A-675-81
La Reine (appelante)
c.
Marsh & McLennan, Limited (intimée)
Cour d'appel, juge en chef Thurlow, juge Le Dain
et juge suppléant Clement—Toronto, 18 janvier;
Ottawa, 11 avril 1983.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Remboursement
d'impôt au titre de dividendes — Appel interjeté par la
Couronne de la confirmation par la Division de première
instance d'une décision de la Commission qui a annulé une
cotisation — Placements faits par l'intimée qui est courtier
d'assurance à l'aide de sommes d'argent provenant de verse-
ments de primes et d'autres sources — L'intérêt constitue-t-il
un revenu de placements au Canada au sens de l'art. 129(4)?
— Le volume et la durée des placements ont pour but de
garder beaucoup de liquidités et des fonds suffisants pour
acquitter les dettes de l'entreprise de courtage — La Cour a
décidé à la majorité (le juge en chef Thurlow étant dissident)
que l'intérêt constitue une exception au sens de l'art.
129(4)a)(ii) puisque les sommes d'argent ont été employées ou
détenues pour les fins de l'exploitation de l'entreprise de
courtage — Sommes d'argent employées et investies dans
l'entreprise — Sommes d'argent non détenues en fiducie pour
le compte des assureurs — Relation débiteur-créancier de
l'intimée avec les assureurs et les clients — Sommes d'argent
constituant un bien — L'intérêt constitue un revenu provenant
d'un bien — Chevauchement des sous-al. (ii) et (iii) puisque le
revenu est tiré d'un bien et d'une entreprise dans laquelle le
bien a été utilisé pour les fins d'une activité commerciale et
non comme un simple placement — L'exception s'applique
clairement lorsqu'il est établi (en premier lieu) que le contri-
buable exploite une entreprise et (en second lieu) qu'il y a
usage ou possession du bien à cette fin — «Entreprise» inclut
«entreprise activement exploitée» — Ni le pourcentage du
revenu total provenant de l'intérêt ni la constitution en compa-
gnie privée n'est un facteur déterminant — Les opérations de
placement n'ont rien de statique — Placements et entreprise de
courtage forment un tout — Appel accueilli — Loi de l'impôt
sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 125, 129(4)
(mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 26, art. 86(2)), 248(1) — Loi
de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, art. 21(4) —
The Insurance Act, R.S.O. 1970, chap. 224, art. 347, 355.
L'intimée contribuable a exploité une entreprise de courtage
d'assurance. Lorsqu'un assureur l'avisait qu'il acceptait d'assu-
rer l'un de ses clients contre un risque, l'intimée envoyait à ce
dernier une facture représentant le montant de la prime fixé
par l'assureur. Cette somme, moins une commission convenue,
devait être remise à l'assureur; toutefois, conformément aux
ententes qu'elle a conclues avec de nombreuses compagnies
d'assurances, ententes qui constituent la pratique courante dans
le domaine de l'assurance, l'intimée ne devait remettre les
sommes en question que dans un délai de 60 jours suivant la fin
du mois au cours duquel le risque était accepté. Le client payait
normalement la prime environ 30 jours avant l'expiration de la
période de 60 jours. Lorsque l'intimée recevait la prime et
toutes les autres sommes d'argent, elle les déposait dans un
compte bancaire général ne portant pas intérêt. Ce compte était
en fait un fonds renouvelable: le contenu de ce fonds servait à
acquitter les différentes dettes de l'intimée et à faire des
placements et il n'y avait aucun rapport entre comptes clients et
comptes créditeurs.
Les placements étaient faits en vertu d'une résolution adop-
tée par le conseil d'administration de l'intimée et sous forme de
certificats bancaires à court terme. Lorsqu'un placement venait
à échéance, l'intérêt et le principal étaient versés dans le
compte général. Les sommes investies et la durée de ces place
ments étaient établies en conformité avec la politique de l'inti-
mée de garder beaucoup de liquidités pour les fins de ses
opérations commerciales et afin de s'assurer que l'intimée en
question dispose de fonds suffisants pour remplir, à échéance,
ses obligations financières d'entreprise de courtage. Les cadres
chargés de sélectionner et d'effectuer les placements devaient
surveiller attentivement et de façon continue les besoins de
liquidités de l'entreprise; les placements n'occupaient cependant
qu'une partie minime de leur emploi du temps.
La somme qui fait l'objet du présent litige est l'intérêt obtenu
par l'intimée des placements susmentionnés. Au cours de l'an-
née en cause, cet intérêt représentait environ 9 % du revenu
total avant impôt de l'intimée. Si elle n'avait touché aucun
revenu au titre de l'intérêt, l'intimée aurait quand même fait un
profit intéressant.
La question soumise à la Cour est de savoir si l'intérêt
constitue un «revenu de placements au Canada», tel que défini à
l'alinéa 129(4)a), et peut ainsi être inclus dans le calcul de
l'impôt en main remboursable au titre de dividendes à la fin de
l'année d'imposition. En établissant sa cotisation, le Ministre a
estimé que non. La conclusion contraire de la Commission
d'appel de l'impôt a été confirmée par le juge en chef adjoint,
décision que la Couronne a portée en appel.
Arrêt (le juge en chef Thurlow étant dissident): l'appel
devrait être accueilli.
Le juge Le Dain: Le fonds spéculatif constitué par le total
des primes non remises (moins les commissions) était en tout
temps un bien dont l'intimée a eu l'usage ou la possession aux
fins de son entreprise et il était ainsi visé par l'exclusion prévue
au sous-alinéa 129(4)a)(ii). Pour déterminer si cette exclusion
s'applique, il faut se poser la question suivante: le fonds a-t-il
été employé comme capital de risque dans l'entreprise? Compte
tenu des faits en l'espèce, il faut répondre par l'affirmative,
puisqu'un montant égal à ce fonds spéculatif a été engagé pour
remplir les obligations de la compagnie envers les assureurs et
qu'il a ainsi servi à l'exploitation de l'entreprise.
Le juge suppléant Clement: Le contenu du compte général de
l'intimée ne comporte aucune fiducie au bénéfice des assureurs,
que ce soit en vertu des articles 347 et 355 de The Insurance
Act de l'Ontario ou autrement. Le rapport entre l'intimée et
chacun des assureurs, de même qu'entre l'intimée et chacun de
ses clients, était plutôt un rapport débiteur-créancier.
L'argent versé dans le compte était un «bien» de l'intimée,
suivant la définition du paragraphe 248(1), et au sens de
l'article 129. Par conséquent, l'intérêt provenant du placement
de cet argent constitue un revenu tiré d'un bien. Cette conclu-
sion ne met cependant pas fin à l'analyse de la situation.
Le sous-alinéa 129(4)a)(ii) porte sur le revenu tiré d'un bien
tandis que le sous-alinéa (iii) vise un revenu tiré d'une entre-
prise; il y a toutefois un certain chevauchement entre les deux
dispositions parce que les deux catégories de revenu ne s'ex-
cluent pas. Comme l'a indiqué la Cour de l'Échiquier dans
l'affaire Wertman v. The Minister of National Revenue, il y a
des cas où un revenu donné peut être considéré comme prove-
nant d'un bien et en même temps d'une entreprise. Un tel cas se
produit lorsque l'usage du bien donnant lieu au revenu en
question n'est pas un simple investissement dans un bien mais
plutôt une activité de caractère commercial. Pour décider s'il en
est ainsi et si le revenu est visé par l'exception prévue au
sous-alinéa (ii), la Cour doit d'abord déterminer si le contribua-
ble exploite une entreprise. Une fois l'existence d'une entreprise
établie, la seule autre question est de savoir s'il y a usage ou
possession du bien concerné pour les fins de l'exploitation de
cette entreprise. Si la réponse à cette seconde question est
également positive, le bien fait alors l'objet d'une activité
commerciale et, en vertu de l'exception prévue au sous-alinéa
(ii), le revenu qui en découle ne constitue pas un revenu de
placements au Canada. Il n'y a pas d'enquête additionnelle sur
laquelle doit se fonder la décision d'exclure un bien. Celle-ci
demeure valide, que l'entreprise soit ou non exploitée «active-
ment» (au sens du sous-alinéa (iii)), car le terme «entreprise»
employé au sous-alinéa (ii) sans autre qualificatif comprend
une «entreprise activement exploitée». Rien ne permet de
déduire que le législateur entend limiter la portée de ce terme.
Pour déterminer la nature du revenu de placements de
l'intimée en regard de l'alinéa 129(4)a), on ne doit pas considé-
rer comme un facteur déterminant la (faible) proportion du
revenu total de l'entreprise provenant de l'intérêt. De même,
lorsqu'il s'agit d'une compagnie privée, la question à débattre
ne sera pas en général de savoir si, en raison même de la
constitution en compagnie, une opération rentable de la compa-
gnie constitue (du moins au prime abord) l'exploitation d'une
entreprise.
Néanmoins, en l'espèce, l'intimée exploitait manifestement
une entreprise. En outre, les opérations de placement en ques
tion ne constituaient pas une entreprise distincte mais plutôt un
accessoire de l'entreprise principale, c'est-à-dire une entreprise
de courtage d'assurance. En effet, les placements ont été utili-
sés uniquement pour les fins de cette entreprise, au moment où
les surplus remis dans le fonds étaient disponibles pour les
besoins de l'entreprise de courtage. L'opération de placement
n'avait rien de statique, comme lorsqu'il s'agit d'un placement
dans une obligation à long terme fait sans que l'on tienne
compte de l'emploi du capital dans les opérations courantes. Il y
avait un entrelacement des placements et de l'entreprise de
courtage d'assurance, chacun d'eux formant un tout.
Il s'ensuit que l'intérêt tiré des placements de l'intimée ne
constitue pas un revenu de placements au Canada en vertu de
l'exception prévue au sous-alinéa I29(4)a)(ii). On peut égale-
ment souligner toutefois que l'entreprise de courtage d'assu-
rance de l'intimée constituait une entreprise exploitée active-
ment et, étant donné l'entrelacement de cette entreprise et des
placements, l'intérêt est également exclu en raison du sous-ali-
néa (iii).
Le juge en chef Thurlow (dissident): L'intérêt provenant des
placements n'était manifestement pas un revenu tiré d'une
entreprise non activement exploitée, au sens du sous-alinéa
129(4)a)(iii). S'il s'agissait d'un revenu tiré d'une entreprise, ce
devait être un revenu tiré d'une entreprise exploitée activement
et, pour que ce revenu puisse être considéré comme un revenu
de placements au Canada il devait respecter les conditions du
sous-alinéa (ii).
