T-638-84
Alistair MacBain (demandeur) (requérant)
c.
Commission canadienne des droits de la personne
et Sidney N. Lederman, Wendy Robson et Peter
Cumming (défendeurs) (intimés)
T-701-84
Alistair MacBain (demandeur) (requérant)
c.
Sidney N. Lederman, Wendy Robson et Peter
Cumming, Commission canadienne des droits de
la personne et Kristina Potapczyk (défendeurs)
(intimés)
Division de première instance, juge Collier—
Toronto, 7, 8 et 9 mai 1984.
Droits de la personne — Discrimination fondée sur le sexe
— La Commission a reçu le rapport de l'enquêteur — Elle a
adopté une résolution portant que la plainte était fondée — A
partir de la liste établie par le gouverneur en conseil, la
Commission nomme les membres du tribunal — Le requérant
cherche à obtenir un bref de prohibition et un jugement
déclaratoire en se fondant sur une crainte raisonnable de
partialité — Il faut déterminer si le tribunal a été influencé
par la conclusion antérieure de la Commission — Signification
de l'expression ois substantiated» («fondée») — Il existe une
crainte raisonnable de partialité mais celle-ci découle de la
procédure autorisée par la Loi — La Déclaration canadienne
des droits est inopérante puisqu'elle n'est qu'un instrument
d'interprétation des lois — L'art. 7 de la Charte garantissant
le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité ne vise pas à
protéger la réputation — La présomption d'innocence prévue à
l'art. 11d) de la Charte s'applique aux infractions criminelles
— La disposition créant des dommages punitifs dans l'art.
41(3) de la Loi ne permet pas de considérer la personne contre
qui une plainte est portée comme une personne accusée d'une
infraction — La demande d'un bref de prohibition et d'un
jugement déclaratoire est rejetée — Loi canadienne sur les
droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 33, 36(2)
(mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 16), (3), 40(2),
41(2) (mod. par idem, art. 20), (3) — Charte canadienne des
droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), art. 7, 11d) — Déclaration canadienne des
droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 2e).
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Prohibition
— Tribunal des droits de la personne — Se fondant sur une
crainte raisonnable de partialité, le requérant cherche à obtenir
un bref de prohibition et un jugement déclaratoire — L'exis-
tence de cette crainte a été établie mais elle découle d'une
procédure autorisée par la Loi — Ni la Charte ni la Déclara-
tion des droits n'offrent de redressement — La demande d'un
bref de prohibition et l'action pour l'obtention d'un jugement
déclaratoire sont rejetées — Loi canadienne sur les droits de la
personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 33, 36(2) (mod. par S.C.
1980-81-82-83, chap. 143, art. 16), (3), 40(2), 41(2) (mod.
par idem, art. 20), (3) — Charte canadienne des droits et
libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), art. 7, 11d) — Déclaration canadienne des droits,
S.R.C. 1970, Appendice III, art. 2e).
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédure
devant un tribunal des droits de la personne — L'art. 7
garantissant le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la
personne ne vise pas à protéger la réputation — La présomp-
tion d'innocence créée par l'art. 11d) s'applique à des infrac
tions de nature criminelle ou quasi criminelle — Quoique
passible de payer des dommages punitifs, la personne compa-
raissant devant le tribunal n'est pas une personne accusée
d'une infraction — Charte canadienne des droits et libertés,
qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 7,11d).
L'adjointe spéciale d'un député fédéral a formulé une plainte
contre son employeur dans laquelle elle alléguait avoir été
victime de discrimination fondée sur le sexe. Suite au rapport
de l'enquêteur, la Commission canadienne des droits de la
personne a adopté une résolution portant que la plainte était
fondée; elle a également résolu de constituer un tribunal chargé
d'examiner la plainte. Le gouverneur en conseil établit une liste
de personnes qui peuvent être membres d'un tribunal. C'est la
Commission qui choisit et qui nomme, à même cette liste, les
membres d'un tribunal. En l'espèce, le président de la Commis
sion a nommé deux avocats en exercice et un professeur de
droit. MacBain, le député fédéral, a intenté une action contre la
Commission pour obtenir un jugement déclaratoire et, par avis
introductif d'instance, il a demandé un bref de prohibition. On
a fait valoir que, dans les circonstances, une personne sensée
pourrait avoir une crainte raisonnable de partialité. Cette
crainte découle du fait que la Commission, qui a conclu au
bien-fondé de la plainte, a choisi le tribunal chargé d'examiner
la plainte et qu'en plus, elle prendra part au débat en tant que
partie opposée à MacBain. L'argument des défendeurs consiste
à dire que, compte tenu de toute la structure procédurale de la
législation sur les droits de la personne, aucune personne raison-
nable ne pourrait avoir une crainte raisonnable de partialité. Ils
ont affirmé que le tribunal ne serait pas influencé par la
décision antérieure de la Commission portant que la plainte
était fondée.
