T-3652-80
E. F. Anthony Merchant (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Reed—Regina
26 mars; Toronto, 30 mars 1984.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions —
Les dépenses faites par un candidat au cours d'une campagne
électorale pour devenir chef du parti libéral de la Saskatche-
wan ne sont pas déductibles k titre de dépenses d'entreprise —
La déductibilité d'une dépense d'entreprise dépend de la nature
et de l'importance de l'entreprise — Dépenses engagées avant
que le candidat ne devienne chef de parti — Distinction entre
les frais de mise sur pied d'une entreprise et les frais engagés
au cours d'une campagne où il n'y a pas de lien de continuité
entre la participation d la campagne d'investiture et la direc
tion de parti — Il importe de savoir que l'issue de la campagne
est indépendante de la volonté du candidat — La somme
versée au chef de parti dépend de plusieurs facteurs et ne
constitue donc pas un revenu provenant d'une charge parce
qu'il ne s'agit pas d'un traitement «fixe ou vérifiable» aux
termes de la définition du terme «charge» de l'art. 248(1) —
Le terme «vérifiable» signifie qu'il doit être possible de préci-
ser ou de déterminer le montant — Loi de l'impôt sur le
revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 3, 18(1)a), 248(1)
(mod. par S.C. 1979, chap. 5, art. 66(3)).
Appel est interjeté d'une décision de la Commission de
révision de l'impôt. Le demandeur soutient que les frais de sa
campagne à la direction du parti libéral de la Saskatchewan ont
été engagés pour produire un revenu d'entreprise. La somme
qui est versée au chef élu dépend de plusieurs facteurs. Le
demandeur soutient que, parce qu'elles sont imposables, les
sommes versées au chef de parti constituent, aux termes de
l'article 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu, un revenu tiré
d'une charge, d'un emploi, d'une entreprise ou d'un bien. Selon
lui, il ne s'agit pas d'un revenu d'emploi parce que comme le
chef de parti n'est pas sous le contrôle d'un employeur, il n'est
pas un employé, et il ne s'agit pas non plus d'un revenu
provenant d'un bien. On prétend que ce n'est pas un revenu tiré
d'une charge parce que le paragraphe 248(1) définit un tel
revenu comme étant fixe ou vérifiable. Par conséquent, il
soutient qu'il doit s'agir d'un revenu tiré d'une entreprise et
que, comme les frais de mise sur pied d'une entreprise peuvent
être déduits à titre de dépense d'entreprise, de la même
manière, les dépenses engagées par un candidat pour tenter de
devenir chef de parti devraient pouvoir être déduites. La défen-
deresse allègue que les dépenses engagées au cours de la
campagne à l'investiture ne sont pas déductibles parce qu'elles
ont été faites avant que ne commence l'entreprise consistant à
diriger le parti; elles ne sont pas directement attribuables à
cette entreprise et elles n'ont pas de lien avec le fait de produire
un revenu d'entreprise.
Jugement: l'appel est rejeté. Il ne fait aucun doute que le
revenu en question n'est ni un revenu tiré d'un emploi ni un
revenu tiré d'un bien. Selon le sens courant des mots, son
revenu devrait être classé parmi les revenus provenant d'une
«charge». Cependant, les premiers mots de la définition de
«charge» au paragraphe 248(1) ont un caractère impératif.
Pour être comprise dans la catégorie des revenus tirés d'une
charge, la rémunération doit être «fixe ou vérifiable.. Le terme
«vérifiable» signifie qu'il est possible de préciser ou de détermi-
ner le montant, et non pas que la personne occupant la charge
doit connaître, au moment où elle entre en fonctions, la somme
qu'elle recevra. Une indemnité journalière fixe ou un montant
précis pour chaque séance confère au revenu un caractère
suffisamment vérifiable. Si l'on présume que le montant versé
au chef de parti n'était pas vérifiable, il ne constituait pas alors
un revenu tiré d'une charge. La définition d'uentreprise» au
paragraphe 248(1) est assez large pour comprendre un emploi
ainsi que le fait d'occuper une charge, puisque les deux ont été
expressément exclus de la définition. La déductibilité d'une
dépense d'entreprise variera selon la nature et l'importance de
cette entreprise. Il n'est pas facile d'établir un parallèle entre
les affaires qui ont traité des «frais de mise sur pied» d'une
entreprise et celle en l'espèce où le revenu final versé se
rapproche davantage du revenu gagné par un employé ou par
une personne qui occupe une charge que du revenu d'une
exploitation commerciale. Les dépenses engagées ressemblent
plus à des dépenses engagées pour trouver un emploi ou pour
faire l'acquisition d'un cabinet d'avocat qu'à celles engagées
pour mettre une entreprise sur pied. Les dépenses ont été
engagées avant que ne commence l'exploitation de l'entreprise à
l'égard de laquelle elles sont revendiquées. À la différence de la
situation où des frais de mise sur pied d'une entreprise ont été
engagés, il n'y a pas de lien de continuité entre la participation
à la campagne à l'investiture et la direction du parti. On ne doit
pas non plus négliger le fait qu'il n'appartient pas au candidat
de déterminer s'il deviendra effectivement chef de parti.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Moldowan c. La Reine, [ 1978] 1 R.C.S. 480.
