A-783-83
Eastern Provincial Airways Limited (requérante)
c.
Conseil canadien des relations du travail et Asso
ciation canadienne des pilotes de lignes aériennes
(intimés)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juge Mahoney
et juge suppléant Cowan—Ottawa, 23, 24, 25, 26
août et 5 octobre 1983.
Relations du travail — Eastern Provincial Airways Limited
(»EPA») demande l'examen et l'annulation d'une ordonnance
prise par le Conseil canadien des relations du travail après
qu'il a conclu à des pratiques déloyales de travail — EPA a
conféré un statut d'employés permanents aux pilotes rempla-
çants engagés durant la grève — Allégations d'excès de com-
pétence et de déni de justice naturelle — Demande accueillie,
décision du Conseil cassée — Le Conseil est arrivé à la
conclusion que les pilotes remplaçants ont été engagés en vertu
de contrats de travail individuels — Le mot «permanent» était
utilisé comme antonyme de «temporaire» — Le Conseil a
outrepassé sa compétence — Il appartient au Parlement et non
au Conseil, de par la loi, de déclarer qu'un employeur dont les
employés sont en grève peut uniquement engager des briseurs
de grève — La politique du Conseil de ne pas permettre la
transcription intégrale des procédures est bien établie — Cette
politique n'était pas inéquitable du point de vue des procédures
— EPA a été privée de la possibilité de présenter une preuve
concernant les pratiques déloyales de travail alors qu'elle était
prête à faire comparaître ses témoins — La preuve proposée
n'était pas redondante et elle ne constituait pas un abus des
procédures du Conseil — Code canadien du travail, S.R.C.
1970, chap. L-1, art. 119 (abrogé et remplacé par S.C. 1972,
chap. 18, art. 1), 122 (abrogé et remplacé par S.C. 1977-78,
chap. 27, art. 43), 148a) (ajouté par S.C. 1972, chap. 18, art.
1), 184(1)a) (ajouté par idem), 184(3)a)(vi) (ajouté par idem),
184(3)b) (ajouté par idem), 184(3)c) (ajouté par idem), 186
(ajouté par idem), 187 (ajouté par idem), 188(1)b) (ajouté par
idem), 189 (mod. par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 68) — Loi
sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art.
28(1)a),(2),(5) — Charte canadienne des droits et libertés, qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 1.
Contrôle judiciaire — Demandes d'examen — Relations du
travail — Eastern Provincial Airways Limited («EPA»)
demande l'examen et l'annulation d'une ordonnance prise par
le Conseil canadien des relations du travail après qu'il a
conclu à des pratiques déloyales de travail — EPA a conféré
un statut d'employés permanents aux pilotes remplaçants
engagés durant la grève — EPA prétend qu'en refusant de lui
permettre de présenter une preuve complète, le Conseil a
outrepassé sa compétence et a commis un déni de justice
naturelle — L'art. 189 du Code confère au Conseil de larges
pouvoirs de prononcer des ordonnances pour assurer l'applica-
tion des dispositions du Code — En concluant que les pilotes
remplaçants ont été engagés en vertu de contrats individuels de
travail, le Conseil a outrepassé sa compétence — Il appartient
au Parlement et non au Conseil, de par la loi, de déclarer
qu'un employeur dont les employés sont en grève peut unique-
ment engager des briseurs de grève — La politique du Conseil
de ne pas permettre la transcription intégrale des procédures
n'est pas inéquitable du point de vue de la procédure —
Quoique prête k faire comparaître ses témoins, EPA n'a pas eu
la possibilité de présenter une preuve concernant les pratiques
déloyales de travail — La décision du Conseil de tenir une
nouvelle audition, aux termes de l'art. 119 du Code, n'interdit
pas l'exercice du pouvoir de contrôle judiciaire — Demande
accueillie, décision du Conseil cassée — Code canadien du
travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 119 (abrogé et remplacé
par S.C. 1972, chap. 18, art. 1), 122 (abrogé et remplacé par
S.C. 1977-78, chap. 27, art. 43), 148a) (ajouté par S.C. 1972,
chap. 18, art. 1), 184(1)a) (ajouté par idem), 184(3)a)(vi)
(ajouté par idem), 184(3)b) (ajouté par idem), 184(3)c) (ajouté
par idem), 186 (ajouté par idem), 187 (ajouté par idem),
188(1)b) (ajouté par idem), 189 (mod. par S.C. 1977-78, chap.
27, art. 68) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), chap. 10, art. 28(1)a),(2),(5) — Charte canadienne des
droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), art. 1.
Au cours d'une grève légale des pilotes de la requérante
Eastern Provincial Airways Limited («EPA))), l'agent négocia-
teur accrédité, l'Association canadienne des pilotes de lignes
aériennes («ACPLA») a déposé des plaintes de pratiques
déloyales de travail contre EPA aux termes des articles 148a),
184(1)a) et 184(3)a)(vi) du Code canadien du travail. EPA a
également déposé des plaintes aux termes des articles 148a) et
186 du Code. Le Conseil canadien des relations du travail a
rejeté les plaintes de EPA et a maintenu celles de ACPLA.
EPA a immédiatement déposé la présente demande fondée sur
l'article 28 aux motifs que le Conseil a outrepassé sa compé-
tence et qu'il a violé des principes de justice naturelle. Après
dépôt de la demande fondée sur l'article 28, le Conseil a
convoqué les parties à une nouvelle audition en application de
l'article 119 du Code. Cette audition n'a donné lieu à aucune
modification de l'ordonnance. EPA fait valoir que (1) le Con-
seil ne l'a pas autorisée à soumettre une preuve complète
concernant une des plaintes et qu'elle n'a pu en présenter
aucune à l'égard des autres plaintes, à l'exception des éléments
communs; (2) le Conseil a admis des preuves illégales; (3) la
décision du Conseil est fondée en partie sur des inférences qui
ne sont étayées par aucune preuve et ses conclusions sont en fait
erronées; (4) le Conseil n'a pas fourni aux parties de transcrip
tion intégrale des procédures; (5) les actes du Conseil sont
empreints de partialité. EPA prétend également que le Conseil
a excédé sa compétence lorsqu'il a conclu que le fait de conférer
un statut d'employés permanents aux pilotes remplaçants
venant de l'extérieur de l'unité de négociation constituait une
pratique déloyale de travail et lorsqu'il a ordonné à EPA
d'éliminer de la convention collective une clause qu'elle avait
introduite à une époque où les deux parties n'avaient plus de
questions à négocier. EPA soutient que cette ordonnance a pour
effet de lui imposer une convention collective sous réserve
uniquement de ratification. EPA fait valoir en fin de compte
que le Conseil a porté atteinte à sa liberté d'expression.
Arrêt (le juge suppléant Cowan dissident): la décision du
Conseil est cassée.
Le juge Mahoney: Le Conseil n'a pas outrepassé sa compé-
tence lorsqu'il a ordonné à EPA d'éliminer de la convention
collective la nouvelle clause. Le Conseil tire sa compétence de
l'article 189 du Code qui lui permet de prononcer des ordon-
nances afin de remédier à toute conséquence que pourrait
entraîner une infraction, entre autres, aux articles 148 et 184.
L'ordonnance du Conseil a eu pour effet non pas d'imposer
mais de rétablir une convention collective complète qui avait
été négociée par EPA et ACPLA et qui n'exigeait alors que la
ratification des membres de ACPLA pour entrer en vigueur.
Pour ce qui est de la question du statut d'employés perma
nents conféré aux pilotes remplaçants, il n'y a aucune erreur
susceptible de révision judiciaire si l'intention du Conseil était
d'inclure seulement sous le qualificatif «permanent» les condi
tions d'emploi des pilotes remplaçants qui leur donneraient
priorité sur les pilotes en grève, après la grève. Toutefois, il
semble que le Conseil ait voulu employer le terme «permanent»
dans son sens ordinaire, c'est-à-dire comme antonyme de «tem-
poraire», lorsqu'il a déclaré dans ses motifs que les pilotes
remplaçants avaient été engagés en vertu de contrats de travail
individuels. En agissant ainsi, le Conseil a excédé sa compé-
tence. Il appartient au Parlement et non au Conseil de déclarer
qu'un employeur dont les employés sont en grève peut unique-
ment, aux yeux de la loi, engager des briseurs de grève.
Aucun des arguments basés sur la Charte n'est fondé.
Compte tenu de son article 1, la Charte n'interdit pas la
conclusion que, dans des circonstances données, l'exercice du
droit ainsi garanti à la liberté d'expression peut constituer une
pratique déloyale de travail comme, dans d'autres circons-
tances, elle pourrait constituer une diffamation.
Pour ce qui est de la question du déni de justice naturelle:
quant aux allégations de preuve illégale, le Conseil avait le droit
d'admettre en preuve des éléments relatifs à des événements qui
se sont déroulés après la date des plaintes de ACPLA. Le
paragraphe 122(1) du Code exclut l'examen des conclusions de
fait que le Conseil a tirées; ce paragraphe restreint le contrôle
judiciaire à des questions de justice naturelle et de compétence
en application de l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour
fédérale. Pour ce qui est de l'allégation de partialité, la déclara-
tion publique d'un employé du Conseil, mais qui n'est pas l'un
de ses membres, concernant la disposition possible d'une plainte
avant même qu'elle ait été déposée, ne peut justifier les alléga-
tions de partialité ou de crainte raisonnable de partialité diri-
gées contre le Conseil lui-même.
La politique du Conseil à l'égard de l'enregistrement des
procédures a fait l'objet d'une explication dans l'affaire Guilde
de la marine marchande du Canada, [1980] 3 Can LRBR 87.
On a estimé qu'une transcription intégrale pouvait empêcher le
Conseil de servir de tribune aux protagonistes du domaine des
relations du travail pour devenir un prétoire pour les avocats.
On peut conclure à juste titre, compte tenu des motifs de cette
décision, que le Conseil jugeait qu'il serait plus à même de
remplir sa mission si l'on dissuadait les parties de faire appel à
la Cour. Le Parlement avait déjà exprimé son accord puisqu'il a
limité, au paragraphe 122(1) du Code, les motifs d'examen
judiciaire à ceux exposés à l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la
Cour fédérale. Il s'ensuit que la mise en oeuvre de cette
politique n'était pas inéquitable vis-à-vis de EPA, du point de
vue des procédures.
Si la décision du Conseil n'est pas susceptible de révision sur
le fondement de ses conclusions de fait, ces conclusions doivent
être examinées dans le contexte de la question de savoir s'il y a
eu déni de justice naturelle à l'égard de EPA. La nature de
l'entente conclue entre EPA et les pilotes remplaçants a consti-
tué une question cruciale devant le Conseil ainsi que les disposi
tions du protocole de retour au travail proposé par EPA qui ont
été qualifiées par le Conseil de pratique déloyale de travail.
