il
est tout d'abord parti du principe que cette notion
devait être appliquée restrictivement puisqu'il
s'agissait d'une exception à ce qui autrement serait
considéré comme un acte discriminatoire. Il a
ensuite soupesé, d'une part, les risques et les coûts
supplémentaires qu'entraînerait le fait d'autoriser
M. Bhinder à porter le turban au lieu du casque de
sécurité et, d'autre part, les conséquences de l'obli-
gation pour ce dernier de choisir entre sa religion
et son emploi. Dans son analyse, le tribunal a
appliqué le principe selon lequel l'employeur a le
devoir de tenir compte des pratiques religieuses
d'un employé en le dispensant d'une obligation ou
en la remplaçant par une autre s'il peut le faire
sans imposer de contrainte excessive à l'exploita-
tion de son entreprise. Les avocats du CN et le
procureur général du Canada ont soutenu que le
tribunal a commis une erreur en introduisant cette
notion dans l'exception ou la défense fondée sur
l'exigence professionnelle normale parce qu'elle ne
s'appuyait sur rien dans la Loi et qu'elle en avait
même été exclue par la définition de l'expression
«exigences professionnelles normales» par la Cour
suprême du Canada dans l'arrêt Etobicoke.
L'obligation de tenir compte de la situation de
l'employé de même que le concept de conséquences
préjudiciables en matière de discrimination - sont
des notions empruntées au droit américain par les
tribunaux canadiens des droits de la personne. Ces
notions ont été expressément introduites dans la
législation américaine en 1972 par une modifica
tion apportée au Titre VII du Civil Rights Act of
1964 dont le paragraphe 701j) prévoyait que [TRA-
DUCTION] «"religion" désigne tous les aspects des
observances et des pratiques religieuses, ainsi que
de la croyance, à moins qu'un employeur ne prouve
qu'il est incapable de s'adapter d'une manière
raisonnable aux observances ou aux pratiques reli-
gieuses d'un employé ou d'un employé éventuel
sans subir de contrainte excessive quant à la con-
duite de ses affaires.» Cette modification fut adop-
tée par suite de l'opinion exprimée lors d'une
demande de nouvelle audition dans l'affaire Dewey
v. Reynolds Metal Company, 429 F.2d 324 [6th
Cir. 1970] (confirmée sur partage égal des opi
nions en Cour suprême, 402 U.S. 689 (1971))
suivant laquelle une telle obligation n'existait pas
aux termes de la loi en vigueur à cette époque.
Cette notion de l'obligation faite à l'employeur
de tenir compte de la situation de l'employé fut
appliquée par le professeur Cumming dans les
affaires Singh et Colfer. Dans la cause Simpsons-
Sears, le professeur Ratushny exprima certaines
réserves quant à sa portée véritable et tant la Cour
divisionnaire que la Cour d'appel conclurent que
cette notion ne trouvait aucun appui dans le Code
des droits de la personne de l'Ontario en vigueur à
l'époque. Citant l'arrêt Dewey et les modifications
apportées en 1972 au Civil Rights Act of 1964, le
juge d'appel Lacourcière dit à la page 426: [TRA-
DUCTION] «Il me paraît évident que la jurispru
dence américaine postérieure à 1972 que semblent
avoir suivie divers présidents de commissions d'en-
quête constituées en vertu du Code des droits de la
personne de l'Ontario n'est d'aucun secours dans
l'interprétation du Code antérieur à la modifica
tion de 1981 proclamée le 15 juin 1982, qui a
introduit le nouvel article (art. 10) .. .» Même si le
juge d'appel Lacourcière s'intéressait principale-
ment à la question de savoir si l'intention de
discriminer était un élément essentiel d'une contra
vention à l'alinéa 4(1)g) du Code, je déduis de ses
propos qu'il est d'avis que l'obligation de tenir
compte de la situation de l'employé existe aujour-
d'hui en vertu du nouvel article 10 précité.
En l'espèce, le tribunal, se rangeant à l'argu-
ment des avocats de la Commission et de M.
