T-1362-83
Bailey Bedard (requérant)
c.
Service correctionnel du Canada et directeur de
l'établissement Leclerc (intimés)
Division de première instance, juge Muldoon—
Ottawa, 23 et 30 septembre 1983.
Pénitenciers — Détenu purgeant une sentence dans un péni-
tencier fédéral pour une infraction à la Loi sur les stupéfiants
— Plusieurs mandats ont été émis pour le non-paiement
d'amendes relatives à des infractions aux règlements de sta-
tionnement et aux règlements de la circulation routière — Le
détenu sollicite un mandamus enjoignant au Service correc-
tionnel et au directeur de l'établissement de recevoir et d'exé-
cuter les mandats pendants — Aucune loi n'impose aux inti-
més l'obligation d'exécuter les mandats d'incarcération
municipaux et provinciaux — Il n'existe aucune entente fédé-
rale-provinciale par laquelle le gouvernement du Québec con-
vient que de tels mandats doivent être exécutés par les fonc-
tionnaires des pénitenciers fédéraux — Explication de l'arrêt
Durand v. Forget et al. (1980), 24 C.R. (3d) 119 (C.S.Qc.) —
Demande rejetée — Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970,
chap. P-6, art. 15 (abrogé et remplacé par S.C. 1976-77, chap.
53, art. 39) — Règlement sur le service des pénitenciers,
C.R.C., chap. 1251 — Loi sur les prisons et les maisons de
correction, S.R.C. 1970, chap. P-21 — Loi sur la libération
conditionnelle des détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Y a-t-il viola
tion des droits à la liberté, à la protection contre la détention
ou l'emprisonnement arbitraires, aux droits d'être jugé dans
un délai raisonnable et de bénéficier de la peine la moins
sévère, garantis par la Charte, lorsqu'un détenu dans un
pénitencier fédéral se voit refuser la possibilité de purger en
même temps la sentence imposée pour un acte criminel prévu à
la Loi sur les stupéfiants et les sentences imposées en vertu de
lois provinciales pour le non-paiement d'amendes pour des
infractions aux règlements de stationnement ou aux règle-
ments de la circulation? — La Cour fédérale n'est pas un
«tribunal compétent. aux fins de l'art. 24 de la Charte en ce
qui concerne l'application de lois provinciales — Mandamus
refusé — Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, art.
4— Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 2, 659(1),(2)
(abrogé et remplacé par S.C. 1974-75-76, chap. 93, art. 79),
(3),(4) — Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6,
art. 15 (abrogé et remplacé par S.C. 1976-77, chap. 53, art.
39) — Loi sur les poursuites sommaires, L.R.Q. 1977, chap.
P-15, art. 1(4), 63.14, 72 (mod. par L.Q. 1982, chap. 32, art. 9)
— Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 9, 11b),i),
24 — Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 52(1).
Compétence — Division de première instance de la Cour
fédérale — La Cour n'est pas compétente, aux fins de l'art. 24
de la Charte, en ce qui concerne l'application de lois provincia-
les quant à l'imputation sur les sentences que le requérant doit
purger pour les infractions provinciales du temps qu'il a passé
dans un pénitencier fédéral, ou quant à la détention ou à
l'emprisonnement arbitraires — Mandamus refusé — Loi sur
les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, art. 4 — Code crimi-
nel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 2, 659(1),(2) (abrogé et
remplacé par S.C. 1974-75-76, chap. 93, art. 79), (3),(4) —
Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 15
(abrogé et remplacé par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 39) — Loi
sur les poursuites sommaires, L.R.Q. 1977, chap. P-15, art.
1(4), 63.14, 72 (mod. par L.Q. 1982, chap. 32, art. 9) — Charte
canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 9, 11b),i), 24 — Loi
constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 52(1).