DÉCISION ÉCARTÉE:
MacKeen c. Ministre du Revenu national (1967), 67
DTC 281 (Comm. d'appel de l'impôt).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Guérin c. Ministre du Revenu national (1952), 52 DTC
118 (Comm. d'appel de l'impôt); Minister of National
Revenue v. Freud, [1969] R.C.S. 75; Tobias c. Sa
Majesté La Reine (1978), 78 DTC 6028 (C.F. l' inst.);
M. P. Drilling Ltd. (ci-devant Mountain Pacific Pipeli
nes Ltd.) c. Le ministre du Revenu national (1974), 74
DTC 6343 (C.F. I" inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Decelles c. Le ministre du Revenu national (1977), 78
DTC 1019 (Comm. de rév. de l'impôt); Daley v. The
Minister of National Revenue, [1950] R.C.É. 516; 50
DTC 877.
DÉCISIONS CITÉES:
The Royal Trust Company v. The Minister of National
Revenue, [ 1956-60] R.C.E. 70; (1957), 57 DTC 1055;
Randall v. Minister of National Revenue, [1967] R.C.S.
484; 67 DTC 5151; Lalande c. Ministre du Revenu
national (1980), 80 DTC 1862 (Comm. de rév. de l'im-
pôt); Frappier c. La Reine, [1976] 2 C.F. 231; 76 DTC
6066 (1" inst.).
AVOCATS:
Gregory A. Swanson pour le demandeur.
John H. Kennedy pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Pedersen, Norman, McLeod & Todd, Regina,
pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE REED: La Cour est saisie d'un appel
interjeté contre une décision de la Commission de
révision de l'impôt datée du 3 avril 1980. Principa-
lement, il faut déterminer si le demandeur a droit
de déduire aux fins d'impôt les sommes qu'il a
dépensées en 1976 lorsqu'il s'est porté candidat à
la direction du Parti libéral de la Saskatchewan.
Le demandeur soutient principalement que la
dépense de 24 000 $ (dont un montant de 10 550 $
est imputable à l'année d'imposition 1976) a été
engagée pour produire un revenu d'entreprise.
Cette somme a été dépensée notamment pour cou-
vrir ses frais de déplacement durant la campagne;
pour publier des brochures et des documents expli-
quant ses politiques ainsi que ses prises de position;
pour produire un film publicitaire et des affiches;
pour fournir une salle de réception durant le con-
grès à la direction du parti; pour payer les frais
divers de bureau et de téléphone résultant de sa
campagne.
Selon la preuve, ce sont les délégués présents au
congrès qui, par voie de scrutin, ont élu le chef du
parti. La moitié des délégués participaient au con-
grès ex officio, en leur qualité de membres de
l'exécutif provincial du parti, de sénateurs ou de
députés libéraux fédéraux ou provinciaux; l'autre
moitié avait été choisie par les associations de
comté pour les représenter au congrès.
Il ressort de la preuve que le chef du parti
pouvait s'attendre à recevoir du parti de 20 000 $ à
40 000 $ par an, qu'il soit élu député à l'assemblée
législative ou non. Selon M. Merchant, le montant
n'était pas payé par versements réguliers ou pério-
diques, mais était payé au cours de l'année de
façon assez sporadique. Pour ce qui est du montant
exact que reçoit le chef du parti, M. Merchant a
déclaré que le montant variait selon le train de vie
du leader avant sa nomination. Il semble dépendre
également de l'état des finances du parti et, selon
toute vraisemblance, des ressources financières
personnelles du leader politique. La preuve n'expli-
que pas de façon satisfaisante la méthode utilisée
pour déterminer le montant en cause. M. Mer
chant a déclaré que, normalement, le trésorier fait
une recommandation à un comité, auquel participe
le chef du parti, mais que le montant ne peut faire
l'objet de négociations.
