T-2736-83
Jacques Beauchamp (demandeur)
c.
Coastal Corporation et le navire Wayward Prin
cess (défendeurs)
Division de première instance, juge Reed —
Toronto, 27 et 28 février 1984.
Pratique — Requête en radiation des plaidoiries — Requête
visant une ordonnance de radiation de la partie de la déclara-
tion demandant l'exécution intégrale, et une ordonnance de
mainlevée de la saisie du navire — Le demandeur a indiqué
par écrit son intention de se désister de son action en exécution
intégrale, mais de réclamer des dommages-intérêts — Dépôt
d'un affidavit portant que le demandeur a maintenant l'inten-
tion de donner suite à sa demande d'exécution intégrale — Les
défendeurs soutiennent que le demandeur s'est désisté de son
action en exécution intégrale et que, par conséquent, la Cour
n'a pas compétence pour connaître de l'action en dommages-
intérêts seulement — La partie concernée de la déclaration ne
devrait pas être radiée s'il existe le moindre doute quant à la
possibilité que la demande d'exécution intégrale présentée par
le demandeur soit accueillie à l'instruction — Il n'est pas
évident que la lettre a annulé la demande en exécution inté-
grale présentée par le demandeur — Il faut se demander si le
fait d'opter pour un recours empêche de modifier ce choix par
la suite lorsque cela ne cause pas un préjudice réel au défen-
deur — Il faut examiner si la lettre elle-même constitue un
choix — La question de la compétence doit également être
pleinement débattue — Demande rejetée — Règles de la Cour
fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 406, 419 — Loi sur la
Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 22(2)a).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
Tanenbaum c. Sears, [1972] R.C.S. 67; Dobson v.
Winton & Robbins Ltd., [1959] R.C.S. 775; Visipak Ltd.
v. Deerfield Laminations Ltd., [1973] 1 O.R. 97 (H.C.);
Rothschild et al. v. Custodian of Enemy Property,
[1945] R.C.É. 44; Johnson v. Agnew, [1980] A.C. 367
(H.L.); Antares Shipping Corporation c. Le navire
«Capricorn» et autres, [1980] 1 R.C.S. 553.
AVOCATS:
T. Bell pour le demandeur.
R. G. Newbury pour les défendeurs.
PROCUREURS:
T. Bell et Wright & McTaggart, Toronto,
pour le demandeur.
R. G. Newbury, Toronto, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: La présente requête vise à
obtenir une ordonnance de radiation du paragra-
phe 10a) de la déclaration du demandeur ainsi
qu'une ordonnance de mainlevée de la saisie du
navire Wayward Princess. Cette requête est pré-
sentée soit en vertu de la Règle 419 [Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] qui prévoit la
radiation de plaidoiries, soit en vertu de la Règle
406 qui prévoit une ordonnance portant que le
demandeur s'est désisté de son action. Je ne crois
pas que la Règle 406 soit applicable en l'espèce,
étant donné qu'elle ne semble pas prévoir le cas où
un défendeur requiert que le demandeur se désiste
de son action.
Le paragraphe 10a) de la déclaration du deman-
deur, datée du 17 novembre 1983, porte:
[TRADUCTION] Le demandeur réclame par conséquent:
a) l'exécution intégrale de l'accord par lequel Coastal s'est
engagée à lui vendre le navire et à lui fournir un acte de vente
du navire enregistrable, libre de toute charge, le demandeur
devant consigner à la Cour le prix d'achat moins les sommes
requises pour obtenir mainlevée des charges enregistrées.
Le principal point en litige entre les parties
consiste à déterminer si le demandeur a; en vertu
de l'accord, fait une offre appropriée de manière à
exiger l'exécution intégrale de la promesse de
vente. Un mandat de saisie a subséquemment été
lancé contre le navire en attendant que la Cour se
prononce sur la question du droit de propriété.
Les parties reconnaissent que le navire en cause,
le Wayward Princess, est le seul bien de la défen-
deresse- et que la situation financière de cette
dernière ne lui permet pas de déposer une caution
pour obtenir la mainlevée de la saisie dudit navire.
La présente demande découle d'une lettre adres-
sée le 2 février 1984 aux procureurs des défendeurs
par l'un des procureurs du demandeur, John D.
Gregory, et qui portait notamment:
[TRADUCTION] Veuillez prendre note que le demandeur se
désiste de son action en exécution intégrale, et qu'il ne récla-
mera devant la Cour que des dommages-intérêts. Étant donné
que la personne qui devait acheter le navire au demandeur a
retiré son offre, le navire lui-même n'a plus aucune utilité pour
celui-ci.
À l'audition de la requête, John D. Gregory a
déposé un affidavit dans lequel il déclarait:
[TRADUCTION] Le jeudi 23 février 1984, M. Allan Brock,
notre avocat-conseil et le procureur du demandeur aux présen-
tes, m'a informé au cours d'une conversation téléphonique, et je
le crois:
a) qu'il a récemment examiné en détail avec le demandeur les
choix qui s'offrent à ce dernier au sujet de son action en
exécution intégrale et en dommages-intérêts;
b) que, contrairement aux conseils et instructions reçus précé-
demment du demandeur, il souhaite maintenant donner suite à
sa demande d'exécution intégrale de ladite promesse de vente
du navire «WAYWARD PRINCESS»;
c) que, par conséquent, le demandeur demeure prêt et disposé à
remplir les obligations prévues dans ladite promesse de vente et
qu'il est en mesure de s'en acquitter.
