T-522-84
Nick Ternette (requérant)
c.
Solliciteur général du Canada (intimé)
Division de première instance, juge Strayer—Cal-
gary, 6 juin; Ottawa, 29 juin 1984.
Loi sur la protection des renseignements personnels —
Demande fondée sur l'art. 41 de la Loi sur la protection des
renseignements personnels en vue de faire réviser la décision de
refuser l'accès aux renseignements versés au fichier de rensei-
gnements personnels de la GRC inconsultable en vertu de l'art.
21 de la Loi — Invoquant l'exemption prévue à l'art. 18, la
GRC a refusé de confirmer ou de nier l'existence des rensei-
gnements, et, s'ils existent, a refusé d'en permettre l'examen —
Le Commissaire à la protection de la vie privée a refusé de
confirmer ou de nier l'existence des renseignements — Le
caractère général des mots «révision de la décision» de l'art. 41
est suffisant pour permettre d'examiner la conduite du gou-
verneur en conseil, du solliciteur général, de la GRC et du
Commissaire à la protection de la vie privée — Le refus de
confirmer ou de nier l'existence de dossiers personnels dans les
fichiers inconsultables confirme le fait que le Commissaire à
la protection de la vie privée a effectué une enquête — Aux
termes de l'art. 16(2) de la Loi, la GRC n'est pas tenue de
divulguer l'existence de renseignements personnels et il en est
de même pour le Commissaire à la protection de la vie privée,
en vertu de l'art. 65b), et pour la Cour fédérale en vertu de
l'art. 46(1)b) — L'art. 43 ne fait pas obligation au Commis-
saire à la protection de la vie privée de demander l'examen du
dossier — La Cour peut vérifier l'existence d'un dossier versé
dans le fichier de renseignements personnels concernant le
requérant et, s'il en existe un, se demander si on était justifié
de l'y inclure — Les pouvoirs généraux de la Cour de connaf-
tre des demandes de révision, conformément aux art. 41, 45, 46
et 48 ne sont pas restreints par le droit précis du Commissaire
à la protection de la vie privée de chercher à obtenir la révision
en vertu de l'art. 36 — Aux termes des art. 41 et 45, la Cour
est tenue d'examiner ces demandes en tenant seulement compte
de la nécessité d'éviter toute divulgation inappropriée —
Comme le refus est fondé sur l'art. 18 et non sur l'art. 21, la
procédure appropriée est prévue à l'art. 46 — L'intimé doit
déposer auprès du juge en chef adjoint ou de la personne que
celui-ci désignera, placé dans une enveloppe scellée, un affida
vit portant sur l'existence de renseignements personnels con-
cernant le requérant qui se trouvent dans le fichier de rensei-
gnements et y annexer le dossier — Audience tenue à huis clos
en présence des deux parties — Le Commissaire doit être avisé
des procédures — Loi sur la protection des renseignements
personnels, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe II, art.
12(1), 16, 18, 21, 29, 35, 36, 37, 41, 42, 43, 45, 46, 48, 49, 50,
51, 65b).
Il s'agit d'une demande fondée sur l'article 41 de la Loi sur
la protection des renseignements personnels en vue de faire
réviser la décision du Commissaire à la protection de la vie
privée de refuser au requérant l'accès aux renseignements
personnels versés à un fichier de renseignements personnels de
la GRC. En vertu de l'article 21 de la Loi, ce fichier ne peut
être consulté. Alléguant que les Dossiers du Service de sécurité
ne pouvaient être consultés en vertu de l'article 18 de la Loi, la
GRC a refusé de confirmer ou de nier l'existence de tels
renseignements et, s'ils existent, de permettre que le requérant
les examine. Le Commissaire à la protection de la vie privée a
lui aussi refusé de confirmer ou de nier l'existence de tels
renseignements. Le requérant allègue que la lettre du Commis-
saire indiquait que celui-ci n'a pas effectué d'enquête; qu'il a
omis de faire savoir au requérant si de tels renseignements le
concernant étaient classés dans ce fichier inconsultable et qu'il
a omis de demander à la Cour d'examiner le dossier du
requérant comme il était autorisé à le faire en vertu de l'article
43 de la Loi. La première question en litige est de savoir si la
Cour peut vérifier si le dossier a été inclus à juste titre dans un
fichier inconsultable en vertu du paragraphe 18(1), et la
seconde consiste à déterminer si la Cour peut exiger de vérifier
l'existence du dossier et, s'il en existe un, exiger de le voir.
L'intimé soutient que l'on doit répondre par la négative à ces
deux questions lorsque le Commissaire à la protection de la vie
privée n'a pas cherché à en obtenir la révision judiciaire en
vertu de l'article 43. L'intimé se fonde sur la maxime d'inter-
prétation expressio unius est exclusio alterius. Il soutient que
puisque l'article 36 de la Loi prévoit expressément que le
Commissaire à la protection de la vie privée peut faire enquête
sur les dossiers classés dans un fichier inconsultable et se fonder
sur l'article 43 pour demander à la Cour fédérale de les réviser,
c'est la seule situation dans laquelle la Cour peut faire une telle
révision.
Le requérant se fonde sur l'article 45 qui s'applique aux
demandes présentées en vertu de l'article 41 et qui prévoit que
«Nonobstant toute autre loi du Parlement ou toute immunité
reconnue par le droit de la preuve, la Cour a ... accès à tous les
renseignements, quels que soient leur forme et leur support, qui
relèvent d'une institution fédérale». L'article 48 permet à la
Cour de déterminer si le responsable de l'institution est autorisé
à refuser la communication des renseignements. L'article 49
prévoit que lorsque le refus de communication a été fondé sur
certains articles en particulier, la Cour peut seulement détermi-
ner si le refus de communication des renseignements personnels
par le responsable de l'institution fédérale était fondé ou non
sur des motifs valables. Bien que le fichier ait été classé
inconsultable parce qu'il était formé de dossiers ne contenant
que des renseignements personnels visés à l'article 21, le vérita-
ble refus de communiquer les renseignements n'était fondé que
sur l'article 18. Par conséquent, l'article 48 s'applique en ce qui
a trait à l'ordonnance que la Cour peut rendre.
Jugement: l'examen des demandes de révision des refus de
communication des renseignements personnels relève des pou-
voirs généraux de la Cour.
Le caractère général des mots «révision de la décision»
employés à l'article 41 est suffisant pour permettre, à l'intérieur
des limites qui sont autrement imposées par la Loi, d'examiner
la conduite du gouverneur en conseil, du solliciteur général, de
la GRC et du Commissaire à la protection de la vie privée en ce
qui a trait au refus de communiquer au requérant les renseigne-
ments qu'il cherche à obtenir.