Voici ce que fait valoir le demandeur: (1) les
sommes que verse le parti à son chef sont imposa-
bles et font donc nécessairement partie de l'une ou
l'autre des catégories de revenu énumérées à l'arti-
cle 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C.
1970-71-72, chap. 63] (revenu tiré d'un emploi,
d'un bien, d'une charge ou d'une entreprise); (2) il
ne s'agit pas d'un revenu d'emploi puisque le chef
du parti n'est pas sous le contrôle d'un employeur;
(3) le revenu ne provient pas d'un bien; (4) ce n'est
pas un revenu tiré d'une charge parce que le
paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le
revenu définit un tel revenu comme étant «fixe ou
vérifiable»; (5) par conséquent, il doit s'agir d'un
revenu tiré d'une entreprise; (6) les frais de mise
sur pied d'une entreprise peuvent être déduits à
titre de dépenses d'entreprise et, de la même
manière, les dépenses engagées pour tenter de se
lancer dans une entreprise consistant à diriger le
Parti libéral de la Saskatchewan devraient pouvoir
être déduites du revenu du contribuable.
L'avocat de la défenderesse a eu des difficultés à
faire entrer le revenu touché par le chef du parti
dans la catégorie des revenus découlant de l'occu-
pation d'une charge ou de l'exploitation d'une
entreprise; il a fait remarquer que la liste des
revenus énumérés à l'article 3 n'est pas exhaustive
et que, par ailleurs, la section D de la Loi traite de
revenus provenant d'autres sources que celles spé-
cifiquement énonçées à l'article 3.
3. Le revenu d'un contribuable pour une année d'imposition
... est son revenu pour l'année ...
a) ... y compris, ... le revenu tiré de chaque charge, emploi,
entreprise et bien; [C'est moi qui souligne.]
L'avocat de la défenderesse allègue que, de toute
façon, quelle que soit la catégorie à laquelle appar-
tient le revenu touché par le chef du parti, les
dépenses engagées au cours de sa campagne ne
sont pas déductibles parce qu'elles ont été enga
gées avant que commence l'entreprise consistant à
diriger le parti; elles ne sont pas directement attri-
buables à l'exploitation de cette entreprise; elles
n'ont pas de lien direct avec le fait de produire un
revenu d'entreprise selon la définition de ce con
cept dans The Royal Trust Company v. The
Minister of National Revenue, [1956-60] R.C.É.
70; (1957), 57 DTC 1055.
Il ne fait aucun doute que le revenu d'un chef de
parti n'est ni un revenu tiré d'un emploi ni un
revenu tiré d'un bien. Si l'on prend le sens courant
des termes, sa rémunération devrait être classée
parmi les revenus provenant de charges.
Toutefois, le paragraphe 248 (1) dispose qu'aux
fins de la Loi de l'impôt sur le revenu:
24s.(1)...
.charge» signifie un poste qu'occupe un particulier et qui lui
donne droit à un traitement ou à une rémunération fixes ou
vérifiables et comprend une charge judiciaire, la charge de
ministre de la Couronne, la charge de membre du Sénat ou
de la Chambre des communes du Canada, de membre d'une
assemblée législative ou de membre d'un conseil législatif ou
exécutif et toute autre charge dont le titulaire est élu au
suffrage universel ou bien choisi ou nommé à titre représen-
tatif, et comprend aussi le poste d'administrateur de corpora
tion ... [C'est moi qui souligne.]
Je partage l'opinion de l'avocat de la défende-
resse selon laquelle la liste des sources de revenu.
n'est pas exhaustive. Elle est précédée de l'expres-
sion «y compris». Je conviens également que la
charge d'un chef de parti est du même genre que
celles qui sont spécifiquement énumérées, bien
qu'il ne soit pas élu au suffrage universel ni proba-
blement choisi à titre représentatif. À ce sujet, il
ne fait aucun doute que le chef représente le parti
de bien des façons, mais en tant que chef, il doit
déterminer les politiques et «diriger» plutôt qu'être
comptable au parti de ses actions, comme le serait
une personne qui agirait à titre de représentant.
