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T-2736-83
Jacques Beauchamp (demandeur) c.
Coastal Corporation et le navire Wayward Prin cess (défendeurs)
Division de première instance, juge Strayer— Toronto, 19 mars; Ottawa, 26 mars 1984.
Pratique En vertu du contrat d'achat du navire du défendeur, le demandeur a offert le prix d'achat La société défenderesse n'était pas à même d'effectuer l'opération ou n'était pas disposée à le faire Le demandeur a réclamé une exécution intégrale ou des dommages-intérêts Saisie du navire Les défendeurs ont déposé une confession de juge- ment, en faveur du demandeur, pour exécution intégrale Les défendeurs ont présenté les documents nécessaires à la vente, mais le demandeur n'avait pas les fonds requis Le demandeur sollicite un jugement lui accordant des dommages- intérêts et maintenant la saisie du navire Le demandeur s'oppose au prononcé d'un jugement ordonnant l'exécution intégrale et fait plutôt valoir son droit d'opter pour des dommages-intérêts Le demandeur est en droit de plaider des recours alternatifs Il est en droit d'opter pour des dommages-intérêts si l'exécution intégrale n'a pas été réalisée La requête, introduite par les défendeurs, en jugement ordonnant l'exécution intégrale est rejetée Le demandeur ne saurait opter pour des dommages-intérêts et plus tard récla- mer une exécution intégrale, puisque choisir de demander des dommages-intérêts équivaut à dénoncer le contrat qui ne peut par la suite être rétabli pour étayer une demande d'exécution intégrale La présente requête du demandeur en dommages- intérêts indique son intention de considérer le contrat comme dénoncé Le demandeur n'a pas droit à un jugement accor- dant des dommages-intérêts parce que les défendeurs ont déposé une confession de jugement se rapportant à l'exécution intégrale La Règle 405 prévoit qu'un défendeur peut dépo- ser une confession de jugement pour une partie de la demande du demandeur En vertu de la Règle 405(3), la confession ne peut servir de preuve contre son auteur L'instruction de l'action s'impose et la saisie restera automatiquement en vigueur Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 405(1),(3).
Compétence Division de première instance de la Cour fédérale Droit maritime Les défendeurs font valoir que l'action en dommages-intérêts pour l'inexécution d'un contrat de vente d'un navire ne relève pas de la compétence de la Cour en matière de droit maritime L'action relève de l'art. 22(2)a) de la Loi sur la Cour fédérale, qui prévoit que la Division de première instance a compétence relative à toute demande portant sur le titre, la possession ou la propriété d'un navire Toute question décrite à l'art. 22 concerne le droit maritime, qui fait partie du droit du Canada, et relève de la compétence de la Cour fédérale L'action constitue égale- ment une question nécessairement accessoire à l'exercice de la compétence du Parlement relative à la navigation et à l'expé- dition par eau, et une loi du Canada s'y applique à juste titre Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 22(2)a).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
Antares Shipping Corporation c. Le navire «Capricorn», et autres, [1980] 1 R.C.S. 553; (1979), 111 D.L.R. (3d) 289; Tropwood A.G. et autres c. Atlantic Lines & Navi gation Company, Inc., [ 1979] 2 R.C.S. 157; Dobson v. Winton and Robbins Limited, [1959] R.C.S. 775; Widrig v. Strazer et al., [1964] R.C.S. 376; Johnson et al. v. Agnew, [1980] A.C. 367 (H.L.).
AVOCATS:
D. Thomas H. Bell pour le demandeur.
R. Geoffrey Newbury pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Wright & McTaggart, Toronto, pour le demandeur.
R. Geoffrey Newbury, Toronto, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: Faits
En l'espèce le demandeur demande des domma- ges-intérêts, des dépens, une référence aux fins de fixation des dommages-intérêts et toute autre mesure de redressement accessoire.
Le 8 novembre 1983, les parties ont conclu un contrat en vertu duquel le demandeur devait ache- ter, pour la somme de 475 000 $, le navire Way ward Princess. La date limite était le 16 novembre 1983. À cette date, le demandeur a offert le prix d'achat mais la société défenderesse n'était pas à même d'effectuer l'opération ou n'était pas dispo sée à le faire.
Le lendemain, soit le 17 novembre 1983, le demandeur a intenté la présente action en exécu- tion intégrale du contrat ou, subsidiairement, en dommages-intérêts, pour rupture de contrat, pour la somme de 600 000 $ avec intérêt à compter du 16 novembre.
Le 18 novembre, le navire fut saisi à Toronto et l'est encore.
