A-470-83
Jordan & Ste-Michelle Cellars Ltd.—Les Caves
Jordan & Ste-Michelle Ltée (appelante)
c.
T.G. Bright & Co., Limited (intimée)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juges Heald
et Stone—Toronto, 26 mars; Ottawa, 18 avril
1984.
Marques de commerce — Appel de la décision de la Divi
sion de première instance portant que, lorsqu'elle est prise
comme un tout, la marque de commerce projetée «Brights
Chillable Red., qui devait être employée en liaison avec des
vins, était distinctive — Désistement du droit à l'usage du mot
«Red. étant donné qu'il est admis qu'il constitue une descrip
tion claire — Le juge de première instance a adopté les motifs
de décision du registraire — Le registraire a conclu que
l'expression «Chillable Red. constituait soit une description
claire soit une description fausse et trompeuse au sens de l'art.
12(1)b) de la Loi, mais il a appliqué la décision Molson
Companies Ltd. c. John Labatt Ltd. pour conclure que l'ex-
pression «Brights Chillable Red» ne constituait pas une des
cription claire — Appel rejeté — Le mot «Chillable. suggérait
une méthode pour servir le vin et ne constituait pas une
description de la nature ou de la qualité intrinsèques du vin —
Application de l'arrêt Provenzano c. Registraire des marques
de commerce où il a été jugé que la marque «Kool One. ne
constituait pas une description de la nature ou de la qualité
d'une bière en bouteille — L'arrêt S.C. Johnson and Son,
Limited et autre c. Marketing International Ltd. où la Cour a
jugé que la marque «Off,. ne pouvait être enregistrée parce
que: (1) il s'agissait d'un mot commun employé à l'égard de
diverses marchandises; (2) un bon nombre de marques de
commerce se terminent par le mot «Off..; et (3) les dictionnai-
res attribuent plusieurs significations à ce mot, n'infirme pas
aux fins de l'espèce la décision rendue dans l'arrêt Provenzano
— Le mot «Chillable.. n'est pas un mot commun qui fait partie
de plusieurs marques de commerce existantes — Loi sur les
marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art.
12(1)b),(2), 37(2).
Appel a été interjeté d'un jugement de la Division de pre-
mière instance confirmant une décision du registraire des mar-
ques de commerce. Le juge de première instance a statué que,
lorsque prise comme un tout, la marque de commerce «Brights
Chillable Red., qui devait être employée en liaison avec des
vins, était distinctive. Il a adopté le raisonnement du registraire
qui a conclu que les mots «Chillable. et «Red» et l'expression
«Chillable Red» constituent soit une description claire soit une
description fausse et trompeuse de la marchandise de l'intimée.
Cependant, il a conclu que, conformément à la décision Molson
Companies Ltd. c. John Labatt Ltd., lorsque des mots descrip-
tifs sont précédés d'un nom tel que Labatt ou Brights, la
marque de commerce qui en résulte n'est pas descriptive.
L'intimée admet que le mot «Red» constitue une description
claire et elle s'est désistée du droit à l'usage de ce mot.
L'appelante soutient que, compte tenu de l'alinéa 12(1)b) de la
Loi sur les marques de commerce, l'expression «Chillable Red.,
lorsqu'elle est employée pour désigner un vin, constitue soit une
description claire soit une description fausse et trompeuse de la
nature ou de la qualité du vin. Elle prétend également que la
décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt S.C.
Johnson and Son, Limited et autre c. Marketing International
Ltd. a rendu inopérantes les décisions antérieures de la Cour et
celle rendue dans l'arrêt Provenzano. Dans l'arrêt S.C. John-
son, la Cour a jugé qu'en demandant l'enregistrement de la
marque «Off», la requérante réclamait le droit exclusif d'utiliser
un mot commun employé à l'égard de diverses marchandises.
