A-958-84
Dennis Brennan (requérant)
c.
La Reine, représentée par le Conseil du Trésor et
Bonnie Robichaud (intimés)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juges Pratte
et MacGuigan—Ottawa, 7, 8, 9, 23 novembre
1984 et 18 février 1985.
Droits de la personne — Harcèlement sexuel — Discrimina
tion — L'intimée Robichaud a fait l'objet d'avances sexuelles
par son supérieur Brennan pendant qu'elle occupait, à l'essai,
un poste de chef nettoyeur manuel au sein du service de
nettoyage de la base militaire — À une occasion, Brennan a
menacé de porter contre Mme Robichaud une accusation d'in-
subordination si elle quittait son bureau et à une autre il lui a
dit: «Sans mon soutien, tu te retrouverais devant rien» — Le
tribunal des droits de la personne a rejeté la plainte de
harcèlement sexuel, d'actes discriminatoires et d'intimidation
portée par Mme Robichaud contre Brennan et le ministère de
la Défense nationale au motif que les actes sexuels n'avaient
pu se produire sans le consentement de Mme Robichaud — Le
tribunal d'appel u accueilli l'appel et a conclu à la responsabi-
lité du ministère de la Défense nationale à l'égard de la
conduite de Brennan — Brennan a été trouvé coupable parce
qu'il a fait défaut de réfuter la cause établie prima facie par
Mme Robichaud et parce qu'il avait créé un climat de travail
empoisonné en contravention de l'art. 7b) de la Loi — Le
harcèlement sexuel constitue un acte discriminatoire — La
conclusion du tribunal d'appel suivant laquelle les faveurs
sexuelles ont été obtenues par la contrainte pouvait être tirée
de la preuve — Le tribunal d'appel n'a pas infirmé l'opinion
du premier tribunal sur les faits mais plutôt la conclusion que
ce dernier en a tirée et qui constituait une erreur manifeste et
dominante — La remarque concernant le renversement du
fardeau de preuve sur les épaules de Brennan n'est pas une
erreur de droit puisqu'elle ne constitue pas un exposé de droit
— On allègue que la remarque suivant laquelle aucune ques
tion n'a été posée en vue de prouver qu'il y avait eu consente-
ment ne constitue pas une conclusion de fait non fondée
puisque les questions à ce sujet ont été peu nombreuses et que
la décision ne repose pas sur cette conclusion de fait — Le
harcèlement sexuel qui a eu lieu constitue un acte discrimina-
toire car il a eu pour effet de défavoriser l'employée pour des
considérations fondées sur le sexe — L'art. 7 vise le cas d'un
supérieur qui, au lieu de travail, tire avantage de son autorité
vis-à-vis d'un subordonné de l'autre sexe se trouvant dans une
situation vulnérable afin de l'intimider et de s'assurer sa
participation dans sa conduite sexuelle — Étant donné le
rapport pouvoir-vulnérabilité qui existait, le simple fait qu'il y
ait eu des incidents à caractère sexuel donne naissance prima
facie à une cause de harcèlement sexuel et renverse sur les
épaules du gestionnaire le fardeau de réfuter cette cause —
L'arrêt Bell v. Ladas s'applique — La conduite de Brennan a
détruit les relations de travail normales entre le supérieur et
l'employée, créant ainsi pour Mme Robichaud des conditions
de travail plus défavorables parce qu'elle est une femme — La
situation défavorable a été causée par des actes discriminatoi-
res illicites — Loi canadienne sur les droits de la personne,
S.C. 1976-77, chap. 33, art. 2a), 3, 4, 7b), 41, 42, 42.1(4),(5),
48(5) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 23), (6)
(mod., idem), 63 — Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap.
I-23, art. 11.
Droits de la personne — Responsabilité du fait d'autrui —
Le tribunal d'appel a fait erreur en concluant à la responsabi-
lité stricte de la Couronne à l'égard du harcèlement sexuel
dont s'est rendu coupable le supérieur vis-à-vis de l'employée
— L'art. 4, qui prévoit que toute personne reconnue coupable
d'un acte discriminatoire peut faire l'objet des ordonnances
prévues aux art. 41 et 42, vise toute personne commettant
elle-même un acte discriminatoire ou ordonnant à quelqu'un
d'autre de le faire pour elle — L'employeur n'a aucune
obligation d'empêcher ses employés de commettre des actes
discriminatoires — La loi est muette quant à la responsabilité
du fait d'autrui, à la responsabilité absolue ou encore à la
responsabilité stricte selon les principes de responsabilité
délictuelle de la common law ou ceux du droit criminel — La
conduité des employés occupant un poste inférieur à celui de
ministre n'entraîne pas la responsabilité de la Couronne — Le
tribunal d'appel a tenu compte de facteurs non pertinents qui
ne constituaient pas un traitement défavorable fondé sur le
sexe tels que le défaut de la Couronne de faire enquête plus à
fond sur la plainte de Mme Robichaud et sur l'origine des
plaintes formulées contre cette dernière, la modification de ses
fonctions donnant l'impression qu'elle était traitée défavora-
blement et que Brennan ne l'était pas et le fait que les activités
de Brennan en rapport avec les témoins n'ont pas été contrôlées
— Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77,
chap. 33, art. 2a), 3, 4, 7b), 41, 42, 42.1(4),(5), 48(5) (mod. par
S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 23), (6) (mod., idem), 63.
Compétence — Cour fédérale, Division d'appel — Demande
tendant à l'annulation de la décision du tribunal d'appel des
droits de la personne qui a accueilli l'appel interjeté à l'encon-
tre de la décision du tribunal des droits de la personne — Le
tribunal d'appel a trouvé le supérieur de l'employée coupable
de harcèlement sexuel et a conclu à la responsabilité du
supérieur et de son employeur — La question des dommages-
intérêts a été reportée à plus tard afin d'entendre les argu
ments à ce sujet — La décision partielle constitue un jugement
ou une ordonnance pouvant faire l'objet d'un examen car elle
se voulait manifestement une décision finale sur les questions
examinées — On a appliqué l'arrêt VIA Rail Canada Inc. c.
Butterill qui a établi le principe qu'une décision qui ne tranche
définitivement qu'une partie des questions soumises à un tri
bunal peut constituer une décision au sens de l'art. 28 —
Autoriser le contrôle judiciaire dans les circonstances actuelles
permet de défendre l'intégrité des procédures administratives
— Depuis la décision VIA Rail, les tribunaux interrompent les
procédures pour permettre le contrôle judiciaire des questions
importantes sur lesquelles ils ont rendu une décision finale
avant d'examiner les questions en résultant — La décision
finale qui tranche toutes les questions soumises sauf celle
relative à la réparation peut faire l'objet d'un contrôle judi-
ciaire étant donné que, par cette décision, le tribunal tranche
de manière définitive la question de fond dont il a été saisi —
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10,
art. 28.
Il s'agit en l'espèce de demandes d'examen d'une décision
rendue par un tribunal d'appel des droits de la personne.
L'intimée Robichaud a déposé une plainte dans laquelle elle
alléguait avoir fait l'objet de harcèlement sexuel, d'actes discri-
minatoires et d'intimidation par son supérieur Brennan et par le
ministère de la Défense nationale. Mme Robichaud était en
stage d'essai à titre de chef nettoyeur manuel au sein du service
de nettoyage d'un établissement militaire lorsque les avances
sexuelles se sont produites. Le tribunal des droits de la personne
a rejeté la plainte de Mme Robichaud pour le motif que les
actes sexuels reprochés n'avaient pu avoir eu lieu sans son
consentement. Le tribunal d'appel a infirmé la conclusion de
fait suivant laquelle Mme Robichaud aurait consenti à l'activité
en question, a accueilli l'appel de cette dernière et a trouvé
Brennan coupable de harcèlement sexuel en plus de conclure
que Brennan et son employeur étaient responsables des actions
du premier. Le tribunal d'appel a jugé que Mme Robichaud
avait établi prima facie une cause de harcèlement sexuel et que
par suite du renversement du fardeau de preuve, il appartenait
aux défendeurs d'établir que ces actes ne constituaient pas du
harcèlement sexuel. Brennan a été trouvé coupable parce qu'il a
fait défaut de réfuter la cause établie prima facie et parce qu'il
avait créé un climat de travail empoisonné en contravention de
l'alinéa 7b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Le tribunal d'appel a reporté sa décision quant aux dommages-
intérêts auxquels avait droit Mme Robichaud afin d'entendre
les arguments des parties à ce sujet. Les questions qui se posent
sont celles de savoir si la décision du tribunal d'appel constitue
une «décision ou ordonnance» au sens du paragraphe 28(1) de
la Loi sur la Cour fédérale; si le harcèlement sexuel auquel on
a conclu est un acte discriminatoire au sens de la Loi; et si la
Couronne est responsable de la conduite de son employé
Brennan.
Arrêt: les demandes devraient être accueillies et la décision
du tribunal d'appel annulée dans la mesure où elle conclut à la
responsabilité de la Couronne.
Le juge en chef Thurlow: La décision du tribunal d'appel
attaquée en l'espèce ne constitue ni une décision ni une ordon-
nance au sens du paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour
fédérale. Rien n'indique ce pourquoi la plaignante doit être
indemnisée ni sur quel principe devrait se fonder l'évaluation de
l'indemnité. En vertu de l'article 41, un tribunal peut rejeter la
plainte ou rendre une ordonnance de redressement du type de
ceux prévus aux paragraphes 41(2) et (3). Le paragraphe
42.1(6) a pour effet d'autoriser le tribunal d'appel à faire droit
à l'appel et à prononcer l'ordonnance que, selon lui, le tribunal
inférieur aurait dû rendre. Vient ainsi s'ajouter le pouvoir de
faire droit à l'appel, mais en soi cela n'a pas pour effet
d'accorder un redressement. Sans une ordonnance du type
envisagé par les paragraphes 41(2) ou (3), cela ne ferait que
laisser l'affaire en suspens. Le pouvoir prévu à l'alinéa
42.1(6)b) est indivisible et, dans une telle situation, le fait
d'accueillir un appel sans prononcer d'ordonnance ne constitue
pas une décision ni une ordonnance. Pour être en présence
d'une décision ou d'une ordonnance susceptible d'examen, il
faut une décision qui annule le rejet visé dans l'appel et qui
prononce l'ordonnance devant lui être substituée.
La conclusion du tribunal d'appel suivant laquelle Mme
Robichaud a été contrainte à participer aux actes sexuels avec
Brennan pouvait être tirée de la preuve et le tribunal d'appel
avait le pouvoir de la prononcer. Par conséquent, les conclu
sions ne peuvent être annulées que si le tribunal d'appel a
commis une erreur de droit en les prononçant. Le requérant
soutient que le tribunal d'appel a fait erreur lorsqu'il a dit qu'il
y avait eu renversement du fardeau de preuve sur ses épaules et
que l'autre remarque du tribunal selon laquelle aucune question
n'a été posée à Mme Robichaud durant son contre-interroga-
toire en vue de tenter de démontrer qu'elle avait consenti aux
actes constituait une conclusion de fait non fondée. La remar-
que concernant le renversement du fardeau de preuve n'était
pas un exposé de droit. Elle n'est qu'une façon de dire que la
preuve présentée par la plaignante était tellement forte qu'en
l'absence de preuve contraire, sa cause était établie. Même si
l'avocat a pu indiquer dans le contre-interrogatoire de Mme
Robichaud des questions se rapportant au consentement, elles
n'étaient pas nombreuses et faisaient davantage ressortir les
aspects qui n'avaient pas été abordés durant le contre-interro-
gatoire. La remarque du tribunal d'appel concernant le contre-
interrogatoire ne constituait pas une conclusion de fait sur
laquelle était fondée la décision.
Le harcèlement sexuel auquel on a conclu constituait un acte
discriminatoire en ce sens qu'il a eu pour effet de défavoriser
l'employée Robichaud pour des considérations fondées sur son
sexe. L'article 7 vise le cas d'un supérieur qui, au lieu de
travail, tire avantage de son poste et de son autorité vis-à-vis
d'un subordonné de l'autre sexe qui se trouve dans une situation
vulnérable, afin de l'intimider et de s'assurer sa participation à
des activités sexuelles. Le présent cas est semblable à l'affaire
Bell v. Ladas dans laquelle on a dit qu'une personne, qui subit
un désavantage à cause de son sexe, fait alors l'objet de
discrimination dans son emploi lorsque la conduite de l'em-
ployeur la prive de rétributions financières à cause de son sexe
ou lui soutire des faveurs sexuelles d'une forme ou d'une autre
en retour de l'amélioration ou du maintien de ses avantages
actuels. Le comportement de Brennan a détruit les relations de
travail normales entre le supérieur et l'employée créant ainsi
pour cette dernière des conditions de travail plus défavorables
du fait qu'elle est une femme. Il s'agit d'une manifestation
d'une conséquence défavorable d'un acte discriminatoire illicite.
La décision du tribunal d'appel sur la responsabilité de
l'employeur n'est pas fondée. Elle repose sur le concept suivant
lequel, en vertu de la Loi, la Couronne est strictement responsa-
ble des gestes de son surveillant, concept n'ayant aucun fonde-
ment en droit. L'article 4 prévoit que «toute personne reconnue
coupable de ces actes peut faire l'objet des ordonnances prévues
aux articles 41 et 42». Il en ressort que si une personne commet
elle-même un acte discriminatoire ou si quelqu'un le fait pour
elle sur ses ordres, cette personne peut faire l'objet d'une
ordonnance. Rien n'impose aux employeurs l'obligation d'em-
pêcher ou de prendre des mesures efficaces afin d'empêcher
leurs employés de commettre des actes discriminatoires. Il n'y a
rien non plus qui permette de conclure à la responsabilité d'une
personne, par le jeu de la responsabilité du fait d'autrui, de la
responsabilité absolue ou encore de la responsabilité stricte
selon les principes de responsabilité délictuelle de la common
law ou ceux du droit criminel, pour des actes discriminatoires
commis par quelqu'un d'autre, qu'il s'agisse ou non d'un
employé.
En vertu de la Loi, dans le cas d'une société, l'autorisation
susceptible d'engager la responsabilité doit émaner de la direc
tion. Dans le cas de la Fonction publique, la Couronne n'est pas
responsable de la conduite de ceux qui occupent des postes de
niveau inférieur à celui du fonctionnaire ou de l'organisme sous
l'autorité duquel est placé le service public. En l'espèce, il
s'agissait du ministre de la Défense nationale et du Conseil du
Trésor. Rien ne permet de penser que Brennan s'était vu confier
par l'une de ces sources le pouvoir de harceler Mme Robichaud.
En dernier lieu, la décision devrait être infirmée parce que le
tribunal d'appel a tenu compte de facteurs qui ne constituaient
pas, de la part de la Couronne, un traitement défavorable fondé
sur le sexe à l'égard de Mme Robichaud, tel le défaut de la
Couronne de faire enquête plus à fond sur la plainte de Mme
Robichaud et sur l'origine des plaintes formulées contre cette
dernière, la modification de ses fonctions qui donne l'impression
qu'elle a été traitée défavorablement et que Brennan ne l'a pas
été et le fait que les activités de ce dernier en rapport avec les
témoins n'ont pas été contrôlées. Aucun de ces facteurs n'est
pertinent à la question de la responsabilité de la Couronne.
Le juge Pratte: La présente décision peut faire l'objet d'un
examen en vertu du paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour
fédérale. Il n'y aucune distinction importante entre le présent
cas et l'affaire VIA Rail Canada Inc. c. Butterill, et autres.
Le juge MacGuigan: Les demandes devraient être rejetées.
La décision partielle du tribunal d'appel, comme elle se voulait
manifestement une décision finale sur les questions examinées,
peut faire l'objet d'un examen en vertu du paragraphe 28(1).
L'arrêt VIA Rail Canada Inc. c. Butterill, et autres a établi le
principe qu'une décision qui ne tranche définitivement qu'une
partie des questions soumises à un tribunal peut constituer une
décision au sens de l'article 28. Le résultat du processus
administratif en l'espèce est donc plus incomplet que dans
l'arrêt VIA Rail. Toutefois, autoriser, dans les circonstances
actuelles, le contrôle judiciaire permettrait de défendre l'inté-
grité des procédures administratives, considération de toute
première importance comme l'a souligné le juge en chef Jackett
dans In re la Loi antidumping et in re Danmor Shoe Co. Ltd.
Depuis l'arrêt VIA Rail, les tribunaux ont pris l'habitude
d'interrompre les procédures pour permettre que les questions
importantes sur lesquelles ils ont rendu une décision finale
puissent faire l'objet d'un contrôle judiciaire avant d'examiner
les questions en résultant. Une décision qui tranche manifeste-
ment toutes les questions soumises sauf celle relative à la
réparation ou à l'indemnisation devrait faire l'objet d'un tel
examen étant donné que, par cette décision, le tribunal tranche
de manière définitive la question de fond dont il a été saisi.
Les tribunaux des droits de la personne au Canada ont
régulièrement statué que le harcèlement sexuel peut constituer
une forme de discrimination fondée sur le sexe. Étant donné le
rapport pouvoir-vulnérabilité qui existait en l'espèce, le simple
fait qu'il y ait eu des incidents à caractère sexuel donnent
naissance à une présomption prima facie de harcèlement
sexuel, et il incombe au contremaître de prouver que ses actes
ne constituaient pas du harcèlement sexuel. Le tribunal d'appel
a jugé que Brennan n'avait pas réussi à se libérer de ce fardeau
de preuve et l'a également trouvé coupable de harcèlement
sexuel parce qu'il avait créé un climat de travail empoisonné.
