A-1763-83
Gulf Canada Limited (appelante) (demanderesse)
c.
Le remorqueur Mary Mackin et Sea -West Hol
dings Ltd. (intimés) (défendeurs)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Mar-
ceau—Vancouver, 16 février; Ottawa, 7 mars
1984.
Pratique — Détails — Appel d'une ordonnance enjoignant à
l'appelante de fournir des détails plus amples et plus précis
sur des allégations de négligence — Le chaland affrété par
l'appelante a subi des dommages lorsqu'il s'est échoué pendant
que la société intimée en avait la garde et la responsabilité —
L'appelante allègue la négligence et la violation du contrat —
Ajournement de l'interrogatoire préalable du président de la
société intimée — Les intimés cherchent à obtenir, en vertu des
Règles 408(1) et 415, des détails plus amples pour mettre fin
aux difficultés qui ont découlé, pendant l'interrogatoire préa-
lable, des questions de la demanderesse relatives à l'équipage
et à l'équipement du remorqueur n'ayant aucun lien connu ni
allégué avec l'accident, et pour clarifier les points en litige aux
fins de l'instruction et de la préparation de celle-ci — Appel
rejeté — Selon l'arrêt Anglo-Canadian Timber Products Ltd.
v. British Columbia Electric Company Limited, le but des
détails est de donner des précisions sur les points soulevés dans
les plaidoiries écrites de manière que la partie adverse puisse
se préparer à l'instruction en procédant à un interrogatoire
préalable ou d'une autre façon — Le Livre blanc traitant des
Règles de pratique (anglaises) de la Supreme Court énonce les
fonctions des détails: (I) informer l'autre partie des arguments
auxquels elle devra faire face; (2) empêcher les surprises à
l'instruction; (3) permettre à l'autre partie de savoir quelle
preuve doit être prévue et de se préparer à l'instruction; (4)
limiter la généralité des plaidoiries; (5) déterminer les points à
instruire et ceux pour lesquels un interrogatoire est requis; et
(6) enlever toute liberté d'action à la partie de manière qu'elle
ne puisse, sans autorisation, examiner les questions qui ne font
pas partie des plaidoiries — La portée générale de la déclara-
tion permet, à l'interrogatoire préalable, de poser des questions
qui n'ont aucun rapport avec les véritables points soulevés —
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 408(1),
415(3).
Appel est interjeté d'une ordonnance du juge des requêtes
enjoignant à l'appelante de fournir des détails plus amples et
plus précis sur des allégations de négligence contenues dans la
déclaration. Un chaland affrété par l'appelante s'est échoué et a
été endommagé alors que la société intimée en avait la garde et
la responsabilité. L'appelante allègue que l'accident est le résul-
tat de la négligence de l'intimée et de la violation de son
contrat. Le président de la société intimée a été produit comme
témoin pour être interrogé au préalable, mais l'interrogatoire a
été ajourné. Les intimés ont saisi la Cour d'une demande en
vertu des Règles 408(1) et 415(3) visant une ordonnance de
fournir des détails plus amples et plus précis afin de résoudre
les difficultés qui ont résulté, pendant l'interrogatoire préalable,
de l'insistance de la demanderesse à poser des questions «relati-
[ve]s à l'équipage et à l'équipement du remorqueur n'ayant
aucun lien connu ni allégué avec l'accident. et aussi, en vue de
clarifier les points en litige aux fins de l'instruction et de la
préparation de celle-ci.
Arrêt (le juge Marceau dissident): l'appel devrait être rejeté.