Un bon nombre de marques de commerce se terminent par le
mot «Off» et les dictionnaires attribuent plusieurs significations
à ce mot. L'intimée soutient pour sa part que, pour le consom-
mateur ordinaire, le mot «Chillable» signifierait seulement que
le vin pouvait être servi frappé, que ce mot suggérait simple-
ment une méthode de présentation et qu'on ne pouvait établir
de distinction entre ce cas et celui dont il était question dans
l'arrêt Provenzano où la Cour a jugé que la marque de com
merce «Kool One» ne constituait pas une description de la
nature ou de la qualité d'une bière en bouteille.
Arrêt (le juge en chef Thurlow dissident): l'appel devrait être
rejeté. Le mot «Chillable» décrit quelque chose qui peut être
refroidi. Il propose une manière de servir ou de déguster du vin.
Il ne constitue pas une description de la nature ou de la qualité
intrinsèques du vin et, par conséquent, il ne constitue pas «soit
une description claire, soit une description fausse et trompeuse
... de la nature ou de la qualité des marchandises». L'arrêt
Provenzano s'applique. Quant à l'arrêt S.C. Johnson, il n'a pas
pour effet de modifier les décisions rendues antérieurement
dans la mesure où les faits de l'espèce sont concernés. Le mot
«Chillable» n'est pas un mot commun et il ne fait pas partie de
plusieurs marques de commerce enregistrées. Par conséquent, il
faut établir une distinction entre l'affaire en l'instance et l'arrêt
S.C. Johnson.
Le juge en chef Thurlow (dissident): L'appel devrait être
accueilli. Le mot «Chillable» signifie non seulement que le vin
peut être refroidi, mais aussi qu'il peut être satisfaisant lorsqu'il
est servi frappé. Il importe peu que le mot «Chillable» soit un
mot forgé qu'on ne trouve pas dans le dictionnaire parce que
son sens et sa portée sont clairs quand il est employé relative-
ment à une boisson. L'expression «Chillable Red» est une
expression elliptique signifiant «Chillable Red Wine» qui consti-
tue soit une description claire soit une description fausse et
trompeuse d'une qualité de vin rouge. La question de savoir si
l'expression «Brights Chillable Red» constitue soit une descrip
tion claire soit une description fausse et trompeuse dépend de ce
que cette marque de commerce dans son ensemble représente
pour un client ordinaire. La décision Labatt ne s'applique pas
en l'espèce. Le juge de première instance a décidé dans cette
affaire que la marque de commerce «Labatt Extra» indiquait
tout au plus la qualité supérieure d'une boisson brassée par un
brasseur particulier. Ce point de vue est évidemment celui du
juge sur ce que cette marque particulière signifie. Pris comme
un tout, les mots formant la marque de commerce en l'espèce
révèlent une caractéristique ou une qualité du vin. La marque
de commerce constitue soit une description claire soit une
description fausse et trompeuse, et elle ne peut être enregistrée
en raison de l'alinéa 12(1)b) de la Loi. En outre, comme il
s'agit d'une demande d'enregistrement d'une marque de com
merce projetée, elle ne peut, à ce stade, être enregistrée en vertu
du paragraphe 12(2).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Registraire des marques de commerce c. Provenzano
(1978), 40 C.P.R. (2d) 288 (C.F. Appel), confirmant
(1977), 37 C.P.R. (2d) 189 (C.F. P' inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
S.C. Johnson and Son, Limited et autre c. Marketing
International Ltd., [1980] 1 R.C.S. 99; (1979), 44 C.P.R.
(2d) 16.
DÉCISION EXAMINÉE:
Molson Companies Ltd. c. John Labatt Ltd. et autre
(1981), 58 C.P.R. (2d) 157 (C.F. 1" inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Kellogg Company of Canada Limited v. The Registrar of
Trade Marks, [1940] R.C.É. 163; Thomas J. Lipton,
Ltd. c. Salada Foods Ltd. (N° 3), [1980] 1 C.F. 740;
(1979), 45 C.P.R. (2d) 157 (1" inst.); Home Juice Com
pany, et autres c. Orange Maison Limitée, [1970] R.C.S.