Comme l'exige cette disposition, l'intérêt était un revenu tiré
d'un bien. Cependant, selon le juge de première instance,
l'intérêt n'était pas un revenu gagné par l'intimée dans l'exploi-
tation d'une entreprise financière ou entreprise de placement,
distincte de son entreprise de courtage d'assurance. Cette con
clusion se fonde sur les éléments de preuve, notamment ceux
qui portent sur le nombre de placements, le temps pris pour les
effectuer et leur caractère limité. En conséquence, un revenu de
placements doit, pour être visé par l'exception du sous-alinéa
(ii), être un bien «dont la corporation a eu l'usage ou la
possession ... aux fins de» son entreprise de courtage
d'assurance.
La formulation de cette exclusion se trouve dans la définition
de «revenu de placements au Canada» qui comprend des élé-
ments de gain en capital et des éléments de revenu tiré d'une
entreprise qui n'est pas exploitée activement. Ce contexte con-
firme l'idée que c'est uniquement un bien employé aux fins de
retirer des profits de l'entreprise qui est exclu de ce qui
constitue autrement un revenu de placements au Canada au
sens du sous-alinéa (ii). Chacun des termes «possession» et
«usage» semble exclure à peu près les mêmes éléments.
Le bien qui a produit l'intérêt en l'espèce ne tombe pas sous
le coup de l'exclusion du sous-alinéa (ii). En premier lieu, ce
bien n'était pas constitué par les fonds reçus par l'intimée de ses
clients dans le cadre de son entreprise de courtage d'assurance
car ces fonds étaient simplement déposés dans un compte qui ne
produisait aucun intérêt. L'intérêt provenait plutôt des certifi-
cats ou contrats dans lesquels les fonds avaient été placés. En
second lieu, le placement des fonds lui-même était une activité
non reliée à l'entreprise de courtage de l'intimée, une telle
activité n'ayant aucun effet sur cette entreprise. Il n'y a eu ni
«usage» ni «possession» des placements dans le cadre de l'entre-
prise de courtage, dans la mesure où ces placements ne faisaient
pas partie de la conclusion de contrats d'assurance, du recou-
vrement ou de la remise de primes, n'ont pas été employés pour
payer les dettes de l'entreprise et ne constituaient pas un capital
de risque investi dans l'entreprise. En outre, si l'un de ces
placements avait produit une perte, cette perte n'aurait pu être
déduite, pour fins d'imposition, des profits de l'entreprise. Il
importe peu que les placements arrivent à échéance au moment
où l'entreprise de courtage devait acquitter ses obligations
financières.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Liverpool and London and Globe Insurance Company v.
Bennett, [1913] A.C. 610 (H.L.); Bank Line Ltd. v.
Commissioners of Inland Revenue (1974), 49 T.C. 307
(Eng. Ct. of Sess.—lst Div.); La Reine c. Rockmore
Investments Ltd., [1976] 2 C.F. 428 (C.A.); Wertman v.
The Minister of National Revenue, [1965] 1 R.C.É. 629;
American Leaf Blending Co Sdn Bhd v Director-General
of Inland Revenue, [1978] 3 All ER 1185 (P.C.); Scales
(H.M. Inspector of Taxes) v. George Thompson & Com
pany, Limited (1927), 13 T.C. 83 (Q.B. Angl.).
DÉCISION INFIRMÉE:
March Shipping Limited v. Minister of National Reve
nue, [1977] CTC 2527 (C.R.I.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Anderson Logging Company v. The King (1924), 52
DTC 1209 (C.S.C.); Supreme Theatres Ltd. c. Sa
Majesté La Reine (1981), 81 DTC 5136 (C.F. t" inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Sa Majesté La Reine c. Cadboro Bay Holdings Ltd.
(1977), 77 DTC 5115 (C.F. P' inst.); Imperial Tobacco
Co. (of Great Britain and Ireland), Ltd. v. Kelly (H.M.
Inspector of Taxes) (1943), 25 T.C. 292 (C.A. Angl.);
Northend y White & Leonard and Corbin Greener (a
firm), et al, [1975] 2 All ER 481 (Ch.D.).
AVOCATS:
J. S. Gill et S. Van Der Houf pour
l'appelante.
R. Couzin et R. K. Durand pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante.
Stikeman, Elliott, Robarts & Bowman,
Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF THURLOW (dissident): Il
s'agit dans le présent appel de déterminer si l'inté-
rêt perçu par l'intimée, pendant l'année d'imposi-
tion 1976, sur les placements des fonds excédentai-
res qu'elle avait en main, constituait un «revenu de
placements au Canada» au sens de l'alinéa
129(4)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu
[S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970-
71-72, chap. 63, art.l; et par S.C. 1974-75-76,
chap. 26, art. 86(2))]. Les faits ont été exposés en
détail dans les motifs du jugement du juge Cle
ment et il n'est pas nécessaire de les répéter. Un
court résumé de ce qui me semble être les points
saillants de l'espèce suffira.
L'intimée était courtier d'assurance. Son rôle
consistait à placer des assurances pour ses clients
auprès de compagnies d'assurances disposées à
accepter les risques, à percevoir de ses clients les
primes d'assurance et à payer aux assureurs ces
montants moins les commissions convenues. Dans
l'exploitation de son entreprise, l'intimée recevait
les primes avant qu'il ne devienne nécessaire, con-
formément aux ententes avec les assureurs, de leur
payer les sommes dues. L'intervalle était en géné-
ral de trente à soixante jours. Lorsque l'intimée
avait en main un montant d'argent suffisant,
représentant soit des commissions, soit des primes
ou soit encore l'intérêt perçu sur des placements
antérieurs, elle plaçait cet argent dans l'achat de
certificats de dépôt ou de valeurs mobilières cotées,
à court terme, la durée du terme étant fixée ou
choisie de façon à ce qu'elle ait en main, en plus
des primes qu'elle s'attendait à recevoir dans l'in-
tervalle, des sommes suffisantes pour faire face à
ses dépenses courantes et pour payer les assureurs
quand les sommes à leur payer venaient à
échéance. L'intérêt en cause en l'espèce provenait
de ce genre de placements.
Le fait que cet intérêt soit partie du revenu de la
compagnie intimée et doit être inclus dans le calcul
de son revenu pour fins d'imposition n'est pas
contesté. Le litige porte plutôt sur le droit de
l'intimée de considérer cet intérêt comme un
revenu de placements au Canada aux fins du
calcul de son impôt remboursable au titre de divi-
dendes conformément à l'article 129 de la Loi. Le
paragraphe (4) de cet article dit:
129. (4) ...
a) «revenu de placements au Canada» d'une corporation pour
une année d'imposition signifie la fraction, si fraction il y a,
du total
(i) de la fraction, si fraction il y a, du total de la partie des
gains en capital imposables que la corporation a tirés dans
l'année de la disposition de biens, qui peut raisonnable-
ment être considérée comme étant un revenu provenant de
sources situées au Canada, qui est en sus du total des
pertes en capital déductibles de la corporation pour l'an-
née, résultant de la disposition de biens, qui peuvent
raisonnablement être considérées comme des pertes prove-
nant de sources situées au Canada,
(ii) des sommes dont chacune est le revenu de la corpora
tion pour l'année (sauf le revenu exonéré ou tout dividende
dont le montant était déductible, en vertu de l'article 112,
de son revenu pour l'année) tiré d'un bien situé au Canada,
(à l'exclusion d'un bien dont la corporation a eu l'usage ou
la possession dans l'année aux fins de son entreprise),
déterminé pour plus de précision, après déduction de tous
les frais et dépenses déductibles lors du calcul du revenu de
la corporation pour l'année, dans la mesure où ils peuvent
raisonnablement être considérés comme ayant été engagés
ou supportés aux fins de gagner le revenu tiré de ce bien,
(iii) des sommes dont chacune est le revenu de la corpora
tion pour l'année (autre qu'un revenu exonéré), tiré d'une
entreprise autre qu'une entreprise activement exploitée, et
située au Canada, déterminé, pour plus de précision, après
déduction de tous les frais et dépenses déductibles lors du
calcul du revenu de la corporation pour l'année, dans la
mesure où ils peuvent raisonnablement être considérés
comme ayant été engagés ou supportés aux fins de gagner
le revenu tiré de cette entreprise,
qui est en sus du total des sommes dont chacune est une perte
subie par la corporation pour l'année, provenant d'un bien,
ou d'une entreprise autre qu'une entreprise activement
exploitée, situés au Canada; et
b) «revenu de placements à l'étranger» d'une corporation
pour une année d'imposition signifie la fraction, si fraction il
y a,
(i) du montant qui serait calculé en vertu de l'alinéa a)
relativement à la corporation pour l'année, si, dans l'alinéa
a), les mots «au Canada» étaient remplacés par les mots «à
l'extérieur du Canada»,
qui est en sus
(ii) du total des montants déductibles en vertu de l'article
113 lors du calcul du revenu de la corporation pour
l'année.
On ne prétend pas que le revenu en question
était un «revenu de placements à l'étranger» ou
qu'il était un gain en capital au sens du sous-alinéa
129(4)a)(1). Il est également clair, à mon avis,
qu'il ne s'agissait pas d'un revenu tiré d'une entre-
prise non activement exploitée au sens du sous-ali-
néa (iii). S'il pouvait être considéré comme un
revenu tiré d'une entreprise, il me semble que cette
entreprise ne pouvait être considérée que comme
une entreprise exploitée activement. Il ne reste
donc qu'à examiner le sous-alinéa (ii) et en parti-
culier les termes suivants:
... le revenu de la corporation pour l'année ... tiré d'un bien
situé au Canada, (à l'exclusion d'un bien dont la corporation a
eu l'usage ou la possession dans l'année aux fins de son
entreprise) ...
À mon avis, on ne peut sérieusement douter que
l'intérêt en cause était un revenu tiré d'un bien. Je
considère que les allégations contraires présentées
par le procureur de l'appelante sont sans fonde-
ment. Je crois également que l'intérêt n'était pas
un revenu gagné par l'intimée dans l'exploitation
d'une entreprise financière ou entreprise de place
ment, distincte de son entreprise de courtage d'as-
surance ou s'y ajoutant. C'est ce qu'a conclu le
juge de première instance [[1982] 2 C.F. 131] et,
étant donné les preuves présentées sur ce point et
au sujet du nombre de placements, du temps pris
pour les effectuer et de leur caractère limité, j'es-
time que sa décision était justifiée et qu'elle ne
devrait pas être modifiée. Il ne reste plus que la
question soulevée par les termes de l'exclusion,
c'est-à-dire le bien sur lequel l'intérêt a été perçu
était-il «un bien dont la corporation [intimée] a eu
l'usage ou la possession dans l'année aux fins de
son entreprise». Selon moi, c'est de cette question
que dépend le sort du présent appel.