Jugement: la demande d'un bref de prohibition et l'action
pour jugement déclaratoire sont rejetées.
Le critère juridique applicable relatif à la crainte raisonnable
de partialité est celui qu'a énoncé le juge de Grandpré dans
Committee for Justice and Liberty, et autres c. L'Office natio
nal de l'énergie, et autres, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394:
«à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée
qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et
pratique».
La signification des termes ois substantiated» («fondée»)
relatifs à la résolution qu'a adoptée la Commission après avoir
pris connaissance du rapport de l'enquêteur, est la clé de la
position de MacBain. La Cour n'a pu accepter l'interprétation
proposée par l'avocat de la plaignante, à savoir qu'il s'agirait
d'un élément de preuve suffisant pour être soumis au tribunal
plutôt que d'une preuve. Les dictionnaires usuels de langue
définissent le terme «substantiate» (»fonder») comme suit: éta-
blir ou confirmer par une preuve.
Compte tenu des faits de l'espèce, il est permis d'avoir une
crainte raisonnable de partialité de la part du tribunal des
droits de la personne. La réaction d'une personne sensée serait
de dire: il y a quelque chose qui ne va pas ici. L'affaire Regina
v. Valente (No. 2) (1983), 2 C.C.C. (3d) 417 (C.A. Ont.),
invoquée par les défendeurs, est différente de l'espèce. Dans
cette affaire, on n'affirmait pas que le procureur général avait
déjà pris une décision sur la question même que le juge qu'il
avait nommé devait entendre par la suite.
La décision sur la question de la crainte raisonnable de
partialité ne règle cependant pas la question en litige en l'espèce
puisque la Loi canadienne sur les droits de la personne autorise
expressément la procédure qui donne lieu à la crainte de
partialité. L'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits
n'est d'aucune utilité à MacBain. Cette loi, qui est incommode
et inopérante, n'est qu'un instrument d'interprétation des lois.
Elle n'est pas un instrument qui empêche la violation des droits.
La Charte n'aide pas non plus MacBain. Le droit à la vie, à la
liberté et à la sécurité de la personne qu'accorde l'article 7 ne
va pas jusqu'à protéger l'atteinte à la réputation de la personne.
L'avocat a reconnu que la présomption d'innocence de l'alinéa
lld) ne s'applique qu'aux infractions criminelles ou quasi
criminelles. Bien que le paragraphe 41(3) de la Loi canadienne
sur les droits de la personne permette au tribunal d'imposer des
dommages punitifs, on ne peut considérer la personne contre
qui une plainte de discrimination est portée comme une per-
sonne accusée d'une infraction.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Committee for Justice and Liberty, et autres c. L'Office
national de l'énergie, et autres, [ 1978] 1 R.C.S. 369.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Regina v. Valente (No. 2) (1983), 2 C.C.C. (3d) 417
(C.A. Ont.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Board of Regents of State Colleges et al. v. Roth, 408
U.S. Reports 564 (7th Cir. 1972).
AVOCATS:
P. Genest, c.r. et J. Page pour le demandeur
(requérant).
R. Reuter pour les membres du tribunal:
Sidney N. Lederman, Wendy Robson et Peter
Cumming, défendeurs (intimés).
J. J. Carthy, c.r. et R. E. Hawkins pour le
procureur général du Canada.
M. Cornish pour Kristina Potapczyk, défen-
deresse (intimée).
R. Juriansz et S. W. Brett pour la Commis
sion canadienne des droits de la personne,
défenderesse (intimée).
PROCUREURS:
Cassels, Brock, Toronto, pour le demandeur
(requérant).
Stikeman, Elliott, Toronto, pour les membres
du tribunal: Sidney N. Lederman, Wendy
Robson et Peter Cumming, défendeurs
(intimés).
Weir & Foulds, Toronto, pour le procureur
général du Canada.
Cornish & Associates, Toronto, pour Kristina
Potapczyk, défenderesse (intimée).
