A-255-84
Bernetta Rhule Bowen (requérante)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
Cour d'appel, juges Heald, Marceau et Stone—
Toronto, 3 et 5 octobre 1984.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Auto-incrimi
nation — Suivant le conseil de son avocat, la requérante a
d'abord refusé de témoigner à l'enquête de l'immigration, mais
a par la suite reconnu qu'elle pouvait être contrainte à témoi-
gner — La demande d'examen et d'annulation de l'ordonnance
d'expulsion est rejetée — Les motifs des décisions Webb c. Le
ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration et Jares c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration sont appliqués —
Lorsque, comme en l'espèce, le requérant n'a pas refusé de
témoigner, on ne peut dire qu'il a été privé de la protection
contre l'auto-incrimination contenue à l'art. 11c) de la Charte
et ce, indépendamment de la nature des procédures ou du
statut du requérant à titre de témoin à celles-ci — L'art. 11c)
ne s'applique pas au témoignage d'une personne qui fait l'objet
d'une enquête sous le régime de la Loi sur l'immigration
puisqu'il ne s'agit pas d'un «inculpé» — L'art. 24 de la Charte
ne s'applique pas, car la condition préalable à l'application de
l'art. 24, savoir, la violation des droits ou libertés garantis par
la Charte, ne s'est pas réalisée — Charte canadienne des droits
et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle
de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), art. 11c), 24 — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970
(2' Supp.), chap. 10, art. 28.
Immigration — L'agent chargé de présenter le cas a le
pouvoir de contraindre un témoin à témoigner — L'art. 31(1)
du Règlement oblige l'agent chargé de présenter le cas de
produire les preuves qu'il juge pertinentes et que l'arbitre
estime recevables pour permettre d'établir les allégations
avancées contre la personne en cause — L'agent chargé de
présenter le cas est défini comme un agent d'immigration qui
représente le Ministre aux enquêtes — L'art. 112 de la Loi
porte que tout agent d'immigration a le pouvoir de faire prêter
serment et de recevoir des témoignages sous serment dans
toute affaire relevant de la Loi — Loi sur l'immigration de
1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 112 — Règlement sur
l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 2(1) (mod. par
DORS/83-339, art. 1), 31(1).
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Webb c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immi-
gration, [19821 I C.F. 687 (C.A.); Jares c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, jugement en date du 10
février 1983, Division d'appel de la Cour fédérale,
A-489-81, non publié.
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. Cole (1980), 54 C.C.C. (2d) 324 (C. cté Man.); R.
v. Wooten (1983), 5 D.L.R. (4th) 371 (C.S.C.-B.); R. v.
Forrester (1982), 2 C.C.C. (3d) 467 (C.A. Ont.).
AVOCATS:
Bill Wong pour la requérante.
Carolyn P. Kobernick pour l'intimé.
PROCUREURS:
Yee, Wong & Lee, Toronto, pour la requé-
rante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: L'avocat de la requérante a
fait valoir plusieurs moyens pour contester la vali-
dité de l'ordonnance d'expulsion. Il s'est principa-
lement fondé sur l'alinéa 11 c) de la Charte cana-
dienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)] qui dispose que:
11. Tout inculpé a le droit:
e) de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même
dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction
qu'on lui reproche;
L'avocat a appelé l'attention sur les remarques
de l'arbitre (page 15 de la transcription) suivant
lesquelles celui-ci se disait d'avis que la requérante
pouvait être contrainte à témoigner lors de l'en-
quête tenue à son sujet. Il a également affirmé, en
s'appuyant principalement sur l'affaire Cole', que
l'arbitre avait commis une erreur de droit en sta-
tuant que la requérante était un témoin contrai-
gnable, vu les dispositions de l'alinéa 11c) de la
Charte (précité).
La transcription des débats de l'enquête révèle
(à la page 17) que, suivant le conseil de son avocat,
la requérante a d'abord refusé de témoigner à
l'enquête mais qu'elle s'est ensuite ravisée, encore
une fois sur l'avis de son avocat. J'apporte cette
précision parce que l'avocat de la requérante à
l'enquête (qui n'est pas le même avocat que celui
qui occupait pour la requérante en l'espèce) a
' R. v. Cole (1980), 54 C.C.C. (2d) 324 (C. cté Man.).
déclaré (page 18 de la transcription): [TRADUC-
TION] «Sans vouloir me répéter, je vous rappelle
que M"° Rhule se soumet à votre autorité. Si vous
voulez l'appeler à témoigner et l'interroger, elle
répondra à toutes les questions que l'arbitre pourra
lui poser. Après avoir examiné la loi, je crois que
l'arbitre a le pouvoir de l'appeler à témoigner et de
lui poser des questions et qu'elle est tenue de
répondre à vos questions.» Dans les arrêts Webb c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion 2 et Jares c. Ministre de l'Emploi et de l'Im-
migration 3 , cette Cour a statué que lorsque,
comme en l'espèce, le requérant n'a pas refusé de
témoigner, on ne peut dire qu'il a été privé de la
protection contre l'auto-incrimination garantie par
la Déclaration canadienne des droits [S.R.C.