Premièrement, le refus du Commissaire à la protection de la
vie privée de confirmer ou de nier l'existence de dossiers
personnels dans les fichiers inconsultables confirmait qu'il avait
effectué une enquête et qu'il ne lui appartenait pas de confir-
mer ou de nier l'existence de renseignements personnels concer-
nant le requérant. Deuxièmement, la GRC, en vertu du para-
graphe 16(2), et le Commissaire à la protection de la vie privée,
en vertu de l'alinéa 65b), avaient le droit de refuser de confir-
mer ou de nier l'existence de renseignements personnels concer-
nant le requérant. La Cour fédérale est tenue en vertu de
l'alinéa 46(1)b) de prendre des précautions pour éviter une telle
divulgation. Troisièmement, l'article 43 exprime une faculté, et
le Commissaire a le pouvoir d'apprécier s'il doit ou non deman-
der le contrôle judiciaire.
Lorsqu'elle est saisie d'une demande «en révision de la déci-
sion de refus» fondée sur l'article 41, la Cour a le droit de
vérifier l'existence d'un dossier concernant le requérant et, s'il
en existe un, s'il a été inclus à juste titre dans le fichier de
renseignements personnels. Le fichier aurait été classé inconsul-
table parce qu'il était formé de dossiers dans chacun desquels
dominaient les renseignements visés à l'article 21. La Cour est
autorisée à examiner tout dossier afin de déterminer s'il con-
tient principalement des renseignements personnels.
Il ne s'agit pas d'une situation qui convient à l'application de
la maxime expressio unius est exclusio alterius. Les articles
41, 45, 46 et 48 confèrent à la Cour les pouvoirs généraux de
connaître des demandes de révision des refus de communication
des renseignements personnels. La portée de ces pouvoirs géné-
raux ne doit pas être restreinte parce que le Commissaire à la
protection de la vie privée a été investi de façon précise du
pouvoir de chercher à obtenir une telle révision. Le Parlement
n'a pas limité la portée de ces pouvoirs généraux. Au lieu de
cela, les articles 41 et 45 donnent à la Cour carte blanche pour
examiner les renseignements qui relèvent d'une institution fédé-
rale, à l'exception des renseignements confidentiels du Conseil
privé de la Reine «Nonobstant toute autre loi du Parlement ou
toute immunité reconnue par le droit de la preuve« en tenant
compte seulement de la nécessité d'éviter toute divulgation
inappropriée comme le prévoit l'article 46. En adoptant de
telles dispositions générales, le Parlement doit avoir fait en
sorte que le droit de l'individu au contrôle judiciaire soit aussi
efficace en ce qui a trait au fichier inconsultable qu'aux
renseignements personnels classés sous d'autres formes. Compte
tenu du fait que l'article 41 confère un pouvoir général de
demander la révision judiciaire des refus, le Parlement ne
pouvait avoir l'intention de restreindre le rôle de la Cour à la
simple lecture du décret en conseil rendant le fichier inconsulta-
ble et à celui de comparer le numéro de répertoire du fichier à
celui qui est visé dans la demande de renseignements person-
nels. Il n'y a rien d'anormal à ce qu'un régime spécial soit prévu
à l'article 36 pour la révision des fichiers inconsultables par le
Commissaire, en plus du pouvoir général de révision de dossiers
personnels classés dans un tel fichier à la demande de l'individu
visé. En vertu de l'article 36, le Commissaire peut, de sa propre
initiative, réviser de manière continue des fichiers entiers. Ce
sont des révisions systémiques qui ne résultent pas d'une plainte
d'un individu et qui exigent un pouvoir spécial. Lorsque le
Commissaire n'est pas satisfait de la réponse de l'institution
fédérale à ses recommandations, il est logique que soient pré-
vues des dispositions spéciales lui permettant de demander une
révision par la Cour. Une telle révision ne serait pas conforme
au texte des articles 41 ou 42. Les ordonnances autorisées par
les articles 48 et 49 ne sont pas appropriées parce qu'il n'y a pas
de plainte déposée par un individu et c'est pour cette raison que
les pouvoirs spéciaux de l'article 50 étaient nécessaires. La Loi
ne comporte aucune ambiguïté, compte tenu du droit évident
du requérant, en vertu de l'article 41, d'exercer un recours en
révision du refus et de la responsabilité de la Cour d'examiner
une telle demande.
L'article 46 prévoit le recours approprié. L'article 51 ne
s'applique pas parce que le refus n'était pas fondé sur l'article
21. L'intimé doit déposer un affidavit portant sur l'existence ou
non de renseignements personnels concernant le requérant dans
le fichier de renseignements. Si un tel dossier existe, il devra
être annexé à l'affidavit à titre de pièce. Ces documents devront
être présentés dans une enveloppe scellée qui ne pourra être
ouverte que par le juge en chef adjoint ou tout autre juge qu'il
peut désigner. L'audience initiale doit avoir lieu à huis clos en
présence des deux parties ou de leurs représentants. Il doit être
donné avis au Commissaire à la protection de la vie privée de la
prochaine audition.
JURISPRUDENCE
DÉCISION CITÉE:
Heydon's Case (1584), 3 Co. Rep. 7a; 76 E.R. 637
(K.B.D.).
A COMPARU:
Nick Ternette pour son propre compte.
AVOCAT:
Barbara Mclsaac pour l'intimé.
LE REQUÉRANT, POUR SON PROPRE COMPTE:
Nick Ternette.
PROCUREUR:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER:
Faits
Il s'agit d'une demande présentée en vertu de
l'article 41 de la Loi sur la protection des rensei-
gnements personnels qui a été édictée comme l'an-
nexe II, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111. Cette Loi
est, d'une manière générale, entrée en vigueur en
1983 et remplace la Partie IV de la Loi canadienne
sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap.
33. La Partie IV prévoyait le premier régime
global de protection des renseignements personnels
conservés par le gouvernement du Canada et pré-
voyait le droit pour les particuliers intéressés
d'avoir accès à ceux-ci. Étant donné qu'un certain
nombre d'articles de la Loi sur la protection des
renseignements personnels sont visés dans la pré-
sente demande, je cite les plus importants in
extenso dans l'annexe au jugement.
Après l'adoption de la Loi sur la protection des
renseignements personnels et avant son entrée en
vigueur, un décret en conseil a été adopté le 22
avril 1983 classant parmi les fichiers inconsulta-
bles, en conformité avec l'article 18 de la Loi, un
fichier de renseignements personnels de la GRC
décrit comme Dossiers du Service de sécurité, n°
GRC-P130. Comme l'exige l'article 18, le décret
en conseil DORS/83-374 précise que le fichier est
inconsultable en vertu de l'article 21 de la Loi sur
la protection des renseignements personnels. Il
faut souligner que l'article 21 porte sur des rensei-
gnements dont la divulgation risquerait vraisem-
blablement de porter préjudice à la conduite des
affaires internationales, à la défense du Canada,
ou à la prévention ou à la répression d'activités
subversives.