Bhinder, a adopté le point de vue que l'obligation
de tenir compte de la situation de l'employé est un
élément nécessaire pour que s'applique à un cas
particulier l'exception fondée sur l'exigence profes-
sionnelle normale. La notion de conséquences pré-
judiciables ou de discrimination indirecte a pour
corollaire que l'exception doit être examinée en
fonction de l'employé visé; s'il en était autrement,
l'exception pourrait rendre illusoire l'existence de
la notion de discrimination indirecte. Afin de
déterminer si l'exigence est justifiée vis-à-vis de
l'employé, il est donc nécessaire, en soupesant les
divers facteurs pertinents, y compris l'effet discri-
minatoire, de se demander si l'employeur pouvait,
dans ce cas particulier et sans imposer de con-
trainte excessive à son entreprise, dispenser l'em-
ployé de cette exigence ou la remplacer par une
autre. En Grande-Bretagne, les tribunaux du tra
vail adoptent une approche identique lorsque, dans
les causes de discrimination indirecte intentées en
vertu du Sex Discrimination Act 1975 et du Race
Relations Act 1976, ils déterminent si l'exigence
ou la condition imposée est «justifiée»: voir l'arrêt
Singh v. Rowntree MacKintosh Ltd., [1979]
I.C.R. 554 [E.A.T. Écosse]. À mon avis, c'est une
approche valable qu'en droit les tribunaux des
droits de la personne peuvent adopter en vertu de
l'alinéa 14a) de la Loi canadienne sur les droits de
la personne et que n'exclut pas la définition
donnée à l'expression «exigences professionnelles
normales» par la Cour suprême du Canada dans
l'arrêt Etobicoke.
L'application et l'évaluation des divers facteurs
dont il faut tenir compte lorsqu'on détermine si
une exigence ou une condition particulière est
raisonnablement nécessaire eu égard à l'employé
visé ou encore si, dans les circonstances, l'em-
ployeur a l'obligation de s'adapter aux pratiques
religieuses de l'employé, mettent essentiellement
en jeu des questions de fait et dans une certaine
mesure des questions de principe en matière de
droits de la personne. Voir à ce sujet l'opinion
formulée par le juge Ritchie (parlant alors en son
nom et aux noms du juge en chef Laskin et du juge
Dickson) dans l'arrêt Insurance Corporation of
British Columbia c. Heerspink et autre, [[1982] 2
R.C.S. 145]; 137 D.L.R. (3d) 219, aux pages 153
et 154 [Recueil des arrêts de la Cour suprême]
quant à la nature de la question de la «cause
raisonnable» au sens de l'article 3 du Human
Rights Code de la Colombie-Britannique
[R.S.B.C. 1979, chap. 186], et l'opinion exprimée
par lord Denning, M.R., dans l'affaire Panesar v.
Nestlé Co. Ltd., [1980] I.C.R. 144 [C.A. Angl.], à
la page 147 quant à la nature de la question de
savoir si une exigence ou une condition est «justi-
fiée» en vertu du paragraphe 1(1) du Race Rela
tions Act 1976. Les pouvoirs d'examen de cette
Cour, dans le cadre d'une demande fondée sur
l'article 28, ne sont pas aussi étendus que ceux de
la Cour divisionnaire dans un appel fondé sur le
Code des droits de la personne, 1981 de l'Ontario
qui prévoit expressément que la Cour peut exami
ner les questions tant de fait que de droit et même
substituer son opinion à celle de la commission
d'enquête. Les pouvoirs de la Cour fédérale sont
également moins étendus que ceux dont disposent
les tribunaux américains lorsqu'ils examinent si un
employeur peut raisonnablement s'adapter aux
pratiques religieuses de son employé sans pour
autant imposer de contrainte excessive à son entre-
prise. Voir à cet égard l'arrêt Trans World Airli
nes, Inc. v. Hardison et al., 432 U.S. 63 (1977)
[S.C.]. Quand il s'agit essentiellement d'une ques-
tion de fait, cette Cour doit s'en tenir, conformé-
ment à l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour
fédérale [S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10], à
déterminer si le tribunal a fondé sa décision sur
une conclusion de fait erronée «tirée de façon
absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des
éléments portés à sa connaissance». J'estime égale-
ment que la Cour ne devrait pas intervenir à la
légère dans ce qui constitue essentiellement une
question de politique en matière de droits de la
personne, portant sur l'application des principes ou
critères que les tribunaux des droits de la personne
ont élaborés sous forme d'un courant jurispruden-
tiel distinct dans un domaine relativement nouveau
du droit. —
En l'espèce, la conclusion du tribunal relative-
ment à la question de l'exigence professionnelle
normale repose sur plusieurs constatations de fait
et sur des choix politiques quant à l'importance à
accorder aux divers facteurs pertinents. Le tribu
nal était à même d'examiner des éléments de
preuve portant sur les risques relatifs de blessures
à la tête et d'électrocution que comporte le travail
de M. Bhinder ainsi que sur les propriétés respecti-
ves du casque et du turban au plan de la sécurité.
