T-5596-79
Bristol-Myers Canada Inc. (demanderesse)
c.
La Reine (défenderesse)
Division de première instance, juge Addy—
Ottawa, 20 avril et 5 mai 1983.
Douanes et accise — Remboursements — Prescription — Le
ministère du Revenu national a demandé à la demanderesse de
payer une taxe de vente sur les produits «Huile de bain
Alpha-Keri» et «Lotion Keri» au motif que ces produits
étaient des cosmétiques — Appel devant la Commission du
tarif — Remboursement réclamé pour les sommes payées
jusqu'au moment de la décision de la Commission — La
Commission a statué qu'il s'agissait de produits thérapeuti-
ques exemptés à ce titre de la taxe de vente — Remboursement
réclamé accordé sauf pour une somme de 102 559,26 $ — La
demanderesse sollicite une déclaration portant que cette
somme est remboursable — Doit-on appliquer la prescription
de deux ans prévue à l'art. 44(7) ou celle d'un an prévue à
l'art. 59(4), à partir de la date de la demande de rembourse-
ment? — L'effet conjoint des art. 27(1)a) et 50(1) est-il
d'obliger le fabricant à payer la taxe de vente même s'il existe
un différend ou une exemption? — Déclaration accordée, la
demanderesse a droit au remboursement de la somme de
102 559,26 $ — La Loi ne contient aucune disposition expresse
créant une obligation immédiate de payer les taxes même en
cas de litige sur l'existence de cette obligation — Les sommes
payées après l'appel à la Commission n'étaient pas exigibles
— Elles ont été payées par erreur de droit — La prescription
d'un an prévue à l'art. 59(4) concerne les paiements qui font
l'objet d'un différend devant la Commission — Il ne s'agit pas
d'un tel différend en l'espèce — L'art. 59(4) ne concerne pas les
paiements effectués après la présentation d'une demande à la
Commission — Prescription de deux ans applicable — Loi sur
la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, art. 2(1), 27(1)a)
(mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 62, art. 1; 1974-75-76,
chap. 24, art. 13), 29(1), 44(1)a),c),(7), 50(1), 59(4).
La demanderesse fabrique et vend l'«Huile de bain Alpha-
Keri» et la «Lotion Keri». A la suite d'un avis, le ministère du
Revenu national lui a demandé de payer une taxe de vente de
12 % à compter du 1»' janvier 1975 au motif que ces produits
étaient des cosmétiques. Le 26 février 1976, la demanderesse a
déposé un appel devant la Commission du tarif. La Commission
a statué, le 27 octobre 1977, que les produits étaient de nature
thérapeutique et que, par conséquent, ils étaient exemptés de la
taxe de vente. Entre-temps, la demanderesse a continué de
payer la taxe avant et après l'audition devant la Commission.
Après avoir été informée par un employé de la défenderesse
qu'elle n'était pas obligée de payer la taxe de vente tant que la
question était pendante devant la Commission, la demanderesse
a cessé ses paiements et, le 21 octobre 1977, elle a réclamé le
remboursement de toutes les sommes payées depuis la date de
l'appel à la Commission au motif qu'elles avaient été payées à
tort ou par erreur de droit ou de fait. Le Ministère a remboursé
une partie seulement du montant réclamé à l'origine, une
somme de 102 559,26 $ représentant les taxes payées du 27
février 1976 au 21 octobre 1976 restant impayée. La demande-
resse sollicite une déclaration portant qu'elle a droit à cette
somme. La demanderesse allègue que cette somme est soumise
à la prescription de deux ans prévue au paragraphe 44(7) et
qu'elle est donc remboursable puisque la période en cause est
comprise dans la période de deux ans qui a précédé la date à
laquelle le remboursement a été demandé, le 21 octobre 1977.
La défenderesse soutient que cette somme n'est pas remboursa-
ble en raison de la prescription d'un an prévue au paragraphe
59(4) et qu'il résulte de l'effet conjoint de l'alinéa 27(1)a) et du
paragraphe 50(1) que la demanderesse est tenue de payer la
taxe de vente même s'il existe un différend ou une exemption; le
paiement de la taxe ne peut constituer une erreur de droit.
Jugement: la déclaration est accordée et le ministère du
Revenu national peut à bon droit payer la somme de 102 559,-
26 $ à la demanderesse. Les lois fiscales doivent être rigoureu-
sement interprétées contre l'autorité qui impose la taxe. Con-
trairement à la Loi de l'impôt sur le revenu, la Loi sur la taxe
d'accise ne prévoit pas expressément l'établissement par le
Ministre, ou par toute autre personne autorisée, d'une cotisa-
tion créant une obligation immédiate de payer, pas plus qu'elle
ne contient de disposition particulière portant qu'en cas de
litige sur les taxes imposées, ces dernières doivent être payées
tant que ce litige n'est pas résolu. Il en résulte que les sommes
payées après l'appel à la Commission n'étaient pas exigibles en
vertu de la Loi, et que les sommes versées parce qu'on croyait à
tort qu'elles étaient exigibles ont été payées par erreur de droit.