Le 19 août 1983, le requérant en l'espèce, Nick
Ternette, a demandé en vertu du paragraphe 12(1)
de la Loi sur la protection des renseignements
personnels l'accès aux renseignements personnels
le concernant et versés dans ce fichier de rensei-
gnements personnels. Il a demandé qu'on lui com
munique les renseignements
[TRADUCTION] ... qui visent précisément les activités ayant
trait à un changement de gouvernement au Canada ou ailleurs
par la force ou la violence, par l'utilisation de la force, par
l'incitation à utiliser la force ou par la création ou l'exploitation
d'un désordre civil (ces activités auraient eu lieu au Manitoba
et en Alberta).
Dans une lettre du 19 septembre 1983 de M. P. E.
J. Banning, coordonnateur ministériel de l'accès à
l'information et de la protection des renseigne-
ments personnels, la GRC a répondu à M. Ter-
nette de la manière suivante:
[TRADUCTION] Nous avons reçu votre demande de renseigne-
ments le 14 septembre 1983. Le gouverneur en conseil a classé
parmi les fichiers de renseignements personnels inconsultables,
en vertu de l'article 18 de la Loi sur la protection des rensei-
gnements personnels, nos Dossiers du Service de sécurité. Nous
ne pouvons donner suite à votre demande et nous ne pouvons
confirmer l'existence de renseignements vous concernant. Cette
mesure est nécessaire pour préserver le caractère confidentiel
de cette catégorie de renseignements.
Vous avez le droit de déposer une plainte concernant votre
demande devant le Commissaire à la protection de la vie privée
Dans une lettre subséquente non datée, M. Ter-
nette a porté plainte auprès du Commissaire à la
protection de la vie privée contre les décisions de la
GRC, c'est-à-dire le refus de confirmer ou de nier
l'existence de renseignements le concernant et, s'ils
existent, le refus de l'autoriser à les examiner. Par
lettre du 13 décembre 1983, le Commissaire à la
protection de la vie privée, après avoir souligné que
le fichier en question avait été classé par le gouver-
neur en conseil parmi les fichiers de renseigne-
ments personnels inconsultables, a donné la
réponse suivante au requérant:
[TRADUCTION] Mon mandat consiste uniquement à veiller à ce
que les renseignements personnels classés dans de tels fichiers
ne soient pas conservés ni utilisés de manière irrégulière. Je ne
confirmerai ni ne nierai l'existence de dossiers personnels dans
les fichiers inconsultables classés comme tels.
L'enquête effectuée pour votre compte m'a assuré que les
fonctionnaires de la GRC ont agi conformément à la loi en vous
répondant comme ils l'ont fait. Je n'ai aucune raison de con-
clure qu'on vous a refusé l'exercice d'un droit en vertu de la Loi
sur la protection des renseignements personnels.
Si vous désirez maintenir votre demande d'accès à ce fichier,
vous avez, évidemment, le droit d'interjeter appel de ma déci-
sion à la Cour fédérale du Canada.
Par son avis de requête introduisant la présente
demande, le requérant a demandé que [TRADUC-
TION] «l'honorable Cour fixe la date et le lieu de la
révision de la décision de refuser l'accès à des
renseignements en vertu des dispositions de la Loi
sur la protection des renseignements person-
nels ...». A l'audience, le requérant, qui n'était pas
représenté par un avocat, a ajouté à sa demande
générale certaines plaintes précises contre le Com-
missaire à la protection de la vie privée. Il a
allégué que la lettre du Commissaire indiquait que
celui-ci n'avait pas effectué d'enquête; qu'il avait
omis de faire savoir au requérant si de tels rensei-
gnements le concernant étaient classés dans ce
fichier inconsultable et qu'il avait omis de deman-
der à la Cour d'examiner le dossier du requérant
(s'il y en avait un dans ce fichier) comme il était
autorisé à le faire en vertu de l'article 43 de la Loi.
Dans la mesure où ces dernières plaintes devraient
être considérées comme la demande d'un redresse-
ment précis contre le Commissaire à la protection
de la vie privée, tel le mandamus, je ne crois pas
qu'elles puissent être entendues sans que le Com-
missaire à la protection de la vie privée soit partie
aux procédures.
Toutefois, je crois que, compte tenu de la Loi et
de l'avis de requête, la présente demande devrait
être traitée comme fondée sur l'article 41 de la Loi
selon lequel «L'individu qui s'est vu refuser com
munication de renseignements personnels deman
dés en vertu du paragraphe 12(1) et qui a déposé
ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le
Commissaire à la protection de la vie privée peut
... exercer un recours en révision de la décision de
refus devant la Cour.» Il me semble que le carac-
tère général des mots «révision de la décision» est
suffisant pour me permettre, à l'intérieur des limi-
tes qui sont autrement imposées par la Loi, d'exa-
miner la conduite du gouverneur en conseil, du
solliciteur général, de la GRC et du Commissaire à
la protection de la vie privée en ce qui a trait au
refus de communiquer au requérant les renseigne-
ments qu'il cherche à obtenir. J'ajouterais que bien
que l'article 41 exige normalement le dépôt de la
demande dans un délai de 45 jours suivant le
compte rendu du Commissaire à la protection de la
vie privée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, je suis
prêt à exercer le pouvoir discrétionnaire que me
confère cet article pour proroger le délai de
manière à permettre l'audition de la présente
demande qui a été déposée le 7 mars 1984, bien
qu'il se soit écoulé environ soixante-quinze jours
entre le dépôt et l'envoi par la poste par le Com-
missaire à la protection de la vie privée du compte
rendu de son enquête.
