A-512-82
Budh Singh Gill (appelant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
Cour d'appel, juges Heald, Hugessen et Stone—
Vancouver, 14 juin; Ottawa, 4 juillet 1984.
Immigration — Signature par l'appelant d'une demande
d'admission de sa sœur et de sa famille en novembre 1976 —
Demande d'établissement de la sœur et de sa famille en janvier
1977 — Mariage de l'appelant en février 1978 — Notification
à l'appelant en février 1979 du rejet de sa demande en raison
de sa perte de qualité de répondant du fait de son mariage —
Appel accueilli par la Commission d'appel de l'immigration
pour vice de forme — Nouveau rejet de la demande en 1980
Rejet d'un second appel en décembre 1981 — Rejet de l'appel
de la décision de la Commission — Selon la simple interpréta-
tion grammaticale de la Loi et du Règlement, la qualité
nécessaire pour être répondant doit exister au moment de la
demande d'établissement et au moment où elle est prise en
considération - - L'appelant soutient que le Ministre, pour
cause d'estoppel, est irrecevable à refuser de reconnaître sa
qualité de répondant vu le retard extraordinaire à se prononcer
sur la demande — Il n'y a pas estoppel, aucune déclaration
engageante n'ayant été faite par le Ministère à laquelle on se
serait fié — Si l'obligation d'agir équitablement peut compor-
ter celle d'agir dans un délai raisonnable, le recours, en cas de
violation, consiste à obliger à agir avec diligence plutôt qu'à
annuler l'acte tardif — Aucun rapport entre l'inexécution de
l'obligation d'agir dans un délai raisonnable et le rejet de la
demande — Le délai d'un an de la date de la demande au jour
du mariage n'est pas déraisonnable — Règlement sur l'immi-
gration, Partie I, DORS/62-36, art. 31(1)h) (mod. par
DORS/67-434, art. 2(1); DORS/74-113, art. 2(2)) — Règle-
ment sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 4(1)a),h)
(mod. par DORS/84-140, art. 1) — Loi sur l'immigration de
1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 79(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
Villena v. Immigration & Naturalization Service, 622
F.2d 1352 (9th Cir. 1980); Galvez v. Howerton, 503 F.
Supp. 35 (S.D. Cal. 1980); Petition of Tubig in Behalf of
Tubig, 559 F. Supp. 2 (S.D. Cal. 1981).
AVOCATS:
William Orobko, Vancouver, pour l'appelant.
Mary Humphries, Vancouver, pour l'intimé.
PROCUREURS:
Rothe & Company, Vancouver, pour l'appe-
lant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Le 23 novembre 1976,
l'appelant, un résident permanent devenu aujour-
d'hui citoyen canadien, signait une demande d'ad-
mission au Canada de certaines personnes à charge
dont il se portait répondant, à savoir sa soeur, le
mari de cette dernière et leurs deux enfants. À
cette époque, l'appelant n'était pas marié et l'ali-
néa 31(1)h) du Règlement sur l'immigration,
Partie I [DORS/62-36 (mod. par DORS/67-434,
art. 2(1); DORS/74-113, art. 2(2))] autorisait ce
parrainage.
Le Règlement sur l'immigration, Partie I a été
abrogé et remplacé par celui de 1978 [DORS/78-
172 (mod. par DORS/84-140, art. 1)]; cela n'a
aucune incidence en l'espèce toutefois. L'alinéa
4(1)h) du nouveau Règlement est la disposition
correspondante; le voici:
4. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), tout citoyen
canadien ou résident permanent âgé d'au moins dix-huit ans et
résidant au Canada peut parrainer une demande de droit
d'établissement présentée par
h) un parent, indépendamment de son âge ou de son lien de
parenté, lorsque ce citoyen canadien ou résident permanent
n'a pas de conjoint, de fils, de fille, de père, de mère, de
grand-père, de grand-mère, de frère, de soeur, d'oncle, de
tante, de neveu ou de nièce
(i) qui soit citoyen canadien,
(ii) qui soit résident permanent, ou
(iii) dont il puisse par ailleurs parrainer la demande de
droit d'établissement.
Une fois signée à Vancouver, la demande de
l'appelant fut envoyée à New Delhi où, deux mois
plus tard, le 24 janvier 1977, le beau-frère de
l'appelant présentait une demande de résidence
permanente en bonne et due forme en son nom, en
celui de sa femme et en celui de sa famille.
Environ un an s'écoula alors; et rien au dossier
n'indique si l'on avait donné suite à la demande
entre-temps.
Le 5 février 1978, l'appelant se maria et, peu de
temps après, parrainait sa nouvelle épouse, qu'il
ramenait au Canada en vertu de l'alinéa 4(1)a) du
Règlement. Bien entendu, par le fait de son
mariage, l'appelant perdait sa qualité de répondant
pour la famille de sa soeur selon l'alinéa 4(1)h)
précité.
Près d'un an plus tard, le l ° ' février 1979, l'ap-
pelant était avisé du rejet de la demande d'établis-
sement de sa soeur et de sa famille; la raison était
que l'appelant avait perdu la qualité de répondant.
Cette décision fut infirmée en appel par la Com
mission d'appel de l'immigration uniquement pour
vice de forme. Enfin, le 9 septembre 1980, presque
quatre ans après sa demande initiale, l'appelant fut
avisé du rejet de celle-ci une seconde fois. Le 2
décembre 1981, l'appel qu'il avait alors formé à la
Commission d'appel de l'immigration fut rejeté;
c'est de cette décision qu'il appelle maintenant.