Deux témoins de EPA devaient aborder ces questions. Rien ne
permet de penser que la preuve présentée par ces deux témoins
pouvait être redondante ou constituer d'une autre manière un
abus des procédures du Conseil. Il ressort clairement de la
décision du Conseil qu'il n'a pas été donné à EPA, sur les points
qu'elle considérait importants, une possibilité raisonnable de
présenter sa propre argumentation et de répondre à celle de
ACPLA, en raison du refus du Conseil d'admettre certaines
preuves. Il est tout aussi évident que EPA, en raison de ce
même refus, a été privée de la possibilité de présenter des
preuves sur certains faits que le Conseil a spécifiquement jugé
constituer des pratiques déloyales de travail.
L'offre du Conseil de réviser sa décision, en application de
l'article 119, n'a pas eu pour effet de remédier au défaut, ni de
valider la décision, ni d'interdire à EPA de faire valoir son droit
au contrôle judiciaire. Si l'annulation par le Conseil de sa
propre décision peut effectivement rendre inutile une demande
fondée sur l'article 28, l'offre de révision de la décision n'a pas
le même effet.
Le juge en chef Thurlow (souscrivant en partie aux motifs du
juge Mahoney): Le fait que le Conseil a exercé le pouvoir qui
lui est conféré à l'article 119 du Code, sans l'accord et malgré
les objections de la requérante, est la preuve que le Conseil a
effectivement refusé de donner à la requérante la possibilité de
présenter ses preuves et doit être considérée comme une tenta
tive du Conseil de modifier la situation et de prévenir la
révision de son ordonnance par la Cour.
La question ayant trait à l'embauche à titre permanent de
pilotes remplaçants n'affecte pas la compétence du Conseil.
Elle constitue seulement un point de droit qui, si l'opinion du
Conseil est erronée, doit être corrigé par le Parlement, mais qui
ne peut être soumis à l'examen de la Cour.
Le juge suppléant Cowan (dissident): Le Conseil avait com-
pétence pour conclure, comme il l'a fait, que l'octroi d'un statut
d'employés permanents aux remplaçants et l'effet discrimina-
toire, à l'égard des pilotes en grève, de cette mesure et des
dispositions du protocole de retour au travail constituaient une
pratique déloyale de travail. La compétence du Conseil se fonde
sur les plaintes déposées par ACPLA alléguant des pratiques
déloyales de travail de la part de EPA. L'article 187 du Code
autorise le dépôt de telles plaintes, et l'article 188 impose au
Conseil l'obligation d'instruire et de juger lesdites plaintes.
L'article 189 prévoit que le Conseil peut, par ordonnance,
exiger que la partie se conforme aux articles pertinents du Code
et il dispose de larges pouvoirs pour en assurer l'application par
ladite partie. À supposer même que le Conseil ait fait une
erreur en concluant de la sorte, une telle erreur serait une
erreur de droit commise par le Conseil alors qu'il tranchait une
question qu'il avait compétence pour entendre et donc, à ce
titre, exclue du contrôle judiciaire de cette Cour par l'article
122.
L'allégation selon laquelle EPA n'a pas eu la possibilité de
compléter sa preuve est sans fondement. L'avocat de EPA ne
s'est jamais opposé, au cours de l'audience publique, à la
déclaration selon laquelle le Conseil n'entendrait plus aucune
preuve orale, et il n'a jamais indiqué que EPA avait d'autres
témoins qu'elle souhaitait citer à la barre. Le fait que EPA a
refusé de participer à la nouvelle audition et de produire des
preuves supplémentaires tend à appuyer la conclusion selon
laquelle EPA n'avait aucune autre preuve additionnelle à pré-
senter et jugeait suffisant de s'appuyer sur ce qu'elle estimait
être la faiblesse juridique de l'argumentation de ACPLA et
l'absence de compétence du Conseil pour accorder le redresse-
ment demandé par le syndicat.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Guilde de la marine marchande du Canada c. Canadien
Pacifique Limitée, [1980] 3 Can LRBR 87; Administra
tion de la voie maritime du St-Laurent et autre c.
Conseil canadien des relations du travail et autre,
(1979), 31 N.R. 196 (C.F. Appel).
AVOCATS:
Roy L. Heenan et Peter M. Blaikie pour la
requérante.
Ian G. Scott, c.r., pour le Conseil canadien
des relations du travail, intimé.
John T. Keenan, Lila Stermer et Luc Marti-
neau pour l'Association canadienne des pilotes
de lignes aériennes, intimée.
Eric Durnford pour les «nouveaux pilotes».
PROCUREURS:
Heenan, Blaikie, Jolin, Potvin, Trépanier,
Cobbett, Montréal, pour la requérante.
Gowling & Henderson, Toronto, pour le Con-
seil canadien des relations du travail, intimé.
John T. Keenan, Montréal, pour l'Association
canadienne des pilotes de lignes aériennes,
intimée.
McInnes, Cooper & Robertson, Halifax, pour
les «nouveaux pilotes».
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW (souscrivant en
partie aux motifs du juge Mahoney): J'ai eu le
privilège de lire et d'analyser les motifs de juge-
ment rédigés par le juge Mahoney. Je partage son
avis lorsqu'il dit que la preuve montre que le
Conseil canadien des relations du travail a violé un
principe de justice naturelle en refusant à la requé-
rante la possibilité raisonnable de présenter son
argumentation et, en particulier, en formulant des
conclusions sur une preuve que la requérante n'a
pas eu la possibilité de réfuter, bien qu'elle ait été
prête à le faire en présentant des témoins. Je ne
suis pas convaincu non plus qu'en l'espèce, on
puisse déduire des circonstances de l'affaire que la
requérante a renoncé à son droit de citer des
témoins pour réfuter la preuve en question.
De plus, puisque le Conseil a rendu, le 27 mai
1983, une ordonnance qui a pris effet immédiate-
ment, j'estime qu'il y a lieu de tenir compte de la
manoeuvre entreprise le 26 juillet 1983 par le
Conseil lui-même, sans l'accord et malgré les
objections de la requérante, en vue d'exercer le
pouvoir que lui confère l'article 119' du Code
canadien du travail [S.R.C. 1970, chap. L-1
(abrogé et remplacé par S.C. 1972, chap. 18, art.
1)], après le dépôt par la requérante en cette Cour
d'une demande d'examen de l'ordonnance du Con-
seil et après que la présente Cour a donné des
directives particulières pour accélérer les procédu-
res; en effet, cette manoeuvre devrait être considé-
rée, à mon avis, comme la preuve que le Conseil a
effectivement refusé de donner à la requérante la
possibilité de présenter ses preuves, alors qu'elle en
avait le droit, et comme une tentative du Conseil
de modifier la situation et de prévenir la révision
de son ordonnance par la Cour. Au stade auquel
étaient parvenues les procédures à la fin du mois
d'avril, l'alinéa 188(1)b) du Code imposait au
Conseil d'«instruire et juger» les plaintes déposées.
La requérante avait droit à l'audition équitable de
son argumentation sur les plaintes avant que la
question soit tranchée. On ne peut substituer à
cette obligation l'offre faite à la requérante, par la
suite, de la possibilité de réfuter, si elle le pouvait,
les conclusions déjà prononcées et exprimées avec
force par le Conseil.
En ce qui concerne les diverses allégations de la
requérante selon lesquelles l'ordonnance du Con-
seil excédait sa compétence, je souscris à l'opinion
du juge Mahoney sauf en ce qui concerne un point:
la conclusion par le Conseil que l'embauche de
pilotes de remplacement, à titre permanent, était,
I 119. Le Conseil peut reviser, annuler ou modifier toute
décision ou ordonnance rendue par lui et peut entendre à
nouveau toute demande avant de rendre une ordonnance rela
tive à cette dernière.
dans les circonstances, illégale ne soulève pas la
question de la compétence du Conseil mais consti-
tue seulement un point de droit qui, si l'opinion du
Conseil est erronée, doit être corrigé par le Parle-
ment, mais qui ne peut être soumis à l'examen de
la Cour.
Je trancherais cette affaire de la manière propo
sée par le juge Mahoney.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Au cours d'une grève
légale des pilotes de la requérante Eastern Provin
cial Airways Limited (ci-après «EPA»), l'agent
négociateur accrédité, l'Association canadienne
des pilotes de lignes aériennes (ci-après
«ACPLA»), intimée, a déposé trois plaintes de
pratiques déloyales de travail contre EPA, et EPA
a contre-attaqué avec deux plaintes dirigées contre
ACPLA. ACPLA, dans les plaintes ainsi déposées,
allègue que EPA n'a pas négocié de bonne foi et a
donc contrevenu à l'alinéa 148a) du Code cana-
dien du travail 2 ; que EPA s'est ingérée dans l'ad-
ministration du syndicat, en contravention de
l'alinéa 184(1)a) et a pris des mesures discrimina-
toires, a cherché à intimider et a menacé des
employés en grève, en contravention du sous-alinéa
184(3)a)(vi). Les plaintes de EPA allèguent que
ACPLA n'a pas négocié de bonne foi, contraire-
ment à l'alinéa 148a) et a cherché, en usant de
menaces ou de coercition, à contraindre des per-
sonnes à devenir et à cesser d'être membres du
syndicat, en contravention de l'article 186. La
demande déposée en vertu de l'article 28 vise la
conduite des auditions concernant ces plaintes par
l'intimé, le Conseil canadien des relations du tra
vail (ci-après «le Conseil»), et les ordonnances qui
ont suivi ces auditions. EPA soutient qu'il y a eu à
son égard déni de justice naturelle au cours des
procédures et que le Conseil n'était pas compétent
pour prononcer les ordonnances rendues à l'issue
des auditions.
Le Conseil a siégé les 28 et 29 mars 1983. Il a
ajourné l'audience à la demande des parties. L'au-
dience a repris à la demande de ACPLA. Elle s'est
2 S.R.C. 1970, chap. L-1 (mod. par S.C. 1972, chap. 18;
1977-78, chap. 27).
poursuivie les 18, 19, 20 et 21 avril. Il n'a pas été
fait de transcription intégrale des procédures.
Nous avons la preuve littérale produite devant le
Conseil mais, pour ce qui s'est passé aux audien
ces, nous n'avons que les affidavits déposés par
EPA et ACPLA. Les [TRADUCTION] «rapports
d'audience publique», qui n'ont pas été datés ni
vérifiés (dossier conjoint, pages 602 et 609 et s.)
ont été préparés dans des circonstances inconnues
de la Cour et n'ont aucune valeur probante.