942; In the Matter of an Application of the Eastman
Photographic Materials Company, Ld., for a Trade
Mark (l'arrêt «Solio») (1898), 15 R.P.C. 476 (H.L.).
AVOCATS:
D. F. Sim, c.r. et T. B. Polson Ashton pour
l'appelante.
J. C. Osborne pour l'intimée.
PROCUREURS:
Sim, - Hughes, Toronto, pour l'appelante.
McMillan, Binch, Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW (dissident): Appel
est interjeté d'un jugement par lequel la Division
de première instance [(1983), 71 C.P.R. (2d) 138]
a confirmé la décision du registraire des marques
de commerce [(1982), 71 C.P.R. (2d) 132 (H.O.)]
rejetant l'opposition de l'appelante à la demande
d'enregistrement de la marque de commerce
«Brights Chillable Red», présentée par l'intimée
qui projetait de l'employer pour désigner des vins.
L'intimée avait renoncé, dans une demande modi-
fiée, présentée avant la production de l'opposition
de l'appelante, au droit à l'usage exclusif du mot
«Red» en dehors de la marque de commerce.
Les motifs d'opposition' avancés par l'appelante
portaient notamment que, compte tenu de l'alinéa
' Le paragraphe 37(2) de la Loi sur les marques de com
merce [S.R.C. 1970, chap. T-10] porte:
37....
(2) Cette opposition peut être fondée sur l'un quelconque
des motifs suivants:
a) la demande ne satisfait pas aux exigences de l'article 29;
b) la marque de commerce n'est pas enregistrable;
c) le requérant n'est pas la personne ayant droit à l'enre-
gistrement; ou
d) la marque de commerce n'est pas distinctive.
12(1)b) 2 de la Loi, l'expression «Chillable Red»,
lorsque employée pour désigner des vins, consti-
tuait soit une description claire soit une description
fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité
d'une telle marchandise.
En ce qui concerne ce motif, le fonctionnaire
chargé de l'audition a conclu [à la page 1361:
[TRADUCTION] ... il semblerait de prime abord que le mot
«chillable» aurait un sens précis pour le consommateur des
marchandises proposées par la requérante, c'est-à-dire que le
vin de cette dernière peut être servi frappé.
Il a écrit un peu plus loin [à la même page]:
[TRADUCTION] Contrairement à ce qui s'est passé dans l'arrêt
Provenzano, la requérante en l'espèce utilise un mot qui consti-
tue une description de «la nature ou de la qualité intrinsèques
du produit». De par sa nature même, le suffixe «able» du mot
«chillable» entraîne une telle conclusion.
Il a ajouté en conclusion [à la page 137]:
[TRADUCTION] En résumé, j'estime que les mots «chillable»
et «red» ainsi que l'expression «chillable red» constituent une
description claire (ou une description fausse et trompeuse) des
marchandises de la requérante. Cependant, conformément à la
décision rendue au sujet de la LABATT EXTRA, on ne peut dire
que dans son ensemble, la marque de commerce de la requé-
rante contrevient soit à l'art. 12(1)a) soit à l'art. 12(1)b) de la
Loi. Par conséquent, les deux premiers motifs d'opposition de
l'opposante sont rejetés.
Le fonctionnaire chargé de l'audition avait fait
référence plus tôt dans ses motifs à la décision du
juge Cattanach dans l'arrêt Molson Companies
Ltd. c. John Labatt Ltd. et autre 3 ; il a cité les deux
passages suivants [à la page 135]:
Cette marque de commerce [LABATT EXTRA], prise dans son
ensemble, ne contrevient donc pas à l'alinéa 12(1)a) et elle est
enregistrable puisque la marque de commerce dans son ensem
ble n'est pas principalement le nom de famille d'un particulier.
et
2 12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de com
merce est enregistrable si elle ne constitue pas
b) peinte, écrite ou prononcée, soit une description claire,
soit une description fausse et trompeuse, en langue
anglaise ou française, de la nature ou de la qualité des
marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est
employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer,
ou des conditions de leur production, ou des personnes qui
y sont employées, ou du lieu d'origine de ces marchandises
ou services;
3 (1981), 58 C.P.R. (2d) 157 (C.F. 1'» inst.).