Le juge Heald: Les principes applicables à une demande de
ce genre ont été énoncés clairement dans l'arrêt Anglo- Cana-
dian Timber Products Ltd. v. British Columbia Electric Com
pany Limited (1960), 31 W.W.R. 604 (C.A.C.-B.). Le but d'un
interrogatoire préalable est de prouver ou de réfuter les points
en litige exposés dans les plaidoiries écrites. Le but d'une
demande de détails est d'obliger une partie à donner des
précisions sur les points qu'elle a essayé de soulever dans ses
plaidoiries écrites de manière que la partie adverse soit en
mesure de se préparer à l'instruction en procédant à un interro-
gatoire préalable ou d'une autre façon. La Cour a statué dans
Cansulex Limited v. Perry et al., jugement en date du 18 mars
1982, Cour d'appel de la Colombie-Britannique, dossier
C785837, non publié, que la distinction entre la demande de
détails et l'interrogatoire préalable dépend de la question de
savoir si les documents exigés déterminent les points en litige ou
si la partie demande des documents relatifs à la manière dont
les points en litige seront prouvés. Les fonctions des détails sont
énumérées dans l'ouvrage anglais The Supreme Court Practice:
(1) informer l'autre partie des arguments auxquels elle devra
faire face; (2) empêcher les surprises à l'instruction; (3) per-
mettre à l'autre partie de savoir quelle preuve devrait être
prévue et de se préparer pour l'instruction; (4) limiter la
généralité des plaidoiries; (5) déterminer les points à instruire
et ceux pour lesquels un interrogatoire est requis; et (6) enlever
toute liberté d'action à la partie de manière qu'elle ne puisse,
sans autorisation, examiner les questions qui ne font pas partie
des plaidoiries. Les Règles 408(1) et 415(3) sont semblables
aux articles correspondants des règles anglaises; c'est pourquoi,
les fonctions énumérées plus haut s'appliquent à la demande
présentée en l'espèce. Plusieurs des questions de l'interrogatoire
préalable ne sont pas vraiment pertinentes pour les points en
litige soulevés. Ces questions pourraient être admissibles en
raison de la portée générale de la déclaration, mais elles
démontrent bien la nécessité d'ordonner à la partie de fournir
des détails.
Le juge Marceau (dissident): Le juge a commis une erreur en
ordonnant à l'appelante de fournir des détails plus amples. Le
but de l'ordonnance demandée était de restreindre la portée de
l'interrogatoire. Un tel but, derrière lequel se cache le désir de
gêner la preuve de l'autre partie plutôt que de faire progresser
la preuve de la requérante, n'est pas valable. Les intimés
n'avaient pas besoin de ces détails pour préparer leur défense et
ils n'ont pas cru nécessaire de les demander avant de se
présenter à l'interrogatoire. Ils ne peuvent maintenant soulever
d'objection avant que l'affaire soit prête pour l'instruction et
que le moment de préparer l'audition soit arrivé. La demande
est prématurée. D'autres considérations militent contre l'octroi
de la demande. L'accident s'est produit alors que l'intimée avait
la garde et la responsabilité du chaland. L'appelante n'a donc
pas eu directement connaissance des faits qui ont entraîné
l'échouement de son chaland. Ordonner à l'appelante de fournir
des détails signifie qu'elle devra soit renoncer à son recours
fondé sur la négligence soit exposer, sous le couvert de détails,
des suppositions et des conclusions possibles. Dans le premier
cas, une injustice sera commise, et dans le second, les plaidoi-
ries seront faussées.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Anglo-Canadian Timber Products Ltd. v. British
Columbia Electric Company Limited (1960), 31 W.W.R.
604 (C.A.C.-B.); Cansulex Limited v. Perry et al., juge-
ment en date du 18 mars 1982, Cour d'appel de la
Colombie-Britannique, dossier C785837, non publié.
DÉCISIONS CITÉES:
International Business Machines Corporation c. Xerox of
Canada Limited et autre (1977), 16 N.R. 355 (C.F.
Appel); Cominco Ltd. v. Westinghouse Can. Ltd. et al.
(1978), 6 B.C.L.R. 25 (C.S.); Brown v. Batco Develop
ment Co. Ltd. (1946), [62] B.C.R. 371 (C.S.); Dilling-
ham Corporation Ltd. v. Finning Tractor & Equipment
et al., jugement en date du 14 juillet 1983, Cour suprême
de la Colombie-Britannique, greffe de Vancouver n°
C810891, encore inédit; Somers v. Kingsbury (1923), 54
O.L.R. 166 (C.A.); Dixon v. Trusts & Guarantee Co.
(1914), 5 O.W.N. 645 (H.C.).
AVOCATS:
David Roberts, c.r., pour l'appelante (deman-
deresse).
G. H. Cleveland pour les intimés (défen-
deurs).
