T-2600-83
Marcel Pilon et Donald Tyler, détenus du péniten-
cier de Millhaven (requérants)
c.
Donald Yeoman, commissaire du service correc-
tionnel (intimé)
Division de première instance, juge McNair—
Ottawa, 26 janvier et 30 avril 1984.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Pénitenciers
— Certiorari et mandamus — Transferement de détenus d'un
pénitencier à sécurité moyenne à un pénitencier à sécurité
maximale sans qu'ils aient eu l'occasion de se faire entendre
— Aucun déni de l'obligation fondamentale d'agir équitable-
ment car les détenus avaient été informés et rien dans la loi
n'impose l'obligation de tenir une audition complète —
Requête rejetée — Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap.
P-6, art. 13(3), 29(3) — Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970
(2 e Supp.), chap. 10, art. 18.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Garanties
juridiques — Transferement de détenus d'un pénitencier à
sécurité moyenne à un pénitencier à sécurité maximale — Les
restrictions nécessaires et raisonnables aux droits pendant une
incarcération légitime sont autorisées par l'art. 1 de la Charte
— Sauf violation manifeste d'un droit garanti par la Constitu
tion, il n'appartient pas, en règle générale, aux tribunaux
d'examiner les décisions en matière de sécurité prises par des
directeurs d'établissements — Le transferement des requérants
ne constituait pas une atteinte à leur droit à la vie, à la liberté
et à la sécurité de leur personne et ne constituait pas une
détention ou un emprisonnement arbitraire — Charte cana-
dienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi
constitutionnelle de 1982, annexe B. Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 9 — Loi sur les
pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 13(3). 29(3).
Pénitenciers — Transfèrement de détenus d'un pénitencier à
sécurité moyenne à un pénitencier à sécurité maximale sans
qu'ils aient eu l'occasion de se faire entendre — Aucun man-
quement à l'obligation d'agir équitablement car les détenus ont
été dûment informés et rien dans la loi n'impose l'obligation de
tenir une audition complète — Les restrictions nécessaires et
raisonnables aux droits pendant une incarcération légitime,
comme le transfèrement pour des raisons de sécurité, sont
autorisées par l'art. 1 de la Charte — Sauf violation manifeste
d'un droit garanti par la Constitution, il n'appartient pas aux
tribunaux, en règle générale, d'examiner les décisions en
matière de sécurité prises par des directeurs d'établissements
— Le transferement ne viole pas les art. 7 et 9 de la Charte —
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 9 — Loi sur
les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 13(3), 29(3) —
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10,
art. 18.
À la suite d'un accroissement alarmant de la violence à
l'établissement à sécurité moyenne de Collins Bay, les requé-
rants ont été identifiés comme ayant une mauvaise influence
sur l'ensemble de la population carcérale et ont été transférés à
l'établissement à sécurité maximale de Millhaven. Les requé-
rants allèguent que les transfèrements contreviennent aux arti
cles 7 et 9 de la Charte et en outre violent les principes d'équité
dans la procédure. Par conséquent, ils demandent un bref de
certiorari annulant leur transfèrement et un bref de mandamus
ordonnant leur retour à Collins Bay.
La seule question qui se pose est de savoir s'il y a eu un
manquement à une obligation évidente d'équité dans la procé-
dure en ce qui a trait au transfèrement des requérants à un
établissement à sécurité maximale, étant donné, surtout, que les
requérants n'ont pas eu l'occasion de se faire entendre.
Jugement: La requête est rejetée. L'obligation d'agir équita-
blement dans un cas précis doit être définie par renvoi aux
dispositions législatives qui forment le cadre dans lequel s'appli-
que le processus administratif. Il n'y a rien dans la Loi où les
règlements applicables qui impose l'obligation de tenir une
audition complète avant un transfèrement. En outre, les requé-
rants ont été pleinement informés de leur transfèrement et des
raisons de celui-ci conformément à la directive applicable du
commissaire.
