T-561-84
Bryan Rolston Latham (requérant)
c.
Solliciteur général du Canada et ses préposés,
Commission nationale des libérations condition-
nelles et Service correctionnel du Canada, dont
une partie s'appelait autrefois Service des libéra-
tions conditionnelles du Canada (intimés)
Division de première instance, juge Strayer—
Prince Albert (Saskatchewan), 8 mars; Ottawa, 28
mars 1984.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Certiorari —
Révocation de libération conditionnelle — L'audition posté-
rieure à la suspension ne répondait pas aux normes d'équité —
Le déni d'équité découle principalement du défaut par la
Commission d'informer suffisamment le requérant des motifs
de révocation et de lui donner la possibilité de répondre aux
allégations examinées par la Commission — Pour déterminer
les conditions d'équité, il faut examiner la nature des consé-
quences d'un déni d'équité — L'exclusion de l'audition de
révocation constitue un déni d'équité — La présence d'avocat à
l'audition est un facteur important pour assurer l'équité —
Rien ne prouve qu'on ait refusé au requérant le droit à un
avocat — Si, dorénavant, la Commission procède à des audi
tions et n'est pas à même de démontrer qu'elle a pris des
mesures pour donner au libéré conditionnel toute possibilité
raisonnable de retenir les services d'un avocat, ses procédures
pourront être attaquées pour déni d'équité — Décernement
d'un bref de certiorari pour annuler la décision de la Commis
sion portant révocation de la libération conditionnelle de jour.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Justice fonda-
mentale — Révocation de libération conditionnelle — L'art.
17(3) du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus
qui prévoit la non-révélation de certains renseignements, ne
doit pas s'appliquer de manière à refuser au requérant le droit
à l'équité procédurale prévue à l'art. 7 — On doit donner au
requérant les grandes lignes des allégations examinées par la
Commission — L'art. 10b) portant sur le droit, en cas d'arres-
tation ou de détention, d'avoir recours à l'assistance d'un
avocat ne s'applique pas puisqu'il vise le cas d'une première
arrestation ou détention — L'art. 7 exige que la Commission
fournisse au requérant toutes les possibilités raisonnables de
se faire représenter par un avocat à une audition portant sur la
révocation — Le défaut de le faire donnera lieu à une contes-
tation pour déni d'équité — L'art. 20 de la Loi sur la libéra-
tion conditionnelle de détenus, qui prévoit l'annulation de la
réduction de peine sur révocation de la libération condition-
nelle, ne va pas à l'encontre de la justice fondamentale prévue
à l'art. 7 — L'art. 7 vise à garantir uniquement la justice ou
l'équité sur le plan de la procédure et il n'impose pas, quant au
fond, un critère de l'équité des règles — On a délibérément
évité l'expression «l'application régulière de la loi» de l'art.
la) de la Déclaration canadienne des droits pour employer
l'expression «justice fondamentale» de l'art. 2e) — La Cour
suprême du Canada a interprété cette expression comme ayant
un contenu procédural — On peut supposer que la Charte a
ultérieurement employé cette expression dans ce sens —
Décernement d'un bref de certiorari pour annuler la décision
de révoquer la libération conditionnelle rendue par la Com
mission — Charte canadienne des droits et libertés, qui consti-
tue la Partie de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7,
10b), 24 — Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970,
Appendice Ill, art. 1 a), 2e).
Libération conditionnelle — Révocation — Audition posté-
rieure à la suspension — Requête en bref d'habeas corpus, en
bref de certiorari, en injonction et en dommages-intérêts — En
vertu de l'art. 6 de la Loi sur la libération conditionnelle de
détenus, la Commission a compétence exclusive pour révoquer
la libération conditionnelle — L'art. 17(3) du Règlement sur la
libération conditionnelle de détenus, qui prévoit la non-révéla-
tion de certains renseignements visés par l'art. 54a) à g) de la
Loi canadienne sur les droits de la personne, ne doit pas
s'appliquer de manière à refuser au requérant le droit à
l'équité procédurale prévu à l'art. 7 de la Charte — L'habeas
corpus, l'injonction et les dommages-intérêts ne sont pas des
recours appropriés — L'art. 24 de la Charte n'est d'aucun
secours — Décernement d'un bref de certiorari pour annuler la
révocation de la libération conditionnelle — Loi sur la libéra-
tion conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 6
(abrogé et remplacé par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 23), 16
(idem, art. 29), 20 (idem, art. 31) — Loi canadienne sur les
droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 54 —
Règlement sur la libération conditionnelle de détenus,
DORS/78-428, art. 17, 20, 20.1 (ajouté par
DORS/81-318), 22.
Le requérant a été déclaré coupable de viol et de voie de fait
et a été condamné à une peine d'emprisonnement. Il a par la
suite obtenu une libération conditionnelle de jour. Après une
enquête sur les allégations de sa belle-fille selon lesquelles il
avait menacé de la violer—allégations qu'il n'a pas niées—il a
accepté de retourner volontairement en prison, comprenant que
s'il le faisait, sa libération conditionnelle ne serait pas révoquée.
Un mandat d'arrestation et de suspension de la libération
conditionnelle a néanmoins été délivré. Il a sollicité une audi
tion postérieure à la suspension. À la fin de l'audition, la
Commission a révoqué sa libération conditionnelle de jour,
décision qu'elle a plus tard confirmée après un réexamen. Le
requérant demeure incarcéré depuis. Il sollicite maintenant
divers redressements: un bref d'habeas corpus, un bref de
certiorari annulant la décision de la Commission, une injonc-
tion provisoire et des dommages-intérêts. Le requérant fait
valoir que la Commission n'avait pas compétence pour rendre
une ordonnance de révocation sous le régime de l'article 16 de
la Loi sur la libération conditionnelle de détenus puisqu'il n'y
avait plus rien que la Commission puisse révoquer, le requérant
ayant mis fin à sa propre libération conditionnelle de jour en se
livrant. Toujours selon le requérant, il y a déni d'équité et des
exigences de la Charte parce qu'on ne l'a ni suffisamment
informé des motifs de révocation, ni autorisé à assister à la
majeure partie de l'audition postérieure à la suspension, ni
informé qu'il avait droit à un avocat. Le requérant fait valoir en
dernier lieu que l'article 20 de la Loi, qui prévoit l'annulation
automatique de la réduction de peine statutaire ou méritée, sur
révocation de la libération conditionnelle, va à l'encontre de
l'article 7 de la Charte. Cet argument part du principe que la
«justice fondamentale», mentionnée à l'article 7, impose, quant
au fond, un critère de l'équité des règles, et non simplement un
critère quant aux procédures par lesquelles il peut être porté
atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne.
