T-1350-83
Donald Stanley Derbecker (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Reed—
Toronto, 25 janvier; Ottawa, 3 février 1984.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Appel formé
contre une décision de la Commission de révision de l'impôt
qui a rejeté l'appel du demandeur contre la cotisation de 1977
— Le demandeur a reçu en contrepartie de la vente de ses
actions un billet à ordre payable sur demande après le 31
décembre 1976 — II n'a pas exigé le paiement en 1977 — La
défenderesse a inclus dans le revenu de 1977 un gain en capital
imposable découlant de la vente des actions — L'art.
40(1)a)(iii) de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit que
lorsqu'un contribuable aliène un bien, il peut réclamer une
réserve pour les sommes qui lui sont dues après la fin de
l'année — La Commission a conclu que le billet payable sur
demande devait être payé dès sa livraison et donc qu'aucune
réserve ne pouvait être allouée — Le demandeur fait valoir que
le billet n'est da que lorsqu'il y a demande de paiement — Le
demandeur prétend qu'il faut faire une distinction entre le
moment où l'on peut intenter une action ayant trait à un billet
à ordre et le moment où le paiement doit être fait — Il faut
déterminer si le mot «due» dans l'art. 40(1)a)(iii) signifie que
la dette est payable immédiatement ou qu'elle l'est à une date
ultérieure — Le législateur a voulu imposer le contribuable
non pas à la date où il a droit à la somme en question mais à
la date où cette somme doit lui être payée — Un billet à ordre
payable sur demande est payable lorsque son détenteur exige
paiement — Appel accueilli — Loi de l'impôt sur le revenu,
S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 40(1)a)(iii), 64(1) (mod. par
S.C. 1974-75-76, chap. 26, art. 34).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Hannem v. The Minister of National Revenue (1979), 80
DTC 1091 (C.R.I.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Royal Bk. v. Hogg, [1930] 2 D.L.R. 488 (C.S. Ont.);
Kennedy c. Le ministre du Revenu national, [1973] C.F.
839; 73 DTC 5359 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Norton v. Ellam (1837), 2 M.&W. 461; 150 E.R. 839
(Exch. of Pleas); Belows et al. v. Dalmyn and Dalco
Contractors Ltd. et al., [1978] 4 W.W.R. 630 (B.R.
Man.); Massey v. Sladen, et al. (1868), Law Rep. 4 Ex.
13 (Ex. Ct.); Ronald Elwyn Lister Ltd. et al. v. Dunlop
Canada Ltd. (1982), 135 D.L.R. (3d) 1 (C.S.C.); Mister
Broadloom Corporation (1968) v. Bank of Montreal et
al. (1983), 49 C.B.R. (N.S.) 1 (C.A. Ont.); La Reine c.
Timagami Financial Services Limited, [1983] 1 C.F.
413; 82 DTC 6268 (C.A.); Minister of National Revenue
v. John Colford Contracting Company Limited, [ 1962]
R.C.S. viii, confirmant [1960] R.C.E. 433.
AVOCATS:
I. V. B. Nordheimer pour le demandeur.
H. Erlichman pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Fraser & Beatty, Toronto, pour le deman-
deur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE REED: Le demandeur interjette appel
d'une décision de la Commission de révision de
l'impôt qui a rejeté son appel contre une cotisation
établie pour l'année d'imposition 1977.
Le 1°r décembre 1976, le demandeur a vendu à
sa fille, Pamela Derbecker, 1 715 actions de la
société Heritage House Limited. La contrepartie
de l'opération comprenait notamment un billet à
ordre payable sur demande au demandeur après le
31 décembre 1976. Le demandeur n'a pas exigé le
paiement du billet en 1977. Dans l'avis de nouvelle
cotisation daté du 24 mars 1981, Revenu Canada a
ajouté au revenu du demandeur pour l'année d'im-
position 1977 le gain en capital imposable réalisé
sur la vente des actions pour laquelle le billet à
ordre avait été établi.
Le demandeur prétend que le billet à ordre
remis par Pamela Derbecker ne lui était pas dû en
1977 parce qu'il n'avait pas exigé son paiement. Le
Ministre soutient pour sa part que, s'agissant d'un
billet payable sur demande, il était dû dès que le
contribuable avait le droit de l'exiger et que ce
dernier devait donc inclure dans son revenu de
1977 le gain en capital imposable.