Il n'est pas utile de revoir en détail ces éléments de
preuve. S'appuyant sur cette preuve, le tribunal a
conclu que le risque que M. Bhinder soit blessé à
la tête s'il portait le turban au lieu du casque de
sécurité était léger sinon négligeable et que, quant
au risque d'électrocution, il n'était pas suffisam-
ment élevé pour mériter qu'on en tienne compte.
Le tribunal a aussi jugé que ni les autres employés
ni le public en général ne courraient de risque. Il
m'est impossible de conclure que l'une ou l'autre
de ces constatations de fait permette d'appliquer
l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale.
Selon moi, la seule controverse possible porterait
sur la constatation que la preuve n'a pas établi
l'existence d'un danger qui rende applicable au
travail de M. Bhinder le règlement sur la protec
tion contre les dangers de l'électricité qui, dans sa
définition d'«installation électrique», inclut l'équi-
pement dont «l'ampacité et la tension présentent
un danger pour les employés». Thomas Beaton,
directeur régional de l'Ontario pour Travail
Canada, est parti du principe que le travail de M.
Bhinder était assujetti au règlement sur la protec
tion contre les dangers de l'électricité et s'est
appuyé notamment sur ce motif pour refuser de
dispenser M. Bhinder de l'obligation de porter le
casque de sécurité que lui imposait le CN. Dans sa
déposition, il a fait allusion à deux cas d'électrocu-
tion d'électriciens d'entretien, sans en préciser tou-
tefois les circonstances. Il est manifeste à mon avis
que les deux électriciens ne travaillaient pas sur le
train Turbo. La preuve a démontré que, même si le
travail de Bhinder comportait quelque risque
d'électrocution, un électricien d'entretien devrait
faire preuve de beaucoup d'imprudence pour s'ex-
poser aux risques d'électrocution dans ce type par-
ticulier de travail. Il a été établi que le turban
n'était pas conforme aux normes en matière d'iso-
lation du règlement sur la protection contre les
dangers de l'électricité et même que le fait de
porter un turban humide pourrait comporter un
risque d'électrocution. En soupesant la probabilité
d'un risque appréciable d'électrocution dans le tra
vail de M. Bhinder avec l'incidence que pourrait
avoir à cet égard le port d'un casque de sécurité, le
tribunal semble avoir attaché une importance
toute particulière au fait que les électriciens d'en-
tretien travaillant sur le train Turbo n'étaient pas
obligés de porter des gants protecteurs ou, en tout
état de cause, qu'ils ne le faisaient pas. Il semble
que le tribunal faisait allusion à ce qu'il jugeait
être le poids de la preuve quant aux dangers
d'électrocution lorsqu'il affirma: [TRADUCTION]
«Bien que le mis en cause [sic] ait laissé entendre
qu'il y avait risque d'électrocution pour les électri-
ciens d'entretien du turbotrain, il n'a fourni
aucune preuve concrète à cet égard.» Même si je
fais quelques réserves quant à la constatation du
tribunal sur cette question, il m'est néanmoins
impossible de conclure qu'il s'agit là d'une erreur
visée par l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour
fédérale.