Cela étant dit, il est évident toutefois, que la
fonction de chef de parti politique ressemble aux
fonctions expressément mentionnées au paragra-
phe 248(1).
Cependant, les premiers mots de la définition de
«charge» au paragraphe 248(1) n'ont pas pour but
d'«inclure», mais confèrent plutôt à cet aspect de la
définition un caractère impératif. Pour être com
prise dans la catégorie des revenus tirés d'une
charge, la rémunération doit être fixe et vérifiable.
On a invoqué la décision de la Commission
d'appel de l'impôt dans MacKeen c. Ministre du
Revenu national (1967), 67 DTC 281, qui a établi
qu'une personne nommée membre d'une commis
sion royale d'enquête n'occupe pas une charge aux
fins de l'impôt sur le revenu. Les conditions de sa
nomination prévoyaient notamment une rémunéra-
tion de 100 $ par jour ainsi qu'une allocation
journalière de 20 $ en cas de déplacement et le
remboursement de ses frais de transport. La Com
mission d'appel de l'impôt a statué que son revenu
était un revenu d'entreprise et qu'il n'était pas
attribuable à l'occupation d'une charge. La Com
mission est arrivée à cette conclusion pour un
certain nombre de raisons (dont le fait que le poste
de commissaire n'était pas permanent et que le
contribuable avait accepté, au moment de sa nomi
nation, le montant alloué par le gouvernement au
titre des frais de déplacement). Par conséquent, je
n'accorde pas trop d'importance à la partie de la
décision qui statue que le revenu du contribuable
n'était pas vérifiable. En fait, j'estime qu'il l'est. À
mon avis, ce terme signifie qu'il doit être possible
de préciser ou de déterminer le montant, et non
que la personne occupant la charge doit savoir, au
moment où elle entre en fonction, la somme exacte
qu'elle recevra. Il faut que ce terme signifie autre
chose que «fixe» sinon il devient tout à fait
redondant.
On a cité également l'affaire Guérin c. Ministre
du Revenu national (1952), 52 DTC 118, où la
Commission d'appel de l'impôt a décidé que le
revenu d'un juge qui avait cessé pendant un certain
temps d'occuper ses fonctions de magistrat, mais
siégeait à titre de président de divers conseils
d'arbitrage, ne constituait pas un revenu tiré d'une
charge. Dans cette affaire, le contribuable recevait
un montant précis pour chaque séance qu'il prési-
dait, mais il était impossible de savoir combien de
séances seraient tenues par les conseils ni combien
de conseils seraient présidés par lui. La Commis
sion d'appel de l'impôt a conclu que, si le nombre
de séances était indéterminé, la rémunération ne
pouvait être considérée comme vérifiable et que le
revenu était un revenu provenant d'une entreprise.
Voici ce que la Commission dit à la page 121:
Par les mots «poste donnant droit à un traitement ou rémuné-
ration déterminée ou constatable», le législateur, à mon sens,
entend un poste dont la rémunération est telle que celui qui
l'accepte, en l'acceptant, connaît exactement la rémunération
qu'il recevra pour les services qu'il est appelé à rendre.
Je ne suis pas convaincue qu'un çontribuable
doive connaître, dès son entrée en fonction, le
montant qu'il recevra. Il me semble qu'une indem-
nité journalière fixe ou un montant précis pour
chaque séance confère au revenu un caractère
suffisamment vérifiable pour correspondre à la
définition contenue au paragraphe 248(1). Toute-
fois, dans l'affaire Guérin, d'autres facteurs ren-
daient le revenu non vérifiable et auraient dû, à
mon avis, être au centre de la décision [à la page
1221:
Il a été prouvé que l'appelant doit payer lui-même les services
d'une secrétaire qu'il emploie à des journées et à des heures
irrégulières, qu'il doit également payer la papeterie dont il a
besoin, payer pour l'usage d'un clavigraphe et tout autre acces-
soire] nécessaire Pour l'accomplissement de son travail ... Il est
encore prouvé que, en maintes circonstances, l'appelant doit
acquitter le coût du transport de sa secrétaire et d'autres
personnes agissant comme conseillers et qu'à plusieurs reprises
il a dû acquitter le coût de repas pour des assistants et des
aviseurs.
Selon moi, ces facteurs sont décisifs et font qu'on
ne peut déterminer précisément la rémunération
attachée au poste d'arbitre.