Jugement: il y a lieu de délivrer un bref de certiorari pour
annuler la décision portant révocation.
L'argument du requérant selon lequel la Commission n'avait
pas compétence pour révoquer la libération conditionnelle est
rejeté. Le fait pour le requérant de se livrer volontairement n'a
pas eu pour effet juridique de mettre fin à sa libération
conditionnelle. Celle-ci était toujours en vigueur et, en vertu de
l'article 6 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus,
la Commission pouvait la révoquer.
Certes, la révocation de la libération conditionnelle n'exige
pas le processus de type judiciaire qu'on associe plus communé-
ment avec le concept de justice naturelle; mais elle exige au
moins qu'on applique les règles de l'équité. En l'espèce, le déni
d'équité découle principalement du défaut d'informer suffisam-
ment le requérant des motifs de révocation et de lui donner la
possibilité de répondre aux allégations examinées par la Com
mission. L'article 16 de la Loi autorise la révocation soit
lorsqu'il y a violation des modalités d'une libération condition-
nelle soit «pour protéger la société». Le certificat de libération
conditionnelle ne prévoyait aucune modalité directement perti-
nente à la situation. Toutefois, le mandat d'arrestation et de
suspension déclare que la libération conditionnelle a été suspen-
due pour empêcher la violation des modalités d'une libération
conditionnelle. Le «Rapport d'infraction» a utilisé le même
langage, mais il a également fait mention dans son sommaire
d'une «Affaire relative à la protection de la jeunesse». Ce sont là
les allégations écrites données au requérant avant l'audition.
Selon les motifs écrits donnés par la Commission, sa décision
visait à «protéger la société». Bien qu'il puisse y avoir un
chevauchement important entre les raisons de la révocation
reposant sur une violation des modalités de la libération condi-
tionnelle dans le passé et celles s'appuyant sur la nécessité de
protéger la société, elles sont différentes du point de vue de leur
orientation dans le temps et de l'importance relative de divers
facteurs. Il importe que le requérant sache sur quoi portent
principalement les préoccupations de la Commission. Les ren-
seignements ainsi portés à la connaissance du requérant étaient
insuffisants, ce qui constitue une injustice à cet égard; c'est
également une injustice que de ne pas préciser davantage la
nature des renseignements recueillis par la Commission afin de
permettre au requérant de les commenter.
En déterminant les conditions d'équité, il est nécessaire
d'examiner la nature des conséquences du déni d'équité. En
l'espèce, la conséquence directe pour le requérant était la
privation de sa liberté pour une durée allant de deux ans et
demi à cinq ans. Une décision si lourde de conséquences doit, de
toute évidence, être prise en tenant compte de l'équité.
L'avocat de la Commission a fait mention du paragraphe
17(3) du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus,
qui prévoit que la Commission n'est pas tenue de révéler à un
détenu des renseignements visés par les alinéas 54a) à g) de la
Loi canadienne sur les droits de la personne. Bien que le
paragraphe 17(3) apporte peut-être une limite juridiquement
efficace à toute condition de divulgation posée par l'équité de
common law, cela n'aurait pas pour effet de limiter le droit que
le libéré conditionnel tient de l'article 7 de la Charte. A
l'évidence, la «liberté» du libéré conditionnel est en jeu, et la
justice fondamentale exige une équité procédurale qui corres-
ponde à l'intérêt touché. L'équité exige qu'on donne à la
personne que visent les allégations examinées par la Commis
sion les grandes lignes de celles-ci. Une loi qui prétend opérer
cette privation ne constitue pas une limite raisonnable, au sens
de l'article 1 de la Charte, des droits garantis par l'article 7.
L'article 17 du Règlement ne devrait donc pas s'appliquer de
manière à nier ce droit.
Les mêmes considérations s'appliquent généralement au
refus de la possibilité pour le requérant d'être présent à l'audi-
tion. Puisque le requérant était disponible, rien ne justifie de
l'exclure. De prime abord, il apparaît que cette exclusion
équivalait à un déni d'équité. Il appartient à la Commission de
démontrer, dans des procédures à venir, qu'il existe une loi qui
limite raisonnablement ce droit.
La garantie prévue à l'alinéa 10b) de la Charte (le droit, en
cas d'arrestation ou de détention, d'avoir recours à l'assistance
d'un avocat) ne s'applique pas en l'espèce. L'alinéa l0b) vise le
cas d'une première arrestation ou détention. Toutefois, la
garantie prévue à l'article 7 exige effectivement que le requé-
rant ait toutes les possibilités raisonnables de se faire représen-
ter par un avocat à une audition portant sur la révocation. La
présence d'avocat dans une affaire aussi grave est un facteur
important pour assurer l'équité de la procédure.
Pour ce qui est des auditions futures concernant la révocation
de la libération conditionnelle du requérant, il n'appartient pas
à la Cour d'ordonner à la Commission ou à des organismes
fédéraux ou provinciaux en cause d'assurer la représentation
par avocat à ces auditions. Mais si, dorénavant, la Commission
procède à des auditions et n'est pas à même de démontrer
qu'elle a pris des mesures pour donner au libéré conditionnel
toute possibilité raisonnable de retenir les services d'un avocat,
ses procédures pourront être attaquées pour déni d'équité.