L'appelante a soutenu que l'intérêt en cause
était un revenu ou profit tiré de l'entreprise de
l'intimée puisque les fonds placés pour gagner
l'intérêt étaient des surplus d'argent résultant de
l'entreprise et que la durée des placements était
choisie de façon à ce que ceux-ci arrivent à
échéance et que de l'argent liquide soit disponible
aux moments où l'on prévoyait que l'entreprise en
aurait besoin. Les placements étaient donc, selon
l'allégation de l'appelante, «un bien dont la corpo
ration [intimée] a eu l'usage ou la possession dans
l'année aux fins de son entreprise».
Pour soutenir sa prétention, l'appelante s'est
principalement appuyée sur le jugement de la
Chambre des lords dans Liverpool and London
and Globe Insurance Company v. Bennett' et sur
celui de la Cour des Sessions dans Bank Line Ltd.
v. Commissioners of Inland Revenue 2 . À mon avis,
ces deux arrêts ne sont d'aucun secours à
l'appelante.
Dans l'arrêt Liverpool and London, il s'agissait
de déterminer si le revenu gagné par une compa-
gnie d'assurances sur les placements de fonds excé-
dentaires et de fonds que les lois des pays où elle
exploitait son entreprise l'obligeaient à maintenir,
était imposable comme profits tirés de son com
merce. La Chambre des lords a jugé que la compa-
gnie était assujettie à l'impôt. Selon mon interpré-
tation, les raisons déterminantes de cette décision
ressortent des passages suivants extraits de l'ex-
posé de lord Shaw de Dunfermline [aux pages 616
et 617]:
[TRADUCTION] On a allégué, ou on a paru alléguer, que
cette compagnie exploitait des entreprises distinctes et que les
placements de ses fonds étaient indépendants de son entreprise
d'assurance-incendie et d'assurance-vie. Vos Seigneuries, il est
possible que des compagnies de ce genre réalisent peu de profits
dans leurs transactions de l'année et qu'elles subissent parfois
des pertes importantes dans le domaine de l'assurance-incendie
ou de l'assurance-vie. Elles peuvent néanmoins conserver leur
stabilité, et le fait qu'en ce qui a trait au bilan général des
profits, l'intérêt sur les fonds placés doit, en vertu des principes
' [1913] A.C. 610 (H.L.).
2 (1974), 49 T.C. 307 (Eng. Ct. of Sess.—lst Div.).
comptables généraux, être porté au crédit des comptes de
produits, permet que l'ensemble de leurs profits se poursuive
avec régularité. On fait les mêmes inscriptions comptables, et
ce à bon droit, que ces fonds soient placés dans notre pays ou à
l'étranger. Dans un cas comme dans l'autre, les fonds ne sont
pas exclus du total des profits, ou gains, de l'entreprise, ni
peuvent-ils l'être dans une tenue des livres conforme aux
principes.
et de l'exposé de lord Mersey [à la page 621]:
[TRADUCTION] On soutient que les dividendes en cause
proviennent des placements effectués en vertu de la clause (18)
et qu'ils ne font pas partie des «activités» de la compagnie. A
mon avis, cette prétention n'est fondée ni en fait ni en droit. Il
est bien connu que dans l'exploitation d'une entreprise d'assu-
rances, les assureurs accumulent entre leurs mains de grosses
sommes d'argent provenant des primes perçues et d'autres
sources, et qu'une des plus importantes parties des profits de
l'entreprise résulte du placement temporaire de ces sommes.
Ces placements temporaires sont également nécessaires pour la
constitution d'une réserve, fonds qui est créé pour attirer les
clients et servir de fonds de soutien pour faire face aux deman-
des d'indemnité inattendues. Selon moi, on ne peut affirmer
que ces placements ne font pas partie de l'entreprise d'assuran-
ces de la compagnie ou que les revenus en provenant, ne font
pas partie de ses profits. D'un point de vue commercial, les
administrateurs de la compagnie ont, face à leurs actionnaires
et à leurs clients, le devoir de faire de tels placements et de
recevoir et de distribuer, dans l'exploitation de leur entreprise,
soit sous forme de dividendes, soit pour le paiement des pertes
ou la constitution de réserves, les sommes d'argent perçues sur
ceux-ci. Je ne fais aucune distinction entre les trois catégories
de placements (A, B et C).
On a fait une distinction avec cette cause dans
l'arrêt Bank Line où le litige portait sur le revenu
découlant du placement de fonds accumulés par le
contribuable et qu'il gardait en réserve pour le
remplacement de navires de sa flotte. Dans ce cas,
le contribuable cherchait à faire inclure le revenu
dans les profits provenant de son commerce.
Le président de la Cour, lord Emslie, a déclaré
après avoir examiné l'arrêt Liverpool and London
[à la page 322]:
[TRADUCTION] A la lumière de cet examen assez long de
l'arrêt Liverpool and London and Globe Insurance Co., que j'ai
cru nécessaire de faire eu égard aux arguments des appelantes,
je ne doute aucunement que la question sur laquelle tous les
juges ont porté leur attention était de savoir si l'on pouvait
affirmer que les réserves avaient été activement employées et
risquées dans le commerce de l'assurance-incendie durant les
années considérées pour la cotisation, et que leur décision
repose sur la conclusion que tous les fonds étaient essentiels
pour l'exploitation de ce commerce durant chacune de ces
années. A mon avis, les appelantes ont eu tort de s'appuyer sur
cette décision, et la réserve des appelantes pour le remplace-
ment de leurs navires est d'une nature très différente de celle de
tous les fonds des catégories A, B et C. J'estime en outre, si j'ai
raison de conclure que les appelantes doivent prouver qu'elles
ont, durant chacun des exercices financiers pertinents, couram-
ment et activement employé et risqué le fonds de remplacement
des navires pour leur commerce qui consiste à posséder et
exploiter des navires qu'elles n'ont pas réussi à le faire. Cette
réserve était un fonds mis de côté pour être employé et risqué
dans l'avenir, et même s'il est possible que les appelantes aient
raison en affirmant qu'elles gardaient ce fonds dans un but
continu, je suis vraiment incapable d'accepter qu'elles l'ont
«employé et risqué» dans leur entreprise durant les périodes
pertinentes. Les arguments des appelantes auraient été exacte-
ment les mêmes si elles avaient simplement placé dans un
coffre-fort, dans les mêmes buts, les sommes excédant leurs
besoins courants. Compte tenu des conclusions de fait, je ne
suis pas convaincu que l'existence d'un tel fonds de réserve,
qu'il ait été placé ou non, était vraiment essentielle pour
l'exploitation du commerce de la compagnie durant les périodes
en question. Il n'avait pas besoin du tout d'être maintenu pour
l'exploitation courante du commerce, même si on peut constater
que des armateurs prudents pourraient voir des avantages à
remplacer leurs navires à l'aide de fonds qui se sont créés
eux-mêmes plutôt qu'avec des fonds empruntés. À mon avis, il
faut interpréter les faits comme suit: le fonds en question,
contrairement à ceux des compagnies d'assurances et aux
valeurs mobilières déposées par le membre de la compagnie
Lloyd's dans Owen v. Sassoon (1951) 32 T.C. 101, était
constitué seulement dans le but d'être employé et risqué dans
l'entreprise des appelantes à une certaine date dans l'avenir,
lorsque les immobilisations auraient besoin d'être remplacées,
et n'était pas «employé et risqué», au sens du critère appliqué
dans l'arrêt Liverpool and London and Globe Insurance Co.,
dans l'entreprise des appelantes durant aucun des trois exerci-
ces financiers que concerne la demande d'indemnisation des
pertes. [C'est moi qui souligne.] [Note en bas de page omise.]
Aucun de ces arrêts ne reposait sur une expres
sion comme «dont la corporation a eu l'usage ou la
possession aux fins de son entreprise», et bien qu'ils
apportent certains éclaircissements sur ce que sont,
dans certaines situations particulières, les profits
tirés d'un commerce, leur principale ressemblance
avec l'espèce réside dans le fait que dans les deux
cas, il s'agissait d'un revenu qu'une compagnie
avait retiré du placement d'un fonds qu'elle avait
en sa possession.
Un arrêt qui fait ressortir plus clairement ce que
je pense que signifie «dont la corporation a eu
l'usage ou la possession aux fins de son entreprise»
est celui de Imperial Tobacco Co. (of Great Bri-
tain and Ireland), Ltd. v. Kelly (H.M. Inspector of
Taxes) 3 , dans lequel il y avait eu des achats de
dollars américains aux fins de l'exploitation de
l'entreprise du contribuable qui consistait à ache
3 (1943), 25 T.C. 292 (C.A. Angl.).
ter des feuilles de tabac aux États-Unis. Lorsque la
guerre a éclaté en septembre 1939, le contribuable
avait en main un surplus important de ces dollars
qui ont, peu de temps après, été réquisitionnés par
le gouvernement britannique. Dans l'intervalle, la
valeur de la livre anglaise avait baissé ce qui a
permis au contribuable de réaliser des profits
importants sur son placement en dollars améri-
cains. On a jugé qu'il s'agissait de profits tirés du
commerce du contribuable. Dans une telle situa
tion, les devises étrangères que possédait le contri-
buable pouvaient probablement être qualifiées de
biens possédés aux fins de son entreprise, étant
donné qu'il s'agissait de biens acquis pour être
employés dans l'entreprise, que les devises étaient
sur le point d'être employées dans l'entreprise au
moment où elles ont été réquisitionnées par le
gouvernement britannique et que sans cela, elles
auraient été employées aux fins de l'entreprise, de
la même façon que les stocks d'une entreprise
constituent des biens possédés et employés aux fins
de l'exploitation de celle-ci. Les placements effec-
tués par le contribuable dans l'arrêt Liverpool and
London seraient aussi couverts par cette interpré-
tation des termes «un bien dont la corporation a eu
l'usage ou la possession aux fins de son entreprise».
Ce ne serait toutefois pas le cas pour ceux de
l'arrêt Bank Line.
À mon avis, le contexte dans lequel se trouve la
formulation particulière de l'exclusion, c'est-à-dire
dans une définition de revenu de placements qui
comprend des éléments de gain en capital et des
éléments de revenu tiré d'une entreprise qui n'est
pas exploitée activement pendant l'année, confirme
l'idée que seul un bien qui, d'une façon ou d'une
autre, est employé aux fins de l'entreprise et, par
conséquent, aux fins d'en retirer les profits, est visé
par l'exclusion. Il me semble qu'il existe peu de
différence à cette fin entre ce que comprend le
terme «possession» et ce que comprend le terme
«usage». Dans le présent contexte, «usage» me
paraît couvrir presque tous les éléments que com-
prendrait «possession», bien que je croie que ce
terme pourrait englober des éléments comme les
stocks destinés à la vente ou des matières premiè-
res en main qui seront employées dans l'entreprise
mais qui ne l'ont pas encore été.