PROCUREURS:
Campney & Murphy, Vancouver, pour l'appe-
lante (demanderesse).
Owen, Bird, Vancouver, pour les intimés
(défendeurs).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: J'ai eu l'avantage de lire les
motifs de jugement de mon collègue le juge Mar-
ceau, mais je ne peux malheureusement pas être
d'accord avec la solution qu'il propose. À mon avis,
l'appel de la décision du juge des requêtes devrait
être rejeté. J'estime que mon collègue a fait un
résumé précis des faits essentiels et je n'ai pas
l'intention de les répéter, sauf lorsque ce sera
nécessaire dans le contexte des présents motifs.
Le paragraphe 8 de la déclaration contient une
allégation de négligence de la part de l'opérateur
du remorqueur défendeur et de ses préposés. Les
détails donnés au paragraphe 8 sont les suivants:
[TRADUCTION] 8. ...
a) omission d'armer, d'équiper et (ou) d'entretenir le
remorqueur défendeur de la manière appropriée pour
effectuer le remorquage en question;
b) omission de manoeuvrer et (ou) de diriger adéquatement
le remorqueur défendeur pendant le remorquage en
question.
Le juge des requêtes a ordonné à la demanderesse
de fournir des détails sur lesdites allégations conte-
nues au paragraphe 8, dont notamment, selon
l'ordonnance:
[TRADUCTION] A. ...
1. des détails plus amples et plus précis sur le paragraphe 8a)
de la déclaration, indiquant de quelle manière particulière les
défendeurs et leurs préposés ont omis
(i) d'armer le remorqueur défendeur de la manière
appropriée;
(ii) d'équiper le remorqueur défendeur de la manière
appropriée;
(iii) d'entretenir le remorqueur défendeur de la manière
appropriée.
2. des détails plus amples et plus précis sur le paragraphe 8b)
de la déclaration, indiquant de quelle manière particulière les
défendeurs et leurs préposés ont omis
(i) de manœuvrer adéquatement le remorqueur défendeur;
(ii) de diriger adéquatement le remorqueur défendeur.
Il ressort du dossier que la défense nie en particu-
lier les allégations contenues au paragraphe 8 de la
déclaration (précité). Par la suite, soit le 31 mai
1983, l'avocat de la demanderesse a commencé
l'interrogatoire préalable du président de la société
défenderesse. Des difficultés ont apparemment
résulté, à l'interrogatoire, [TRADUCTION] « ... de
l'insistance de l'avocat de la demanderesse à poser
des questions et à exiger la production de docu
ments relatifs à l'équipage et à l'équipement du
remorqueur n'ayant aucun lien connu ni allégué
avec l'accident». (Voir l'affidavit de William O.
Forbes, dossier conjoint, page 15.) En raison de ces
difficultés, l'interrogatoire a été ajourné et la pré-
sente demande de détails supplémentaires a été
présentée à la Division de première instance.
Le juge d'appel Sheppard a énoncé clairement
les principes applicables à une demande de ce
genre dans l'arrêt Anglo-Canadian Timber Pro
ducts Ltd. v. British Columbia Electric Company
Limited', où il a déclaré aux pages 605 et 606:
[TRADUCTION] En conséquence, il semble qu'il y a ensuite
un interrogatoire préalable sur les points en litige exposés dans
les plaidoiries écrites et que le but d'un tel interrogatoire est de
prouver ou de réfuter les points exposés par un contre-interro-
gatoire sur les faits pertinents.
1 (1960), 31 W.W.R. 604 (C.A.C.-B.).
En revanche, le but d'une demande de détails est d'obliger
une partie à donner des précisions sur les points qu'elle a essayé
de soulever dans ses plaidoiries écrites de manière à ce que la
partie adverse soit en mesure de se préparer à l'instruction en
procédant à un interrogatoire préalable ou d'une autre façon.