ACPLA a soumis l'affidavit de Ronald Young. Il a
été contre-interrogé à ce sujet. EPA a soumis les
affidavits de Ralph D. Farley (dossier conjoint,
pages 710 717), Danny J. Kaufer (pages 718 à
720), Genevieve Payne (pages 721 et 722), Wil-
liam J. Verrier (pages 723 727), Chester Walker
(pages 728 733), Eero O. Lahtinen (pages 734 à
737), Kevin C. Howlett (pages 738 740) et Peter
D. Chalmers (pages 741 et 742). Farley et Kaufer
ont été contre-interrogés. Le Conseil a rendu sa
décision et prononcé une ordonnance le 27 mai
(pages 615 707). Il a rejeté les plaintes déposées
par EPA et a fait droit à celles de ACPLA. La
demande fondée sur l'article 28 a été déposée le ler
juin. Le 29 juin, la Cour a prononcé une ordon-
nance afin de donner des directives concernant le
calendrier des procédures, en vue d'entendre cette
demande dès que possible après le 15 août. Le 26
juillet, après la production en cette Cour d'affida-
vits concernant ce qui s'était passé aux audiences
et après les contre-interrogatoires à leur sujet, le
Conseil a convoqué les parties à une nouvelle
audition des plaintes, conformément à l'article 119
du Code. EPA y assistait mais a refusé de partici-
per à cette nouvelle audition. ACPLA a déposé,
entre autres, une copie du dossier conjoint préparé
aux fins de cette demande, y compris les affidavits
de EPA. La nouvelle audience, qui n'a donné lieu à
aucune modification de l'ordonnance, a été tenue
les 2 et 3 août. Le Conseil en a fait une transcrip
tion intégrale. Sur demande du Conseil, cette
transcription a été ajoutée au dossier conjoint, à
l'audition de la présente demande.
Selon EPA, les violations de principes de justice
naturelle sont, en résumé, les suivantes:
[TRADUCTION] 1. Le Conseil a entendu EPA plaider unique-
ment une inscription en droit à l'égard des plaintes de ACPLA et
a cependant statué au fond sur les cinq plaintes.
2. Le Conseil n'a pas autorisé EPA à soumettre une preuve
complète concernant la plainte de ACPLA fondée sur l'al.
184(1)a) et, sauf dans la mesure où la preuve concernant cette
plainte pouvait s'y rapporter, ne disposait d'aucune preuve sur
les quatre autres plaintes.
3. Passant outre à une opposition, le Conseil a admis des
preuves illégales.
4. La décision est fondée en partie sur des inférences qui ne sont
étayées par aucune preuve et les conclusions sont en fait
erronées.
5. Le Conseil n'a pas fourni aux parties de transcription
intégrale des procédures ni ne les a autorisées à établir une telle
transcription.
6. Pris dans leur ensemble, les actes du Conseil, avant et
pendant les audiences, sont empreints de partialité.
Les excès de pouvoir allégués sont les suivants:
[TRADUCTION] 7. Les ordonnances prononcées excèdent la
compétence du Conseil telle que définie dans le Code canadien
du travail.
8. Le Conseil a excédé sa compétence en formulant des conclu
sions si manifestement déraisonnables qu'elles ne peuvent,
rationnellement, être appuyées par le Code.
9. Le Conseil a excédé sa compétence en portant atteinte à la
liberté d'expression de EPA qui est guarantie par la Charte des
droits et libertés.
Le Code canadien du travail prévoit:
122. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente
Partie, toute ordonnance ou décision du Conseil est définitive et
ne peut être remise en question devant un tribunal ni revisée
par un tribunal, si ce n'est conformément à l'alinéa 28(1)a) de
la Loi sur la Cour fédérale.
La Loi sur la Cour fédérale 3 dit:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute
autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger
une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou
ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature
administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com
mission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédu-
res devant un office, une commission ou un autre tribunal
fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a
autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une
erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du
dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion
de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans
tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
Dans la modification de 1977-78 du Code [chap.
27, art. 43], le Parlement a exclu le contrôle
judiciaire en vertu des alinéas b) et c) du paragra-
phe 28(1).
3 S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10.
La présente demande soulève d'importantes
questions que la Cour a compétence pour trancher.
Les questions qui ne sont pas étayées par la preuve
ou qui, si graves soient-elles, ne sont pas de notre
compétence, apparaissent aux points 3, 4, 6, 7 et 9.
En ce qui concerne le point 3, le Conseil avait le
droit d'admettre des preuves relatives aux événe-
ments postérieurs à la date du dépôt des plaintes
de ACPLA. L'examen du point 4 est exclu par le
paragraphe 122(1). Pour ce qui est du point 6, la
déclaration publique d'un employé du Conseil,
mais qui n'est pas l'un de ses membres, concernant
la disposition possible d'une plainte avant même
qu'elle ait été déposée, est déplorable et inappro-
priée et a pu avoir une incidence sur la situation
particulièrement délicate d'une grève acrimo-
nieuse, mais ne peut justifier les allégations de
partialité ou de crainte raisonnable de partialité
dirigées contre le Conseil lui-même. Pour ce qui
est du point 9, j'estime qu'aucun des arguments
basés sur la Charte canadienne des droits et liber-
tés [qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] n'est fondé.
Compte tenu de son article 1, la Charte, à mon
avis, n'interdit pas la conclusion que, dans des
circonstances données, l'exercice du droit ainsi
garanti à la liberté d'expression peut constituer
une pratique déloyale de travail comme, dans d'au-
tres circonstances, elle pourrait constituer une
diffamation.
Pour ce qui est du point 7, les détails donnés
dans chacune des plaintes de ACPLA sont appa-
remment identiques. Parmi les choses que le Con-
seil a jugé constituer des pratiques déloyales de
travail, était mentionnée l'addition par EPA, le 4
avril 1983, d'une nouvelle proposition en vue
d'ajouter à la convention collective une troisième
année à 5 % alors que, jusqu'à cette date, une
durée de deux ans avait été retenue comme base de
négociation. Les plaintes ACPLA sont datées du 7
mars, et précèdent donc d'un mois l'introduction
par EPA de la clause relative à la troisième année.
Il s'agit néanmoins d'une manifestation du défaut
allégué de négocier de bonne foi comme l'exige
l'article 148. Le préambule du Code canadien du
travail [S.C. 1972, chap. 18] définit l'intention du
Parlement.
Et Considérant que le Parlement du Canada désire continuer
et accentuer son appui aux efforts conjugués des travailleurs et
du patronat pour établir de bonnes relations et des méthodes de
règlement positif des différends, et qu'il estime que l'établisse-
ment de bonnes relations industrielles sert l'intérêt véritable du
Canada en assurant à tous une juste part des fruits du progrès;
Il ne serait pas conforme à cette intention d'établir
de bonnes relations entre travailleurs et
employeurs de limiter l'examen du Conseil, une
fois qu'il est saisi d'une plainte, aux événements
relatés dans la plainte ni d'imposer une date anté-
rieure quand le sujet de la plainte, par sa nature
même, évolue constamment, comme c'était le cas
en l'espèce. Je ne vois aucun fondement à la thèse
ainsi soutenue par EPA dans l'exigence d'un con-
sentement écrit du Ministre (paragraphe 187(5))
ni dans le consentement lui-même (dossier con
joint, page 217).
Le Conseil a conclu que EPA avait présenté à
ACPLA une convention collective, datée du 4 avril
et signée par EPA, dont les clauses reflétaient tout
ce qui avait été convenu par les parties et un seul
point, concernant une augmentation de salaire de
5 % pour une troisième année, sur lequel l'ACPLA
n'avait pas donné son accord. L'introduction de ce
point, à ce stade des négociations, a été considéré
comme une pratique de travail déloyale. Le Con-
seil a ordonné (dossier conjoint, page 618):
[TRADUCTION] i) que l'employeur cesse de négocier de mau-
vaise foi et fasse tout effort raisonnable pour conclure une
convention collective. À cette fin, le Conseil ordonne à Eastern
Provincial Airways d'éliminer de la convention collective qu'elle
propose à l'Association canadienne des pilotes de lignes aérien-
nes l'article la prolongeant d'un an, pour qu'elle soit d'une
durée de trois ans.
Le Conseil ordonne en outre à l'Association canadienne des
pilotes de lignes aériennes d'étudier le texte du projet de
convention collective proposé et présenté par Eastern Provincial
Airways Ltd. le 4 avril 1983, en tenant compte du fait que
toute allusion à la troisième année de la convention collective
proposée a été supprimée par le Conseil, et de soumettre ledit
texte à la ratification de ses pilotes membres de la section
locale, et ce, au plus tard trois (3) jours ouvrables après que la
présente ordonnance aura été rendue.
En cas de ratification, l'Association canadienne des pilotes de
lignes aériennes devra faire parvenir par télex au Conseil, dans
les 24 heures, une déclaration indiquant si elle est prête à signer
la convention.
Dans l'éventualité où l'Association canadienne des pilotes de
lignes aériennes confirmerait la ratification mentionnée au
paragraphe précédent, il sera jugé qu'une convention collective
lie les parties aux fins du Code canadien du travail (Partie V—
Relations industrielles).
EPA soutient que l'élimination de cette clause
ainsi prescrite, et tout ce qui en découle, revient en
fait à lui imposer une convention collective sous
réserve uniquement de ratification.
L'article 189 du Code énumère un certain
nombre d'ordonnances précises que le Conseil peut
prononcer s'il conclut qu'il y a eu pratiques déloya-
les. Aucune d'elles n'est appropriée. L'article
conclut:
189. .. .
en outre, afin d'assurer la réalisation des objectifs de la pré-
sente Partie, le Conseil peut, à l'égard de toute infraction à
quelque disposition visée par le présent article, exiger d'un
employeur ou d'un syndicat, par ordonnance, de faire ou de
s'abstenir de faire toute chose qu'il est juste de lui enjoindre de
faire ou de s'abstenir de faire afin de remédier ou de parer à
toute conséquence défavorable à la réalisation des objectifs
susmentionnés que pourrait entraîner ladite infraction, et ce en
plus ou à la place de toute ordonnance que le Conseil est
autorisé à rendre en vertu du présent article.
L'article 189 s'applique, entre autres, aux articles
148 et 184. Le Conseil y trouve sa compétence.
Dans les circonstances, j'estime que le Conseil a
raison. Puisque le Conseil avait conclu, quant aux
faits, que, [TRADUCTION] «au 4 avril 1983, les
deux parties n'avaient plus de questions à négo-
cier» (dossier conjoint, page 656) et que l'introduc-
tion d'une troisième année, au mois d'avril, consti-
tuait une pratique déloyale de travail, l'ordonnance
enjoignant à l'employeur de cesser de demander
cette prolongation a eu pour effet non pas d'impo-
ser mais de rétablir une convention collective com-
plète qui avait été négociée par EPA et ACPLA et
qui n'exigait alors que la ratification des membres
de ACPLA pour entrer en vigueur.