Il est vrai que le mot "extra" pris seul est descriptif, mais
lorsqu'il est précédé du mot «Labatt» pour former la marque de
commerce LABATT EXTRA, la marque de commerce qui en
résulte ne l'est pas.
Pour rejeter l'appel dont il avait été saisi par
l'appelante, le juge de première instance a adopté
et invoqué les motifs donnés au nom du registraire
des marques de commerce par le fonctionnaire
chargé de l'audition. Il existe donc des conclusions
concordantes selon lesquelles les mots «Chillable»
et «Red» ainsi que l'expression «Chillable Red»
constituent une description claire (ou une descrip
tion fausse et trompeuse) des marchandises de
l'intimée.
À l'encontre du présent appel, l'avocat a soutenu
que ces conclusions étaient erronées et ne devraient
pas être confirmées. Il a fait remarquer que de
prime abord le mot «Chillable» signifierait pour le
consommateur ordinaire que le vin pouvait être
servi frappé, qu'en conséquence ce mot suggérait
simplement une méthode de présentation, et qu'on
ne pouvait établir de distinction entre ce cas et
celui dont il était question dans l'arrêt Provenza-
no 4 où la Cour a jugé que la marque de commerce
«Kool One» ne constituait pas une description de la
nature ou de la qualité d'une bière en bouteille. On
peut aussi noter qu'on pourrait conclure que le
fonctionnaire a jugé que le mot constitue une
description de «la nature ou de la qualité intrinsè-
ques du produit» en se fondant plutôt sur la forme
du mot que sur le sens que le public lui
attribuerait.
Malgré ces observations, j'estime que les conclu
sions du fonctionnaire sont correctes et doivent
être confirmées. Il ne faudrait pas interpréter de
manière trop critique ni les motifs du fonctionnaire
chargé de l'audition ni la manière dont il les a
exprimés. Comme au point de vue strictement
matériel, tout vin peut être servi frappé, que cela
améliore ou non son goût, le raisonnement du
fonctionnaire n'est pas, à mon avis, incompatible
avec l'idée et je pense qu'on peut même conclure
qu'il signifie non seulement que le vin peut être
refroidi, mais aussi qu'il est susceptible d'être
satisfaisant lorsqu'il est ainsi servi frappé.
4 Provenzano c. Registraire des marques de commerce
(1977), 37 C.P.R. (2d) 189 (C.F. 1" inst.); (1978), 40 C.P.R.
(2d) 288 (C.F. Appel).
Dans ce contexte, il importe peu, à mon avis,
que le mot «Chillable» ne soit pas un mot que l'on
trouve dans le dictionnaire mais qu'il ait plutôt été
forgé par l'intimée. Il pourrait être difficile de
donner un sens à ce mot s'il devait être employé en
liaison avec, par exemple, de l'outillage agricole,
mais il n'y a aucun doute quant à son sens et à sa
portée quand il est employé relativement à une
boisson.
Sans preuve sur ce point, j'aurais pensé qu'il
était assez évident qu'un acheteur ordinaire croi-
rait que l'emploi du mot «Chillable» sur l'étiquette
d'une bouteille de vin rouge signifie qu'il s'agit
d'un vin rouge qui peut aussi bien être servi frappé
que servi à la température de la pièce. Il me
semble que cette manière de voir les choses trouve
appui dans l'analyse intitulée «HOW TO SERVE
WINE», tirée du volume de référence Grossman's
Guide to Wines, Spirits and Beers, paraissant à la
page 179 du dossier conjoint.
[TRADUCTION] COMMENT SERVIR LE VIN
Quelles boissons sont-elles servies froides? Les vins blancs,
les mousseux, les rosés, les bières, les cocktails, la plupart des
mélanges, certains spiritueux qui sont consommés comme apé-
ritifs comme la vodka et l'akvavit, tous les vins apéritifs, le
xérès et le madère très secs.