R. Juriansz, Ottawa, pour la Commission
canadienne des droits de la personne, défende-
resse (intimée).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE COLLIER: Il y a deux instances en
l'espèce.
Dans la première, Alistair MacBain est le
demandeur dans une action intentée contre la
Commission canadienne des droits de la personne
(«la Commission») et les membres du tribunal des
droits de la personne («le tribunal»). Parce qu'on
demande un jugement déclaratoire, le procureur
général du Canada est également défendeur.
Dans la seconde instance, M. MacBain
demande, par avis de requête introductif d'ins-
tance, la délivrance d'un bref de prohibition
adressé au tribunal des droits de la personne pour
l'empêcher de poursuivre une audition. La Com
mission, le procureur général du Canada et Kris-
tina Potapczyk («la plaignante») sont également
parties intimées.
Le jugement déclaratoire demandé dans l'action
s'apparente au bref de prohibition réclamé dans la
requête.
Avec son action, le demandeur a demandé par
requête une injonction interlocutoire pour empê-
cher le tribunal de poursuivre une enquête. Je
reviendrai plus loin sur cette enquête. Toutes les
parties étaient d'accord que cette requête devait
être considérée comme une requête pour jugement
déclaratoire contre les défendeurs autres que les
membres du tribunal.
Un exposé conjoint des faits a été produit. Il est
également convenu qu'en l'espèce, la décision de la
Cour reposera sur ces faits. Les affidavits produits
à l'appui des requêtes pour le bref de prohibition et
l'injonction interlocutoire ne doivent pas faire
partie de cette instance.
La plaignante était à l'emploi de MacBain, un
député fédéral, à titre d'adjointe spéciale. Elle a
porté plainte auprès de la Commission; elle a
allégué que MacBain a commis à son égard des
actes discriminatoires fondés sur le sexe; qu'il l'a
humiliée, insultée et intimidée à plusieurs reprises.
Certains détails ont été exposés. Elle affirme que
MacBain a exigé qu'elle démissionne ou qu'elle
quitte son emploi, ce qu'elle a fait sous la
contrainte.
Après le dépôt de la plainte, la Commission a
nommé un enquêteur. Celui-ci a présenté son rap
port à la Commission. La plaignante et MacBain
ont eu l'occasion d'examiner le rapport de l'enquê-
teur et de faire des représentations à la
Commission.
Par la suite, la Commission a adopté une résolu-
tion portant
[TRADUCTION] ... que la plainte pour un acte discriminatoire
fondé sur le sexe dans le cadre d'un emploi a été établie.
En même temps, la Commission a résolu de
constituer un tribunal chargé d'examiner la
plainte.
La loi [Loi canadienne sur les droits de la
personne, S.C. 1976-77, chap. 33] oblige la Com
mission à informer les parties à la plainte de la
décision qu'elle prend relativement au rapport de
l'enquêteur. Je suppose que c'est ce qu'elle a fait
en l'espèce. En tout état de cause, la Commission a
émis un communiqué de presse indiquant sa déci-
sion dans cette affaire précise.
Même avant ce communiqué de presse, les
média avaient fait état de la plainte. Lorsque la
Commission a conclu que la plainte était fondée, la
nouvelle a fait les manchettes à l'échelle nationale.
Le gouverneur en conseil établit une liste de
personnes qui peuvent être membres d'un tribunal.
Cent personnes environ composent cette liste. En
1982, seulement vingt-six personnes ont été appe-
lées à siéger à des tribunaux. La raison en est
qu'on semble vouloir choisir certaines personnes
qui ont une formation juridique et une expérience
des tribunaux. Des considérations d'ordre géogra-
phique entrent également en ligne de compte.
C'est la Commission qui choisit et qui nomme
les membres d'un tribunal. Un commissaire ou un
employé de la Commission ne peuvent siéger à un
tribunal, pas plus qu'un enquêteur ou un concilia-
teur qui ont agi à l'égard de la plainte soumise à ce
tribunal.
Les trois membres du tribunal en cause ont été
choisis et nommés par le président de la Commis
sion; ils étaient portés sur ce qu'on appelle la
[TRADUCTION] «liste restreinte» des candidats.
Tous trois ont déjà une expérience des tribunaux;
deux sont avocats et l'autre est professeur de droit.
Le tribunal a commencé son enquête relative-
ment à la plainte.