Compte tenu du résultat que je propose à l'égard
de cette demande, pour d'autres motifs, il n'est pas
indispensable de traiter du point 8 dans tous ses
détails, comme il aurait été nécessaire de le faire
en d'autres circonstances. L'excès de pouvoir allé-
gué repose sur deux points.
La prolixité de la décision du Conseil crée,
peut-être inévitablement, une certaine ambiguïté.
Un des actes de EPA que le Conseil a jugé être
une pratique déloyale de travail, consistait à confé-
rer un [TRADUCTION] «statut d'employés perma
nents à des personnes ne faisant pas partie de
l'unité de négociation et qui ont remplacé des
employés qui participaient à une grève légale»
(dossier conjoint, page 616). Comme le reconnaît
le Conseil (dossier conjoint, page 645), il est par-
faitement légal, aux termes du Code canadien du
travail, pour un employeur visé par une grève de
chercher à poursuivre ses activités, s'il le peut, en
engageant des remplaçants pour les employés en
grève.
Je ne vois là aucune erreur susceptible de révi-
sion judiciaire si, comme je le crois, l'intention du
Conseil était d'inclure seulement sous le qualifica-
tif «permanent» les conditions d'emploi des pilotes
remplaçants qui, selon lui, leur donneraient prio-
rité sur les pilotes en grève, après la grève. Si
toutefois le mot «permanent» était utilisé dans son
sens ordinaire, comme antonyme de «temporaire»,
la situation serait totalement différente. Il n'est
pas inconcevable que le Conseil ait eu cette der-
nière intention. Par exemple, traitant de ce point
(dossier conjoint, page 669), le Conseil dit:
[TRADUCTION] Les pilotes remplaçants ont été engagés en
vertu de contrats de travail individuels. S'il s'agit d'un contrat
temporaire prenant fin au moment où se termine la grève, il n'y
a aucun problème.
Je pense qu'il appartient au Parlement et non au
Conseil de déclarer qu'un employeur dont les
employés sont en grève peut uniquement, aux yeux
de la loi, engager des briseurs de grève.
Dans les parties X et XI de sa décision (dossier
conjoint, pages 692 à 707), le Conseil cherche à
introduire dans le droit du travail canadien la
notion de grève qui aurait commencé comme grève
économique (dossier conjoint, page 704) et qui
serait devenue dès le début une grève pour prati-
ques déloyales de travail (dossier conjoint, page
706). Le but de ce long exercice n'est pas évident.
En dehors de ce qui a été jugé constituer une
pratique déloyale de travail, rien n'a revêtu ce
caractère pour la simple raison que la grève est
réputée avoir été transformée dès le début en grève
pour pratiques déloyales de travail. Il s'agit donc
d'un raisonnement parfaitement tautologique qui
reste, en conséquence, entièrement obiter dicta. A
supposer que la notion exposée dans les parties X
et XI pourrait, dans certaines circonstances, avoir
une application pratique, la question de savoir s'il
appartient au Conseil de l'incorporer dans le droit
canadien ne devrait être tranchée que lorsque de
telles circonstances se produisent.
Il convient de parler maintenant de la question
de l'enregistrement (point 5). Les affidavits de
Farley, Kaufer et Payne traitent tous du refus du
Conseil d'autoriser l'enregistrement des procédu-
res. Parmi eux, seul Kaufer était présent le 18
avril. Pour ce qui est des audiences des 28 et 29
mars, il suffit de se référer à l'affidavit de Payne
qui est sténographe et qui travaille fréquemment à
la Cour suprême de Terre-Neuve dans le cadre des
interrogatoires préalables. Elle a été engagée par
EPA pour faire la transcription des procédures. Le
28 mars, elle a pris note de la déclaration suivante
du président:
[TRADUCTION] ... en conséquence, l'enregistrement de l'au-
dience ne sera pas autorisé. Le Conseil a pour politique de ne
pas faire l'enregistrement de ses audiences ...
Pour ce qui est des audiences du mois d'avril,
Kaufer, un des avocats de EPA, a déclaré, en ce
qui concerne Louise Vachon, une des secrétaires
travaillant pour EPA, que le président [TRADUC-
TION] «a informé les parties que les notes prises
par Vachon ne pourraient jamais être utilisées
devant un tribunal» et, après avoir remarqué que
Vachon utilisait un magnétophone pour l'aider
dans ses travaux, le président a demandé aux
avocats de s'approcher et leur a dit:
[TRADUCTION] ... qu'il avait décidé à St-Jean qu'il n'autorise-
rait ni les notes sténographiques ni l'enregistrement sur magné-
tophone de l'audience et qu'il ordonnait aux parties de cesser
d'enregistrer les procédures.
Tout cela s'est passé au cours de la première heure
de l'audience du 18 avril. Je suis convaincu que le
Conseil a empêché EPA d'établir la transcription
intégrale des procédures par quelque moyen prati-
que que ce soit.
La politique du Conseil à l'égard de l'enregistre-
ment des procédures a fait l'objet d'une longue
explication dans l'affaire Guilde de la marine
marchande du Canada c. Canadien Pacifique
Limitée'. Le Conseil avait jusqu'alors l'habitude
d'enregistrer ses procédures. Son changement de
politique est fondé sur un double motif. La trans
cription intégrale était, à son avis, inutile à partir
du moment où ses décisions n'étaient plus soumises
au contrôle judiciaire quand les motifs étaient
l'erreur de droit ou l'erreur absurde ou arbitraire
dans une conclusion de fait. Pour diverses raisons,
on a estimé qu'une transcription intégrale pouvait
empêcher le Conseil de servir de «tribune aux
4 [1980] 3 Can LRBR 87, aux pp. 91 et s.
protagonistes du domaine des relations du tra-
vail—les employés, les employeurs et les syndi-
cats—pour devenir un prétoire pour les avocats». Il
faut observer que le Conseil tient diverses sortes
d'audiences, et non seulement des audiences du
genre de celles en cause en l'espèce. Le raisonne-
ment invoqué pour ce changement de politique
peut être plus plausible dans certains cas que dans
d'autres.
On peut, à mon avis, conclure à juste titre,
compte tenu des motifs de cette décision, que le
Conseil jugeait qu'il serait plus à même de remplir
sa mission si l'on dissuadait les parties de faire
appel à la Cour. Le Parlement avait déjà exprimé
son accord puisqu'il avait limité les motifs d'exa-
men judiciaire au déni de justice naturelle et aux
questions de compétence. Aux pages 95 et 96 du
recueil, le Conseil poursuit en ces termes:
[TRADUCTION] Pour les mêmes raisons, nous avons décidé de
ne pas permettre aux parties d'utiliser du matériel d'enregistre-
ment au cours des auditions. Nous jugeons qu'une telle mesure
irait à l'encontre du but que nous poursuivons puisqu'elle
contribuerait à réintroduire, sur une base sélective, l'atmo-
sphère que nous avons cherché à éliminer. Notre expérience
nous a prouvé que si l'enregistrement présente peu d'avantages
pendant la durée d'une audition, il peut par contre en présenter
par la suite. Autrement, pourquoi les parties en voudraient-
elles? Ces enregistrements peuvent servir, par exemple, à faire
de la propagande écrite au sujet d'un conflit. Ils permettent
également aux parties d'en faire passer des versions épurées à la
radio ou à la télévision, de préparer de futurs témoins lorsqu'il y
a exclusion des témoins ou ajournement, ou encore, de s'en
servir à d'autres fins issues de leur imagination. Le Conseil ne
permettra pas que ses procédures et ses efforts de médiation
soient exposés à ces compromis latents.
Une autre raison évidente pour laquelle une des
parties pourrait souhaiter avoir une transcription
intégrale, et qui pourtant n'est pas mentionnée,
serait de faciliter l'exercice de son droit de recours
au contrôle judiciaire.
Il est indubitable qu'une transcription intégrale
aurait facilité la tâche de la présente Cour. Toute-
fois, le refus d'autoriser EPA à enregistrer les
audiences ne constitue pas, en soi, un déni de
justice naturelle bien qu'il ait pour but, notam-
ment, de rendre plus difficile le recours devant la
présente Cour. Puisqu'elle s'appliquait aux deux
parties à ce différend, et même à toutes les parties
dans tous les litiges, la mise en oeuvre de cette
politique n'était pas inéquitable vis-à-vis de EPA,
du point de vue des procédures. Un tel refus expose
toutefois le Conseil à un examen des questions
relatives à la justice naturelle qui sera fondé sur les
preuves fournies par les parties quant au déroule-
ment des audiences, alors qu'il ne peut lui-même
être entendu à cet égard, à moins qu'il ne choisisse
de produire des affidavits et de permettre ainsi le
contre-interrogatoire de ses déposants.
J'en viens maintenant aux prétendus dénis de
justice naturelle mentionnés aux points 1 et 2.
Certains faits ne sont pas contestés en ce qui
concerne le déroulement de l'audience reprise le 18
avril et qui s'est poursuivie jusqu'au 21 avril.
[TRADUCTION] a. Dès la reprise de l'audience, le 18 avril, EPA
a demandé l'inscription en droit et ACPLA a demandé que les
preuves s'appliquent, et soient considérées pertinentes, pour les
cinq plaintes.
b. Le Conseil a remis à plus tard sa décision sur ces deux points
ainsi que le débat sur l'inscription et le Conseil est passé à la
présentation de la preuve concernant la plainte de ACPLA
déposée en vertu de l'al. 184(1)a).
c. ACPLA a terminé la présentation de sa preuve sur cette
plainte le 19 avril, en fin d'après-midi.
d. Un des témoins de EPA a terminé sa déposition le 20 avril. Le
deuxième témoin de EPA, le président de ACPLA, cité par
subpoena duces tecum, n'a pas été capable d'identifier certains
des documents et son témoignage a été suspendu. Vingt minutes
après le début de la déposition d'un troisième témoin de EPA
l'audience a été ajournée au lendemain.
e. À la reprise de l'audience, à 9 h, le 21 avril, le troisième
témoin de EPA était revenu à la barre des témoins mais n'avait
pas commencé sa déposition que l'audience publique a été
suspendue, le Conseil demandant aux avocats de se réunir à
huis clos.
f. À la reprise de l'audience publique, après 11 h,
(i) le reste des preuves littérales ont été soumises par les
parties et reçues par le Conseil, sur consentement, ou des
dispositions ont été prises à cette fin;
(ii) le Conseil a décidé qu'il accepterait la preuve admise
jusqu'alors à l'égard de la plainte en question comme preuve
recevable à l'égard des quatre autres;
(iii) le Conseil a annoncé qu'il entendrait les débats à la
reprise de l'audience, après le déjeuner, et a ajourné l'au-
dience. La question de l'inscription en droit a été spécifique-
ment mentionnée par le président qui a expliqué la notion.
g. Au moment de cette suspension de séance, certains témoins
de EPA, y compris le témoin alors à la barre, étaient présents et
prêts à faire leur déposition. (Il semble qu'à la suite de l'accord
sur les preuves littérales il n'était plus nécessaire de reprendre
l'interrogatoire du président de ACPLA.)
h. Après le déjeuner, l'avocat de EPA a commencé les débats.
i. Après les débats de l'après-midi, le Conseil a suspendu la
séance.
j. À la suite de la suspension de séance du 21 avril, le Conseil
n'a jamais repris les audiences publiques ni n'a reçu d'autres
preuves des parties, à l'exception des documents dont la produc
tion avait été convenue, ni reçu d'autres argumentations avant
de rendre sa décision sur le fond des cinq plaintes.
