T-8069-82
Carling Breweries Limited (appelante)
c.
Molson Companies Limited —Les Compagnies
Molson Limitée et Registraire des marques de
commerce (intimés)
Division de première instance, juge Strayer —
Ottawa, 21, 22 mars et 13 avril 1984.
Marques de commerce — Appel est interjeté de l'enregistre-
ment du mot «Canadian» comme marque de commerce dési-
gnant une marque particulière de bière — Même si l'art. IO de
la Loi n'a pas été soulevé au cours des procédures d'opposi-
tion, le registraire a considéré que ledit art. 10 n'empêchait pas
l'enregistrement — Même si un tribunal devrait s'abstenir de
se prononcer sur les questions de droit qui reposent sur des
faits non allégués, l'art. 10 est un motif d'appel accessoire
puisque le registraire a conclu à juste titre que l'opposante ne
s'est pas acquittée de l'obligation d'établir l'existence d'une
«pratique commerciale ordinaire et authentique» par laquelle
le mot «Canadian» est reconnu comme désignant le lieu d'ori-
gine de la bière avant 1959 — Suivant l'art. 12(1)b), le mot
«Canadian», prima fade, n'est pas enregistrable parce qu'il
décrit le lieu d'origine de la bière — L'art. 12(2) prévoit une
exception lorsque le requérant a employé la marque d'une
manière telle qu'elle est devenue distinctive du produit à la
date de la production de la demande d'enregistrement —
L'affirmation du juge dans l'arrêt E. & J. Gallo Winery c.
Andres Wines Limited voulant que la date du dépôt de l'oppo-
sition soit la date pertinente constitue une opinion incidente —
Il faut faire une distinction entre cet arrêt et l'espèce parce que
l'opposition y est fondée sur l'art. 37(2)d) (le caractère distinc-
tif) et non sur l'art. 37(2)b) (la possibilité d'enregistrer) — Il
incombait à la requérante/intimée de prouver que le mot
«Canadian» est devenu distinctif de sa bière — Le registraire a
commis une erreur en affirmant qu'il appartenait à l'opposante
de prouver que la marque n'était pas visée par l'art. 12a) —
Même si le registraire a conclu que la requérante a prouvé le
caractère distinctif de la marque, son erreur au sujet du
fardeau de la preuve peut avoir influencé sa décision — La
requérante ne s'est pas acquittée de l'obligation de prouver le
caractère distinctif — Appel accueilli — Loi sur les marques
de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 10, 12(1)b),(2), 29,
36(1), 37(2)b),d),(3)a).
L'intimée a présenté une demande d'enregistrement du mot
«Canadian» comme marque de commerce pour l'une de ses
marques de bière. L'appelante s'est opposée à la demande
d'enregistrement pour le motif que le mot «Canadian» ne
distinguait pas les marchandises de la requérante et, en particu-
lier, que cette dernière n'avait pas satisfait aux exigences du
paragraphe 12(2) de la Loi sur les marques de commerce en ce
qui concerne la nécessité de prouver le caractère distinctif. Bien
que la déclaration d'opposition ne faisait nullement mention de
l'article 10 de la Loi, le registraire a statué que ledit article 10
ne s'appliquait pas pour empêcher l'enregistrement et que le
caractère distinctif du mot «Canadian» avait été démontré de
manière suffisante. L'appelante allègue que le registraire a
commis une erreur en ne concluant pas que le mot «Canadian»
était devenu reconnu comme désignant le lieu d'origine des
marchandises et violait, par conséquent, l'article 10; qu'il a
omis de reconnaître une valeur probante suffisante à la preuve
de l'emploi par un autre brasseur d'une clause de garantie
comportant l'usage du mot «Canadian», et qu'il a commis une
erreur en concluant que la preuve soumise par l'intimée était
suffisante pour démontrer le caractère distinctif.