Le requérant, qui purge une sentence de cinq ans pour trafic
de stupéfiants dans un pénitencier fédéral situé au Québec,
sollicite un mandamus enjoignant aux intimés de recevoir et
d'exécuter tous les mandats d'incarcération pour le non-paie-
ment d'amendes pour des infractions aux règlements de station-
nement ou aux règlements de la circulation prévus dans des lois
du Québec. Invoquant le paragraphe 659(2) du Code, le requé-
rant cherche à obtenir l'autorisation de purger ses sentences en
même temps. Il s'agit de déterminer si ce paragraphe s'applique
non seulement aux sentences imposées en vertu de lois fédéra-
les, mais aussi à celles imposées en vertu de lois provinciales et
de règlements municipaux. Le requérant s'appuie également
sur les dispositions d'une loi du Québec de 1983 concernant les
mandats d'emprisonnement, les amendes et les peines pécuniai-
res. Il invoque finalement les articles 7, 9, 11 b) et i) de la
Charte pour étayer son argument selon lequel le paragraphe
659(2) crée une inégalité préjudiciable compte tenu du para-
graphe 659(4).
Jugement: la demande de mandamus devrait être rejetée. Il
n'y a pas lieu à un mandamus pour obliger une autorité
publique à faire quelque chose que la loi ne l'oblige pas à faire,
en particulier lorsque aucun fonctionnaire fédéral n'a le pouvoir
d'annuler ou de modifier les mandats lancés par les officiers
judiciaires provinciaux et qu'il n'existe pas d'entente fédérale-
provinciale à ce sujet. L'arrêt Durand ne constitue pas un
précédent démontrant le contraire.
L'article 7 de la Charte n'est d'aucune utilité pour le requé-
rant étant donné que son droit à la liberté n'est pas violé. En
outre, la Cour fédérale n'est pas «un tribunal compétent», au
sens de l'article 24 de la Charte, pour forcer les autorités
québécoises à imputer sur les sentences que le requérant doit
purger pour les infractions provinciales le temps qu'il a passé au
pénitencier. Elle n'est pas non plus compétente en ce qui a trait
à l'application des lois du Québec, ce qui l'empêcherait d'inter-
venir même si les allégations de détention ou d'emprisonnement
arbitraires avaient été fondées. Pour ce qui est du droit d'être
jugé dans un délai raisonnable, garanti par l'alinéa 11 b) de la
Charte, on ne peut conclure qu'il équivaut à un droit de purger
une peine d'emprisonnement dans un délai raisonnable. L'ali-
néa 110 de la Charte, garantissant le droit de bénéficier de la
peine la moins sévère lorsque la peine est modifiée entre le
moment de la perpétration de l'infraction et celui de la sen
tence, ne s'applique pas dans les circonstances de l'espèce.
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXAMINÉE:
Durand v. Forget et al. (1980), 24 C.R. (3d) 119 (C.S.
Qc).
DÉCISIONS CITÉES:
St-Germain c. La Reine, jugement en date du 10 février
1976, Cour d'appel du Québec, 10-000108-744, non
publié; Olson c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 808; Re
Dinardo and the Queen (1982), 67 C.C.C. (2d) 505
(C.A. Ont.); Re Federal Republic of Germany and
Rauca (1982), 70 C.C.C. (2d) 416 (H.C. Ont.); Quebec
Association of Protestant School Boards et al. v. Attor-
ney -General of Quebec et al. (1982), 140 D.L.R. (3d) 33
(C.S. Qc).
AVOCATS:
Céline Pelletier pour le requérant.
Stephen Barry pour les intimés.
PROCUREURS:
Sirois, Rumanek, Denault, Corte, Spagnoli &
Carette, Montréal, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MULDOON: Le requérant purge actuel-
lement une période d'emprisonnement de cinq ans
à laquelle il a été condamné le 19 juillet 1977,
après avoir été reconnu coupable d'un acte crimi-
nel en vertu de l'article 4 de la Loi sur les stupé-
fiants [S.R.C. 1970, chap. N-1]. Il est incarcéré à
l'établissement Leclerc, pénitencier fédéral situé
dans ville de Laval, dans le district de Montréal,
province de Québec.
Dans son affidavit, le requérant allègue qu'il
existe 37 mandats d'incarcération émis contre lui
pour le non-paiement d'amendes s'élevant à envi-
ron 860 $, frais non compris, adressés aux agents
de la paix et leur enjoignant de l'arrêter et de le
livrer au directeur de la prison commune auquel il
est ordonné de le garder en prison pour un total de
123 jours consécutifs à moins que les amendes et
les frais ne soient payés auparavant. Chaque
amende a été imposée après le prononcé d'une
condamnation soit en vertu des règlements de sta-
tionnement de la ville de Montréal soit en vertu
des dispositions du Code de la route [L.R.Q. 1977,
chap. C-24] de la province de' Québec. Le premier
mandat a été lancé le 30 avril 1979 et le dernier, le
22 septembre 1980.