Je cite un extrait de l'exposé conjoint des faits:
[TRADUCTION] La Commission est partie aux procédures
devant le tribunal et fait valoir que le tribunal doit se prononcer
en faveur de (la plaignante); elle prendra part à l'audition
comme partie adverse à MacBain.
Par l'intermédiaire de son avocat, MacBain a
cherché, pour divers motifs, à faire ajourner l'audi-
tion en attendant l'issue des questions soulevées
dans l'action devant cette Cour. MacBain a égale-
ment fait valoir la crainte raisonnable de partialité
de la part du tribunal. La demande de MacBain
pour un ajournement, celle invoquant l'inhabilité
et les autres questions qu'il a soulevées ont été
rejetées. A mon avis, il est inutile d'examiner ces
questions en détail; elles ne se rapportent pas
vraiment aux questions en litige en l'espèce.
Avant d'examiner ces questions, je veux résumer
les procédures que prévoit la Loi canadienne sur
les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33.
Un individu ou un groupe d'individus ayant des
motifs raisonnables de croire qu'une personne a
commis un acte discriminatoire peuvent déposer
une plainte devant la Commission. La Commission
peut prendre l'initiative de la plainte.
La Commission doit statuer sur toute plainte
dont elle est saisie, à moins qu'il lui apparaisse que
la victime présumée n'a pas épuisé les recours
internes ou les procédures d'appel ou de règlement
des griefs qui lui sont ouverts, que la plainte
pourrait être instruite selon des procédures prévues
par une autre loi fédérale, ou qu'elle
... est frivole, vexatoire, sans objet ou entachée de mauvaise foi
Ces procédures, qu'on peut appeler le [TRADUC-
TION] «processus de sélection initiale», sont énon-
cées de façon plus détaillée à l'article 33.
La Commission peut alors désigner un enquê-
teur chargé d'enquêter sur la plainte, mais elle
n'est pas tenue de le faire. Bien que les enquêteurs
aient certains pouvoirs, il ne s'agit pas à ce stade
d'une procédure formaliste à laquelle les personnes
intéressées auraient le droit de participer directe-
ment.
L'enquêteur présente ensuite un rapport à la
Commission.
Au reçu du rapport, la Commission peut, dans
certains cas, renvoyer la plainte à une autorité
fédérale compétente (paragraphe 36(2) [mod. par
S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 16]). Ce para-
graphe ne s'applique pas en l'espèce.
Dans les autres cas, conformément au paragra-
phe 36(3), la Commission peut, si elle est
convaincue
... que la plainte est fondée ... accepter le rapport ...
(j'indique ici que c'est ce que la Commission a fait
en l'espèce) ou, si elle est convaincue
... que la plainte n'est pas fondée ... elle doit rejeter la plainte.
La Commission doit informer les parties à la
plainte de la décision qu'elle a prise.
La Loi prévoit des dispositions en vue de la
conciliation relativement aux plaintes. La concilia
tion peut avoir lieu à plusieurs étapes des procédu-
res. La Commission peut nommer un conciliateur
dès le dépôt d'une plainte. S'il n'y a pas de règle-
ment au cours de la procédure d'enquête, un conci-
liateur peut être nommé. Il peut l'être également si
la plainte n'a pas été rejetée ou renvoyée après la
préparation du rapport. Enfin, un conciliateur peut
être nommé si la plainte n'est pas réglée après
réception par les parties de l'avis de la décision de
la Commission à la suite du rapport (tel qu'indiqué
ci-dessus).
Le conciliateur nommé est chargé d'essayer d'en
arriver à un règlement de la plainte.
Je tiens à souligner ceci. Si un conciliateur est
nommé après que la Commission s'est déclarée
convaincue que la plainte est fondée et que l'avis
de cette décision a été donné aux parties, il
s'exerce, c'est le moins qu'on puisse dire, des pres-
sions sur la personne contre qui la plainte a été
portée pour qu'elle envisage un règlement.
Au cours du débat, Me Genest et moi-même
avons employé pour décrire cette situation l'ex-
pression [TRADUCTION] «un bâton». À mon avis,
c'est l'expression appropriée.
Tout règlement d'une plainte, convenu dans le
cadre de la conciliation ou autrement et avant
l'audition du tribunal, doit être approuvé par la
Commission.
J'aborde maintenant les dispositions relatives au
tribunal.