La question en litige est de savoir si EPA a eu la
possibilité: (1) de terminer la présentation de sa
preuve sur la plainte déposée par ACPLA en vertu
de l'alinéa 184(1)a); (2) de présenter sa preuve,
au-delà de la preuve commune sur les autres plain-
tes, y compris la sienne; et (3) de faire valoir son
argumentation sur autre chose que l'inscription en
droit.
Young, le déposant pour l'affidavit de ACPLA,
n'est pas avocat. Il a assisté à toute l'audience
publique mais n'a pas participé à la réunion à huis
clos du 21 avril. Farley et Kaufer, déposants pour
les affidavits de EPA, sont avocats. Kaufer était
présent le 18 avril; Farley ne l'était pas mais, à
cette exception près, a assisté à toutes les audien
ces et a participé à la réunion à huis clos. Je pense
qu'il faut préférer les témoignages de Farley et
Kaufer à celui de Young dans tous les cas de
désaccords sur la portée juridique des divers inci
dents. Certains des avocats de ACPLA ont assisté
à toutes les audiences et auraient pu présenter
leurs preuves devant cette Cour en cas de contesta-
tion sur ces points.
L'affidavit de Farley et son contre-interroga-
toire sont les seules preuves dont nous disposions
en ce qui concerne la réunion à huis clos. Le
contre-interrogatoire (pages 8,10 à 9,6) et le
nouvel interrogatoire (20,3 à 22,23) ne modifient
en rien la preuve introduite par son affidavit (dos-
sier conjoint, pages 713 et s., paragraphes 16 à
36). Après avoir traité des documents et de l'appli-
cation de la preuve reçue à toutes les plaintes,
l'affidavit poursuit:
[TRADUCTION] 22. Me Lapointe a alors déclaré que le Conseil
avait le pouvoir de décider à quel moment la preuve entendue
suffisait pour ordonner aux parties de débattre de la question;
23. Me Heenan, avocat de la requérante a indiqué son désac-
cord sur cette affirmation que le Conseil avait le pouvoir
d'ordonner le début des débats à tout moment;
24. Me Marc Lapointe a déclaré que le Conseil avait l'intention
d'en finir avec les cinq plaintes en fin d'après-midi;
25. Me Heenan, avocat de la requérante, a déclaré que ce serait
impossible;
Puis, après avoir relaté l'échange entre Me Heenan
et le président, l'affidavit conclut, en ce qui con-
cerne la réunion, de la manière suivante:
[TRADUCTION] 35. Immédiatement après la déclaration de Me
Heenan, Me Lapointe a déclaré que le Conseil ordonnait aux
parties de produire tous les documents qu'elles pouvaient pro-
duire sur consentement, et qu'il demandait aux parties de
commencer les débats immédiatement après le déjeuner;
36. À aucun moment au cours de cette réunion, le Conseil n'a
demandé aux avocats de la requérante de déclarer que la
défense de leur cliente était close ou de renoncer à la présenta-
tion de la défense de sa cliente ou même de demander des
instructions à sa cliente à ce sujet, et les avocats eux-mêmes ne
l'ont pas fait;
EPA n'aurait dû avoir aucun doute, après la
réunion à huis clos, qu'on attendait d'elle un débat
sur le fond et non seulement sur l'inscription en
droit. Il est significatif que l'affidavit de Farley ne
dit pas explicitement que EPA a débattu seule-
ment l'inscription et non le fond, une distinction
qu'il aurait appréciée à sa juste valeur, et la con
clusion que l'on peut tirer de cela est évidente.
Compte tenu également de la liste détaillée qu'a
donnée Young des sujets mentionnés par EPA au
cours des débats, je suis tout à fait convaincu que
EPA a effectivement débattu le fond et que l'allé-
gation de déni de justice naturelle (point 1) n'est
pas fondée dans les faits.
Il est également évident que le Conseil, à la
réunion à huis clos, a indiqué en termes clairs son
intention de ne recevoir aucune autre preuve que
les documents. En conséquence, il ne peut être tiré
aucune conclusion du défaut de EPA de formuler
son opposition à la reprise de l'audience publique.
L'objection a été formulée avec force, quoique sans
succès, pendant la réunion à huis clos. L'affidavit
de Farley, au paragraphe 10, établit également que
le Conseil a effectivement refusé d'autoriser certai-
nes questions, alors qu'il entendait la preuve orale
sur la plainte déposée en vertu de l'alinéa
184(1)a), au motif que ces questions n'étaient pas
pertinentes à l'égard de cette plainte.
Dans ses motifs, le Conseil a déclaré (dossier
conjoint, page 666), au sujet de la plainte déposée
en vertu du sous-alinéa 184(3)a) (vi):
[TRADUCTION] L'ACPLA a prétendu que M. H. Steele, prési-
dent d'EPA, dans un article paru le 2 mars dans le Globe and
Mail, est cité comme suit: «M. Steele a déclaré que les pilotes
engagés hier demeureront chez Eastern Provincial Airways
après que la grève sera réglée et que les employés en grève
peuvent devoir attendre que ces emplois se libèrent.» (c'est nous
qui soulignons) (par. 60). EPA, dans sa réponse à cette alléga-
tion précise, a indiqué: «L'intimé nie le contenu du paragraphe
... 60 tel qu'il est formulé» et ajoute «L'intimé ne peut être
tenu responsable pour les déclarations citées hors contexte par
la presse ou par la plaignante (voir le par. 43 de la réponse de
l'intimé).» Cependant, aux auditions publiques, aucune preuve
n'a été produite par EPA à l'appui de l'allégation figurant au
par. 43 de sa réponse.
Tôt, le 27 janvier, comme l'a relaté un témoin, le capitaine
Johnstone, M. Harry Steele, président d'EPA, lui a téléphoné.
Au cours de cette conversation, M. Steele lui a déclaré «J'ai les
emplois et les chèques de paie ... Nous continuerons de voler,
nous engagerons des pilotes remplaçants et vous ne retrouverez
peut-être pas un poste pour retourner au travail.» Le capitaine
Tanton, un autre témoin, a reçu quatre appels téléphoniques de
M. Steele, dont un a duré plus d'une heure. Au cours du
premier de ces appels, le 27 janvier, M. Steele lui a indiqué
qu'il désirait qu'il soit de son côté. Il a déclaré que c'était lui
qui détenait les postes et qui tirait les ficelles. Le 13 février, M.
Steele lui a indiqué que la compagnie engagerait de nouveaux
pilotes et que «Si vous désirez une place, vous feriez mieux de
revenir.» [C'est le Conseil qui souligne; les italiques sont de
moi.]
Puis, traitant de la plainte déposée en vertu de
l'alinéa 184(1)a), le Conseil déclare (dossier con
joint, pages 675 et 676):
[TRADUCTION] Le capitaine Tanton a témoigné qu'à l'occasion
du premier appel téléphonique du président Harry Steele, à
partir de Wabush, le 27 janvier 1983, 7 h 30, ce dernier lui
avait dit: «lorsque tout cela sera terminé, il n'y aura plus
d'ACPLA chez EPA» et qu'il allait se «débarrasser de ces
salauds». Tanton a ajouté qu'à la suite de cet appel, il était
bouleversé; «cela m'a secoué le pommier». À l'occasion du
deuxième appel téléphonique, le 13 février, M. Steele a discuté
en détail avec lui des problèmes de productivité, du point de vue
de la compagnie. M. Steele a également parlé des plans de
celle-ci pour l'avenir. Il a dit qu'elle ferait l'acquisition de
matériel supplémentaire, qu'elle désirait engager plus de pilotes
et qu'elle serait une compagnie où il n'y aurait pas de syndicat.
Le capitaine W.L. Tuck a également reçu des appels téléphoni-
ques du président Steele. Le premier de ces appels a été
effectué le 27 janvier, soit le premier jour de la grève. M. Steele
a monopolisé une grande partie de la conversation, affirmant
qu'il était convaincu que la grève des pilotes d'EPA n'était pas
une mesure prise par les gens de l'endroit mais qu'elle avait
plutôt été déclenchée à l'instigation du groupe de Toronto de
l'ACPLA. Au cours d'un deuxième appel téléphonique de M.
Steele, le dimanche suivant, le président d'EPA a dit ce qu'il
pensait des personnes en cause. Il a affirmé au capitaine Tuck
qu'il n'avait rien à redire contre les capitaines Lacey et Warren,
des gars de l'endroit. Il était d'avis que «toute la grève était
orchestrée depuis Toronto». Selon le témoin, Steele s'en est pris
au capitaine Cooke, le président de l'ACPLA. Finalement, pen
dant cette conversation, qui a duré près d'une heure, Steele lui
a demandé pourquoi, puisque la compagnie avait cédé sur la
question de l'exploitation interne des HS/748, les pilotes n'ac-
ceptaient pas le reste de l'offre. Dans un dernier appel, au cours
des derniers jours de février (un mardi ou un mercredi, selon le
témoin), M. Steele avait changé de ton. Il était plus direct et a
indiqué entre autres au capitaine Tuck qu'il était fatigué et
écoeuré de l'ACPLA et du syndicat. Il a dit: «Je ne peux plus
avoir affaire à eux.» Le témoin a ajouté qu'après cet appel
téléphonique, il était particulièrement secoué et avait envie de
rentrer au travail.
Toutefois, une autre déclaration attribuée à Steele,
publiée dans un article de presse du 2 mars, est
citée au sujet de la plainte logée en vertu de
l'alinéa 148a) (dossier conjoint, page 679) et il est
en outre souligné que EPA n'a pas démenti cette
déclaration et que M. Steele n'a pas comparu
comme témoin. Le Conseil a spécifiquement
conclu que cette déclaration constituait une prati-
que déloyale de travail (dossier conjoint, page
685).