Le maître des rôles Jessel a énoncé le but des détails dans
Thorp v. Holdsworth (1876) 3 Ch D 637, 45 LJ Ch 406, à la
page 639:
«L'objectif des plaidoiries écrites est d'amener les parties
au point en litige, et le but des règles de l'Ordonnance XIX
était d'éviter d'élargir la portée du litige et éviter ainsi que
les parties ne sachent plus, lorsque la cause serait instruite,
quels sont les points véritables à débattre et à trancher. En
réalité, ce système est entièrement destiné à obliger les
parties à se limiter à des questions déterminées et par là, à
réduire les dépenses et les retards, surtout en ce qui concerne
la quantité de témoignages requis par chacune des parties à
l'audition.»
Le lord juge Cotton a exposé le but des détails dans Spedding
v. Fitzpatrick (1888) 38 Ch D 410, 58 LJ Ch 139, à la page
413:
«Le but des détails est de permettre à la partie qui les
demande de savoir à quels arguments elle aura à faire face à
l'instruction, d'éviter ainsi des dépenses inutiles et d'empê-
cher que les parties soient prises par surprise.»
Ainsi, les détails ont l'effet d'une plaidoirie dans la mesure où
«lis enlèvent toute liberté d'action à la partie qui, sans autorisa-
tion, ne peut examiner les questions qui n'en font pas partie»
(Annual Practice, 1960, p. 460), et ils ne peuvent être modifiés
qu'avec l'autorisation du tribunal (Annual Practice, 1960, p.
461).
Lorsque les plaidoiries écrites sont rédigées de façon telle-
ment vague que la partie adverse ne peut dire quels sont les
faits en litige ou, selon les termes du lord juge Cotton dans
Spedding v. Fitzpatrick, précité, «à quels arguments elle aura à
faire face,» les détails servent à délimiter le litige de manière à
ce que la partie adverse puisse savoir quels sont les faits en
litige. Dans de tels cas, la partie qui exige des détails demande
en réalité quels sont les points en litige que le rédacteur avait
l'intention de soulever, et il est tout à fait évident qu'un
interrogatoire préalable ne peut permettre d'atteindre un tel
résultat puisqu'il requiert que les points en litige aient d'abord
été définis de manière appropriée.
Cet arrêt a été cité et approuvé dans une décision
ultérieure de la Cour d'appel de la Colombie-Bri-
tannique, Cansulex Limited v. Perry et al. 2 Dans
cet arrêt, le juge d'appel Lambert a mentionné la
décision Anglo-Canadian Timber comme étant
l'une de ces décisions qui [TRADUCTION] «... tra-
cent la différence entre ce qui devrait faire l'objet
d'une demande de détails et ce qui devrait plutôt
faire l'objet d'une demande de communication de
documents qui devraient être obtenus au cours
2 Jugement en date du 18 mars 1982, Cour d'appel de la
Colombie-Britannique, dossier C785837, non publié.
d'un interrogatoire préalable». (Voir page 8 des
motifs du juge d'appel Lambert.) Le juge Lambert
a ajouté:
[TRADUCTION] Au centre même de cette distinction réside la
question de savoir si les documents exigés sont destinés à
déterminer, et déterminent, les points en litige entre les parties,
ou si la partie demande des documents relatifs à la manière
dont les points en litige seront prouvés.
Il a ensuite énuméré et approuvé, aux pages 10 et
11 de ses motifs, les fonctions des détails telles
qu'elles sont présentées dans le Livre blanc traitant
des Règles de pratique anglaises. The Supreme
Court Practice, 1982, vol. 1, page 318, énumère
ces fonctions:
[TRADUCTION] (1) informer l'autre partie de la nature
des arguments auxquels elle devra faire face, à distin-
guer de la manière dont ces arguments seront prouvés
(2) empêcher que l'autre partie ne soit prise par surprise à
l'instruction ...
(3) permettre à l'autre partie de savoir quelle preuve devrait
être prévue et de se préparer pour l'instruction ....
(4) limiter la généralité des plaidoiries ....
(5) déterminer les points à instruire et ceux pour lesquels un
interrogatoire est requis ....
(6) enlever toute liberté d'action à la partie de manière à ce
qu'elle ne puisse, sans autorisation, examiner les ques
tions qui ne font pas partie des plaidoiries ...