L'argument du requérant selon lequel la justice fondamen-
tale impose, quant au fond, un critère de l'équité des règles doit
être rejeté. Il ressort de l'historique de l'article 7 qu'il vise
uniquement à garantir la justice ou l'équité sur le plan de la
procédure. On a délibérément évité l'expression «l'application
régulière de la loi» de l'alinéa la) de la Déclaration canadienne
des droits pour employer l'expression «justice fondamentale» de
l'alinéa 2e). La Cour suprême du Canada a interprété cette
expression comme ayant un contenu procédural, et on peut
supposer que la Charte a ultérieurement employé cette expres
sion dans ce sens.
Ni une injonction ni des dommages-intérêts ne peuvent être
accordés dans la présente procédure. Celle-ci n'a pas été conçue
comme une action ni ne peut convenir à une action. Quant au
bref d'habeas corpus, il est bien établi que, à de rares excep
tions près, la Division de première instance de la Cour fédérale
ne saurait décerner un bref d'habeas corpus. L'article 24 de la
Charte ne modifie pas cette situation puisqu'il autorise seule-
ment un tribunal compétent à accorder la réparation qu'il a
déjà le pouvoir d'accorder.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
Starr c. Commission nationale des libérations condition-
nelles, [1983] 1 C.F. 363 (1' » inst.); Morgan c. La
Commission nationale des libérations conditionnelles,
[1982] 2 C.F. 648 (C.A.); Couperthwaite c. Commission
nationale des libérations conditionnelles, [1983] 1 C.F.
274 (1" inst.); R. v. Caddedu; R. v. Nunery (1982), 32
C.R. (3d) 355 (H.C. Ont.); Re Mason and the Queen
(1983), 43 O.R. (2d) 321 (H.C.); Duke c. La Reine,
[1972] R.C.S. 917; Ex p. Quevillon (1974), 20 C.C.C.
(2d) 555 (C.F. 1" inst.); Noonan c. La Reine du chef du
Canada et autre, jugement en date du 17 mars 1983,
Division d'appel de la Cour fédérale, A-277-83, non
publié; Re Morgan and the Queen (1982), 1 C.C.C. (3d)
436 (C.A. Man.); Truscott v. Dir. of Mountain Institu
tion (1983), 33 C.R. (3d) 121 (C.A.C.-B.); Oag c. La
reine et autres; R. c. Moore, [1983] 1 R.C.S. 658; 41
O.R. (2d) 271; 33 C.R. (3d) 97.
AVOCATS:
Lucinda Vandervort pour le requérant.
L. P. MacLean pour les intimés.
PROCUREURS:
Lucinda Vandervort, Saskatoon, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: Le requérant à l'instance est
un détenu du pénitencier de la Saskatchewan, à
Prince Albert. Il demande essentiellement un bref
d'habeas corpus accompagné d'un bref de certio-
rari pour faire annuler une ordonnance qu'a
rendue le 6 octobre 1982 la Commission nationale
des libérations conditionnelles; cette ordonnance
révoquait sa libération conditionnelle de jour et a
eu pour effet de maintenir son emprisonnement.
Sans entrer dans les détails, il convient de souli-
gner quelques faits saillants concernant les antécé-
dents du requérant. Le 22 janvier 1971, il a été
condamné en Colombie-Britannique à quatre ans
de pénitencier pour viol et à une peine concurrente
de quatre mois pour avoir illégalement détenu une
femme dans l'intention d'avoir des relations
sexuelles avec elle. Le 25 octobre 1973, il a obtenu
une libération sous surveillance obligatoire. Le 15
août 1974, la Commission nationale des libérations
conditionnelles a révoqué cette libération sous sur
veillance obligatoire. Le 25 octobre 1974, la Cour
du Banc de la Reine du Manitoba l'a déclaré
coupable de viol et de voie de fait sur une femme
et de voie de fait sur une autre, ainsi que de
possession d'un couteau ou d'une imitation d'un
couteau à une fin dangereuse pour l'ordre public.
Ces infractions ont toutes eu lieu à Winnipeg ou
aux environs, le 25 mai 1974. Il a été condamné à
12 ans d'emprisonnement pour le viol et à 5 ans
d'emprisonnement pour chacun des autres chefs
d'accusation, ces dernières peines devant être pur
gées simultanément avec la peine de 12 ans. Par la
suite, la Cour d'appel du Manitoba a rejeté les
appels interjetés à la fois des condamnations et des
sentences.
Le 17 août 1982, le requérant a été libéré de
l'établissement manitobain de Rockwood, ayant
obtenu une libération conditionnelle de jour.
Entre-temps, alors qu'il était détenu, il s'était
marié en 1975, et il a eu deux enfants. Sa femme a
également une fille, Diana Lee, qui avait environ
douze ans en 1982. Mme Latham et les trois enfants
vivaient à Winnipeg. Depuis sa libération condi-
tionnelle de jour, le requérant y a passé la majeure
partie de son temps, et était à la recherche d'un
emploi.
Le 2 septembre 1982, une voisine des Latham a
fait part à la police municipale de Winnipeg de ses
inquiétudes au sujet du bien-être de Diana Lee
Latham, la belle-fille du requérant. La police a
interrogé Diana Lee. Celle-ci a dit en effet qu'elle
avait peur du requérant et qu'il lui avait dit au
moins à deux reprises qu'il avait envie de la violer.
La police a alors interrogé la mère de la fille, Mme
Latham, qui a dit qu'elle était au courant de cette
situation, qu'elle en avait discuté avec son mari et
que, à son avis, cela ne se reproduirait pas. Plus
tard dans la journée, la police a rencontré M. et
M me Latham ensemble. M. Latham n'a pas nié une
grande partie de ce qui avait été allégué, mais a
assuré la police que Diana était en parfaite sécu-
rité. Victor Bergen, son agent de libération condi-
tionnelle, a alors téléphoné, et il a été convenu
entre eux que Latham retournerait volontairement
à Rockwood.