M. Steele était présent le 21 avril et EPA avait
l'intention de le citer comme témoin (dossier con
joint, page 735). Si la décision du Conseil n'est pas
susceptible de révision sur le fondement de ses
conclusions de fait, ces conclusions doivent être
examinées dans le contexte de la question de savoir
s'il y a eu déni de justice naturelle à l'égard de
EPA au motif qu'elle n'aurait pas eu l'occasion
raisonnable de présenter son argumentation et de
répondre à celle de ACPLA.
La nature de l'entente conclue entre EPA et les
pilotes remplaçants a constitué une question cru-
ciale devant le Conseil. Selon le témoignage non
contesté de Kevin C. Howlett, directeur des rela
tions avec les employés, à EPA, les conclusions de
fait du Conseil, sur ce point, sont totalement erro-
nées; en outre, il était présent et devait témoigner.
De même, le capitaine Walker devait parler dans
son témoignage de la disposition du protocole de
retour au travail proposé par EPA qui a été quali-
fiée par le Conseil de pratique déloyale de travail.
C'était ce témoin qui se trouvait à la barre lorsque
le Conseil a décidé qu'il en avait entendu assez. La
question de savoir si sa décision aurait été diffé-
rente si le Conseil avait entendu la preuve men-
tionnée, par exemple, au paragraphe 23 de son
affidavit (dossier conjoint, page 731) ne nous con-
cerne pas. Ce qui nous intéresse, en revanche, c'est
que le Conseil aurait dû entendre la preuve. Le
paragraphe en question dit ceci:
[TRADUCTION] 23. À la date de la décision du Conseil, aucun
des pilotes encore en grève n'était qualifié pour voler; tous
devaient se qualifier de nouveau, après formation au sol, entraî-
nement en simulateur et en avion-école, et vols sous surveil
lance, certains sous supervision du ministère des Transports, ces
diverses étapes pouvant durer une semaine.
Rien dans le dossier conjoint ne me permet de
penser que la preuve proposée par Howlett et
Walker pouvait être redondante ou constituer
d'une autre manière un abus des procédures du
Conseil.
Les cas mentionnés sont des exemples. On pour-
rait en trouver d'autres.
Je conclus que l'allégation de déni de justice
naturelle (point 2) est bien fondée. Il ressort clai-
rement de la décision du Conseil qu'il n'a pas été
donné à EPA, sur les points qu'elle considérait
importants, une possibilité raisonnable de présen-
ter sa propre argumentation et de répondre à celle
de ACPLA, en raison du refus du Conseil d'ad-
mettre certaines preuves. Il est tout aussi évident
que EPA, en raison de ce même refus, a été privée
de la possibilité de présenter des preuves sur cer-
tains faits que le Conseil a spécifiquement jugé
constituer des pratiques déloyales de travail.
ACPLA soutient que, même si la Cour conclut
au déni de justice naturelle, le fait que le Conseil
ait décidé de revoir sa décision, en vertu de l'article
119, a remédié à ce défaut ou interdit à EPA de
s'en plaindre, ou les deux. Cet article dit ceci:
119. Le Conseil peut reviser, annuler ou modifier toute
décision ou ordonnance rendue par lui et peut entendre à
nouveau toute demande avant de rendre une ordonnance rela
tive à cette dernière.
Cette disposition a été examinée par la Cour dans
un arrêts où il était dit [aux pages 201 et 202], en
obiter dicta, que:
Il est bien vrai que cette disposition confère au Conseil le
pouvoir extraordinaire de réviser ses propres décisions. Le
Conseil peut, en exerçant ce pouvoir, corriger ses décisions;
notamment celles qu'il peut avoir rendues au mépris de princi-
pes de justice naturelle. Mais la simple existence de ce pouvoir
n'a pas pour effet de valider ces décisions et de les soustraire au
pouvoir de révision de la Cour en vertu de l'al. 28(1)a) de la Loi
sur la Cour fédérale.
En l'espèce, le Conseil n'a pas corrigé sa décision;
il a offert de la réviser et a invité les parties à faire
des représentations et à présenter des preuves à
cette fin. Cette offre, faite après le début des
procédures de la présente demande fondée sur
l'article 28, n'a pas eu pour effet, pas plus que la
simple existence du pouvoir de révision du Conseil,
de valider la décision, ni d'interdire à EPA de faire
valoir son droit au contrôle judiciaire. La correc
tion d'une décision, en vue de remédier à un déni
de justice naturelle, peut s'avérer difficile en prati-
que, une fois que le Conseil a communiqué sa
décision. En effet une demande fondée sur l'article
28 doit être déposée, compte tenu du paragraphe
28(2), dans les 10 jours qui suivent la première
5 Administration de la voie maritime du St-Laurent et autre
c. Conseil canadien des relations du travail et autre (1979), 31
N.R. 196 (C.F. Appel).
communication par le Conseil de sa décision à la
partie s'estimant lésée et la Cour doit, en vertu du
paragraphe 28(5), l'entendre et la juger sans délai.
Si l'annulation par le Conseil de sa propre décision
peut effectivement rendre inutile une demande
fondée sur l'article 28, l'offre de révision de la
décision n'a pas le même effet.
Je n'ai d'autre choix que d'annuler la décision
entièrement, malgré l'investissement considérable
des parties et du Conseil dans les procédures.
La décision comprend un peu plus de 94 grandes
pages dactylographiées; elle est éloquente et par-
fois passionnée. Compte tenu de la véhémence avec
laquelle la décision a été exprimée, il ne serait pas
sage de confier la nouvelle audition des plaintes
aux mêmes membres du Conseil et j'ordonnerais
donc qu'aucun de ces derniers ne soit autorisé à
participer à la nouvelle audition.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT COWAN (dissident): J'ai
lu les motifs de jugement rédigés par le juge
Mahoney et je souscris à son raisonnement concer-
nant les points soulevés au nom de la requérante
EPA, à l'exception de ce qui concerne l'allégation
d'excès de compétence du Conseil et la prétendue
violation par le Conseil d'un principe de justice
naturelle.
Je ne puis souscrire à la proposition selon
laquelle le Conseil a excédé sa compétence lors-
qu'il a conclu que EPA avait recouru à une prati-
que déloyale de travail, au sens de cette expression
aux articles 184(3)a)(vi) et 184(3)c), «en accor-
dant, comme le reflète la clause 12 du protocole de
retour au travail, le statut d'employés permanents
à des personnes ne faisant pas partie de l'unité de
négociation et qui ont remplacé des employés qui
participaient à une grève légale».
À supposer même, aux fins du débat, que le
Conseil ait fait une erreur en concluant de la sorte,
une telle erreur serait, à mon avis, une erreur de
droit commise par le Conseil alors qu'il tranchait
une question qu'il avait compétence pour entendre
et donc, à ce titre, exclue du contrôle judiciaire de
cette Cour par les dispositions de l'article 122 du
Code canadien du travail.
De plus, à mon avis, la conclusion en cause n'a
pas été formulée par le Conseil en vue de fonder sa
compétence. La compétence du Conseil se fonde
sur trois plaintes déposées par ACPLA alléguant
des pratiques déloyales de travail de la part de
EPA.
L'article 187 du Code autorise le dépôt de telles
plaintes, et l'article 188 imposait au Conseil, dans
les circonstances de l'espèce qui nous occupe,
l'obligation d'instruire et de juger lesdites plaintes.
L'article 189 prévoit que, lorsqu'en vertu de
l'article 188, le Conseil décide qu'une partie que
concerne une plainte a enfreint l'un des articles
pertinents du Code, il peut, par ordonnance, exiger
que ladite partie se conforme à ces articles et il
dispose de larges pouvoirs de prononcer des ordon-
nances pour en assurer l'application par ladite
partie.
La conclusion du Conseil qui est attaquée n'est
pas la seule constatation, par le Conseil, de prati-
ques déloyales de travail de la part de EPA. L'or-
donnance du Conseil énonce huit autres constata-
tions de pratiques déloyales de travail et de
violation des articles 148a), 184(1)a), 184(3)a)(vi)
et 184(3)b) et c) et l'ordonnance du Conseil est
fondée sur ces conclusions ainsi que la conclusion
visant spécifiquement la question du statut perma
nent des remplaçants engagés pendant la grève à
l'extérieur de l'unité de négociation.
Il ne faut pas oublier que la conclusion en cause
ne dit pas que l'octroi d'un statut permanent aux
pilotes de remplacement constitue en soi une prati-
que déloyale de travail. Le Conseil dit seulement
que EPA a recouru à une pratique déloyale de
travail «en accordant, comme le reflète la clause 12
du protocole de retour au travail, le statut d'em-
ployés permanents à des personnes ... qui ont
remplacé des employés».
Les dispositions du protocole de retour au tra
vail et, en particulier, celles de la clause 12 sont
traitées par le Conseil dans sa décision du 27 mai
1983 (dossier conjoint, pages 652 à 655). Le Con-
seil a trouvé que certaines dispositions étaient tout
à fait inhabituelles et touchaient dans une large
mesure la sécurité d'emploi des pilotes qui partici-
paient à la grève. Il était prévu que tous les pilotes
en grève seraient mis à pied; que ces pilotes ne
pourraient être rappelés au travail que lorsque des
postes vacants deviendraient disponibles; que, pen
dant une période de soixante jours, ils pourraient
être rappelés sans tenir compte de l'ancienneté;
que les dispositions de la convention collective
touchant le rappel ne s'appliqueraient pas aux
pilotes en grève et qu'ils ne pourraient déposer de
griefs sur cette question pendant une période de
soixante jours; et, surtout, que [TRADUCTION] «les
dispositions de la convention collective concernant
l'ancienneté ne touchaient pas le statut et la loca-
lité de base d'aucun des pilotes qui exerçaient
activement leurs fonctions ou qui avaient com-
mencé ou devaient commencer un stage de forma
tion à la date de la signature du présent protocole
de retour au travail».
Le Conseil poursuit alors (dossier conjoint, page
654):
[TRADUCTION] Les dispositions décrites ci-dessus auraient
eu pour conséquence de conférer une super ancienneté ou, à
toutes fins utiles, un statut d'employés permanent aux membres
de l'unité de négociation qui ont continué de travailler pendant
la grève ou qui ont franchi les lignes de piquetage durant son
cours, et ont travaillé ou étaient disponibles pour travailler
lorsque la grève se serait terminée. Elles accordaient également
les mêmes conditions supérieures aux nouveaux employés enga-
gés pendant la grève et même aux employés qui n'avaient
jamais fait partie de l'unité de négociation, mais qui étaient en
stage de formation ou devaient commencer un stage de forma
tion lorsque la grève aurait pris fin.