L'article pertinent en l'espèce est le sous-alinéa
40(1)a)(iii) de la Loi de l'impôt sur le revenu
[S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par)], S.C. 1970-
71-72, chap. 63 et ses modifications. L'article pré-
voit que lorsqu'un contribuable aliène un bien, il
peut réclamer une réserve pour les sommes qui lui
sont dues après la fin de l'année d'imposition en
cause.
40. (1)(a) ...
(iii) du montant n'excédant pas le montant raisonnable
dont il peut réclamer l'admission comme réserve à l'égard
de toute partie du produit de la disposition du bien, qui ne
lui est due qu'après la fin de l'année .. .
Les avocats ont concentré leurs plaidoiries sur la
question de savoir si un billet à ordre payable sur
demande est dû à la date de sa livraison ou seule-
ment lorsque paiement est exigé. L'avocat de la
Couronne a cité les jugements qui établissaient
qu'une action concernant un billet payable sur
demande peut être intentée avant que le paiement
ait été officiellement exigé et ceux qui établissaient
que le délai de prescription commençait à courir à
la date de la livraison du billet. Royal Bk. v. Hogg,
[1930] 2 D.L.R. 488 (C.S. Ont.); Norton v. Ellam
(1837), 2 M.&W. 461; 150 E.R. 839 (Exch. of
Pleas); Belows et al. v. Dalmyn and Dalco Con
tractors Ltd. et al., [1978] 4 W.W.R. 630 (B.R.
Man.).
L'avocat s'est appuyé plus particulièrement sur
ce que disait le juge d'appel Riddell dans l'affaire
Royal Bk. (précitée) aux pages 489 et 490:
[TRADUCTION] ... il est établi avec certitude depuis près d'un
siècle, avec l'arrêt Norton v. Ellam (1837), 2 M & W 461, 150
E.R. 839, et même probablement depuis plusieurs siècles, qu'un
billet à ordre payable sur demande est dû dès qu'il est livré .. .
un billet payable sur demande vient à échéance, à toutes fins
utiles, le jour de sa livraison .. .
L'avocat du demandeur ne conteste pas la perti
nence des autorités précitées mais prétend, en
revanche, qu'il faut faire une distinction entre (1)
le moment où l'on peut intenter une action ayant
trait à un billet à ordre et (2) le moment où le
paiement doit être fait. Il soumet qu'il faut retenir
la deuxième date comme moment pertinent aux
fins du sous-alinéa 40(1)a)(iii). Il cite des arrêts
qui ont établi qu'avant que le paiement soit dû
deux conditions doivent être réunies: le débiteur
doit avoir reçu un avis (une réclamation de paie-
ment ou un avis l'informant qu'une action a été
intentée) et on doit lui avoir accordé un délai
raisonnable pour payer: Massey v. Sladen, et al.
(1868), Law Rep. 4 Ex. 13 (Ex. Ct.); Ronald
Elwyn Lister Ltd. et al. v. Dunlop Canada Ltd.
(1982), 135 D.L.R. (3d) 1 (C.S.C.); Mister
Broadloom Corporation (1968) v. Bank of Mont-
real et al. (1983), 49 C.B.R. (N.S.) 1 (C.A. Ont.).
On a mentionné le fait que le billet portait la
mention [TRADUCTION] «payable sur demande» et
on a cité un extrait de Falconbridge on Banking
and Bills of Exchange, 7e éd., à la page 896:
[TRADUCTION] L'essence du billet à ordre payable sur
demande est d'être une garantie constante. Il diffère, en cela,
de la lettre de change payable sur demande ou du chèque qui,
eux, sont prévus pour être présentés rapidement.
À mon avis, les décisions concernant les billets à
demande, dans le contexte du droit des lettres de
change, ne font qu'illustrer le fait que le mot «due»
a deux sens distincts. L'avocat du demandeur a
cité à l'instruction la définition qu'en donne
Jowitt's Dictionary of English Law (2» éd.) [à la
page 669]:
[TRADUCTION] Lorsqu'il s'agit d'une somme d'argent, le mot
«due» peut signifier ce que l'on doit ou ce qui est payable: en
d'autres termes, il peut vouloir dire que la dette est payable
immédiatement ou à une date ultérieure. Il faut, dans chaque
cas, déterminer lequel de ces deux sens prend le mot «due».