Voyons maintenant si le tribunal a fait une
erreur de droit en jugeant que, si M. Bhinder et
d'autres Sikhs étaient autorisés à porter le turban
au lieu du casque, la hausse éventuelle des obliga
tions du CN au titre du régime d'indemnisation,
en tant qu'employeur figurant à l'annexe 2 prévu à
la Loi sur les accidents du travail de l'Ontario, ne
constituait pas une contrainte excessive et que,
même si c'était le cas, le CN était quand même
tenu de s'adapter à la situation de l'employé en
raison de l'importance relative de la liberté de
religion de M. Bhinder. Le raisonnement du tribu
nal sur ce point peut se résumer comme suit:
l'accroissement des coûts qu'auraient à assumer les
employeurs figurant à l'annexe 1 si on dispensait
les Sikhs de porter le casque de sécurité serait très
minime puisque le risque est partagé entre un
grand nombre d'employeurs. Dans le cas des
employeurs figurant à l'annexe 2, qui indemnisent
directement les employés, l'augmentation des coûts
serait plus importante, mais demeurerait néan-
moins très minime étant donné la taille de tels
employeurs. Même si l'accroissement des risques
n'était pas minime, il ne devrait pas être considéré
comme une contrainte excessive puisqu'il s'agit
d'un risque inhérent au fait d'employer des indivi-
dus en conformité de la Loi canadienne sur les
droits de la personne et d'un risque que l'em-
ployeur, qu'il figure à l'annexe 1 ou à l'annexe 2,
est tenu d'accepter étant donné le caractère univer-
sel du régime d'indemnisation des travailleurs. En
fait, le tribunal a jugé, si je comprends bien ses
motifs, que l'accroissement des obligations au cha-
pitre du régime d'indemnisation pour l'employeur
qui doit s'adapter aux pratiques religieuses d'un
employé ne peut en principe constituer une con-
trainte excessive ni un motif justifiant un refus de
s'adapter. J'estime que cette conclusion sur la
question de la contrainte excessive cadre bien avec
l'ensemble de la politique des droits de la personne
et qu'elle doit, comme question de droit, être lais-
sée à l'appréciation du tribunal des droits de la
personne chargé de déterminer si, dans un cas
particulier, l'employeur a l'obligation de tenir
compte de la situation d'un employé. Ce n'est pas,
à mon avis, un point de vue déraisonnable compte
tenu des risques inhérents à cette obligation et de
la nature du régime d'indemnisation. Compte tenu
de sa conclusion suivant laquelle M. Bhinder cour-
rait certains risques s'il portait le turban au lieu du
casque, le tribunal était sans aucun doute habilité
à conclure, quant aux faits, que l'accroissement
possible des obligations du CN au chapitre du
régime d'indemnisation serait très minime pour un
employeur de sa taille et ne constituerait pas une
contrainte excessive. Cependant, même si on consi-
dère qu'il s'agit d'une question de droit, étant
donné la façon dont le tribunal en a traité par la
suite, je ne suis pas prêt à admettre, en raison de la
nature essentiellement politique du jugement, que
cette opinion relativement à l'accroissement des
obligations au titre du régime d'indemnisation des
travailleurs doit être jugée manifestement erronée
en droit.
Il nous reste maintenant à traiter de ce qu'on
pourrait appeler la question de compétence. Il
s'agit en fait de l'argument suivant lequel le tribu
nal n'avait pas compétence pour se prononcer sur
l'application des dispositions en matière de sécurité
du Code canadien du travail et des règlements sur
les vêtements protecteurs et sur la protection
contre les dangers de l'électricité, et pour juger
que, malgré ces dispositions et le refus du minis-
tère fédéral du Travail d'accorder une dispense, la
politique du CN relativement au port du casque de
sécurité constituait de prime abord, dans le cas de
M. Bhinder, un acte discriminatoire et n'était pas
une exigence professionnelle normale. Le tribunal
est parti du principe que l'interprétation et l'appli-
cation de la loi et des règlements fédéraux sont
subordonnées aux dispositions de la Loi cana-
dienne sur les droits de la personne. Je souscris à
cette opinion qui est conforme à l'intention expri-
mée à l'article 2 de la Loi qui stipule que son objet
est de «compléter la législation canadienne actuelle
en donnant effet, dans le champ de compétence du
Parlement du Canada, aux principes suivants ...»