Étant donné que la Règle 408(1) [Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], qui exige «.. .
un exposé précis des faits essentiels sur lesquels se
fonde la partie qui plaide» et que la Règle 415, qui
permet la présentation de demandes de détails plus
amples et plus précis sur les allégations contenues
dans une plaidoirie, sont pour l'essentiel sembla-
bles aux articles correspondants des règles anglai-
ses, j'estime que les six fonctions énumérées plus
haut s'appliquent également à une demande
comme celle présentée en l'espèce en vertu des
Règles de la Cour.
Selon l'affidavit de Forbes (précité), l'interroga-
toire préalable du président de la société défende-
resse comportait, avant l'ajournement, quelque
653 questions et 81 pages. Plusieurs des questions
et des documents dont on a demandé la production
ne semblent pas vraiment pertinents pour les
points en litige soulevés dans l'action. Ces ques
tions et documents pourraient être admissibles en
raison de la portée générale du paragraphe 8 de la
déclaration, mais ils démontrent bien qu'il est sou-
haitable d'ordonner à une partie de fournir des
détails qui permettent de définir de façon précise
les points à trancher.
Compte tenu de cette situation de fait et à la
lumière des critères adoptés par les tribunaux
anglais et par d'autres tribunaux canadiens, je ne
peux conclure que le juge des requêtes a agi en se
fondant sur un principe erroné ou une mauvaise
interprétation des faits, ou que l'ordonnance qu'il a
rendue n'est ni juste ni raisonnable. Dans de telles
circonstances, un tribunal d'appel n'interviendra
pas dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du
juge de première instance pour une question inter-
locutoire de ce genre 3 .
Par ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU (dissident): Appel est inter-
jeté d'une ordonnance du juge des requêtes enjoi-
gnant à la demanderesse, appelante aux présentes,
de fournir dans un délai de quinze jours des détails
plus amples et plus précis sur certaines allégations
contenues dans sa déclaration. Les faits sont les
suivants.
L'appelante a intenté une action contre la
société intimée et son remorqueur par le dépôt le 5
mai 1982 d'une déclaration dans laquelle elle allè-
gue essentiellement qu'elle était l'affréteur coque
nue du chaland Empire 45 lorsqu'elle a amené la
société intimée, propriétaire du remorqueur défen-
deur aux présentes, à accepter de transporter le
chaland du port de Vancouver à celui de Victoria;
que pendant que la société intimée avait la garde
et la responsabilité du chaland, celui-ci s'est
échoué sur la rive nord du Second Goulet dans le
port de Vancouver et sa coque a été gravement
endommagée; que l'accident est le résultat de la
négligence de l'intimée et de la violation de son
contrat. Le paragraphe 8 de la déclaration portait
plus particulièrement sur la négligence. En voici le
texte:
Comparer avec International Business Machines Corpora
tion c. Xerox of Canada Limited et autre (1977), 16 N.R. 355
(C.F. Appel).
[TRADUCTION] 8. De plus, l'exploitant et ses préposés ont été
négligents et ont violé leur obligation envers Gulf. Gulf peut
donner, avant l'interrogatoire préalable, les détails suivants
quant à leur négligence:
a) omission d'armer, d'équiper et (ou) d'entretenir le
remorqueur défendeur de la manière appropriée pour
effectuer le remorquage en question;
b) omission de manoeuvrer et (ou) de diriger adéquatement
le remorqueur défendeur pendant le remorquage en
question.
La société intimée a contesté l'action et a
déposé, le 28 juin 1982, une déclaration dans
laquelle elle nie la négligence alléguée et fait valoir
que le chaland s'est échoué sans qu'aucun des
membres de l'équipage à bord du remorqueur n'ait
commis de faute.