Selon Latham, il a compris que s'il retournait
volontairement à Rockwood, la Commission ne
révoquerait pas sa libération conditionnelle, et
qu'il désirait éviter une telle révocation, qui aurait
automatiquement pour effet d'annuler quelque
1 800 jours de réduction méritée de peine auxquels
il avait droit et qui seraient déduits de sa peine
actuelle. Selon M. Bergen, l'agent de libération
conditionnelle du requérant, il a dit au téléphone à
Latham de retourner à Rockwood ce soir-là, et si
Latham ne s'exécutait pas, il ferait décerner un
mandat d'arrestation et de suspension. En tout cas,
Latham est effectivement retourné à Rockwood le
soir du 3 septembre 1982, mais le mandat a néan-
moins été délivré ce jour-là et signifié à Latham le
7 septembre. Latham demeure incarcéré depuis.
Le 10 septembre 1982, un agent de libération
conditionnelle a interrogé Latham qui a signé, le
même jour, une demande pour une audition posté-
rieure à la suspension. L'audition a été tenue le 6
octobre conformément aux articles 20 et 20.1 du
Règlement sur la libération conditionnelle de
détenus, DORS/78-428, ajouté par DORS/81-318.
D'après Latham, il a vainement tenté d'obtenir
un conseiller juridique pour l'audition. Il a été
assisté par M. Epp, aumônier de la prison. Les
détails de cette audition seront examinés plus loin;
il suffit de dire qu'à la fin de l'audition, les mem-
bres de la Commission, composée de Denis Chis-
holm et Dorothy Betz, ont révoqué la libération
conditionnelle de jour de Latham. La Commission
a par la suite confirmé cette révocation lors d'un
réexamen de la décision fait en vertu de l'article 22
du Règlement.
En 1983, le requérant a sollicité de la Cour du
Banc de la Reine de la Saskatchewan (il était alors
incarcéré à Prince Albert) un bref d'habeas
corpus. Le 27 octobre 1983, le juge Sirois a rejeté
la requête au motif qu'il s'agissait en réalité d'une
contestation de l'ordonnance de révocation rendue
par la Commission nationale des libérations condi-
tionnelles. À son avis, la procédure appropriée
consistait à demander à cette Cour de décerner un
bref de certiorari.
Le requérant a demandé, dans ses conclusions,
diverses formes de redressement: l'habeas corpus;
un certiorari pour annuler la décision; une injonc-
tion provisoire ordonnant sa libération en atten
dant une décision finale sur l'affaire et, semble-t-il,
des dommages-intérêts.
Je suis persuadé que ni une injonction ni des
dommages-intérêts ne peuvent être accordés dans
cette procédure. Bien indépendamment de toute
autre contrainte judiciaire, cette procédure n'a pas
été conçue comme une action; la procédure ne
convient pas non plus à une action. Il n'existe pas
non plus d'autres redressements provisoires que
cette Cour accorde normalement, comme le bref
d'habeas corpus ou la suspension de l'ordonnance
de révocation. J'ai considéré la demande essentiel-
lement comme une demande de bref de certiorari;
bien entendu, je vais examiner encore la question
du bref d'habeas corpus ou du redressement
équivalent.
Compétence pour révoquer la libération condition-
nelle de jour
Dans ses conclusions, le requérant fait valoir que
parce qu'il s'était livré le 3 septembre 1982, il a
mis fin à sa propre libération conditionnelle de
jour, et il n'y avait plus rien que la Commission
puisse révoquer. Par conséquent, elle n'avait pas
compétence pour rendre une ordonnance de révo-
cation sous le régime de l'article 16 de la Loi sur
la libération conditionnelle de détenus, S.R.C.
1970, chap. P-2, [abrogé et remplacé par S.C.
1976-77, chap. 53, art. 29]. Son avocate, à qui
l'affaire n'a été confiée que trois jours avant l'audi-
tion devant cette Cour, n'a pas insisté sur cet
argument que je crois sans fondement. Certes, il
est possible de faire valoir que la libération condi-
tionnelle ne saurait être révoquée si elle n'est pas
encore en vigueur' ou n'est plus en vigueur. Mais,
en l'espèce, la libération conditionnelle était tou-
jours en vigueur, parce que le fait pour Latham de
se livrer ne pouvait avoir pour effet juridique de
mettre fin à la libération conditionnelle. En vertu
de l'article 6 [abrogé et remplacé par S.C.
1976-77, chap. 53, art. 23] de la Loi sur la libéra-
tion conditionnelle de détenus, la Commission a
compétence exclusive pour révoquer la libération
conditionnelle ou mettre fin à la libération condi-
tionnelle de jour.
Équité ou exigences de la Charte dans l'audition
postérieure à la suspension
Il est maintenant clair que les exigences de
l'équité de common law s'appliquent à de telles
auditions 2 . L'incidence de la Charte canadienne
des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
' Voir, p. ex., Starr c. Commission nationale des libérations
conditionnelles, [1983] 1 C.F. 363 (1" inst.).
2 Morgan c. La Commission nationale des libérations condi-
tionnelles, [1982] 2 C.F. 648 (C.A.); Couperthwaite c. Com
mission nationale des libérations conditionnelles, [1983] 1
C.F. 274 (1' 0 inst.).
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] sur
ces auditions a été, jusqu'ici, moins clairement
définie 3 .
Selon le requérant, il y a déni d'équité et des
exigences de la Charte, parce qu'on ne l'a ni
suffisamment informé des motifs amenant la Com
mission à examiner la révocation de sa libération
conditionnelle de jour, ni autorisé à assister à la
majeure partie de l'audition, ni informé qu'il avait
droit à un avocat.