En l'espèce, le bien qui a produit l'intérêt n'était
pas constitué, à ce qu'il me semble, par les fonds
reçus des clients dans le cadre de l'entreprise. Ces
fonds étaient simplement déposés avec d'autres
sommes d'argent dans les comptes en banque de
l'intimée. Ils ne produisaient aucun intérêt. L'inté-
rêt provenait des certificats ou contrats dans les-
quels les fonds avaient été placés par la suite 4 . Le
placement des fonds ne faisait pas partie de la
conclusion de contrats d'assurance ou du recouvre-
ment ou de la remise de primes. Il s'agissait selon
moi d'une activité non reliée à celles-ci et qui
pouvait avoir lieu ou non, sans que cela ait quelque
effet que ce soit sur l'entreprise de courtage d'as-
surance de l'intimée.
Les placements n'ont pas été employés aux fins
de cette entreprise. Non seulement n'ont-ils pas été
effectués à ces fins, mais ils n'ont pas été utilisés
pour payer ses dettes. Ils ne constituaient pas non
plus un capital de risque investi dans l'entreprise.
En fait, ils ne jouaient aucun rôle dans l'entreprise
ou dans son exploitation. Si l'un de ceux-ci avait
mal tourné et avait entraîné des pertes pour l'en-
treprise, on pourrait difficilement prétendre que
ces pertes devraient être considérées, pour fins
d'imposition, comme déductibles des profits de
l'entreprise de courtage.
C'est pour les mêmes raisons qu'on n'en a pas, à
mon avis, «eu la possession aux fins de l'entre-
prise». J'estime qu'ils représentaient simplement
des placements à part. Le fait qu'ils avaient été
effectués de façon à arriver à échéance lorsque
l'entreprise aurait besoin des sommes assurées
pour s'acquitter de ses obligations ne signifie pas,
selon moi, qu'on en ait eu la possession aux fins de
l'entreprise et n'est pas pertinent en l'espèce. Cela
montre seulement que les placements ont été effec-
tués avec prudence et en fonction des besoins
d'argent prévisibles de la compagnie.
° Comparez avec Northend y White & Leonard and Corbin
Greener (a firm), et al., [1975] 2 All ER 481 (Ch.D.); le juge
Templeman, aux pages 488 et 489:
[TRADUCTION] Évidemment, si le Solicitors Act 1965 n'avait
pas été adopté ou si les membres de l'étude n'avaient pas
exercé la profession de procureurs, il n'y aurait eu ni compte
de dépôt ni intérêt. Toutefois, cela ne veut pas forcément dire
que l'intérêt «découlait directement» de l'exercice de la pro
fession. L'intérêt n'est produit que lorsque survient un événe-
ment dont on ne peut dire qu'il s'agit de l'exercice de la
profession de procureur, c'est-à-dire le prêt d'argent par un
client à une banque avec stipulation du paiement d'un inté-
rêt. Le fait que l'argent prêté n'appartenait pas au client
n'empêchait pas la production d'un intérêt par l'événement
intervenu, c'est-à-dire le prêt et le contrat passé entre le
client et la banque.
En conséquence, l'intérêt en cause constituait à
mon avis un revenu tiré d'un bien au sens du
sous-alinéa 129(4)a)(ii) et ne découlait pas d'un
bien visé par l'exclusion contenue dans cette
disposition.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: J'ai eu l'occasion de lire les
motifs du jugement du juge en chef et du juge
Clement, où sont exposés les faits et les points en
litige et où sont cités les textes pertinents en
l'espèce. À mon avis, l'appel devrait être accueilli
pour le motif que le fonds spéculatif ou montant
d'argent constitué par le total des primes non
remises (après déduction des commissions) était,
en tout temps, un bien dont l'intimée a eu l'usage
ou la possession aux fins de son entreprise au sens
de l'exclusion prévue au sous-alinéa 129(4)a)(ii)
de la Loi de l'impôt sur le revenu. Je crois que les
arrêts Liverpool and London and Globe Insurance
Company v. Bennett, [1913] A.C. 610 (H.L.) et
Bank Line Ltd. v. Commissioners of Inland Reve
nue (1974), 49 T.C. 307 (Eng. Ct. of Sess.—lst
Div.), indiquent le critère qui doit être appliqué: le
fonds a-t-il été employé comme capital de risque
dans l'entreprise? Selon moi, il l'a été puisqu'un
montant égal à ce fonds spéculatif a été engagé
dans l'exploitation de l'entreprise afin de remplir
les obligations de la compagnie face aux assureurs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT CLEMENT: La question en
litige dans le présent appel est de savoir si le
revenu tiré d'intérêts qu'a obtenu Marsh &
McLennan, Limited («le courtier») au moyen de
placements à court terme au cours de son année
d'imposition 1976 constituait un «revenu de place
ments au Canada» au sens de l'alinéa 129(4)a) de
la Loi de l'impôt sur le revenu. Ces intérêts, qui
provenaient d'une source située au Canada, se sont
chiffrés à 2 071 547 $, le revenu total gagné au
cours de l'année étant de plus de 23 000 000 $. Le
Ministre a accepté de considérer la somme de
725 915 $ comme un revenu de placements au
Canada mais non le solde de 1 345 632 $. Ce n'est
pas le fondement de la répartition qui est en cause,
c'est plutôt le revenu de 1 345 632 $ tiré d'intérêts.
La Commission de révision de l'impôt a décidé
[(1979), 79 DTC 314] que cette somme contestée
était un revenu de placements au Canada, décision
que le juge en chef adjoint a confirmé dans la
présente action. Cette conclusion est favorable au
courtier, l'article 129 permettant d'inclure ce
revenu dans le calcul de l'impôt en main rembour-
sable au titre de dividendes à la fin de l'année
d'imposition.
Voici les définitions pertinentes du paragraphe
(mises à part les parties qui sont sans importance
en l'espèce):
129. (4) ...
a) «revenu de placements au Canada» d'une corporation pour
une année d'imposition signifie la fraction, si fraction il y a,
du total
(ii) des sommes dont chacune est le revenu de la corpo
ration pour l'année ... tiré d'un bien situé au Canada,
(à l'exclusion d'un bien dont la corporation a eu l'usage
ou la possession dans l'année aux fins de son entreprise)
(iii) des sommes dont chacune est le revenu de la corpo
ration pour l'année ...' tiré d'une entreprise autre
qu'une entreprise activement exploitée, et située au
Canada ...
qui est en sus du total des sommes ...
Le courtier est une compagnie canadienne dont
le siège social se trouve à Toronto. Il a exploité (et
il continue d'exploiter) une entreprise de courtage
d'assurance non seulement à Toronto mais égale-
ment dans un certain nombre de succursales au
Canada. Sa clientèle est en grande partie consti-
tuée de moyennes et de grandes entreprises. Il leur
fournit des services de consultation en matière
d'assurance, évalue leurs besoins dans ce domaine,
leur fait des recommandations au sujet de la cou-
verture et, avec l'autorisation de ces clients, et en
leur nom, il négocie avec des assureurs et contracte
des polices d'assurance auprès de ceux-ci. Il parti-
cipe, si nécessaire, au règlement de réclamations.
Les commissions versées au courtier par les assu-
reurs lorsqu'il y a souscription à une police d'assu-
rance constituent le fondement principal du litige.
En général, le courtier envoyait à son client une
facture représentant le montant de la prime fixé
par l'assureur, lorsqu'il y avait notification de l'ac-
reptation d'un risque par ce dernier. Soixante jours
après la fin du mois au cours duquel l'assureur
acceptait le risque et la police était contractée
(ci-après appelée «la période de soixante jours»), le
courtier devait payer à l'assureur le montant de la
prime moins la commission convenue. Normale-
ment, le client payait la prime au courtier environ
trente jours en moyenne avant l'expiration de la
période de soixante jours. Lorsque ce dernier rece-
vait la prime, il la déposait avec tous ses autres
comptes clients dans un compte de chèques général
ne portant pas intérêt et à même lequel il acquit-
tait ses différentes obligations et faisait les place
ments qui font l'objet du présent litige. Dans le
cours de ses affaires, le courtier recevait quotidien-
nement les primes de ses clients et les autres
comptes clients, il effectuait des paiements aux
différents assureurs à l'expiration des périodes de
soixante jours et il acquittait ses dépenses d'exploi-
tation et toutes les autres obligations devenues
exigibles à même ce compte général, de telle sorte
qu'il était devenu ce qu'on peut appeler un fonds
renouvelable que je désignerai sous le nom de
«fonds». Bref, il n'y avait aucun rapport entre
comptes clients et comptes créditeurs: dans l'entre-
prise du courtier, ils étaient complètement indé-
pendants les uns des autres. Les conditions et les
montants des placements étaient ce que l'on
jugeait approprié suivant les circonstances du
moment. Ce sont les intérêts obtenus par le cour
tier de ces placements qu'il faut qualifier pour les
fins de l'article 129. L'appelante fait valoir que:
[TRADUCTION] a) Le revenu n'a pas été tiré d'un bien au
sens du sous-al. (4)a)(ii).
b) Quoi qu'il en soit, le revenu a été tiré d'un bien dont le
courtier avait la possession aux fins de son entreprise de
courtage d'assurance. ou
c) Le revenu provenait d'une source qui normalement faisait
partie intégrante de son entreprise de courtage d'assurance.
Il faut examiner et analyser en détail le fonction-
nement du fonds, surtout en ce qui concerne les
placements.
En 1976, le courtier a traité avec plus de 250
assureurs mais il a conclu la plus grande partie de
ses opérations avec quelque 30 35 compagnies
importantes. On a versé en preuve des contrats
écrits passés entre le courtier et deux assureurs
ainsi que sept lettres rédigées par des assureurs
concernant le paiement des commissions. Tous les
autres assureurs, à l'exception de The Canadian
Indemnity Company, avaient une entente verbale
essentiellement semblable au contrat écrit conclu
avec The Continental Insurance Company et con-
forme aux dispositions de tout autre contrat écrit;
il semble en fait que ce contrat reflète les ententes
sur lesquelles se sont fondées toutes les parties
concernées en ce qui a trait à la facturation et au
recouvrement des primes et aux paiements faits
aux assureurs, ententes qui constituent la pratique
courante dans ce domaine. Le contrat conclu avec
The Continental Insurance Company porte uni-
quement sur les commissions et l'indemnité paya
ble par l'assureur au courtier et il prévoit que
celui-ci doit payer le [TRADUCTION] «solde dû» à
l'assureur [TRADUCTION] «au plus tard soixante
jours après la fin du mois au cours duquel l'affaire
est conclue». Il ressort implicitement de ces dispo
sitions et explicitement des témoignages oraux que
le courtier et non le client était responsable envers
l'assureur du paiement des primes et il est mani-
feste que la période de soixante jours était en fait
une condition de paiement fixée par l'assureur et
reliée au recouvrement, par le courtier, des primes
de ses clients. C'est ce que l'une des lettres indi-
quait. Il ressort en outre clairement de la preuve
que les assureurs étaient au courant de l'utilisation
faite par le courtier des primes que celui-ci rece-
vait de ses clients et qu'il déposait dans le fonds.