Conclusions initiales
Si l'on procède de cette manière, je suis incon-
testablement autorisé à rendre certaines décisions
en me fondant sur le dossier public que j'ai déjà
mentionné. De cette manière, je peux régler certai-
nes des plaintes du requérant. Premièrement, je
n'accepte pas son argument selon lequel le Com-
missaire à la protection de la vie privée admet dans
sa lettre qu'il n'a pas effectué d'enquête. Cette
conclusion est fondée principalement sur la phrase
suivante de la lettre: «Je ne confirmerai ni ne nierai
l'existence de dossiers personnels dans les fichiers
inconsultables classés comme tels.» Selon moi, il
est évident que, d'après le contexte, le Commis-
saire à la protection de la vie privée confirmait en
fait qu'il avait effectué une enquête et faisait
remarquer qu'il ne lui appartenait pas de confir-
mer ou de nier l'existence de renseignements con-
cernant le requérant dans ce fichier de renseigne-
ments personnels. Deuxièmement, compte tenu de
l'économie de la Loi, la GRC et le Commissaire à
la protection de la vie privée avaient le pouvoir de
refuser de confirmer ou de nier l'existence de
renseignements personnels concernant le requérant
dans ce fichier inconsultable. Le paragraphe 16(2)
précise que le responsable d'une institution fédé-
rale n'est pas obligé, lorsqu'il refuse de communi-
quer des renseignements personnels demandés en
vertu du paragraphe 12(1), d'indiquer s'il existe
des renseignements personnels concernant le
requérant. L'alinéa 65b) dit expressément que le
Commissaire à la protection de la vie privée doit
éviter lors d'une enquête que ne soit divulguée
l'existence de tels renseignements lorsque le res-
ponsable d'une institution fédérale a refusé de les
communiquer. De même, cette Cour, dans les pro-
cédures de révision, est obligée en vertu de l'alinéa
46(1)b) de la Loi de prendre des précautions pour
éviter une telle divulgation. (La théorie je n'ai
pas à déterminer si elle est fondée sur la réalité ou
non—sur laquelle reposent apparemment ces dis
positions veut que la simple divulgation de l'exis-
tence de renseignements pourrait indiquer au
requérant que, par exemple, ses activités ont été
surveillées, et donc nuire à l'application des lois,
aux mesures anti -subversives, etc.) Troisièmement,
la plainte adressée à la présente Cour selon
laquelle le Commissaire à la protection de la vie
privée n'a pas exercé le droit que lui confère
l'article 43 de demander l'examen des dossiers
versés dans un fichier inconsultable classé comme
tel en vertu de l'article 18 n'est nullement fondée.
Comme je le ferai remarquer plus loin, je pense
que l'article 43 ne s'applique pas en l'espèce. Mais
même s'il s'appliquait, il prévoit que «le Commis-
saire à la protection de la vie privée peut demander
à la Cour». (C'est moi qui souligne.) De toute
évidence, cette disposition exprime une faculté et
non une obligation, et le Commissaire a le pouvoir
d'apprécier s'il doit ou non demander le contrôle
judiciaire.
Je crois qu'il n'est pas contesté que, lors d'une
révision prévue à l'article 41, j'ai au moins le droit
de vérifier si le fichier en question a réellement fait
l'objet d'un décret le classant comme inconsulta-
ble. A cette fin, je dois examiner le décret en
conseil. Ainsi, il est évident que le Décret n° 14 sur
les fichiers de renseignements personnels incon-
sultables (GRC) DORS/83-374 a pour but de clas-
ser le fichier de renseignements personnels visé par
la demande de renseignements du requérant parmi
les fichiers de renseignements inconsultables.
Je pense qu'il est également admis que le para-
graphe 18(1) prévoit un critère objectif pour
l'exercice par le gouverneur en conseil du pouvoir
de prendre un décret classant un fichier parmi les
fichiers inconsultables et je conclus en ce sens. Un
tel décret ne peut être pris qu'à l'égard d'un fichier
dont tous les dossiers sont des dossiers dans les-
quels «dominent les renseignements visés aux arti
cles 21 ou 22». Cette situation découle du fait que
les fichiers inconsultables doivent être formés de
dossiers «dans chacun desquels» (c'est moi qui
souligne) dominent ces renseignements.
Questions en litige
Toutefois, il reste à trancher deux questions
difficiles qui soulèvent des problèmes importants et
complexes au sujet de l'interprétation de la Loi.
Comme il s'agit seulement, je crois, de la deuxième
demande présentée à la Cour en vertu de cette Loi,
ces questions sont nouvelles et exigent un examen
approfondi. Voici ces questions: en premier lieu,
cette Cour peut-elle dans de telles circonstances
vérifier si un dossier donné a été inclus à juste titre
dans un fichier inconsultable classé comme tel en
vertu du paragraphe 18(1); et, en deuxième lieu, la
Cour peut-elle exiger de vérifier l'existence d'un
dossier concernant le requérant dans ce fichier
inconsultable et, s'il en existe un, exiger de le voir?
Si l'on répond à la deuxième question par l'affir-
mative, d'autres considérations subsidiaires entrent
en jeu quant à savoir quelles procédures prévues
dans la Loi relativement au contrôle judiciaire
s'appliqueraient à la situation.
Position de l'intimé
L'intimé, le solliciteur général du Canada, sou-
tient que l'on doit répondre par la négative à ces
questions fondamentales lorsque le Commissaire à
la protection de la vie privée n'a pas cherché à
obtenir, en vertu de l'article 43, la révision judi-
ciaire d'un dossier versé dans un fichier inconsulta-
ble. L'avocat souligne que l'article 36, le seul
article inscrit sous la rubrique EXAMEN DES
FICHIERS INCONSULTABLES dans la Loi, prévoit
précisément une enquête du Commissaire à la
protection de la vie privée sur les dossiers versés
dans un fichier inconsultable. Le paragraphe 36(5)
permet expressément au Commissaire à la protec
tion de la vie privée, lorsqu'il n'est pas satisfait de
la réponse de l'institution fédérale ou des mesures
adoptées par celle-ci à la suite de son enquête et du
rapport que prévoit cet article, de présenter une
demande à la Cour fédérale en vertu de l'article
43. L'article 43 indique que dans les circonstances
particulières décrites au paragraphe 36(5), c'est le
Commissaire à la protection de la vie privée qui
peut demander à la Cour «d'examiner les dossiers
versés dans un fichier inconsultable classé comme
tel en vertu de l'article 18». De plus, l'article 50
commence par les mots «La Cour, saisie d'un
recours en vertu de l'article 43», et prévoit ensuite
que, si elle conclut qu'un dossier n'aurait pas dû
être versé dans le fichier inconsultable, la Cour
doit ordonner à l'institution fédérale de retirer ce
dossier du fichier. L'article 51, qui prescrit une
procédure particulière pour la révision par la Cour
de documents plus délicats, inclut parmi celles qui
doivent faire l'objet de procédures particulières les
demandes présentées en vertu de l'article 43
(c'est-à-dire par le Commissaire à la protection de
la vie privée). L'intimé soutient que, puisque la loi
contient des dispositions précises permettant au
Commissaire à la protection de la vie privée de
demander la révision de dossiers classés dans un
fichier inconsultable, c'est la seule situation dans
laquelle la Cour peut faire une telle révision. En
fait, sans l'exprimer de cette manière, l'intimé se
fonde sur la maxime d'interprétation expressio
unius est exclusio alterius. , De cet argument
découle un autre corollaire: ce pouvoir général
dont disposerait la Cour en matière d'examen
d'une demande soumise par un particulier pour la
révision d'un refus de communication des rensei-
gnements personnels en vertu de l'article 41,
comme nous le verrons ci-après, se limite, en ce qui
concerne les renseignements personnels classés
dans un fichier inconsultable, à déterminer si en
fait un décret en conseil a été pris pour classer ce
fichier en particulier comme inconsultable. Une
fois que la Cour s'est prononcée à ce sujet, elle ne
peut rien faire d'autre lorsque la demande de
révision est présentée par l'individu intéressé.