Les boissons suivantes sont généralement servies chambrées:
les vins rouges, les xérès, les madères, les portos et les marsalas
demi-secs et généreux, et les spiritueux lorsqu'ils sont pris purs,
comme le whisky, le gin, le rhum, le cognac et les liqueurs. Font
exception la vodka et l'akvavit comme cela a été mentionné au
paragraphe précédent.
L'exception confirme la règle, et il peut même être très
agréable pendant l'été de boire une liqueur sucrée qui a été
refroidie. En fait, une liqueur comme la crème de menthe est
bien meilleure si elle est bien frappée.
Même s'il a été forgé par l'intimée, le mot «Chilla-
ble» pourrait être utilisé par n'importe quel com-
merçant pour attirer l'attention sur une qualité de
son vin ou la décrire. L'expression «Chillable Red»
qui me semble une expression elliptique signifiant
«Chillable Red Wine», se rapporte à une qualité du
vin rouge à l'égard de laquelle on projette d'em-
ployer cette expression et en constitue une descrip
tion (ou une description fausse et trompeuse).
Il reste à déterminer si la marque de commerce
«Brights Chillable Red», parce qu'elle renferme les
mots «Chillable Red», constitue soit une descrip
tion claire soit une description fausse et trompeuse
de la nature ou de la qualité des vins de l'intimée.
La réponse dépend, à mon avis, de ce que la
marque de commerce dans son ensemble repré-
sente pour un client ordinaire.
Dans l'arrêt Labatt, que le fonctionnaire chargé
de l'audition était censé suivre, le juge Cattanach a
conclu que, compte tenu de la présence du mot
«Labatt», la marque de commerce «Labatt Extra»
dans son ensemble ne constituait pas une descrip
tion de la nature ou de la qualité de la bière. Le
juge a déclaré 5 , immédiatement après le deuxième
passage cité plus haut:
Elle ne fait tout au plus qu'indiquer la qualité supérieure d'une
boisson brassée par un brasseur particulier dont le nom de
famille est «Labatt».
Ce point de vue est évidemment celui du juge
sur ce que cette marque de commerce particulière
signifie. À mon avis, il n'est pas pertinent en
l'espèce. Pris comme un tout, les mots formant la
marque de commerce en l'espèce révèlent une
caractéristique ou une qualité du vin à l'égard
duquel on projette de l'employer tout comme l'ex-
pression «Chillable Red» révèle par elle-même
cette caractéristique ou qualité. La marque de
commerce constitue donc, à mon avis, soit une
description claire, soit une description fausse et
trompeuse des vins de l'intimée en liaison avec
lesquels elle sera employée, quand bien même la
marque dans son ensemble comprend le mot
«Brights». Par conséquent, elle ne peut être enre-
gistrée en raison de l'alinéa 12(1)b) de la Loi. En
outre, comme il s'agit d'une demande d'enregistre-
ment d'une marque de commerce projetée, elle ne
peut, à ce stade, être enregistrée en vertu du
paragraphe 12(2).
Compte tenu de cette conclusion, il n'est pas
nécessaire d'exposer ou d'examiner les autres
motifs d'opposition avancés par l'appelante.
J'accueillerais l'appel avec dépens, j'annulerais
le jugement de la Division de première instance et
la décision du registraire des marques de com
merce, je ferais droit à l'opposition et j'ordonnerais
le rejet de la demande d'enregistrement.
* * *
5 (1981), 58 C.P.R. (2d) 157 (C.F. 1'° inst.), à la p. 162.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: J'ai eu la possibilité de lire les
motifs de jugement rédigés par le juge en chef en
l'espèce. J'estime cependant que je ne puis sous-
crire à la solution qu'il propose. À mon avis,
l'appel du jugement de la Division de première
instance qui a confirmé la décision du registraire
des marques de commerce devrait être rejeté.
Le juge de première instance a souscrit à la
conclusion du registraire voulant que, lorsque prise
comme un tout, la marque de commerce de l'inti-
mée, «Brights Chillable Red», qu'il projetait d'em-
ployer en liaison avec des vins, était distinctive. Il a
en outre adopté les motifs de décision du regis-
traire qu'il trouvait convaincants.
