T-1180-83
Helix Investments Ltd. et Helix Shipping Limited
(requérantes)
c.
Lawson A. W. Hunter, directeur des enquêtes et
recherches, Loi relative aux enquêtes sur les coali
tions, John Bean, Jean G. Brazeau et E. Besruky
(intimés)
Division de première instance, juge Walsh—
Ottawa, 20 mai et 2 juin 1983.
Coalitions — Demande fondée sur l'art. 18 de la Loi sur la
Cour fédérale et l'art. 24 de la Charte visant à faire cesser la
perquisition au motif que l'art. 10 de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions viole l'art. 8 de la Charte, qui
interdit les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives —
L'autorisation accordée par le commissaire en vertu de l'art.
10(3) étant judiciaire selon l'arrêt Petrofina, la Division de
première instance est incompétente pour accorder un bref de
prohibition ou une injonction sous le régime de l'art. 18 — Les
requérantes devraient s'adresser à la Cour d'appel en vertu de
l'art. 28 même si leur demande pouvait être rejetée — La
demande d'autorisation formulée par le directeur et le fait
qu'il a ordonné la perquisition et exécuté celle-ci ne sont pas
soumis au contrôle par voie de prohibition puisqu'il ne s'agit
pas de fonctions judiciaires — La perquisition est une étape
préliminaire qui n'établit aucun droit — L'examen du plus
grand préjudice et du critère du préjudice irréparable n'est pas
favorable à l'octroi d'une injonction — Un arrêt pourrait
permettre la destruction de la preuve documentaire nécessaire,
ce qui rendrait inutiles une reprise de la perquisition et toute
l'enquête — La protection des requérantes est assurée par
l'obligation de confier au greffier les documents saisis — La
présence d'enquêteurs ne constitue qu'un embarras pour les
requérantes si la perquisition n'entraîne pas d'autres mesures
— Un recours en dommages-intérêts est possible si la perqui-
sition est illégale ou qu'elle soit faite d'une manière répréhen-
sible — La perquisition étant d'habitude nécessaire à la réali-
sation des objectifs que vise la Loi relative aux enquêtes sur
les coalitions, il est donc discutable qu'il s'agisse d'un abus
sous le régime de l'art. 8 — On peut appliquer l'art. 1 de la
Charte même si le caractère raisonnable énoncé à l'art. 8 fait
défaut — Dans le cadre d'une société libre et démocratique, la
justification de la perquisition peut être déduite de la longue
coexistence, non contestée, de l'art. 10 avec les protections de
common law — Les requérantes auraient la possibilité d'invo-
quer l'invalidité de l'art. 10 en contestant, sous le régime de
l'art. 24(2) de la Charte, l'utilisation des éléments de preuve
illégalement obtenus — La Cour n'est pas liée par l'arrêt
Southam de la Cour d'appel de l'Alberta selon lequel l'art.
10(1) et (3) est sans effet — L'arrêt Southam n'a pas examiné
l'art. 1 — Suivre l'arrêt Southam aurait pour effet d'étendre
l'interdiction en matière de perquisition au reste du Canada et,
par conséquent, de gêner les enquêtes — La Cour suprême
devra rendre une décision et la Loi relative aux enquêtes sur
les coalitions devrait peut-être être modifiée pour y prévoir de
plus grands contrôles sur l'autorisation des perquisitions —
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art.
18, 28(3) — Charte canadienne des droits et libertés, qui
constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R-U.),
art. 1, 8, 24 — Loi constitutionnelle de 1982, art. 52 — Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap.
C-23, art. 8 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 4),
10(1),(3), 14, 18, 19, 34(1)c) (abrogé et remplacé par idem, art.
16(1)), 47(1) (abrogé et remplacé par idem, art. 25), (2) —
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Demande
visant à faire cesser la perquisition au motif que l'art. 10 de la
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions viole l'art. 8 de la
Charte, qui interdit les fouilles, les perquisitions ou les saisies
abusives — La perquisition étant d'habitude nécessaire à la
réalisation des objectifs que vise la Loi, il est donc discutable
qu'il s'agisse d'un abus sous le régime de l'art. 8 — On peut
appliquer l'art. I de la Charte même si le caractère raisonna-
ble énoncé à l'art. 8 fait défaut — Dans le cadre d'une société
libre et démocratique, la justification de la perquisition peut
être déduite de la longue coexistence, non contestée, de
l'art. 10 avec les protections de common law — Les requéran-
tes auraient la possibilité d'invoquer l'invalidité de l'art. 10 en
contestant, sous le régime de l'art. 24(2) de la Charte, l'utili-
sation des éléments de preuve illégalement obtenus — Suivre
l'arrêt Southam de la Cour d'appel de l'Alberta aurait pour
effet d'étendre l'interdiction en matière de perquisition au reste
du Canada et, par conséquent, de gêner les enquêtes — La
Cour suprême devra rendre une décision et la Loi devrait
peut-être être modifiée pour y prévoir de plus grands contrôles
sur l'autorisation des perquisitions — Charte canadienne des
droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), art. 1, 8, 24— Loi constitutionnelle de 1982,
art. 52 — Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C.
1970, chap. C-23, art. 10(1),(3).
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Prohibition
— Demande fondée sur l'art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale
et sur l'art. 24 de la Charte visant à l'obtention d'une ordon-
nance interdisant la poursuite de la perquisition, au motif que
l'art. 10 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions viole
l'art. 8 de la Charte, qui interdit les fouilles, les perquisitions
ou les saisies abusives — L'autorisation accordée par le com-
missaire en vertu de l'art. 10(3) étant judiciaire selon l'arrêt
Petrofina, la Division de première instance est donc incompé-
tente pour accorder un bref de prohibition ou une injonction
sous le régime de l'art. 18 — La demande d'autorisation
formulée par le directeur et le fait qu'il a ordonné la perquisi-
tion et exécuté celle-ci ne sont pas soumis au contrôle par voie
de prohibition, puisqu'il ne s'agit pas de fonctions judiciaires
— La perquisition est une étape préliminaire qui n'établit
aucun droit — Suivre l'arrêt Southam de la Cour d'appel de
l'Alberta selon lequel l'art. 10(1) et (3) est sans effet aurait
pour effet d'étendre l'interdiction en matière de perquisition au
reste du Canada et, par conséquent, de gêner les enquêtes —
La Cour suprême devra rendre une décision et la Loi relative
aux enquêtes sur les coalitions devrait peut-être être modifiée
pour y prévoir de plus grands contrôles sur l'autorisation des
perquisitions — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e
Supp.), chap. 10, art. 18, 28(3) — Charte canadienne des
droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.), art. 8, 24 — Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 10(1),(3).