Le 2 février 1984, le demandeur a signifié aux défendeurs un avis d'une requête adressée à la
Cour pour fixer la date de l'instruction. Le même jour, l'avocat du demandeur a informé l'avocat des défendeurs de la décision du demandeur de ne plus poursuivre son action en exécution intégrale. Le 15 février, les défendeurs ont demandé à la Cour d'accorder la mainlevée de la saisie du Wayward Princess et d'ordonner la radiation du paragraphe 10a) de la déclaration, par lequel le demandeur avait demandé l'exécution intégrale. L'audition de cette requête fut ajournée jusqu'au 27 février, afin de permettre, semble-t-il, à l'avocat du demandeur d'obtenir des instructions. À l'audition de la requête par le juge Reed, le demandeur a exprimé le désir de maintenir son action en exécution inté- grale. Son avocat s'est opposé avec vigueur à la radiation de cette partie de la demande et, le 28 février 1984, le juge Reed a rejeté la requête en radiation et en mainlevée de la saisie du navire.
À la suite de cette décision, les défendeurs ont déposé, le 7 mars, une confession de jugement [TRADUCTION] «en faveur du demandeur Jacques Beauchamp, pour exécution intégrale, comme le demande la déclaration». Le même jour, ils ont déposé un avis de requête, demandant que soit prononcé contre eux, en faveur du demandeur, un jugement portant exécution intégrale. Le même jour encore, leurs avocats ont informé ceux du demandeur qu'ils leur présenteraient le 9 mars les documents nécessaires à la vente. Ces documents ont été présentés le 9 mars, mais les avocats du demandeur n'avaient pas en main, semble-t-il, les capitaux de leur client pour effectuer l'achat. Il ne m'a été présenté aucun élément de preuve démon- trant que les documents de l'offre étaient incomplets.
Pour sa part, le demandeur a introduit le 15 mars la présente requête pour jugement lui accor- dant les dommages-intérêts réclamés au paragra- phe 10b) de la déclaration, maintenant la saisie du navire ou ordonnant la fourniture d'une garantie équivalente. Le 19 mars, j'ai entendu les deux requêtes ensemble. À ce moment, le demandeur s'est opposé au prononcé en sa faveur d'un juge- ment ordonnant l'exécution intégrale et a plutôt fait valoir son droit d'opter pour des dommages- intérêts. Les défendeurs ont prétendu que le demandeur abandonnait maintenant sa demande d'exécution intégrale et qu'il avait choisi de demander une mesure de redressement que la
Cour fédérale n'a pas compétence pour accorder, puisque la demande de dommages-intérêts décou- lant de l'inexécution d'un contrat de vente d'un navire ne relève pas de sa compétence en matière de droit maritime.
Examinons, à ce stade, les questions relatives aux recours possibles, puisque cela peut être perti nent à la question de la validité de la saisie pour l'avenir.
Conclusions
J'ai tiré les conclusions suivantes:
1. Je suis d'accord que le demandeur est en droit de plaider des recours alternatifs, comme il l'a fait, et de demander soit l'exécution intégrale, soit des dommages-intérêts. Voir Dobson v. Winton and Robbins Limited, [1959] R.C.S. 775; Widrig v. Strazer et al., [ 1964] R.C.S. 376; Johnson et al. v. Agnew, [1980] A.C. 367 (H.L.).
2. Je conviens également que le demandeur, bien qu'il puisse avoir recherché l'exécution intégrale au point d'obtenir un jugement lui accordant ce redressement, est en droit d'opter plus tard, au lieu de cela, pour des dommages-intérêts si l'exé- cution intégrale n'a pas été réalisée. (Voir la jurisprudence précitée.) Ce choix lui appartient, et un défendeur ne peut le forcer à s'en tenir uniquement à l'exécution intégrale, comme les défendeurs ont essayé de le faire en l'espèce. Par ce motif, je rejette la requête des défendeurs pour que soit prononcé contre eux un jugement portant exécution intégrale.
3. Toutefois, je ne trouve aucune jurisprudence préconisant l'idée contraire qu'un demandeur peut tout d'abord opter pour des dommages- intérêts et puis, plus tard, demander l'exécution intégrale, et je ne pense pas qu'il s'agisse d'une bonne règle. La raison pour laquelle on peut tout d'abord opter pour l'exécution inté- grale et plus tard pour des dommages-intérêts est que l'exécution intégrale repose sur l'exis- tence continue du contrat. L'exécution intégrale n'ayant pas abouti, le demandeur peut, à ce moment, dénoncer le contrat et demander, à la place, des dommages-intérêts. Mais s'il a, tout d'abord, clairement opté pour des dommages- intérêts, il ne saurait, à mon avis, réclamer plus tard une exécution intégrale, puisque choisir de
demander des dommages-intérêts équivaut à dénoncer le contrat qui ne peut par la suite être rétabli pour étayer une demande d'exécution intégrale. Selon l'explication donnée dans Injunctions and Specific Performance (1983) de Sharpe, paragraphes 776 et 777:
[TRADUCTION] Lorsque le détenteur d'une promesse décide de réclamer des dommages-intérêts, on dit qu'il «accepte l'inexécution». Son choix a pour effet de considérer le contrat comme dénoncé au moment de l'inexécution et, en fait, de libérer la personne qui a fait la promesse de toute obligation contractuelle ultérieure autre que celle de verser des dommages-intérêts.