La Loi canadienne sur les droits de la personne exige simple-
ment la distinction illicite exercée contre un employé, une
infraction moins précise et plus facile à démontrer. En l'espèce,
les actes sexuels obtenus par la contrainte et constituant une
distinction illicite s'étant réellement produits, l'existence d'un
climat de travail malsain vient renforcer les allégations, mais ne
constitue pas un élément nécessaire à l'infraction. Le tribunal
d'appel avait été saisi d'une preuve suffisante pour lui permet-
tre de statuer que Brennan était coupable de distinction illicite
fondée sur le sexe. Le tribunal d'appel a infirmé une conclusion
tirée des faits plutôt que l'opinion du premier tribunal sur les
faits eux-mêmes. La conclusion du tribunal constituait une
erreur manifeste et dominante et pouvait donc être infirmée.
Selon la Cour suprême du Canada, le Code des droits de la
personne de l'Ontario empêche toute action civile fondée sur
une violation de ses dispositions et exclut aussi toute action qui
découle de la common law et qui est fondée sur l'invocation de
la politique générale énoncée dans le Code. Le même raisonne-
ment s'applique à la Loi canadienne sur les droits de la
personne. Par conséquent, c'est dans le texte même de la loi
qu'il faut chercher les principes de responsabilité applicables.
L'article 2 énonce que le principe de la Loi est que «tous ont
droit ... à l'égalité des chances d'épanouissement, indépendam-
ment des considérations fondées sur [des motifs de distinction
illicite)». Il résulte du rapprochement de ce principe et de
l'article 11 de la Loi d'interprétation que les tribunaux sont à
toutes fins pratiques tenus d'interpréter la Loi de façon à
donner aux personnes victimes de discrimination la protection
la plus large et la plus libérale possible. Cette protection doit
comprendre un recours contre l'employeur. Les mesures de
redressement étendues que prévoit l'article 41 et, de façon
générale, la nécessité d'assurer un suivi et de mettre fin aux
actes discriminatoires, supposent une responsabilité semblable
de la part de l'employeur. Il en découlerait que si l'émergence
du délit de discrimination sanctionnée par la common law est
devancée par l'évolution des lois et l'adoption d'un code des
droits de la personne, cette évolution viendrait conférer aux
victimes de discrimination des recours au moins aussi larges
que ceux que la common law leur aurait accordés, ce qui
incluerait, par conséquent, le recours fondé sur le principe de la
responsabilité de l'employeur. On peut voir dans l'expression
«directement ou indirectement» de l'article 7 la reconnaissance
manifeste du principe de la responsabilité de l'employeur en ce
qui concerne, en particulier, cette forme de discrimination.
L'expression «directement ou indirectement» implique l'idée
d'une participation de ceux qui sont réputés responsables.
L'employeur doit avoir à tout le moins l'occasion de décliner sa
responsabilité en excipant de sa bonne foi. Le tribunal d'appel a
correctement exposé le droit lorsqu'il a énoncé la responsabilité
stricte de l'employeur envers les actes de son personnel cadre.
Un élément de preuve justifiait le tribunal d'appel de conclure à
l'insouciance et à l'absence de diligence raisonnable: le fait que
l'employeur ait permis que Mme Robichaud subisse, en consé-
quence des lettres et pétitions défavorables à son endroit qui
faisaient partie d'une tentative de discrédit bien orchestrée par
Brennan, un traitement défavorable dans son emploi tout juste
un mois après qu'elle eut terminé sans reproche sa période
d'essai. Il n'y a aucune preuve que le tribunal d'appel a fondé sa
décision sur une conclusion de faits erronée. On prétend enfin
que le tribunal d'appel n'était pas justifié de substituer son
appréciation des faits relatifs à la responsabilité de l'employeur
à celle du premier tribunal. Ce dernier en est venu à la
conclusion que Brennan n'avait pas commis d'actes discrimina-
toires fondés sur le sexe à l'encontre de Mme Robichaud, vu le
consentement de cette dernière. Il n'avait donc pas à se pronon-
cer sur la responsabilité de l'employeur. Les intimés ont pré-
tendu que la remarque suivant laquelle le tribunal ne pouvait
tenir l'employeur (en excluant M. Brennan) responsable du
traitement défavorable constituait une conclusion subsidiaire
portant que Brennan était seul responsable de ses actes. Ce que
le tribunal visait, c'était un acte discriminatoire subséquent qui
n'avait eu rien à voir avec celui de Brennan et qui aurait pu
engager la responsabilité de l'employeur.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
VIA Rail Canada Inc. c. Butter!11, et autres, [1982] 2
C.F. 830 (C.A.); Cherie Bell and Anna Korczak v. Ernest
Ladas and The Flaming Steer Steak House (1980), 1
C.H.R.R. D/155 (Comm. d'enquête de l'Ont.); In re la
Loi antidumping et in re Danmor Shoe Co. Ltd., [1974]
1 C.F. 22 (C.A.); Barnes v. Costle, 561 F.2d 983 (D.C.
Cir. 1977); Stein et al. c. Le navire «Kathy K», [1976] 2
R.C.S. 802; 62 D.L.R. (3d) 1; Turenko c. Commissaire
de la Gendarmerie royale du Canada (1984), 55 N.R.
314 (C.F. Appel).
DISTINCTION FAITE AVEC:
National Indian Brotherhood, et autres c. Juneau, et
autres, [1971] C.F. 73 (C.A.); Hoffmann-La Roche
Limited v. Delmar Chemicals Limited, [1966] R.C.É.
713; Bundy v. Jackson, 641 F.2d 934 (D.C. Cir. 1981).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Chuba c. Tribunal canadien des droits de la personne,
jugement en date du 7 novembre 1984, Division d'appel
de la Cour fédérale, A-193-84, encore inédit (confirmant
sub nom. Jane Kotyk and Barbara Allary v. Canada
Employment and Immigration Commission and Jack
Chuba (1983), tribunal des droits de la personne, non
publié); Edilma Olarte et al. v. Rafael DeFilippis and
Commodore Business Machines Ltd. (1983), 4 C.H.R.R.
D/1705 (Comm. d'enquête).
DÉCISIONS CITÉES:
Le procureur général du Canada c. Cylien, [1973] C.F.
1166 (C.A.); Smith Kline & French Inter -American
Corporation v. Micro Chemicals Limited, [1968] 1
R.C.E. 326; Ferrow c. Ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration, [1983] 1 C.F. 679 (C.A.); Seneca College of
Applied Arts and Technology c. Bhadauria, [1981] 2
R.C.S. 181; 124 D.L.R. (3d) 193; Re Nelson et al. and
Byron Price & Associates Ltd. (1981), 122 D.L.R. (3d)
340 (C.A.C: B.); In the Matter of an Appeal from a
Board of Enquiry under the Ontario Human Rights
Code, etc. Commodore Business Machines Ltd., and
Rafael DeFilippis v. The Minister of Labour for Ontario
et al., jugement en date du 22 novembre 1984, Cour
divisionnaire de l'Ontario, A-279-83, encore inédit; R. v.
Waterloo Mercury Sales Ltd. (1974), 18 C.C.C. (2d) 248
(C. div. Alb.); R. v. P.G. Marketplace and McIntosh
(1979), 51 C.C.C. (2d) 185 (C.A.C: B.); R. v. St. Law-
rence Corp. Ltd., [1969] 3 C.C.C. 263 (C.A. Ont.); R.
sur la dénonciation de Mark Caswell c. Corporation de
la ville de Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299.
AVOCATS:
William A. Sangster pour le requérant.
Peter K. Doody pour la Reine représentée par
le Conseil du Trésor, intimée.
K. Scott McLean pour Bonnie Robichaud,
intimée.
Russell G. Juriansz pour la Commission
canadienne des droits de la personne.
PROCUREURS:
McLachlan & Sangster, North Bay (Ontario)
pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour la
Reine représentée par le Conseil du Trésor,
intimée.
Herridge, Tolmie, Ottawa, pour Bonnie Robi-
chaud, intimée.
Russell G. Juriansz, conseiller juridique,
Commission des droits de la personne, pour la
Commission canadienne des droits de la
personne.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW: II s'agit en l'es-
pèce d'une demande d'examen d'une décision
rendue par un tribunal d'appel des droits de la
personne constitué en vertu de l'article 42.1 de la
Loi canadienne sur les droits de la personne [S.C.
1976-77, chap. 33]. La Cour a instruit par la
même occasion la demande d'examen portant le
numéro de greffe A-279-83 présentée par Sa
Majesté la Reine représentée par le Conseil du
Trésor à l'égard de cette même décision. Les pré-
sents motifs s'appliquent à ces deux demandes.
L'affaire résulte de la plainte déposée par l'inti-
mée, Bonnie Robichaud, le 26 janvier 1980, auprès
de la Commission canadienne des droits de la
personne. Dans cette plainte, elle alléguait avoir
fait l'objet de harcèlement sexuel, d'actes discrimi-
natoires et d'intimidation par le ministère de la
Défense nationale et désignait nommément le
requérant, Brennan, comme étant l'individu
l'ayant harcelée sexuellement. Au terme de lon-
gues procédures qui se sont déroulées en 1981 et
1982 [Robichaud et al. c. Brennan et al. (1982),
82 CLLC 1091], le tribunal des droits de la per-
sonne constitué pour instruire la plainte l'a finale-
ment rejetée concluant que le bien-fondé des allé-
gations n'avait pas été établi. Mme Robichaud a
par la suite interjeté appel devant un tribunal
d'appel des droits de la personne [Robichaud c.
Brennan et al. (1983), 83 CLLC 16,050] qui, le 14
février 1983, dans un document constituant sa
décision, a infirmé les conclusions du tribunal des
droits de la personne, a trouvé Brennan coupable
de harcèlement sexuel à l'endroit de Mme Robi-
chaud et le ministère de la Défense nationale
responsable des actes de Brennan, et a conclu
comme suit [aux pages 16,053 et 16,054]:
En conséquence, l'appel de madame Robichaud est accueilli
aux dépens des deux intimés, Dennis Brennan et Sa Majesté la
Reine du chef du Canada représentée par le Conseil du Trésor.
La responsabilité à la fois de monsieur Brennan et de son
employeur est établie et il nous reste maintenant à fixer les
dommages auxquels madame Robichaud a droit et toute autre
compensation qui devrait, le cas échéant, découler de notre
décision. Jamais auparavant un tribunal de la Commission
canadienne des droits de la personne a-t-il eu à traiter des
questions de dommages cn jcu cn cette cause et ni ce tribunal ni
le tribunal inférieur n'a entendu d'arguments à ce sujet. Nous
reportons donc notre décision sur cet aspect afin d'entendre les
arguments des parties.
La première question qu'il nous faut trancher
consiste à déterminer s'il s'agit là d'une «décision
ou ordonnance» au sens du paragraphe 28(1) de la
Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2° Supp.),
chap. 10]. Dans l'affirmative, la Cour a compé-
tence pour connaître des présentes demandes.
Dans le cas contraire, la Cour n'a pas compétence
et les demandes doivent être annulées.
La question de savoir ce qui constitue une telle
décision ou ordonnance a été traitée dans des
termes généraux par le juge en chef Jackett dans
l'arrêt National Indian Brotherhood, et autres c.
Juneau, et autres' et dans les annexes aux déci-
sions de cette Cour dans Le procureur général du
Canada c. Cylien 2 et In re la Loi antidumping et
in re Danmor Shoe Co. Ltd. 3 , en plus d'être exa
minée à maintes reprises depuis que ces décisions
ont été rendues.
Dans l'arrêt National Indian Brotherhood, le
juge déclarait aux pages 77 79:
La question la plus importante à trancher relativement à
l'application de l'art. 28(1) est probablement celle de la signifi-
I [1971] C.F. 73 (C.A.).
2 [1973] C.F. 1166 (C.A.).
3 [1974] 1 C.F. 22 (C.A.).
cation des termes «décision ou ordonnance». Ces termes s'appli-
quent clairement à la décision ou ordonnance émanant d'un
tribunal en réponse à une requête lui demandant d'exercer ses
pouvoirs après avoir adopté la procédure qu'il décide d'adopter
pour conclure sur ce qu'il doit faire en réponse à la demande. Je
suis enclin à croire, cependant, qu'il est douteux que ces
termes—i.e., décision ou ordonnance—s'appliquent aux innom-
brables décisions ou ordonnances que le tribunal doit rendre au
cours des procédures qui aboutissent au prononcé du jugement.
J'ai à l'esprit des décisions telles que
a) des décisions relatives aux dates d'audition,
b) des décisions sur des requêtes en ajournement,
c) des décisions concernant l'ordre d'audition des parties,
d) des décisions ayant trait à l'admissibilité de la preuve,
e) des décisions sur des objections à des questions posées aux
témoins, et
f) des décisions sur l'autorisation de présenter une argumen
tation écrite ou orale.
Chacune de ces décisions peut fort bien faire partie du tableau
lors d'un pourvoi à l'encontre de la décision ultime du tribunal
au motif qu'il n'y a pas eu une audition loyale. Cependant, si
une partie intéressée a le droit de s'adresser à cette Cour en
vertu de l'art. 28 chaque fois qu'une décision de ce genre est
rendue, il semble qu'on ait mis entre les mains de parties peu
disposées à ce qu'un tribunal exerce sa compétence un moyen
dilatoire et frustratoire incompatible avec l'esprit de l'art.
28(5). Une question semblable se soulève lorsqu'un tribunal
procède par étapes pour arriver à trancher le problème ultime
qu'il doit trancher (comparer Smith Kline & French Inter -
American Corp. c. Micro Chemicals Ltd. [1968] 1 R.C.É. 326,
aux pages 326 à 330), et je doute que l'art. 28(1) autorise une
demande en ce sens avant qu'on ne soit arrivé à la décision
ultime. Je doute également que le refus d'un tribunal de
connaître d'une requête ou sa décision de procéder à une
enquête entrent dans le cadre de l'art. 28(1). A ce sujet, il se
peut fort bien que la ligne de partage se situe entre des
décisions d'un tribunal avant qu'il n'entreprenne et n'achève
l'instruction d'une affaire où une partie doit procéder par la
voie des anciennes procédures de la Couronne et instituer une
action où la Cour peut décider s'il a droit à réparation, et des
décisions fondées sur une action déjà présentée au tribunal où
la Cour d'appel peut fonder sa décision sur ce qui a été fait ou
ne l'a pas été devant ce tribunal.
Je ne prétends pas avoir formulé d'opinion quant au sens des
termes «décision ou ordonnance» dans le contexte de l'art.
28(1), mais il me semble que l'on veut dire qu'il s'agit d'une
décision ou ordonnance ultime prise ou rendue par le tribunal
en vertu de sa constitution et non pas la myriade d'ordonnances
ou de décisions accessoires qui doivent être rendues avant de
trancher définitivement l'affaire. [C'est moi qui souligne.]
Dans l'affaire Smith Kline & French Inter -
American Corporation v. Micro Chemicals Limi
ted 4 , dont le juge en chef Jackett a fait mention
dans le passage précité, et dans l'arrêt Hoff-
4 [1968] 1 R.C.É. 326.
mann-La Roche Limited v. Delmar Chemicals
Limited 5 , le savant juge a conclu à la nullité des
appels formés contre des décisions du commissaire
des brevets d'accorder les licences obligatoires tout
en reportant à plus tard la détermination de la
redevance devant être versée par les preneurs de
licence. Dans l'arrêt Hoffmann-La Roche Limited
v. Delmar Chemicals Limited, le juge déclarait à
la page 716:
[TRADUCTION] Le paragraphe (4) de l'article 41 prévoit un
appel d'une «décision rendue par le commissaire en vertu du
présent article». Le seul pouvoir conféré au commissaire par
l'article 41 est celui que lui attribue implicitement le passage du
paragraphe (3) dudit article qui l'oblige «à moins qu'il ne
trouve de bonnes raisons justifiant le contraire» à «accorder»
une «licence» à quiconque en fait la demande. Il ressort claire-
ment du reste du texte de ce paragraphe que le commissaire va
normalement insérer diverses conditions dans la licence, notam-
ment une disposition prévoyant le paiement d'une redevance ou
autre considération. Ce paragraphe envisage donc
a) une demande de licence, et
b) une décision du commissaire
(i) de rejeter la demande, ou
(ii) d'accorder une licence arrêtant les conditions appro-
priées et fixant la redevance ou autre considération.
À mon avis, c'est cette «décision» qui peut faire l'objet d'un
appel devant cette Cour. Il va de soi qu'avant de rendre une
décision finale, en refusant ou en accordant la licence deman-
dée, le commissaire aura été appelé dans le cadre de cette
demande à prendre de nombreuses décisions qu'il a implicite-
ment le pouvoir de prendre en vertu du paragraphe (3) de
l'article 41. Il doit décider de la procédure à suivre dans
l'examen de la demande; il doit décider s'il y aura une audition;
il doit décider du sort des demandes présentées en vue de faire
entendre des témoignages ou des plaidoyers additionnels; et, en
fait, il doit statuer sur chacune des questions préliminaires qui
se posent durant l'élaboration de sa décision quant au sort de la
demande. (Comparer avec les propos du juge Thurlow aux
pages 230 et 231 de l'arrêt J. K. Smit & Sons International
Limited v. Packsack Diamond Drills Ltd. [1964] R.C.É. 226,
qui traite d'un problème semblable relativement au sens du mot
«décision» utilisé au paragraphe 56(2) de la Loi sur les marques
de commerce, chapitre 49 des lois de 1952-3.)