Compétence — Division de première instance de la Cour
fédérale — Demandes en vertu de la Charte — Brefs de
prérogative — Demande fondée sur l'art. 18 de la Loi sur la
Cour fédérale et sur l'art. 24 de la Charte visant à l'obtention
d'une ordonnance interdisant la poursuite de la perquisition,
au motif que l'art. 10 de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions viole l'art. 8 de la Charte, qui interdit les fouilles,
les perquisitions ou les saisies abusives — L'autorisation
accordée par le commissaire en vertu de l'art. 10(3) étant
judiciaire selon l'arrêt Petrofina, la Division de première
instance est donc incompétente pour accorder un bref de prohi
bition ou une injonction sous le régime de l'art. 18 — La
demande d'autorisation formulée par le directeur et le fait
qu'il a ordonné la perquisition et exécuté celle-ci ne sont pas
soumis au contrôle par voie de prohibition, puisqu'il ne s'agit
pas de fonctions judiciaires — La perquisition est une étape
préliminaire qui n'établit aucun droit — Suivre l'arrêt Sou-
tham de la Cour d'appel de l'Alberta selon lequel l'art. 10(1)
et (3) est sans effet aurait pour effet d'étendre l'interdiction en
matière de perquisition au reste du Canada et, par conséquent,
de gêner les enquêtes — La Cour suprême devra rendre une
décision et la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions
devrait peut-être être modifiée pour y prévoir de plus grands
contrôles sur l'autorisation des perquisitions — Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 18, 28(3)
— Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8, 24 — Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap.
C-23, art. 10(1),(3).
Une enquête a été menée par le directeur relativement à la
violation possible de l'alinéa 34(1)c) de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions. Nantis des mandats délivrés en
vertu de l'article 10, les autres intimés sont entrés dans les
locaux des requérantes et ont procédé à la perquisition. Les
requérantes ont introduit sur-le-champ la présente requête con-
formément à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale et à
l'article 24 de la Charte. Dans cette requête, elles sollicitaient
une ordonnance interdisant aux intimés de continuer la perqui-
sition et annulant les mandats, pour le motif que l'article 10
contrevient à l'article 8 de la Charte (qui interdit les fouilles,
les perquisitions ou les saisies abusives), et qu'il est donc sans
effet. Les requérantes demandaient également «toute autre
ordonnance que la Cour estime appropriée» et, sur la base de
cette requête, elles ont proposé à l'audition qu'une injonction
soit accordée. L'introduction de la requête n'a pas en soi
entraîné l'arrêt de la perquisition, mais une entente est interve-
nue pour apposer les scellés sur les documents saisis et les
confier au greffier de la Cour jusqu'à ce que celle-ci statue sur
les droits des requérantes.
Jugement: la requête est rejetée.
D'après l'arrêt Petrofina, la décision du membre de la Com
mission sur les pratiques restrictives du commerce qui a auto-
risé la perquisition est une décision judiciaire ou quasi judi-
ciaire. Cette Division n'a donc pas compétence à l'égard de
cette décision. Compte tenu du paragraphe 28(3) de la Loi sur
la Cour fédérale, elle ne saurait entendre une demande fondée
sur l'article 18, que celle-ci vise un bref de prohibition ou une
injonction. Le recours approprié offert aux requérantes serait
par voie d'une demande à la Cour d'appel fédérale en vertu de
l'article 28. Il est tout à fait possible que la Division d'appel
rejette une telle demande, mais cette possibilité ne permet pas à
la Division de première instance de prendre en considération
une question à l'égard de laquelle elle n'a pas par ailleurs
compétence.
Ces conclusions sont suffisantes pour statuer sur la présente
requête. Toutefois, les questions qu'elle soulève sont très impor-
tantes et urgentes; pour permettre à l'affaire de se dérouler
d'une manière aussi expéditive que possible, il est souhaitable
d'examiner à ce stade le fond de la demande, de sorte que
toutes les questions en litige soient soumises à la Cour d'appel
en même temps.
Ni la Commission ni le commissaire qui a autorisé le direc-
teur à entreprendre la perquisition n'ont été nommés à titre
d'intimés, et les personnes qui ont été ainsi désignées ne sau-
raient être soumises au contrôle par voie de prohibition relative-
ment à la conduite en litige. Selon les intimés, un bref de
prohibition n'est recevable que si la fonction exécutée est une
fonction judiciaire ou quasi judiciaire, et leurs actes sous le
régime de l'article 10 ne remplissaient pas cette condition. Bien
qu'il soit établi dans l'arrêt Petrofina que la Commission est
tenue d'agir de façon judiciaire en autorisant la perquisition
sous le régime du paragraphe 10(3), le fait pour le directeur de
demander le mandat ne constitue pas un acte judiciaire, et
lorsqu'il a par la suite, ordonné et exécuté la perquisition, il n'a
fait que s'acquitter d'un devoir que la loi lui impose, lequel
devoir découle du mandat. De plus, la perquisition sous le
régime du paragraphe 10(1) n'est qu'une étape préliminaire,
qui n'établit aucun droit.
Quant à l'injonction, il ne s'agit pas d'un cas où il convient
d'accorder un tel redressement. L'équilibre entre les avantages
et les inconvénients milite contre cet octroi. Arrêter la perquisi-
tion à ce stade rendrait tout à fait inutiles une reprise ultérieure
de la perquisition, et, en fait, l'enquête tout entière. Dans les
affaires relatives aux enquêtes sur les coalitions, des documents
sont presque toujours nécessaires pour appuyer les doutes du
directeur, et une fois que la partie visée par la perquisition est
prévenue, du fait de la perquisition, qu'une enquête est en
cours, un arrêt pourrait très bien donner lieu à la dissimulation
ou à la destruction des documents pertinents. D'autre part,
jusqu'à ce que la Cour ait statué en dernier ressort sur la
légalité de la perquisition, la protection des intérêts des requé-
rantes est assurée par l'obligation continue de confier au gref-
fier les documents saisis. Il est également possible que la
perquisition n'entraîne aucune autre mesure à l'encontre des
requérantes, et alors, le seul préjudice qu'elles auront subi aura
été l'embarras que cause la présence des enquêteurs dans leurs
locaux. Les mêmes considérations, ainsi que le fait que les
requérantes ont un recours en dommages-intérêts si la perquisi-
tion est illégale ou qu'elle soit faite de façon répréhensible,
tranchent également, à l'encontre des requérantes, la question
du préjudice irréparable.