J'admets, comme le registraire l'a conclu dans
sa décision, que la marque en question est enregis-
trable en vertu des dispositions de la Loi sur les
marques de commerce; cependant, j'arrive à cette
conclusion pour un motif différent de celui qu'il a
avancé. Le registraire a conclu que les mots «Chil-
lable» et «Red» constituent tous les deux soit une
description claire soit une description fausse et
trompeuse de la nature ou de la qualité de la
marchandise de l'intimée et ne peuvent donc être
enregistrés, conformément aux dispositions de
l'alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de
commerce 6 . Il est admis que le mot «Red» consti-
tue une description claire et l'intimée s'est désistée
du droit à son usage dans sa demande. Toutefois,
le mot «Chillable» entre, à mon avis, dans une
autre catégorie. Ce mot ne se trouve pas au dic-
tionnaire. Selon moi, il semble décrire quelque
chose qui peut être refroidi ou être gardé froid.
Comme tel, ce mot propose simplement une
manière de servir ou de déguster les vins de l'inti-
6 Ce paragraphe est libellé comme suit:
12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de com
merce est enregistrable si elle ne constitue pas
b) peinte, écrite ou prononcée, soit une description claire,
soit une description fausse et trompeuse, en langue
anglaise ou française, de la nature ou de la qualité des
marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est
employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer,
ou des conditions de leur production, ou des personnes qui
y sont employées, ou du lieu d'origine de ces marchandises
ou services;
mée. Il ne se rapporte pas à la composition de la
marchandise elle-même ni ne constitue soit «une
description claire, soit une description fausse et
trompeuse ... de la nature ou de la qualité des
marchandises . » '.
Il m'est impossible d'établir une distinction
importante entre l'arrêt Provenzano, précité, et
l'espèce. Dans cet arrêt, la marque proposée pour
désigner une bière était «Kool One». Le juge Addy
et la Cour ont statué que l'adjectif «cold» (froide)
lorsqu'il se rapporte à de la bière ne constitue
d'aucune façon une description de la nature ou de
la qualité du produit. Je pense de la même manière
que lorsqu'il est employé en liaison avec du vin, le
mot «Chillable» entre dans la même catégorie étant
donné que la température à laquelle le vin peut
être servi n'a absolument rien à voir avec la nature
ou la qualité du vin lui-même. La question de
savoir si un vin est bu après avoir été chambré ou
après avoir été refroidi est tout à fait subjective et
dépend de la préférence personnelle des buveurs de
vin.
Je ne crois pas que l'expression «Chillable Red»
constitue soit une description claire soit une des
cription fausse et trompeuse qui entraîne l'applica-
tion de la prohibition contenue à l'alinéa 12(1)b)
de la Loi, précité.
L'avocat de l'appelante a admis que si cette
expression n'est pas prohibée par l'alinéa 12(1)b),
la marque «Brights Chillable Red» peut donc être
enregistrée.
Étant donné cette conclusion, il devient inutile
de déterminer si les motifs en vertu desquels le
registraire a conclu que la marque était enregistra-
ble sont juridiquement fondés.
L'avocat de l'appelante soutient toutefois que la
décision de la Cour suprême du Canada dans
l'arrêt S.C. Johnson and Son, Limited et autre c.
Marketing International Ltd.$ a eu pour effet de
rendre inopérantes la décision rendue dans l'arrêt
Provenzano, précité, et les décisions antérieures de
la Cour de l'Echiquier et de la Cour fédérale 9 . Il
Comparer avec: Provenzano c. Registraire des marques de
commerce (1977), 37 C.P.R. (2d) 189 (C.F. 1fe inst.), le juge
Addy. Jugement du juge Addy confirmé—(1978), 40 C.P.R.
(2d) 288 (C.F. Appel).
8 [1980] 1 R.C.S. 99; (1979), 44 C.P.R. (2d) 16.