La position du requérant
En revanche, la position la plus favorable au
requérant en l'espèce—que j'ai dû extrapoler de sa
propre argumentation et d'une étude approfondie
du texte de la Loi—consiste à dire que, en vertu de
l'article 41 qui s'applique à «L'individu qui s'est vu
refuser communication de renseignements person-
nels demandés en vertu du paragraphe 12(1)»,
(c'est clairement la situation du requérant en l'es-
pèce) ce dernier peut «exercer ûn recours en révi-
sion de la décision de refus devant la Cour». L'arti-
cle 45, qui s'applique notamment aux demandes
présentées en vertu de l'article 41 prévoit que:
45. Nonobstant toute autre loi du Parlement ou toute immu-
nité reconnue par le droit de la preuve, la Cour a ... accès à
tous les renseignements, quels que soient leur forme et leur
support, qui relèvent d'une institution fédérale, à l'exception des
renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour
le Canada ...; aucun des renseignements auxquels la Cour a
accès en vertu du présent article ne peut, pour quelque motif
que ce soit, lui être refusé. [C'est moi qui souligne.]
L'article 46 exige que la Cour, dans le cadre de
telles auditions y compris les procédures relatives
aux recours prévus à l'article 41, effectue sa révi-
sion de manière à ne pas divulguer les renseigne-
ments qui en vertu de la Loi ne doivent pas être
divulgués.
Ensuite, dans le cas d'une demande présentée à
juste titre en vertu de l'article 41, ce sont les
articles 48 et 49 de la Loi qui prévoient le genre de
décision que la Cour est autorisée à rendre. L'arti-
cle 48 confère un pouvoir plus général qui permet
à la Cour, dans la plupart des cas, de déterminer si
le responsable de l'institution fédérale était auto-
risé à refuser la communication des renseigne-
ments personnels en question. Si la Cour juge qu'il
ne l'était pas, elle peut lui ordonner de communi-
quer les renseignements qui font l'objet de la
demande. L'article 49 crée en fait une exception à
ce pouvoir général de la Cour. Il prévoit que
lorsque le refus de communication a été fondé sur
certains articles en particulier—apparemment
ceux qui portent sur des questions plus délicates
concernant par exemple la sécurité nationale, etc.,
y compris l'article 21—la Cour peut déterminer
uniquement si le refus de communication des ren-
seignements personnels par le responsable de l'ins-
titution fédérale était ou non fondé «sur des motifs
valables». Cet article limite quelque peu le pouvoir
de la Cour d'annuler la décision du responsable de
l'institution, mais si elle juge qu'il n'y avait pas de
tel motif valable, elle peut de la même manière
ordonner au responsable de communiquer les ren-
seignements. Ces deux articles permettent à la
Cour de rendre «une autre ordonnance si elle
l'estime indiqué». En l'espèce, le fichier était classé
comme inconsultable parce qu'il était formé de
dossiers dans chacun desquels dominaient les ren-
seignements visés à l'article 21, mais le véritable
refus de communiquer les renseignements au
requérant, comme l'indique la lettre susmention-
née de la GRC datée du 19 septembre 1983, n'est
fondé que sur l'article 18 de la Loi. Notons que la
lettre précisait que ce fichier était «classé parmi les
fichiers de renseignements personnels inconsulta-
bles, en vertu de l'article 18 de la Loi sur la
protection des renseignements personnels». En
vertu de l'alinéa 16(1)b) de la Loi, le responsable
de l'institution est tenu, s'il refuse la communica
tion, d'indiquer la disposition précise de la Loi sur
laquelle il fonde son refus. A mon avis, il est
fondamental pour l'exercice par le requérant de
tous les recours subséquents, que le responsable
soit lié par les motifs qu'il allègue dans son avis de
refus. Par conséquent, il semble que le refus de
communiquer les renseignements personnels en
l'espèce ne devrait pas être considéré comme fondé
sur l'article 21 mais plutôt sur l'article 18. Dans ce
cas, l'article 48 s'applique en ce qui a trait à
l'ordonnance que la Cour peut rendre, si en fait
elle est par ailleurs autorisée à traiter du fond de la
plainte d'un individu concernant l'inclusion de son
dossier dans un fichier inconsultable.
Conclusion
Bien que l'argumentation de l'intimé ait une
certaine valeur, je ne peux conclure qu'il s'agit
d'une situation qui convient à l'application de la
maxime expressio unius est exclusio alterius. Si
ce n'était des renvois précis au droit du Commis-
saire à la protection de la vie privée de demander
la révision d'un dossier versé dans un fichier incon-
sultable et aux procédures prévues à cette fin, il ne
ferait aucun doute que cette question relèverait à
juste titre des pouvoirs généraux de la Cour de
connaître des demandes de révision des refus de
communication des renseignements personnels,
conformément aux termes généraux des articles
41, 45, 46 et 48. Je ne suis pas prêt à restreindre la
portée de ces pouvoirs généraux pour la simple
raison qu'on a également jugé bon de décrire avec
précision le droit du Commissaire à la protection
de la vie privée de chercher à obtenir une telle
révision. Il aurait été facile pour le Parlement de
restreindre la portée des articles 41, 45 et 48 ou
d'indiquer clairement qu'ils ne s'appliquent pas
lorsque le paragraphe 36(5), l'article 43 et l'article
50 s'appliquent. Mais le Parlement ne l'a pas fait.
Au lieu de cela, l'article 41 donne à l'individu qui
s'est vu refuser la communication, le droit général
d'exercer «un recours en révision de la décision de
refus» devant la Cour et, dans de tels cas, l'article
45 donne à la Cour carte blanche pour examiner
les renseignements qui relèvent d'une institution
fédérale, à l'exception des renseignements confi-
dentiels du Conseil privé de la Reine «Nonobstant
toute autre Loi du Parlement ou toute immunité
reconnue par le droit de la preuve», ce qui donne
clairement à la Cour le pouvoir et la responsabilité
de connaître de ces demandes en tenant compte
seulement de la nécessité d'éviter toute divulgation
inappropriée comme le prévoit l'article 46. En
adoptant de telles dispositions générales, le Parle-
ment doit avoir fait en sorte que le droit de l'indi-
vidu au contrôle judiciaire soit aussi efficace en ce
qui a trait au fichier inconsultable qu'aux rensei-
gnements personnels classés sous d'autres formes.