Quant à la question de savoir si l'article 10 va à l'encontre de
la Charte, la Cour est portée à soutenir que celle-ci n'est
nullement violée. D'une part, l'article 8 de la Charte interdit les
fouilles, les perquisitions ou les saisies seulement lorsqu'elles
sont abusives, et puisqu'une perquisition est nécessaire dans la
plupart des cas pour atteindre les objectifs que vise la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions, on peut difficilement
conclure qu'une perquisition prévue dans la loi soit abusive.
D'autre part, même si la perquisition sous l'empire de l'article
10 viole effectivement la condition de caractère raisonnable
posée par l'article 8, la Cour peut encore appliquer l'article 1 de
la Charte, en vertu duquel le droit prévu à l'article 8 (entre
autres) est soumis à des limites dont la justification puisse se
démontrer. Le maintien de l'article 10 pendant longtemps, sans
qu'il soit attaqué, démontre la justification, dans la société libre
et démocratique qu'est la nôtre, de la perquisition. Bien que la
possibilité d'une contestation sous le régime de la Charte n'ait
pas eu cours jusqu'ici, les protections contre les perquisitions
illégales ont été reconnues en common law depuis longtemps.
En dernier lieu, si des accusations étaient portées contre les
requérantes à la suite de l'enquête, elles auraient alors une
autre occasion pour faire valoir leurs droits garantis par la
Charte. Le paragraphe 24(2) de la Charte permet d'écarter
toute preuve obtenue dans des conditions qui portent atteinte
aux droits ou libertés garantis par la Charte de sorte que sa
recevabilité est susceptible de déconsidérer l'administration de
la justice. Par conséquent, les requérantes pourraient s'opposer
à l'utilisation de toute preuve obtenue par suite de la perquisi-
tion en soulevant à ce moment-là que l'article 10 contrevient à
la Charte.
Cependant, dans l'arrêt Southam v. Director of Investigation
and Research, la Cour d'appel de l'Alberta a décidé en sens
contraire en concluant que les paragraphes 10(1) et (3) contre-
viennent à l'article 8 de la Charte et sont sans effet. Toutefois,
cette Cour ne se sent pas liée par l'arrêt Southam, et bien que
les motifs de décision dans cet arrêt soient convaincants, il
existe d'autres facteurs qui permettent d'écarter l'application
de cet arrêt. Tout d'abord, l'arrêt albertain n'a pas examiné
l'article 1 de la Charte. De plus, jusqu'à ce qu'il soit infirmé en
appel, le jugement de cette Cour constituerait un précédent
important partout au Canada ailleurs qu'en Alberta; par consé-
quent, si cette Cour devait suivre l'arrêt Southam, cela aurait
pour effet d'étendre l'interdiction relative aux perquisitions
prévues à l'article 10 aux autres instances canadiennes et de
gêner donc, dans une grande mesure, les enquêtes menées en
vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. La
Cour suprême devra en fin de compte trancher la question, et il
n'est pas souhaitable de suivre l'arrêt albertain à ce stade des
procédures. Il y a peut-être lieu de modifier la Loi pour y
prévoir de plus grands contrôles sur l'autorisation des mandats
de perquisition.
JUSRISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Petrofina Canada Ltd. c. Le président de la Commission
sur les pratiques restrictives du commerce, et autres,
[1980] 2 C.F. 386 (C.A.).
DÉCISION APPLIQUÉE:
Regina v. Beaney (1969), 4 D.L.R. (3d) 369 (C. cté
Ont.).
DÉCISION ÉCARTÉE:
Southam Inc. v. Director of Investigation and Research
of the Combines Investigation Branch et al., [1983] 3
W.W.R. 385; 24 Alta. L.R. (2d) 307; 147 D.L.R. (3d)
420 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Dantex Woollen Co. Inc. c. Le ministre de l'Industrie et
du Commerce, et autres, [1979] 2 C.F. 585 (1fe inst.);
Director of Investigation and Research v. Canada Safe-
way Ltd., [1972] 3 W.W.R. 547 (C.S.C.-B.); Attorney -
General v. Beech et al., [1898] 2 Q.B. 147; 67 L.J.Q.B.
585 (C.A. Angl.); Le ministre du Revenu national c.
Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495.
DÉCISIONS CITÉES:
«B» c. La Commission d'enquête relevant du ministère de
la Main-d'oeuvre et de l'Immigration et autre, [1975]
C.F. 602 (1" inst.); Kirzner c. Sa Majesté La Reine,
[1978] 2 R.C.S. 487.
AVOCATS:
R. P. Armstrong, c.r. et J. B. Laskin pour les
requérantes.
I. G. Whitehall, c.r., M. Rosenberg et D. A.
Kubesh pour les intimés.
PROCUREURS:
Tory, Tory, DesLauriers & Binnington,
Toronto, pour les requérantes.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Les requérantes demandent, à
court délai d'avis que la Cour a accordé, une
ordonnance conformément à l'article 18 de la Loi
sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.),
chap. 10] et à l'article 24 de [la Charte canadienne
des droits et libertés, qui constitue la Partie I de]
la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]
visant à:
a) interdire aux intimés et à leurs subalternes de
continuer la perquisition des locaux qu'occupent
les requérantes au 401, rue Bay à Toronto, faite
conformément aux mandats délivrés par l'intimé
Lawson A. W. Hunter, directeur des enquêtes et
recherches, Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions, le 18 mai 1983; et à
b) annuler ces mandats
pour le motif que l'article 10 de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions [S.R.C. 1970, chap.
C-23], en vertu duquel ces mandats ont été déli-
vrés, est sans effet puisqu'il contrevient à l'article 8
de la Loi constitutionnelle de 1982.