9 Voir par exemple: Kellogg Company of Canada Limited v.
The Registrar of Trade Marks, [1940] R.C.É. 163. Voir aussi:
Thomas J. Lipton, Ltd. c. Salada Foods Ltd. (N° 3), [1980] 1
C.F. 740; (1979), 45 C.P.R. (2d) 157 (lie inst.).
ne m'est pas possible de souscrire à cette préten-
tion. Dans l'arrêt S.C. Johnson, la Cour suprême a
statué que la marque «Off» n'était pas enregistra-
ble parce que ce mot était employé elliptiquement
à l'égard d'un insectifuge et qu'il décrivait la mar-
chandise ou son effet. La Cour a jugé qu'en
demandant l'enregistrement de la marque «Off», la
requérante réclamait en fait le droit exclusif d'uti-
liser un mot commun, couramment employé à
l'égard de diverses marchandises ayant toutes la
propriété de débarrasser de quelque chose. Le juge
Pigeon, qui a rédigé le jugement de la Cour, a
énuméré un bon nombre de marques de commerce
se terminant par le mot «Off» et figurant actuelle-
ment au registre, pour démontrer à quel point cet
usage est répandu. Il a aussi mentionné plusieurs
significations que les dictionnaires attribuent au
mot «Off».
À mon avis, les différences évidentes quant aux
faits permettent d'établir une distinction entre l'af-
faire en instance et l'arrêt S.C. Johnson, précité.
Le mot «Chillable» n'est pas un mot commun. De
plus, rien ne laisse supposer, pour démontrer un
emploi répandu, qu'il fait partie de plusieurs mar-
ques de commerce enregistrées. Par conséquent, je
conclus que la décision rendue dans l'arrêt S.C.
Johnson ne modifie en rien les décisions rendues
antérieurement dans la mesure où les faits particu-
liers de l'espèce sont concernés.
Par ces motifs, je suis d'avis que le présent appel
soit rejeté avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Je ne répéterai pas les faits qui
ont donné lieu aux points en litige puisque le juge
en chef les a exposés dans ses motifs.
Le principal point à trancher en l'espèce consiste
à déterminer si la marque proposée est enregistra-
ble puisqu'elle ne contrevient pas à l'alinéa 12(1)b)
de la Loi sur les marques de commerce 1 ° qui porte
notamment:
1° S.R.C. 1970, chap. T-10.
12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce
est enregistrable si elle ne constitue pas
b) peinte, écrite ou prononcée, soit une description claire, soit
une description fausse et trompeuse, en langue anglaise ou
française, de la nature ou de la qualité des marchandises ou
services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à
l'égard desquels on projette de l'employer ...
La marchandise en question est le vin de l'intimée.
Cette dernière emploie la marque de commerce
«Brights» en liaison avec ses vins depuis 1967.
L'appelante soutient que l'inclusion du mot
«Chillable» dans la marque de commerce proposée
renseignerait le consommateur sur la nature ou la
qualité du vin lui-même, c'est-à-dire qu'il peut être
servi frappé. Elle prétend que cela constitue une
description du vin. J'ai beaucoup de difficulté à
accepter une telle prétention.
J'admets que de prime abord, le mot «Chillable»
dans le contexte de la marque proposée indiquerait
que le vin peut être refroidi, mais je ne crois
cependant pas que la marque constitue une des
cription claire de la nature ou de la qualité du vin,
que ce soit explicitement ou elliptiquement". La
marque de commerce «Brights» identifie manifes-
tement le «Chillable Red» comme un vin. À mon
avis, l'inclusion du mot «Chillable» ne renseigne
pas sur la nature même ou la composition du vin.
Des mots tels que «tart» (piquant), «sweet» (doux),
«dry» (sec), «red» (rouge) et «white» (blanc) consti
tuent une description de la nature même et de la
qualité d'un vin. Je ne crois pas que le mot «Chilla-
ble» décrive la nature même du vin mais seulement
ce que peut en faire le consommateur qui l'a entre
les mains et qui, évidemment, doit en accepter la
nature ou la qualité. J'estime qu'il ne fait que
suggérer une manière de servir le vin pour sa
consommation, c'est-à-dire le servir frappé au lieu
de chambré.