L'appelant invoque deux moyens. Première-
ment, il fait valoir que sa qualité de répondant
sous le régime du Règlement devrait être appréciée
au moment où la demande a été faite, en l'occur-
rence, en janvier 1977. Il y aurait alors exercice
d'un droit qui deviendrait ainsi acquis, un droit
que ne pourraient anéantir des événements subsé-
quents. Cet argument n'est pas sans attrait à pre-
mière vue; il ne résiste pas cependant à l'examen
des textes de la Loi et du Règlement.
Par son premier paragraphe, l'article 4 du
Règlement précité permet à un citoyen canadien
ou à un résident permanent de «parrainer une
demande de droit d'établissement présentée par
...» divers membres de la famille du répondant.',
La simple interprétation grammaticale de ce
texte montre que la qualité nécessaire pour être
répondant doit exister au moment où celui-ci par-
raine la demande.
Le paragraphe 79(1) de la Loi [Loi sur l'immi-
gration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52] porte
qu'un agent d'immigration ou un agent des visas
peut rejeter une demande parrainée si «le répon-
dant ne satisfait pas aux exigences des règle-
ments».
Cette même interprétation grammaticale indi-
que que c'est au moment où l'agent se prononce
sur une demande faite antérieurement qu'il doit
s'assurer que le répondant a qualité.
Il s'ensuit que le répondant doit avoir cette
qualité et au moment où la demande d'établisse-
ment est faite et au moment où elle est prise en
considération. Étant donné qu'après son mariage,
le 5 février 1978, l'appelant ne pouvait plus rem-
plir les conditions exigées par l'alinéa 4(1)h), c'est
à bon droit que la demande d'établissement qu'il
avait parrainée a été rejetée.
Comme second moyen, l'appelant invoque le
retard extraordinaire mis par les bureaucrates à se
prononcer sur la demande d'établissement. Il n'est
pas douteux que ce délai est excessif puisque la
demande initiale remonte à novembre 1976 alors
que la notification du rejet définitif a eu lieu en
septembre 1980. Même abstraction faite, comme
on est d'ailleurs fondé à le faire, du temps écoulé
avant la présentation par la soeur de l'appelant et
sa famille de la demande d'établissement (en jan-
vier 1977), et de celui écoulé après la première
notification de rejet, invalide pour vice de forme
(en février 1979), il y a eu quand même un retard
de plus de deux ans. Je note que l'alinéa 4(1)b) du
Règlement semble prévoir un maximum de deux
ans exclusivement entre le moment où la demande
est faite et celui de la délivrance du visa dans le
cas de parrainage d'enfants.
S'appuyant sur une certaine jurisprudence amé-
ricaine (Villena v. Immigration & Naturalization
Service, 622 F.2d 1352 (9th Cir. 1980); Galvez v.
Howerton, 503 F. Supp. 35 (S.D. Cal. 1980);
Petition of Tubig in Behalf of Tubig, 559 F.
Supp. 2 (S.D. Cal. 1981), l'appelant soutient que
le Ministre, pour cause d'estoppel, est irrecevable
à refuser de reconnaître sa qualité de répondant.
Sauf le respect que je dois à cette jurisprudence
américaine, je ne vois rien qui puisse nous détermi-
ner à appliquer la théorie de l'estoppel en l'espèce.
L'appelant n'a invoqué aucun engagement, aucune
déclaration qu'aurait pu faire le Ministère; encore
moins prétend-il s'y être fié à son détriment.
Ce qui ne veut cependant pas dire qu'à mon
avis, l'administration peut, par sa simple inaction,
anéantir des droits qu'on a, de toute évidence,
voulu conférer. Il se peut que l'obligation d'agir
équitablement récemment dégagée, et imposée
maintenant à l'administration, comporte celle de
ne pas tarder déraisonnablement; ou, vu sous un
angle plus positif, il se peut que l'obligation procé-
durale d'agir équitablement comporte celle d'agir
dans un délai raisonnable. Il ne s'ensuit nullement
toutefois que l'inexécution de cette obligation justi-
fie l'annulation de l'acte tardif lorsqu'enfin il a
lieu. Sûrement le recours approprié doit consister à
obliger à agir avec diligence plutôt qu'à annuler
l'acte qui, bien que tardif, peut néanmoins être
fondé.
D'ailleurs, même en présumant que le retard de
plus de deux ans entre la demande d'établissement
et son rejet est déraisonnable, cela n'est d'aucun
secours pour l'appelant puisque manifestement il
n'y a aucun rapport entre l'inexécution de l'obliga-
tion d'agir dans un délai raisonnable et ce rejet.
On se rappellera que la demande remonte au 24
janvier 1977 et que son rejet est fondé sur le
mariage de l'appelant qui eut lieu au-delà d'un an
plus tard, le 5 février 1978. À compter de ce
moment, le Ministère était non seulement en droit
mais bien dans l'obligation de rejeter la demande.
Donc la période où il y a eu effectivement retard
ne s'étend que du 24 janvier 1977 au 5 février
1978, soit un peu plus d'un an. Certes c'est une
longue période, mais ni le dossier, ni même d'ail-
leurs l'expérience, ne nous autorise à la qualifier
de déraisonnable. En conséquence, l'appelant ne
saurait s'en plaindre.
Je rejetterais l'appel.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
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