et qui respecte également la préséance qu'il faut
accorder à la législation sur les droits de la per-
sonne, selon l'opinion exprimée par le juge Lamer,
et appuyée par les juges Estey et McIntyre, dans
l'arrêt Insurance Corporation of British Columbia
c. Heerspink et autre, [[1982] 2 R.C.S. 145]; 137
D.L.R. (3d) 219, et par la Cour d'appel du Mani-
toba dans l'affaire Re Newport and Government of
Manitoba (1982), 131 D.L.R. (3d) 564. Une exi-
gence ou condition d'emploi, même si elle est
imposée conformément à une loi ou à un règlement
fédéral valide, ne doit pas, dans son application,
avoir d'effet discriminatoire et ainsi contrevenir à
la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il
s'ensuit donc que le tribunal avait nécessairement
compétence pour tenir compte de l'application du
Code et des règlements en l'espèce, ainsi que des
diverses questions touchant la sécurité et les ris-
ques afin de déterminer si, à la lumière de toutes
les circonstances, l'employeur devait s'adapter aux
pratiques religieuses de M. Bhinder. À supposer
même que la politique du CN relativement au port
du casque de sécurité ait été imposée par le Code
et le règlement sur les vêtements protecteurs, sinon
par le règlement sur la protection contre les dan
gers de l'électricité, j'estime, comme le tribunal,
qu'elle ne constituait pas nécessairement, dans le
cas de M. Bhinder, une exigence professionnelle
normale. J'ai déjà expliqué plus haut pourquoi, à
mon avis, l'obligation de s'adapter à la situation de
l'employé est un élément essentiel de l'application
de l'exception fondée sur l'exigence professionnelle
normale dans un cas de discrimination indirecte.
Le fait que l'exigence ait été imposée conformé-
ment à la loi ou au règlement ne modifie en rien
mon opinion à ce sujet. En conséquence, la ques
tion de savoir si le tribunal a conclu à tort ou à
raison que le règlement sur la protection contre les
dangers de l'électricité ne s'appliquait pas et que le
turban répondait aux exigences du règlement sur
les vêtements protecteurs comme moyen de se
protéger la tête, ne peut en rien influer, à mon
avis, sur la validité de sa décision dans la mesure
où la preuve vient étayer les constatations essen-
tielles exprimées par ses conclusions quant au
risque relatif d'électrocution et aux propriétés pro-
tectrices du turban par rapport au casque de sécu-
rité. Je suis d'avis que ses conclusions sont
appuyées par certains éléments de preuve et qu'il
était donc permis au tribunal d'en tenir compte
pour déterminer si, à la lumière de toutes les
circonstances, l'employeur avait l'obligation de
s'adapter à la situation de l'employé.
Par ces motifs, je rejetterais la présente
demande fondée sur l'article 28.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT KELLY: J'ai eu l'avantage
de lire les motifs de jugement de mes collègues
Heald et Le Dain. Je souscris à la conclusion à
laquelle est arrivée le juge Heald, mais il y a
certaines questions dont il n'a pas traité dans ses
motifs et qui, selon moi, méritent de l'être.
Même si le tribunal des droits de la personne ne
le dit pas expressément dans sa décision, la cons
truction même de son texte montre bien qu'il s'est
attaché à étudier l'évolution de la politique des
droits de la personne et qu'à cette fin, il a
emprunté abondamment à la jurisprudence et aux
pratiques de juridictions autres que le Canada (au
niveau fédéral) en ne tenant pas compte dans
certains cas des différences qui existent entre les
textes législatifs canadiens et ceux d'autres pays.
La Loi canadienne sur les droits de la personne
définit l'acte discriminatoire et confère à la Com
mission, par son paragraphe 22(2) [abrogé et rem-
placé par S.C. 1977-78, chap. 22, art. 5], le pou-
voir de formuler des directives 8 qui, dès qu'elles
sont validement adoptées lient la Commission et
tout tribunal. De plus, ces directives, suivant les
prescriptions du paragraphe 22(2), ont force de loi.