L'affidavit à l'appui énonce que les intimés
Bean, Brazeau et Besruky, nantis des mandats
délivrés en vertu de l'article 10 de la Loi relative
aux enquêtes sur les coalitions, sont entrés le 19
mai 1983 dans les locaux qu'occupent les requé-
rantes. Après une discussion avec les représentants
des requérantes et leurs procureurs qui avaient été
appelés, et malgré qu'ils aient été informés que les
mandats étaient invalides en raison d'une décision
récente de la Cour d'appel de l'Alberta, ces intimés
ont quand même procédé à la perquisition après
avoir conversé au téléphone avec le directeur des
enquêtes et recherches, Loi relative aux enquêtes
sur les coalitions, l'intimé Lawson A. W. Hunter.
Les requérantes ont alors rédigé la présente
requête à présenter le lendemain 20 mai en raison
de la nature urgente de l'affaire. Pendant que s'est
poursuivie la perquisition, une entente est interve-
nue pour apposer les scellés sur les documents
saisis par le ministère de la Consommation et des
Corporations et les confier au greffier de cette
Cour jusqu'à ce que celle-ci statue sur les droits
des requérantes en l'espèce.
À l'audition de la requête qui a duré toute une
journée, les parties ont soulevé plusieurs questions
dont l'importance justifiait de ne pas rendre juge-
ment à l'audience; par conséquent, la Cour a rendu
une ordonnance provisoire permettant de continuer
la perquisition et de maintenir en vigueur l'entente
qui prévoit l'apposition des scellés sur les docu
ments saisis par le ministère de la Consommation
et des Corporations et leur dépôt auprès du gref-
fier de cette Cour jusqu'au jugement final de cette
Cour.
À l'audition, le ministre de la Justice était repré-
senté, et l'avocat a commencé par contester la
compétence de cette Cour à entendre une requête
de cette nature.
Il est opportun à cette étape de reproduire les
paragraphes 10(1) et (3) de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions' qui se lisent:
S.R.C. 1970, chap. C-23, modifié.
10. (1) Sous réserve du paragraphe (3), dans une enquête
tenue en vertu de la présente loi, le directeur ou tout représen-
tant qu'il a autorisé peut pénétrer dans tout local où le direc-
teur croit qu'il peut exister des preuves se rapportant à l'objet
de l'enquête, examiner toutes choses qui s'y trouvent et copier
ou emporter pour en faire un plus ample examen ou pour en
tirer des copies tout livre, document, archive ou autre pièce qui,
de l'avis du directeur ou de son représentant autorisé, selon le
cas, est susceptible de fournir une telle preuve.
(3) Avant d'exercer le pouvoir conféré par le paragraphe (1),
le directeur ou son représentant doit produire un certificat d'un
membre de la Commission, lequel peut être accordé à la
demande ex parte du directeur, autorisant l'exercice de ce
pouvoir.
Ainsi, on institue une perquisition parce que le
«directeur croit qu'il peut exister des preuves se
rapportant à l'objet de l'enquête», et le seul con-
trôle exercé sur son pouvoir illimité est prévu au
paragraphe (3) qui exige qu'il produise un certifi-
cat d'un membre de la Commission [sur les prati-
ques restrictives du commerce] autorisant l'exer-
cice de ce pouvoir. La Cour d'appel fédérale a
examiné cette question dans l'arrêt Petrofina
Canada Ltd. c. Le président de la Commission sur
les pratiques restrictives du commerce, et autres 2 .
Certes, cet arrêt est antérieur à la Loi constitu-
tionnelle de 1982, entrée en vigueur le 17 avril
1982. Aucune question ne portait sur la validité de
l'article 10. Cependant, concernant le défaut d'agir
de façon judiciaire, qui est pertinent à la compé-
tence de cette Cour, l'arrêt dit, aux pages 390 et
391:
La requérante prétend que les membres qui ont donné leur
autorisation en vertu des articles 9(2) et 10(3) n'ont pas agi de
façon judiciaire en ce qu'ils ont exercé leur discrétion sous
l'empire de la Loi sans qu'il ne leur ait été fourni suffisamment
de renseignements pour leur permettre de prendre une décision
éclairée. D'après elle, les membres qui ont rendu ces ordonnan-
ces auraient dû disposer de renseignements suffisants leur
permettant de statuer sur la légalité de l'enquête en cours à
l'époque et d'évaluer le bien-fondé de l'avis du directeur selon
lequel les circonstances appelaient l'exercice des pouvoirs que
lui confèrent les articles 9 et 10.
Je suis d'avis de rejeter cette prétention. Les membres sont
tenus d'agir de façon judiciaire lorsqu'ils prennent des décisions
conformément aux articles 9 et 10. La Cour a conclu en ce sens
le 19 avril 1979 lorsqu'elle a statué que les décisions présente-
ment en cause étaient sujettes à examen en vertu de l'article 28
de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), c. 10.
Toutefois, cette obligation ne s'applique qu'à l'égard des déci-
sions prises en vertu des articles 9(2) et 10(3). Aux termes de
ces dispositions, les membres ne sont ni tenus de statuer sur la
légalité de la décision du directeur de tenir une enquête ni
2 [1980] 2 C.F. 386.
autorisés à le faire: ils doivent tout simplement s'assurer qu'une
enquête est effectivement en cours en vertu de la Loi. Ils ne
sont pas non plus tenus de juger du bien-fondé des motifs ayant
incité le directeur à exercer ses pouvoirs en vertu des articles 9
et 10 ni autorisés à le faire. Puisque les membres n'avaient pas
à statuer sur ces questions, l'on ne peut, à mon avis, leur
reprocher de ne pas avoir exigé de renseignements là-dessus.
La présente requête n'est pas présentée à l'en-
contre de la Commission ou d'un membre de la
Commission qui a autorisé M. Hunter, le direc-
teur, à entreprendre la perquisition dans une
enquête en vertu de l'alinéa 34(1)c) de la Loi
[abrogé et remplacé par S.C. 1974-75-76, chap.
76, art. 16(1)] qui se lit:
34. (1) Toute personne qui, s'adonnant à une entreprise,
c) se livre à une politique de vente de produits à des prix
déraisonnablement bas, cette politique ayant pour effet ou
tendance de réduire sensiblement la concurrence ou d'élimi-
ner dans une large mesure un concurrent, ou étant destinée à
avoir un semblable effet,
est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonne-
ment de deux ans.