Arrêt: l'appel est accueilli. La question de l'application de
l'article 10 n'a pas été débattue devant le registraire qui a
néanmoins examiné cette question dans sa décision. Il peut
arriver qu'un tribunal de première instance invoque des princi-
pes de droit qu'on ne lui a pas fait valoir; il devrait toutefois
appliquer ces principes aux faits tels qu'ils ont été allégués et
établis. Lorsque les allégations essentielles n'ont pas été soule-
vées, le tribunal devrait s'abstenir de se prononcer sur les
questions de droit qui reposent sur ces faits, tout comme devrait
le faire la juridiction d'appel dans un appel ultérieur. La
question de l'application de l'article 10 a peut-être été soumise
à tort au registraire ou à la Cour. De toute façon, le registraire
a eu raison de conclure que l'opposante n'a pas démontré d'une
manière suffisante que l'article 10 empêchait l'enregistrement
de la marque de commerce de la requérante. L'opposante ne
s'est pas acquittée de l'obligation de prouver l'existence d'une
«pratique commerciale ordinaire et authentique» par laquelle le
mot «Canadian» est devenu reconnu comme désignant le lieu
d'origine de la bière en 1959 et avant cette année.
Le mot «Canadian» décrit clairement le lieu d'origine d'une
bière fabriquée au Canada. Cette marque n'est pas, prima
facie, enregistrable suivant l'alinéa 12(1)b), à moins qu'on
puisse y appliquer le paragraphe 12(2) parce que l'intimée
l'aurait employée d'une manière telle qu'elle serait devenue
distinctive de son produit à la date de la production d'une
demande d'enregistrement la concernant. Bien que le juge ait
fait remarquer dans l'arrêt E. & J. Gallo Winery c. Andres
Wines Limited que l'époque pertinente pour les fins d'une
opposition fondée sur l'alinéa 37(2)d) portant que «la marque
de commerce n'est pas distinctive» est la date du dépôt de
l'opposition, il semble qu'il s'agissait d'une opinion incidente.
De plus, cette opinion se rapportait à l'alinéa 37(2)d) et non à
l'alinéa 37(2)b) qui porte que «la marque de commerce n'est
pas enregistrable».
Le registraire a conclu que le fardeau de la preuve quant au
caractère distinctif incombait à l'opposante. La décision du
registraire de faire annoncer, comme le prévoit le paragraphe
36(1), la demande d'enregistrement n'équivalait pas à conclure
que la marque de commerce était enregistrable; elle signifiait
simplement qu'il n'était pas convaincu que la marque n'était
pas enregistrable. Il est alors possible d'avoir recours à l'alinéa
37(2)b) comme motif d'opposition en soutenant que la marque
n'est pas enregistrable puisqu'elle n'est pas visée par l'exception
contenue au paragraphe 12(2). Il incombe à la requérante/inti-
mée de prouver que la marque «Canadian» est devenue distinc
tive de la marque particulière de bière à la date de la produc
tion de la demande d'enregistrement comme le prévoit le
paragraphe 12(2). Bien que le registraire ait conclu que la
requérante avait établi le caractère distinctif de la marque, ses
conclusions ont pu être influencées par son opinion sur la
question de savoir qui avait le fardeau de la preuve. La charge
de la requérante était lourde, en particulier parce que le mot
«Canadian» est un adjectif dont le rôle consiste principalement
à décrire tout citoyen de ce pays ou tout produit ayant son lieu
d'origine au Canada. La requérante ne s'est pas acquittée de
l'obligation de démontrer que le mot «Canadian» est devenu si
distinctif de son produit qu'il a acquis une signification secon-
daire que le public ne confondrait pas avec son sens premier.
La preuve constituée par un sondage indiquant que, dans la
plupart des cas, lorsque les buveurs de bière demandaient une
«Canadian» dans les bars, on leur servait une «Canadian» de
Molson n'était pas satisfaisante parce que les personnes choisies
pour l'échantillonnage étaient «des professionnels habitués à
répondre à des indications incomplètes et qui représentent donc
la mauvaise partie de la population». La preuve que le mot
«Canadian» est employé pour établir une distinction entre les
bières de fabrication nationale et les bières importées amoindrit
le mérite de la prétention voulant que dans le domaine de la
bière, le mot «Canadian» ait acquis une signification secondaire,
généralement reconnue, servant à identifier une marque de
bière vendue par Molson.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Limited, [1976] 2
C.F. 3; 25 C.P.R. (2d) 126 (C.A.).