Le requérant sollicite un bref de mandamus, ou
une ordonnance de la nature d'un tel bref, enjoi-
gnant aux intimés de recevoir et d'exécuter immé-
diatement tous les mandats d'incarcération exposés
dans son affidavit. Voici les motifs de sa demande
de mandamus:
1. Le refus des intimés de recevoir et d'exécuter les
mandats d'incarcération allégués plus haut contre-
vient au paragraphe 659(2) du Code criminel
[S.R.C. 1970, chap. C-34 (abrogé et remplacé par
S.C. 1974-75-76, chap. 93, art. 79)].
2. Le refus des intimés d'exécuter les mandats
d'incarcération avant l'expiration de la sentence
que le requérant purge actuellement lui sera
préjudiciable.
Voici, dans son contexte, la disposition du Code
criminel mentionnée:
659. (1) Sauf lorsqu'il y est autrement pourvu, une personne
qui est condamnée à l'emprisonnement
a) à perpétuité,
b) pour une durée de deux ans ou plus, ou
c) pour deux périodes ou plus de moins de deux ans chacune,
à purger l'une après l'autre et dont la durée totale est de deux
ans ou plus,
doit être condamnée à l'emprisonnement dans un pénitencier.
(2) Lorsqu'une personne condamnée à l'emprisonnement
dans un pénitencier est, avant l'expiration de cette sentence,
condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans, elle
doit être condamnée et purger cette dernière sentence dans un
pénitencier, mais si la sentence antérieure d'emprisonnement
dans un pénitencier est annulée elle doit purger l'autre confor-
mément au paragraphe (3).
(3) Lorsqu'une personne est condamnée à l'emprisonnement
et qu'il n'est pas requis de la condamner comme le prévoit le
paragraphe (1) ou (2), elle doit, à moins que la loi ne prescrive
une prison spéciale, être condamnée à l'emprisonnement dans
une prison ou autre lieu de détention de la province où elle est
déclarée coupable, autre qu'un pénitencier, où la sentence
d'emprisonnement peut être légalement exécutée.
(4) Lorsqu'une personne est condamnée à l'emprisonnement
dans un pénitencier pendant qu'elle est légalement emprisonnée
dans un autre endroit qu'un pénitencier, elle doit, sauf lorsqu'il
y est autrement pourvu, être envoyée immédiatement au péni-
tencier et y purger la partie inexpirée de la période d'emprison-
nement qu'elle purgeait lorsqu'elle a été condamnée au péniten-
cier, ainsi que la période d'emprisonnement pour laquelle elle a
été condamnée au pénitencier.
Ni le requérant lui-même ni les intimés ne con-
testent que le requérant est «une personne condam-
née à l'emprisonnement dans un pénitencier» et
que sa demande est présentée «avant l'expiration
de cette sentence». Il est également incontestable
que le requérant a été «condamné[...] à un empri-
sonnement de moins de deux ans», soit une peine
totale de 123 jours consécutifs imposée sous condi
tion, à défaut du paiement des amendes et de leurs
frais, pour des infractions aux règlements de sta-
tionnement municipaux et au Code de la route du
Québec.
Le requérant fait valoir par sa demande de
mandamus que les intimés sont légalement obligés
de recevoir les 37 mandats et de les exécuter de
façon à ce qu'il puisse purger ces 123 jours d'em-
prisonnement consécutifs en même temps qu'il
purge le reste de la sentence qui lui a été imposée
le 19 juillet 1977 en vertu de la Loi sur les
stupéfiants. En fait, il s'agit de déterminer si le
paragraphe 659(2) vise non seulement les senten
ces imposées en vertu du Code criminel et d'autres
lois du Canada mais aussi celles imposées en vertu
des lois d'une province et de l'une de ses
municipalités.