Ces dispositions se reflétaient dans la méthode
comptable fournie par le courtier à tous les assu-
reurs avec lesquels il faisait affaire et que l'on
appelle [TRADUCTION] «l'état de compte de man-
dataire». Cet état était fourni tous les mois et il a
été décrit dans la preuve comme [TRADUCTION]
«un rapport informatisé qui énumère les polices
contractées par la compagnie d'assurances au
cours du mois pour nous, pour nos clients et qui
indique ... le nom de l'assuré, le montant de la
prime, le pourcentage de la commission, un relevé
des commissions et le montant net du relevé des
primes ainsi que les dates d'entrée en vigueur et
d'échéance». Le mois dont il était question dans ce
témoignage était le mois de mai et on a déclaré
que:
[TRADUCTION] À la fin de mai, nous produisions un relevé
comprenant tous les postes facturés en mai et ce relevé était
immédiatement envoyé à la compagnie d'assurances qui s'atten-
dait à recevoir le montant total net des primes à la fin de juillet.
Il s'agissait du «solde dû» mentionné dans le con-
trat. Les sept lettres indiquaient simplement qu'on
devait payer les comptes en fonction de la période
de soixante jours.
Le contrat conclu avec The Canadian Indemnity
Company en 1968 constitue l'exception. Il est inti-
tulé «Mandat». En vertu de ce contrat, l'assureur
engage Marsh & McLennan, Limited à titre
d'agent de la compagnie pour négocier des catégo-
ries désignées d'assurance et les dispositions qui y
sont prévues sont conformes à cet engagement
mais non au rapport entre un courtier et un assu-
reur. En vertu d'une «inscription» portant la même
date, il a été convenu que, dans le contrat, Marsh
& McLennan, Limited devrait être appelée «cour-
tier» et non «agent» tel qu'indiqué. Je considère ce
contrat comme anormal. Le changement de termes
ne modifie pas les diverses obligations qui y sont
prévues. La preuve révèle néanmoins qu'au cours
des années, les relations d'affaires entre les parties
ont été les mêmes qu'entre le courtier et les autres
assureurs avec lesquels il traitait d'affaires, sans
aucune plainte ou mesure de la part de The Cana-
dian Indemnity Company jusqu'à maintenant.
Dans ces circonstances, je suis d'avis qu'en soi, le
libellé de ce contrat ne peut fournir aucun élément
de preuve et ne peut être d'aucun secours en ce qui
concerne la question en litige, et qu'à cette fin, on
ne devrait pas en tenir compte.
Il est donc évident que le fonds ne comporte
aucune fiducie au bénéfice des assureurs. Il s'agit
de rapports débiteur-créancier tant entre le cour
tier et ses clients qu'entre le courtier et les nom-
breux assureurs concernés.
L'appelante a soutenu qu'en vertu des articles
347 et 355 de The Insurance Act de l'Ontario
[R.S.O. 1970, chap. 224], une certaine partie du
fonds était néanmoins grevée d'une fiducie créée
en faveur des assureurs. Je rejette cette prétention
et tous les problèmes non résolus qui en résultent.
L'article 347 protège un assuré lorsqu'il paie une
prime à un agent ou à un courtier, en présumant
que ceux-ci sont mandatés par l'assureur pour
recevoir le paiement. À mon avis, l'article 355 ne
s'applique pas aux circonstances du présent cas: le
client a effectivement payé au courtier le prix de
l'assurance et la réclamation de l'assureur repose
uniquement sur la dette du courtier envers lui
suivant les conditions de paiement, sans qu'il existe
aucun rapport, comme la preuve le montre claire-
ment, avec les sommes d'argent reçues à titre de
primes.
Je conclus que le fonds était un «bien» du cour
tier, suivant le sens où ce terme est défini au
paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le
revenu et utilisé à l'article 129. Dans ses motifs, le
juge en chef adjoint a fait remarquer que dans la
loi, la définition du mot «bien» inclut une somme
d'argent, de sorte que le revenu provenant d'un
placement peut être un «revenu ... tiré d'un bien
situé au Canada». Je souscris respectueusement à
ce point de vue: le revenu tiré des placements
provenait d'une telle source.
J'examinerai maintenant les opérations internes
effectuées par le courtier à l'aide du fonds. Aux
fins du présent appel, on doit tenir pour acquis que
tous les revenus du courtier, qu'ils proviennent de
facturations de primes, d'honoraires, d'intérêts ou
d'autres sources, étaient déposés dans le fonds et le
tout, qu'il soit versé dans le compte du siège social
ou dans celui des succursales, est considéré comme
un revenu consolidé. Les placements étaient
ensuite faits en vertu d'une résolution adoptée
depuis un certain temps par le conseil d'adminis-
tration:
[TRADUCTION] IL EST RÉSOLU que le trésorier ou le contrôleur
est autorisé à placer l'encaisse de l'entreprise en conformité
avec la directive suivante:
(B) Des dépôts et des placements peuvent être faits dans les
banques américaines et canadiennes au moyen de dépôts
à terme et de certificats de dépôt sur les marchés
«primaire» ou «secondaire», dont le montant ne doit pas
excéder 10 % du capital, de l'excédent et des bénéfices
non répartis de l'une ou l'autre des banques. Les certifi-
cats de dépôt ne peuvent dépasser 12 mois.
Comme je l'ai dit, le fonds servait également à
acquitter toutes les dettes et obligations, courantes
ou autres, contractées aux fins de l'exploitation de
l'entreprise de courtage, et notamment à payer aux
assureurs le «solde dû» à la date d'échéance ainsi
que les dividendes et autres affaires. Il convient de
souligner qu'à la date d'échéance d'un placement,
tant le principal que les intérêts étaient versés dans
le fonds. Il est admis que dans le domaine de
l'assurance, ces intérêts étaient considérés comme
un revenu supplémentaire dont bénéficiaient les
courtiers. L'actif du fonds était considérable. En
incluant les placements provenant de cette source,
qui variait mensuellement au cours de la période
comptable de 1976, il indiquait des soldes de liqui-
dités et de placements variant de 15 000 000 $ à
près de 22 000 000 $. Le courtier avait pour politi-
que de garder beaucoup de liquidités pour les fins
de ses opérations commerciales afin de créer un
climat de confiance dans son entreprise et d'ac-
quitter les dettes courantes importantes, telles que
les paiements aux assureurs, les listes de paie, etc.
Les placements à court terme servaient à cette fin.
Aux dires du directeur financier du courtier:
[TRADUCTION] Nous voulons avoir les fonds disponibles en
ayant recours à nos—bien que nous fassions des placements,
nous voulons que ces fonds soient disponibles au moment où
nous constatons que ces dettes doivent être acquittées.
Nous croyons que notre image serait gravement ternie s'il
arrivait que nous ne puissions acquitter nos dettes au moment
où elles doivent l'être. C'est l'une des raisons d'être des
liquidités.
Un certain nombre de certificats de placement
ont été produits en preuve: mentionnons, à titre
d'exemple, un placement auprès de la Banque
Canadienne Impériale de Commerce en date du 19
janvier 1976 au montant de 500 000 $ pour une
période de 14 jours, venant à échéance le 2 février
1976 et portant intérêt au taux de 7 3 / 4 %, ce qui
représentait, au moment de l'échéance, une somme
totale de 501 486,30 $ qui a été créditée au fonds.
Il y a eu, bien sûr, d'autres certificats dont la
durée, le principal et le taux d'intérêt étaient
différents.
Le contrôleur effectuait lui-même les place
ments des fonds provenant du compte général du
siège social et déléguait ce pouvoir aux gestionnai-
res comptables affectés aux cinq principales suc-
cursales du courtier. Le directeur financier a
témoigné que les fonctions des gestionnaires comp-
tables consistaient notamment à [TRADUCTION]
«tenir les comptes bancaires, recevoir et débourser
les fonds en bonne et due forme, tenir les livres de
comptabilité, préparer les états de compte, conser-
ver les actifs, préparer les états financiers et
autres, ainsi que les autres rapports. Il s'agit là
d'une opération comptable assez normale.» Quant
aux placements eux-mêmes, le gestionnaire devait,
de façon continue, examiner attentivement les
besoins de liquidités de l'entreprise dans un avenir
prévisible, et déterminer le montant de l'excédent
du fonds qui pourrait être disponible pour fins de
placement, ainsi que la période au terme de
laquelle le placement viendrait à échéance et serait
remis dans le fonds avec les intérêts pour permet-
tre d'acquitter les dettes venant à échéance à une
date ultérieure. Les gestionnaires avaient l'habi-
tude de téléphoner au service de placements d'une
banque et de s'enquérir des taux d'intérêt et de
parvenir rapidement à connaître les possibilités de
placement dans les certificats de dépôt. À cet
égard, ils étaient donc chargés de déterminer avec
le plus de précision possible le montant du fonds
qui était disponible pour fins de placement et
d'obtenir un taux de rendement raisonnable [TRA-
DUCTION] «pour la période au cours de laquelle les
fonds seraient disponibles à cette fin». Dans les
succursales plus petites, cela signifiait en moyenne
de cinq à huit placements par mois et dans les
succursales plus grandes, de dix à quinze. Ces
placements variaient de 50 000 $ à 100 000 $ dans
les succursales plus petites et dans les succursales
plus grandes, il s'agissait de centaines de milliers
de dollars, jusqu'à environ 700 000 $. La durée
variait de 1 à 90 jours. On a témoigné que le
gestionnaire consacrait de 15 à 20 minutes de son
temps pour effectuer chacun de ces placements—
ce qui constitue une partie infime de son emploi du
temps au cours d'un mois de travail.
Au siège social, on y consacrait un peu plus de
temps parce que [TRADUCTION] «des sommes plus
importantes disponibles pour fins de placement et
la variété de ces placements nous obligeaient à
avoir recours à des courtiers ainsi qu'à d'autres
banques pour déterminer des taux concurrentiels
d'une façon un peu plus énergique que ne le ferait
le gestionnaire.» En fait, certains placements ont
été effectués par l'entremise d'établissements
financiers tels que Wood Gundy Limited.
En résumé, le revenu total avant impôt du cour
tier pour l'année 1976 était de l'ordre de
23 000 000 $, dont 9 % environ provenait des reve-
nus de placements. Si le courtier n'avait touché
aucun revenu de placements, son entreprise aurait
quand même été passablement rentable. On a
témoigné au sujet des méthodes comptables inter
nes du courtier et de la raison d'être de ces métho-
des, y compris la nomenclature utilisée pour les
fins de la reddition de comptes aux assureurs et
autres, mais à la lumière de ce qui précède, il ne
me semble pas que cet aspect de la question nous
aide à trancher le litige et je ne m'y attarderai pas.