La Commission peut, à toute étape postérieure
au dépôt de la plainte, constituer un tribunal
«chargé d'examiner la plainte». Ce tribunal doit,
après avis conforme, y compris l'avis à la Commis
sion, examiner l'objet de la plainte. On envisage ici
une audition complète, où chaque partie intéressée
peut présenter une preuve et des arguments.
Le paragraphe 40(2) de la loi dispose:
40....
(2) En comparaissant devant le tribunal et en présentant ses
éléments de preuve et ses arguments, la Commission doit
adopter l'attitude la plus proche, à son avis, de l'intérêt public,
compte tenu de la nature de la plainte.
J'ai déjà exposé la position qu'a adoptée la
Commission dans les procédures devant ce
tribunal.
À l'issue de son enquête, le tribunal
... rejette la plainte qu'il juge non fondée.
Si le tribunal
... juge la plainte fondée .. .
il peut rendre une ordonnance contre la personne
trouvée coupable d'un acte discriminatoire. Les
alinéas du paragraphe 41(2) [mod. par S.C.
1980-81-82-83, chap. 143, art. 20] énoncent les
mesures que peuvent prévoir ces ordonnances.
Le tribunal a en outre le pouvoir suivant (para-
graphe 41(3)):
41... .
(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le
tribunal ayant conclu
a) que la personne a commis l'acte discriminatoire de propos
délibéré ou avec négligence, ou
b) que la victime a souffert un préjudice moral par suite de
l'acte discriminatoire,
peut ordonner à la personne de payer à la victime une indem-
nité maximale de cinq mille dollars.
La Commission n'a aucun des pouvoirs attribués
au tribunal. L'avocat de la Commission a insisté
sur cette distinction. Mais cela ne veut pas dire
que la Commission est un tigre de papier. J'en ai
donné une illustration au cours du débat et je n'en
dirai qu'un mot ici. Une plaignante qui prétend
avoir été congédiée en raison d'actes de harcèle-
ment sexuel peut s'estimer satisfaite que la Com
mission conclue que sa plainte est bien fondée.
Rien n'empêche une plaignante de faire en sorte
que cette décision soit rendue publique. Elle peut
ne pas vouloir reprendre ses fonctions ou toucher
une indemnité. Bien que cela ne dépende pas
d'elle, elle peut vouloir qu'il n'y ait pas d'autres
procédures devant un tribunal.
Cela met fin au résumé des parties pertinentes
de la loi qui se rapportent aux questions en
l'espèce.
Examinons maintenant les arguments invoqués
pour le compte de MacBain.
On dit que dans les circonstances en l'espèce,
une personne raisonnable et sensée aurait raison de
craindre la partialité du tribunal. On n'insinue pas
qu'il y ait effectivement partialité.
Les motifs invoqués au soutien de l'argument
d'une crainte raisonnable de partialité sont les
suivants: la Commission a fait enquête sur la
plainte; elle a adopté le rapport de l'enquêteur; elle
a conclu que la plainte était fondée; la Commis
sion, l'organisme qui a pris cette décision, a choisi
et constitué le tribunal chargé d'examiner la
plainte; elle est partie aux procédures devant le
tribunal qu'elle a constitué; elle y fait valoir que la
plainte doit être reçue et prendra part au débat en
tant que partie opposée à MacBain; le tribunal
qu'elle a constitué peut soit rejeter la plainte, soit
conclure, comme l'a fait la Commission, que la
plainte est fondée.
Les avocats sont d'accord quant au critère juri-
dique relatif à la crainte raisonnable de partialité.
C'est celui qu'a énoncé le juge de Grandpré dans
l'arrêt Committee for Justice and Liberty, et
autres c. L'Office national de l'énergie, et autres,
[1978] 1 R.C.S. 369 la page 394 (communément
appelé l'arrêt Marshall Crowe):
La Cour d'appel a défini avec justesse le critère applicable
dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte
de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne
sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et
prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les
termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander «à
quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui
étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et prati-
que. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe,
consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?»
et il poursuit ainsi [aux pages 394 et 395]:
Je ne vois pas de différence véritable entre les expressions
que l'on retrouve dans la jurisprudence, qu'il s'agisse de
«crainte raisonnable de partialité», «de soupçon raisonnable de
partialité», ou «de réelle probabilité de partialité». Toutefois, les
motifs de crainte doivent être sérieux et je suis complètement
d'accord avec la Cour d'appel fédérale qui refuse d'admettre
que le critère doit être celui d'«une personne de nature scrupu-
leuse ou tatillonne».