À mon avis, toutefois, le Parlement n'a pas envisagé toute
une série d'appels au cours de l'audition d'une simple demande
prévue par le paragraphe (3) de l'article 41. Par conséquent, il
n'a pas envisagé qu'il y aurait appel du refus du commissaire
d'entendre des témoignages et des plaidoyers additionnels, ou
de sa décision d'accorder ou non une licence. (La formulation
d'une telle conclusion n'est qu'une partie du processus qui vise à
décider quel sort réserver à l'appel.) On peut demander l'exa-
men de ces deux questions lors d'un appel de la décision - finale
statuant sur la demande.
Il s'ensuit donc, à mon avis, que l'appel est frappé de nullité.
5 [1966] R.C.É. 713.
De toute évidence, c'est ce raisonnement que le
juge en chef Jackett avait à l'esprit lorsque, dans
l'arrêt National Indian Brotherhood, il a dit
douter que le paragraphe 28(1) autorise la présen-
tation d'une demande à chacune des étapes d'une
procédure lorsqu'un tribunal procède par étapes
pour en arriver à sa conclusion ultime. Ce raison-
nement a été précisé davantage dans l'annexe de
l'arrêt Danmor Shoe, aux pages 34 et 35:
Décider dans quelle mesure les procédures des tribunaux admi-
nistratifs seront soumises à un contrôle judiciaire est bien sûr
une question de politique qu'il appartient au Parlement de
trancher. Il incombe aux tribunaux d'interpréter et d'appliquer
les lois par lesquelles le Parlement exprime ses préférences.
Cependant, il n'est pas entièrement sans rapport avec l'interpré-
tation judiciaire d'une loi que l'opinion adoptée vise, ou au
contraire ne vise pas, la réalisation de l'objet de la loi. Voir
l'article 11 de la Loi d'interprétation. (L'article 11 de la Loi
d'interprétation, S.R.C. 1970, c. 1-23, se lit comme suit: 11.
Chaque texte législatif est censé réparateur et doit s'interpréter
de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la
réalisation de ses objets.) A mon avis le but des articles 18 et 28
de la Loi sur la Cour fédérale est de fournir un contrôle
judiciaire rapide et efficace des travaux des offices, commis
sions ou autres tribunaux fédéraux avec une ingérence mini-
male dans ces travaux. Si, en tenant compte de ce point de vue,
on applique l'article 11 de la Loi d'interprétation à la question
soulevée par les demandes fondées sur l'article 28, il faut
reconnaître que le fait que la Cour n'a pas le pouvoir d'exami-
ner la position prise par un tribunal quant à sa propre compé-
tence ou quant à des questions de procédure au tout début de
l'audience peut entraîner, dans certains cas, la tenue d'auditions
coûteuses qui seraient sans issue. Par contre, si une des parties,
peu désireuse de voir le tribunal s'acquitter de sa tâche, avait le
droit de demander à la Cour d'examiner séparément chaque
position prise ou chaque décision rendue par un tribunal, lors de
la conduite d'une longue audience, elle aurait en fait le droit de
faire obstacle au tribunal. A tout prendre, il semble que le but
de l'article 28 sera atteint plus efficacement si le droit de
demander un examen judiciaire intervient seulement après que
le tribunal a rendu sa décision. Il n'y aura donc aucun retard
inutile dans les cas où le tribunal ne commet pas d'erreur en
exprimant des opinions ou en prenant des décisions intermédiai-
res et, même si le tribunal commet une erreur à un stade
intermédiaire, de telles erreurs n'influeront pas dans la plupart
des cas sur le résultat final de manière suffisante pour justifier
le recours à l'examen judiciaire. Si l'on admet qu'il y a des
problèmes qui devaient être résolus de manière judiciaire à un
stade intermédiaire, aucune des parties ne doit assurément
avoir le droit de décider si une situation donnée l'exige. A cet
égard, il est intéressant de remarquer que le Parlement a donné
au tribunal le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour traiter de
ces problèmes. Voir l'article 28(4) de la Loi sur la Cour
fédérale qui autorise un tribunal «à tout stade de ses procédu-
res» à renvoyer devant la Cour «toute question de droit, de
compétence ou de pratique, ... pour audition et jugement».
[C'est moi qui souligne.]
À cela vient s'ajouter, selon moi, le fait que si
l'opinion exprimée par un tribunal à chacune des
étapes d'une procédure menée par étapes pouvait
être considérée comme une décision, cela ne man-
querait pas de créer des difficultés puisque, ainsi
qualifiée, une telle décision marquerait le point de
départ du délai imparti pour présenter une
demande d'examen.
Dans aucun des trois arrêts précités qui por-
taient sur le sens des mots «décision ou ordon-
nance» utilisés au paragraphe 28(1), la situation
n'était comparable à celle de la présente espèce
puisqu'il ne s'agissait pas de cas où le tribunal
menait les procédures par étapes.
La situation dans l'affaire Ferrow c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration 6 s'en rapprochait
davantage au plan du principe, tandis que dans
l'arrêt VIA Rail Canada Inc. c. Butterill, et
autres' elle était beaucoup plus proche de celle qui
nous intéresse. Dans cette dernière affaire, un
tribunal des droits de la personne avait jugé que la
preuve avait été faite des actes discriminatoires
reprochés et avait prononcé plusieurs ordonnances
contre l'employeur, VIA Rail, mais refusait cepen-
dant d'accorder une indemnité en vertu de
l'alinéa 41(2)c) pour perte de salaire ou en vertu
du paragraphe 41(3) pour le préjudice moral souf-
fert. En appel, le tribunal d'appel des droits de la
personne a jugé que les plaignants avaient droit
d'être indemnisés en vertu des deux dispositions et
a indiqué les principes à partir desquels l'indem-
nité devait être évaluée de même que la période
visée par cette dernière, mais avait laissé aux
parties le soin de convenir du montant de l'indem-
nité à défaut de quoi il se chargerait de le fixer.
L'employeur a, à cette étape, présenté une
demande d'examen fondée sur l'article 28 et la
requête de l'intervenante en vue de faire casser
cette demande a été rejetée, la Cour ayant jugé [à
la page 833, note 1] que la décision provisoire «a
clairement statué sur certaines des questions que le
tribunal avait le pouvoir de trancher» et n'était pas
une simple expression d'opinions qui ne serait pas
susceptible d'examen sous le régime de l'article 28.
Même si la situation dans cette affaire se rappro-
che énormément de celle qui nous intéresse, elle
s'en distingue néanmoins de façon notable en
raison du fait que le tribunal d'appel avait non
6 [1983] 1 C.F. 679 (C.A.).
7 [1982] 2 C.F. 830 (C.A.).
seulement conclu que les plaignants avaient droit
d'être indemnisés, mais il avait également décrit ce
pour quoi ils devaient être indemnisés, ne laissant
sans réponse que la question du montant. C'est ce
qui a permis durant l'instruction de la demande
d'examen de traiter cette décision de la même
façon que l'enregistrement d'un jugement accor-
dant des dommages-intérêts dont le montant reste
à fixer. En l'espèce, aucune indication ou conclu
sion n'est venue préciser ce pour quoi la plai-
gnante, Mme Robichaud, doit être indemnisée ni
sur quel principe devrait se fonder l'évaluation de
l'indemnité. En outre, aucune décision n'a encore
été prise quant aux autres ordonnances prévues au
paragraphe 41(2) qui doivent, le cas échéant, être
prononcées.
Les pouvoirs d'un tribunal d'appel sont énoncés
au paragraphe 42.1(6) qui porte:
42.1 .. .
(6) Le tribunal d'appel qui statue sur les appels prévus au
présent article peut
a) les rejeter; ou
b) y faire droit et substituer ses décisions ou ordonnances à
celles du tribunal dont la décision fait l'objet de l'appel.
Le tribunal d'appel est ainsi autorisé à exercer,
selon les circonstances, les pouvoirs conférés à un
tribunal des droits de la personne par l'article 41.
Ces pouvoirs comprennent:
41. (1) A l'issue de son enquête, le tribunal rejette la plainte
qu'il juge non fondée.
(2) A l'issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte
fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 42,
ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupa-
ble d'un acte discriminatoire
a) de mettre fin à l'acte et de prendre des mesures destinées à
prévenir les actes semblables, et ce, en consultation avec la
Commission relativement à l'objet général de ces mesures;
celles-ci peuvent comprendre l'adoption d'une proposition
relative à des programmes, des plans ou des arrangements
spéciaux visés au paragraphe 15(1);
b) d'accorder à la victime, à la première occasion raisonna-
ble, les droits, chances ou avantages dont, de l'avis du
tribunal, l'acte l'a privée;
c) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction
qu'il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses
entraînées par l'acte; et
d) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction
qu'il fixe, des frais supplémentaires causés, pour recourir à
d'autres biens, services, installations ou moyens d'héberge-
ment, et des dépenses entraînées par l'acte.
(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le
tribunal, ayant conclu
a) que la personne a commis l'acte discriminatoire de propos
délibéré ou avec négligence, ou
b) que la victime a souffert un préjudice moral par suite de
l'acte discriminatoire,
peut ordonner à la personne de payer à la victime une indem-
nité maximale de cinq mille dollars.
Cette disposition a pour effet, si je comprends
bien, de permettre au tribunal qui juge une plainte
fondée de prononcer une ordonnance et d'y inclure
une ou plusieurs des modalités prévues à cette
disposition. Une des étapes du processus consiste à
examiner la plainte et à décider si elle est fondée,
mais en soi cette étape n'est rien d'autre que la
base sur laquelle il se fonde pour déterminer si le
paragraphe (1) s'applique, auquel cas la plainte
doit être rejetée, ou pour déterminer s'il y a lieu
d'exercer les pouvoirs prévus aux paragraphes sui-
vants. À mon avis, la décision ou ordonnance que
peut rendre un tribunal en vertu de l'article 41
consiste soit à rejeter la plainte en vertu du para-
graphe (1) soit à prononcer une ordonnance ren-
fermant le ou les redressements énoncés aux para-
graphes qui suivent.
Le paragraphe 42.1(6) qui s'applique à la pré-
sente espèce, dans laquelle le tribunal d'appel a
conclu que la plainte était fondée, a pour effet
d'autoriser ce dernier à faire droit à l'appel et à
prononcer l'ordonnance que selon lui le tribunal
inférieur aurait dû rendre. Ce que le paragraphe
ajoute, c'est le pouvoir de faire droit à l'appel.
Dans les circonstances de l'espèce, cela veut tout
au plus dire que la décision du tribunal rejetant la
plainte est infirmée et annulée. En soi, cela n'a pas
pour effet d'accorder un redressement. Sans une
ordonnance du type envisagé par les paragraphes
41(2) ou (3), cela ne ferait que laisser l'affaire en
suspens. Cela m'amène à penser que le pouvoir
prévu à l'alinéa 42.1(6)b) est indivisible et que,
dans une telle situation, le fait d'accueillir un appel
sans prononcer d'ordonnance ne constitue pas une
décision ni une ordonnance. À mon avis, pour être
en présence d'une décision ou d'une ordonnance
susceptible d'examen, il faut une décision qui
annule le rejet visé dans l'appel et qui prononce
l'ordonnance devant lui être substituée. Il s'ensuit,
selon moi, que les présentes demandes ne visent
pas une décision ni une ordonnance au sens du
paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale et
qu'en conséquence, elles doivent être annulées.
Toutefois, comme il s'agit là d'une question
préliminaire et que les autres membres de la Cour
ne partagent pas mon opinion sur ce point, je dois
examiner maintenant le fond de la demande.
Bien que des modifications importantes aient été
apportées par le chapitre 143 des Statuts du
Canada 1980-81-82-83 aux dispositions de la Loi
canadienne sur les droits de la personne se rappor-
tant aux cas du genre de celui qui nous intéresse,
les dispositions qui s'appliquaient lorsque l'espèce
a pris naissance étaient celles en vigueur avant les
modifications susdites, soit les dispositions des S.C.
1976-77, chap. 33, parmi lesquelles:
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation
canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compé-
tence du Parlement du Canada, aux principes suivants:
a) tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs
devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des
chances d'épanouissement, indépendamment des considéra-
tions fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la
couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou
l'état de personne graciée ou, en matière d'emploi, de leurs
handicaps physiques;
3. Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinc
tion illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine
nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la
situation de famille ou l'état de personne graciée et, en matière
d'emploi, sur un handicap physique.
4. Les actes discriminatoires prévus aux articles 5 à 13
peuvent faire l'objet d'une plainte en vertu de la Partie III et
toute personne reconnue coupable de ces actes peut faire l'objet
des ordonnances prévues aux articles 41 et 42.
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
b) de défavoriser un employé,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction
illicite.
63. (1) La présente loi lie Sa Majesté du chef du Canada.
À la lumière de ces dispositions, la plainte, si j'ai
bien compris, reprochait à la Couronne, en tant
qu'employeur de Mme Robichaud, et à Brennan
d'avoir, par voie de harcèlement sexuel, d'actes
discriminatoires et d'intimidation, défavorisé un
employé, Mme Robichaud, au motif qu'elle était
une femme.
LA PLAINTE PORTÉE CONTRE BRENNAN
Le tribunal des droits de la personne, le profes-
seur R. D. Abbott, a rejeté la plainte au terme
d'une longue audition. Dans ses motifs qui s'éta-
lent sur quelque 119 pages si l'ont tient compte de
ses motifs supplémentaires, il a conclu qu'il y avait
eu entre M. Brennan et Mme Robichaud des
rencontres sexuelles, notamment la proposition de
Brennan à Mme Robichaud lui demandant d'avoir
des rapports sexuels avec lui, les questions posées
par ce dernier à Mme Robichaud sur des détails
intimes de ses relations avec son époux et les actes
sexuels extrêmement intimes, auxquels les deux
intéressés se sont livrés sans toutefois aller jus-
qu'aux rapports sexuels complets. A l'époque perti-
nente, Mme Robichaud faisait partie du service de
nettoyage d'un établissement militaire. Brennan
était son surveillant et donc en position d'autorité
vis-à-vis de Mme Robichaud et, sauf en la dernière
occasion, lorsqu'il y a eu tentative infructueuse de
rapports sexuels complets, cette dernière occupait,
à l'essai, un poste de chef nettoyeur manuel qui lui
conférait un certain pouvoir de surveillance à l'en-
droit d'autres nettoyeurs.
Dans son témoignage, Mme Robichaud a fourni
des détails au sujet de ces rencontres alors que
Brennan a nié qu'elles avaient même eu lieu. Le
professeur Abbott a jugé que le témoignage de
Mme Robichaud relativement à l'existence de ces
rencontres était sincère et digne de foi. Il n'a pas
cru la version de Brennan. Cependant, il n'a pas
été convaincu par le témoignage de Mme Robi-
chaud que celle-ci ne consentait pas aux rencontres
ou que ces dernières constituaient du harcèlement
sexuel à son endroit par Brennan. Il importe de
signaler que, si Mme Robichaud a fait état, dans
son témoignage, des efforts qu'elle a faits pour
persuader Brennan de cesser de l'importuner, elle
a également déclaré que du début du mois de mars
au 24 mai, date à laquelle elle a révélé à son
médecin et à son époux ce qui se passait et
jusqu'au 25 mai, lorsqu'elle a dit à Brennan qu'il
fallait que cela cesse, elle avait tenté de s'occuper
elle-même de la situation, espérant amener Bren-
nan à décider de lui même de mettre fin à leurs
relations. Des éléments de preuve ont également
été produits relativement à des appels téléphoni-
ques de Mme Robichaud à Brennan en vue d'orga-
niser des rencontres, aux rencontres qui ont suivi et
au cours desquelles sont survenus certains des
incidents, et relativement au fait qu'elle a attendu
le retour de Brennan au local du syndicat qu'il
avait quitté après avoir tenté en vain d'avoir des
rapports sexuels complets avec elle. Par ailleurs, la
preuve indique également qu'à une occasion Bren-
nan a dit à Mme Robichaud qu'il était son patron
et que si elle quittait son bureau, comme elle se
proposait de le faire, il l'accuserait de désobéis-
sance et qu'à une autre occasion durant sa période
de stage, il lui a dit «Sans mon soutien, tu te
retrouverais devant rien.» Le professeur Abbott a
jugé que ces déclarations avaient effectivement été
faites, mais que Mme Robichaud n'aurait eu
aucune raison de craindre la première et que, dans
le cas de la seconde, sans connaître les circons-
tances dans lesquelles elle avait été prononcée, il
considérait qu'il s'agissait d'une déclaration exacte
dans laquelle il ne voyait pas de menace, voilée ou
non, en vue d'obtenir d'autres faveurs sexuelles de
Mme Robichaud.
Le professeur Abbott a résumé ses conclusions
de la façon suivante [à la page 1099]:
Dans la présente cause, je conclus que, même si les avances
sexuelles de M. Brennan à l'endroit de Mme Robichaud
n'avaient pas été sollicitées par cette dernière, elles ne furent
pas refusées d'une manière telle que M. Brennan pouvait
clairement comprendre qu'elles étaient malvenues. Sans doute,
les avances de M. Brennan étaient-elles persistantes; sans
doute, furent-elles refusées, dans l'incident du «coup de queue»,
et en termes généraux en plusieurs autres occasions. Le fait est
qu'on ne peut conclure que M. Brennan savait que ses avances
étaient malvenues avant la protestation finale du 25 mai 1979.
S'il y avait eu deux refus ou protestations consécutifs, sans
qu'en l'intervalle la plaignante participe volontairement à un
comportement sexuel, j'aurais probablement été convaincu qu'il
y avait eu persistance et, donc, harcèlement. Ce n'est toutefois
pas le cas ici, si l'on s'en tient à la preuve. Ce n'est pas avant le
18 juin 1979 que M. Brennan, ayant alors essayé d'entraîner
Mme Robichaud dans une conversation aux allusions sexuelles,
ceci après sa protestation du 25 mai et sans qu'intervienne un
incident de participation volontaire de la part de Mme Robi-
chaud, que M. Brennan, donc, a dû savoir que ses avances
étaient malvenues et non sollicitées et qu'il était alors dans
l'obligation de s'abstenir d'en faire d'autres. Le témoignage de
Mme Robichaud révèle clairement que cette obligation fut, de
fait, respectée. Aucune autre avance d'ordre sexuel ne s'est
produite par la suite.