La Commission de révision de l'impôt a jugé que
les intérêts provenant des placements n'étaient
qu'une partie secondaire ou accessoire des activités
du courtier et ne constituaient ni un risque de
caractère commercial ni une entreprise activement
exploitée, de sorte qu'ils étaient visés par la défini-
tion de «revenu de placements au Canada». J'exa-
minerai plus loin les motifs qu'a donnés le juge en
chef adjoint pour confirmer cette décision, motifs
qui sont contestés par l'appelante: On a longue-
ment débattu la question de savoir si le revenu
faisait partie des exceptions mentionnées dans la
définition, au sous-alinéa (4)a)(ii), soit un bien «à
l'exclusion d'un bien dont la corporation a eu
l'usage ou la possession dans l'année aux fins de
son entreprise», ou s'il s'agissait d'un revenu «tiré
d'une entreprise autre qu'une entreprise active-
ment exploitée, et située au Canada» au sens du
[sous-alinéa] (4)a)(iii).
La présente action intentée par le courtier se
fonde sur la décision de la Commission de révision
de l'impôt rendue dans l'affaire March Shipping
Limited v. Minister of National Revenue, [1977]
CTC 2527. Je reviendrai à cette décision plus tard.
Au cours des plaidoiries, on a cité un grand
nombre de causes mais je ne tiens pas compte de
celles qui portent sur des dispositions législatives
qu'on ne peut vraiment pas comparer à l'article
129 ou dans lesquelles l'examen porte sur une
disposition statutaire à portée sensiblement diffé-
rente. Je dois en outre m'abstenir d'examiner les
causes de la Division de première instance qui font
présentement l'objet d'un appel devant cette Cour.
Aux fins de l'interprétation des définitions et de
leur application au présent cas, je tiens pour acquis
que le fait de savoir si une corporation a eu l'usage
ou la possession d'un bien dans l'année aux fins de
son entreprise ou si une entreprise constitue ou non
une entreprise activement exploitée, au sens de
l'alinéa (4)a) est une question de fait qui doit être
tranchée suivant la prépondérance de la preuve. A
mon avis, le jugement rendu par cette Cour dans
l'affaire La Reine c. Rockmore Investments Ltd.,
[1976] 2 C.F. 428 (C.A.) établit bel et bien ce
principe. Lorsqu'il s'agit de trancher une question
de fait, il existe une règle inexorable selon laquelle
il faut prendre en considération, peser et comparer
tous les éléments de preuve et toutes les circons-
tances pertinentes. Je ferai en outre remarquer
qu'on doit donner aux mots et expressions ainsi
qu'à l'expression comparable utilisée à l'article 125
et dans la définition de l'article 248 le sens ordi-
naire qu'ils ont dans le cours normal des affaires,
du commerce ou de l'industrie, puisqu'il n'y a
aucune raison de leur conférer un sens technique.
Les sous-alinéas 129(4)a)(ii) et (iii) visent deux
sources de revenus de compagnie: l'un provenant
d'un bien et l'autre d'une entreprise. Ce sont les
cas exclus de ces deux sources qui soulèvent des
difficultés lorsqu'il s'agit de déterminer le sens et
la portée des exceptions dans certaines circons-
tances, et par la suite, de classer le revenu dans
une catégorie pour les fins de l'article. Il faut en
outre savoir s'il y a corrélation entre les deux
sous-alinéas. Les motifs du juge en chef adjoint sur
ce point de l'appel sont énoncés dans les paragra-
phes suivants [à la page 135]:
La preuve confirme également que l'entreprise principale de
la défenderesse est le courtage en assurances et que le place
ment de ces fonds se fait toujours dans des certificats à court
terme et presque toujours auprès de banques à charte. Le
placement de ces fonds relève entièrement des responsables du
contrôle financier de chaque région qui, en plus de remplir leurs
fonctions générales de gestion, doivent y consacrer pas plus de
quelques minutes tous les jours ou tous les deux ou trois jours.
Il est donc évident, que ce soit en fonction du revenu, du temps
et du soin qu'elles exigent ou de la nature de l'entreprise visée,
que les transactions dont s'agit constituent l'accessoire de l'en-
treprise principale de la défenderesse et ne peuvent nullement,
selon moi, être considérées comme une entreprise activement
exploitée.
Je pense que tirer de cette manière un revenu de fonds
déposés relève essentiellement d'une transaction de placement;
ce revenu me semble, à première vue, être visé par l'article
129(4)a) parce que le contribuable n'exploite pas une entre-
prise de placement ...
Il me semble que cet extrait se fonde sur l'idée que
les deux sous-alinéas s'excluent mutuellement. A
mon avis, la jurisprudence de la Cour de l'Échi-
quier appuie implicitement la conclusion contraire.
Dans l'affaire Wertman v. The Minister of
National Revenue, [1965] 1 R.C.É. 629, l'une des
questions soumise à la Cour de l'Échiquier du
Canada était de savoir si le revenu d'un contribua-
ble provenait d'un bien ou d'une entreprise pour les
fins de l'article 21 (maintenant l'article 74) de la
Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C. 1952, chap.
148]. Ce cas ressemble suffisamment au point
présentement en litige pour rendre utiles les obser
vations du juge Thurlow (maintenant juge en chef
de cette Cour). Le contribuable était propriétaire
d'un immeuble de 49 appartements dont il perce-
vait les loyers et le Ministre prétendait qu'à la
lumière des faits, les revenus de location tombaient
sous le coup du paragraphe 21(4) qui est rédigé
comme suit:
21....
(4) Lorsqu'un mari et sa femme sont associés dans une
entreprise, le revenu d'un conjoint provenant de l'entreprise
pour une année d'imposition peut, à la discrétion du Ministre,
être censé appartenir à l'autre conjoint.
Le juge Thurlow a examiné les nombreuses activi-
tés répétées exercées par le contribuable dans le
cadre de l'exploitation de son immeuble d'apparte-
ments et il a ajouté ce qui suit aux pages 641 et
642:
[TRADUCTION] Pour justifier l'application du par. 21(4), le
Ministre soutient que les concepts de revenu tiré d'un bien et de
revenu tiré d'une entreprise ne s'excluent pas l'un l'autre mais
qu'au contraire, ils ne font qu'un; alors que les loyers provenant
de Park Strand peuvent être considérés comme un revenu tiré
d'un bien, ils peuvent et doivent en outre être considérés comme
un revenu tiré de l'entreprise de location d'appartements dans
le Park Strand, entreprise dans laquelle l'appelant et son épouse
étaient associés. L'appelant a d'autre part fait valoir que son
épouse, son fils et lui-même étaient de simples copropriétaires
du bien-fonds, qu'ils n'exploitaient d'aucune façon une entre-
prise de location d'appartements, que les trois propriétaires
n'étaient pas associés dans une telle entreprise et que de toute
façon, son revenu provenait du bien-fonds et non d'une entre-
prise de location d'appartements.
À ma connaissance, la question de savoir quand les revenus
de location d'un bien immeuble peuvent être considérés comme
des revenus tirés d'une entreprise par opposition aux simples
revenus tirés d'un bien ne s'est posée qu'à deux reprises dans ce
pays. Dans la plus ancienne de ces causes, Martin v. Minister
of National Revenue ([1948] R.C.É. 529), à laquelle s'appli-
quait la Loi de taxation sur les surplus de bénéfices, le juge
O'Connor, après avoir cité des extraits des motifs du maître des
rôles et du lord juge Brett dans l'affaire Erichsen v.. Last
((1881) 4 T.C. 422), a déclaré ce qui suit à la p. 533:
Un propriétaire foncier qui donne à bail son bien-fonds,
perçoit des loyers et en tire des bénéfices n'exploite pas une
entreprise. Il s'agit cependant de savoir en l'espèce si l'appe-
lant est arrivé au point où sa propriété foncière est devenue
une entreprise immobilière commerciale. Voici ce qu'a
déclaré le lord président dans l'affaire The Rosyth Building
& Estates Co., Ltd., v. P. Rogers (1918-24) 8 T.C. 11, à la p.
17:
Dans les cas ordinaires, il peut être difficile de détermi-
ner à quel moment l'exercice du droit de propriété dans un
bien légué devient une exploitation commerciale par un
propriétaire commerçant, mais il s'agit d'une question de
fait qu'il n'est pas rare de rencontrer sous le régime des
Lois de l'impôt sur le revenu ...
À la lumière des faits qui lui ont été soumis, d'où il ressort que
la contribuable a fourni à certains de ses locataires, en plus des
locaux, des services tels que le chauffage, la cuisinière électri-
que, le mobilier et la lingerie, le juge O'Connor a décidé que la
contribuable exploitait une entreprise commerciale.
Sa Seigneurie a ensuite examiné un certain
nombre de causes et il a ajouté ce qui suit aux
pages 644 et 645:
[TRADUCTION] Sous le régime de la loi canadienne, le revenu
imposable tiré d'un bien ou d'une entreprise est «le bénéfice en
provenant» pendant une année d'imposition; ceci pose la ques
tion: «Qu'est-ce que le bénéfice tiré du bien ou de l'entreprise?»
Dans la plupart des cas, il importe très peu que le bénéfice soit
considéré comme découlant d'une entreprise ou d'un bien, mais
lorsque la question se pose, j'estime qu'elle doit simplement être
résolue selon les faits du cas particulier; je ne connais pas de
critère unique pour la résoudre. Il se peut que le fait que les
loyers soient, intégralement ou pour la plus grande part, des
revenus tirés d'un bien constitue un facteur très important,
mais il n'est pas nécessairement concluant, car la question, dans
un cas comme celui-ci, n'est pas tant de savoir d'où provient le
revenu, mais de savoir si le revenu peut à bon droit être qualifié
de revenu tiré d'une entreprise au sens de la Loi. En outre, je
crois qu'on peut facilement concevoir des cas où un revenu peut
être qualifié avec exactitude de revenu tiré d'un bien et aussi
justement être considéré comme revenu tiré d'une entreprise.
Il a conclu comme suit à la page 646:
[TRADUCTION] Tout bien considéré, il me semble que la situa
tion ne comporte aucun élément qui distingue les loyers à
caractère commercial de simple revenus de biens; j'estime par
conséquent que les bénéfices tirés du Park Strand ne consti-
tuaient pas des bénéfices tirés d'une entreprise et que l'exploita-
tion du Park Strand ne constituait pas une entreprise formée de
la société de l'appelant et de son épouse. On ne saurait donc
invoquer le paragraphe 21(4) pour justifier la cotisation.