De plus, la prescription d'un an pour les paiements passés
prévue au paragraphe 59(4) concerne les paiements qui font
l'objet d'un différend dont est saisie la Commission, ce qui n'est
pas le cas en l'espèce. La demande a été faite par lettre et
présentée en attendant la décision de la Commission sur les
paiements antérieurs effectués relativement au même objet de
litige. Le paragraphe 59(4) ne concerne absolument pas les
paiements effectués après qu'une demande a été présentée à la
Commission. Le délai de prescription de deux ans prévu à
l'article 44 s'applique donc aux faits du litige et n'est pas
modifié par le paragraphe 59(4).
JURISPRUDENCE
DÉCISION CITÉE:
Her Majesty The Queen v. Premier Mouton Products
Inc., [19611 R.C.S. 361.
AVOCATS:
P. S. A. Lamek, c.r. et G. J. Adair pour la
demanderesse.
E. R. Sojonky, c.r. et Judith McCann pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Fraser & Beatty, Toronto, pour la demande-
resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE ADDY: La demanderesse sollicite une
déclaration portant qu'elle a droit à un rembourse-
ment de 102 559,26 $ pour la taxe de vente qu'elle
a, par erreur, payée en trop à la défenderesse en
vertu de la Loi sur la taxe d'accise'.
Les faits principaux ne sont pas contestés. La
demanderesse, qui fabrique et vend des lotions et
autres produits, a pendant des années fabriqué et
vendu l'«Huile de bain Alpha-Keri» et la «Lotion
Keri» sans payer de taxe ou sans qu'on lui
demande d'en payer. Le 7 janvier 1975, un
employé de la Direction des douanes et accise du
ministère du Revenu national (appelé ci-après «le
Ministère») déclarait, dans une lettre envoyée à la
demanderesse, que les produits en question étaient
des cosmétiques et comme tels, étaient visés par le
paragraphe 2(1) de la Loi sur la taxe d'accise
(appelée ci-après «la Loi») et donc assujettis à une
taxe de vente de 12 % à compter du 1" janvier
1975. La demanderesse a payé la taxe; toutefois, le
26 février 1976, elle déposait un appel devant la
Commission du tarif, conformément à l'article 59
de la Loi, pour demander l'exemption prévue au
paragraphe 29(1) pour le motif qu'étant de nature
thérapeutique, ses produits étaient compris dans
ceux visés à l'article 1 de la Partie VIII de l'annexe
III de la Loi. La Commission du tarif a entendu
l'appel en mai 1977, a pris l'affaire en délibéré et a
finalement décidé, le 27 octobre de la même année,
qu'il s'agissait bien de produits thérapeutiques
comme l'avait soutenu la demanderesse, exemptés
à ce titre de la taxe imposée par l'article 27 de la
Loi. La Cour d'appel fédérale a par la suite con
firmé la décision de la Commission du tarif et la
permission d'en interjeter appel à la Cour suprême
du Canada a été refusée.
Entre-temps, la demanderesse avait continué de
payer la taxe comme on le lui avait demandé au
départ. Le montant total de la taxe de vente versée
pendant la période considérée, avant et après l'au-
dition devant la Commission du tarif, s'élève à
550 186,64 $.
' S.R.C. 1970, chap. E-13 (mod. par (2' Supp.), chap. 10;
1970-71-72, chap. 62; 1973-74, chap. 12, 24, 53; et 1974-75-76,
chap. 24, 62).
La demanderesse a appris en septembre 1977,
au cours d'une conversation avec un des employés
de la défenderesse, qu'elle n'était pas obligée de
payer la taxe de vente tant que la question était
pendante devant la Commission. Par suite de cette
conversation, aucun autre paiement n'a été effec-
tué et le Ministère a reçu une lettre, datée du 21
octobre 1977, réclamant le remboursement de
toutes les sommes payées depuis la date de l'appel
à la Commission du tarif puisque ces sommes
avaient été payées à tort ou par erreur de droit ou
de fait. Habituellement, les sommes versées par
erreur de droit ne sont pas remboursables. Cepen-
dant, le paragraphe 44(7) de la Loi contient les
dispositions suivantes:
44. ...