Les restrictions et les limites imposées aux droits des détenus
pour des raisons de sécurité, comme le transfèrement à une
institution plus sécuritaire, sont permises en vertu de l'article 1
de la Charte. Cette cour n'est pas d'accord avec la position du
juge McDonald dans l'affaire Soenen v. Dir. of Edmonton
Remand Centre (1983), 35 C.R. (3d) 206 (B.R. Alb.) selon
laquelle la Charte des droits et libertés doit être interprétée
dans un sens absolu indépendamment de l'article 1. Sauf
violation manifeste d'un droit garanti par la Constitution, il
convient toujours d'appliquer le principe selon lequel il n'appar-
tient pas aux tribunaux, en règle générale, de mettre en doute le
jugement du directeur d'un établissement quant à ce qui peut
ou non être nécessaire pour maintenir la sécurité dans un
pénitencier. La décision administrative de transférer les requé-
rants ne constituait pas, dans les circonstances, une atteinte à
leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de leur personne
garanti par l'article 7 de la Charte. L'exécution du transfère-
ment ne constitue pas non plus une détention ou un emprison-
nement arbitraire au sens de l'article 9. Par conséquent, il n'y
avait aucune obligation d'accorder aux requérants une audition
en ce qui a trait à leur transfèrement.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Regina v. Cadeddu (1982), 40 O.R. (2d) 128 (H.C.);
Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; 105 D.L.R.
(3d) 745; Re Anaskan and The Queen (1977), 76 D.L.R.
(3d) 351 (C.A. Ont.); Re Maltby et al. and Attorney -
General of Saskatchewan et al. (1983), 143 D.L.R. (3d)
649 (B.R. Sask.).
DECISION ÉCARTÉE:
Soenen v. Dir. of Edmonton Remand Centre (1983), 35
C.R. (3d) 206 (B.R. Alb.).
AVOCATS:
Fergus O'Connor pour les requérants.
J. Pethes pour l'intimé.
PROCUREURS:
Fergus J. O'Connor, Kingston (Ontario), pour
les requérants.
Le sous-procureur général du Canada, pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MCNAIR: Il s'agit d'une requête pré-
sentée par les requérants en vertu de l'article 18 de
la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2°
Supp.), chap. 10] en vue d'obtenir un bref de
certiorari annulant leur transfèrement d'un péni-
tencier à sécurité moyenne à un pénitencier à
sécurité maximale et un bref de mandamus ordon-
nant leur retour à l'établissement à sécurité
moyenne d'où ils ont été transférés. Les moyens
invoqués sont que les transfèrements contrevien-
nent aux articles 7 et 9 de la Charte canadienne
des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] et, à
titre subsidiaire, qu'ils violent les principes d'équité
dans la procédure. Cela revient simplement à dire
que les requérants n'ont pas eu l'occasion de se
faire entendre en ce qui a trait à leur
transfèrement.
La requête est appuyée par les affidavits des
requérants. L'objet de chacun de ceux-ci est essen-
tiellement le même. En opposition, on a présenté
les affidavits de Kenneth H. Payne, directeur de
l'établissement à sécurité moyenne de Collins Bay
et de John C. Ryan, directeur de l'établissement à
sécurité maximale de Millhaven. La requête a été
entendue sur la base de ces affidavits et de l'argu-
mentation présentée par les avocats.
Les requérants étaient détenus au pénitencier de
Collins Bay qui est un établissement à sécurité
moyenne. Vers la fin d'août 1983, la violence
s'était accrue de façon alarmante dans ce péniten-
cier. Bien qu'ils affirment le contraire, les requé-
rants n'étaient pas des prisonniers modèles et la
division de la sécurité de Collins Bay avait identi-
fié un certain nombre de détenus comme ayant une
mauvaise influence sur l'ensemble de la population
carcérale. Les requérants avaient été identifiés
comme tels. On a procédé ensuite à la ségrégation
des suspects, mais cette mesure n'est pas en litige
dans la requête. Le transfèrement des détenus
identifiés comme suspects, dont les requérants, à
un établissement à sécurité maximale était consi-
déré comme un moyen de rétablir la sécurité.
Après consultations et examen de la situation,
ces détenus, et notamment les requérants, ont été
transférés au pénitencier à sécurité maximale de
Millhaven. Le transfèrement des requérants et des
autres détenus suspects a été exécuté en vertu d'un
mandat officiel revêtu de la signature de F.