1970, Appendice III] et ce, indépendamment de
toute argumentation sur la nature même des pro-
cédures ou le statut du requérant à titre de témoin
à celles-ci. À mon avis, le même raisonnement vaut
pour tout argument tiré de l'alinéa 11c) de la
Charte. On pourrait difficilement affirmer que la
requérante a été «contrainte» à témoigner à l'en-
quête tenue à son sujet, lorsque l'avocat qui la
représentait a admis qu'elle pouvait être contrainte
à témoigner et être tenue de répondre à toutes les
questions de l'arbitre. La seule différence de fait
entre les arrêts Webb et Jares et la présente espèce
est qu'alors que dans ces deux affaires on a
ordonné à la personne faisant l'objet de l'enquête
de témoigner et qu'elle a effectivement témoigné,
dans le cas qui nous occupe la Commission a
présenté sa preuve sans le témoignage de la requé-
rante (voir page 18 de la transcription). Je suis
d'avis que cette différence de fait nous fournit de
nouvelles raisons de croire que, vu les faits, les
allégations fondées sur l'alinéa 11c) ne peuvent
être retenues. J'estime également que l'alinéa 11 c)
de la Charte ne s'applique pas au témoignage que
doit donner une personne qui fait l'objet d'une
enquête sous le régime de la Loi sur l'immigration
de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52], laquelle vise à
déterminer le statut de cette personne en vertu de
cette Loi, puisqu'on ne peut pas dire de cette
personne qu'elle est un «inculpé» 4 .
2 [1982] 1 C.F. 687 (C.A.).
3 Jugement en date du 10 février 1983, Division d'appel de la
Cour fédérale, A-489-81, non publié.
4 Pour une conclusion analogue, voir la décision R. v. Wooten
(1983), 5 D.L.R. (4th) 371 (C.S.C.-B.). Voir également R. v.
Forrester (1982), 2 C.C.C. (3d) 467 (C.A. Ont.).
L'avocat de la requérante a également fait valoir
que même si l'arbitre était habilité à contraindre la
requérante à témoigner, l'agent chargé de présen-
ter le cas n'avait pas ce pouvoir et que, par consé-
quent, c'est à tort que l'arbitre a offert à l'agent
chargé de présenter le cas d'interroger le témoin.
La réponse simple à cette question est que le
paragraphe 31(1) du Règlement [Règlement sur
l'immigration de 1978, DORS/78-172] dispose:
«Lorsque les exigences de l'article 29 ont été res-
pectées, l'agent chargé de présenter le cas doit
produire toutes les preuves qu'il juge pertinentes et
que l'arbitre estime recevables, pour permettre
d'établir les allégations avancées contre la per-
sonne en cause.» De plus, l'«agent chargé de pré-
senter le cas» est défini au paragraphe 2(1) du
Règlement [mod. par DORS/83-339, art. 1]
comme étant « ... un agent d'immigration qui
représente le Ministre aux enquêtes; (case presen
ting officer)». En outre, l'article 112 de la Loi
porte que: «Tout agent d'immigration a le pouvoir
de faire prêter serment et de recevoir des témoi-
gnages sous serment dans toute affaire relevant de
la présente loi.» Sur le fondement de ces disposi
tions de la Loi et du Règlement, je conclus que cet
argument n'est pas recevable.
L'avocat a également prétendu que l'article 24
de la Charte s'appliquait. Je ne partage pas son
opinion. Pour que l'article 24 puisse s'appliquer, il
faut d'abord que la personne en cause ait été
victime de violation ou de négation des droits ou
libertés qui lui sont garantis par la Charte. Étant
donné que j'en suis venu à la conclusion que la
requérante n'a pas établi qu'il y a eu atteinte à ses
droits et libertés en violation de l'alinéa 1 l c) ou de
tout autre disposition de la Charte, j'en déduis que
la condition préalable à l'application de l'article 24
ne s'est pas réalisée en l'espèce.
Par ces motifs, je suis d'avis de rejeter la requête
introduite en vertu de l'article 28.
LE JUGE MARCEAU: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
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