Le 31 mai 1983, le président de la société inti-
mée a été produit comme témoin pour être inter-
rogé au préalable. L'interrogatoire n'a pu se termi-
ner dans le temps indiqué; il a donc été ajourné
pour permettre au président de l'intimée de se
procurer des renseignements sur les questions aux-
quelles il avait été incapable de répondre. Quel-
ques jours plus tard, l'avocat des intimés à écrit à
l'appelante pour lui demander de fournir, avant la
reprise de l'interrogatoire, des détails plus amples
sur les allégations de négligence contenues dans la
déclaration. L'appelante lui a répondu qu'il lui
était actuellement impossible de satisfaire à sa
demande et qu'elle ne pourrait le faire qu'après la
fin de l'interrogatoire. Le 22 novembre 1983, les
intimés ont saisi la Cour d'une demande en bonne
et due forme fondée sur les Règles 408(1) et
415(3) et exigeant que l'appelante dépose et signi-
fie des détails plus amples sur la question de la
négligence. Dans l'affidavit déposé avec la requête,
un des procureurs des intimés a expliqué que la
demande était faite pour mettre fin aux [TRADUC-
TION] «... difficultés qui ont; résulté',(pendant' i la
première partie de l'interrogatoire) de l'insistance
de l'avocat de la demanderesse à poser des ques
tions et à exiger la production de documents rela-
tifs à l'équipage et à l'équipement du remorqueur
n'ayant aucun lien connu ni allégué avec l'acci-
dent»; il a ajouté à la fin de sa déclaration que la
demande était faite également [TRADUCTION] «. . .
en vue de clarifier les points en litige aux fins de
l'instruction et de la préparation de celle-ci».
Le juge des requêtes a accueilli la demande sans
donner de motifs. Il a rendu l'ordonnance suivante:
[TRADUCTION] A. La demanderesse doit, dans les quinze jours
de la date de la présente ordonnance, déposer et signifier:
1. des détails plus amples et plus précis sur le paragraphe 8a)
de la déclaration, indiquant de quelle manière particulière les
défendeurs et leurs préposés ont omis
(i) d'armer le remorqueur défendeur de la manière
appropriée;
(ii) d'équiper le remorqueur défendeur de la manière
appropriée;
(iii) d'entretenir le remorqueur défendeur de la manière
appropriée.
2. des détails plus amples et plus précis sur le paragraphe 8b)
de la déclaration, indiquant de quelle manière particulière les
défendeurs et leurs préposés ont omis
(i) de manoeuvrer adéquatement le remorqueur défendeur;
(ii) de diriger adéquatement le remorqueur défendeur.
B. La demanderesse est tenue de payer aux défendeurs les
dépens taxés de la présente requête, quelle que soit l'issue de la
cause.
L'appelante a immédiatement interjeté appel.
À mon avis, l'ordonnance du juge de première
instance ne devrait pas être confirmée. Il est bien
entendu, comme l'avocat de l'intimée l'a immédia-
tement rappelé, qu'une décision de ce genre com-
porte un large élément de discrétion, et il va sans
dire qu'un tribunal d'appel ne doit pas intervenir
pour simplement substituer sa propre décision à
celle d'un juge de première instance. J'estime tou-
tefois qu'en l'espèce, il y a plus qu'une simple
question de discrétion. En obligeant l'appelante à
donner, à ce stade des procédures et avant la fin de
l'interrogatoire, des précisions sur les allégations
de négligence contenues dans la déclaration, le
juge des requêtes, à mon avis, a agi en se fondant
sur un principe erroné ou du moins, n'a pas
accordé l'importance voulue à toutes les considéra-
tions pertinentes découlant des circonstances parti-
culières de l'espèce.
On sait qu'une demande de détails peut avoir un
des deux buts suivants: le premier est de rendre
une plaidoirie assez claire pour permettre la prépa-
ration d'une réponse adéquate; le second est de
mieux expliquer les faits invoqués par une partie
afin d'assurer plus de clarté, d'éviter des surprises
à l'instruction et de faciliter le déroulement de
l'audition. Comme l'explique l'affidavit déposé
avec la demande, l'unique but de la présentation
en l'espèce d'une demande d'ordonnance exécu-
toire immédiatement, était de restreindre la portée
de l'interrogatoire en cours. Selon moi, un tel
but—derrière lequel se cache sans aucun doute le
désir de gêner la preuve de l'autre partie plutôt que
de faire progresser la preuve de la requérante—
n'est pas valable. Les intimés n'avaient pas besoin
de ces détails pour préparer leur défense et ils
n'ont pas cru nécessaire de les demander avant de
se présenter à l'interrogatoire. Je ne crois pas qu'ils
puissent maintenant soulever d'objection, avant
que l'affaire soit prête pour l'instruction et que le
moment de préparer l'audition soit arrivé. Si l'ap-
pelante ne donne pas de précisions sur ses alléga-
tions de négligence soit en produisant d'autres
conclusions, soit en y apportant des modifications,
et s'il est jugé qu'elle n'a pas droit d'invoquer la
doctrine res ipsa loquitur sans présenter d'alléga-
tions précises de faute, alors, la présentation d'une
nouvelle demande empêchera, en toute vraisem-
blance, que l'action fondée sur la négligence soit
présentée à l'instruction dans sa forme actuelle.