Luciani, administrateur régional adjoint du pro
gramme pour les détenus en sa qualité de fonction-
naire agissant sous les ordres du commissaire en
vertu du paragraphe 13(3) de la Loi sur les péni-
tenciers [S.R.C. 1970, chap. P-6]. Le mandat était
daté du 8 septembre 1983. À la même date,
chacun des requérants a reçu une note de service
confirmant qu'ils avaient été avertis en personne
des motifs de leur transfèrement, et notamment du
motif formulé de la façon suivante au paragraphe
3 de ladite note de service:
[TRADUCTION] 3. Vous êtes transféré à l'établissement de
Millhaven en raison de votre comportement dans l'établisse-
ment où vous êtes détenu. Cette mesure a pour but de mainte-
nir le bon ordre et la sécurité de cet établissement. Vous
pourriez également faire l'objet d'un transfèrement dans une
autre région.
Le transfèrement de Collins Bay à l'établisse-
ment à sécurité maximale de Millhaven a eu lieu le
9 septembre 1983.
Les requérants soutiennent maintenant que le
motif indiqué dans la note de service est un motif
insuffisant pour justifier le transfèrement. Ils sou-
tiennent en outre qu'on leur a refusé le droit d'être
entendus. Toutefois, rien n'indique dans la preuve
qu'ils aient jamais demandé une audition. Telles
sont essentiellement les questions en litige.
L'affidavit de M. Payne indique que le taux de
violence à l'établissement de Collins Bay a sensi-
blement diminué à la suite du transfèrement à
Millhaven des onze détenus suspects. Cela n'a pas
été réfuté. Certains éléments de preuve indiquent
que le nombre d'incidents violents survenus à l'éta-
blissement de Millhaven de janvier à septembre
1983 a largement dépassé celui de toute l'année
1982. On ne peut rien en déduire qui puisse impli-
quer les requérants car ils ne sont arrivés à l'éta-
blissement que vers la mi-septembre.
Chaque requérant déclare dans son affidavit que
le transfèrement lui a causé un préjudice. Tous
deux manifestent de l'appréhension, de la peur et
de l'anxiété à l'égard de ce qu'ils prétendent être
un milieu de vie dangereusement explosif à Mill -
haven. Les deux requérants se fondent à ce sujet
sur leur expérience précédente de détention au
pénitencier de Millhaven. Cette affirmation est
contredite dans une certaine mesure par l'affidavit
de John C. Ryan, le directeur du pénitencier de
Millhaven, qui souligne que le soi-disant «code de
conduite» des détenus en matière d'actes de vio
lence est le même à Collins Bay. De toute évi-
dence, si quelqu'un cherche des ennuis il peut
facilement en trouver.
Les requérants soutiennent en outre que le
transfèrement entraîne la perte de certains des
avantages dont ils jouissaient à Collins Bay. Cette
allégation est réfutée en grande partie par l'affida-
vit du directeur de Millhaven. De toute façon,
leurs craintes et leurs préoccupations relatives aux
avantages perdus sont des affirmations intéressées
et des opinions subjectives concernant des à-côtés
de la question à l'étude. Je suis d'avis que la seule
question qui se pose en l'espèce est simplement de
savoir s'il y a eu un manquement à une obligation
évidente d'équité dans la procédure en ce qui a
trait au processus de prise de décision qui a
entraîné le transfèrement des requérants à un éta-
blissement à sécurité maximale.
Voici le texte de l'alinéa 9 de l'affidavit de M.
Kenneth H. Payne directeur du pénitencier de
Collins Bay:
[TRADUCTION] 9. L'agent des services correctionnels, M.
Troyer, a avisé verbalement les requérants Marcel Pilon et
Donald Tyler des motifs de leur transfèrement. De plus, il a
donné aux requérants Marcel Pilon et Donald Tyler un avis
écrit en date du 8 septembre 1983 qui indiquait que les deux
requérants étaient transférés à l'établissement de Millhaven
pour préserver le bon ordre et la sécurité de l'établissement de
Collins Bay. Une copie certifiée de l'avis écrit donné par l'agent
des services correctionnels Troyer est joint à l'affidavit de
Marcel Pilon comme pièce «A». Un avis semblable a été remis
au requérant Donald Tyler le 8 septembre 1983. J'ai signé
chaque avis.