Telle est la façon juste d'aborder la question mais il faut
évidemment l'adapter aux faits de l'espèce. La question de la
partialité ne peut être examinée de la même façon dans le cas
d'un membre d'un tribunal judiciaire que dans le cas d'un
membre d'un tribunal administratif que la loi autorise à exercer
ses fonctions de façon discrétionnaire, à la lumière de son
expérience ainsi que de celle de ses conseillers techniques.
Je poursuis la citation [tirée de la page 395],
mais je ne veux pas prendre le temps de la réciter
ici; elle apparaîtra sur la transcription des présents
motifs.
Évidemment, le principe fondamental est le même: la justice
naturelle doit être respectée. En pratique cependant, il faut
prendre en considération le caractère particulier du tribunal.
Comme le remarque Reid, Administrative Law and Practice,
1971, à la p. 220:
[TRADUCTION] ... `tribunal' est un mot fourre-tout qui
désigne des organismes multiples et divers. On se rend vite
compte que des normes applicables à l'un ne conviennent pas
à un autre. Ainsi, des faits qui pourraient être des motifs de
partialité dans un cas peuvent ne pas l'être dans un autre.
Lord Tucker abonde dans le même sens dans Russell v. Duke
of Norfolk and others, à la p. 118:
[TRADUCTION] Il n'existe pas à mon avis un principe qui
s'applique universellement à tous les genres d'enquêtes et de
tribunaux internes. Les exigences de la justice naturelle
doivent varier selon les circonstances de l'affaire, la nature de
l'enquête, les règles qui régissent le tribunal, la question
traitée, etc.
De fait, ce critère a été formulé dans des motifs
de dissidence sur les faits. Depuis, il a toujours été
adopté.
Avant d'examiner plus à fond la question de la
partialité, je tiens à faire des remarques sur les
termes «is substantiated» («fondée»).
C'est la clé de la position de MacBain. Ces
termes sont une source de grande difficulté lors-
qu'on tente de donner une interprétation raisonna-
ble à la structure et au fonctionnement des procé-
dures prévues dans la loi.
L'avocat de la plaignante et, dans une certaine
mesure, l'avocat de la Commission, prétendent que
ces mots, employés relativement au rapport de
l'enquêteur à l'étape des procédures devant la
Commission, doivent être interprétés dans le sens
de motif suffisant de croire, ou d'élément de
preuve suffisant pour être soumis au tribunal,
plutôt que dans le sens de preuve.
Je ne suis pas d'accord avec cette prétention'.
The Shorter Oxford English Dictionary (3e éd.)
donne, entre autres, de «substantiate» les défini-
tions suivantes:
[TRADUCTION] Démontrer ou confirmer par une preuve ou un
témoignage; justifier ...
Le Living Webster Encyclopedic Dictionary, ire
éd., 197i, définit «substantiate» comme suit:
[TRADUCTION] Établir par une preuve ou un témoignage com-
pétent; prouver; donner forme ou substance à; rendre réel ou
véritable.
Le sens qu'il faut attribuer à l'expression «Dans
les cas où ... la plainte est fondée» (paragraphe
36(3)) ou «la plainte fondée» (paragraphe 41(2))
est simplement, à mon avis, «prouvé».
Les défendeurs dans la présente action, et les
intimés dans la requête pour un bref de prohibi-
Je fais remarquer que le substitut du procureur général n'a
pas adopté expressément cet argument.
tion, prétendent qu'en regard de toute la structure
procédurale de la législation sur les droits de la
personne, aucune personne raisonnable et sensée
ne pourrait avoir une crainte raisonnable de par-
tialité de la part du tribunal. Ils affirment que
toute personne raisonnable reconnaîtrait que la
conclusion de la Commission, qu'elle est convain-
cue que la plainte est fondée, n'est que la première
étape des procédures; que l'audition du tribunal est
la procédure formelle dans laquelle la décision sera
prise en dernier lieu; que la décision du tribunal ne
sera pas entravée ni influencée par la décision de la
Commission; que le choix et la nomination des
membres du tribunal par la Commission sont logi-
ques et justes et ne donnent aucun motif de crain-
dre la partialité.
Si on garde à l'esprit le critère formulé dans
l'arrêt Marshall Crowe, les opinions peuvent diffé-
rer en l'espèce sur la question de savoir si, compte
tenu de tous les faits, on peut avoir une crainte
raisonnable de partialité de la part du tribunal des
droits de la personne.