Bien plus, je l'ai déjà mentionné, je ne peux tirer la conclu
sion que la participation de Mme Robichaud au comportement
sexuel de M. Brennan fut obtenue par les menaces ou les
promesses de ce dernier sur le plan de l'emploi. Ce comporte-
ment dénué de contrainte assure l'annulation de l'effet que son
refus et ses protestations auraient avoir.
En d'autres mots, par sa participation volontaire au compor-
tement sexuel de M. Brennan, cette participation n'ayant pas
été obtenue incorrectement, Mme Robichaud perdit l'avantage
que lui aurait autrement procuré son refus initial et ses protes
tations subséquentes. Seuls sa protestation du 25 mai 1979 et
son refus non équivoque du 18 juin de s'engager dans une
conversation aux allusions sexuelles peuvent être considérés
comme significatifs. Compte tenu, toutefois, de sa conduite
avant ces dates-là, je ne peux trouver à redire contre M.
Brennan au sujet de ses dernières avances, celles du 18 juin: je
ne peux, dans ces circonstances, caractériser cela de «persis-
tances déplacée. D'ailleurs lorsque ses avances furent repous-
sées ce jour-la, il a agi correctement en s'abstenant de faire
d'autres avances. Il s'ensuit que le comportement de M. Bren-
nan lors des engagements sexuels avec Mme Robichaud ne peut
pas, en soi être tenu pour un comportement interdit par l'alinéa
7b) de la loi.
Dans sa décision, le tribunal d'appel des droits
de la personne infirme cette conclusion. Le tribu
nal d'appel cite le passage des motifs du professeur
Abbott dans lequel ce dernier conclut que le témoi-
gnage de Mme Robichaud relativement à l'exis-
tence de ces rencontres est digne de foi, ajoute que
toutes ces rencontres, à l'exception de la dernière,
ont eu lieu pendant que Mme Robichaud occupait,
à l'essai, le poste de chef nettoyeur manuel, poste
que n'avait jamais occupé une femme auparavant,
et il poursuit ainsi [à la page 16,051]:
L'obligation qui incombe à la plaignante d'établir le bien-
fondé du harcèlement sexuel est pleinement satisfaite par ces
constatations matérielles. Dans ces conditions, il appartient
désormais aux intimés de faire la démonstration que ces actions
ne constituent pas un cas de harcèlement sexuel. Les avocats de
toutes les parties ont convenu qu'il fallait alors s'en remettre à
un critère objectif.
Non seulement l'intimé, monsieur Brennan, n'a-t-il présenté
aucun élément de preuve pour s'acquitter de cette obligation,
mais il a constamment nié que ces événements se soient pro-
duits. Par surcroît, aucune question posée au cours du contre-
interrogatoire de madame Robichaud ne visait à démontrer que
dans l'hypothèse où ces incidents s'étaient réellement produits,
elle y avait consenti. Bien au contraire, le tribunal n'a reçu en
preuve que le témoignage de la seule plaignante: elle a déclaré
sans équivoque qu'elle avait peur, qu'elle était intimidée et
qu'elle n'avait de cesse de répéter à monsieur Brennan que ses
avances étaient malvenues et qu'elle voulait qu'il y mette fin.
Avec un profond respect, nous rejetons la proposition selon
laquelle la masturbation, le fellatio et le «pelotage» sont en soi
des actes d'une nature si intimement volontaire qu'elle ne
pouvait s'y être livrée sans y avoir pleinement consenti.
Rien dans la nature de ces actes ne contredit son témoignage
à l'effet que sa soumission à ces contacts sont le résultat de
l'intimidation et de la crainte dont monsieur Brennan l'affli-
geait. Monsieur Brennan était son supérieur et il l'apostrophait
avec des remarques du genre «Sans mon soutien, tu te retrouve-
rais devant rien» et «Je suis ton patron et je t'accuserai de
désobéissance». D'autres éléments de preuve nous démontrent
qu'il a exercé son pouvoir d'une manière inconséquente dans sa
manière de punir et de récompenser. Ainsi, il récompensa le
contremaître qui avait présenté devant le tribunal des droits de
la personne un témoignage qui lui était favorable en lui accor-
dant une nuit de congé sans perte de salaire, alors qu'il a puni
Rose Grammond dont le témoignage devant le même tribunal
lui avait été nuisible.
Ensuite, après avoir résumé un certain nombre
de décisions et en avoir discuté, le tribunal a
conclu [aux pages 16,052 et 16,053]:
Les faits mis en preuve et le droit tel qu'exposé suffisent à
convaincre le Tribunal. Celui-ci ne peut faire abstraction ni des
faits qui dénotent clairement de la part de monsieur Brennan
un comportement axé sur des interrogations et des insinuations
d'ordre sexuel ni du fait que monsieur Brennan était bel et bien
conscient que madame Robichaud se trouvait dans une position
vulnérable puisqu'elle était à l'essai. L'accumulation de ces
circonstances eut pour effet de plonger madame Robichaud
dans un climat de travail empoisonné. En outre, les faits
démontrent que ce comportement axé sur le harcèlement et
l'abus de pouvoir visait non seulement madame Robichaud
mais au moins une autre employée du service de nettoyage.
En conséquence, nous n'hésitons aucunement à conclure que
monsieur Brennan s'est rendu coupable de harcèlement sexuel
pour deux motifs, contrevenant ainsi à l'alinéa 76) de la Loi
canadienne sur les droits de la personne:
1° pour son défaut de réfuter le bien-fondé de la, preuve
présentée par madame Robichaud,
2° pour avoir créé un climat de travail empoisonné.
Les pouvoirs dont dispose un tribunal d'appel à
l'égard d'un appel formé en vertu de la Loi cana-
dienne sur les droits de la personne ont été énon-
cés plus tôt dans les présents motifs. D'autres
dispositions de la Loi portant cette fois sur la
nature d'un tel appel se retrouvent aux paragra-
phes 42.1(4) et (5):
42.1...
(4) Le tribunal d'appel peut entendre les appels fondés sur
des questions de droit ou de fait ou des questions mixtes de
droit et de fait.
(5) Le tribunal d'appel entend l'appel en se basant sur le
dossier du tribunal dont la décision ou l'ordonnance fait l'objet
de l'appel et sur les arguments des parties intéressées mais il
peut, s'il l'estime indispensable à la bonne administration de la
justice, recevoir de nouveaux éléments de preuve ou entendre
des témoignages.
En l'espèce, aucun élément de preuve nouveau n'a
été reçu.
Il ressort des passages que je viens de citer
qu'essentiellement, le tribunal d'appel semble avoir
infirmé la conclusion de fait du tribunal des droits
de la personne suivant laquelle Mme Robichaud
avait consenti à participer aux rencontres sexuelles
pour lui substituer sa conclusion suivant laquelle
cette participation a été obtenue, dans une certaine
mesure du moins, par la contrainte. Il s'agit là
d'une conclusion qui, à ce qu'il me semble, pouvait
être tirée de la preuve et que le tribunal d'appel
avait le pouvoir de prononcer. Il ne fait aucun
doute que, dans une situation de ce genre où la
preuve portée à la connaissance du tribunal d'ap-
pel est exactement la même que celle dont dispo-
sait le tribunal des droits de la personne, le pre
mier doit, conformément aux principes bien
connus, adoptés et appliqués dans Stein et al. c. Le
navire Kathy« K0 8 , accorder tout le respect qui
convient à l'opinion du tribunal des droits de la
personne quant aux faits, en raison particulière-
ment de l'avantage qu'a eu ce dernier de pouvoir
évaluer la crédibilité des témoins puisqu'il les a vus
et entendus. Toutefois, cela dit, le tribunal d'appel
avait néanmoins le devoir d'examiner la preuve et
de substituer sa propre conclusion sur les faits s'il
était convaincu que la conclusion du tribunal des
droits de la personne était entachée d'une erreur
évidente ou manifeste. Dans sa décision, le tribunal
d'appel ne fait pas mention de ce principe, mais la
façon dont le tribunal d'appel a traité de la ques
tion indique, à mon avis, qu'il était convaincu que
la conclusion suivant laquelle les rencontres sexuel-
les décrites ne constituaient pas du harcèlement
sexuel était entachée d'une erreur évidente. Il
s'agit là également, à mon avis, d'une opinion que
le tribunal d'appel pouvait tirer des faits tels que
présentés. J'estime que, sur le fondement de la
preuve soumise, le tribunal pouvait conclure que le
fait que Brennan n'ait pas réussi à avoir des rap
ports sexuels complets ou à atteindre l'orgasme
durant toutes ces rencontres permettait d'établir et
de confirmer le témoignage de Mme Robichaud
8 [1976] 2 R.C.S. 802; 62 D.L.R. (3d) 1.
concernant sa réticence à participer à ces actes et
ses objections à ce qui se déroulait, et que Brennan
savait ou aurait dû savoir que cette dernière n'y
participait pas librement.
Il serait peut être bon de signaler à ce stade que
la procédure intentée devant cette Cour en vertu
de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale ne
constitue pas un autre appel sur des questions de
fait. Il s'agit d'une procédure d'examen de la
légalité de ce qui s'est fait. Comme le dossier
renfermait des éléments de preuve sur lesquels le
tribunal d'appel pouvait fonder ses conclusions, ces
dernières ne peuvent être annulées que si le tribu
nal d'appel a commis une erreur de droit en tirant
ces conclusions.
L'avocat de Brennan a soutenu que la remarque
du tribunal d'appel concernant le renversement du
fardeau de preuve sur ses épaules constitue une
erreur de droit et que l'autre remarque du tribunal
d'appel selon laquelle, au contre-interrogatoire de
Mine Robichaud, aucune question ne lui a été
posée en vue de tenter de démontrer que même si
ces incidents ont bel et bien eu lieu, c'était avec
son consentement, constitue une conclusion de fait
non fondée.
À mon avis, la remarque du tribunal sur le
renversement du fardeau de la preuve ne constitue
pas un exposé de droit. Compte tenu du contexte
dans lequel elle a été formulée, elle n'est selon moi
qu'une façon de dire que la preuve présentée par la
plaignante était tellement forte qu'en l'absence de
preuve contraire, sa cause était établie. C'est ainsi
qu'il faut également interpréter selon moi la con
clusion (1) formulée à la fin du passage cité. Le
défaut de produire des éléments de preuve réfutant
la cause établie prima facie ne permet pas de
conclure qu'il y a eu harcèlement sexuel ou actes
discriminatoires illicites en contravention de l'ali-
néa 7b) de la Loi. Toutefois, je ne crois pas que la
façon dont la conclusion est formulée jette quelque
doute sur ce que le tribunal d'appel a voulu dire.
En outre, même si l'avocat a pu nous indiquer
dans le contre-interrogatoire de Mme Robichaud
des questions se rapportant au consentement, elles
n'étaient pas nombreuses et, en fait, elles faisaient
davantage resssortir les aspects qui n'avaient pas
été abordés que ceux qui l'avaient été. Aucun des
avocats n'a pu obtenir d'éléments de preuve sur le
comportement physique des parties avant les actes
sexuels intimes posés durant les rencontres décrites
par Mme Robichaud. À mon avis, lorsque le tribu
nal d'appel a déclaré qu'il n'y avait pas eu contre-
interrogatoire, il voulait dire que ce contre-interro-
gatoire n'avait rien révélé qui le convainque que
Mme Robichaud consentait pleinement ou libre-
ment à ces actes.
De toute façon, je suis d'avis que la remarque du
tribunal d'appel suivant laquelle il n'y a pas eu
contre-interrogatoire ne constitue pas une conclu
sion de fait sur laquelle se fonde la décision au sens
de l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale.
Il ne s'agit pas non plus d'une mauvaise interpréta-
tion ni d'une erreur quant au droit applicable.
Reste la question de savoir si le harcèlement
sexuel qu'on a jugé avoir eu lieu constitue un acte
discriminatoire au sens de la Loi en ce sens qu'il
aurait eu pour effet de défavoriser l'employée
Mme Robichaud, pour des considérations fondées
sur son sexe. Bien que l'article 7 de la Loi soit
formulé en des termes généraux, il n'est pas aisé de
déterminer de quelle manière il s'applique à une
situation de ce genre et je ne crois pas qu'il soit
souhaitable ou opportun d'essayer d'en définir les
limites. Qu'il me suffise de dire pour les fins de la
présente espèce qu'à mon avis, sa formulation est
assez générale pour viser le présent cas dans lequel
un supérieur au lieu de travail a tiré avantage de
son poste et de son autorité vis-à-vis d'une subor-
donnée de l'autre sexe qui se trouvait dans une
situation vulnérable afin de l'intimider et de s'as-
surer sa participation dans ses avances et sa con-
duite sexuelles. Bien que le harcèlement ait été le
fait d'un surveillant plutôt que celui d'un
employeur, le présent cas m'apparaît semblable, en
principe, au cas dont il est question dans Cherie
Bell and Anna Korczak v. Ernest Ladas and The
Flaming Steer Steak House [à la page D/156] 9 :
[TRADUCTION] Sous réserve de l'exception prévue au para-
graphe 4(6), la discrimination fondée sur le sexe est interdite
par le Code. Ainsi, il est interdit de verser à un employé
féminin une rémunération moindre qu'à un employé masculin
pour le même travail, ou encore de renvoyer un employé à
cause de son sexe. Mais qu'en est-il du harcèlement sexuel? Il
est manifeste qu'une personne, qui subit un désavantage à cause
de son sexe, fait alors l'objet de discrimination dans son emploi
lorsque la conduite de l'employeur la prive de rétributions
financières à cause de son sexe ou lui soutire des faveurs
sexuelles d'une forme ou d'une autre en retour de l'amélioration
ou du maintien de ses avantages actuels. [C'est moi qui
souligne.]
9 (1980), 1 C.H.R.R. D/155 (Comm. d'enquête de l'Ont.).
De plus, j'estime, tout comme le tribunal d'ap-
pel, qu'il est permis de considérer que le comporte-
ment choquant de Brennan a détruit ou porté
atteinte aux relations de travail normales qui
auraient pu autrement continuer d'exister entre lui
et Mme Robichaud et que par là il a créé pour
cette dernière des conditions de travail plus défa-
vorables du fait qu'elle est une femme. Selon moi,
toutefois il ne s'agit là que d'une manifestation
d'une conséquence défavorable d'un acte discrimi-
natoire illicite.
En conséquence, je rejette la demande de Bren-
nan. Je dois ajouter que le tribunal des droits de la
personne a statué en faveur de Brennan quant à la
plainte d'intimidation et d'actes discriminatoires
lui reprochant d'avoir imposé à Mme Robichaud
des conditions d'emploi défavorables après qu'elle
se soit plainte de harcèlement sexuel auprès du
capitaine Adlard le 28 juin 1979, au motif que les
conditions d'emploi défavorables ainsi imposées
n'étaient pas motivées par des considérations fon-
dées sur le sexe. Comme la décision du tribunal
d'appel ne traite pas de cette conclusion, elle reste
inchangée à mon avis, et n'est pas en litige dans les
demandes sous examen.
LA PLAINTE PORTÉE CONTRE LA COURONNE
Les conclusions du tribunal des droits de la
personne relativement à la plainte portée contre la
Couronne sont résumées dans les extraits suivants.
Premièrement, au sujet de la plainte de harcèle-
ment sexuel, après avoir décrit la réunion du 28
juin 1979 au cours de laquelle Mme Robichaud, en
présence du capitaine Adlard et de Brennan, sou-
leva la question, le professeur Abbott a déclaré [à
la page 1101]:
Très manifestement, c'était la première occasion pour qui-
conque supérieur à Mme Robichaud dans la ligne hiérarchique,
autre que M. Brennan, de savoir qu'elle alléguait contre M.
Brennan le harcèlement sexuel. Elle n'a pas fourni, à ce
moment-là, de détails au capitaine Adlard sur la nature des
incidents qu'elle considérait être du harcèlement. À la lumière
de ce que j'ai déjà établi, les engagements entre Mme Robi-
chaud et M. Brennan ne constituaient pas, à ce moment-là, en
fait ou en droit, une violation de l'alinéa 7b) de la loi. Dès lors,
même si elle avait fourni au capitaine Adlard tous les détails
qui ont fait l'objet de son témoignage devant moi, le capitaine
Adlard aurait eu raison d'adopter la position qu'il a prise;
encore plus, si l'on considère la généralité de l'accusation de
Mme Robichaud et son aveu que les engagements avec M.
Brennan avaient probablement pris fin. Le capitaine Adlard
avait raison d'essayer de glisser sur la chose, tout en les
avertissant tous les deux de mettre fin aux relations qui avaient
existé. Je ne peux maintenant, rétrospectivement, lui imposer
une plus grande obligation d'enquête ou d'action. Il semble
également que, par la suite, le capitaine Adlard et d'autres
appartenant à la direction de la Base ont pris des mesures pour
éloigner l'un de l'autre Mme Robichaud et M. Brennan. Plus
tard, ils ont également fait en sorte que la voie hiérarchique à
laquelle était rattachée Mme Robichaud passe de son contre-
maître de secteur directement à l'officier adjoint d'administra-
tion de la Base, en contournant M. Brennan. Ces mesures
étaient raisonnables dans les circonstances. En présence de ces
faits et d'autres circonstances que j'ai déduites des éléments de
preuve, je ne suis pas disposé à conclure qu'il faille estimer que
l'employeur a fermé les yeux sur le harcèlement sexuel allégué
(qui n'en était pas selon mes conclusions) ou, par voie de
conséquence, qu'il soit responsable pour sa conduite de toute
autre façon soit par personne déléguée ou indirectement.