La défenderesse prétend essentiellement que le
paragraphe 10a) de la déclaration devrait être
radié parce que le demandeur s'est désisté de son
action en exécution intégrale. L'avocat prétend
donc que la Cour n'a plus compétence, étant donné
qu'il ne reste que la demande subsidiaire de dom-
mages-intérêts du demandeur, question qui ne
relève pas de la compétence de la Cour en matière
d'amirauté, et qu'il devrait donc y avoir mainlevée
de la saisie du navire Wayward Princess.
À l'appui de ses arguments portant qu'il y a eu
désistement et que pour obtenir l'exécution inté-
grale, le demandeur doit en tout temps demeurer
prêt et disposé à exécuter le contrat, l'avocat de la
défenderesse a cité les arrêts Tanenbaum c. Sears,
[1972] R.C.S. 67 et Dobson v. Winton & Robbins
Ltd., [1959] R.C.S. 775. Il a en outre soutenu que
la conduite du demandeur équivalait à tenter de
retirer une admission de responsabilité faite dans
les conclusions. Voir Visipak Ltd. v. Deerfield
Laminations Ltd., [1973] 1 O.R. 97 (H.C.). Il a
également allégué qu'on devrait faire une analogie
avec les conditions d'une injonction de type
Mareva pour justifier la saisie du navire.
Je ne crois pas que les arguments relatifs à la
ressemblance avec le retrait d'admissions faites
dans les conclusions ou avec les conditions d'une
injonction de type Mareva soient utiles en l'espèce.
J'accepte l'argument de l'avocat du demandeur
selon lequel la partie concernée de la déclaration
ne devrait pas être radiée s'il existe le moindre
doute quant à la possibilité que la demande d'exé-
cution intégrale présentée par le demandeur soit
accueillie à l'instruction. Autrement dit, les ques
tions de droit contestées ne devraient pas être
tranchées par une requête présentée en vertu de la
Règle 419. Voir Rothschild et al. v. Custodian of
Enemy Property, [1945] R.C.É. 44.
Il reste à examiner s'il y a, en l'espèce, une
question de droit contestée ou si le procureur du
demandeur, en écrivant à la défenderesse de la
manière ci-haut indiquée, a manifestement et sans
aucune équivoque fait obstacle à toute demande
d'exécution intégrale que le demandeur pourrait
présenter, de sorte que le litige ne devrait pas être
soumis au tribunal.
Compte tenu de la jurisprudence citée par l'avo-
cat du demandeur, je ne crois pas que cette ques
tion soit aussi évidente. Il existe une question de
droit que la Cour devrait examiner en détail à
l'instruction et qu'elle ne devrait pas trancher som-
mairement en se prononçant sur une demande
interlocutoire comme celle présentée en l'espèce.
Cela découle de plusieurs considérations. En
premier lieu, l'exécution intégrale est un recours
reconnu en equity et, par conséquent, est de nature
discrétionnaire. En deuxième lieu, historiquement:
[TRADUCTION] ... l'exécution intégrale pouvait être accordée
même après qu'une action fondée sur la common law avait été
intentée. Pour éviter une multitude d'actions et la possibilité de
double indemnisation, la pratique consistait à délivrer une
injonction sur requête du défendeur suspendant la demande en
justice, ce qui avait pour effet d'obliger le demandeur à faire un
choix. On peut expliquer cette pratique d'accueillir un recours
en equity malgré la présentation par le demandeur d'une
demande en justice par le fait qu'à un moment donné, il fallait
introduire une demande distincte pour faire trancher des ques
tions d'ordre strictement juridique. Cependant, cela ne devrait
pas faire oublier que les tribunaux considéraient qu'il était
possible d'accueillir un recours en equity dans certains cas,
même lorsque le demandeur avait indiqué au départ qu'il
désirait obtenir des dommages-intérêts plutôt que l'exécution de
l'obligation.
R. J. Sharpe, Injunctions and Specific Perfor
mance, 1983, pages 403 et 404, paragraphe 789.
En troisième lieu, bien que dans l'arrêt Johnson
v. Agnew, [1980] A.C. 367 (H.L.), à la page 398,
lord Wilberforce n'ait pas appliqué son raisonne-
ment à l'acceptation de la répudiation d'un con-
trat, celui-ci indique qu'il faudrait se demander si
le fait d'opter pour un recours empêche une partie
de modifier par la suite ce choix, lorsque cela ne
cause pas un préjudice réel au défendeur. De plus,
il faudrait examiner plus en détail la question de
savoir si, en l'absence d'une action du demandeur
visant à rendre impossible l'exécution intégrale de
sa part, la lettre constitue un choix.
De plus, j'hésiterais à trancher la question de la
compétence de cette Cour lorsque le navire a déjà
été saisi, sans avoir débattu pleinement cette ques
tion, notamment en examinant l'arrêt de la Cour
suprême dans Antares Shipping Corporation c. Le
navire «Capricorn» et autres, [ 1980] 1 R.C.S. 553
et le libellé de l'alinéa 22(2)a) de la Loi sur la
Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10].
On pourrait fort bien examiner ces questions en
demandant à la Cour de statuer sur un point de
droit en vertu de la Règle 474, à condition que les
parties s'entendent sur les faits. Toutefois, elles ne
devraient pas être tranchées sommairement au
moyen de la présente requête interlocutoire.
La demande de radiation du paragraphe 10a) de
la déclaration et de mainlevée de la saisie du
navire est donc rejetée.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.