L'avocat des intimés fait valoir que lorsqu'il a
entrepris la perquisition en vertu du paragraphe
10(1) de la Loi, M. Hunter n'exerçait pas une
fonction judiciaire ou quasi judiciaire puisque c'est
la Commission qui a exercé cette fonction lors-
qu'elle a autorisé la perquisition. Puisque la Com
mission n'a pas le pouvoir de statuer sur la légalité
de sa décision de tenir une enquête ni de juger du
caractère raisonnable des motifs qui l'incitent à le
faire, mais qu'elle doit seulement s'assurer qu'une
enquête est en cours, les membres de la Commis
sion exercent des fonctions judiciaires très limitées.
Cela ne signifie pas cependant que, lorsqu'il
demande cette autorisation, le directeur exerce
lui-même une fonction judiciaire ou quasi judi-
ciaire. Selon les intimés, pour être soumis au con-
trôle par voie de prohibition, une personne ou un
organisme doit exercer des fonctions judiciaires ou
quasi judiciaires; par conséquent, aucun bref de
prohibition n'est recevable contre les intimés en
l'espèce. (Voir «Bo c. La Commission d'enquête
relevant du ministère de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration et autre 3 .) Les intimés font valoir
que, lorsqu'une perquisition est ordonnée et qu'elle
est faite, M. Hunter et les autres intimés s'acquit-
' [1975] C.F. 602 (1 1 e inst.) à la page 608.
tent simplement d'un devoir que la loi leur impose
une fois que l'autorisation est accordée par un
membre de la Commission en vertu du paragraphe
10(3).
En outre, la perquisition n'est qu'une étape pré-
liminaire et ne constitue pas une décision finale.
Voir la décision précitée où le juge Addy dit, à la
page 613:
... je n'ai aucune difficulté à conclure qu'en l'espèce, puisqu'il
ne s'agit, en aucune façon, d'établir un droit et puisque le
devoir et les fonctions de la Commission se bornent à faire un
rapport, elle n'exerce pas une fonction judiciaire ou quasi
judiciaire et que l'on ne peut donc émettre un bref de prohibi
tion contre elle, en dépit du fait que le droit du requérant à sa
réputation pourrait être sérieusement affecté .. .
L'article 14 de la Loi prévoit qu'à toute étape de
l'enquête, si le directeur estime que l'affaire exa
minée ne justifie pas un plus ample examen, il peut
discontinuer l'enquête. L'article 18 prévoit qu'à
toute étape d'une enquête, si le directeur est d'avis
que la preuve obtenue révèle une situation con-
traire à quelque disposition de la Partie V (le
paragraphe 34(1) se trouve dans la Partie V), le
directeur doit préparer un exposé de la preuve et le
soumettre à la Commission ainsi qu'à chaque per-
sonne contre qui une allégation y est faite, et alors,
le lieu, le jour et l'heure d'une audition doivent
être fixés. A la conclusion des procédures intentées
en vertu de l'article 18, la Commission doit faire
rapport au Ministre.
Le paragraphe 47(1) de la Loi [abrogé et rem-
placé par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 25] se lit:
47. (1) Le directeur
a) peut, de sa propre initiative, et doit, sur l'ordre du
Ministre ou à la demande de la Commission, procéder à une
enquête sur l'existence et l'effet de conditions ou pratiques
qui se rapportent à quelque produit pouvant faire l'objet d'un
négoce ou d'un commerce et qui se rattachent à des situa
tions de monopole ou à la restriction du commerce, et
b) doit, sur l'ordre du Ministre, procéder à une enquête
générale sur toute question que le Ministre certifie, dans son
ordre, se rattacher aux buts et aux principes directeurs de la
présente loi,
et, aux fins de la présente loi, une telle enquête est réputée une
enquête prévue par l'article 8.
L'article 10, en vertu duquel la perquisition a
été autorisée, suit l'article 8 [mod. par S.C. 1974-
75-76, chap. 76, art. 4] qui autorise le directeur à
faire étudier toutes questions qui, d'après lui,
nécessitent une enquête en vue de déterminer les
faits lorsqu'il a des raisons de croire qu'on a
commis ou qu'on est sur le point de commettre une
infraction visée par la Partie V. Il est évident que
la perquisition est faite dans le cadre de cette
enquête. Le paragraphe 47(2) prévoit que la Com
mission doit alors examiner toute preuve ou
matière qui lui est soumise et en faire rapport au
Ministre; ce rapport est réputé un rapport prévu
par l'article 19. L'article 19 prévoit que la Com
mission doit faire un rapport complet au Ministre
qui peut le publier et en fournir des copies. Il est
évident que la perquisition est loin d'être une étape
finale par laquelle un droit est établi de façon
définitive. On ne peut par conséquent délivrer un
bref de prohibition.
Les requérantes prétendent que, même si les
termes de la requête visent à obtenir une ordon-
nance qui «interdit» aux intimés de continuer la
perquisition, le paragraphe 3 de la requête vise à
obtenir [TRADUCTION] «toute autre ordonnance
que la Cour estime appropriée», et qu'il pourrait
s'agir d'une injonction. Les intimés font valoir
qu'une injonction ne peut être présentée par voie
d'avis de requête introductif d'instance mais seule-
ment à titre d'accessoire à une action. (Voir à ce
sujet la décision Dantex Woollen Co. Inc. c. Le
ministre de l'Industrie et du Commerce, et
autres 4 , dans laquelle le juge Addy dit, aux pages
586 et 587:
Un redressement de la nature d'une injonction doit être
demandé sous forme d'action introduite de la façon habituelle,
c'est-à-dire par le dépôt d'une déclaration. Une requête visant
l'obtention d'une injonction provisoire ou interlocutoire peut,
bien entendu, être entendue avant l'instruction de l'action.
L'avis de requête peut être signifié en même temps que la
déclaration ou postérieurement à cette dernière. En cas d'ur-
gence, la requête en injonction provisoire peut être présentée
avant le début de l'action, mais le tribunal, en temps normal, ne
connaîtra de cette requête que si la requérante s'engage à
produire, sans délai, une déclaration appuyant la requête.)
