A-389-84
Banque nationale du Canada (appelante)
c.
Rodney Grandit (intimé)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Huges-
sen—Montréal, 22 mars 1984.
Compétence — Appel de la décision par laquelle le premier
juge a rejeté la requête en annulation d'une saisie pour défaut
de compétence — Des fonds ont été saisis en exécution d'une
sentence arbitrale accordant une compensation non liquidée et
déposée en vertu de l'art. 61.5(12) du Code — Appel accueilli
— Le premier juge a la compétence de contrôler la régularité
des procédures prises en exécution de décisions arbitrales
déposées en vertu de l'art. 61.5(12) — La sentence arbitrale
n'était pas susceptible d'exécution forcée puisqu'elle ne fixait
pas le montant de la compensation — Code canadien du
travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 61.5 (mod. par S.C.
1977-78, chap. 27, art. 21).
Relations du travail — L'arbitre a rendu une sentence
portant réintégration et dédommagement — Décision déposée
à la Cour fédérale en vertu de l'art. 61.5(12) du Code —
Obtention d'un bref de fieri facias — Un huissier a procédé à
la saisie d'une somme — La Division de première instance de
la Cour fédérale a rejeté la requête en annulation de la saisie
pour défaut de compétence — La Cour d'appel a jugé que la
Division de première instance a compétence pour contrôler la
régularité des procédures prises en exécution de décisions
arbitrales déposées à la Cour — La partie de la sentence
arbitrale relative au paiement d'une compensation n'était pas
susceptible d'exécution forcée parce qu'elle ne fixait pas le
montant de cette compensation — La saisie pratiquée en vertu
d'un bref de fieri facias irrégulier est nulle — Code canadien
du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 61.5 (mod. par S.C.
1977-78, chap. 27, art. 21).
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Nauss et autre c. La Section 269 de l'Association inter-
nationale des débardeurs, [1982] 1 C.F. 114 (C.A.);
Union des employés de commerce, local 503 et autre c.
Purolator Courrier Liée, [1983] 2 C.F. 344 (C.A.).
AVOCATS:
John Coleman et Jacques Nadeau pour
l'appelante.
Guy Monette pour l'intimé.
PROCUREURS:
Ogilvy, Renault, Montréal, pour l'appelante.
Monette, Clerk, Barakett, Lévesque, Bourque
& Pedneault, Montréal, pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement de la Cour pro-
noncés à l'audience par
LE JUGE PRATTE: Cet appel est dirigé contre un
jugement de la Division de première instance
[jugement en date du 5 mars 1984, T-2921-83] qui
a rejeté une requête présentée par l'appelante pour
faire annuler une saisie pratiquée en exécution
d'une sentence arbitrale qui avait été déposée à la
Cour suivant le paragraphe 61.5(12) du Code
canadien du travail [S.R.C. 1970, chap. L-1, mod.
par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 21].
La sentence arbitrale dont il s'agit a été pronon-
cée après que l'intimé se fut plaint d'avoir été
injustement congédié par l'appelante. L'arbitre y a
ordonné à l'appelante de réintégrer l'intimé dans
un poste similaire à celui qu'il occupait au moment
de son congédiement; de plus, l'arbitre y a affirmé
que l'appelante devait dédommager l'intimé pour
la période «allant de la date du congédiement au 9
août 1982». Quant au montant de ce dédommage-
ment, l'arbitre ne l'a pas liquidé dans la sentence;
il s'est contenté de dire que, suivant ce qui avait
été convenu à l'enquête, il conservait «sa juridic-
tion pour décider toute mésentente relative à l'éta-
blissement de cette compensation».
L'intimé a déposé cette sentence au greffe de la
Cour suivant le paragraphe 61.5(12) du Code.
Subséquemment, il a obtenu l'émission d'un bref
de fieri facias aùtorisant tout huissier à prélever la
somme de 28 650 $ sur les biens de l'appelante en
exécution de cette sentence. Quelques jours plus
tard, l'huissier se présentait chez l'appelante et
obtenait qu'on lui remette la somme de 28 650 $.
L'appelante a alors présenté à la Division de
première instance une requête demandant l'annu-
lation de cette saisie. Le premier juge a rejeté cette
requête au seul motif qu'il n'avait pas la compé-
tence de l'accorder.
Ce jugement nous paraît mal fondé. Nous
sommes d'opinion que la Division de première
instance a la compétence de contrôler la régularité
des procédures prises en exécution de décisions
arbitrales déposées suivant le paragraphe 61.5(12)
du Code de la même façon qu'elle peut contrôler la
régularité de l'exécution forcée de ses propres déci-
sions. Il n'y a pas lieu d'appliquer ici les décisions
rendues par cette Cour dans les affaires Nauss et
autre c. La Section 269 de l'Association interna-
tionale des débardeurs, [1982] 1 C.F. 114 (C.A.)
et Union des employés de commerce, local 503 et
autre c. Purolator Courrier Ltée, [1983] 2 C.F.
344 (C.A.); ces décisions concernent le pouvoir de
surseoir à l'exécution de décisions prononcées en
vertu du Code canadien du travail alors qu'il s'agit
ici du pouvoir de contrôler la régularité des procé-
dures d'exécution émanant de la Cour elle-même.
La Division de première instance avait donc le
pouvoir d'accorder la requête de l'appelante. Bien
plus, elle aurait dû l'accorder. Il est indiscutable,
en effet, que la partie de la sentence arbitrale
relative au paiement d'une compensation moné-
taire à l'intimé n'était pas susceptible d'exécution
forcée puisqu'elle ne fixait pas le montant de cette
compensation. En conséquence, le bref de fieri
facias qui a été exécuté en l'espèce n'aurait pas dû
être émis et la saisie n'aurait pas dû être pratiquée.
Pour ces motifs, l'appel sera accueilli, la décision
attaquée sera cassée et il sera déclaré que le bref
de fieri facias émis en l'espèce était irrégulier et
que la saisie pratiquée en vertu de ce bref était
nulle. L'appelante aura droit à ses frais tant en
première instance qu'en appel.
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