Cependant, il est prématuré à ce stade des procé-
dures de présenter une demande visant un tel
résultat. (Voir Williston and Rolls, The Law of
Civil Procedure, vol. 2 (1970) pages 735 et s. et
pages 744 et s.; voir la liste des arrêts cités dans
The Canadian Abridgment (2° éd.) PRACTICE, à
la page 213, n° 1273.)
Même si on laisse de côté la question de la
validité du but allégué de la demande de détails à
ce stade, certaines considérations découlant des
circonstances de l'espèce militaient manifestement,
à mon avis, contre l'octroi de la demande. Il
ressort des plaidoiries déjà versées au dossier et des
faits qui y sont exposés que le chaland de l'appe-
lante a été endommagé alors que les intimés en
avaient la garde et la responsabilité. La déclara-
tion contient des affirmations claires à cet effet et
la défense ne contient pas d'affirmations contrai-
res. Il est vrai que les défendeurs ont formulé dans
leur défense une dénégation générale des alléga-
tions de fait contenues dans la déclaration (para-
graphe 3), mais cette dénégation y est faite avec
une importante réserve, introduite par l'expression
[TRADUCTION] «sauf ce qui est admis expressé-
ment aux présentes», et leur version de l'accident
exposée dans les paragraphes qui suivent confirme
simplement qu'ils avaient la garde et la responsabi-
lité du chaland (voir en particulier le paragraphe
5). L'appelante n'a pu avoir directement connais-
sance des faits qui ont entraîné l'échouement de
son chaland étant donné qu'aucune des personnes
dont elle a le contrôle n'était présente sur les lieux
de l'accident lorsqu'il s'est produit; la seule con-
naissance qu'elle pourrait en avoir serait indirecte
et partiale, résultat de quelques recherches person-
nelles, et, évidemment, plus ou moins fiable. Cela
ressort clairement du dossier: il n'est pas néces-
saire de soumettre des preuves ou des documents
particuliers à cette fin. Dans de telles circons-
tances, l'ordonnance de fournir des détails laisse-
rait à l'appelante un choix entre deux solutions:
renoncer à son recours fondé sur la négligence, ou
tenter d'exposer, sous le couvert de détails, un flot
de suppositions et de conclusions possibles. Dans le
premier cas, une injustice serait commise, et dans
le second, les plaidoiries seraient faussées et
détournées de leur fonction. Il est évident que le
juge des requêtes n'était pas suffisamment au cou-
rant de la situation et qu'il ne s'est pas réellement
rendu compte des conséquences pratiques de son
ordonnance. (Comparer avec Cominco Ltd. v.
Westinghouse Can. Ltd. et al. (1978), 6 B.C.L.R.
25 (C.S.); Brown v. Batco Development Co. Ltd.
(1946), [62] B.C.R. 371 (C.S.); Dillingham Cor
poration Ltd. v. Finning Tractor & Equipment et
al. (jugement en date du 14 juillet 1983, Cour
suprême de la Colombie-Britannique, juge Toy,
greffe de Vancouver n° C810891, encore inédit);
Somers v. Kingsbury (1923), 54 O.L.R. 166
(C.A.), à la p. 169; Dixon v. Trusts & Guarantee
Co. (1914), 5 O.W.N. 645 (H.C.).)
J'accueillerais l'appel, j'annulerais l'ordonnance
du juge des requêtes et je rejetterais la demande de
détails des intimés, sans préjudice toutefois de la
possibilité pour ceux-ci de renouveler cette
demande après la clôture des plaidoiries. L'appe-
lante a droit aux dépens en l'espèce et en Division
de première instance.
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