L'interprétation que donne l'intimé en l'espèce des
articles 41 et 48 signifierait qu'en réponse à la
demande de révision, la Cour n'aurait d'autre pou-
voir que de lire le décret en conseil rendant le
fichier inconsultable. Une fois que la Cour aurait
lu le décret en conseil et comparé le numéro de
répertoire du fichier à celui qui est visé dans la
demande de renseignements personnels, ses pou-
voirs seraient épuisés. On ne peut supposer que le
Parlement avait l'intention de donner un rôle aussi
banal et insignifiant à la Cour alors qu'il accordait
aux individus concernés, à l'article 41, un pouvoir
général de demander la révision judiciaire des
refus des institutions fédérales de communiquer
des renseignements personnels.
En fait, il n'y a rien d'anormal à ce qu'un
régime spécial soit prévu à l'article 36 pour la
révision des fichiers inconsultables par le Commis-
saire, en plus du droit général de révision de
dossiers particuliers classés dans un tel fichier à la
demande de l'individu visé. En vertu de l'article
36, le Commissaire peut, de sa propre initiative,
réviser de manière continue des fichiers entiers
comme l'article 37 l'autorise à contrôler la gestion
des renseignements personnels par une institution
fédérale afin de vérifier si les exigences des articles
4 à 8 ont été observées en ce qui a trait à la
protection et à l'utilisation de telles données. Ce
sont des révisions systémiques qui ne résultent pas
d'une plainte déposée par un individu. Elles exi
gent donc un pouvoir spécial. Lorsque le Commis-
saire contrôle, de sa propre initiative, un fichier
inconsultable en vertu de l'article 36 et qu'il n'est
pas satisfait de la réponse de l'institution fédérale
à ses recommandations, il est logique que les arti
cles 43 et 50 prévoient des dispositions spéciales lui
permettant de demander une révision par la Cour.
Une telle révision ne serait pas conforme au texte
des articles 41 ou 42. Les ordonnances autorisées
par les articles 48 et 49 ne sont pas appropriées
parce qu'il n'y a pas de plainte déposée par un
individu et c'est pour cette raison que les pouvoirs
spéciaux de l'article 50 étaient nécessaires.
À mon avis, la Loi ne comporte donc aucune
ambiguïté sur ce point compte tenu du droit évi-
dent du requérant, en vertu de l'article 41, d'exer-
cer un recours en révision du refus et de la respon-
sabilité de la Cour d'examiner une telle demande.
Comme il n'y a aucune ambiguïté, il n'y a pas lieu
d'appliquer la maxime expressio unius est exclu-
sio alterius.
De plus, l'avocat de l'intimé m'a invité à exami
ner un document de travail du Cabinet datant de
juin 1980, et portant le titre [TRADUCTION] «Loi
sur la protection des renseignements personnels»
qui, je crois, a été présenté au Cabinet fédéral au
moment où les décisions politiques ont été prises
sur ces mesures législatives. Répondant à mes
questions, l'avocat m'a assuré qu'il ne s'agissait
pas de «renseignements confidentiels du Conseil
privé de la Reine pour le Canada» que l'article 45
m'aurait interdit de lire; j'ai donc examiné le
document de travail pour déterminer s'il pouvait
m'aider dans l'interprétation de la Loi. Je l'ai fait
dans un but très précis qui est aussi, je crois, le
seul usage que l'on peut faire de ce genre de
documents dans l'interprétation des lois (et non la
détermination de leur caractère constitutionnel)
c'est-à-dire pour définir, selon l'expression classi-
que de l'affaire Heydon's Case (1584), 3 Co. Rep.
7a; 76 E.R. 637 (K.B.D.), le [TRADUCTION] «mal»
auquel le Parlement tentait de remédier et le
redressement qui a été adopté. Voir également
Driedger, The Construction of Statutes, 2e éd.,
1983, aux pages 73 à 79. Encore une fois, il est
douteux que l'on puisse avoir recours à de telles
aides en matière d'interprétation lorsque la loi
n'est pas vraiment ambiguë. Toutefois, même si je
me trompais sur l'absence d'ambiguïté, je n'ai pas
trouvé les éclaircissements voulus dans ce docu
ment de travail sur le «mal» ou le remède. Malheu-
reusement, le document de travail ne traite pas
précisément de la question que je dois examiner en
l'espèce, c'est-à-dire le droit de l'individu à l'exer-
cice devant la Cour d'un recours en révision de son
dossier, s'il y en a un, versé dans un fichier incon-
sultable. Le document, après discussion de l'utili-
sation des fichiers inconsultables en vertu des dis
positions législatives antérieures (Partie IV de la
Loi canadienne sur les droits de la personne),
recommande le maintien de ce système avec quel-
ques modifications. Il ajoute:
[TRADUCTION] De plus, il faut examiner la possibilité de
prévoir un mécanisme de révision des renseignements contenus
dans les fichiers inconsultables. Le Commissaire à la protection
de la vie privée aurait le pouvoir de réviser le contenu des
fichiers inconsultables et, en cas de divergence d'opinions entre
le Commissaire et le Ministre responsable sur la question de
savoir si des renseignements ont été classés à juste titre dans un
fichier, de renvoyer la question devant les tribunaux. Une telle
disposition fournirait un moyen de contrôler le genre de rensei-
gnements entrant dans les fichiers inconsultables.
Notons que le document ne traite précisément que
du droit du Commissaire à la protection de la vie
privée d'examiner les fichiers inconsultables et de
demander le contrôle judiciaire. Il ne donne
aucune raison justifiant l'exclusion du droit des
individus de demander le contrôle judiciaire en ce
qui a trait à leur propre dossier. En fait, le docu
ment indique ailleurs, à la page 6, que le [TRA-
DUCTION] «droit d'interjeter appel à la Cour fédé-
rale» par les individus devrait être identique dans
la Loi sur l'accès à l'information et dans la Loi sur
la protection des renseignements personnels. (Il ne
semble pas y avoir de disposition comparable rela-
tivement aux fichiers inconsultables dans la Loi
sur l'accès à l'information.) Le «mal» auquel il
doit être remédié n'est pas vraiment décrit dans le
document de travail, mais il en ressort l'impression
générale que l'une des faiblesses de la loi anté-
rieure était de ne pas prévoir le droit de demander
la révision par les tribunaux du refus d'une institu
tion fédérale de communiquer des renseignements
personnels. Même si ce document de travail peut
donner une idée de l'intention du Cabinet en 1980,
il ne démontre évidemment pas que telle était
l'intention du Parlement en 1982 lorsque la loi a
été adoptée, après de nombreux débats et amende-
ments. En dernière analyse, cette intention doit
être déduite des termes de la loi telle que finale-
ment adoptée.