Les requérantes affirment qu'elles sont disposées à
intenter une action si nécessaire. Même si les
requérantes surmontent cet obstacle, leur situation
n'est pas meilleure. Comme je l'ai déjà dit, la
perquisition peut n'entraîner aucune autre mesure
à l'encontre des requérantes, et alors, le seul préju-
dice qu'elles auront subi aura été l'embarras que
cause la perquisition. L'examen du plus grand
préjudice indique que l'arrêt de la perquisition
rendrait inutile toute l'enquête. Sans insinuer une
4 [19791 2 C.F. 585 (1" inst.).
conduite répréhensible de la part des requérantes,
il est évident que, dans les affaires relatives aux
enquêtes sur les coalitions, des documents sont
presque toujours nécessaires pour appuyer les
doutes du directeur et qu'une fois que la partie
visée par la perquisition est prévenue, du fait de la
perquisition, qu'une enquête est en cours, les docu
ments pertinents peuvent être dissimulés ou
détruits de sorte qu'une reprise de la perquisition à
une date ultérieure sera inutile. D'autre part, la
poursuite de la perquisition, qui a été ordonnée en
l'espèce, tout en assurant la protection des requé-
rantes par l'obligation d'apposer les scellés aux
documents saisis et de les confier au greffier de
cette Cour jusqu'à ce que celle-ci statue sur la
validité de la perquisition, n'entraîne pour les
requérantes que l'embarras de la présence dans ses
locaux des fonctionnaires chargés de faire la per-
quisition. Par conséquent, l'équilibre entre les
avantages et les inconvénients, tout comme la
question du préjudice irréparable, sont fortement
du côté des intimés. Si la perquisition est illégale
ou qu'elle est faite d'une manière répréhensible, les
requérantes ont un recours en dommages-intérêts,
alors que d'autre part, si la perquisition est inter-
rompue, les intimés n'ont plus qu'à renoncer à
l'enquête. Aucune injonction ne serait par consé-
quent accordée même si les requérantes l'avaient
directement demandée.
La question de compétence que les intimés sou-
lèvent à titre subsidiaire découle de ce que, si la
décision du membre de la Commission qui a auto-
risé la perquisition est une décision judiciaire ou
quasi judiciaire comme cela semble avoir été
décidé dans l'affaire Petrofina (précitée) le recours
offert aux requérantes est par voie d'une demande
à la Cour d'appel fédérale en vertu de l'article 28.
La Division de première instance n'a pas compé-
tence à l'égard de la Commission ou d'un de ses
membres même s'ils étaient partie à l'instance, et
la Division de première instance, à cause du para-
graphe 28(3) de la Loi [sur la Cour fédérale], n'a
pas compétence pour entendre une demande faite
en vertu de l'article 18, qu'elle vise un bref de
prohibition ou une injonction provisoire.
Il est certes possible, comme le soulignent les
requérantes, que la Cour d'appel refuse une
demande faite en vertu de l'article 28 puisque,
comme je l'ai dit, la perquisition n'est aucunement
un jugement final; en outre, suivant l'arrêt Petro-
fina (précité), les membres de la Commission ne
sont pas tenus de statuer sur la légalité de la
décision de tenir une enquête et n'ont pas le pou-
voir de le faire. Le fait que les requérantes peuvent
rencontrer des difficultés relativement à une
demande faite en vertu de l'article 28 ne permet
pas à la Division de première instance d'entendre
une demande qui n'est pas de sa compétence.
Bien que cette conclusion soit en soi suffisante
pour statuer sur la présente requête sans en exami
ner le fond, il est évident que cette affaire est
importante et urgente et il est tout probable qu'elle
sera décidée en dernier recours par un arrêt de la
Cour suprême. Si la Division de première instance
rejetait simplement la demande pour des motifs de
forme, il y aurait inévitablement appel, et peut-
être aussi une demande faite à la Cour d'appel en
vertu de l'article 28, et si cette Cour décidait alors
que la Division de première instance a compétence
pour entendre la présente demande et lui renvoyait
l'affaire, il s'ensuivrait une perte de temps considé-
rable. J'estime donc souhaitable que cette Cour
examine à titre subsidiaire le fond de la demande,
ne serait-ce que de manière sommaire, de sorte que
toutes les questions en litige soient éventuellement
soumises à la Cour d'appel de façon simultanée.
Dans l'examen de l'argument que soulève la
Charte canadienne des droits et libertés de la Loi
constitutionnelle, il convient de citer les articles
24, 8 et 1 qui se lisent respectivement:
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation
des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente
charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la
réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard
aux circonstances.
(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le
tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus
dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés
garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont
écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur
utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la
justice.
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les
perquisitions ou les saisies abusives.
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les
droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res-
treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient
raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le
cadre d'une société libre et démocratique.
S'il s'agissait de la première fois que la question
est soumise à la Cour, je serais porté à soutenir la
validité de l'article 10 de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions. L'article 8 de la
Charte emploie le mot «abusives» qui caractérise la
fouille, la perquisition ou la saisie et, au premier
abord, on peut difficilement conclure que des arti
cles d'une loi qui prévoient une perquisition, qui
est de toute évidence nécessaire dans la plupart des
cas pour atteindre les objectifs que vise la loi,
puissent être considérés comme abusifs'.
En outre, en vertu de l'article 1, les droits et les
libertés énoncés dans la Charte, y compris le droit
à la protection contre les perquisitions abusives, ne
peuvent être restreints que par une règle de droit,
dans des limites qui soient raisonnables et dont la
justification puisse se démontrer dans le cadre
d'une société libre et démocratique. L'article en
question fait partie de la Loi relative aux enquêtes
sur les coalitions depuis plus de 30 ans et n'a
jamais fait l'objet de plaintes, et bien qu'il n'y ait
pas eu une Charte des droits et libertés à cette
époque, les droits que prévoit la common law à
l'encontre des perquisitions illégales étaient admis
depuis longtemps et étaient en vigueur. Le main-
tien de cet article pendant longtemps, sans qu'il
soit attaqué, démontre la justification, dans le
cadre d'une société libre et démocratique, de la
perquisition prévue dans la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions.
Dans la décision Director of Investigation and
Research v. Canada Safeway Ltd. 6 , rendue en
Colombie-Britannique avant la promulgation de la
Charte, on a conclu qu'une perquisition faite en
vertu de l'article 10 ne justifie pas la saisie de
documents que protège le privilège des communi
cations entre client et avocat. Le jugement énonce,
à la page 548:
[TRADUCTION] L'intimée prétend que ni le directeur ni aucun
de ses représentants n'ont droit d'accès aux documents qui
bénéficient du privilège mentionné précédemment, mais par
ailleurs, elle ne s'oppose pas à ce que le directeur ét ses
représentants se trouvent dans lesdits locaux et mènent leur
enquête comme ils le jugent à propos. [C'est moi qui souligne.]