DECISIONS CITÉES:
Crush International Ltd. v. Canada Dry Ltd. (1979), 59
C.P.R. (2d) 82 (Com. d'opp. M. C.); Leco Industries Ltd.
v. W. R. Grace & Co. (1980), 62 C.P.R. (2d) 102 (Com.
d'opp. M. C.); American Cigarette Co. S.A. (Canada)
Ltd. v. Macdonald Tobacco Inc. (1978), 39 C.P.R. (2d)
116 (reg.); The Canadian Shredded Wheat Co., Ld. v.
Kellogg Co. of Canada Ld. et al. (1938), 55 R.P.C. 125
(P.C.); J.H. Munro Limited v. Neaman Fur Company
Limited, [1946] R.C.É. 1; 5 Fox Pat. C. 194; Beverley
Bedding & Upholstery Co. c. Regal Bedding & Uphol
stering Ltd. (1980), 47 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1" inst.);
Benson & Hedges (Canada) Limited v. St. Regis Tobacco
Corporation, [1969] R.C.S. 192; 57 C.P.R. 1.
AVOCATS:
Donald F. Sim, c.r. et Toni Poison Ashton
pour l'appelante.
John S. Macera et Andrew K. Jarzyna pour
les intimés.
PROCUREURS:
Sim, Hughes, Toronto, pour l'appelante.
Macera & Jarzyna, Ottawa, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER:
Les faits
Le 10 décembre 1971, l'intimée a déposé devant
le registraire des marques de commerce une
demande d'enregistrement comme marque de com-
merce du mot «Canadian». Elle a allégué, et il
semble que son allégation n'a pas été réfutée,
qu'elle utilise cette marque depuis novembre 1959
pour désigner l'une des marques de bière qu'elle
produit et vend. La demande a été annoncée en
temps opportun dans le Trade Marks Journal
pour le 25 décembre 1974. L'intimée a déposé une
déclaration d'opposition le 13 février 1975. Cette
déclaration portait que le mot «Canadian» ne dis-
tinguait pas les marchandises de la requérante et,
en particulier, que cette dernière n'avait pas satis-
fait aux exigences du paragraphe 12(2) de la Loi
sur les marques de commerce [S.R.C. 1970, chap.
T-10] en ce qui concerne la nécessité de démontrer
le caractère distinctif de la marque.
Le président de la commission des oppositions en
matière de marques de commerce a rendu la déci-
sion au nom du registraire le 12 août 1982. Cette
décision est maintenant publiée dans 70 C.P.R.
(2d) 154. Bien que la déclaration d'opposition ne
contenait aucune mention précise de l'article 10 de
la Loi sur les marques de commerce, le président
de la commission a considéré que l'application de
cet article ainsi que celle du paragraphe 12(2), qui
était mentionné dans la déclaration d'opposition,
pouvait constituer l'un des points en cause. Il a
statué que l'article 10 ne s'appliquait pas pour
empêcher l'enregistrement de la marque de com
merce, et il a en outre conclu que la requérante
avait démontré de manière suffisante le caractère
distinctif du mot «Canadian» utilisé en liaison avec
ses marchandises, ou que ce caractère n'avait pas
été contesté d'une manière suffisante, de sorte que
son enregistrement était justifié par le paragraphe
12(2) ou d'autres circonstances.