Par conséquent, je conclus que dans un «recours
en révision de la décision de refus» en vertu de
l'article 41 comme en l'espèce, la présente Cour est
autorisée à vérifier s'il y a vraiment un dossier
concernant le requérant dans ce fichier de rensei-
gnements personnels et, dans l'affirmative, s'il y a
été versé à juste titre. Comme je l'ai déjà dit, un
fichier ne doit être classé parmi les fichiers incon-
sultables en vertu du paragraphe 18 (1) de la Loi
que si dans tous les dossiers qu'il contient «domi-
nent les renseignements visés aux articles 21 ou
22». La condition préalable à l'inclusion de tout
dossier est formulée en termes objectifs et non en
des termes subjectifs, comme par exemple: «lors-
que le gouverneur en conseil estime que ...» une
telle condition existe. Le fichier visé en l'espèce est
censé avoir été classé comme inconsultable parce
qu'il est formé de dossiers dans chacun desquels
dominent les renseignements visés à l'article 21.
La Cour est donc autorisée à examiner tout dossier
versé dans le fichier inconsultable qui fait l'objet
d'une demande en vertu de l'article 41 pour déter-
miner s'il contient des dossiers dans chacun des-
quels dominent les renseignements visés à l'article
21. Si elle constate qu'il ne s'agit pas d'un dossier
où dominent ces renseignements, cela signifie que
ce dossier n'aurait pas dû être versé dans ce fichier
et la Cour est autorisée à rendre l'ordonnance
appropriée en vertu de l'article 48.
Comme je l'ai dit auparavant, il me semble que
l'article 46 de la Loi prévoit la procédure appro-
priée pour entendre une telle demande. L'avocat
de l'intimé soutient que l'article 51, qui contient
des dispositions obligatoires plutôt que facultatives
concernant le maintien du secret, constitue l'article
pertinent pour le motif qu'il s'agirait d'une
demande relative à un refus de communication
fondé sur l'article 21. Comme je l'ai fait remar-
quer précédemment, le refus de la GRC était
fondé sur l'article 18 et je pense que l'intimé est lié
par cette position. Cela signifie que c'est la procé-
dure prévue à l'article 46 qui s'applique et non
celle de l'article 51. L'avocat de l'intimé a égale-
ment fait savoir à la Cour que si une telle révision
devait avoir lieu, l'intimé devrait avoir le droit de
présenter des arguments en l'absence d'une autre
partie. La Cour peut également ordonner une telle
mesure en vertu de l'article 46. La Cour a égale-
ment la possibilité, en vertu de l'article 46, de tenir
des audiences à huis clos. De plus, cet article
prévoit que la Cour doit éviter que ne soient
divulgués des renseignements faisant état notam-
ment de l'existence même de renseignements per-
sonnels dans une affaire comme l'espèce.
Par conséquent, je conclus que l'intimé devrait
déposer devant la Cour un affidavit portant sur
l'existence ou non de renseignements personnels
concernant le requérant dans ce fichier de rensei-
gnements. Si un tel dossier existe, l'original ou une
copie de celui-ci devra être annexée à l'affidavit.
Ces documents devront être présentés dans une
enveloppe scellée qui ne pourra être ouverte que
par le juge en chef adjoint ou tout autre juge qu'il
peut désigner et conservés jusqu'à ce que la dispo
sition en soit ordonnée. L'affaire devra d'abord
être débattue à la date et au lieu que fixera le juge
en chef adjoint, devant celui-ci ou tout autre juge
qu'il peut désigner. J'ordonnerais, en vertu de l'ar-
ticle 46, que l'audience initiale soit tenue à huis
clos en présence des deux parties ou devant leurs
représentants si elles le désirent, sous réserve de
toute autre disposition du juge qui préside à l'af-
faire en ce qui a trait aux procédures d'audition
d'arguments en l'absence d'une partie ou toute
autre question.
Comme je crois qu'il serait utile de connaître
l'opinion du Commissaire à la protection de la vie
privée sur ces' questions (particulièrement pour
savoir quelle était son intention lorsqu'il a averti le
requérant qu'il avait le droit d'interjeter appel de
la décision du Commissaire à la Cour fédérale),
j'ordonne également qu'il lui soit donné avis de la
prochaine audition de cette affaire de manière
qu'il puisse, s'il le désire, demander l'autorisation
de comparaître à titre de partie, comme le prévoit
l'alinéa 42c) de la Loi.
ANNEXE
Extraits de la Loi sur la protection des renseigne-
ments personnels, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111,
ann. II
12. (1) Sous réserve de la présente loi, tout citoyen canadien
et tout résident permanent, au sens de la Loi sur l'immigration
de 1976, a le droit de se faire communiquer sur demande:
a) les renseignements personnels le concernant et versés dans
un fichier de renseignements personnels;
16. (1) En cas de refus de communication de renseignements
personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1), l'avis prévu
à l'alinéa 14a) doit mentionner, d'une part, le droit de la
personne qui a fait la demande de déposer une plainte auprès
du Commissaire à la protection de la vie privée et, d'autre part:
a) soit le fait que le dossier n'existe pas;
b) soit la disposition précise de la présente loi sur laquelle se
fonde le refus ou sur laquelle il pourrait vraisemblablement
se fonder si les renseignements existaient.
(2) Le paragraphe (1) n'oblige pas le responsable de l'institu-
tion fédérale à faire état de l'existence des renseignements
personnels demandés.
18. (1) Le gouverneur en conseil peut, par décret, classer
parmi les fichiers de renseignements personnels inconsultables,
dénommés fichiers inconsultables dans la présente loi, ceux qui
sont formés de dossiers dans chacun desquels dominent les
renseignements visés aux articles 21 ou 22.
(2) Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la
communication des renseignements personnels _ demandés en
vertu du paragraphe 12(1) qui sont versés dans des fichiers
inconsultables.
(3) Tout décret pris en vertu du paragraphe (1) doit porter:
a) une mention de l'article sur lequel il se fonde;
b) de plus, dans le cas d'un fichier de renseignements person-
nels formé de dossiers dans chacun desquels dominent des
renseignements visés au sous-alinéa 22(1)a)(ii), la mention
de la loi dont il s'agit.