Lorsqu'une plainte est déposée, la Commission
peut constituer un tribunal chargé de l'examiner; à
l'issue de son enquête, le tribunal a le pouvoir a) de
rejeter la plainte; b) de la juger fondée; toutefois, il
ne peut rendre des ordonnances punitives que s'il a
jugé la plainte fondée.
Maintenant que nous avons bien circonscrit les
pouvoirs du tribunal, il nous faut rechercher, à
mon avis, les principes établis par la Loi en inter-
prétant les mots qu'a employés le Parlement pour
les formuler et que viennent préciser les directives
édictées par la Commission en vertu du pouvoir
législatif délégué qui lui a été conféré.
Dans l'exercice de ses fonctions judiciaires ou
quasi judiciaires, le tribunal est, de toute évidence,
appelé à interpréter la loi qui le régit, mais il doit
alors, conformément aux règles bien établies d'in-
terprétation des lois, limiter son examen aux mots
qu'ont utilisés le Parlement et la Commission pour
exprimer leurs intentions respectives. Il semble en
l'espèce que le tribunal, en formulant sa décision, a
étendu son mandat pour y inclure des domaines
qui ne lui ont pas été attribués spécifiquement.
Je n'ai pas l'intention d'énumérer tous les cas où
le tribunal a agi ainsi dans sa décision. Toutefois, à
8 Le paragraphe 22(2) se lit comme suit:
22....
(2) Dans un cas ou une série de cas donnés, la Commission
peut, sur demande ou de sa propre initiative, décider de
préciser les limites et les modalités de l'application de la
présente loi dans des ordonnances qui, jusqu'à ce qu'elles
soient abrogées ou modifiées, lient la Commission, les tribu-
naux des droits de la personne constitués en vertu du para-
graphe 39(1) et les tribunaux d'appel constitués en vertu du
paragraphe 42.1(2) lors du règlement des plaintes déposées
conformément à la Partie III.
titre d'exemple, j'aimerais souligner le passage où
il discute du [TRADUCTION] «devoir de tenir
compte de la situation des employés», principe dont
je n'ai trouvé aucune trace dans la législation
pertinente.
Ma seconde observation porte sur un autre prin-
cipe qui, sans être formulé expressément dans la
décision, y est néanmoins intrinsèque, soit le prin-
cipe selon lequel en cas de conflit entre les droits
de la personne et d'autres dispositions législatives
ou réglementaires, les droits de la personne doivent
prévaloir. Il m'est difficile de concevoir que, s'il
avait eu l'intention d'accorder une primauté uni-
verselle aux droits de la personne, le Parlement
aurait pu omettre de le dire expressément.
Je n'ai nullement l'intention de dresser la liste
de tous les renvois possibles à la décision du tribu
nal, mais je tiens à souligner un cas où le principe
susmentionné est carrément inapplicable. Même si
notre société accorde volontiers une très grande
importance à la protection des droits de la per-
sonne qui sont définis dans la Loi, elle reconnaît
cependant l'existence de droits encore plus fonda-
mentaux, le respect de la vie humaine et la sauve-
garde de l'intégrité physique des individus. Il ne
saurait être question de tolérer qu'un individu
puisse en tuer ou en estropier un autre sous le
prétexte qu'il exprime ses croyances religieuses. Si
je comprends bien les motifs du juge McIntyre
dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de
la personne, et autres c. Municipalité d'Etobicoke,
[1982] 1 R.C.S. 202, la page 208 9 , il faut se
demander, lorsqu'on examine si une exigence pro-
fessionnelle est réelle (normale), si le défaut de s'y
conformer peut présenter un risque pour l'em-
ployé, pour ses compagnons de travail ou pour le
public en général.
9 Pour constituer une exigence professionnelle réelle [nor-
male], une restriction comme la retraite obligatoire à un âge
déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec
la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue
d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une
manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non
pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs
susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code. Elle doit en
outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en
question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer
l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en
danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en
général.
Il semble donc que si la sécurité de l'employé, de
ses compagnons de travail et du public est un
facteur dont il faut tenir compte lorsqu'il s'agit de
définition ou de violation de droits de la personne,
il ne saurait y avoir alors primauté des droits de la
personne.
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