Ensuite, relativement aux lettres de plainte, il a
conclu [à la page 1101]:
Vraiment, je ne peux blâmer l'employeur. Il est évident qu'à
part M. Brennan, aucun membre de la direction de la Base
n'est soupçonné d'avoir été l'instigateur des lettres et des péti-
tions contre Mme Robichaud. A vrai dire, la direction de la
Base s'est placée hors cause au sujet de ces lettres et de ces
pétitions lorsqu'en août 1979, au cours de la procédure de grief
à laquelle Mme Robichaud a eu recours, les lettres et les
pétitions ainsi que «le mémoire des points faibles» à son sujet
furent déchirés en sa présence et celle du représentant du
syndicat.
À propos des changements apportés aux fonc-
tions de Mme Robichaud, il a conclu [à la page
1102]:
Tous ces changements à l'emploi de Mme Robichaud se
produisirent très tôt après sa plainte au capitaine Adlard, le 28
juin 1979. Ils couvrent une période de plusieurs semaines et ils
firent l'objet, à la fin de juillet 1979, d'un certain nombre de
griefs déposés par Mme Robichaud conformément à l'article 90
de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique.
Grâce à la procédure de grief, Mme Robichaud obtint répara-
tion de la plupart de ces griefs. Je ne peux discerner aucun
élément de preuve démontrant que les changements à l'origine
des plaintes furent motivés par l'intention de l'employeur, mis à
part M. Brennan, de défavoriser Mme Robichaud parce qu'elle
était une femme ou parce qu'elle s'était plainte au sujet de M.
Brennan. Les circonstances entourant les changements ne per-
mettent pas non plus de conclure que l'employeur avait fermé
les yeux sur l'allégation de harcèlement sexuel imputé à M.
Brennan. Des mesures furent prises pour corriger la situation
lorsque le mécontentement de Mme Robichaud parvint à la
connaissance de la direction supérieure et pour ce qui est de
l'employeur, la chose doit être considérée close.
Je passe outre, également, aux plaintes de Mme Robichaud
au sujet du traitement dont elle fut l'objet sur le plan de
l'emploi, après le mois d'août 1979. Je réfère plus particulière-
ment aux circonstances qui ont entouré son affectation, suivi de
sa désaffectation, au nettoyage de l'école élémentaire de la Base
à l'automne de 1980 (pages 688 et suivantes de la transcrip
tion). Je ne puis déceler aucun indice de discrimination à son
endroit fondée sur son sexe et certainement pas de discrimina
tion à cause de son rejet des avances de M. Brennan. Peut-être
semble-t-elle avoir subi un traitement différent et défavorable,
parce qu'à ce point, elle avait déposé sa plainte auprès de la
Commission canadienne des droits de la personne. Toutefois, le
témoignage de la directrice de l'école, Mme Wardlaw (absolu-
ment digne de foi, selon moi) permet avec raison de tirer la
conclusion que Mme Robichaud était préoccupée de la nature
de sa plainte contre M. Brennan, qu'elle vociférait à ce sujet, et
que c'est ce qui a précipité son traitement défavorable si de fait
il en fut ainsi. Ce qui importe, c'est la motivation à l'origine de
son traitement ultérieur et je ne peux conclure que cette
motivation fut viciée.
Tout bien considéré, donc, je ne peux tenir l'employeur (en
excluant M. Brennan) responsable du traitement défavorable
infligé à Mme Robichaud après que ses plaintes au sujet de M.
Brennan furent connues de la direction de la Base. La motiva
tion à l'origine des changements apportés à son emploi était
juste et ces changements n'étaient pas des représailles ni une
preuve d'indulgence envers la conduite de M. Brennan. Lorsque
sçs plaintes étaient légitimes, au sujet des lettres et des pétitions
se plaignant d'elle, par exemple, ou encore au sujet de la nature
de son travail et de sa surveillance, des mesures acceptables
furent prises pour corriger la situation. Je ne me laisserai pas
prendre au sophisme «après cela, donc à cause de cela», c'est-à-
dire de déduire que les changements survenus à l'emploi de
Mme Robichaud, dans la mesure où la direction de la Base en a
la responsabilité, doivent trouver leur cause dans son rejet des
avances de M. Brennan et dans sa plainte au capitaine Adlard
et à la Commission. Le lien causal n'a pas été démontré. Elle
n'a pas fait l'objet de discrimination à cause de son sexe. En
conséquence, sa plainte contre l'employeur doit être rejetée.
Le tribunal d'appel a traité de la plainte portée
contre la Couronne dans le passage suivant [à la
page 16,053]:
Il nous faut maintenant statuer sur la responsabilité de
l'employeur, le ministère de la Défense nationale (le Conseil du
trésor), à l'égard des actes de son employé, monsieur Brennan.
Dans ce contexte, nous prenons acte que monsieur Brennan
était le gestionnaire civil supérieur de la Base. La jurisprudence
invoquée devant le Tribunal atteste clairement de la responsabi-
lité stricte de l'employeur envers les actes de son personnel
cadre.
On a prié le Tribunal de se reporter à l'arrêt Bundy (supra)
où on peut lire la conclusion suivante, à la page 943:
[TRADUCTION] un employeur est responsable des actes dis-
criminatoires de son personnel cadre ... et il ne fait manifeste-
ment aucun doute que les hommes qui harcelèrent Bundy
étaient ses (supérieurs).
L'arrêt explicite davantage, toutefois, en précisant à la page
947:
Un employeur peut annuler sa responsabilité en prenant des
mesures correctives pertinentes et immédiates lorsqu'il entend
parler d'actes qui constituent un harcèlement illégal ...
On a également attiré l'attention du Tribunal sur la déclara-
tion suivante qui apparaît à la page 156 dans l'arrêt Bell
(supra):
[TRADUCTION] Il nous faut maintenant décider du point
suivant, c'est-à-dire le degré de responsabilité envisagé par le
Code. L'entreprise est-elle responsable si un contremaître ou un
surveillant pose des gestes discriminatoires fondés sur le sexe?
La loi attribue distinctement la responsabilité aux entreprises
lorsque des gestionnaires, peu importe leur rang, s'adonnent à
d'autres formes de pratique discriminatoire.
Monsieur Shime ajoute:
[TRADUCTION] Par conséquent, je n'hésiterais pas à trouver
l'entreprise défenderesse responsable d'une infraction au Code
si l'un de ses cadres s'adonnait à une conduite interdite...
Le Tribunal de révision a étudié l'arrêt Oram and McLaren
v. Pho (B.C. Board of Inquiry, 1975). La cause portait sur une
plainte à l'endroit d'un propriétaire de restaurant qui avait
refusé de servir le plaignant, un client aux cheveux longs. On
avait soutenu que rien de ce qui était arrivé au plaignant ce
soir-là n'était attribuable à Monsieur Pho, le propriétaire. Voici
ce qu'on peut lire à la page 24 de l'arrêt:
[TRADUCTION] Si cette prétention était acceptée, il y aurait
de toute évidence, sur le plan juridique, une lacune favorisant
les propriétaires et les directeurs d'établissements publics qui
offrent des services et des installations normalement destinés au
public. Ils pourraient échapper à leur responsabilité en vertu du
Code en laissant à un agent ou à un serviteur le soin de refuser
les services et d'appliquer leur politique discriminatoire, sans
s'en mêler personnellement. Heureusement que la common law
en notre pays ne souffre pas d'un tel manque de vision. Selon la
loi, le maître est responsable des actes injustifiés posés par ses
serviteurs dans le cadre de leur emploi.
Il n'y avait pas eu, dans la présente cause, communication
aux employés d'une politique bien définie interdisant le harcèle-
ment sexuel. Puis, lorsque les supérieurs de monsieur Brennan
furent saisis des plaintes, l'employeur n'entreprit aucune
enquête afin d'établir le bien-fondé ou non des allégations. En
particulier, on ne demanda pas ni n'entreprit la tenue d'une
enquête conformément à l'article 10 de la Loi sur l'administra-
tion financière. Bien au contraire, on a pris des mesures pour
écarter madame Robichaud de son travail régulier de chef
nettoyeuse. En fin de compte, on la relégua au nettoyage d'une
caserne qu'on désignait ad'affectation punitive», ses responsabi-
lités s'en trouvant rigoureusement réduites. Cette manière de
traiter madame Robichaud ferait sentir aux autres employés de
la Base que madame Robichaud n'avait plus la faveur des
dirigeants du personnel. Rien n'indique que pour sa part mon
sieur Brennan soit tombé en défaveur. L'avalanche de lettres et
de pétitions défavorables à madame Robichaud suite au dépôt
de sa plainte, atteste de la tentative de discrédit bien orchestrée
à son endroit. Cette manifestation aurait dû susciter les soup-
çons de l'employeur et donc un examen plus rigoureux de
l'affaire. Enfin, l'irresponsabilité de l'employeur nous apparaît
particulièrement criante puisqu'il n'a pas cru bon de surveiller
les agissements de monsieur Brennan relativement aux person-
nes appelées à témoigner devant le Tribunal afin d'empêcher
qu'elles ne fassent l'objet de coercition ou d'intimidation de la
part de monsieur Brennan.
Deux points doivent être signalés. Première-
ment, ce qu'examine le tribunal d'appel, c'est la
question de la responsabilité de la Couronne en
raison de la conduite de Brennan et non de la
conduite de quelque autre employé de la Cou-
ronne. Deuxièmement, le tribunal d'appel ne pré-
tend pas infirmer la conclusion du tribunal des
droits de la personne suivant laquelle il n'a pas été
établi que Brennan était à l'origine de ce que l'on a
décrit comme «L'avalanche de lettres et de péti-
tions défavorables à madame Robichaud suite au
dépôt de sa plainte, attest[ant] de la tentative de
discrédit bien orchestrée à son endroit.» Le tribu
nal d'appel ne prétend pas non plus infirmer la
conclusion du professeur Abbott suivant laquelle
les modifications apportées aux fonctions de
madame Robichaud et son affectation à ce qu'on a
désigné comme «l'affectation punitive», mesures
qui ont toutes été prises une fois qu'eurent pris fin
les rencontres sexuelles avec Brennan, ne consti-
tuaient pas un acte discriminatoire fondé sur le
sexe.
À mon avis, la décision du tribunal d'appel n'est
pas fondée et doit donc être annulée.
Tout d'abord, elle repose sur le concept suivant
lequel, en vertu de la législation canadienne sur les
droits de la personne applicable en l'espèce, la
Couronne est strictement responsable des gestes de
son surveillant, Brennan. À mon avis, l'application
d'un tel concept ne s'appuie sur aucun fondement
en droit. La Loi 10 établit quel est le droit applica
ble en l'espèce et aucun principe de common law
fédéral ou de droit civil fédéral ne fournit le
concept avancé pour son interprétation. La loi
déclare illicites certains types d'actes discrimina-
toires et prévoit, à son article 4, que ces actes
discriminatoires peuvent faire l'objet d'une plainte
en vertu de la Partie III et que «toute personne
reconnue coupable de ces actes peut faire l'objet
des ordonnances prévues aux articles 41 et 42» 11 .
1° Voir Seneca College of Applied Arts and Technology c.
Bhadauria, [1981] 2 R.C.S. 181; 124 D.L.R. (3d) 193.
" Les affaires Barnes v. Costle, 561 F.2d 983 (D.C. Cir.
1977) et Bundy v. Jackson, 641 F.2d 934 (D.C. Cir. 1981),
bien que présentant un certain intérêt quant à la question de
savoir ce qu'est un acte discriminatoire fondé sur le sexe,
n'indiquent aucunement la présence dans la législation des
États-Unis d'une disposition comparable à l'article 4 de la Loi
canadienne.
Pour faire l'objet d'une ordonnance en vertu de
cette disposition, une personne doit commettre ou
avoir commis un acte discriminatoire interdit. Sui-
vant l'interprétation que je donne à cet article, si
une personne commet elle-même un acte discrimi-
natoire ou si quelqu'un le fait pour elle sur ses
ordres, cette personne peut faire l'objet d'une
ordonnance. Cependant, rien dans ce libellé ne
tend à imposer aux employeurs l'obligation d'em-
pêcher ou de prendre des mesures efficaces afin
d'empêcher leurs employés de commettre des actes
discriminatoires pour leurs propres fins. En outre,
je ne vois rien dans cet article ni ailleurs dans la loi
qui permette d'affirmer qu'une personne doit être
tenue responsable, par le jeu de la responsabilité
du fait d'autrui, de la responsabilité absolue ou
encore de la responsabilité stricte selon les princi-
pes de responsabilité délictuelle en common law ou
ceux du droit criminel, pour des actes discrimina-
toires commis par quelqu'un d'autre, qu'il s'agisse
ou non de son employé. Comparer avec l'affaire Re
Nelson et al. and Byron Price &Associates Ltd. 12
Il me semble qu'en vertu de la loi applicable
dans le cas d'une société, une autorisation suscepti
ble d'engager la responsabilité doit émaner de la
direction. Dans le cas de la Couronne, je ne vois
rien qui permette de conclure que la conduite des
fonctionnaires occupant des postes de niveau infé-
rieur à celui du fonctionnaire ou de l'organisme
gouvernemental sous l'autorité et la direction
duquel est placé le service public, en l'espèce le
ministre de la Défense nationale ou le Conseil du
Trésor, engage la responsabilité de la Couronne.
Rien dans les conclusions de l'un ou l'autre des
tribunaux ni dans le dossier ne laisse supposer que
Brennan s'était vu confier par l'une de ces sources
le pouvoir de harceler Mme Robichaud. De plus,
rien ne permet de penser que quiconque occupant
un tel poste ou en fait, tout poste supérieur à celui
de Brennan, ait pu autoriser ou même, en toute
connaissance de cause, fermer les yeux sur les
actes de harcèlement de Brennan à l'endroit de
Mme Robichaud ou les approuver, les adopter ou
les ratifier.
Ce motif à lui seul justifie l'annulation de la
décision du tribunal d'appel. Cependant, avant
d'en terminer avec ce dossier, j'aimerais faire état
d'un autre motif pour lequel, à mon avis, la déci-
12 (1981), 122 D.L.R. (3d) 340 (C.A.C.-B.).
sion devrait être infirmée et ce, même si une règle
de responsabilité stricte s'appliquait. Il appert que
le tribunal d'appel, pour en arriver à sa conclusion,
a tenu compte du défaut de la Couronne de faire
enquête plus à fond sur la plainte de Mme Robi-
chaud et sur l'origine des plaintes formulées contre
cette dernière, et du fait que la modification de ses
fonctions et sa mutation à une «affectation puni
tive» donnent l'impression qu'elle a été traitée
défavorablement, et qu'en outre, Brennan n'a pas
été traité défavorablement et que les activités de ce
dernier en rapport avec les témoins n'ont pas été
contrôlées. Rien dans cela ne constitue de la part
de la Couronne ni de la part de quiconque un
traitement défavorable de Mme Robichaud fondé
sur le sexe. Ce sont pour la plupart des faits
postérieurs n'ayant aucun rapport avec le litige et,
à mon avis, aucun de ces faits n'a de pertinence
relativement à la question de savoir si la Couronne,
en tant qu'employeur de Brennan, était responsa-
ble des conséquences des gestes de Brennan lors-
qu'il les a posés. Ce qui est pertinent, selon moi, ce
sont les conclusions du professeur Abbott que le
tribunal d'appel n'a pas infirmées.
J'annule la décision du tribunal d'appel dans la
mesure où il déclare la Couronne responsable et je
renvoie l'affaire devant le tribunal d'appel afin
qu'il statue sur l'appel de Mme Robichaud en
tenant pour acquis que la plainte contre la Cou-
ronne n'est pas fondée.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Je ne vois aucune distinction
importante entre la décision attaquée en l'espèce et
la décision en litige dans l'arrêt VIA Rail Canada
Inc. c. Butterill, et autres 13 que nous avons jugée
être une décision visée par l'article 28 de la Loi sur
la Cour fédérale. Pour ce motif, je ne partage pas
l'opinion du juge en chef selon laquelle la présente
demande fondée sur l'article 28 vise autre chose
qu'une décision au sens de cet article.
Toutefois, je suis entièrement d'accord avec le
juge en chef sur tous les autres points soulevés par
cette demande. Pour les motifs qu'il a exprimés, je
13 [1982] 2 C.F. 830 (C.A.).
statue donc sur la demande dans le sens qu'il
propose.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGU[GAN: Ces deux demandes fon-
dées sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale
soulèvent la question de savoir si le harcèlement
sexuel peut constituer un acte discriminatoire
fondé sur le sexe et la question connexe quant à la
responsabilité d'un employeur pour les actes discri-
minatoires que pose un surveillant à l'endroit d'un
autre employé. Ces deux questions n'ont jamais été
soumises à la Cour et, sauf une exception dans
chaque cas, aux tribunaux canadiens en général.
Cependant, je dois d'abord répondre à une ques
tion de procédure découlant du paragraphe 28(1)
de la Loi sur la Cour fédérale qui donne à «la
Cour d'appel ... compétence pour entendre et
juger une demande d'examen et d'annulation d'une
décision ou ordonnance ... rendue par un office,
une commission ou un autre tribunal fédéral ou à
l'occasion de procédures devant un office, une
commission ou un autre tribunal fédéral ... »
(C'est moi qui souligne.)