Une copie de la lettre datée du 7 septembre
1983 adressée par son avocat, Fergus J. O'Connor,
au directeur de Collins Bay est annexée à son
affidavit comme pièce «A».
En introduction, M. O'Connor indique qu'il a
interrogé Tyler le 6 septembre 1983, puis souligne
dans sa lettre la plainte du requérant concernant la
ségrégation (qui n'est pas en litige) et la crainte
que suscite son transfèrement à Millhaven, men-
tionnant ensuite l'allégation du requérant selon
laquelle ni la ségrégation ni le transfert ne sont
justifiés. La lettre se termine par le paragraphe
suivant:
[TRADUCTION] D'un point de vue strictement juridique, je
dois insister sur le fait que la ségrégation exercée à l'égard de
M. Tyler doit être motivée. En ma qualité de conseiller juridi-
que de M. Tyler, je vous demande de me donner ces raisons
dans les meilleurs délais. De même si vous envisagez un transfè-
rement, je vous demande respectueusement de tenir compte des
aspects positifs de la conduite de M. Tyler. Ce jeune homme
purge une peine d'emprisonnement à perpétuité et un transfère-
ment à Millhaven retardera certainement de plusieurs années la
possibilité d'une libération conditionnelle.
En espérant vous lire bient8t, je vous remercie de votre
attention. [C'est moi qui souligne.]
M. Payne n'a pas daigné répondre. La lettre
corrobore le fait que les requérants avaient été
informés avant le 6 septembre 1983 par l'agent des
services correctionnels Troyer des motifs du trans-
fèrement prévu. Il est important de noter égale-
ment que, à ce stade, les requérants ne deman-
daient pas les motifs du transfèrement prévu ni ne
cherchaient à obtenir une audition à ce sujet.
Le paragraphe 13(3) de la Loi sur les péniten-
ciers dit:
13....
(3) Lorsqu'une personne a été condamnée ou envoyée au
pénitencier, le commissaire ou tout fonctionnaire agissant sous
les ordres de ce dernier peut, par mandat revêtu de sa signa
ture, ordonner que la personne soit incarcérée dans un péniten-
cier quelconque au Canada ou y soit transférée, que cette
personne ait été ou non reçue dans le pénitencier approprié
désigné dans les règles établies sous le régime du paragraphe
(2).
La Loi donne au gouverneur en conseil le pou-
voir d'édicter des règlements relatifs, notamment,
à la discipline et à la direction judicieuse du
Service, à la garde des détenus et, de façon géné-
rale, à la réalisation des objets de la Loi.
Sous réserve également de la Loi et de tout
règlement édicté sous le régime de celle-ci, le
commissaire peut établir des règles, connues sous
le nom de directives du commissaire, pour les fins
suivantes:
29....
(3) ... concernant l'organisation, l'entraînement, la disci
pline, l'efficacité, l'administration et la direction judicieuse du
Service, ainsi que la garde, le traitement, la formation, l'emploi
et la discipline des détenus et la direction judicieuse des
pénitenciers.
Les directives ont une vaste portée. Il est vrai
que ces directives n'ont pas force de loi, mais il est
tout aussi vrai qu'elles doivent être considérées
comme formulant les lignes directrices en matière
d'action administrative relativement à la question
particulière qui est à l'étude.
Voici le texte de l'article 18 de la directive du
commissaire n° 260:
18. Lorsqu'un détenu doit être transféré à la suite d'une
décision administrative, sans en avoir lui-même fait la
demande, il doit être informé de l'intention de le transférer, si
les exigences de la sécurité le permettent. De plus, on doit lui
accorder quarante-huit (48) heures pour présenter des raisons
qui justifieraient une nouvelle étude de son cas. Il doit recevoir
par écrit les raisons de la décision finale.