De toute évidence, l'employeur avait conclu avec certaines
personnes des contrats de travail individuels leur garantissant
un traitement privilégié au détriment des employés en grève, à
condition qu'ils ne participent pas à la grève, ou plus précisé-
ment, à condition qu'ils ne fussent pas en grève au moment où
elle aurait pris fin, contrats de la nature des fameux «contrats
de jaune» prohibés par l'alinéa 184(3)b) du Code.
À mon avis, le Conseil avait compétence pour
conclure, comme il l'a fait, que l'octroi d'un statut
d'employés permanents aux remplaçants, dans les
circonstances de l'espèce, et l'effet discriminatoire,
à l'égard des pilotes en grève, de cette mesure et
des dispositions du protocole de retour au travail
constituaient une pratique déloyale de travail con-
trevenant aux articles pertinents du Code.
Si, aux fins de la discussion, je suis parti du
principe que le Conseil avait fait une erreur en
concluant ainsi, je ne suis pas convaincu que tel a
été le cas.
Pour les raisons qui précèdent, je suis d'avis que
le Conseil n'a pas excédé sa compétence en pro-
fonçant la décision et l'ordonnance datées du 27
mai 1983.
Pour ce qui est de l'allégation selon laquelle le
Conseil n'aurait pas observé un principe de justice
naturelle, on a soutenu qu'il n'a pas été accordé à
EPA l'occasion de présenter une preuve complète
sur la plainte déposée par ACPLA en vertu de
l'alinéa 184(1)a) ni même de présenter quelque
preuve que ce soit, en plus de la preuve commune,
sur les autres plaintes, y compris la sienne.
Le Conseil a commencé l'audition de l'affaire le
matin du 18 avril 1983 et il avait été prévu qu'il
faudrait trois jours pour terminer la présentation
de la preuve et des arguments des parties, ACPLA
et EPA. Les 19 et 20 avril, l'audience s'est pour-
suivie très tard dans la soirée et, en fin de journée,
le 20 avril, le président du Conseil a déclaré que le
Conseil terminerait l'audition le 21 avril au soir,
une quatrième journée ayant été ainsi ajoutée au
temps prévu. Tous les témoins de ACPLA avaient
été entendus au sujet de la première plainte de
ACPLA et trois témoins avaient été cités au nom
de EPA, le dernier de ceux-ci ayant déjà témoigné
pendant une vingtaine de minutes au moment de
l'ajournement de l'audience à 22 h 40, le 20 avril.
Le capitaine Lacey, un des témoins de ACPLA,
avait été contre-interrogé pendant neuf heures par
l'avocat de EPA. En une occasion au moins, le
président a rappelé à l'avocat de EPA que certai-
nes de ses questions étaient répétitives et, en plu-
sieurs occasions, il a fait mention des limites de
temps fixées par le Conseil. Lorsque l'audience a
repris le 21 avril à 9 h, une discussion s'est engagée
au sujet des pièces et le Conseil a tenu une réunion
à huis clos avec les avocats. Le déroulement de
cette réunion est décrit dans l'affidavit de Farley et
dans son contre-interrogatoire sur cet affidavit. Il
n'y a pas d'autre compte rendu de ce qui s'est
passé à la réunion et nous devons admettre que le
président a déclaré que le Conseil avait le pouvoir
de décider à quel moment il avait entendu suffi-
samment de preuves pour ordonner aux parties de
commencer les débats; que le Conseil avait l'inten-
tion d'en terminer avec les cinq plaintes avant la
fin de la soirée; que l'avocat de EPA a affirmé que
ce serait impossible; que le président a alors dit
que le Conseil ordonnait aux parties de produire
tous les documents qu'ils pouvaient soumettre, sur
consentement, et qu'il leur demandait de commen-
cer les débats immédiatement après le déjeuner et
qu'à aucun moment, au cours de cette réunion ou
pendant l'audience publique, le Conseil n'a
demandé à l'avocat de EPA de déclarer que la
défense de sa cliente était close.
Les parties se sont alors réunies et ont convenu
d'admettre en preuve, comme pièces, un nombre
considérable de documents. Le Conseil a repris
l'audience publique après 11 h et il est évident que
toute la preuve littérale disponible en ce qui con-
cerne toutes les plaintes avait été soumise au Con-
seil par les parties. Le Conseil a affirmé qu'il
accepterait la preuve déjà fournie en ce qui con-
cerne la première plainte de ACPLA comme
preuve à l'égard des quatre autres plaintes et qu'il
entendrait les arguments des parties après la sus
pension de l'audience pour le déjeuner.
Pendant l'audience publique de la matinée du 21
avril, l'avocat de EPA ne s'est jamais opposé à la
déclaration selon laquelle le Conseil n'entendrait
plus aucune preuve orale, et il n'a jamais indiqué
que EPA avait d'autres témoins qu'elle souhaitait
citer à la barre.
Un affidavit de Ronald Young, directeur des
relations industrielles de ACPLA, a été produit
dans le cadre de la présente demande fondée sur
l'article 28. Young n'a pas participé à la réunion à
huis clos du 21 avril, mais il a assisté à toutes les
séances publiques du Conseil. Voici un extrait de
son affidavit:
[TRADUCTION] 9. Dans la soirée du 20 avril, le président
Lapointe a demandé à M' Heenan s'il pourrait donner au
Conseil quelques indications sur le nombre de témoins qu'il
avait l'intention de citer et M' Heenan a répondu qu'il avait
prévu un témoignage assez long et un témoignage plus court.
10. Le président lui a suggéré, compte tenu de l'heure
tardive, d'appeler le témoin dont le témoignage serait plus
court.
11. M° Heenan a indiqué que ce témoin n'était pas présent ce
soir-là.
12. Le président Lapointe a suggéré alors que M' Heenan
commence avec le témoin dont le témoignage était le plus long.
13. II s'agissait du capitaine Chester Walker.
14. L'autre témoin n'a jamais été identifié par M' Heenan.
15. M. Harry Steele était présent le matin du 21 avril et M'
Heenan n'a jamais demandé, ce jour-là, l'autorisation d'interro-
ger M. Harry Steele ni aucun autre témoin.
16. Dans la soirée du 20 avril, Me Heenan a demandé au
capitaine Chester Walker de venir à la barre des témoins.
17. Pendant l'interrogatoire principal du capitaine Walker, le
président Lapointe a rappelé plus d'une fois à Me Heenan qu'il
revenait sur des preuves qui avaient déjà été soumises au
Conseil.
18. Dès la matinée du 19 avril, jusqu'au dernier jour d'audi-
tion, le président Lapointe a fréquemment rappelé aux avocats
que les auditions seraient terminées dans les délais prévus,
c'est-à-dire initialement le 20 avril puis, après report de cette
date, le 21 avril et qu'ils seraient bien avisés de produire toutes
leurs preuves sans retarder les procédures.
19. À ma connaissance, à aucun moment pendant ces audi
tions, les avocats de EPA ou de ACPLA n'ont demandé ou exigé
plus de temps ou une nouvelle occasion d'appeler d'autres
témoins.
20. Autant que je sache, toute la preuve qui était produite
par les avocats des deux parties, du début à la fin des auditions,
était acceptée comme preuve soumise au Conseil sur les cinq
plaintes.
21. Le matin du 21 avril, pendant le témoignage de Chester
Walker, le président Lapointe a demandé aux parties de se
réunir en privé avec le président.
22. Je n'ai pas assisté à cette réunion.
23. À la fin de cette réunion, l'avocat de ACPLA m'a demandé
ainsi qu'à un certain nombre d'autres personnes de l'aider à
passer en revue toutes les preuves pertinentes qui n'auraient pas
encore été soumises par ACPLA.
24. Ces preuves étaient nécessaires afin de compléter la
présentation de notre cause à l'égard de toutes les plaintes.
25. À ma connaissance, les avocats et représentants de EPA
faisaient la même chose et passaient donc en revue les preuves
nécessaires pour terminer la présentation de leur cause.
26. À notre retour dans la salle d'audience, avant le déjeuner,
le président s'est assuré auprès des avocats que toutes les
preuves pertinentes avaient été produites devant le Conseil.
27. À ce moment-là, le président a dit aux parties que le
Conseil estimait que toutes les preuves pertinentes avaient été
produites et que le Conseil pensait avoir été saisi de tous les
faits pertinents dans les cinq plaintes.
28. Les deux avocats ont confirmé au président leur accord
quant à la soumission des dernières pièces et le président a alors
considéré que la présentation de la preuve était close.
29. Il a été demandé aux deux parties de revenir après le
déjeuner pour présenter le résumé de leur argumentation sur
toutes les questions dont le Conseil avait été saisi.
30. Aucun des avocats n'a fait d'objection à cette manière de
procéder.
Donnant ensuite le détail de l'argumentation
présentée par l'avocat de EPA, dans l'après-midi
du 21 avril, l'affidavit poursuit:
[TRADUCTION] 37. Au cours des débats susmentionnés,
l'avocat de EPA n'a jamais demandé ni exigé de présenter
d'autres témoins ou d'autres preuves, ni indiqué de quelque
manière qu'il s'attendait à ce qu'il lui soit permis de le faire.
38. Pendant toute la durée de l'audience, il était clair que les
plaintes seraient instruites et jugées au plus tard le 21 avril.
39. Il est manifeste que, le matin du 21 avril, le Conseil
estimait avoir été bien informé de tous les faits pertinents
concernant les cinq plaintes dont il avait été saisi.
40. Avant, pendant et après le résumé des argumentations
des avocats, il n'y avait aucun doute que les preuves et les
débats étaient terminés sur toutes les plaintes et que le Conseil
avait manifestement l'intention de prononcer sa décision sur le
fondement de ceux-ci.
Young a été longuement contre-interrogé sur
son affidavit et a répété, comme il l'avait déjà
déclaré, qu'à la reprise de l'audience publique vers
11 h le 21 avril, le président du Conseil a demandé
aux avocats des parties s'ils étaient d'accord en ce
qui concerne la preuve et les pièces présentées à
l'égard de toutes les plaintes et a déclaré que le
Conseil était en possession de tous les faits perti-
nents et, en outre, qu'il était convaincu que l'en-
semble de la preuve avait été introduite. (Procès-
verbal du contre-interrogatoire de Young, aux
pages 48 et 49; 51 53.)