On demande à cette Cour d'examiner une
mesure prise par un tribunal d'appel des droits de
la personne le 14 février 1983, mesure que ledit
tribunal décrit comme suit [aux pages 16,053 et
16,054]:
En conséquence, l'appel de madame Robichaud est accueilli
aux dépens des deux intimés, Dennis Brennan et Sa Majesté la
Reine du chef du Canada représentée par le Conseil du Trésor.
La responsabilité à la fois de monsieur Brennan et de son
employeur est établie et il nous reste maintenant à fixer les
dommages auxquels madame Robichaud a droit et toute autre
compensation qui devrait, le cas échéant, découler de notre
décision. Jamais auparavant un tribunal de la Commission
canadienne des droits de la personne a-t-il eu à traiter des
questions de dommages en jeu en cette cause et ni ce tribunal ni
le tribunal inférieur n'a entendu d'arguments à ce sujet. Nous
reportons donc notre décision sur cet aspect afin d'entendre les
arguments des parties. [C'est moi qui souligne.]
Les mots que j'ai soulignés dans cet extrait ainsi
que le fait que les motifs cités sont intitulés «Déci-
sion du tribunal de révision» indiquent clairement
que le tribunal d'appel lui-même considérait que la
mesure prise constituait une «décision». Néan-
moins, cette qualification ne tranche pas nécessai-
rement la question.
Le paragraphe 42.1(6) de la Loi canadienne sur
les droits de la personne, 1977, prévoit la manière
dont doit se prononcer un tribunal d'appel sur un
appel interjeté d'une décision d'un tribunal des
droits de la personne:
42.1.. .
(6) Le tribunal d'appel qui statue sur les appels prévus au
présent article peut
a) les rejeter; ou
b) y faire droit et substituer ses décisions ou ordonnances à
celles du tribunal dont la décision fait l'objet de l'appel.
Son pouvoir consiste à accueillir un appel et à
rendre la décision que le tribunal aurait dû rendre.
Il est manifeste en l'espèce qu'en n'évaluant pas le
montant des dommages et en ne déterminant pas
la «compensation qui devrait, le cas échéant,
découler de [la] décision», le tribunal d'appel n'a
exercé qu'une partie de son pouvoir décisionnel.
Une telle décision incomplète peut-elle faire l'objet
d'un examen par cette Cour?
L'avocat des intimées a invoqué la décision VIA
Rail Canada Inc. c. Butterill, et autres, [1982] 2
C.F. 830 (C.A.), dans laquelle cette Cour a statué
que la décision provisoire d'un tribunal d'appel
était une décision ou une ordonnance au sens de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale parce
qu'elle «"a clairement statué sur certaines des
questions que le tribunal avait le pouvoir de tran-
cher" et n'était pas une simple expression d'opi-
nions qui ne serait pas susceptible d'examen sous le
régime de l'article 28» (page 833, note 1). Cet
arrêt a établi le principe qu'une décision qui ne
tranche définitivement qu'une partie des questions
soumises à un tribunal peut constituer une décision
au sens de l'article 28. Toutefois, la décision du
tribunal d'appel dans l'arrêt VIA Rail était beau-
coup plus précise que celle du tribunal d'appel en
l'espèce: dans cette affaire, le premier tribunal a
ordonné à VIA de réviser ses exigences d'acuité
visuelle et d'offrir des emplois aux trois plaignants,
mais non de les indemniser; le tribunal d'appel a
infirmé la décision du premier tribunal sur la
question de l'indemnisation et il a statué qu'il y
avait lieu à indemnisation en raison de deux dispo
sitions distinctes de la loi; il a ensuite abordé la
question de la période pour laquelle les indemnités
devaient être accordées et les principes de fixation
du quantum, mais n'a pas fixé de montant pour
aucun des trois plaignants. Il ne restait à détermi-
ner dans cette affaire que le quantum des
dommages.
En l'espèce, les choix qui s'offrent à un tribunal
d'appel quant aux décisions qu'il doit rendre sont
indiqués par les pouvoirs qui sont conférés à un
tribunal par la Loi canadienne sur les droits de la
personne, 1977, et qui, en vertu de l'alinéa
42.1(6)b), sont également ceux d'un tribunal d'ap-
pel. L'article 41 porte:
41. (1) A l'issue de son enquête, le tribunal rejette la plainte
qu'il juge non fondée.
(2) A l'issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte
fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 42,
ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupa-
ble d'un acte discriminatoire
a) de mettre fin à l'acte et de prendre des mesures destinées à
prévenir les actes semblables, et ce, en consultation avec la
Commission relativement à l'objet général de ces mesures;
celles-ci peuvent comprendre l'adoption d'une proposition
relative à des programmes, des plans ou des arrangements
spéciaux visés au paragraphe 15(1);
b) d'accorder à la victime, à la première occasion raisonna-
ble, les droits, chances ou avantages dont, de l'avis du
tribunal, l'acte l'a privée;
c) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction
qu'il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses
entraînées par l'acte; et
d) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction
qu'il fixe, des frais supplémentaires causés, pour recourir à
d'autres biens, services, installations ou moyens d'héberge-
ment, et des dépenses entraînées par l'acte.
(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le
tribunal, ayant conclu
a) que la personne a commis l'acte discriminatoire de propos
délibéré ou avec négligence, ou
b) que la victime a souffert un préjudice moral par suite de
l'acte discriminatoire,
peut ordonner à la personne de payer à la victime une indem-
nité maximale de cinq mille dollars.
Le tribunal d'appel en l'espèce n'a même pas
déterminé sur quel fondement des dommages
devraient être accordés à Mme Robichaud, s'il
s'agit, par exemple, de dommages compensatoires
en vertu du paragraphe 41(2) ou de dommages
pour préjudice moral comme le prévoit l'alinéa
41(3)b), ni décidé quelle autre indemnité, le cas
échéant, devrait être accordée en vertu du paragra-
phe 41(2). Le résultat du processus administratif
en l'espèce est donc plus incomplet que dans l'arrêt
VIA Rail.
La meilleure analyse des considérations de prin-
cipe en jeu est celle du juge en chef Jackett dans
l'arrêt In re la Loi antidumping et in re Danmor
Shoe Co. Ltd., [ 1974] 1 C.F. 22 (C.A.), aux pages
34 et 35:
A mon avis le but des articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour
fédérale est de fournir un contrôle judiciaire rapide et efficace
des travaux des offices, commissions ou autres tribunaux fédé-
raux avec une ingérence minimale dans ces travaux. Si, en
tenant compte de ce point de vue, on applique l'article 11 de la
Loi d'interprétation à la question soulevée par les demandes
fondées sur l'article 28, il faut reconnaître que le fait que la
Cour n'a pas le pouvoir d'examiner la position prise par un
tribunal quant à sa propre compétence ou quant à des questions
de procédure au tout début de l'audience peut entraîner, dans
certains cas, la tenue d'auditions coûteuses qui seraient sans
issue. Par contre, si une des parties, peu désireuse de voir le
tribunal s'acquitter de sa tâche, avait le droit de demander à la
Cour d'examiner séparément chaque position prise ou chaque
décision rendue par un tribunal, lors de la conduite d'une
longue audience, elle aurait en fait le droit de faire obstacle au
tribunal.
Selon le juge en chef Jackett, il conviendrait d'une
part d'éviter de faire obstacle aux procédures par
des contestations prématurées, et d'autre part de
les faire échouer en les laissant se poursuivre au-
delà du moment où il y aurait lieu de demander
des directives aux tribunaux. En fin de compte,
c'est l'intégrité des procédures administratives
qu'il faut toujours protéger.
Autoriser dans les circonstances actuelles le con-
trôle judiciaire permettrait de défendre l'intégrité
des procédures administratives en l'espèce contre
les deux dangers possibles soulignés par le juge en
chef Jackett. Le tribunal d'appel a estimé qu'il y
avait lieu à ce moment-ci de parachever une partie
de sa tâche, permettant ainsi que les questions
importantes sur lesquelles il avait rendu une déci-
sion finale fassent l'objet d'un contrôle judiciaire,
avant d'examiner les questions en résultant. En
fait, l'avocat de la Commission des droits de la
personne a, pendant les débats, affirmé à la Cour
que, à la suite de la décision de cette Cour dans
l'arrêt VIA Rail, ce genre d'interruption des procé-
dures était devenu une pratique courante des tribu-
naux. On a qualifié de «décision» la mesure adop-
tée par le tribunal d'appel en l'espèce alors qu'on a
appelé «décision provisoire» la décision que cette
Cour a jugé finale dans l'arrêt VIA Rail. Cette
manière de rendre des décisions est en fait analo
gue à la pratique suivie par les arbitres dans les
affaires de relations de travail. Comme l'a dit cette
Cour en rejetant une autre contestation d'une
action administrative dans l'arrêt Turenko c.
Commissaire de la Gendarmerie royale du
Canada (1984), 55 N.R. 314 (C.F. Appel), [à la
page] 315, «Il ne faut certainement pas que la loi
restreigne le cours de la vie au point de le confiner
au lit de Procruste que sont les formalités inutiles.
Même l'action administrative ne doit être assujet-
tie qu'à des impératifs raisonnables.»
En l'absence de disposition contraire, je dois
suivre la règle d'interprétation des lois énoncée à
l'article 11 de la Loi d'interprétation [S.R.C.
1970, chap. I-23]:
11. Chaque texte législatif est censé réparateur et doit s'in-
terpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à
assurer la réalisation de ses objets.
Je statue donc que, parce qu'elle était manifeste-
ment destinée à constituer une décision finale sur
les questions examinées, la décision partielle du
tribunal d'appel en l'espèce peut faire l'objet d'un
examen en vertu du paragraphe 28(1) de la Loi
sur la Cour fédérale. Cela ne signifie pas que toute
décision interlocutoire d'un tribunal peut faire
l'objet d'un examen en vertu du paragraphe 28(1),
mais plutôt qu'une décision qui tranche manifeste-
ment toutes les questions soumises sauf celle rela
tive à la réparation ou à l'indemnisation devrait
faire l'objet d'un tel examen étant donné que, par
cette décision, le tribunal tranche de manière défi-
nitive la question de fond dont il a été saisi. À cette
étape, la décision est suffisamment semblable à un
jugement ou à une ordonnance.
Cette question préliminaire étant réglée, il reste
à déterminer si le harcèlement sexuel constitue un
acte discriminatoire conformément à la Loi cana-
dienne sur les droits de la personne. Cette Loi a
été modifiée récemment afin de le prévoir expres-
sément, mais à l'époque en cause, elle ne contenait
aucune disposition à cet effet. Il existait néanmoins
des décisions par lesquelles des tribunaux des
droits de la personne et des tribunaux du travail au
Canada, ainsi que la Federal Court of Appeals
(Washington, Cour de circuit, D.C.), qui s'était
prononcée sur des lois semblables, avaient statué
que le harcèlement sexuel était visé par cette loi.
Récemment, une Cour divisionnaire de l'Ontario
est arrivée à la même conclusion dans l'affaire In
the Matter of an Appeal from a Board of Enquiry
under the Ontario Human Rights Code, etc. Com
modore Business Machines Ltd., and Rafael
DeFillipis v. The Minister of Labour for Ontario
et al., jugement en date du 22 novembre 1984,
A-279-83, encore inédit, mais le raisonnement de
la Cour est trop succinct pour être d'aucune utilité
en l'espèce.
Les dispositions pertinentes de la Loi canadienne
sur les droits de la personne, 1977, sont les
suivantes:
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation
canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compé-
tence du Parlement du Canada, aux principes suivants:
a) tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs
devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des
chances d'épanouissement, indépendamment des considéra-
tions fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la
couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou
l'état de personne graciée ou, en matière d'emploi, de leurs
handicaps physiques;
3. Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinc
tion illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine
nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la
situation de famille ou l'état de personne graciée et, en matière
d'emploi, sur un handicap physique.
4. Les actes discriminatoires prévus aux articles 5 à 13
peuvent faire l'objet d'une plainte en vertu de la Partie III et
toute personne reconnue coupable de ces actes peut faire l'objet
des ordonnances prévues aux articles 41 et 42.
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un
individu, ou
b) de défavoriser un employé,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction
illicite.
Les actes discriminatoires les plus évidents,
qu'ils soient fondés sur le sexe ou sur un autre
motif, semblent caractérisés par le fait qu'ils visent
un groupe pris collectivement et chaque membre
de ce groupe pris au hasard. Ainsi, par exemple,
une personne commettant un acte discriminatoire
contre un Noir en raison de la race de ce dernier
agirait probablement de la même manière vis-à-vis
d'un autre noir et, en fait, vis-à-vis de tous les
noirs. C'est pourquoi, lorsqu'il s'agit d'actes discri-
minatoires fondés sur le sexe, on peut s'attendre à
ce qu'ils visent toutes les femmes et chacune d'elles
prise au hasard.
Par contre, le harcèlement sexuel vise un
membre en particulier d'un sexe, ou du moins, pas
tous les membres de ce sexe. Il s'exerce, par exem-
ple, sur un ou plusieurs hommes ou femmes déter-
minés et leur réserve un traitement spécial (c'est-à-
dire défavorable). Au premier coup d'oeil, cela
peut apparaître comme le contraire même de la
discrimination fondée sur le sexe.
Toutefois, cette double composante, hasard et
généralisation, souvent associée aux actes discrimi-
natoires, est habituellement présumée plutôt que
démontrée: l'auteur d'un acte discriminatoire n'a,
en réalité, agi que contre un membre d'une catégo-
rie de personnes et le reste n'est que déduction. Ce
qui est plus important encore, la Loi canadienne
sur les droits de la personne n'exige pas cette
double composante pour qu'on puisse conclure
qu'il s'agit d'un acte discriminatoire. L'article 7 de
la Loi prévoit qu'un acte discriminatoire s'exerce
contre «un individu» ou «un employé». Le critère de
définition est l'existence d'une distinction illicite
fondée sur le sexe mais ne fait pas entrer en jeu les
éléments de hasard ou de généralisation.
Les tribunaux des droits de la personne au
Canada ont régulièrement statué que le harcèle-
ment sexuel peut constituer une forme de discrimi
nation fondée sur le sexe. La première commission
d'enquête à avoir statué en ce sens, en vertu des
dispositions semblables du Code des droits de la
personne de l'Ontario [R.S.O. 1980, chap. 340]
dans l'affaire Cherie Bell and Anna Korczak v.
Ernest Ladas and The Flaming Steer Steak
House (1980), 1 C.H.R.R. D/155, à la page D/156
(O. B. Shime, c.r.), a analysé cette question de la
manière suivante:
[TRADUCTION] Mais qu'en est-il du harcèlement sexuel? Il est
manifeste qu'une personne, qui subit un désavantage à cause de
son sexe, fait alors l'objet de discrimination dans son emploi
lorsque la conduite de l'employeur la prive de rétributions
financières à cause de son sexe ou lui soutire des faveurs
sexuelles d'une forme ou d'une autre en retour de l'amélioration
ou du maintien de ses avantages actuels. (Il n'est pas dans mes
intentions de traiter des implications de la conduite bisexuelle
dans les circonstances propres à la présente cause. Nous vou-
lons plutôt traiter du harcèlement sexuel d'employés féminins
par un homme en autorité et les principes s'appliquent égale-
ment au harcèlement d'un employé mâle par une femme en
autorité tout comme à l'exploitation homosexuelle.) Le tort
qu'il s'agit de redresser, c'est le recours au pouvoir économi-
que ou à l'autorité afin de refuser à une femme l'accès garanti
ou égal au marché du travail et à tous ses avantages, libre de
pressions extérieures fondées sur le seul fait qu'elle est une
femme. Lorsqu'on refuse à une femme l'accès égal ou lorsque
les termes et conditions de son emploi sont différents en compa-
raison de ceux des employés masculins alors cette femme est
l'objet de discrimination.
1389 Les formes d'activités qui, à mon sens, sont interdites
couvrent toute la gamme, à partir de l'activité manifestement
d'ordre sexuel, telles les relations sexuelles obtenues par la
contrainte [en passant par les attouchements non sollicités et
les sollicitations persistantes jusqu'à] un comportement plus
subtil, tels les reproches et les sarcasmes provocants d'ordre
sexuel, des actes qui peuvent tous raisonnablement être pres-
sentis comme créant un environnement de travail négatif sur
les plans psychologique et émotif Rien ne s'oppose à ce que la
loi, qui pénètre dans le milieu de travail pour en protéger
l'environnement contre la pollution physique et chimique ou
contre les températures extrêmes, protège également les
employés des effets négatifs, psychologiquement et mentaux là
où un comportement défavorable orienté sur le sexe émanant
de la direction peut être interprété comme étant une condition
d'emploi.
1390 L'interdiction de pareil comportement n'est pas sans
danger. La prudence exige que la loi n'empêche pas le compor-
tement social normal entre la direction et les employés ou les
entretiens normaux entre la direction et les employés. I1 n'y a
rien d'anormal, et cela ne devrait pas être interdit, à ce qu'un
surveillant ait des rapports sociaux avec un employé. Une
invitation à dîner n'est pas une invitation à déposer une
plainte. Le danger, ou le mal qu'il faut prévenir, c'est le
contact social obligatoire ou résultant de la contrainte qui peut
entraîner pour l'employé qui s'y refuse la perte de certains
avantages attachés à l'emploi. Cette contrainte, cette obliga
tion, peut être manifeste ou subtile, mais si un aspect donné de
l'emploi devient en pratique assujetti au paiement de retour
d'une relation sociale offerte par un membre de la direction,
alors la proposition devient une condition d'emploi et peut être
considérée comme un acte discriminatoire.