L'appelante a interjeté appel de la décision
rendue par le président de la commission au nom
du registraire (ci-après appelé simplement «le
registraire») pour les motifs suivants:
(i) le registraire a commis une erreur en ne
concluant pas que le mot «Canadian» était
devenu reconnu au Canada comme désignant les
marchandises et violait, par conséquent, l'article
10 de la Loi sur les marques de commerce;
(ii) le registraire a commis une erreur en refu-
sant de reconnaître une valeur probante suffi-
sante à la preuve de l'emploi par un autre
brasseur au Canada d'une clause de garantie
comportant l'usage du mot «Canadian» sur des
emballages, et
(iii) le registraire a commis une erreur en con-
cluant que la preuve soumise par Molson était
suffisante pour démontrer le caractère distinctif.
Les conclusions
(1) L'article 10—Cet article prévoit:
10. Si une marque, en raison d'une pratique commerciale
ordinaire et authentique, devient reconnue au Canada comme
désignant le genre, la qualité, la quantité, la destination, la
valeur, le lieu d'origine ou la date de production de marchandi-
ses ou services, nul ne doit l'adopter comme marque de com
merce en liaison avec ces marchandises ou services ou autres de
la même catégorie générale, ou l'employer d'une manière sus
ceptible d'induire en erreur, et nul ne doit ainsi adopter ou
employer une marque dont la ressemblance avec la marque en
question est telle qu'on pourrait vraisemblablement les
confondre.
À mon avis, cet article n'a pas été soulevé de la
manière appropriée au cours des procédures d'op-
position. On ne s'attend pas à ce que soient invo-
quées dans ces procédures les règles techniques des
plaidoiries, mais l'alinéa 37(3)a) de la Loi exige
que la déclaration d'opposition indique des motifs
de l'opposition, avec détails suffisants pour per-
mettre au requérant d'y répondre». L'équité exige
avant tout que chaque partie soit adéquatement
informée des arguments qu'elle doit réfuter. Il sera
peut-être nécessaire de prouver d'autres faits pour
démontrer que la marque en question est ou n'est
pas visée par les interdictions prévues à l'article 10.
Ces faits peuvent bien être différents de ceux qui
sont essentiels à l'application du paragraphe 12(2):
par exemple, les dates décisives auxquelles la
marque est devenue connue du public peuvent être
différentes dans les deux cas.
Il apparaît que la question de l'application de
l'article 10 n'a pas été débattue devant le regis-
traire. Celui-ci a cependant examiné cette question
dans sa décision. C'est probablement pour cette
raison que l'appelante a mentionné précisément
cette même question dans son avis d'appel. Il est
douteux que la Cour doive examiner cette question
dans les circonstances. Il peut arriver qu'un tribu
nal de première instance invoque des principes de
droit qu'aucune des parties n'a fait valoir; il
devrait toutefois appliquer ces principes aux faits
tels qu'ils ont été allégués et établis. Lorsque les
allégations essentielles n'ont pas été soulevées, le
tribunal devrait s'abstenir de se prononcer sur les
questions de droit qui reposent sur ces faits, tout
comme devrait le faire la juridiction d'appel dans
un appel ultérieur. Par conséquent, l'application de
l'article 10 ne constituait au mieux qu'une ques
tion accessoire et a peut-être été soumise à tort au
registraire ou à cette Cour.
De toute façon, comme l'a conclu le registraire,
je suis d'avis que l'opposante n'a pas démontré
d'une manière suffisante que l'article 10 empêchait
l'enregistrement de la marque de commerce de la
requérante. Il faut d'abord remarquer que la date
pertinente pour déterminer la «pratique commer-
ciale ordinaire et authentique» de la marque aux
fins de l'article 10 serait la date à laquelle la
requérante a commencé à l'employer pour la pre-
mière fois, c'est-à-dire au mois de novembre 1959.
(Voir Crush International Ltd. v. Canada Dry Ltd.