Mais après mûre réflexion, je conclus que la
réponse à cette question est «oui».
On me dit que les dispositions du paragraphe
36(3) sont uniques dans la législation des droits de
la personne. Manifestement, l'ensemble, articulé
dans une certaine mesure autour du paragraphe
36(3), est source de difficultés.
À mon avis, face à l'ensemble de la procédure
prévue par la loi et adoptée en regard de cette
plainte précise, la réaction d'une personne raison-
nable et sensée serait de dire: il y a quelque chose
qui ne va pas ici; la plainte portée contre moi a été
déclarée fondée; maintenant, cette plainte va être
entendue par un tribunal constitué par l'organisme
qui a déclaré que la plainte est fondée; ce même
organisme va comparaître contre moi dans cette
instance et réclamer qu'on conclue que la plainte
est fondée.
S'il n'y avait pas les dispositions qui prévoient
que la Commission juge la plainte fondée, il n'y
aurait pas ce sentiment d'inquiétude, et on ne
pourrait se plaindre non plus. Ni si la procédure en
l'espèce exigeait simplement que la Commission
soit convaincue que la preuve écrite ou testimo-
niale justifie que le tribunal tienne une audition et
rende une décision.
Mais, je le répète, la constitution d'un tribunal
n'est pas obligatoire. Elle est laissée purement à la
discrétion de «la Commission».
On a invoqué l'arrêt Regina v. Valente (No. 2)
(1983), 2 C.C.C. (3d) 417 (C.A. Ont.) pour con-
trer l'argument de MacBain qu'en l'espèce la
Commission, qui est protagoniste, a choisi et cons-
titué le tribunal.
Dans l'affaire Valente, on a fait valoir que les
juges de la Cour provinciale, nommés par le procu-
reur général au nom de la province, n'étaient pas
indépendants en raison de certains pouvoirs
qu'exerçait sur eux le procureur général. La Cour
d'appel de l'Ontario a rejeté cet argument. À mon
avis, l'affaire Valente est différente de l'espèce
quant à ses faits. Dans cette affaire, on n'affirmait
pas que le procureur général avait déjà pris une
décision sur la question même que le juge qu'il
avait nommé, et sur lequel il avait certains pou-
voirs administratifs, devait entendre par la suite.
L'élément d'une conclusion antérieure était absent.
Ma décision sur la question de la crainte raison-
nable de partialité ne règle pas cependant les
questions en litige en l'espèce.
Mc Genest, l'avocat de MacBain, admet que la
Loi canadienne sur les droits de la personne auto-
rise expressément la procédure qui donne lieu à la
crainte de partialité; si la question s'arrête là, il
faut conclure que la Cour ne peut intervenir puis-
que c'est ce que le Parlement a adopté et autorisé.
Cependant, Me Genest va plus loin et s'appuie sur
l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des
droits [S.R.C. 1970, Appendice III]:
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du
Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonobs-
tant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et
s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou
enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et
déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la
diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du
Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de
sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la
définition de ses droits et obligations;
L'avocat prétend qu'en l'espèce, le tribunal
constitué conformément à une loi du Canada, dans
des circonstances qui engendrent une crainte rai-
sonnable de partialité, ne peut garantir à MacBain
une audition impartiale de sa cause selon les prin-
cipes de justice fondamentale.
La Déclaration canadienne des droits ne fait pas
partie de la Constitution canadienne. Elle n'a pro-
duit dans le passé que des résultats malheureux et
futiles. Je n'ai pas l'intention d'examiner les déci-
sions qui m'ont été citées.
On dit que pour MacBain, la Déclaration peut
s'appliquer: en l'espèce, la Commission a appliqué
la Loi canadienne sur les droits de la personne de
manière à créer une crainte raisonnable de partia-
lité; il ne peut y avoir une audition impartiale; si la
Commission a l'intention de constituer un tribunal,
elle doit d'abord s'abstenir de déclarer la plainte
fondée. Me Genest ne m'a pas demandé de déclarer
sans effet les dispositions pertinentes de la loi. Il a
fait valoir que je dois simplement conclure qu'en
l'espèce, l'application de la loi par la Commission
est contraire aux restrictions qu'énonce l'alinéa 2e)
de la Déclaration canadienne des droits.