1391 Encore une fois, il ne faut pas voir ou concevoir dans le
code une restriction à la liberté de parole. Si le sexe ne peut être
un sujet de discussion entre un surveillant et un employé, les
autres valeurs inscrites dans le code, comme la race, la couleur
ou la religion, ne peuvent non plus être discutées. En consé-
quence, une différence d'opinion de la part d'un employé, lors
d'un entretien portant sur le sexe, n'implique pas nécessaire-
ment une violation du code; c'est uniquement lorsque le lan-
gage ou les mots peuvent être raisonnablement interprétés
comme constituant une condition d'emploi que le code procure
un recours. Ainsi, les sarcasmes provocants, à la fois fréquents
et persistants, de la part d'un surveillant à l'endroit d'un
employé masculin ou féminin à cause de sa couleur, constituent
un acte discriminatoire en vertu du code et, par analogie, les
sarcasmes provocants, à la fois fréquents et persistants, de la
part d'un surveillant à l'endroit d'un employé masculin ou
féminin à cause de son sexe, constituent un acte discrimina-
toire en vertu du code.
1392 Toutefois, une décision défavorable en vertu du code n'est
pas conditionnelle à la fréquence de la conduite ni à sa persis-
tance car l'interdiction s'applique également à un seul incident
de déni d'égalité d'emploi à cause du sexe de l'employé.
Dans l'affaire Jane Kotyk and Barbara Allary
v. Canada Employment and Immigration Com
mission and Jack Chuba (1983), non publiée,
confirmée par cette Cour sub nom. Chuba c. Tri
bunal canadien des droits de la personne, 7
novembre 1984, n° du greffe A-193-84 [encore
inédite], où cette question n'a pas été examinée, un
tribunal d'appel constitué en vertu de la Loi cana-
dienne sur les droits de la personne a poussé
l'analyse plus loin:
En théorie, nombreuses sont les permutations et combinaisons
qui peuvent donner lieu à du harcèlement sexuel. Par exemple,
un gestionnaire peut se livrer à du harcèlement de type hétéro-
sexuel sur une employée ou de type homosexuel sur un employé.
On peut imaginer des combinaisons similaires en inversant les
rôles: le cas d'un employé harcelé par une gestionnaire. En fait,
le harcèlement peut être à la fois lié au sexe et fondé sur
l'orientation sexuelle dans le cas, par exemple, d'un employeur
homosexuel qui exploite un employé affichant les mêmes
tendances.
Dans toutes ces situations, l'essentiel du problème réside dans
le fait qu'un employé donné (homme ou femme, hétéro-
sexuel(le) ou homosexuel(le)) est victime de harcèlement et se
voit donc imposer des conditions de travail qui diffèrent de
celles des employés du sexe opposé. La victime du harcèlement
subit un traitement défavorable fondé sur le sexe. Comme on
l'a fait remarquer dans l'arrêt Bundy v. Jackson (1981) 641 F.
2d 934 942 (Cour d'appel des États-Unis):
«Dans chaque cas, il faut chercher à savoir si l'employé
aurait été victime de harcèlement s'il avait appartenu au sexe
opposé ... Ce n'est que par l'absurde qu'il est possible de
concevoir un cas de harcèlement qui ne constitue pas de la
discrimination fondée sur le sexe - celui d'un superviseur
bi-sexuel [sic] qui harcèle indifféremment des hommes ou
des femmes.» [TRADUCTION]
L'employeur ne saurait non plus faire valoir qu'un gestion-
naire fait de la discrimination à l'égard d'une femme non en
raison de son sexe mais bien de l'attraction sexuelle qu'elle
exerce sur lui et, par conséquent, qu'il ne harcèle pas toutes les
femmes qu'il côtoie en milieu de travail, mais seulement cel-
le-là. Dans l'arrêt Bundy v. Jackson, susmentionné, à la page
942, la Cour a déclaré ce qui suit:
« ... la discrimination sexuelle ... ne se limite pas à un
traitement défavorable fondé uniquement ou catégorique-
ment sur le sexe. Elle existe dans tous les cas où, pour des
raisons non valables, le sexe de la victime joue un rôle
important dans la discrimination.» [TRADUCTION]
Par conséquent, il s'agit essentiellement de déterminer si le
fondement de l'acte discriminatoire en question était lié au
sexe. Dans l'affirmative, on peut dire qu'il y a discrimination
fondée sur le sexe même si d'autres employés du même sexe ne
sont pas victimes du même comportement. Une commentatrice
a exposé le principe avec justesse dans les termes suivants:
«Qu'elles visent ou non une seule et unique personne, les
attentions sont discriminatoires dans la mesure où elles sont
fondées sur le sexe. L'appartenance au sexe féminin est une
condition essentielle au harcèlement sexuel. Si elle n'avait
pas été une femme, la victime du harcèlement sexuel n'aurait
jamais reçu de propositions; on ne l'aurait pas invitée à
participer à des activités sexuelles si elle avait été un
homme.» (Constance Backhouse, Case Comment, (1981) 10
University of Western Ontario Law Review 141 la p. 143).
[TRADUCTION]
En l'espèce, les deux tribunaux étaient d'accord
sur le droit en ce qui concernait le harcèlement
sexuel. Le premier tribunal a statué que l'article 7
de la Loi canadienne sur les droits de la personne
interdisait le harcèlement sexuel, mais il a conclu
que les faits ne révélaient pas qu'il y avait eu
discrimination. Le tribunal d'appel était du même
avis quant au droit, mais il est arrivé à une conclu
sion contraire sur les faits.
Il n'est toutefois pas juste d'affirmer que le
tribunal d'appel a rejeté l'opinion du premier tri
bunal quant aux faits. Le premier tribunal a admis
la crédibilité du témoignage de Mme Robichaud
en ce qui a trait aux incidents à caractère sexuel,
mais il a tiré une conclusion qui, de son propre
aveu, «n'était pas fondée sur la preuve en l'espèce
mais ... sur l'appréciation de la motivation des
êtres humains dans leur conduite sexuelle», c'est-à-
dire que «selon son propre témoignage, Mme Robi-
chaud s'était livrée avec M. Brennan à des activi-
tés sexuelles auxquelles elle n'aurait certainement
pas participé sans y avoir pleinement consenti».
C'est cette dernière conclusion tirée des faits que le
tribunal d'appel a rejetée [à la page 16,051]:
Avec un profond respect, nous rejetons la proposition selon
laquelle la masturbation, le fellatio et le «pelotage» sont en soi
des actes d'une nature si intimement volontaire qu'elle ne
pouvait s'y être livrée sans y avoir pleinement consenti.
Mme Robichaud a commencé à travailler en
1977 en qualité de nettoyeuse pour le ministère de
la Défense nationale à la base du Commandement
de la défense aérienne à North Bay. Elle est
devenue la première femme de la base à obtenir le
poste de chef nettoyeur manuel et elle a été assu-
jettie à un stage d'essai du 20 novembre 1978 au
20 mai 1979. C'est pendant cette période, aux
mois de mars, avril et mai 1979, qu'a eu lieu le
harcèlement sexuel dont elle s'est plainte.
Le tribunal a constaté que le requérant Brennan
avait demandé pour la première fois à Mme Robi-
chaud d'avoir des relations sexuelles avec lui aux
environs du 16 mars, lorsqu'elle s'est présentée au
bureau de Brennan à la demande de ce dernier,
pendant les heures de travail. Il ressort du témoi-
gnage de Mme Robichaud que c'est à partir de ce
moment que Brennan s'est mis à solliciter conti-
nuellement ses faveurs et à lui poser des questions
intimes sur sa vie sexuelle. Le premier incident à
caractère sexuel s'est produit le 6 avril et dès lors,
Brennan lui a téléphoné à maintes reprises à sa
résidence. Plusieurs autres incidents se sont pro-
duits pendant les semaines suivantes jusqu'au 22
mai, juste après que la période de stage de Mme
Robichaud eut pris fin. Le 24 mai, elle a raconté
les incidents à son médecin de famille et à son
époux et le 25 mai, elle en a informé le président
de son syndicat; elle a également indiqué à Bren-
nan qu'elle ne répondrait plus à ses exigences. Le
18 juin, elle a repoussé une autre des avances qu'il
lui a faites après être rentré de trois semaines de
vacances. Elle avait informé l'officier adjoint d'ad-
ministration de la base, le capitaine Adlard, qu'elle
était l'objet de harcèlement sexuel de la part de
Brennan et son allégation a été discutée lors d'une
réunion avec le capitaine Adlard et Brennan, le 28
juin.
Tout cet ensemble d'événements constituait-il
du harcèlement sexuel? Le responsable qui prend
l'initiative de faire des avances sexuelles dans son
bureau pendant les heures de travail doit en assu-
mer les risques et, lorsque l'employé, comme
c'était le cas en l'espèce, se trouve dans une situa
tion particulièrement vulnérable, il doit évidem-
ment s'attendre à ce que tout acte équivoque soit
interprété contre lui.
Un examen rétrospectif des faits laisserait sup-
poser que Mme Robichaud a eu tort de téléphoner
au requérant ou de lui rendre visite après les
heures de travail pour lui faire entendre raison et,
en particulier, de s'être laissé persuader au départ
qu'elle était sexuellement frustrée, et finalement,
d'avoir eu une dernière rencontre avec lui après la
fin de sa période de stage.
Néanmoins, il ressort de la conduite des deux
parties que c'est Brennan qui prenait continuelle-
ment l'initiative, que Mme Robichaud s'est mon-
trée non consentante à plusieurs reprises, qu'à
deux occasions au moins Brennan a menacé cel-
le-ci de représailles relativement à son travail si
elle refusait de coopérer, et que pendant toute la
période en cause, il a usé du pouvoir conféré par
son poste pour la forcer à se plier à ses exigences.
Il faut présumer qu'un supérieur omniprésent et
apparemment tout-puissant utilisant les pleins
pouvoirs qui lui sont conférés par son poste obtient
un consentement forcé plutôt que volontaire, à
moins qu'il ne puisse prouver le contraire. En
d'autres termes, étant donné le rapport pouvoir-
vulnérabilité qui existait en l'espèce, le simple fait
qu'il y ait eu des incidents à caractère sexuel donne
naissance à une présomption prima fade de harcè-
lement sexuel, et il incombe au contremaître de
prouver, s'il le peut, que ces actes ne constituaient
pas du harcèlement sexuel.
Le tribunal d'appel a jugé que le requérant
Brennan n'avait pas réussi à se libérer de ce far-
deau de la preuve. Il existait des preuves, en fait
une prépondérance de preuve, à partir desquelles le
tribunal d'appel pouvait le juger coupable d'un
acte discriminatoire, en présence ou en l'absence
de ce fardeau de la preuve.
Le tribunal d'appel a également jugé Brennan
coupable de harcèlement sexuel parce que, par son
attitude, il a créé un climat de travail malsain. Ce
concept semble avoir été élaboré pour satisfaire à
l'exigence de la législation ontarienne, suivant en
cela la législation américaine, selon laquelle il faut
démontrer que la discrimination illicite contre un
employé s'exerce [TRADUCTION] «relativement à
ses conditions d'emploi». La Loi canadienne sur les
droits de la personne exige simplement la distinc
tion illicite exercée contre un employé, une infrac
tion moins précise et plus facile à démontrer. En
l'espèce, les actes sexuels obtenus par la contrainte
et constituant une distinction illicite s'étant réelle-
ment produits, l'existence d'un climat de travail
malsain vient renforcer les allégations, mais ne
constitue pas un élément nécessaire à l'infraction.
En résumé, je conclus que le tribunal d'appel
avait été saisi d'une preuve suffisante pour lui
permettre de statuer que le requérant Brennan
était coupable de distinction illicite fondée sur le
sexe. Il ne s'agissait pas d'une distinction illicite
posée au hasard et ne visant personne en particu-
lier. C'est plutôt en raison des aspects distinctifs de
sa sexualité que Mme Robichaud en fut la victime.
Il n'en demeure pas moins, toutefois, que c'était en
raison de son sexe. Comme l'a dit la Federal Court
of Appeals de Washington (D.C.) dans l'arrêt
Barnes v. Costle, 561 F.2d 983 (1977), à la page
990:
[TRADUCTION] N'eut été le fait qu'elle était une femme ... on
n'aurait jamais sollicité sa participation à des activités sexuelles
... En d'autres termes, elle est devenue l'objet des désirs
sexuels de son supérieur parce qu'elle était une femme, et il lui
a demandé de se plier à ses demandes si elle voulait conserver
son emploi.
Aucune autre affaire ne peut fournir un exemple
plus évident de distinction illicite fondée sur les
caractéristiques sexuelles que l'espèce, étant donné
que ce sont précisément ces caractéristiques qui
ont fait l'objet des attentions du requérant
Brennan.
Comme argument connexe, on a avancé au nom
du requérant que le tribunal d'appel, comme toute
autre juridiction d'appel, n'était pas habilité à
infirmer les conclusions de fait du premier tribunal
à moins que ce dernier n'ait commis «une erreur
manifeste et dominante»: Stein et al. c. Le navire
«Kathy K», [1976] 2 R.C.S. 802, à la page 808; 62
D.L.R. (3d) 1, à la page 5. Toutefois, comme je
l'ai déjà indiqué, le tribunal d'appel en l'espèce
ayant présumé sans avoir cependant statué que les
pouvoirs conférés à un tribunal d'appel par l'article
42.1 de la Loi canadienne sur les droits de la
personne sont ainsi limités, a infirmé une conclu
sion tirée des faits plutôt que l'opinion du premier
tribunal sur les faits eux-mêmes. A mon point de
vue, cette conclusion constituait une erreur mani-
feste et dominante et ainsi le critère a de toute
manière été respecté.
La dernière question importante à résoudre est
celle de la responsabilité de l'employeur à l'égard
des actes discriminatoires fondés sur le sexe dont
s'est rendu coupable Brennan. Il serait intéressant
de faire une digression et d'examiner la question
du point de vue dynamique du droit de la responsa-
bilité délictuelle, mais la Cour suprême du Canada
a récemment statué, au sujet du régime parallèle
que constitue le Code des droits de la personne de
l'Ontario, que l'initiative qu'a prise le législateur
en adoptant le Code rendait cette approche impos
sible: Seneca College of Applied Arts and Tech
nology c. Bhadauria, [1981] 2 R.C.S. 181; 124
D.L.R. (3d) 193. Le juge en chef Laskin a déclaré
au nom de la Cour (aux pages 194 et 195 R.C.S.; à
la page 203 D.L.R.):
En l'espèce, les modalités d'application établies par The
Ontario Human Rights Code vont de l'application administra
tive par des procédures de plainte et de règlement jusqu'à
l'application judiciaire ou quasi judiciaire par des comités
d'enquête. Ces comités sont investis d'un large pouvoir répara-
teur qui englobe le pouvoir d'accorder une indemnité (en fait
des dommages-intérêts), et des droits étendus d'appel assurent
l'application par tout l'appareil judiciaire, de sorte que des
actions fondées sur le Code pourraient éventuellement aboutir
devant cette Cour. La Cour d'appel de l'Ontario n'a pas estimé
que ces modalités excluent un recours fondé sur la common law
Le point de vue adopté par la Cour d'appel de l'Ontario
témoigne d'audace et peut être loué comme tentative de faire
avancer la common law. Je suis toutefois d'avis que cela est
rendu impossible par l'initiative du législateur qui, allant plus
loin que la common law telle qu'elle existe en Ontario, a établi
un régime qui, loin d'exclure les cours, les intègre dans le
mécanisme d'application prévu par le Code.
Pour ces motifs, je conclus que non seulement le Code
empêche toute action civile fondée directement sur une viola
tion de ses dispositions, mais qu'il exclut aussi toute action qui
découle de la common law et est fondée sur l'invocation de la
politique générale énoncée dans le Code. Le Code lui-même
établit les procédures destinées à la défense de cette politique
générale, procédures dont la demanderesse n'a pas cru bon de
se prévaloir.
De toute évidence, le même raisonnement s'ap-
plique à la Loi canadienne sur les droits de la
personne. S'il faut écarter les règles de droit de la
common law en matière de délit, qu'en est-il des
règles législatives du droit pénal?
Un tribunal chargé d'appliquer la loi ontarienne
s'est penché sur la question. La décision qu'a
rendue dans l'affaire Edilma Carte et al. v.
Rafael DeFilippis and Commodore Business
Machines Ltd. (1983), 4 C.H.R.R. D/1705, le
professeur Peter A. Cumming, commissaire enquê-
teur, a récemment été confirmée par la Cour divi-
sionnaire dans l'affaire In the Matter of an Appeal
from a Board of Enquiry under the Ontario
Human Rights Code, etc. Commodore Business
Machines Ltd., and Rafael DeFilippis v. The
Minister of Labour for Ontario et al., précitée
[encore inédite]. Le Tribunal a statué, notamment,
que lorsqu'un employé fait partie des [TRADUC-
TION] «âmes dirigeantes» d'une entreprise, la
société qui l'emploie est elle-même personnelle-
ment en contravention, de telle sorte que [TRA-
DUCTION] «l'acte de l'employé devient l'acte de
l'entreprise elle-même, suivant la théorie fonda-
mentale de la responsabilité de l'employeur» (à la
page D/1744). Ce raisonnement repose sur une
analogie avec le droit pénal plutôt qu'avec le droit
des délits.