Dans le dossier conjoint, le Conseil a produit,
comme document faisant partie de ses archives sur
cette affaire, un rapport relatif à l'audience publi-
que (dossier conjoint, pages 609 611) indiquant
qu'il avait été rédigé par S. Chartrand pour l'audi-
tion tenue du 18 au 21 avril 1983. Il porte les
initiales du commis «S.C.» et du président «M.L.»,
s'agissant de Me Marc Lapointe, c.r., président du
Conseil. Le rapport n'est pas attesté par affidavit
ni autrement et la date de sa rédaction n'est pas
indiquée. Il comporte les passages suivants (dossier
conjoint, page 611) en ce qui concerne les procédu-
res du 21 avril:
[TRADUCTION] 21 avril 1983
L'audience a repris à 9 h 25 et comme d'autres objections
étaient faites en ce qui concerne la pertinence de la preuve à
l'égard de l'affaire en question, l'audience a été suspendue par
le Conseil pour lui permettre de se réunir avec les représentants
des parties. Ces derniers ont de nouveau demandé que la preuve
soumise dans une des causes soit considérée comme se rappor-
tant aux autres, comme preuve relative aux trois plaintes
ACPLA et aux deux plaintes EPA. Le Conseil s'est réuni en privé
pour ensuite informer les parties qu'il accéderait à leur
demande compte tenu de l'abondance des preuves déjà introdui-
tes par les deux parties qui étaient certainement pertinentes à
l'égard de toutes les plaintes. Le Conseil a suggéré également
qu'il serait possible de réduire considérablement le temps néces-
saire pour terminer la présentation de la preuve, des deux côtés,
et pour les cinq plaintes, s'il était possible pour les parties
d'exposer clairement ce qui restait à produire pour mettre fin à
la présentation de la preuve dans tous les dossiers.
Les avocats des parties se sont alors réunis séparément et sont
revenus devant le Conseil (toujours pendant la suspension de
séance) en indiquant qu'ils s'étaient entendus sur l'ensemble des
preuves supplémentaires. Les pièces 57 à 63 ont été déposées au
nom de EPA et les pièces 64 à 66 ont été déposées au nom de
ACPLA. Les avocats de EPA ont déclaré que si les pilotes
travaillant pour Austin Airways devaient être appelés à témoi-
gner, ils déclareraient qu'ils avaient effectivement reçu copie de
la pièce 27. Cette affirmation a été acceptée au nom de ACPLA.
Le Conseil a repris l'audience publique et a donné son accord
formel sur la demande des parties de réunir les cinq demandes
et de soumettre la preuve déjà produite à l'égard des cinq
affaires. Le Conseil a également demandé aux avocats de
confirmer qu'ils étaient d'accord en ce qui concerne les preuves
additionnelles nécessaires pour terminer la présentation des
preuves sur tous les dossiers. Les avocats ayant confirmé leur
accord, le Conseil a alors lu la liste des pièces supplémentaires.
La stipulation concernant les pilotes de Austin Airways qui
témoigneraient avoir reçu la pièce 27 avait été annoncée publi-
quement par les avocats de ACPLA. La preuve ainsi terminée, le
Conseil a annoncé qu'il suspendait la séance pour le déjeuner et
qu'il entendrait l'argumentation des parties à la reprise de
l'audience.
Après le déjeuner, à la reprise de l'audience, les parties ont
soumis leurs arguments sur les objections préliminaires et sur le
fond de toutes les demandes. À la conclusion des débats, le
Conseil a dit qu'il prononcerait sa décision dès que possible. Les
représentants des parties ont remercié le Conseil et ont indiqué
qu'ils déposeraient la jurisprudence invoquée. Me Heenan a
également indiqué qu'il déposerait les documents qu'il avait
convenu de fournir au cours de l'audience en ce qui concerne la
date de l'approbation par le Conseil d'administration de ACPLA
de la grève à EPA. Me Lapointe dit que le Conseil en autorise-
rait le dépôt au plus tard le 22 avril 1983, avec copie à Me
Heenan et en réservant le droit de Me Heenan de faire des
observations sur ce point si cela était nécessaire.
Si l'on peut dire que le rapport concernant
l'audition n'a pas été dûment attesté et peut être
considéré comme une relation intéressée des faits,
il indique pourtant que les parties, à la reprise de
l'audience publique, un peu après 11 h le 21 avril,
ont confirmé leur accord en ce qui concerne la
preuve supplémentaire à fournir à l'égard de tous
les dossiers afin de terminer la présentation de la
preuve. Cela corrobore ce que déclarait Young
dans son affidavit et dans son contre-interrogatoire
sur ce point.
Il faut également noter que EPA, à la reprise de
l'audience publique, n'a pas fait objection à la
décision du Conseil de clore la présentation des
preuves orales. L'avocat de EPA s'était opposé à
cela au cours de la réunion à huis clos et avait
déclaré qu'il avait l'intention d'appeler d'autres
témoins, mais il n'a pas répété son opposition à
l'audience publique. Je pense qu'on pouvait s'at-
tendre à ce qu'il s'y oppose et demande que son
opposition soit prise en note par le Conseil s'il
pensait réellement que le Conseil ne disposait pas
de toutes les preuves nécessaires, tant littérales que
verbales, après la soumission par les parties des
pièces supplémentaires, à la suite de la suspension
de séance de la matinée. La personne qui a rédigé
le rapport d'audience précité a soigneusement pris
note d'un certain nombre d'objections soulevées à
l'occasion par les avocats.
Nous n'avons pas d'affidavit de M. Harry
Steele, président de EPA, qui expose en détail le
genre de témoignage qu'il aurait fait s'il avait été
appelé à la barre ou qui démente les déclarations
qui lui ont été attribuées dans les documents pro-
duits ou dans les témoignages entendus par le
Conseil.
Kevin C. Howlett a produit un affidavit contes
tant certaines conclusions du Conseil concernant
les contrats d'emploi des pilotes remplaçants et dit
que, dans son témoignage devant le Conseil, il
aurait indiqué qu'à aucun moment de la grève,
EPA n'avait offert de modifier l'ancienneté des
pilotes en grève ou des nouveaux pilotes; que la
formule de contrat de travail utilisée pour les
pilotes engagés après le ler mars 1983 était la
formule qui était utilisée pour tous les nouveaux
employés de EPA, à l'exception des cadres supé-
rieurs; que, même si le Conseil, dans sa décision,
fait allusion à des contrats de travail individuels
avec les nouveaux pilotes, dont le terme s'étendait
au-delà de la date de la fin de la grève, le fait est
que seules les formules types avaient été signées
avec les nouveaux pilotes et qu'à aucun moment de
la grève, EPA n'avait menacé de renvoyer des
pilotes en grève ou d'apporter des modifications à
leur ancienneté.
Toutefois, le protocole de retour au travail avait
été soumis au Conseil qui l'a interprété comme
comportant des dispositions qui donnaient aux
nouveaux pilotes le droit de garder d'autres postes
après la fin de la grève, selon des conditions qui
pouvaient porter atteinte aux droits d'ancienneté
des pilotes en grève au moment où la grève se
terminerait. Les contrats de travail ont peut-être
été signés selon les formalités habituelles, pour une
durée indéfinie, mais cela ne serait pas en contra
diction avec les conclusions du Conseil. Si EPA
estimait que la formulation des contrats conclus
avec les nouveaux pilotes était importante, l'occa-
sion lui avait été souvent fournie pendant les
quatre jours d'audience de les produire comme
pièces. Ces contrats auraient parlé d'eux-mêmes, à
la lumière des autres preuves soumises au Conseil.
Le capitaine Chester Walker, vice-président des
services opérations et entretien, à EPA, a produit
un affidavit déclarant notamment:
[TRADUCTION] 22. J'aurais déclaré dans mon témoignage qu'il
fallait plus de trois semaines pour former de nouveaux pilotes
qualifiés pour les vols sur nos lignes aériennes et pour obtenir le
certificat du ministère des Transports, avant d'autoriser le
pilote à assurer les vols de lignes pendant la grève.
23. À la date de la décision du Conseil, aucun des pilotes encore
en grève n'était qualifié pour voler; tous devaient se qualifier de
nouveau, après formation au sol, entraînement en simulateur et
en avion-école, et vols sous surveillance, certains sous supervi
sion du ministère des Transports, ces diverses étapes pouvant
durer une semaine.
Ces paragraphes soulèvent des questions qui ne
paraissent pas être pertinentes en ce qui concerne
les affaires soumises au Conseil. Personne n'a sou-
levé, devant le Conseil ni devant la présente Cour,
la question de la nécessité pour les pilotes de se
qualifier de nouveau, après une longue mise à pied,
afin de satisfaire aux exigences du ministère des
Transports. Mais ce problème n'affecte en rien les
conclusions du Conseil selon lesquelles les pilotes
en grève, même après les modalités requises pour
se qualifier de nouveau, seraient désavantagés par
rapport aux pilotes engagés pour les remplacer et
par rapport aux postes qu'ils occupaient avant la
grève.
Compte tenu de l'ensemble de la preuve, je ne
suis pas convaincu que EPA n'a pas bénéficié
d'une audition équitable et qu'elle n'a pas eu la
possibilité de présenter de manière adéquate son
argumentation devant le Conseil, et je ne suis pas
convaincu non plus que le Conseil a enfreint un
principe de justice naturelle.
Après le dépôt de la demande fondée sur l'arti-
cle 28, le Conseil a invité les parties à se présenter
devant lui afin de participer au réexamen par le
Conseil de sa décision et de son ordonnance du 27
mai 1983, y compris la soumission de tout autre
preuve ou argument supplémentaire pertinent.
ACPLA a comparu et n'a offert aucune autre
preuve additionnelle pertinente; EPA a comparu,
par courtoisie envers le Conseil, mais a refusé de
présenter d'autres preuves ou arguments parce
qu'elle s'opposait à la réouverture des dossiers en
raison des procédures de contrôle judiciaire qu'elle
avait engagées.
Il me paraît évident que l'existence du pouvoir
du Conseil, en vertu de l'article 119 du Code, de
réviser sa propre décision n'a pas pour effet de
valider sa décision ni de placer cette dernière en
dehors du pouvoir de contrôle judiciaire de la
présente Cour en vertu de l'alinéa 28(1)a) de la
Loi sur la Cour fédérale. Toutefois, la requérante
EPA s'était plainte que le Conseil, en avril 1983,
ne lui avait pas donné la possibilité de présenter
toute la preuve disponible; le Conseil a offert une
nouvelle audition de l'affaire les 2 et 3 août 1983
pour permettre aux parties de produire toute
preuve supplémentaire pertinente; EPA a refusé de
participer à cette nouvelle audition et de produire
des preuves supplémentaires. À mon avis, l'ensem-
ble de ces faits tend à appuyer la conclusion selon
laquelle, le 21 avril 1983, EPA n'avait en réalité
aucune autre preuve additionnelle pertinente à
présenter au Conseil et jugeait suffisant de s'ap-
puyer sur ce qu'elle estimait être la faiblesse juri-
dique de l'argumentation de ACPLA et l'absence
de compétence du Conseil pour accorder le redres-
sement demandé par le syndicat, quel que fut alors
l'état de la preuve.
Par ces motifs, je rejetterais la demande de EPA
fondée sur l'alinéa 28(1)a).
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