Pour ce qui est du premier point, je crois qu'il
est bien fondé. Il est vrai que dans les conversa
tions qu'il a eues avec la police chez lui le 3
septembre 1982, Latham était parfaitement au
courant des faits allégués contre lui par sa belle-
fille, Diana Lee. Il s'est rendu compte que s'il ne
quittait pas la maison de son propre gré, la Chil-
dren's Aid emmènerait sa belle-fille (en fait, elle a
été emmenée temporairement malgré qu'il soit
retourné volontairement en prison). Mais, à partir
de là, on n'a fait que conjecturer qu'il était au
courant des motifs précis de révocation. Le mandat
d'arrestation et de suspension de la libération con-
ditionnelle, lancé le 3 septembre 1982 et qui lui a
été signifié à l'établissement le 7 septembre 1982,
invoquait la raison suivante pour la suspension de
la libération conditionnelle de jour: [TRADUC-
TION] «pour prévenir la violation des modalités
d'une libération conditionnelle». Le [TRADUC-
TION] «Rapport d'infraction» daté également du 3
septembre et qui lui a été envoyé donnait aussi le
motif de la suspension: [TRADUCTION] «Pour pré-
venir la violation des modalités d'une libération
conditionnelle». Sous la rubrique [TRADUCTION]
«Sommaire (Comment l'infraction est survenue)»,
il est dit simplement: [TRADUCTION] «Affaire rela
tive à la protection de la jeunesse mettant en cause
Latham et sa belle-fille, au sujet de laquelle la
police a demandé notre intervention». Il faut inter-
préter ceci comme une explication de la raison
pour laquelle la suspension était nécessaire «pour
prévenir la violation des modalités d'une libération
conditionnelle». Toutefois, si l'on examine le certi-
ficat de libération conditionnelle en date du 16
août 1982, on voit qu'aucune condition n'y était
précisée, si ce n'est les directives quant à l'endroit
3 Voir, p. ex., R. v. Caddedu; R. v. Nunery (1982), 32 C.R.
(3d) 355 (H.C. Ont.).
où il devait se présenter pour la surveillance des
libérés conditionnels et aux périodes d'entrée en
vigueur de la libération. Rien ne précise le genre
de conversation que le détenu devait éviter d'avoir
avec les membres de sa famille.
Aucune autre source de renseignements sur les
motifs de suspension ou de révocation possible n'a
été portée à la connaissance de Latham avant
l'audition tenue par la Commission le 6 octobre. Je
suis persuadé qu'à cette audition, il n'a pas été
informé, ou ne l'a été que bien peu, à ce sujet,
jusqu'à ce que la décision ait été prise. La preuve
semble montrer clairement que tout juste avant de
rencontrer Latham et Epp, les membres de la
Commission ont rencontré l'agent de libération
conditionnelle et l'agent de classement. Cette dis
cussion, selon l'affidavit de M. Chisholm, portait
[TRADUCTION] «sur les renseignements confiden-
tiels donnés par la police». Lorsque Latham et Epp
ont comparu devant la Commission, Latham, selon
son propre témoignage, a exprimé des regrets
devant la Commission pour avoir encore causé des
ennuis à sa famille. D'après Latham, il a alors
demandé quels renseignements la Commission
était en train d'examiner, et on lui a dit simple-
ment que la formation avait tout ce dont elle avait
besoin. La seule preuve directe de l'audition dépo-
sée par les intimés consistait dans l'affidavit de
M. Chisholm, qui disait simplement que [TRADUC-
TION] «Au commencement de l'audition, les préoc-
cupations de la Commission ont été divulguées à
Latham et à son conseiller, et on a donné à
Latham la possibilité de répondre à ces préoccupa-
tions.» À mon avis, cela ne suffit vraiment pas pour
établir que Latham a convenablement été informé
de la nature des allégations qu'examinait la Com
mission. L'affidavit du requérant prouve très préci-
sément que lorsqu'il a demandé à M. Chisholm
quels renseignements la Commission avait, ce der-
nier a répondu: [TRADUCTION] «Nous sommes
tout à fait satisfaits des renseignements que nous
avons reçus; en fait, c'est plus que suffisant.»
Devant cette preuve précise, je ne suis pas disposé
à considérer les vagues euphémismes de M. Chis-
holm comme une preuve que des renseignements
clairs ont été portés à la connaissance de M.
Latham.
Après cette brève rencontre, qui a, semble-t-il,
duré cinq ou dix minutes tout au plus, on a
demandé à Latham et à Epp de se retirer. Les
agents sont restés avec les membres de la Commis
sion pendant qu'ils prenaient une décision. Puis on
a fait entrer Latham et Epp pour les informer de
cette décision, qui était de révoquer sa libération
conditionnelle de jour.
Après cette audition, la Commission nationale
des libérations conditionnelles a, dans sa lettre en
date du 20 octobre 1982, officiellement avisé le
requérant de sa décision de révoquer la libération
conditionnelle de ce dernier. Voici les motifs
donnés:
[TRADUCTION] En dépit d'une longue période de libération
graduelle et de traitement thérapeutique, le comportement du
sujet (déviance sexuelle) est absolument inacceptable; étant
donné les délits graves de voies de fait d'ordre sexuel qu'il a
commis, on le considère comme présentant un très grand
danger pour la collectivité, et on voit que la révocation de la
libération conditionnelle de jour s'impose.
Par la suite, la Commision a, sous le régime de
l'article 22 du Règlement, réexaminé la décision
portant révocation. Le 19 janvier 1983, elle a
envoyé au requérant une lettre portant qu'elle
avait décidé de confirmer cette décision. La lettre
énonce notamment:
[TRADUCTION] Dans ce cas particulier, on a procédé à la
suspension et à la révocation subséquente pour protéger la
société.
À mon avis, la procédure adoptée en l'espèce par
la Commission nationale des libérations condition-
nelles ne répondait pas aux normes d'équité qu'exi-
geait la situation. Certes, la libération condition-
nelle n'est pas un droit, mais un privilège, et, par
conséquent, sa révocation n'exige pas de suivre le
processus de type judiciaire qu'on associe plus
communément avec le concept de justice naturelle.