Dans l'affaire American Leaf Blending Co Sdn
Bhd v Director-General of Inland Revenue,
[1978] 3 All ER 1185 (P.C.), à la page 1188, on a
décidé que cette corrélation, lorsqu'elle existe,
constitue un «chevauchement». Dans cette cause, le
contribuable avait construit une usine et un entre-
pôt pour les fins de son entreprise de tabac. Cel-
le-ci est ensuite devenue déficitaire et elle a fermé
ses portes. Le contribuable a alors loué l'immeuble
à différentes compagnies qui l'ont utilisé et occupé
à des fins d'entreposage en payant un loyer men-
suel. Il a tenté de déduire les pertes qu'il avait
subies dans l'exploitation de son entreprise de
tabac de son revenu de location. Le point essentiel
était de savoir si le revenu de location provenait
«d'une entreprise» et faisait partie de l'une des cinq
catégories distinctes de revenu prévues par l'article
4 de la loi fiscale. Le ministère du Revenu a fait
valoir que ces catégories s'excluaient mutuelle-
ment, de sorte que les «loyers» ne pouvaient en
même temps être [TRADUCTION] «des gains ou des
bénéfices tirés d'une entreprise» et permettre ainsi
qu'il y ait compensation en vertu de l'article 43,
comme l'a prétendu le contribuable. La Cour fédé-
rale de Malaisie a donné raison au ministère du
Revenu. Le Comité judiciaire du Conseil privé a
infirmé ce jugement.
Je sais qu'il faut faire preuve de prudence lors-
qu'on se fonde sur des jugements rendus sous le
régime d'une loi fiscale pour justifier les motifs
d'un jugement portant sur une question qui met en
cause une loi fiscale différente. Il y a néanmoins
des extraits du jugement de lord Diplock qui, je
pense, peuvent être pris en considération en l'es-
pèce parce qu'ils reflètent le point de vue adopté
ci-dessus par le juge Thurlow. Voici ce qu'a
déclaré lord Diplock à la page 1188:
[TRADUCTION] Si on confère aux termes utilisés aux diffé-
rents alinéas de l'art. 4 de la loi malaysienne leur sens ordi-
naire, et leurs Seigneuries ne voient pas pourquoi on ne devrait
pas le faire, cela permet évidemment un chevauchement entre
ces alinéas. Une compagnie peut exploiter une entreprise à titre
de compagnie de placement ou de compagnie de portefeuille,
tirant ses gains ou bénéfices des dividendes et intérêts prove-
nant des titres qu'elle détient. Les gains ou bénéfices tirés d'une
entreprise bancaire ou d'une entreprise de prêt d'argent pro-
viennent en grande partie des intérêts produits par l'argent
prêté. Une compagnie immobilière ou un particulier peut
exploiter une entreprise de location d'immeubles qui tire des
loyers qu'elle perçoit les gains ou les bénéfices de l'entreprise.
Il est donc manifeste que même s'ils sont mentionnés à l'al.
d) de l'art. 4, les "loyers" peuvent néanmoins constituer un
revenu tiré d'une entreprise s'ils sont perçus dans le cadre de
l'exploitation d'une entreprise qui consiste à rentabiliser le bien
d'un contribuable en l'offrant en location.
Il a ajouté ce qui suit à la page 1189:
[TRADUCTION] Sans doute, l'exploitation d'une "entreprise"
exige habituellement de l'exploitant qu'il exerce une activité
quelconque même si, selon la nature de l'entreprise, cette
activité peut être intermittente et interrompue par de longues
périodes d'inaction.
Je ferai remarquer qu'à la même page, il a déclaré
ce qui suit:
[TRADUCTION] Dans le cas d'un particulier, il se peut fort
bien que le simple fait de percevoir les loyers d'un bien qu'il
possède ne crée aucune présomption permettant d'affirmer qu'il
exploite une entreprise. Lorsqu'il s'agit par contre d'une compa-
gnie constituée dans le but de rapporter des bénéfices à ses
actionnaires, leurs Seigneuries sont d'avis que la rentabilisation
des actifs de cette compagnie constitue à première vue l'exploi-
tation d'une entreprise. Lorsqu'une compagnie rentabilise un
bien en le louant, leurs Seigneuries trouvent difficile d'envisa-
ger des circonstances susceptibles de se produire qui repousse-
raient la présomption selon laquelle elle exploitait alors une
entreprise.
Il est certainement digne d'intérêt de souligner que
le juge Duff (qui est plus tard devenu juge en chef
du Canada) a également adopté ce point de vue
dans l'affaire Anderson Logging Company v. The
King (1924), 52 DTC 1209 (C.S.C.), à la page
1214:
[TRADUCTION] La seule raison d'être d'une compagnie
publique, c'est de posséder et d'exercer une entreprise. Si
l'opération en cause appartient à une catégorie d'opérations
lucratives que prévoit l'acte constitutif, du moins au premier .
abord, le bénéfice qu'elle en tire est un bénéfice tiré de l'entre-
prise de la compagnie.
Même si ce facteur doit entrer en ligne de compte
dans le cas d'une compagnie privée, il ne peut en
soi être déterminant, sauf en l'absence d'autres
considérations pertinentes.
Par conséquent, je suis d'avis qu'il y a un che-
vauchement entre les sous-alinéas (4)a)(ii) et
(4)a)(iii) qui appuie une interprétation rationnelle
du paragraphe. Le sous-alinéa a)(ii) vise un revenu
tiré d'un bien mais il exclut un bien dont une
compagnie a l'usage ou la possession aux fins de
son entreprise. Il s'agit de termes à portée géné-
rale. Comme on l'a fait remarquer dans l'affaire
La Reine c. Rockmore Investments Ltd., [ 1976] 2
C.F. 428 (C.A.), il faut en premier lieu déterminer
s'il existe effectivement une entreprise qui est
exploitée, et dans le cadre de laquelle l'exploitant a
l'usage ou la possession d'un bien. Il s'agit d'une
question de jugement et il faut tenir compte des
circonstances de chaque cas particulier, ce qui peut
quelquefois présenter des difficultés. Une fois
l'existence d'une entreprise établie, il reste unique-
ment à déterminer s'il y a usage ou possession d'un
bien pour les fins de ladite entreprise. Les critères
d'exclusion ont été examinés attentivement: on
n'est pas tenu de pousser plus loin. Un bien dont
on a conclu que l'exploitant en avait l'usage ou la
possession pour les fins de l'exploitation d'une
entreprise ne peut constituer une source de revenu
admissible. A mon avis, rien ne permet d'affirmer
qu'une entreprise qui est exploitée doit nécessaire-
ment, par interprétation, exclure une entreprise
activement exploitée qui doit également l'être pour
justifier cette désignation. Selon moi, un tel point
de vue est grammaticalement indéfendable. Le
mot «entreprise» employé seul n'exclut pas une
«entreprise activement exploitée», mais au con-
traire, il l'inclut. Nous arrivons à la conclusion
suivante: la mention au sous-alinéa a)(iii) «d'une
entreprise autre qu'une entreprise activement
exploitée» n'empêche pas l'application du sous-ali-
néa a) (ii) en raison de son libellé. Si on a la
possession ou l'usage d'un bien pour les fins d'une
entreprise activement exploitée, on en a également
l'usage ou la possession pour exploiter une entre-
prise de la compagnie. C'est le revenu tiré de ce
bien qui est exclu du calcul de l'impôt remboursa-
ble au titre de dividendes. Les termes «entreprise»
et «entreprise activement exploitée» ne sont pas, à
mon avis, incompatibles. Si un bien produit un
revenu au bénéfice d'une activité qualifiée d'entre-
prise, ce revenu doit être exclu du calcul même s'il
fait partie du revenu d'une entreprise activement
exploitée. Je pense que c'est le principe qu'il faut
retenir en interprétant ces deux sous-alinéas.
D'autres jugements de cette Cour doivent attirer
notre attention. Dans l'affaire La Reine c. Rock-
more Investments Ltd. (précitée), il s'agissait de
savoir si le revenu du contribuable provenait d'une
«entreprise activement exploitée» au sens de l'arti-
cle 125 de la Loi. Comme je l'ai déjà fait remar-
quer, le juge en chef Jackett, parlant au nom de la
Cour, a d'abord examiné la portée du mot «entre-
prise». Voici ce qu'il a déclaré aux pages 430 et
431:
Pour savoir si une entreprise est «exploitée activement» aux
fins de la Partie I, il faut décider en premier lieu s'il y a une
«entreprise» au sens de ce mot. L'article 248 dispose que ce mot,
lorsqu'il est utilisé dans la Loi de l'impôt sur le revenu,
comprend «une profession, un métier, un commerce, une manu
facture ou une activité de quelque genre que ce soit» et «un
projet comportant un risque ou une affaire de caractère com
mercial» mais ne comprend «pas une charge ni un emploi». De
plus, le contraste qui apparaît à l'article 3a) de la Loi entre
«entreprise» et «bien» en tant que source de revenu explique à
mon avis qu'il faut distinguer aux fins de la Loi entre un simple
investissement dans un bien (y compris des hypothèques) pour
en tirer un revenu et une activité ou des activités qui constituent
«un projet comportant un risque ou une affaire de caractère
commerciale» ou un «commerce» au sens donné à ces expres
sions par l'article 248 (précité). En dehors de ces dispositions, il
n'existe aucun motif particulier à ma connaissance dont il faut
tenir compte d'un point de vue juridique pour décider si une
activité ou une situation constitue l'exploitation d'une entre-
prise aux fins de la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Compte tenu de cela, il faut résoudre tout problème qui résulte
de la question de savoir si une entreprise est ou a été exploitée
comme une question de fait à la lumière des circonstances de
chaque affaire particulière.
Dans le présent cas, cette question n'a pas été
soumise à la Cour, mais la distinction établie entre
un revenu tiré d'une entreprise et un revenu tiré
d'un bien est applicable et essentiellement con-
forme aux extraits que j'ai déjà cités. Il faut
distinguer les deux sources de revenus, c'est-à-dire
un simple investissement dans un bien et une
activité de caractère commercial. Lorsqu'on a
l'usage ou la possession d'un bien dans le cadre de
l'exploitation d'une entreprise, il importe peu de
savoir si l'entreprise est exploitée activement ou
non. Voici ce qu'a affirmé le juge en chef Jackett à
la page 430:
Je me suis efforcé de suivre l'avocat qui s'est attaché à montrer
que le Parlement voulait limiter dans une certaine mesure
l'étendue des mots «entreprise exploitée activement» sans le
mentionner expressément, mais je dois avouer que je suis tout à
fait incapable de déceler une telle intention de la part du
Parlement.