L'avocate du requérant fait d'abord remarquer
les dispositions de l'article 2 du Code criminel qui
porte qu'aux fins dudit Code, le terme «loi» ou
«Act» comprend
2....
a) une loi du Parlement du Canada,
b) une loi de la législature de l'ancienne province du Canada,
c) une loi de la législature d'une province ...
Elle produit en second lieu les dispositions suivan-
tes de la Loi sur les poursuites sommaires de la
province de Québec, L.R.Q. 1977, chap. P-15, qui
allègue-t-elle, sont pertinentes en l'espèce. Ces dis
positions ont été modifiées en vertu des L.Q. 1982,
chap. 32 [art. 9]:
63.14 Un mandat d'emprisonnement délivré alors qu'un
défendeur est déjà incarcéré dans un établissement de détention
ou dans un pénitencier doit être remis sans délai au directeur de
l'établissement où le défendeur est détenu.
Le juge de paix qui délivre le mandat peut ordonner que
l'emprisonnement pour la nouvelle condamnation soit purgé de
façon consécutive à toute autre période d'emprisonnement.
Toutefois le juge doit ordonner que l'emprisonnement pour
défaut de paiement de l'amende soit purgé de façon consécutive
s'il lui est démontré que l'emprisonnement actuellement en
cours a lui-même été imposé pour défaut de paiement d'une
amende.
72. (1) Lorsqu'une amende ou une peine pécuniaire peut être
imposée pour une infraction, le chiffre de cette amende ou la
peine pécuniaire est, dans les limites prescrites à cet égard, s'il
en est de prescrit, à la discrétion du tribunal ou de la personne
qui prononce la sentence ou déclare la culpabilité.
(2) La durée de l'emprisonnement en vertu d'une condamna-
tion commence, à moins que la condamnation ne prescrive
autrement, du jour de l'emprisonnement à la suite de la con-
damnation, mais le temps durant lequel le prisonnier est en
liberté sous caution ou à la suite d'une évasion n'est pas compté
comme partie de la durée de l'emprisonnement auquel il a été
condamné.
L'article 63.14 est une nouvelle disposition qui a
été adoptée, en même temps que d'autres disposi
tions portant sur le même sujet, en janvier 1983.
L'avocate du requérant soutient subsidiairement
que la Charte canadienne des droits et libertés
[qui constitue la Partie I de la Loi constitution-
nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], et en particulier
ses articles 7, 9 et 11 b) (et peut-être aussi l'alinéa
11i)) lorsqu'ils sont considérés en corrélation avec
le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de
1982, a pour effet de rendre le paragraphe 659(2)
du Code criminel nul et non avenu parce que ce
paragraphe, allègue-t-elle, crée une inégalité de
traitement préjudiciable compte tenu du paragra-
phe 659(4).
L'avocate du requérant cite à l'appui de sa
demande la jurisprudence suivante: St-Germain c.
La Reine, décision unanime de la Cour d'appel du
Québec rendue à Montréal le 10 février 1976 sous
le n° du greffe 10-000108-744 [non publiée]; Olson
c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 808, jugement rendu
unanimement «par la Cour»; Durand v. Forget et
al. (1980), 24 C.R. (3d) 119, décision du juge
Boilard de la Cour supérieure du Québec; Re
Dinardo and the Queen (1982), 67 C.C.C. (2d)
505, décision unanime de la Cour d'appel de l'On-
tario; Re Federal Republic of Germany and
Rauca (1982), 70 C.C.C. (2d) 416, décision du
juge en chef Evans de la Haute Cour de l'Ontario
et finalement, Quebec Association of Protestant
School Boards et al. v. Attorney -General of
Quebec et al. (1982), 140 D.L.R. (3d) 33, décision
du juge en chef Deschênes de la Cour supérieure
du Québec.