Compte tenu de la preuve en l'espèce, il est
difficile de déterminer si les sommes versées au
chef du parti sont vérifiables au sens visé par le
paragraphe 248(1). Elles semblent être fixées une
fois l'an à un chiffre quelconque. Il n'a pas été
démontré en preuve que le chef du parti doit
engager certaines dépenses variables sur ce revenu
afin de gagner ledit revenu, comme c'était le cas
dans l'affaire Guérin. Pourtant on ne peut dire
qu'avant d'entrer en fonction, le chef du parti sait,
avec quelque certitude, quelle somme lui sera
versée. Il se peut que chaque cas diffère, selon le
leader et les circonstances en cause. Il se peut que
la preuve soit insuffisante à ce sujet parce que M.
Merchant parle d'une situation qu'il prévoyait
mais qui, dans les faits, ne s'est jamais réalisée. Il
aurait été utile d'obtenir de la personne qui a été
élue des renseignements sur la façon dont on a
déterminé son traitement.
En tout état de cause et compte tenu de la
preuve dont je dispose, je vais procéder en présu-
mant que, si M. Merchant avait gagné la campa-
gne à l'investiture, le montant qu'il aurait reçu
n'aurait pas été vérifiable au sens de ce terme au
paragraphe 248(1).
Je conviens avec l'avocat du demandeur que si
on ne peut faire entrer le revenu que touche un
leader de parti dans la catégorie des revenus prove-
nant d'une charge, il s'agit probablement d'un
revenu tiré d'une entreprise. Notons que la défini-
tion d'entreprise au paragraphe 248(1) [mod. par
S.C. 1979, chap. 5, art. 66(3)] est assez large pour
comprendre un emploi ainsi que le fait d'occuper
une charge. Cela semble découler du fait que ces
deux sources de revenu ont été expressément
exclues de la définition d'entreprise dans la Loi de
l'impôt sur le revenu.
248.(1)...
«entreprise» ou «affaire» comprend une profession, un métier, un
commerce, une manufacture ou une activité de quelque genre
que ce soit et, sauf aux fins de l'alinéa 18(2)c), comprend un
projet comportant un risque ou une affaire de caractère
commercial mais ne comprend pas une charge ni un emploi;
[C'est moi qui souligne.]
Ensuite, l'avocat du demandeur soutient que les
dépenses engagées lors de la campagne n'auraient
pas été déductibles si le revenu final payé au chef
du parti avait été un revenu tiré d'une charge, mais
qu'elles le sont puisqu'il s'agit d'un revenu prove-
nant d'une entreprise. C'est l'interprétation qu'il
donnerait, par exemple, à l'affaire Decelles c. Le
ministre du Revenu national (1977), 78 DTC
1019, où la Commission de révision de l'impôt a
établi que les dépenses engagées par un conseiller
municipal pour se faire élire n'étaient pas déducti-
bles. La Commission a déclaré ceci à la page 1020:
... lesdites dépenses n'ont pas été engagées avec l'intention de
gagner ou de produire un revenu d'une entreprise ou d'un bien
conformément au paragraphe 8(2) de la Loi, et je cite:
En dehors des déductions permises par le présent article,
aucune autre déduction ne doit être faite lors du calcul du
revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition,
d'une charge ou d'un emploi.
D'après la preuve, rien ne permet de considérer comme une
entreprise les activités du contribuable avant son élection au
poste de conseiller. Par conséquent, l'appelant ne saurait être
autorisé à déduire de son salaire les dépenses engagées pour se
faire élire au poste de conseiller municipal.
En outre, il est évident que les dépenses sont
déductibles même si aucun revenu n'est jamais
produit. Dans M. P. Drilling Ltd. (ci-devant
Mountain Pacifie Pipelines Ltd.) c. Le ministre du
Revenu national (1974), 74 DTC 6343 (C.F. 1 r
inst.), on a jugé que les dépenses engagées pour
construire des installations et pour mener des
négociations en vue de mettre sur pied une entre-
prise de commercialisation de gaz de pétrole liqué-
fiés étaient déductibles même si l'entreprise n'avait
jamais démarré. Également, dans Minister of
National Revenue v. Freud, [1969] R.C.S. 75, la
Cour suprême du Canada a permis au contribua-
ble de déduire les dépenses engagées pour cons-
truire un prototype de voiture de sport bien qu'il
n'ait jamais réussi à la commercialiser ni à vendre
ses droits sur ce prototype. Cas plus hypothétique
encore, dans Tobias c. Sa Majesté La Reine
(1978), 78 DTC 6028 (C.F. 1 r inst.), on a permis
au contribuable de déduire les dépenses qu'il avait
engagées pour chercher un trésor enfoui dans l'Île
Oak, en Nouvelle-Écosse. Évidemment, la course
au trésor a échoué mais la Cour a statué que si elle
avait réussi, les bénéfices auraient été imposables;
par conséquent, la Cour a déclaré que les dépenses
engagées par cette fouille infructueuse étaient par
le fait même déductibles.