(1979), 59 C.P.R. (2d) 82, la page 88 (Com.
d'opp. M. C.); Leco Industries Ltd. v. W. R. Grace
& Co. (1980), 62 C.P.R. (2d) 102, la page 109
(Com. d'opp. M. C.).) À mon avis, il appartenait à
l'opposante de prouver que l'article 10 s'appliquait
à la marque de la requérante. L'article 10 fournit
un moyen de contester une marque de commerce
par ailleurs enregistrable, et pour démontrer que
cet article s'applique, il est nécessaire de prouver
l'existence d'une «pratique commerciale ordinaire
et authentique» par laquelle la marque devient
reconnue «comme désignant le genre, la qualité, la
quantité, la destination, la valeur, le lieu d'origine
... de marchandises ou services». En l'espèce, le
litige portait principalement sur le «lieu d'origine».
Je suis d'accord avec le registraire que, dans la
preuve à l'appui de son opposition, l'opposante n'a
pas démontré de manière suffisante un tel emploi
de la marque «Canadian» en 1959 et avant cette
année, et que cette marque était manifestement
reconnue au Canada comme désignant le lieu
d'origine de la bière ou d'une bière en particulier.
Les nouveaux éléments de preuve déposés par l'ap-
pelante dans le présent appel ne l'ont pas établi
non plus: en fait, dans la mesure où je peux me
prononcer, aucun de ces éléments ne se rapporte à
l'année 1959 ou aux années antérieures et la plu-
part d'entre eux portent plutôt sur la fin des
années soixante, les années soixante-dix et
quatre-vingt.
(2) L'alinéa 12(1)b) et le paragraphe 12(2)—
Ces dispositions prévoient:
12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce
est enregistrable si elle ne constitue pas
b) peinte, écrite ou prononcée, soit une description claire, soit
une description fausse et trompeuse, en langue anglaise ou
française, de la nature ou de la qualité des marchandises ou
services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à
l'égard desquels on projette de l'employer, ou des conditions
de leur production, ou des personnes qui y sont employées, ou
du lieu d'origine de ces marchandises ou services;
(2) Une marque de commerce qui n'est pas enregistrable en
raison de l'alinéa (1)a) ou b) peut être enregistrée si elle a été
employée au Canada par le requérant ou son prédécesseur en
titre de façon à être devenue distinctive à la date de la
production d'une demande d'enregistrement la concernant.
Il est constant que la marque «Canadian» décrit
maintenant clairement le lieu d'origine d'une bière
fabriquée au Canada. Par conséquent, cette
marque, prima facie, n'est pas enregistrable, à
moins qu'on puisse y appliquer le paragraphe
12(2) parce que l'intimée l'aurait employée d'une
manière telle qu'elle serait devenue distinctive de
son produit à la date de la production d'une
demande d'enregistrement la concernant, c'est-à-
dire le 10 décembre 1971.
Selon moi, cela constituait le principal point en
litige au cours des procédures d'opposition et cela
constitue la question centrale du présent appel. Il
faudrait considérer que l'opposition repose essen-
tiellement sur le motif prévu à l'alinéa 37(2)b),
c'est-à-dire que «la marque de commerce n'est pas
enregistrable». Comme je l'ai fait remarquer, cette
marque ne peut a priori être enregistrée en raison
de l'alinéa 12(1)b), à moins qu'on puisse démon-
trer qu'elle était devenue distinctive «à la date de
la production d'une demande d'enregistrement la
concernant». Par conséquent, l'époque pertinente
en l'espèce pour l'application de l'alinéa 37(2)b)
est la date de la production de la demanded'enre-
gistrement. Je sais que dans l'arrêt E. & J. Gallo
Winery c. Andres Wines Limited, [1976] 2 C.F. 3
(C.A.), à la page 7; 25 C.P.R. (2d) 126, la page
130, le juge Thurlow (alors juge puîné) a déclaré
au nom de la Cour d'appel que l'époque pertinente
pour les fins d'une opposition fondée sur l'alinéa
37(2)d) portant que «la marque de commerce n'est
pas distinctive» est la date du dépôt de l'opposition.