Cela est d'autant plus vrai lorsqu'on vise à imposer
une limite qui n'est pas expressément prévue à la
portée et à l'application des mots «une entreprise»,
qui ne sont pas définis si ce n'est par l'article 248
et par l'expression générale «carrying on»* . Le
juge en chef a ensuite examiné le sens qu'il faut
attribuer à l'expression «une entreprise exploitée
activement» utilisée au paragraphe 125(1), la
même expression que celle qui est utilisée au sous-
alinéa 129(4)a)(iii) et ce, dans le but de préciser la
source du revenu qu'une petite entreprise est auto-
risée à déduire au cours d'une année d'imposition
et non, comme dans le cas de ce sous-alinéa, aux
fins de l'exclure comme source de revenu dans le
calcul du montant de l'impôt remboursable au titre
de dividendes. Je ne veux pas dire que la diver
gence de but fasse une différence aux fins de
trancher la question. Il s'agit dans chaque cas de
déterminer, quelque difficile que cela puisse être
dans certains cas, si un homme d'affaires raisonna-
ble pourrait, dans un cas particulier, qualifier
l'opération en question d'entreprise exploitée acti-
vement. Cela ne concerne pas le point dont il est
question présentement. Le juge en chef Jackett a
déclaré [à la page 431] qu'«il faut supposer que
l'expression "exploitée activement" visait à exclure
des entreprises exerçant au cours de l'année une
activité suffisante pour procurer un revenu». Cette
observation doit être examinée dans son contexte.
Une compagnie inactive peut tirer un revenu impo-
sable de quelque source que ce soit, tels des inves-
tissements dans un bien. Le revenu imposable est
le fondement de l'application d'une exemption
* N.D.T.: Cette expression, non traduite à l'alinéa 129(4)a),
signifie «exploiter».
d'impôt. Il faut examiner en détail la conduite des
affaires pour déterminer si elle peut bénéficier
d'une exemption. À la lumière des faits de cette
affaire, il a été décidé qu'en faisant des placements
hypothécaires, Rockmore Investments Ltd. exploi-
tait activement une entreprise au sens du paragra-
phe 125(1). À mon avis, cela confirme le point de
vue exprimé par lord Diplock selon lequel un gain
tiré d'un placement peut se confondre avec la
conduite d'une entreprise exploitée activement.
Dans l'affaire Sa Majesté La Reine c. Cadboro
Bay Holdings Ltd. (1977), 77 DTC 5115 (C.F. 1"
inst.), il fallait également savoir si le contribuable
exploitait une entreprise activement en application
du paragraphe 125(1). Il s'agissait d'un locateur
qui tirait son revenu imposable de la location. Le
juge Gibson a examiné un certain nombre de
précédents et il a confirmé la décision selon
laquelle le contribuable exploitait une entreprise
activement. Bien que ce jugement soit utile à
d'autres égards, il ne m'est d'aucun secours dans le
présent cas. Le jugement rendu par le juge Gibson
dans l'affaire Supreme Theatres Ltd. c. Sa
Majesté La Reine (1981), 81 DTC 5136 (C.F. l'e
inst.), qui mettait en cause l'article 129 se rappro-
che davantage du présent litige. Le contribuable
exploitait une entreprise de salles de cinéma. Il
avait inclus dans son revenu imposable le montant
de la location du sous-sol de l'un de ses cinémas,
d'un terrain vacant adjacent à un cinéma, de ciné-
mas eux-mêmes, des appartements situés dans l'un
des cinémas et une partie du terrain de stationne-
ment d'un cinéma pendant une brève période. Il a
prétendu que tous ces montants constituaient un
revenu de placements au Canada. Le juge Gibson
a conclu qu'il s'agissait d'un revenu tiré d'un bien,
comme cela ne faisait aucun doute. Il a ensuite
examiné les attributs d'une entreprise exploitée
activement afin de déterminer si ce revenu était
tiré d'une entreprise autre qu'une entreprise
exploitée activement aux fins du sous-alinéa
(4)a)(iii). Il a fait remarquer qu'en vertu de ses
lettres patentes et à la lumière de la preuve, le
contribuable exploitait une entreprise de cinéma et
il a décidé que les opérations de location étaient
indissociables de son entreprise exploitée active-
ment. La demande du contribuable a été rejetée.
Le jugement reconnaît implicitement qu'il peut y
avoir un chevauchement entre le revenu tiré d'un
bien et le revenu tiré d'une entreprise exploitée
activement pour les fins de l'alinéa (4)a).
Ayant à l'esprit ce qui vient d'être dit, je reviens
au dossier. Il est manifeste que le courtier exploi-
tait une entreprise activement. Mais cela est sans
importance. Je souscris entièrement à la conclusion
du juge en chef adjoint selon laquelle il n'exploitait
pas une entreprise de placement distincte ou sépa-
rée, et que, suivant ses propres termes [à la page
135], «les transactions dont s'agit constituent l'ac-
cess6ire de l'entreprise principale de la défende-
resse». Il a effectivement été démontré que celle-ci
en a eu l'usage et la possession à cette seule fin.
Les placements étaient faits à l'aide d'excédents
temporaires sous forme de titres à court terme
dont le capital et les intérêts étaient remis dans le
fonds dans les 90 jours, au moment où ces surplus
étaient requis pour les fins du fonds et des opéra-
tions courantes de l'entreprise de courtage d'assu-
rance. Les opérations de placement n'avaient rien
de statique, comme lorsqu'il s'agit d'un placement
dans une obligation à long terme où il n'est ni
nécessaire ni urgent d'utiliser le capital dans les
opérations courantes et quotidiennes. Pour repren-
dre les termes employés par le juge Rowlatt dans
l'affaire Scales (H.M. Inspector of Taxes) v.
George Thompson & Company, Limited (1927),
13 T.C. 83 (Q.B. Angl.), il ressort des faits de
cette affaire qu'il existait entre l'entreprise du
courtier et les placements qu'il faisait une inter-
connexion, un entrelacement, une interdépendance
et une parfaite harmonie entre les deux. Je conclus
que le revenu tiré des placements ne constitue pas
un revenu de placements au Canada au sens du
sous-alinéa (4)a)(ii). Ces faits auraient également
pour conséquence, à la lumière des autorités que
j'ai citées, de rendre inapplicable le sous-alinéa
(4)a)(iii).
J'aborde maintenant l'affaire March Shipping
Limited v. Minister of National Revenue, qui a
joué un rôle important dans la décision de la
Commission de révision de l'impôt, dans le juge-
ment du juge en chef adjoint et dans les arguments
présentés au nom du courtier. Les faits de cette
affaire ressemblent quelque peu à ceux du présent
cas. Le revenu de la compagnie pour son année
d'imposition 1972 totalisait 2 153 943 $, y compris
les intérêts, se chiffrant à 56 972 $ (soit 2 1 / 2 %),
provenant du placement, en dépôts à court terme,
de fonds qu'elle avait reçus de compagnies de
transport maritime au titre de paiement anticipé
de services qu'elle s'était engagée à fournir. Il
s'agissait de la catégorisation de ces intérêts dans
le cadre de l'article 129. Il a été dit en preuve que
le placement de ces fonds et leur retour dans le
fonds, selon les besoins, ne nécessitaient que quel-
ques minutes du travail quotidien du secrétaire-
trésorier de la compagnie et que les montants des
placements étaient considérés comme un excédent
par rapport à ses besoins financiers quotidiens. Cet
arrangement avait pour effet de permettre à la
compagnie d'acquitter les comptes débiteurs de ses
clients à même les paiements anticipés de ses
clients, sous réserve d'une vérification ou d'une
confirmation subséquentes.
Voici ce qu'a déclaré M. Taylor aux pages 2529
et 2530 comme fondement de sa décision au sujet
de la question présentement examinée:
[TRADUCTION] Je suis d'avis que puisque le revenu était un
montant d'intérêts porté au compte de l'appelante par la
Banque de Montréal pour l'usage d'une partie des biens de
l'appelante, il y a une preuve suffisante de prime abord pour
considérer ce revenu comme un revenu de placements plutôt
qu'un revenu tiré d'une entreprise, seule autre possibilité offerte
en l'espèce. On pourrait soutenir qu'il s'agit à la fois d'un
revenu de placements et d'un revenu tiré d'une entreprise mais
il faudrait alors, à mon sens, démontrer que l'appelante exploi-
tait une entreprise de placement. La preuve n'appuie pas
tellement cette affirmation, selon moi. Il ne reste plus qu'à
étudier les prétentions de l'avocat de l'intimé selon lesquelles le
revenu doit être considéré comme tiré d'une entreprise exploitée
activement et selon lesquelles l'utilisation des fonds à la disposi
tion de l'appelante, qui les déposait à court terme et pouvait les
retirer rapidement, constituait une partie intégrante des opéra-
tions de l'appelante.
Il a ensuite examiné les arguments des avocats
ainsi que plusieurs précédents et il est arrivé à la
conclusion suivante à la page 2531:
[TRADUCTION] Rien ne me permet d'affirmer qu'une politi-
que de placement préférant les dépôts à court terme aux dépôts
à long terme, ferait nécessairement du revenu en intérêts un
revenu tiré d'une "entreprise" ou un revenu tiré d'un "bien". À
mon avis, bien que l'expression "élément essentiel" employée
par l'avocat de l'appelante soit peut-être exagérée, l'activité
précise en cause doit, pour être considérée comme "partie
intégrante", former un élément nécessaire de l'entreprise
entière. Si cette activité est productive de revenu, comme c'est
le cas en l'espèce, elle est considérée comme nécessaire mais il
faut qu'elle ait un effet important sur l'ensemble des revenus
gagnés (et qu'elle forme probablement une grande partie du
revenu net) et que sa suppression ait un effet nettement négatif
sur les opérations de la compagnie. En l'espèce, le revenu total
en 1972 s'élevait à 2 153 943 $, dont seulement 56 972 $ (envi-
ron 2,5 %) provenait de la source en cause.
À ce sujet, je ne peux qu'affirmer, en toute
déférence pour les personnes qui ont une opinion
différente, que M. Taylor a exprimé, en ce qui
concerne la preuve qui lui a été soumise, un point
de vue qui n'est pas nécessairement applicable au
présent cas. Il n'a pas examiné la portée de l'exclu-
sion prévue au sous-alinéa (4)a)(ii), ni la possibi-
lité de chevauchement entre ce sous-alinéa et le
sous-alinéa (4)a)(iii), sujets que j'ai examinés
assez longuement.
Je ne crois pas non plus que la proportion du
revenu de placements en regard de l'ensemble du
revenu doit constituer un facteur décisif de la
conclusion. On prétend que ce revenu constitue un
revenu de placements au Canada parce que dans
un tel cas, la compagnie en tirerait un avantage
financier appréciable. Cela devrait être pris en
considération et l'appelante devrait avoir le droit
d'exiger que la question soit résolue à partir de
tous les facteurs pertinents qui apparaissent au
dossier. C'est la ligne de conduite que j'ai tenté de
suivre.
En conséquence, j'accueillerais l'appel avec
dépens et je confirmerais la cotisation établie par
le Ministre.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.