En dernier lieu, le demandeur prétend que son
cas présente des analogies avec les affaires où l'on
a accordé la déduction des frais de mise sur pied
d'une entreprise. Il a cité M. P. Drilling Ltd. c. Le
ministre du Revenu natonal (susmentionné) et le
Bulletin d'interprétation IT-41R publié par le
Ministère qui prévoit:
Les frais antérieurs à la production ou les frais de mise sur pied
d'une nouvelle entreprise dans la mesure où ils ne constituent
pas des dépenses en immobilisations, doivent être déduits dans
l'année où ils ont été engagés.
L'avocat de la défenderesse a soutenu principa-
lement que, même si les montants versés à un chef
de parti étaient considérés comme un revenu tiré
d'une entreprise, les dépenses engagées lors de la
campagne pour la direction du parti étaient trop
lointaines pour être déductibles. Il a fait valoir
qu'il s'agissait de dépenses engagées avant le début
de l'exploitation de l'entreprise, invoquant à l'ap-
pui de sa thèse l'affaire Decelles (précitée) et
Daley v. The Minister of National Revenue,
[1950] R.C.É. 516; 50 DTC 877. Dans l'affaire
Daley, la Cour n'a pas permis au contribuable de
déduire à titre de dépenses d'entreprise les cotisa-
tions que ce dernier avait versées pour être admis
au Barreau de l'Ontario. Dans sa décision, le
président Thorson a déclaré à la page 880 [page
522 R.C.É.]:
[TRADUCTION] La cotisation de 1 500 $ que le contribuable a
versée pour devenir membre du Barreau de l'Ontario était une
dépense engagée avant qu'il obtienne le droit d'exercer dans
cette province et de tirer un revenu de sa profession. Mis à part
le fait qu'elle était plus proche dans le temps, cette dépense n'a
pas plus de rapport avec les opérations et les services dont le
contribuable a tiré son revenu en 1946, ou toute autre année,
que ne l'était le coût de ses études de droit, et même le coût de
sa formation générale ou tout autre frais résultant des diverses
étapes qui ont abouti à l'autorisation d'exercer la profession....
Il paraît évident qu'une telle défense, engagée non pas dans le
cadre des opérations et services dont le contribuable a tiré son
revenu, mais engagée avant le début de ces activités en vue
d'acquérir les qualifications et la formation requises, n'est pas
le type de dépenses dont la déduction est autorisée dans le
calcul ou l'estimation du «bénéfice ou gain net annuel». À mon
avis, aucun comptable ni aucun homme d'affaires ne la traite-
rait ainsi.
L'avocat a indiqué que, depuis la décision Daley
en 1950, la notion de dépense d'entreprise admissi
ble s'est élargie. Il n'est plus nécessaire de prouver
qu'une dépense a été «totalement, exclusivement et
nécessairement faite en vue de la production du
revenu» comme l'exigeait l'article 6 de la Loi de
l'impôt de guerre sur le revenu [S.R.C. 1927,
chap. 97]. La disposition pertinente, l'alinéa
18(1)a) dit maintenant ceci:
18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une
entreprise ... les éléments suivants ne sont pas déductibles:
a) un débours ou une dépense sauf dans la mesure où elle a
été faite ou engagée par le contribuable en vue de tirer un
revenu des biens ou de l'entreprise ou de faire produire un
revenu aux biens ou à l'entreprise;
On peut constater cette tendance à élargir la
déductibilité des dépenses dans l'affaire The Royal
Trust Company v. The Minister of National
Revenue, [ 1956-60] R.C.E. 70; (1957), 57 DTC
1055, où il a été statué que les cotisations versées
par l'appelante pour inscrire à un club ses diri-
geants et ses cadres supérieurs pouvaient être
déduites comme une dépense d'entreprise. En
engageant ces dépenses, l'appelante voulait accroî-
tre son chiffre d'affaires par le biais des relations
personnelles qui seraient établies. Voir aussi Ran-
dall v. Minister of National Revenue, [ 1967]
R.C.S. 484; 67 DTC 5151; M. P. Drilling Ltd. c.