Néanmoins, elle exige effectivement que l'on appli-
que les règles de l'équité 4 . En déterminant les
conditions d'équité dans une situation donnée, j'es-
time qu'il est nécessaire d'examiner les conséquen-
ces que cela entraîne pour la personne qui a,
semble-t-il, fait l'objet d'un déni d'équité. En l'es-
pèce, la conséquence directe pour le requérant
était la privation de sa liberté pour une durée
allant de deux ans et demi à cinq ans. Au moment
de l'audition, si sa libération conditionnelle de jour
n'avait pas été révoquée, il aurait au moins bénéfi-
Morgan c. La Commission nationale des libérations condi-
tionnelles, précitée, note 2.
cié d'une liberté partielle jusqu'en avril 1983, date
à laquelle il aurait eu droit à une libération sous
surveillance obligatoire au lieu de purger sa sen
tence en prison jusqu'à la date d'expiration, soit le
29 novembre 1987. Au lieu de cela, une fois que sa
libération conditionnelle de jour eut été révoquée
le 6 octobre 1982, il est retourné en prison et a
perdu la réduction méritée de peine qui autrement
lui aurait permis d'être libéré en avril 1983. Il doit
maintenant y demeurer jusqu'au 24 octobre 1985
au moins, date à laquelle il aura droit, s'il continue
de bénéficier d'une réduction, à une libération sous
surveillance obligatoire. Une décision si lourde de
conséquences doit sûrement être prise en tenant
compte de l'équité.
En l'espèce, le déni d'équité découle principale-
ment du défaut d'informer suffisamment le requé-
rant des motifs pour lesquels la révocation était
envisagée et de lui donner la possibilité de répon-
dre aux allégations dont la Commission devait
apparemment tenir compte. L'article 16 de la Loi
sur la libération conditionnelle de détenus autorise
la révocation soit lorsqu'il y a violation des modali-
tés d'une libération conditionnelle soit pour «proté-
ger la société». Comme je l'ai déjà indiqué, le
certificat de libération conditionnelle du 12 août
1982 ne prévoyait aucune modalité directement
pertinente à la situation. Toutefois, le mandat
d'arrestation et de suspension de la libération con-
ditionnelle de jour en date du 3 septembre 1982
déclare que la libération conditionnelle a été sus-
pendue pour empêcher la violation des modalités
d'une libération conditionnelle. Le «Rapport d'in-
fraction» portant la même date, qui lui a égale-
ment été envoyé, a utilisé le même langage mais,
comme il a été indiqué ci-dessus, on y fait mention,
dans le sommaire de la violation de la libération
conditionnelle, d'une «Affaire relative à la protec
tion de la jeunesse mettant en cause Latham et sa
belle-fille ...». Ce sont là les allégations écrites
données au requérant avant l'audition. Selon les
motifs écrits donnés par la Commission après l'au-
dition, tant le 20 octobre 1982 que le 19 janvier
1983, sa décision visait à «protéger la société..
Bien qu'il puisse y avoir un chevauchement
important entre les raisons de la révocation repo-
sant sur une violation des modalités de la libéra-
tion conditionnelle dans le passé et celles s'ap-
puyant sur la nécessité de protéger la société, elles
sont différentes du point de vue de leur orientation
dans le temps et de l'importance relative de divers
facteurs. En vue de se préparer pour une audition
en matière de révocation, il importerait que le
requérant à l'instance sache sur quoi portent prin-
cipalement les préoccupations de la Commissions.
En conséquence, le requérant a été insuffisamment
informé des motifs d'une révocation possible, ce
qui constitue une injustice à cet égard. C'est égale-
ment une injustice que de ne pas préciser davan-
tage, à son intention, la nature des renseignements
recueillis par la Commission, afin de lui permettre
de les commenter.
L'avocat de la Commission a fait mention des
exigences de la Commission quant au caractère de
confidentialité et des dispositions de l'article 17 du
Règlement sur la libération conditionnelle de
détenus, qui prévoient que la Commission n'est pas
tenue de révéler au détenu des renseignements
«visés par les alinéas 54a) à g) de la Loi cana-
dienne sur les droits de la personne» [S.C.
1976-77, chap. 33]. Bien qu'il n'ait pas expressé-
ment rattaché les renseignements détenus en l'es-
pèce à une partie quelconque des alinéas 54a) à g),
il m'apparaît que les seuls alinéas qui puissent
s'appliquer seraient les alinéas c), d) et e) qui
décrivent les renseignements susceptibles:
54....
c) d'entraîner la divulgation de renseignements recueillis par
tout ou partie d'une institution gouvernementale constituée
en organisme d'enquête,
(i) sur la sécurité nationale,
(ii) au cours d'enquêtes sur la détection ou la prévention
du crime en général, ou
(iii) au cours d'enquêtes sur l'application des lois du
Parlement;
d) dans le cas d'un individu condamné pour infraction à une
loi du Parlement,
(i) d'avoir de graves conséquences sur son programme
pénitentiaire, sa libération conditionnelle ou sa surveillance
obligatoire,
(ii) d'entraîner la divulgation de renseignements qui, à
l'origine, ont été obtenus expressément ou implicitement
sous le sceau du secret, ou
(iii) de causer, à lui ou à quiconque, des dommages,
corporels ou autres;
e) d'entraîner la divulgation de renseignements personnels
concernant un autre individu;
S Morgan c. La Commission nationale des libérations condi-
tionnelles, ibid.
(L'article 54 de la Loi canadienne sur les droits de
la personne a maintenant été remplacé par cer-
tains articles de la Loi sur la protection des ren-
seignements personnels, S.C. 1980-81-82-83, chap.
111, annexe II, mais il était applicable à l'époque
de l'audition en question en l'espèce.)
Tout d'abord, il convient de souligner qu'il n'ap-
paraît pas qu'on ait en l'espèce invoqué les disposi
tions actuelles de la Loi canadienne sur les droits
de la personne, dont l'article 54 exigerait un décret
ministériel pour l'exemption de la divulgation de
renseignements y mentionnés. L'article 17 du
Règlement sur la libération conditionnelle de
détenus ne fait qu'introduire par renvoi la descrip
tion de certains renseignements indiqués dans la
Loi canadienne sur les droits de la personne. Il est
peut-être discutable que ce Règlement constitue en
soi une justification suffisante pour ne pas divul-
guer de renseignements à une personne qui a for-
mulé une demande appropriée, sous le régime de la
Partie IV de cette Loi, de «renseignements géné-
raux» la concernant et contenus dans des banques
de données gouvernementales. En l'espèce, je n'ai
pas à examiner cette question, puisque rien n'indi-
que que le requérant ait fait une telle requête. De
plus, la Loi en question a maintenant été rempla-
cée par la Loi sur la protection des renseignements
personnels, comme il a été indiqué.