La contestation du transfèrement se fonde
essentiellement sur l'allégation de déni de justice
naturelle et d'équité en vertu de la notion générale
de devoir d'agir équitablement dans de telles cir-
constances. Ils soutiennent que les principes de
justice fondamentale exigent, dans le cas d'un
transfèrement, qu'on donne au détenu les motifs
du transfèrement d'une manière suffisamment pré-
cise pour lui permettre d'y répondre, qu'on lui
donne l'occasion d'y répondre et qu'on tienne
compte de la réponse pour prendre la décision. De
plus, ou de manière subsidiaire, ils invoquent les
articles 7 et 9 de la Charte et allèguent que la
décision de les transférer d'un pénitencier à sécu-
rité moyenne à un établissement à sécurité maxi-
male constitue une atteinte à la sécurité de leur
personne et constitue une détention ou un empri-
sonnement arbitraire. J'ai examiné les autorités
citées par les avocats et, à mon avis, il n'est pas
nécessaire d'expliquer en détail les principes juridi-
ques applicables que je rappellerai seulement en
termes très généraux.
Tous les aspects de l'affaire soulèvent la simple
question de savoir si, d'après les faits de l'espèce,
l'administration carcérale a agi de manière équita-
ble à l'égard des requérants qui prétendent avoir
été lésés par la décision administrative de les trans-
férer à un établissement à sécurité maximale sans
que leur soit donnée la possibilité de se faire
entendre.
Je traiterai tout d'abord de l'équité dans la
procédure.
La loi établit clairement que la décision admi
nistrative de transférer un détenu d'un établisse-
ment pénitentiaire à un autre relève de l'exercice
de fonctions administratives en matière de disci
pline dans lesquelles un tribunal ne devrait interve-
nir qu'en cas de violation flagrante de l'obligation
fondamentale d'agir équitablement. Dans ce con-
texte, aucune règle de droit n'exempte nécessaire-
ment l'exercice de ces pouvoirs disciplinaires de
transfèrement du contrôle par certiorari. L'obliga-
tion d'agir équitablement dans un cas précis doit
être définie par renvoi aux dispositions législatives
qui forment le cadre dans lequel s'applique le
processus administratif. S'ils examinent la ques
tion sous cet angle, les tribunaux chargés du con-
trôle des décisions administratives sont moins sus-
ceptibles de succomber à la tentation de substituer
leur jugement rétrospectif à celui du décideur
administratif et ainsi d'assumer arbitrairement les
fonctions législatives ou administratives.
Je ne trouve rien dans la Loi ou les règlements
qui impose l'obligation de tenir une audition com-
plète avant de prendre la décision administrative
de transférer un détenu d'un établissement à un
autre. L'article 18 de la directive prescrit un code
de procédure qui exige que le détenu soit informé
de la décision administrative de le transférer si les
exigences de la sécurité le permettent et qu'il lui
soit accordé quarante-huit heures pour présenter
des raisons qui justifieraient une nouvelle étude de
son cas. La directive conclut en disant que les
détenus doivent recevoir par écrit les raisons de la
décision finale. La directive n'exige pas que l'avis
initial de l'intention de transférer soit donné par
écrit, elle exige simplement que le détenu soit
informé. À la suite d'un tel avis, le détenu a
quarante-huit heures pour présenter des raisons
qui justifieraient une nouvelle étude de son cas.
L'option est donnée au détenu et son exercice est
laissé à son choix. Qu'il choisisse ou non de l'exer-
cer, les raisons de la décision finale doivent lui être
communiquées par écrit. Rien dans cela ne suggère
l'existence d'une obligation quelconque qui impo-
serait, au nom de l'équité procédurale, la tenue
d'une audition comme condition préalable à la
décision de transférer un détenu.
D'après la preuve, je suis convaincu que les
requérants ont été pleinement informés avant le 6
septembre 1983 de l'intention de les transférer.
Dès lors il leur appartenait de prendre l'initiative.