(7) Si quelqu'un, par erreur de droit ou de fait, a payé ou a
payé en trop à Sa Majesté des deniers dont il a été tenu compte
à titre de taxes imposées par la présente loi, ces deniers ne
doivent pas être remboursés à moins que demande n'ait été
faite par écrit dans les deux ans qui suivent le paiement ou le
paiement en trop de ces deniers.
La preuve présentée par la demanderesse,
preuve que j'accepte, montre que son employé
croyait sincèrement, jusqu'en septembre 1977,
qu'elle était légalement tenue de payer la taxe.
Le Ministère a finalement remboursé 447 627,-
38 $ sur le montant total de 550 186,64 $ réclamé
à l'origine. Les sommes versées remboursaient les
taxes payées comme suit:
[TRADUCTION]
Période du 28 février 1975 au
27 février 1976 (la dernière date est
celle du dépôt de l'appel à la
Commission): 199 724,79 $
Période du 22 octobre 1976 au
21 octobre 1977 (la dernière date est
celle de la lettre de la demanderesse): 247 902,59 $
TOTAL 447 627,38 $
La somme de 102 559,26 $ qui fait l'objet du
litige représente les taxes payées du 27 février
1976 au 21 octobre 1976. La défenderesse soutient
que cette somme n'est pas remboursable en raison
du délai d'un an fixé au paragraphe 59(4) de la
Loi. La demanderesse allègue pour sa part que sa
revendication n'est pas soumise au délai d'un an
prévu au paragraphe 59(4) mais plutôt à celui de
deux ans mentionné dans le paragraphe 44(7) de
la Loi, précité, en vigueur à cette époque. (Le délai
est désormais de quatre ans. S.C. 1976-77, chap. 6,
10, 15, 28.)
L'article 59 porte sur le règlement des différends
concernant l'exigibilité et le montant de la taxe. Le
paragraphe (4) de cet article dit:
59. ...
(4) Nonobstant les dispositions de l'article 44 relatives au
délai dans lequel on peut présenter une demande en vue d'un
remboursement ou d'une déduction, il ne doit être opéré, aux
termes dudit article, aucun remboursement ni aucune déduction
en conséquence d'une déclaration de la Commission du tarif
selon le présent article ou d'une ordonnance ou d'un jugement
rendu selon l'article 60 l'égard de taxes payées avant cette
déclaration, cette ordonnance ou ce jugement, à moins que la
demande mentionnée à l'article 44 ne soit faite dans un délai de
douze mois après le paiement de ces taxes.
J'ai déjà cité le paragraphe 44(7). Les autres
passages pertinents de l'article, en vigueur en
1977, sont les suivants:
44. (1) Il peut être accordé une déduction ou remise de toute
taxe imposée par la présente loi
a) lorsque le contribuable a effectué un paiement en trop;
e) lorsque la taxe a été payée par erreur;
Si c'est le paragraphe 59(4) et non l'article 44
qui doit s'appliquer en l'espèce, le montant de
102 559,26 $ versé entre le 27 février et le 21
octobre 1976 n'est pas remboursable. Par contre, si
c'est le paragraphe 44(7) qui s'applique, ce mon-
tant est évidemment remboursable car cette
période est entièrement comprise dans la période
de deux ans qui a précédé la lettre du 21 octobre
1977.
La défenderesse soutient qu'en raison de l'effet
conjoint de l'alinéa 27(1)a) et du paragraphe
50(1) de la Loi, le fabricant est tenu de payer la
taxe même s'il existe un différend et même s'il
peut éventuellement être exempté. Il en résulterait
donc que le paiement de la taxe par une personne
exemptée ne serait pas une erreur de droit. Voici
les passages pertinents des deux articles mention-
nés ci-dessus:
27. (1) Est imposée, prélevée et perçue une taxe de consom-
mation ou de vente de douze pour cent sur le prix de vente de
toutes marchandises,
a) produites ou fabriquées au Canada,
(i) payable, dans tout cas autre que celui mentionné au
sous-alinéa (ii), par le producteur ou fabricant à l'époque
où les marchandises sont livrées à l'acheteur ou à l'époque
où la propriété des marchandises est transmise, en choisis-
sant celle de ces dates qui est antérieure à l'autre, et
50. (1) Toute personne tenue, en raison ou en conformité des
Parties III, IV ou V, de payer des taxes doit produire chaque
mois une déclaration véridique de ses ventes taxables effectuées
pendant le mois précédent; cette déclaration doit contenir les
renseignements et être en la forme que prescrivent les
règlements.
(3) La déclaration requise par le présent article doit être
produite et la taxe exigible doit être versée au plus tard le
dernier jour du mois qui suit celui pendant lequel les ventes ont
été faites.