Dans l'affaire R. v. Waterloo Mercury Sales
Ltd. (1974), 18 C.C.C. (2d) 248, la Cour de
district de l'Alberta a déclaré une société coupable
de fraude en vertu du paragraphe 338(1) du Code
criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34] à la suite de
l'acte posé par son directeur des ventes de voitures
d'occasion qui avait reculé les odomètres sur des
voitures d'occasion avant leur vente, en dépit des
directives écrites contraires de la compagnie, au
motif que le directeur était l'âme dirigeante de la
compagnie pour tout ce qui concernait la vente des
voitures d'occasion. La Cour d'appel de la Colom-
bie-Britannique est allée plus loin et a statué dans
l'affaire R. v. P.G. Marketplace and McIntosh
(1979), 51 C.C.C. (2d) 185, qu'une compagnie
était coupable de fraude dans le cas où, à l'insu des
dirigeants, un vendeur avait fraudé un client pour
son profit personnel. Ces deux décisions sont fon-
dées sur la règle de droit énoncée par la Cour
d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. v. St. Lawrence
Corp. Ltd., [1969] 3 C.C.C. 263, à la page 281 (le
juge d'appel Schroeder):
[TRADUCTION] ... si l'agent fait partie d'une catégorie qui
autorise la Cour à juger qu'il est un organe essentiel de la
compagnie et, en fait, son âme dirigeante dans le domaine des
fonctions et responsabilités qui lui ont été confiées et qu'en
conséquence, ses actions et ses intentions sont celles de la
compagnie elle-même, il peut alors par sa conduite engager la
responsabilité pénale de la compagnie.
Ces décisions appuient la thèse voulant que lors-
qu'une compagnie délègue ses pouvoirs à un pré-
posé dans un domaine de responsabilité particulier,
ce préposé devient son âme dirigeante dans ce
domaine et il engage de ce fait la responsabilité
pénale de la compagnie pour les actes qu'il pose.
L'arrêt McIntosh établit clairement que cela est
vrai même si le préposé a agi entièrement pour son
propre avantage.
Par analogie avec ce qui précède, le gouverne-
ment serait responsable des actes de Brennan puis-
qu'ils seraient réputés ceux du gouvernement lui-
même si Brennan devait être considéré comme
étant l'âme dirigeante du service de nettoyage.
Voici en quels termes le tribunal de première
instance a décrit son rôle [à la page 1093]:
Le Service du nettoyage compte plusieurs nettoyeurs
manuels. Leur surveillance incombe à deux contremaîtres de
secteur qui, à leur tour, relèvent du contremaître, M. Brennan.
[M. Brennan relève de l'officier adjoint d'administration de la
Base puis, au palier supérieur, du commandant de la Base.] Il
appartenait principalement au contremaître de secteur d'assi-
gner à Mme Robichaud son lieu de travail, ses fonctions, sa
charge de travail et les nettoyeurs à surveiller, sous réserve
toutefois de la surveillance et, parfois, de l'intervention de M.
Brennan.
Le requérant Brennan était le principal gestion-
naire civil de la base et c'est à lui que la responsa-
bilité du nettoyage avait été confiée. En outre,
c'était lui qui avait le plus d'influence sur la
décision que l'employeur devait prendre sur le
bilan du stage d'essai de Mme Robichaud. Bref, on
peut raisonnablement en conclure qu'il était l'âme
dirigeante du service de nettoyage.
Quoi qu'il en soit, je suis d'avis que la portée de
la décision Seneca College nous amène à chercher
plutôt dans le texte même de la loi les principes de
responsabilité applicables. En fait, même avant
que ne soit rendue la décision Seneca College, la
Cour d'appel de la Colombie-Britannique avait,
dans l'arrêt Re Nelson et al. and Byron Price &
Associates Ltd. (1981), 122 D.L.R. (3d) 340,
statué que la responsabilité de l'employeur pour le
fait d'autrui sous le régime du Code des droits de
la personne de cette province [Human Rights
Code, R.S.B.C. 1979, chap. 186] devait être déter-
minée à partir du texte même de la loi. Dans cet
arrêt, la Cour a statué que le texte du Code ne
pouvait être interprété comme créant pareille res-
ponsabilité. La valeur de cet arrêt comme précé-
dent est cependant limitée en raison du fait que
dans cette affaire, la Commission d'enquête avait
ordonné le paiement de dommages-intérêts exem-
plaires, et la Cour a statué que pour retenir la
responsabilité de l'employeur il fallait, suivant la
formulation employée par la loi à l'égard des
dommages-intérêts exemplaires ([TRADUCTION]
«sciemment ou par insouciance inexcusable»), que
l'employeur se soit rendu personnellement respon-
sable d'une contravention.
Les dispositions les plus importantes de la Loi
canadienne sur les droits de la personne sur la
question sont le principe énoncé à l'article 2 et les
mesures de redressement prévues à l'article 41. Le
principe de la Loi est large: «tous ont droit ... à
l'égalité des chances d'épanouissement, indépen-
damment des considérations fondées sur [des
motifs de distinction illicite]». Il résulte du rappro-
chement de ce principe et de l'article 11 de la Loi
d'interprétation que les tribunaux sont à toutes
fins pratiques tenus d'interpréter la Loi de façon à
donner aux personnes victimes de discrimination la
protection la plus large et la plus libérale possible.
Cette protection doit comprendre un recours
contre l'employeur.
Les mesures de redressement étendues que pré-
voit l'article 41 et, de façon générale, la nécessité
d'assurer un suivi et de mettre fin aux actes discri-
minatoires, supposent une responsabilité semblable
de la part de l'employeur. Cela ressort nettement
de l'alinéa 41(2)a) qui exige de la personne trou-
vée coupable de l'acte discriminatoire «de prendre
des mesures destinées à prévenir les actes sembla-
bles ... celles-ci peuvent comprendre l'adoption
d'une proposition relative à des programmes, des
plans ou des arrangements spéciaux». Seul un
employeur peut remplir un tel mandat.
J'affirme également avec l'intimée, la Commis
sion canadienne des droits de la personne, que la
responsabilité patronale découle nécessairement de
l'arrêt Seneca College. Si l'émergence du délit de
discrimination sanctionné par la common law, qu'a
reconnu la Cour d'appel de l'Ontario, est devancée
par l'évolution des lois et l'adoption d'un code des
droits de la personne, nous devons conclure que
cette évolution confère aux victimes de discrimina
tion des recours au moins aussi larges que ceux
que la common law leur aurait accordés, ce qui
inclurait par conséquent le recours fondé sur le
principe de la responsabilité de l'employeur.
Ce qui précède concerne l'ensemble de la Loi
canadienne sur les droits de la personne. Mais la
reconnaissance de la responsabilité de l'employeur
est plus nette en matière de discrimination fondée
sur le sexe selon l'article 7 qui porte: «Constitue un
acte discriminatoire le fait ... b) de défavoriser un
employé, directement ou indirectement, pour un
motif de distinction illicite.» L'expression «directe-
ment ou indirectement» ne figure pas dans l'article
correspondant du Code de l'Ontario, ni d'ailleurs
dans la définition des autres actes discriminatoires
visés par la Loi fédérale. On peut donc y voir la
reconnaissance manifeste du principe de la respon-
sabilité de l'employeur, en ce qui concerne, en
particulier, cette forme de discrimination.
Toutefois, je ne saurais interpréter la notion de
responsabilité indirecte comme équivalant à celle
de responsabilité absolue. L'expression «directe-
ment ou indirectement» implique l'idée d'une par
ticipation de ceux qui sont réputés responsables.
L'employeur doit par conséquent avoir à tout le
moins l'occasion de décliner sa responsabilité en
excipant de sa bonne foi.
C'est à cela que les tribunaux américains en sont
venus. Dans les deux affaires déjà citées, la Fede
ral Court of Appeals du District de Columbia n'a
pas hésité à affirmer qu'un employeur est respon-
sable des actes discriminatoires posés par son per
sonnel cadre. La Cour ajoute toutefois dans l'arrêt
Barnes v. Costle (précité, à la page 993) que
[TRADUCTION] «l'employeur peut être exonéré de
toute responsabilité dans le cas où le surveillant a
contrevenu aux directives de l'employeur à l'insu
de celui-ci et où des mesures ont été prises pour
corriger la situation dès que ces infractions ont été
connues».
Cela aurait pour effet d'établir une règle de
droit semblable à celle qui a récemment été formu-
lée en matière d'infractions dites «réglementaires»
ou «contre le bien-être public», qui ne sont pas des
infractions criminelles dans le vrai sens du mot
mais qui sont des interdictions faites dans l'intérêt
du public. Dans l'arrêt R. sur la dénonciation de
Mark Caswell c. Corporation de la ville de Sault
Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299, le juge Dickson
(alors juge puîné), a déclaré au nom de la Cour
que ces infractions «pourraient fort bien être consi-
dérées comme une branche du droit administratif à
laquelle les principes traditionnels du droit crimi-
nel ne s'appliquent que de façon limitée» (à la page
1303) et a statué qu'il s'agit d'infractions de res-
ponsabilité stricte qui se situent à mi-chemin entre
les infractions qui nécessitent la preuve de la mens
rea et les infractions de responsabilité absolue. Le
juge a accueilli une défense fondée sur la diligence
raisonnable à la décharge de la défenderesse et
suivant la prépondérance des probabilités.
C'est aussi, incidemment, ce à quoi la loi en est
venue à la suite ' de modifications récentes. Le
paragraphe 48(5) [S.C. 1980-81-82-83, chap. 143,
art. 23] prévoit maintenant de façon expresse la
responsabilité de l'employeur pour les actes posés
par ses employés dans le cadre de leur emploi. Le
paragraphe 48(6) permet cependant à l'employeur
de se disculper s'il établit que l'acte a été posé sans
son consentement et qu'il avait pris toutes les
mesures nécessaires pour l'empêcher et que, par la
suite, il a tenté d'en atténuer ou d'en annuler les
effets.
Ma conception de la règle de droit est essentiel-
lement la même que celle qu'a adoptée le tribunal
d'appel qui a déclaré P. la page 16,053]:
La jurisprudence invoquée devant le Tribunal atteste claire-
ment de la responsabilité stricte de l'employeur envers les actes
de son personnel cadre.
L'approche qu'a adoptée le tribunal d'appel semble
indiquer que celui-ci n'a pas considéré la responsa-
bilité stricte de l'employeur comme équivalant à
une responsabilité absolue.
En partant donc du principe de la responsabilité
de l'employeur de laquelle celui-ci peut s'exonérer
en démontrant qu'il a fait preuve de diligence
raisonnable, examinons les conclusions tirées par le
tribunal d'appel à propos de la réaction de l'Admi-
nistration [à la page 16,053]:
Il n'y avait pas eu, dans la présente cause, communication
aux employés d'une politique bien définie interdisant le harcèle-
ment sexuel. Puis, lorsque les supérieurs de monsieur Brennan
furent saisis des plaintes, l'employeur n'entreprit aucune
enquête afin d'établir le bien-fondé ou non des allégations. En
particulier, on ne demanda pas ni n'entreprit la tenue d'une
enquête conformément à l'article 10 de la Loi sur l'administra-
tion financière. [Il aurait fallu dire: l'article 7.] Bien au con-
traire, on a pris des mesures pour écarter madame Robichaud
de son travail régulier de chef nettoyeuse. En fin de compte, on
la relégua au nettoyage d'une caserne qu'on désignait «d'affec-
tation punitive», ses responsabilités s'en trouvant rigoureuse-
ment réduites. Cette manière de traiter madame Robichaud
ferait sentir aux autres employés de la Base que madame
Robichaud n'avait plus la faveur des dirigeants du personnel.
Rien n'indique que pour sa part monsieur Brennan soit tombé
en défaveur. L'avalanche de lettres et de pétitions défavorables
à madame Robichaud suite au dépôt de sa plainte, atteste de la
tentative de discrédit bien orchestrée à son endroit. Cette
manifestation aurait dû susciter les soupçons de l'employeur et
donc un examen plus rigoureux de l'affaire. Enfin, l'irresponsa-
bilité de l'employeur nous apparaît particulièrement criante
puisqu'il n'a pas cru bon de surveiller les agissements de
monsieur Brennan relativement aux personnes appelées à
témoigner devant le Tribunal afin d'empêcher qu'elles ne fas-
sent l'objet de coercition ou d'intimidation de la part de mon
sieur Brennan.
En ce qui concerne l'expression d'une volonté
ferme de décourager les actes discriminatoires
fondés sur le sexe, je ne suis pas, pour ma part,
enclin à attendre autant d'un employeur en 1979
qu'en 1984, étant donné l'accroissement de la sen-
sibilisation du public à ce problème depuis cinq
ans. Toutefois, un élément de preuve justifiait le
tribunal d'appel à conclure à l'insouciance et à
l'absence de diligence raisonnable: le fait que l'em-
ployeur ait permis que Mme Robichaud subisse, en
conséquence des lettres et pétitions défavorables à
son endroit, un traitement défavorable dans son
emploi le 29 juin, tout juste un mois après qu'elle
eut terminé avec succès un stage de six mois
pendant lequel son travail n'avait suscité aucun
reproche; ces lettres et pétitions, de l'aveu même
des autorités militaires, laissaient entrevoir une
tentative de discrédit bien orchestrée par le requé-
rant Brennan, la personne même qui était accusée
de harcèlement sexuel. Le même raisonnement
vaut à l'égard de la façon dont l'officier adjoint
d'administration a abordé la question devant Bren-
nan. Même chose pour la façon dont on a tout
d'abord étudié ses griefs. Même chose également
pour l'aide-mémoire confidentiel rédigé par le
commandant de la base le 17 septembre suivant
(Dossier d'appel, vol. 17, page 2212):
[TRADUCTION] CONFIDENTIEL
AIDE-MÉMOIRE
MESURES DE REDRESSEMENT—MADAME ROBICHAUD-
11 SEPTEMBRE 1979
17 septembre 1979
2. Premièrement, l'affaire a été mal abordée par les premiers
échelons de la direction. En effet, un certain nombre de griefs,
tant écrits que verbaux, semblent n'avoir pas été traités avec
Mme Robichaud ou les auteurs des plaintes. Cela a abouti à la
rédaction d'un mémoire des points faibles, lequel mémoire
n'était pas justifié, à mon avis, eu égard aux moyens qui ont été
mis en oeuvre pour le rédiger. Voilà pourquoi je suis indulgent à
l'audience des griefs et je déchire en fin de compte tous les
éléments de preuve. Il n'en reste pas moins que les aptitudes de
Mme Robichaud en matière de surveillance démontrent des
lacunes qui, à moins d'être corrigées, devraient entraîner des
mesures, soit de nature correctrice, soit sur le plan de sa
carrière, puisque nous ne pourrons plus l'employer comme chef
nettoyeur manuel ou que nous devrons la congédier.
3. Deuxièmement, (et ce qui peut être plus important à long
terme) il se peut que les préposés au nettoyage et, en réalité,
tous les employés civils de la base, aient le sentiment que le
syndicat a en fait obtenu gain de cause contre la direction. J'ai
discuté de la chose avec M. Costello [le président du syndicat]
et je l'ai averti que si je constatais qu'on suscitait cette impres
sion de façon délibérée, je prendrais des mesures concrètes. Je
lui ai également fait comprendre qu'il ne s'agissait pas de savoir
qui gagne ou qui perd et qu'on avait donné gain de cause à
Mme Robichaud, d'abord et avant tout en raison de la façon
dont l'affaire avait été menée et non à cause du bien-fondé ou
de l'inexactitude de ses allégations. En d'autres mots, il existe
de très bonnes preuves que le rendement de Mme Robichaud
est insuffisant.
Il semble n'y avoir eu au dossier aucun élément
établissant que l'opinion du commandant de la
base sur les points faibles de Mme Robichaud
reposait sur autre chose que sur les lettres et
pétitions malveillantes, qui n'ont jamais fait l'objet
d'enquête. Il reconnaît que l'affaire a été mal
menée mais se borne à préciser que les mesures
prises pour remédier à la situation ne doivent pas
être interprétées comme une victoire du syndicat
sur la direction.
Compte tenu de ces faits, je ne saurais conclure
que le Tribunal d'appel a fondé sa décision sur une
conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde
ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments
portés à sa connaissance, pour reprendre les termes
de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Le Conseil du Trésor a invoqué l'arrêt Stein et
al. c. Le navire «Kathy K» (précité) pour préten-
dre enfin que le tribunal d'appel n'était pas justifié
à substituer son appréciation des faits relatifs à la
responsabilité de l'employeur à celle du premier
tribunal. Celui-ci en est venu à la conclusion que
Brennan n'avait pas commis d'actes discriminatoi-
res fondés sur le sexe à l'encontre de Mme Robi-
chaud, vu le consentement de cette dernière. Il
n'avait donc pas à se prononcer sur la responsabi-
lité qu'aurait entraîné, pour l'employeur, cet acte
discriminatoire. Néanmoins, le tribunal en est
venu à la conclusion suivante [à la page 1102]:
Tout bien considéré, donc, je ne peux tenir l'employeur (en
excluant M. Brennan) responsable du traitement défavorable
infligé à Mme Robichaud après que ses plaintes au sujet de M.
Brennan furent connues de la direction de la Base.
L'avocat du Conseil du Trésor prétend qu'il faut
interpréter ce passage comme signifiant [TRADUC-
TION] «si je fais erreur en concluant d'après les
faits que Brennan doit être exonéré, subsidiaire-
ment, je conclus que la responsabilité est imputa-
ble à Brennan et non à son employeur».
Je ne saurais retenir cette interprétation. Je
crois que le tribunal visait un acte discriminatoire
subséquent qui n'avait eu rien à voir avec celui de
Brennan et qui aurait pu engager la responsabilité
de l'employeur. Le fait que le tribunal ne se soit
pas livré à une analyse de l'existence du principe
de respondeat superior qui aurait pu fournir un
fondement légal à la digression que l'avocat nous
invite à faire, vient étayer ma conclusion.
Je suis par conséquent d'avis de rejeter les deux
demandes fondées sur l'article 28.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.