L'avocat des intimés accepte l'opposition du
requérant et demande s'il existe une obligation
générale imposée aux intimés, qui donnerait lieu à
un mandamus. Il fait valoir, et il a parfaitement
raison, qu'il n'y a pas lieu à un mandamus pour
obliger une autorité publique à faire quelque chose
que la loi ne l'oblige pas à faire. Les obligations
des intimés sont définies dans la Loi sur les péni-
tenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, et le Règlement
sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251
et les directives, ordres permanents et ordres de
service courant qui sont adoptés pour son applica
tion. L'avocat fait remarquer qu'il n'existe aucune
disposition dans le Code criminel, la Loi sur les
pénitenciers (précitée), la Loi sur la libération
conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2,
ou la Loi sur les prisons et les maisons de correc
tion, S.R.C. 1970, chap. P-21, qui impose l'obliga-
tion aux intimés d'exécuter les 37 mandats d'in-
carcération municipaux et provinciaux pour
non-paiement d'amendes et de frais. Je partage
cette opinion. Les dispositions de l'article 659 du
Code criminel ne créent certainement pas une telle
obligation. En dehors de la simple mention de
«pénitencier» à l'article 63.14 de la Loi sur les
poursuites sommaires du Québec, mention qui sert
seulement à identifier le défendeur, aucune dispo
sition de cette loi n'autorise les membres du service
fédéral des pénitenciers à intervenir dans son
application. En fait, le paragraphe 1(4) de cette
Loi exclut expressément le pénitencier de la défini-
tion de l'expression «établissement de détention». Il
n'y a pas incorporation par renvoi des dispositions
de la loi du Québec dans le Code criminel et vice
versa. Aucun fonctionnaire fédéral n'a donc le
pouvoir d'annuler ou de modifier les mandats
lancés par les officiers judiciaires provinciaux.
Aucun des avocats n'a été capable de citer des
ententes fédérale-provinciales du genre de celles
prévues à l'article 15 de la Loi sur les pénitenciers,
ou de tout autre genre, par lesquelles le gouverne-
ment du Québec convient que les mandats d'incar-
cération pour le non-paiement d'amendes, lancés
en vertu de lois provinciales ou municipales, doi-
vent être exécutés par les fonctionnaires des péni-
tenciers fédéraux. Même si la Cour décidait d'or-
donner aux intimés de recevoir et d'exécuter les
mandats, il leur serait absurde de se conformer à
cette ordonnance en ce qui concerne le requérant si
les 123 jours consécutifs de prison purgés à l'éta-
blissement Leclerc ne devaient pas lui être crédités
en vertu de la loi du Québec.
L'avocate du requérant fait valoir que l'affaire
Durand (précitée) fait autorité quant aux principes
avancés par son client. Cette cause est résumée
ainsi dans le Martin's Criminal Code, 1982 [à la
page 634]: [TRADUCTION] «Ce paragraphe
[659(2)] s'applique et exige que la période d'em-
prisonnement additionnelle soit purgée au péniten-
cier même si elle est imposée pour des violations de
lois provinciales». Un examen attentif des motifs
de l'ordonnance du juge Boilard ne corrobore pas
ce principe. Selon les notes sténographiques
signées du jugement (district de Montréal, n° du
greffe 05-013346-802), les intimés dans l'affaire
Durand étaient «Maurice Forget, es-qualité de
commandant, section des mandats pour la police
de la Communauté Urbaine de Montréal, et La
Communauté Urbaine de Montréal -et- Le Procu-
reur général de la Province de Québec, et le Procu-
reur général du Canada, mis-en-cause». Ni les
notes sténographiques ni le compte rendu de l'af-
faire publié dans 24 C.R. (3d) n'indiquent que
l'avocat des deux procureurs généraux a fait valoir
des arguments ou que ces derniers ont participé de
quelque manière aux procédures. Le dispositif de
l'ordonnance exécutoire prononcée par le juge Boi-
lard ne visait pas à ordonner aux fonctionnaires du
pénitencier de faire quelque chose. Il s'est exprimé
comme suit aux pages 124 et 125 de 24 C.R. (3d):
Pour toutes ces raisons, la requête pour l'obtention d'un bref
de mandamus est accueillie, j'ordonne que le bref émane immé-
diatement adressé à l'intimé, Maurice Forget, lui enjoignant
d'exécuter sans délai tous les mandats de dépôt dont il est en
possession concernant le requérant, Gilles Durand, relatifs à des
peines qui lui auraient été imposées au sujet des offenses
décrites aux alinéas 3.1 à 3.27 inclusivement de la requête et
qu'il remette ces mandats de dépôts au directeur ou à tout autre
officier que pourrait désigner le directeur du pénitencier fédéral
qui possède juridiction sur la personne de Gilles Durand, qui se
trouve, à l'heure actuelle, en milieu hospitalier à Philipp -Pinel.