L'avocat de la défenderesse invoque également
ce que déclarait le juge Abbott (dissident) aux
pages 365 et 366 de l'arrêt Her Majesty The
Queen v. Premier Mouton Products Inc. 2 de la
Cour suprême du Canada:
[TRADUCTION] Il ne fait aucun doute que les employés du
Ministère réclamaient de bonne foi à l'intimée le paiement de la
taxe et c'est ce qu'a conclu le juge de première instance. Ils ne
faisaient que leur devoir en exigeant le paiement d'une taxe
qu'ils croyaient que l'intimée et les autres fabricants étaient
tenus de payer. De toute évidence, il aurait été injuste de
permettre, d'une part, à ceux qui ne voulaient pas payer la taxe
d'en différer le paiement ou de s'y soustraire, et d'accepter, de
l'autre, le paiement de la taxe par ceux qui ne contestaient pas
son exigibilité, étant donné qu'on peut raisonnablement suppo-
ser que ceux qui ont payé la taxe seraient obligés d'essayer de la
récupérer dans le prix de vente du produit fini.
L'article 27 se trouve à la Partie V de la Loi. Le
paragraphe 50(1) impose le paiement de taxes à
toute personne qui est tenue de le faire en vertu de
la Partie V; cependant, l'article 29 se trouve égale-
ment dans la Partie V et c'est précisément cet
article qui prévoit l'exemption des produits en
cause. Il faut, par conséquent, interpréter l'article
50 en tenant compte de toute la Partie V et non
seulement de l'article 27. Il est évident qu'un
fabricant ou un distributeur de produits thérapeu-
tiques n'est pas une personne [TRADUCTION]
«tenue, en raison ou en conformité de la Partie .. .
V, de produire une déclaration de taxes et de payer
le montant des taxes qui y est déclaré».
Contrairement à la Loi de l'impôt sur le revenu
[S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970-
71-72, chap. 63, art. 1)], la présente Loi ne prévoit
pas expressément l'établissement par le Ministre
ou par toute autre personne autorisée d'une cotisa-
tion créant une obligation immédiate de payer, pas
plus qu'elle ne contient de disposition particulière
portant qu'en cas de litige sur les taxes imposées,
ces dernières doivent être payées tant que ce litige
n'est pas résolu. Les lois fiscales doivent être rigou-
2 [1961] R.C.S. 361.
reusement interprétées contre l'autorité qui impose
la taxe; comme aucune cotisation n'est prévue et
qu'aucune disposition particulière ne précise que
les taxes doivent être payées, si elles sont récla-
mées, indépendamment du fait qu'il n'existe en
vertu des dispositions de la Loi concernant l'impo-
sition de la taxe aucune obligation de le faire, je
suis disposé à conclure que les sommes payées
après l'appel à la Commission du tarif n'étaient
pas exigibles en vertu de la Loi, et que les sommes
versées parce qu'on croyait à tort qu'elles étaient
exigibles ont été payées par erreur de droit.
De plus, le délai d'un an pour les paiements
passés prévu au paragraphe 59(4) concerne les
paiements qui font l'objet d'un différend dont est
saisie la Commission du tarif. Ce n'est pas le cas
en l'espèce. La demande qui a été faite par lettre
n'a pas été soumise à la Commission, mais elle a
été présentée en attendant la décision de cette
dernière sur les paiements antérieurs effectués
relativement au même objet de litige. Le paragra-
phe 59(4) ne concerne absolument pas les paie-
ments effectués après qu'une demande a été pré-
sentée à la Commission du tarif.
Le but du délai du paragraphe 59(4) est d'obli-
ger le contribuable à agir rapidement, de l'empê-
cher d'invoquer le droit au remboursement, plu-
sieurs années après, de sommes versées par erreur.
Ce n'était visiblement pas le cas en l'espèce: le
Ministère savait que les paiements qui font l'objet
du litige dont je suis saisi, étaient contestés au
moment même où ils ont été payés puisque des
paiements de même nature concernant des pro-
duits identiques avaient donné lieu à des actions
pour lesquelles aucune décision n'avait encore été
rendue à l'époque.
Je conclus donc que le délai de deux ans prévu à
l'article 44 s'applique aux faits du litige et que ce
délai n'est pas modifié par les dispositions du
paragraphe 59(4).
En fait, on demande simplement à la Cour de
déclarer si, étant donné les faits particuliers de
l'espèce et les dispositions de la Loi, le Ministère
peut, à bon droit, payer la somme de 102 559,26 $
à la demanderesse. La déclaration demandée est
accordée. La demanderesse a droit aux dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.