C'est à regret, avec des doutes et des hésitations,
que je conclus qu'on ne peut utiliser de cette
manière la Déclaration canadienne des droits. Je
ne puis non plus, compte tenu des faits en l'espèce,
conclure que les dispositions pertinentes de la Loi
canadienne sur les droits de la personne sont sans
effet.
J'admets que par cette conclusion, j'ajoute pro-
bablement au passé lamentable de la Déclaration.
Je mérite sans doute l'épithète magnifique [TRA-
DUCTION] d'«esprit timoré» comme disait lord
Denning. Ou même, le sobriquet de [TRADUC-
TION] «poltron». Soit.
Pour ma défense, j'avance que la Déclaration
canadienne des droits est une loi incommode. C'est
tout ce que c'est: une loi. Elle n'a pas véritable-
ment de dents; c'est, telle que je la conçois, un
instrument d'interprétation des lois, et non un
instrument qui empêche la violation des droits.
Si la Déclaration canadienne des droits ne s'ap-
plique pas, Me Genest invoque l'article 7 et l'alinéa
11d) de la Charte canadienne des droits et libertés
[qui constitue la Partie I de la Loi constitution-
nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
L'article 7 dispose:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
On dit que MacBain peut être privé de son droit
à la liberté si le tribunal conclut que la plainte est
fondée: l'audition du tribunal, entachée par une
crainte raisonnable de partialité de sa part, ne
serait pas conforme aux principes de justice fonda-
mentale. L'avocat prétend que le «droit ... à la
liberté» doit recevoir une interprétation large et
bienveillante, telle qu'illustrée dans la décision
Board of Regents of State Colleges et al. v. Roth,
408 U.S. Reports 564 (7th Cir. 1972), la page
573: la protection de la liberté qu'accorde la Cons
titution doit s'appliquer pour l'atteinte au nom, à
la réputation, à l'honneur ou à l'intégrité. Mais un
examen attentif de l'affaire Roth révèle que cette
protection ne va pas aussi loin.
En tout état de cause, je ne suis pas convaincu
que le droit «à la vie, à la liberté et à la sécurité de
sa personne» vise l'atteinte au nom, à la réputation
ou à l'intégrité de la personne.
L'alinéa 11d) maintenant dispose:
11. Tout inculpé a le droit:
d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupa-
ble, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et
impartial ...
W Genest a franchement reconnu que jusqu'à
maintenant, dans l'examen de cette disposition de
la Charte, les tribunaux ont considéré qu'elle s'ap-
plique aux infractions criminelles, aux infractions
dites provinciales et aux infractions quasi criminel-
les. Je n'ai pas l'intention de m'opposer à ce cou-
rant judiciaire.
Me Genest fait valoir que l'alinéa 41(3)a) pré-
cité de la Loi canadienne sur les droits de la
personne permet au tribunal d'imposer des dom-
mages punitifs lorsque la personne a commis l'acte
discriminatoire de propos délibéré ou avec négli-
gence; les sommes d'argent qui peuvent être fixées
le sont à titre de dommages exemplaires qui sont
imposés à la personne qui a commis l'acte, non à
titre de dommages compensatoires accordés à la
victime.
Je suis d'accord avec cette interprétation du
paragraphe 41(3).
Mais je ne crois pas que le résultat soit d'une
nature pénale, de sorte que la personne contre qui
une plainte est portée et fondée puisse être consi-
dérée comme une personne accusée d'une infrac
tion.
En conséquence, la demande d'un bref de prohi
bition et l'action pour jugement déclaratoire sont
rejetées, toutes deux avec dépens mais, dans les
circonstances, sur un seul mémoire de frais.
Les présents motifs s'appliquent aux deux
instances.
Je tiens à ajouter les remarques suivantes. Je
suis conscient que compte tenu de ma décision
quant à la partialité, ma décision finale est assez
peu satisfaisante.
C'est avec des doutes que je suis venu à cette
conclusion. Les arguments mis de l'avant au nom
de MacBain étaient convaincants et puissants.
J'aurais aimé prendre plus de temps pour les exa
miner et y réfléchir avant de rendre jugement
immédiatement sur le banc. Cependant, l'audition
du tribunal n'est pas terminée et doit reprendre
incessamment. C'est pourquoi j'estimais qu'une
décision devait être prise aujourd'hui.
Je dois beaucoup aux avocats pour leurs argu
ments approfondis et instructifs, et pour l'aide
qu'ils m'ont accordée.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.