5 Pour une étude digne d'intérêt sur ce qui peut être «raison-
nable» relativement au genre d'infractions que visent les enquê-
tes, voir les motifs du juge en chef Laskin dans l'arrêt Kirzner
c. Sa Majesté La Reine, [1978] 2 R.C.S. 487, aux pages 492 et
493 qui portent sur la provocation policière.
6 [1972] 3 W.W.R. 547 (C.S.C.-B.).
À la page 550, le juge cite l'extrait suivant des
motifs du lord juge Chitty dans l'arrêt Attorney -
General v. Beech et al., [1898] 2 Q.B. 147; 67
L.J.Q.B. 585 [C.A. Angl.] à la page 590:
[TRADUCTION] Le Parlement a indiscutablement le pouvoir ...
de modifier ou d'abroger, pour les fins de la Loi, toute règle de
droit ou d'equity qui, à d'autres égards, s'appliquerait à la
question. La question de savoir s'il a ou non exercé ce pouvoir
revient toujours à une juste interprétation de la loi en cause. La
juste, et de fait, l'unique façon d'interpréter consiste à détermi-
ner l'intention du législateur à partir du libellé et des disposi
tions de la Loi elle-même. En interprétant une loi, il faut tenir
compte des règles de droit ordinaires applicables à la question,
et ces règles doivent prévaloir à moins que la loi n'indique
qu'elles doivent être ignorées; et il incombe à ceux qui cher-
chent à soutenir qu'elles doivent être ignorées de prouver cette
proposition.
Même si l'article 52 de la Loi constitutionnelle
de 1982 permet de conclure que l'article 10 de la
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions est
sans effet, étant incompatible avec l'article 8 de la
Loi [constitutionelle] parce qu'il est «abusif», la
Cour peut encore appliquer l'article 1 de la Loi
[constitutionnelle] et conclure que, dans le con-
texte de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions, la justification de l'article 10 peut «se
démontrer dans le cadre d'une société libre et
démocratique.»
Enfin, le paragraphe 24(2) pourrait protéger les
requérantes contre l'utilisation de toute preuve
obtenue au cours de la perquisition si elle est
obtenue dans des conditions qui portent atteinte
aux droits ou libertés garantis par la Charte de
sorte que son utilisation est susceptible de déconsi-
dérer l'administration de la justice. Par consé-
quent, si des accusations étaient portées par suite
de l'enquête, les requérantes auraient un autre
moyen pour s'opposer à l'utilisation des éléments
de preuve obtenus par suite de la perquisition en
soulevant à ce moment-là que les articles de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions qui pré-
voient la délivrance d'un mandat de perquisition
contreviennent à la Charte canadienne des droits
et libertés.
Cependant, dans l'arrêt Southam Inc. v. Direc
tor of Investigation and Research of the Combines
Investigation Branch et al. [[1983] 3 W.W.R. 385;
24 Alta. L.R. (2d) 307; 147 D.L.R. (3d) 420], la
Cour d'appel de l'Alberta formée de cinq juges a
rendu à l'unanimité une décision en sens contraire.
Cet arrêt examine attentivement la nature des
mandats de perquisition et le droit de les obtenir
en vertu de la common law et du Code criminel
[S.R.C. 1970, chap. C-34], ainsi que la jurispru
dence antérieure à la Charte canadienne des droits
et libertés; il conclut que des conditions de base
doivent être observées avant que ne soit délivré un
mandat de perquisition. Après un examen de l'his-
torique et du but que vise la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions, le jugement conclut
que les fonctions d'enquête et de recherche prévues
dans la Loi ne sont pas toujours aussi distinctes des
fonctions d'étude et de rapport qu'on l'aurait sou-
haité. Après un examen de plusieurs articles de la
Loi, l'arrêt énonce [à la page 318 Alta. L.R.]:
[TRADUCTION] Cela fait que dans certaines circonstances, le
directeur agit en qualité d'enquêteur et au nom de la poursuite
et que la Commission agit en qualité d'enquêteur et de juge
relativement aux infractions à la Loi. Bien que ni le directeur ni
la Commission ne puissent poursuivre les infractions à la Loi
par voie de mise en accusation, ces poursuites peuvent résulter
de l'exercice cumulatif des fonctions qui leur sont respective-
ment assignées.
Il s'ensuit que, même si la Loi distingue en général les
fonctions du directeur de celles de la Commission, ces deux
fonctions chevauchent quand même.
Après avoir dit que la décision du directeur de
demander d'exercer les pouvoirs énoncés au para-
graphe 10(1) est une fonction administrative qui
comporte des questions de politique, on souligne
que ces pouvoirs seraient absolus si ce n'était du
paragraphe 10(3). L'arrêt cite la décision de la
Cour suprême Le ministre du Revenu national c.
Coopers and Lybrand' dans lequel le juge Dickson
a conclu [à la page 508] que «la décision du
Ministre d'accorder une autorisation en vertu du
par. 231(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu est
de nature administrative et qu'en droit, le Ministre
n'a aucune obligation d'agir de façon judiciaire ou
quasi judiciaire». Cependant, l'arrêt mentionne
également que, par l'interposition d'un juge entre
le fisc et le contribuable, le Parlement a inséré
dans la Loi un mécanisme de contrôle de la déci-
sion du Ministre et reconnaît que le droit à la
perquisition déroge aux principes de la common
law et peut donner lieu à des abus.
7 [1979] 1 R.C.S. 495.
L'arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta conclut
que le paragraphe 10(3) ne permet pas de conclure
que le commissaire est un arbitre indépendant ou
une personne neutre et impartiale. En outre, ce
paragraphe ne répond pas à l'exigence que la
personne qui cherche à exercer le pouvoir ait des
motifs raisonnables de soupçonner l'existence
d'une infraction. L'arrêt mentionne la décision
Petrofina Canada Ltd. (précitée). Il ne cite que la
deuxième partie de l'extrait précité qui commence
par les mots «Aux termes de ces dispositions» et ne
mentionne pas la conclusion portant que la Com
mission prend ses décisions d'une façon judiciaire.