Un billet à ordre payable sur demande peut
évidemment être interprété selon les deux sens du
mot «due» qui sont avancés par l'avocat. Mais
l'important est de déterminer le sens que l'on a
voulu donner au mot «due» dans le sous-alinéa
40(1)a)(iii) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Je trouve particulièrement convaincant le rai-
sonnement suivi, sinon la conclusion adoptée, par
la Commission de révision de l'impôt dans la déci-
sion Hannem v. The Minister of National Revenue
(1979), 80 DTC 1091. Le litige portait sur l'ad-
missibilité d'une réserve en vertu du paragraphe
64(1) l'égard d'un billet à demande reçu pour la
vente d'un avoir minier. La cause reposait sur la
modification apportée en 1974 au paragraphe
64(1) pour remplacer les mots «à recevoir» par
«due» [aux pages 1092 et 1093]:
[TRADUCTION] Le mot "due" manque quelque peu de préci-
sion. Avant que le délai soit échu, on peut dire d'une dette
qu'elle est due à un créancier si le montant de la dette est
déterminé. Il s'agit là d'une des significations ordinaires de ce
mot. Cependant, il s'agit aussi d'un des sens donnés à l'expres-
sion «à recevoir». En remplaçant l'expression «à recevoir» par le
mot «due», le législateur a voulu manifestement viser la date à
laquelle la somme doit être payée "en totalité ou en partie".
Cette acception est compatible, d'une part, avec le contexte du
paragraphe ainsi modifié dans lequel apparaît ce mot et, d'au-
tre part, avec la supposition normale, en l'absence d'indication
contraire, que le législateur n'a pas voulu que l'impôt soit dû
dès la naissance de l'obligation. [C'est moi qui souligne.]
Dans cette affaire comme en l'espèce, la Com
mission a conclu néanmoins que le billet payable
sur demande devait être payé dès sa livraison et
donc qu'aucune réserve ne pouvait être allouée.
Dans l'affaire Hannem, on a cité le raisonne-
ment adopté par le juge en chef Jackett dans
l'arrêt Kennedy c. Le ministre du Revenu national,
[1973] C.F. 839, à la page 842; 73 DTC 5359
(C.A.), à la page 5361:
Dans le cas d'un «revenu», on suppose, en l'absence de disposi
tions spéciales, que le législateur prévoit que l'impôt est dû
quand le montant est payé et non quand l'obligation naît. (Les
tribunaux rejettent naturellement l'imposition avant que le
montant du revenu soit dans les mains du contribuable.)
Tout le concept de la réserve repose sur la
distinction entre les sommes auxquelles le contri-
buable a droit et celles qui doivent être payées à la
date en cause. Il ne fait aucun doute qu'un billet à
ordre payable à une date ultérieure déterminée ou
dès la survenance d'un événement futur n'est pas
inclus dans le revenu du contribuable avant cette
date ou la survenance de l'événement. Voir à ce
sujet La Reine c. Timagami Financial Services
Limited, [1983] 1 C.F. 413; 82 DTC 6268 (C.A.)
qui traite de paiement par versements échelonnés.
Voir aussi Minister of National Revenue v. John
Colford Contracting Company Limited, [ 1960]
R.C.É. 433, confirmée par [1962] R.C.S. viii. Un
billet payable sur demande n'est pas vraiment
différent si ce n'est que l'événement futur consiste
en l'ordre donné par le détenteur lui-même. En
l'absence de dispositions expresses contraires, il
m'est impossible de conclure que le législateur a
voulu que le sens du mot «due», au sous-alinéa
40(1)a)(iii), varie selon ces deux cas. Je pense que,
dans un cas comme dans l'autre, l'intention était
d'imposer le contribuable non pas à la date où il
avait droit à la somme en question mais à la date
où cette somme devait lui être payée. En d'autres
termes, je ne crois pas que le détenteur d'un billet
à ordre payable sur demande considère que le
tireur doit payer sa dette avant qu'il ait lui-même
demandé à être payé ou qu'il ait intenté une action
à cet effet. En tirant cette conclusion, je tiens
compte de la règle d'interprétation qui veut que les
dispositions de droit fiscal ambiguës soient inter-
prétées en faveur du contribuable. Voir The Inter
pretation of Statutes de Maxwell, 12» éd., 1969,
aux pages 251 et 256 et Construction of Statutes
de Driedger, 2 » éd., 1983, aux pages 203 et s.
Bien sûr il est vrai que, sous réserve de la
prescription et de la situation financière du contri-
buable, il lui est possible de retarder très long-
temps le paiement de l'impôt dû à la suite de la
disposition de biens immobilisés en n'exigeant pas
le paiement d'un billet payable sur demande. Ce
facteur, toutefois, n'est pas pertinent pour inter-
préter la loi.
Par conséquent, j'accueille l'appel du deman-
deur.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.