Ils n'ont pas demandé d'audition. On leur a donc
donné par écrit les raisons de la décision finale de
les transférer le 8 septembre 1983 et, le jour
suivant, ils ont été transférés à Millhaven. L'admi-
nistration de la prison a informé les requérants de
la décision administrative de les transférer, comme
elle était tenue de le faire, et les requérants avaient
la possibilité d'y répondre mais ne l'ont pas fait. À
mon avis, l'administration de la prison n'était pas
obligée de prendre l'initiative de tenir une audition
pour montrer son respect de l'équité fondamentale.
Par conséquent, ce moyen échoue.
Il faut maintenant examiner les moyens fondés
sur les articles 7 et 9 de la Charte. Encore une fois,
je ne propose pas de donner des explications détail-
lées sur le droit applicable.
À mon avis, le juge Sirois a énoncé le principe
approprié qui doit être appliqué dans les affaires
carcérales dans lesquelles sont alléguées des viola
tions de la Charte, dans l'affaire Re Maltby et al.
and Attorney -General of Saskatchewan et al.
(1983), 143 D.L.R. (3d) 649 (B.R. Sask.), à la
page 655:
[TRADUCTION] L'incarcération légitime des requérants à
titre de détenus en détention préventive comporte nécessaire-
ment des restrictions raisonnables aux droits dont ils jouissaient
auparavant dans une société libre et démocratique. Ces restric
tions' sont sans aucun doute le genre de restrictions raisonnables
que les rédacteurs de la Charte canadienne des droits et
libertés prévoyaient lorsqu'ils ont déclaré à l'article 1: »la
Charte ... garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils
ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des
limites qui soient raisonnables...» (C'est moi qui souligne.)
L'établissement peut et doit certainement imposer des restric
tions et des limites aux droits des requérants pour qu'une
sécurité suffisante assure qu'ils demeureront en détention et
qu'ils ne constitueront pas un danger pour eux-mêmes, pour les
autres détenus ou pour le personnel.
Dans ce cas, les requérants étaient des détenus
en détention préventive par opposition à des déte-
nus condamnés mais, à mon avis, le principe s'ap-
plique avec plus de force encore à ces derniers.
En toute déférence, je ne suis pas d'accord avec
le juge McDonald qui dit que les droits et libertés
garantis par la Charte doivent être interprétés
dans un sens absolu, indépendamment de l'article
1, si c'est ce qu'il veut dire dans l'affaire Soenen v.
Dir. of Edmonton Remand Centre (1983), 35 C.R.
(3d) 206 (B.R. Alb.).
J'estime que les droits inscrits dans la Charte
sont toujours assujettis à l'article 1 et que la seule
distinction pouvant être envisagée porterait sur le
fardeau de la preuve et non sur une question de
fond. Sauf violation manifeste d'un droit garanti
par la Constitution, il convient d'appliquer le prin-
cipe selon lequel il n'appartient pas aux tribunaux,
en règle générale, de mettre en doute le jugement
du directeur d'un établissement quant à ce qui
peut ou non être nécessaire pour maintenir la
sécurité dans un pénitencier: voir Regina v.
Cadeddu (1982), 40 O.R. (2d) 128 (H.C.);
Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; 105
D.L.R. (3d) 745; et Re Anaskan and The Queen
(1977), 76 D.L.R. (3d) 351 (C.A. Ont.).
Je suis convaincu, d'après la prépondérance des
probabilités et l'ensemble de la preuve, que la
décision administrative de transférer les requérants
à un établissement à sécurité maximale ne consti-
tuait pas, dans les circonstances, une atteinte à
leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de
leur personne au sens de l'article 7 de la Charte.
Pour la même raison, je juge que ce qui a été fait
en exécution du transfèrement ne peut être inter-
prété, même avec beaucoup d'imagination, comme
une détention ou un emprisonnement arbitraire au
sens de l'article 9. Qui plus est, la preuve ne
suggère nullement la partialité et rien n'indique
que celui qui a pris la décision a agi de façon
arbitraire ou malhonnête.
Par conséquent je suis d'avis que le directeur de
l'établissement de Collins Bay n'était pas obligé
d'accorder aux requérants une audition en ce qui a
trait à la décision administrative de les transférer
au pénitencier de Millhaven. Ce moyen échoue
également.
Par ces motifs, je rejette la requête, mais sans
dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.