Même s'il conclut, [à la page 323 Alta. L.R.], que
[TRADUCTION] «si on lit ensemble les art. 10(1) et
10(3), il doit s'ensuivre qu'avant d'autoriser un
mandat, la Commission doit être convaincue que
les conditions prévues à l'art. 10(1) existent», l'ar-
rêt ajoute [à la même page]:
[TRADUCTION] Si les pouvoirs que l'art. 10(3) confère à un
membre de la Commission sont tels que l'a dit la Cour d'appel
fédérale dans l'arrêt Petrofina, il s'ensuit qu'il n'y a pas de
contrôle judiciaire du droit d'exercer les pouvoirs que l'art.
10(1) accorde dans le cadre d'une enquête.
L'arrêt souligne enfin que le paragraphe 10(3)
n'exige pas qu'une demande soit appuyée d'une
preuve faite sous serment et que c'est une omission
évidente de la Loi de ne pas exiger une preuve faite
sous serment lorsque le pouvoir que l'on cherche à
exercer empiète sur le droit à la vie privée. L'arrêt
conclut par conséquent que le paragraphe 10(3) et,
par déduction, le paragraphe 10(1) de la Loi sont
incompatibles avec les dispositions de l'article 8 de
la Charte et sont par conséquent sans effet.
Malgré tous les égards dus à la Cour d'appel de
l'Alberta qui a rendu un arrêt bien étayé, cette
Cour ne se sent pas liée par cette décision. Une
question semblable a été examinée dans l'affaire
Regina v. Beaney 8 . Ce jugement énonce à la page
375:
[TRADUCTION] Il n'y a en Ontario aucune loi qui porte
qu'une Cour de cette province est liée par les décisions des
Cours des autres provinces ou, même, de toute Cour. Comme le
dit le professeur Hubbard [à la p. 9]: «Tout ce qui nous reste,
c'est le principe que j'appelle la futilité de déroger, the futility
of divergence, soit une solution pratique.» Dans la hiérarchie
des appels, il serait futile qu'un juge d'une Cour d'instance
inférieure rende une décision incompatible avec les décisions
s (1969), 4 D.L.R. (3d) 369 [C. cté Ont.].
antérieures des Cours susceptibles d'entendre l'appel de sa
propre décision puisque tout indique que sa décision sera
réformée.
La Cour d'appel du Manitoba n'appartient pas à la hiérar-
chie des Cours de cette province et, bien qu'il y ait plusieurs
raisons majeures qui incitent un juge de première instance de
cette province à tenter de se conformer aux décisions des Cours
d'appel d'une autre province, je suis d'avis qu'il n'est pas lié par
elles. Le point en question en l'espèce est souligné par la
conséquence certaine que si, de l'avis de la Cour d'appel de
l'Ontario, ma décision sur une question de droit est exacte
quant au fond, cette Cour ne modifiera certes pas ma décision
simplement parce que je n'ai pas suivi une décision d'une Cour
d'appel d'une autre province qu'elle ne partage pas (par
hypothèse).
Il importe de souligner que l'arrêt de la Cour de
l'Alberta n'a pas examiné l'article 1 de la Charte
et qu'elle n'était pas tenue de le faire puisque les
intimés n'ont pas cherché à soutenir la validité de
l'article 10 de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions à cet égard. Ce moyen a été soulevé en
l'espèce et je l'ai examiné.
Les intimés soulignent en outre que, vu que
l'arrêt albertain (qu'on me dit être porté en appel à
la Cour suprême) fait autorité pour dire que les
paragraphes (3) et (1) de l'article 10 de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions sont sans
effet parce qu'incompatibles avec les dispositions
de l'article 8 de la Charte, un jugement de cette
Cour aurait effet dans toutes les autres provinces
du Canada jusqu'à ce qu'il soit infirmé en appel.
Cela aurait pour effet d'interdire la délivrance et
l'utilisation des mandats de perquisition partout au
Canada ailleurs qu'en Alberta et gênerait considé-
rablement les enquêtes menées en vertu de la Loi
relative aux enquêtes sur les coalitions, alors que
plusieurs enquêtes en cours comportent l'utilisation
de mandats de perquisition. Dans sa décision, une
cour ne doit manifestement pas tenir compte des
conséquences possibles de son jugement, mais elle
doit interpréter le droit de la manière qu'elle croit
qu'il doit être interprété; je reconnais que les
motifs de décision de la Cour d'appel de l'Alberta
dans l'arrêt Southam Inc. sont convaincants, mais
néanmoins, j'estime qu'il n'est pas souhaitable de
suivre cet arrêt à ce stade des procédures et d'ap-
pliquer à tout le Canada une solution qui sera
certainement soumise à l'examen de la Cour
suprême.
L'interprétation de la Charte canadienne des
droits et libertés a déjà donné lieu dans diverses
cours de différentes provinces à des solutions con-
tradictoires qui ne pourront être tranchées en der-
nier recours que par la Cour suprême du Canada,
et dans certains cas (je pense à l'arrêt récent
concernant l'arrestation, dès leur libération, des
prisonniers qui ont droit à une libération sous
surveillance obligatoire), une loi a dû être adoptée
immédiatement pour pallier aux conséquences de
ces décisions. La même situation s'applique peut-
être en l'espèce et il y a peut-être lieu de modifier
la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions pour
exiger l'intervention d'un juge avant la délivrance
d'un mandat de perquisition qui ne pourrait être
obtenu qu'en faisant la preuve sous serment des
motifs raisonnables pour lesquels le directeur «croit
qu'il peut exister des preuves se rapportant à l'ob-
jet de l'enquête». Certes, la Loi ne prévoit pas
actuellement les contrôles qu'on trouve normale-
ment dans la common law ou le Code criminel
avant que ne soit délivré un mandat de perquisi-
tion. Pour le moment cependant, et pour que la
question soit exposée intégralement à la Cour d'ap-
pel et éventuellement à la Cour suprême du
Canada, je suis d'avis que cette Cour n'a pas
compétence pour accorder le redressement que les
requérantes demandent en l'espèce et, en outre,
que cette Cour doit rejeter au fond la demande
d'annulation de l'autorisation pour le motif que
l'article 10 de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions serait sans effet parce qu'il serait con-
traire à l'article 8 de la Charte canadienne des
droits et libertés.
En conséquence, la demande des requérantes est
rejetée avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.