Il apparaît que le paragraphe 17(3) du Règle-
ment sur la libération conditionnelle de détenus
apporte une limite juridiquement efficace à toute
condition de divulgation posée par l'équité de
common law. Cela n'aurait pas pour effet, à mon
avis, de limiter le droit que le libéré conditionnel
tient de l'article 7 de la Charte canadienne des
droits et libertés. L'article 7 dispose:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
Indiscutablement, la «liberté» du libéré condition-
nel est en jeu lorsqu'on le menace de révocation de
la libération conditionnelle 6 . À mon avis, la justice
fondamentale exige une équité procédurale qui
corresponde à l'intérêt touché. C'est pour la même
raison que la common law n'exigerait pas en l'es-
pèce un processus plus judiciaire qu'on associe
normalement au concept de «justice naturelle»;
6 R. v. Caddedu; R. v. Nunery, précitée, note 3.
l'article 7 ne l'exigerait pas non plus. Mais elle
exige l'équité, et l'équité exige au moins qu'on
donne, à la personne que visent les allégations
examinées par un tribunal pour décider s'il y a lieu
de priver cette personne de sa liberté, les grandes
lignes de ces allégations. Une loi qui prétend
opérer même cette privation ne constitue pas une
limite raisonnable au sens de l'article 1 de la
Charte des droits garantis par son article 7. L'arti-
cle 17 du Règlement sur la libération condition-
nelle de détenus ne devrait donc pas s'appliquer de
manière à nier ce droit. Puisque ni la preuve ni le
débat ne me prouvent en l'espèce que l'article 17
ait été invoqué pour cette fin, il me suffit de dire
qu'il ne saurait, en vertu de la Charte, être ainsi
invoqué. Je n'ai pas non plus à examiner les modi
fications apportées par la nouvelle Loi sur la pro
tection des renseignements personnels, qui pré-
voient le contrôle judiciaire du refus de fournir à
un individu ces renseignements personnels le con-
cernant, ni celles apportées à la Loi sur la preuve
au Canada [S.R.C. 1970, chap. E-10] (voir S.C.
1980-81-82-83, chap. 111, annexe III), qui élargis-
sent le fondement du contrôle judiciaire du refus
par le gouvernement de divulguer des renseigne-
ments devant les cours et les autres tribunaux.
Les mêmes considérations s'appliquent générale-
ment au refus de la possibilité, pour le requérant,
d'être présent au cours d'une majeure partie de
l'saudition» 7 . Puisque le requérant était disponible
et attendait à l'extérieur, rien, si ce n'est l'obliga-
tion de respect de la confidentialité, ne justifie de
l'exclure de l'audition. De prime abord, il m'appa-
raît que cette exclusion équivalait aussi à un déni
d'équité. Il appartient à la Commission des libéra-
tions conditionnelles de démontrer, dans des procé-
dures à venir, qu'il existe une loi qui limite ce
droit, par ailleurs garanti sous le régime de l'arti-
cle 7 de la Charte, et que, dans son application,
cette loi représente une limite raisonnable de ce
droit.
Le requérant fait également valoir qu'il y a eu
déni d'équité parce que la Commission ne l'a pas
avisé qu'il avait droit à un avocat. Il invoque
l'alinéa 10b) de la Charte, qui prévoit que:
10. Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention:
7 Re Mason and the Queen (1983), 43 O.R. (2d) 321 (H.C.).
b) d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et
d'être informé de ce droit;
Ma conclusion est que cette garantie ne s'applique
pas aux faits en l'espèce. Bien que les avocats
n'aient cité aucune jurisprudence sur ce point, il
m'apparaît que cet alinéa vise le cas d'une pre-
mière arrestation ou détention. L'expression «en
cas d'arrestation ou de détention» confirmerait
cette idée. Autrement, dans le contexte de l'empri-
sonnement, les autorités seraient continuellement
et quotidiennement tenues d'informer les détenus
de leur droit à un avocat.
J'estime toutefois que la garantie prévue à l'arti-
cle 7 de la Charte exige qu'un libéré conditionnel
ait toutes les possibilités raisonnables de se faire
représenter par un avocat à une audition portant
sur la révocation. L'importance de l'issue à son
égard, du moins dans un cas comme en l'espèce,
signifie qu'une procédure équitable exige qu'il ait
droit à un avocat s'il le désire et s'il peut en trouver
un qui soit disposé à le représenter. On devrait lui
accorder suffisamment de temps pour qu'il puisse
faire son possible en vue d'atteindre ce but.
Compte tenu des éléments de preuve produits en
l'espèce, je ne suis pas persuadé que la Commis
sion ait, de quelque façon, refusé à Latham le droit
à un avocat. Il a tenté de trouver un avocat pour le
représenter, mais ses efforts n'ont pas abouti. I1 a,
paraît-il, aussi consenti à ce que l'audition soit
tenue plus tôt que prévu. Par conséquent, je ne
rejetterais pas la décision de la Commission en
l'espèce parce qu'elle n'a pas avisé le requérant de
son droit à un avocat ou parce qu'elle lui a refusé
ce droit.