Le ministre du Revenu national (précitée);
Lalande c. Ministre du Revenu national (1980),
80 DTC 1862 (Commission de révision de l'impôt)
et Frappier c. La Reine, [1976] 2 C.F. 231; 76
DTC 6066 (1r° inst.).
Si la rémunération versée par un parti politique
à son chef est un revenu d'entreprise et non pas un
revenu tiré d'une charge, le point de départ doit
alors, à mon sens, être semblable à celui qui a été
retenu dans Moldowan c. La Reine, [1978] 1
R.C.S. 480, où la Cour suprême a déclaré ce qui
suit, à la page 486, lorsqu'elle a énuméré les
critères applicables pour déterminer si un contri-
buable avait «une expectative raisonnable de
profit»:
Les facteurs seront différents selon la nature et l'importance de
l'entreprise: La Reine c. Matthews ((1974), 74 DTC 6193).
Personne ne peut s'attendre à ce qu'un fermier qui achète une
affaire déjà productive subisse au départ les mêmes pertes que
celui qui met sur pied une exploitation forestière sur un terrain
vierge.
De façon analogue, j'estime que la déductibilité
d'une dépense d'entreprise variera selon la nature
et l'importance de cette entreprise. Il n'est pas
facile d'établir un parallèle entre les affaires qui
ont traité des «frais de mise sur pied» d'une entre-
prise telle qu'une entreprise de commercialisation
de pétrole ou de production de voitures de sport, et
celle en l'espèce où le revenu final versé se rappro-
che davantage du revenu gagné par un employé ou
par une personne qui occupe une charge que du
revenu d'une exploitation commerciale. Une entre-
prise commerciale comporte habituellement des
comptes de revenus et de dépenses.
De manière plus significative, les dépenses enga
gées par le contribuable en l'espèce ressemblent
plus à des dépenses engagées pour trouver un
emploi (frais de déplacement pour rencontrer des
employeurs éventuels) ou à celles d'un avocat
récemment admis au Barreau qui veut faire l'ac-
quisition d'une étude déjà établie (déplacements,
rencontres, négociations) qu'à celles engagées pour
mettre une entreprise sur pied comme dans les
affaires précitées. En outre, il pourrait sembler
anormal qu'une personne qui occupe une charge
comparable à celle d'un chef de parti (p. ex. une
des charges énumérées au paragraphe 248(1)) ne
puisse pas déduire de son revenu ses dépenses
électorales, alors que le chef d'un parti serait en
mesure de le faire parce que sa rémunération n'est
pas vérifiable (si tel est vraiment le cas).
À mon avis, même si la notion de dépenses
déductibles s'est élargie depuis la décision Daley
(précitée), j'estime que les dépenses du contribua-
ble dans la présente affaire peuvent, à juste titre,
être considérées comme des dépenses engagées
avant que le contribuable commence l'exploitation
de l'entreprise à l'égard de laquelle il les revendi-
que. À la différence de la situation qui existe
lorsque le litige porte sur des frais de mise sur pied
d'une entreprise, il n'y a pas de lien de continuité
entre la participation à la campagne d'investiture
et la direction du parti. On ne doit pas négliger
non plus le fait qu'il n'appartient pas au candidat
de déterminer s'il deviendra effectivement le chef
du parti. Dans l'affaire Tobias (précitée), la déci-
sion de poursuivre ou d'abandonner la chasse au
trésor appartenait au contribuable. De façon ana
logue, dans M. P. Drilling Ltd. (précitée) et
Minister of National Revenue v. Freud (précitée),
le contribuable pouvait ordonner la cessation ou la
poursuite de l'exploitation de l'entreprise. Toute-
fois, la situation d'un candidat à la direction d'un
parti politique est totalement différente. Il cherche
à se faire élire à un poste; les activités qu'il mène
durant la campagne sont indiscutablement anté-
rieures et distinctes de toute entreprise de direction
de parti politique qu'il pourrait mener s'il gagnait
l'élection.
Par conséquent, l'appel est rejeté.
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