Il semble qu'il s'agissait cependant d'une opinion
incidente puisqu'il a ajouté que, dans ce cas, peu
importait la date choisie. En outre, étant donné
que cette opinion se rapportait à l'alinéa 37(2)d) et
non à l'alinéa 37(2)b), je ne crois pas qu'elle soit
déterminante en l'espèce. Lorsque la possibilité
d'enregistrer une marque dépend du critère prévu
au paragraphe 12(2) voulant que la marque soit
«distinctive à la date de la production d'une
demande d'enregistrement la concernant», je ne
vois pas comment son caractère distinctif à la date
de la production d'une déclaration d'opposition
pourrait être déterminant s'il existait, en fait, une
différence dans son caractère distinctif à ces deux
dates.
Il est peut-être important de souligner que le
point principal en litige dans le présent appel est le
paragraphe 12(2) car, comme l'a soutenu avec
vigueur l'avocat de l'intimée, le registraire avait
déjà conclu, en vertu du paragraphe 12(2), à l'exis-
tence d'un caractère distinctif à la date de la
demande d'enregistrement et une telle conclusion
ne pouvait faire l'objet des procédures d'opposition
ni du présent appel. Il a en outre prétendu que le
seul autre fondement légal sur lequel l'opposition
pouvait reposer était l'alinéa 37(2)d). Il m'a invité
à tirer certaines conclusions, à partir de ces élé-
ments, quant au fardeau de la preuve et aux faits
pertinents (il a soutenu que, compte tenu de l'arrêt
Andres précité, la date pertinente de l'existence du
caractère distinctif était celle de la production de
l'opposition). Il semble que dans sa décision, le
registraire soit arrivé aux conclusions qu'on a fait
valoir devant moi, savoir que le fardeau de la
preuve quant au caractère distinctif incombait à
l'opposante/appelante et que la date pertinente
pour la vérification du caractère distinctif était
celle de la production de l'opposition. Après avoir
examiné la Loi, je suis convaincu que ce n'est pas
le cas. Lorsqu'une demande d'enregistrement est
déposée conformément à l'article 29, le registraire
doit l'examiner et rendre ensuite une décision sui-
vant le paragraphe 36(1). En vertu de ce paragra-
phe, il est placé devant l'alternative suivante: refu-
ser la demande s'il est convaincu que la marque
n'est pas enregistrable, ou s'il n'est pas convaincu
qu'elle n'est pas enregistrable, faire annoncer la
demande. La décision de faire annoncer une
demande n'équivaut pas à conclure qu'une marque
de commerce est enregistrable; elle signifie simple-
ment que le registraire n'est pas convaincu que la
marque West pas enregistrable. Par conséquent, le
fait que la marque de commerce soit annoncée
n'indique pas une décision affirmative quant à son
caractère enregistrable par rapport au paragraphe
12(2). Il est alors possible d'avoir recours à l'alinéa
37(2)b) comme motif d'opposition à la demande
en invoquant que la marque n'est pas enregistrable
puisqu'elle n'est pas visée par l'exception contenue
au paragraphe 12(2). Ce paragraphe crée une
exception à la règle générale énoncée à l'alinéa
12(1)b) voulant, comme c'est le cas en l'espèce,
qu'une marque qui constitue une description du
lieu d'origine du produit, prima facie, ne soit pas
enregistrable. Comme c'est le cas chaque fois
qu'une partie souhaite tirer avantage d'une excep
tion prévue dans la loi, il appartient à cette partie
de démontrer qu'elle est visée par cette exception.
Il incombe donc en l'espèce à la requérante/inti-
mée de prouver que la marque «Canadian» était
devenue distinctive de la marque particulière de
bière qui porte ce nom à la date de la production
de la demande d'enregistrement, savoir le 10
décembre 1971. (Voir en général American Ciga
rette Co. S.A. (Canada) Ltd. v. Macdonald
Tobacco Inc. (1978), 39 C.P.R. (2d) 116, aux
pages 119 et 120 (reg.); Goldsmith, Trade Marks
and Industrial Designs, 32 C.E.D. (Ont. 3rd),
paragraphe 119.) J'ai insisté de façon particulière
sur la question du fardeau de la preuve parce que,
dans sa décision sur l'espèce, le registraire a
déclaré à plusieurs reprises qu'il était d'avis qu'il
n'appartenait pas à la partie qui demande l'enre-
gistrement de la marque de prouver que celle-ci
était visée par le paragraphe 12(2), mais qu'il
revenait plutôt à l'opposante de démontrer le con-
traire (voir la décision du registraire, 70 C.P.R.