(L'article 21 vise les renseignements personnels
dont la divulgation risquerait vraisemblablement
de porter préjudice à la conduite des affaires inter-
nationales, à la défense ou à la répression d'activi-
tés subversives. L'article 22 vise les renseignements
personnels qui ont été recueillis au cours d'enquête
pour faire respecter les lois ou dont la divulgation
risquerait vraisemblablement de nuire aux activités
destinées à faire respecter les lois ou à la sécurité
des établissements pénitentiaires.)
29. (1) Sous réserve de la présente loi, le Commissaire à la
protection de la vie privée reçoit les plaintes et fait enquête sur
les plaintes:
b) déposées par des individus qui se sont vu refuser la
communication de renseignements personnels, demandés en
vertu du paragraphe 12(1);
35. (1) Dans les cas où il conclut au bien-fondé d'une plainte
' portant sur des renseignements personnels, le Commissaire à la
protection de la vie privée adresse au responsable de l'institu-
tion fédérale de qui relèvent les renseignements personnels un
rapport où:
a) il présente les conclusions de son enquête ainsi que les
recommandations qu'il juge indiquées;
b) il demande, s'il le juge à propos, au responsable de lui
donner avis, dans un délai déterminé, soit des mesures prises
ou envisagées pour la mise en oeuvre de ses recommanda-
tions, soit des motifs invoqués pour ne pas y donner suite.
(5) Dans les cas où l'enquête portait sur un refus de commu
nication et que, à l'issue de l'enquête, communication n'est pas
donnée au plaignant, le Commissaire à la protection de la vie
privée informe celui-ci de l'existence de son droit de recours en
révision devant la Cour.
36. (1) Le Commissaire à la protection de la vie privée peut,
à son appréciation, tenir des enquêtes sur les dossiers versés
dans les fichiers inconsultables classés comme tels en vertu de
l'article 18.
(3) Dans les cas où, à l'issue de son enquête, il considère que
les dispositions du décret de classement ne justifient pas la
présence de certains dossiers dans le fichier inconsultable, le
Commissaire à la protection de la vie privée adresse au respon-
sable de l'institution fédérale de qui relève le fichier un rapport
où:
a) il présente ses conclusions ainsi que les recommandations
qu'il juge indiquées;
b) il demande, s'il le juge à propos, de lui donner avis, dans
un délai déterminé, soit des mesures prises ou envisagées
pour la mise en œuvre de ses recommandations, soit des
motifs invoqués pour ne pas y donner suite.
(5) Dans les cas où il a demandé l'avis prévu à l'alinéa (3)b),
mais qu'il ne l'a pas reçu dans le délai imparti ou que les
mesures indiquées dans l'avis sont, selon lui, insuffisantes,
inadaptées ou non susceptibles d'être prises en temps utile, le
Commissaire à la protection de la vie privée peut exercer un
recours devant la Cour en vertu de l'article 43.
41. L'individu qui s'est vu refuser communication de rensei-
gnements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) et
qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le
Commissaire à la protection de la vie privée peut, dans un délai
de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire
prévu au paragraphe 35(2), exercer un recours en révision de la
décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après
l'expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation.
43. Dans les cas visés au paragraphe 36(5), le Commissaire à
la protection de la vie privée peut demander à la Cour d'exami-
ner les dossiers versés dans un fichier inconsultable classé
comme tel en vertu de l'article 18.
45. Nonobstant toute autre loi du Parlement ou toute immu-
nité reconnue par le droit de la preuve, la Cour a, pour les
recours prévus aux articles 41, 42 ou 43, accès à tous les
renseignements, quels que soient leur forme et leur support, qui
relèvent d'une institution fédérale, à l'exception des renseigne-
ments confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le
Canada auxquels s'applique le paragraphe 70(1); aucun des
renseignements auxquels la Cour a accès en vertu du présent
article ne peut, pour quelque motif que ce soit, lui être refusé.
48. La Cour, dans les cas où elle conclut au bon droit de
l'individu qui a exercé un recours en révision d'une décision de
refus de communication de renseignements personnels fondée
sur des dispositions de la présente loi autres que celles mention-
nées à l'article 49, ordonne, aux conditions qu'elle juge indi-
quées, au responsable de l'institution fédérale dont relèvent les
renseignements d'en donner communication à l'individu; la
Cour rend une autre ordonnance si elle l'estime indiqué.
49. Dans les cas où le refus de communication des renseigne-
ments personnels s'appuyait sur les articles 20 ou 21 ou sur les
alinéas 22(1)b) ou c) ou 24a), la Cour, si elle conclut que le
refus n'était pas fondé sur des motifs valables, ordonne, aux
conditions qu'elle juge indiquées, au responsable de l'institution
fédérale dont relèvent les renseignements d'en donner commu
nication à l'individu qui avait fait la demande; la Cour rend une
autre ordonnance si elle l'estime indiqué.
50. La Cour, saisie d'un recours en vertu de l'article 43,
ordonne au responsable de l'institution fédérale dont relève le
fichier inconsultable qui contient le dossier en litige de retirer
celui-ci du fichier, ou rend toute autre ordonnance qu'elle
estime indiquée, si elle conclut:
a) dans le cas d'un dossier contenant des renseignements
personnels visés à l'alinéa 22(1)a) ou au paragraphe 22(2),
que le dossier n'aurait pas dû être versé dans le fichier;
b) dans le cas d'un dossier contenant des renseignements
visés à l'article 21 ou à l'alinéa 22(1)b), qu'il n'y a pas de
motifs valables justifiant le versement du dossier dans le
fichier.
51. (1) Les recours visés aux articles 41 ou 42 et portant sur
les cas où le refus de donner communication de renseignements
personnels est lié aux alinéas 19(1)a) ou b) ou à l'article 21 et
sur les cas concernant la présence des dossiers dans chacun
desquels dominent des renseignements visés à l'article 21 dans
des fichiers inconsultables classés comme tels en vertu de
l'article 18 sont exercés devant le juge en chef adjoint de la
Cour fédérale ou tout autre juge de cette Cour qu'il charge de
leur audition.
(2) Les recours visés au paragraphe (1) font, en premier
ressort ou en appel, l'objet d'une audition à huis clos; celle-ci a
lieu dans la région de la Capitale nationale définie à l'annexe de
la Loi sur la Capitale nationale si le responsable de l'institution
fédérale concernée le demande.
(3) Le responsable de l'institution fédérale concernée a, au
cours des auditions en première instance ou en appel et sur
demande, le droit de présenter des arguments en l'absence
d'une autre partie.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.