J'ordonne également que le jugement que je viens de rendre
soit exécutoire immédiatement nonobstant l'appel.
Je réserve au requérant ses recours contre qui que ce soit. Je
déboute le requérant de son recours à l'égard de la Commu-
nauté Urbaine de Montréal et je déclare que les frais de cette
requête suivront.
Bien que l'on puisse comprendre le désir louable
du juge Boilard de permettre à Durand de purger
les sentences qui lui étaient imposées pour ses
infractions aux lois provinciales en même temps
qu'il purgeait des sentences pour des infractions
criminelles dans un pénitencier fédéral, il est évi-
dent que le juge Boilard n'a fait qu'ordonner à un
fonctionnaire municipal de renvoyer les mandats
au fonctionnaire fédéral responsable du péniten-
cier.
Il serait sans doute raisonnable et souhaitable de
permettre au requérant de purger pendant sa pré-
sente incarcération dans le pénitencier fédéral les
sentences qui lui ont été imposées pour son omis
sion de payer ses amendes provinciales et munici-
pales. Étant donné que ni les lois provinciales ni les
lois fédérales examinées ne permettent d'atteindre
un tel résultat, le requérant demande à la Cour
d'appliquer la Charte canadienne des droits et
libertés afin d'y parvenir.
Vu les faits, l'article 7 de la Charte ne serait
d'aucune utilité pour le requérant. Il est vrai qu'il
a été privé de sa liberté puisqu'il est actuellement
détenu dans un pénitencier fédéral. Toutefois, le
requérant n'allègue pas qu'une telle privation de sa
liberté, à la suite d'une condamnation en vertu de
la Loi sur les stupéfiants, viole les principes de
justice fondamentale. Son droit à la liberté n'a
donc pas été violé ni dénié. Le requérant fait plutôt
valoir que son droit à la liberté sera violé ou qu'il
lui sera impossible de l'exercer si, au lieu de purger
ses sentences pour des infractions provinciales pen
dant qu'il est au pénitencier, il est obligé de les
purger par la suite. Le procureur général du
Québec n'est pas partie à l'action. La Cour fédé-
rale du Canada n'est pas «un tribunal compétent»,
aux fins de l'article 24 de la Charte, pour forcer les
autorités québécoises à imputer sur les sentences
qu'il doit purger pour les infractions provinciales le
temps qu'il a passé au pénitencier.
En ce qui concerne les droits du requérant
prévus à l'article 9 de la Charte, il est évident qu'il
n'est pas détenu ni emprisonné arbitrairement. S'il
a une plainte à formuler contre l'application des
lois du Québec à sa situation actuelle, il est égale-
ment manifeste que la Cour fédérale n'est pas «un
tribunal compétent» pour lui accorder réparation à
cet égard. Ni le droit fédéral ni la Cour fédérale ne
peuvent s'immiscer dans l'application des lois du
Québec.
L'alinéa 11b) prévoit que «Tout inculpé a le
droit ... d'être jugé dans un délai raisonnable».
L'avocate fait valoir qu'on devrait, par analogie,
conclure que cette disposition signifie qu'il devrait
être permis à une personne de purger sa peine
d'emprisonnement dans un délai raisonnable. Une
telle analogie n'est pas applicable. Le délai raison-
nable pour subir un emprisonnement ne peut être
que celui prévu dans une règle de droit qui reste
elle-même opérante par rapport à la Charte. Une
fois encore, dans les circonstances, on ne peut
imputer de violation des droits et libertés aux lois
du Canada.
L'alinéa 110 de la Charte ne s'applique pas en
ce qui regarde les lois du Canada dans les circons-
tances de l'espèce, parce que la peine qui sanc-
tionne l'infraction du requérant n'a pas été modi-
fiée de la manière décrite dans cet alinéa.
Pour tous ces motifs, et non sans quelques
regrets, je conclus que je ne peux accéder à la
demande du requérant. Dans un tel cas, les intimés
ont droit à une ordonnance pour leur dépens s'ils
désirent les obtenir.
ORDONNANCE
1. La demande de mandamus est rejetée avec
dépens si les intimés les demandent.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.