(2d) 154, aux pages 164, 168, 176 et 177). Bien
que le registraire ait conclu que la requérante avait
néanmoins établi de manière satisfaisante le carac-
tère distinctif de la marque, ses conclusions ont pu
être influencées dans une certaine mesure par son
opinion sur la question de savoir qui avait en
réalité le fardeau de la preuve.
Non seulement j'estime qu'il appartient plutôt à
la requérante d'établir le caractère distinctif au
sens du paragraphe 12(2), mais je crois également
qu'il s'agissait d'une charge très lourde étant
donné la nature de la marque «Canadian». Il existe
de nombreux arrêts selon lesquels lorsqu'il faut
démontrer qu'un terme habituellement descriptif a
acquis une seconde signification de sorte qu'il
décrit un produit particulier, la charge est en vérité
très lourde: voir, par exemple, The Canadian
Shredded Wheat Co., Ld. v. Kellogg Co. of
Canada Ld. et al. (1938), 55 R.P.C. 125, la page
142 (P.C.); J.H. Munro Limited v. Neaman Fur
Company Limited, [1946] R.C.É. 1, aux paies 14
et 15; 5 Fox Pat. C. 194, la page 208. A mon
avis, c'est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit d'un
mot tel que «Canadian» qui, d'abord et avant tout,
tant au point de vue légal qu'au point de vue réel,
est un adjectif décrivant tout citoyen de ce pays et,
plus particulièrement pour les fins de l'espèce,
toute sorte de produit y ayant son lieu d'origine.
Joint au mot «bière», il peut décrire toute bière
produite au Canada par n'importe lequel brasseur.
Comme je l'ai fait remarquer plus haut, il appar-
tient à la requérante de l'enregistrement d'une
telle marque de démontrer clairement que le mot
est devenu si distinctif de son produit qu'il a acquis
une signification secondaire que le public concerné
ne confondrait habituellement pas avec son sens
premier.
Je ne suis pas convaincu que la requérante/inti-
mée se soit acquittée de cette charge. Encore une
fois, il ne faut pas oublier qu'il ressort de ce j'ai dit
plus haut que la date pertinente pour démontrer
que la marque avait acquis un caractère distinctif
est le 10 décembre 1971. À mon avis, les seuls
éléments de preuve auxquels il faut accorder beau-
coup d'importance sont ceux qui ont trait à la
perception que le public avait de la marque aux
environs de 1971. Les principaux éléments de
preuve pertinents étaient les documents déposés
avec la demande et comprenant l'affidavit de M.
Thomas King de la société International Surveys
Limited en ce qui concerne un sondage effectué
par sa société en 1971 et 1972 auprès d'un échan-
tillon de vendeurs de bière, ainsi que les
quelque 59 affidavits de personnes travaillant dans
le domaine de la vente de bière, tels que des
gérants de bars, des serveurs et des serveuses, etc.
Le sondage a été principalement effectué dans
quelques agglomérations urbaines et, dans la plu-
part des cas, dans des endroits où la bière est
consommée sur place, par opposition aux endroits
où la bière est vendue pour être consommée à
l'extérieur des lieux de vente. Le sondage a indiqué
que, dans la plupart des cas, lorsque les enquêteurs
demandaient une «Canadian», on leur servait une
bière de cette marque brassée par Molson. De
même, les affidavits provenaient principalement de
personnes engagées dans la vente sur les lieux
mêmes, et ils portaient en général que lorsque les
clients demandaient à ces mêmes personnes une
«Canadian», elles leur servaient une bière Molson
portant cette marque. Ils indiquaient également
qu'un pourcentage élevé de consommateurs de
cette marque de bière la demandaient en utilisant
le nom «Canadian», ou parfois, l'expression [TRA-
DUCTION] «une "Canadian" de Molson». Bien que
ces éléments de preuve aient une certaine valeur, je
ne les trouve pas convaincants. L'appelante/oppo-
sante a déposé, au cours des procédures dont le
registraire a été saisi, l'affidavit de Charles S.