Le point de vue reconnu est que le fait d'insister par la suite pour l'exécution intégrale est incompatible avec l'ac- ceptation de l'inexécution par la personne qui a fait la promesse. L'acceptation, ou la revendication de dommages- intérêts, a pour effet de libérer les deux parties de toute exécution ultérieure et, en conséquence, l'exécution intégrale n'est plus possible.
Je conclus donc que, bien que les défendeurs ne puissent forcer le demandeur à accepter en l'es- pèce une exécution intégrale, le demandeur a, en s'opposant à ce que soit prononcé en sa faveur un jugement portant exécution intégrale et en demandant en même temps un jugement ordon- nant le versement de dommages-intérêts, indi- qué de la façon la plus claire possible son inten tion de considérer le contrat comme dénoncé en raison de l'inexécution.
Les dommages-intérêts sont le seul redresse- ment qu'il lui reste. Même si ce n'était pas la solution que préconise le droit, il s'agirait d'un cas évident il y aurait lieu d'exercer le pou- voir discrétionnaire en équité pour rejeter une demande d'exécution intégrale.
4. Bien que le demandeur soutienne qu'il a maintenant droit à un jugement lui accordant des dommages-intérêts en raison de la confes sion de jugement déposée le 7 mars par les défendeurs, je ne suis pas d'accord. La confes sion de jugement se rapportait à une ordonnance d'exécution intégrale. La Règle 405 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] prévoit qu'un défendeur peut déposer une confession du jugement «pour tout ou partie de la demande du demandeur». En l'espèce, les défendeurs ont offert une confession de jugement pour la demande figurant au paragraphe 10a) de la déclaration, mais non pour celle du paragraphe 10b). Le demandeur ne l'a pas acceptée. En
vertu de la Règle 405(3), la confession ne peut servir de preuve contre son auteur. Par consé- quent, le demandeur ne saurait s'appuyer, de quelque façon que ce soit, sur cette confession pour demander un jugement qui lui accorde des dommages-intérêts.
5. J'ai conclu que le demandeur peut, toutefois, poursuivre devant cette Cour son action en dom- mages-intérêts. On a fait valoir qu'en vertu de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] et de la Constitution, cette Cour n'a pas compétence pour statuer sur une demande relative à l'inexécution d'un contrat de vente d'un navire. Malheureusement, ce volet de la question n'a pas fait l'objet d'un débat long ou exhaustif. Ma conclusion est qu'une telle action relève de l'alinéa 22(2)a) de la Loi sur la Cour fédérale, qui prévoit que la Division de première instance a compétence
22....
(2) . .. relativement à toute demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:
a) toute demande portant sur le titre, la possession ou la propriété d'un navire ... ou relative au produit de la vente d'un navire .. .
Lorsque cette Cour peut ordonner la saisie d'un navire en raison d'un litige relatif à un contrat d'achat du navire, et qu'elle peut ordonner l'exé- cution intégrale d'un tel contrat (voir p. ex. Antares Shipping Corporation c. Le navire «Capricorn», et autres, [[1980] 1 R.C.S. 553]; (1979), 111 D.L.R. (3d) 289, elle peut certaine- ment accorder un redressement subsidiaire ou additionnel en ce qui concerne les mêmes par ties, le même navire, le même contrat, la même inexécution. Selon le texte de l'alinéa 22(2)a) de la Loi, il doit s'agir de «toute demande ou .. . tout litige de la nature» d'une «demande portant sur le titre, la possession ou la propriété». En général, il est établi en droit que toute question décrite à l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale concerne le droit maritime qui fait partie du droit du Canada et peut ainsi servir de base à l'exercice de la compétence de cette Cour. (Voir l'affaire Antares précitée; Trop - wood A.G. et autres c. Atlantic Lines & Navi gation Company, Inc., [1979] 2 R.C.S. 157.) Il s'agit également d'une question nécessairement accessoire à l'exercice de la compétence du Par- lement relative à la navigation et à l'expédition
par eau et une «loi du Canada» s'y applique à juste titre. Toute autre conclusion entraînerait des inconvénients importants que connaît notre jurisprudence constitutionnelle, mais qui devraient néanmoins être évités dans la mesure du possible.
6. Étant donné l'état actuel des choses, on ne saurait obtenir de jugement sans procès. La saisie restera automatiquement en vigueur, et il appartient aux parties de convenir, à ce sujet, d'un compromis ou de s'adresser encore à la Cour pour demander toute autre ordonnance s'y rapportant après qu'elles auront examiné de nouveau leurs positions respectives.
7. Étant donné le succès partagé dans les présen- tes requêtes et le déroulement bizarre des événe- ments qui y ont donné lieu, il n'y aura pas d'adjudication de dépens.
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