' Voir S.C. Johnson and Son, Limited et autre c. Marketing
International Ltd., [1980] 1 R.C.S. 99; (1979), 44 C.P.R. (2d)
16 et Home Juice Company, et autres c. Orange Maison
Limitée, [1970] R.C.S. 942 qui, pour utiliser les termes de lord
Macnaghten dans l'arrêt Solio [In the Matter of an Applica
tion of the Eastman Photographic Materials Company, Ld., for
a Trade Mark] (1898), 15 R.P.C. 476 (H.L.), à la p. 486,
concernait des marques proposées qui contenaient «une allusion
voilée ou ingénieuse à la nature ou à la qualité de la
marchandise,,.
Le caractère enregistrable d'une marque de
commerce qui constitue une description suggestive
plutôt qu'une description claire de la nature ou de
la qualité d'une marchandise est reconnu depuis de
nombreuses années. Cette distinction a été claire-
ment établie par l'auteur de The Canadian Law of
Trade Marks and Unfair Competition (3 e édition),
1972. Il affirme en ce qui concerne l'alinéa
12(1)b) (à la page 101):
[TRADUCTION] Pour que l'enregistrement d'une marque soit
refusé en vertu de cet alinéa de la loi, celle-ci doit constituer
une description claire. L'emploi de ces mots prévoit l'accepta-
tion, jusqu'à un certain point, d'une connotation de nature
descriptive. La distinction entre ce qui est descriptif et ce qui
est suggestif a été approuvée en Grande-Bretagne et au
Canada, où les tribunaux ont jugé valides des marques de
commerce véhiculant une connotation suggestive à l'égard des
marchandises auxquelles elles ont été appliquées, au motif
qu'elles ne constituaient pas des descriptions claires.
Le juge Addy a fait cette distinction plus récem-
ment dans l'arrêt Provenzano c. Registraire des
marques de commerce 12 en ce qui concerne l'em-
ploi de l'expression «Kool One» comme marque de
commerce pour désigner une bière. Il a dit (à la
page 190):
L'adjectif «cold», lorsqu'il qualifie le mot «beer», ne constitue
d'aucune façon une description de la nature ou de la qualité
intrinsèques du produit. Contrairement à certains produits ali-
mentaires comme la crème glacée, les aliments congelés, les
glaces et les jus, ou à certains appareils comme les réfrigéra-
teurs, les poêles et les grille-pains, la température à laquelle la
bière peut ou non être livrée, vendue ou utilisée n'a rien à voir
avec la nature ou la qualité du produit lui-même. (Voir, par
exemple, le mot «frigidaire», dans General Motors Corp. v.
Bellows, (1949), 10 C.P.R. 101, [1950] 1 D.L.R. 569, [1949]
R.C.S. 678, et les mots «Tastee Freeze», dans Tastee Freeze
[sic] International, Ltd.'s Appin., [1960] R.P.C. 255.) Bien que
la majorité des gens doivent préférer boire leur bière froide,
d'autres peuvent l'aimer mieux à la température de la pièce. En
pareil cas, le mot «cold» ne peut se rapporter qu'à l'état dans
lequel le produit, c'est-à-dire la bière, peut ou ne peut pas être
vendu ou consommé, et non pas à la qualité ou à la nature
intrinsèques du produit. Il ne constitue donc pas une description
de la bière elle-même.
Je ne peux donc qu'exprimer mon désaccord
avec la conclusion du fonctionnaire chargé de l'au-
dition voulant que le mot «Chillable» constitue une
description claire du vin rouge de l'intimée. En
conséquence, j'estime que l'enregistrement est
valide et que l'appel devrait être rejeté avec
dépens.
z (1977) , 37 C.P.R. (2d) 189 (C.F. 1« inst.), confirmé par
(1978), 40 C.P.R. (2d) 288 (C.F. Appel).
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