Mayer, professeur de marketing à l'université
York et spécialiste des études de marché. Il a
analysé, dans son affidavit, un sondage similaire
effectué au nom de la requérante/intimée en 1977
(voir l'affidavit de Rolfe Schliewen, daté du 5 août
1977) et il a fortement critiqué la méthode suivie
pour ce sondage qui, semble-t-il, reposait volontai-
rement et essentiellement sur les mêmes fonde-
ments que celui effectué en 1971-1972. Parmi les
points faibles de ce sondage, il a fait remarquer
que l'échantillonnage n'était pas représentatif et
que les personnes interrogées étaient [TRADUC-
TION] «des professionnels habitués à répondre à
des indications incomplètes et qui représentent
donc la mauvaise partie de la population». Il affir-
mait en fait que pour vérifier si un mot descriptif
distingue réellement un certain produit, il est
nécessaire d'interroger dans un sondage les person-
nes qui utilisent ledit produit, et que cela n'avait
pas été fait. J'estime qu'il s'agit d'une critique
révélatrice des deux sondages, et même si je me
trompais en concluant que la date pertinente pour
établir le caractère distinctif était le 10 décembre
1971 plutôt que le 13 février 1975, date de la
production de l'opposition, je crois que le résultat
serait le même. La principale preuve de l'existence
du caractère distinctif en 1975 serait probablement
le sondage effectué en 1977, mais ce dernier con-
tient les mêmes faiblesses que le précédent.
Je devrais également mentionner que l'appe-
lante/opposante a amené un bon nombre d'élé-
ments de preuve démontrant que l'emploi courant
au Canada du mot «Canadian» dans le domaine de
la vente de la bière au détail sert à établir une
distinction entre les marques de bière de fabrica-
tion nationale et celles de bières importées. Ainsi,
comme la preuve l'a révélé, il est fréquent que les
régies des alcools des provinces et les restaurants
inscrivent les différentes bières sous les rubriques
«Canadian» («canadiennes») et «imported» («impor-
tées»). Bien que, à mon avis, cela ne prouve pas
nécessairement que le mot «Canadian» ait un sens
exclusif, établissant une distinction entre les bières
de fabrication nationale et les bières importées, il
ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un emploi fré-
quent du terme «Canadian» en liaison avec des
bières. On peut à tout le moins affirmer qu'il
amoindrit le mérite de la prétention de la requé-
rante/intimée que, dans le domaine de la bière, le
mot «Canadian» a acquis une signification secon-
daire, généralement reconnue, servant à identifier
une marque de bière vendue par Molson.
Bien que je rejette avec une certaine hésitation
les conclusions de fait du registraire à ce sujet,
j'estime que, lorsque l'appel porte sur les conclu
sions de fait et non sur la justesse de l'exercice
d'un pouvoir discrétionnaire par le registraire, j'ai
le devoir de former ma propre opinion sur les faits:
voir Beverley Bedding & Upholstery Co. c. Regal
Bedding & Upholstering Ltd. (1980), 47 C.P.R.
(2d) 145 (C.F. l e inst.); Benson & Hedges
(Canada) Limited v. St. Regis Tobacco Corpora
tion, [1969] R.C.S. 192; 57 C.P.R. 1.
Je conclus que la requérante ne s'est pas acquit-
tée de l'obligation de démontrer le caractère dis-
tinctif de la marque «Canadian» dans le présent
contexte et que, par conséquent, cette marque n'est
pas enregistrable selon la demande présentée. J'ac-
cueillerais donc l'appel avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.