Toutefois, cela ne veut pas dire que la Commis
sion peut rester indifférente devant la question de
savoir si un libéré conditionnel a un avocat dans de
telles circonstances. Elle doit assurer une procé-
dure d'audition qui soit équitable, et la présence
d'un avocat dans une affaire aussi grave sera un
facteur important pour assurer l'équité de la pro-
cédure. Malgré que l'avocate du requérant ait
insisté pour que j'ordonne à la Commission, ou à
des organismes fédéraux ou provinciaux en cause,
d'assurer la représentation par avocat dans toute
audition future concernant la révocation de la
libération conditionnelle du requérant, je ne pense
pas que la Cour ait le pouvoir de le faire. Mais si,
dorénavant, la Commission procède à des auditions
ayant des conséquences aussi graves, et n'est pas à
même de démontrer qu'elle a pris des mesures
pour donner au libéré conditionnel toute possibilité
raisonnable de retenir les services d'un avocat, ses
procédures pourront, à mon avis, être attaquées
pour déni d'équités.
L'article 20 de la Loi sur la libération condition-
nelle de détenus et l'article 7 de la Charte
L'avocate du requérant fait valoir que
l'article 20 [abrogé et remplacé par S.C. 1976-77,
chap. 53, art. 31 ] de la Loi sur la libération
conditionnelle de détenus, qui prévoit l'annulation
automatique de la réduction de peine méritée et
prévue par la loi, sur révocation de la libération
conditionnelle pour quelque raison que ce soit, va à
l'encontre de la justice fondamentale et viole, par
conséquent, l'article 7 de la Charte. Cet argument
part du principe que la «justice fondamentale»,
mentionnée à l'article 7, impose, quant au fond, un
critère de la justesse ou de l'équité des règles, et
non simplement un critère quant aux procédures
par lesquelles il peut être porté atteinte à la vie, à
la liberté ou à la sécurité de la personne. Elle
soutient donc qu'une annulation totale de la réduc-
tion, quelle qu'en soit la durée, pour tout motif
permettant la révocation de la libération condition-
nelle, est [TRADUCTION] «draconienne» et va donc
à l'encontre de la justice fondamentale.
Je ne connais aucune jurisprudence qui me lie
quant à cette interprétation de l'article 7 de la
Charte, et je la rejette. Il ressort de l'historique de
l'article 7 qu'il vise à garantir uniquement la jus
tice ou l'équité sur le plan de la procédure. Le
texte peut-être plus large de la disposition compa
rable figurant dans la Déclaration canadienne des
droits, S.R.C. 1970, Appendice III, alinéa la), qui
faisait mention de «l'application régulière de la
loi», a, à l'évidence, été délibérément évité. Le
langage utilisé à l'alinéa 2e) de la Déclaration, qui
parlait de «justice fondamentale», a plutôt été
employé. La Cour suprême 9 a interprété cette
expression comme ayant un contenu procédural, et
on peut supposer que la Charte a ultérieurement
employé cette expression dans ce sens. En fait,
e Voir Morgan c. La Commission nationale des libérations
conditionnelles, précitée, note 2, à la p. 656.
9 Duke c. La Reine, [ 1972] R.C.S. 917, la p. 923.
donner à cette expression un contenu de fond
laisserait entendre que les corps législatifs et les
gouvernements qui ont adopté la Charte étaient
disposés à laisser aux tribunaux le soin de trancher
initialement les questions telles que l'opportunité
de l'avortement ou de la peine capitale, ou la durée
appropriée des peines d'emprisonnement. C'est
autant lancer un défi à l'histoire.
Recours disponibles
On m'a demandé non seulement d'annuler la
décision portant révocation de la Commission,
mais aussi de délivrer un bref d'habeas corpus
pour la libération immédiate du requérant. I1
apparaît maintenant bien établi que, à de rares
exceptions près qui ne sont pas pertinentes en
l'espèce, la Division de première instance de la
Cour fédérale ne saurait décerner un bref d'habeas
corpus 10 . L'article 24 de la Charte ne modifie pas
non plus, à mon avis, cette situation, puisqu'il
autorise seulement un «tribunal compétent» à
accorder la réparation qu'il a déjà le pouvoir d'ac-
corder, mais à l'accorder selon les nouveaux motifs
(prévus par la Charte). Cette situation est quelque
peu anormale, puisque le requérant a tout d'abord
sollicité un bref d'habeas corpus de la Cour du
Banc de la Reine de la Saskatchewan, qui a décidé
qu'elle ne pouvait accorder un tel redressement
nécessitant le contrôle judiciaire d'un office fédé-
ral. Toutefois, cette Cour peut convenablement
statuer sur le fond par voie de certiorari. Lorsque
l'ordonnance est annulée, rien ne justifie de détenir
le requérant, puisque la suspension de sa libération
conditionnelle de jour n'est plus en vigueur ". Puis-
qu'en avril 1983, il était en droit d'être libéré sous
surveillance obligatoire, il devrait maintenant être
libéré, et la Commission des libérations condition-
nelles ne saurait s'appuyer sur un comportement
antérieur à la libération pour suspendre de nou-
veau, en vertu de l'article 16 de la Loi 12 , sa
libération conditionnelle.
1 ° Ex p. Quevillon (1974), 20 C.C.C. (2d) 555 (C.F. I n
inst.); Noonan c. La Reine du chef du Canada et autre,
jugement en date du 17 mars 1983, Division d'appel de la Cour
fédérale, A-277-83, non publié.
" Re Morgan and the Queen (1982), 1 C.C.C. (3d) 436
(C.A. Man.); Re Mason and the Queen, précitée, note 7.
12 Truscott v. Dir. of Mountain Institution (1983), 33 C.R.
(3d) 121 (C.A.C.-B.), approuvée dans Oag c. La Reine et
autres; R. c. Moore, [1983] 1 R.C.S. 658; 41 O.R. (2d) 271; 33
C.R. (3d) 97.
Conclusion
Je conclus donc qu'il y a lieu de délivrer un bref
de certiorari pour évoquer devant cette Cour la
décision rendue le 6 octobre 1982 par la Commis
sion nationale des libérations conditionnelles, con-
firmée par la suite par celle-ci et portant révoca-
tion de la libération conditionnelle de jour du
requérant, et d'ordonner l'annulation de ladite
décision et de toutes ordonnances ou de tous man-
dats en découlant. Le requérant a droit aux
dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.