T-4215-81
La Reine (demanderesse)
c.
Terra Mining & Exploration Limited (N.P.L.)
(défenderesse)
Division de première instance, juge Reed—
Edmonton, 7 février; Ottawa, 21 février 1984.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Déductions —
Méthode de comptabilisation des dépenses en intérêts aux fins
d'impôt différente de la méthode utilisée pour la comptabili-
sation du reste du revenu aux fins d'impôt et de celle utilisée
dans les états financiers — Les mots «suivant la méthode
habituellement utilisée par le contribuable dans le calcul de
son revenu» de l'art. 20(1)c) obligent le contribuable à utiliser
la même méthode pour comptabiliser des dépenses en intérêts
et le reste de son revenu — L'application constante et suivie
d'une méthode de «non-rapprochement» et l'existence de plu-
sieurs prêteurs ne justifient pas l'emploi d'une méthode comp-
table double — Les art. 20(1)c) et 12(1)c) exigent une compta-
bilité conforme aux usages commerciaux ordinaires et (ou)
aux principes comptables généralement reconnus_— Distinc
tion faite avec la décision Industrial Mortgage and Trust
Company v. The Minister of National Revenue parce que dans
cette décision il y avait de bons motifs fondés sur les usages
commerciaux ordinaires et sur les principes comptables géné-
ralement reconnus qui permettaient l'emploi d'un système
comptable double — Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-
71-72, chap. 63, art. 9, 12(1)c), 20(1)c) — Règles de 1971
concernant l'application de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-
71-72, chap. 63, Partie III, art. 28(1).
La défenderesse a comptabilisé dans ses états financiers les
dépenses en intérêts selon la méthode d'exercice alors qu'elle a
comptabilisé aux fins d'impôt ses dépenses en intérêts selon une
comptabilité de caisse et le reste de son revenu selon une
comptabilité d'exercice. Appel a été interjeté devant la Com
mission de révision de l'impôt de la nouvelle cotisation établie
par le Ministre. Appel est interjeté de la décision de la Com
mission qui a accueilli l'appel concernant la cotisation de 1975.
Le Ministre soutient que le contribuable doit utiliser la même
méthode de comptabilité pour calculer son revenu aux fins
d'impôt que lorsqu'il comptabilise ses états financiers sauf
lorsque la Loi lui permet expressément d'employer une autre
méthode. La défenderesse fait valoir que les mots «suivant la
méthode habituellement utilisée par le contribuable dans le
calcul de son revenu» de l'alinéa 20(1)c) ont pour but de
permettre au contribuable de choisir sa méthode de comptabi-
lité des dépenses en intérêts sans être limité par les usages
commerciaux ordinaires ni par les principes de comptabilité
généralement reconnus. Elle soutient en outre que comme le
libellé de l'alinéa 12(1)c) est fondamentalement analogue à
celui de l'alinéa 20(1)c), l'interprétation de l'alinéa 12(1)c)
permettant l'emploi d'une méthode double vaut aussi pour
l'alinéa 20(1)c). Elle invoque la décision Industrial Mortgage
and Trust Company v. The Minister of National Revenue et le
Bulletin d'interprétation IT-396 à l'appui de la proposition
voulant qu'un contribuable peut, selon l'alinéa 12(1)c), choisir
de comptabiliser son revenu en intérêts en ne rapprochant pas
revenus et dépenses. La défenderesse soutient que, pour pouvoir
employer la méthode comptable double autorisée par Industrial
Mortgage, un contribuable doit simplement prouver qu'il utilise
la même méthode comptable depuis des années et qu'il y a
plusieurs prêteurs.
Jugement: l'appel est accueilli. Il existe une distinction entre
l'obligation de calculer le revenu, aux fins d'impôt, selon les
principes comptables reconnus et l'obligation pour le contribua-
ble d'utiliser la même méthode de comptabilité pour les états
financiers et les formulaires d'impôt. Dans le calcul du revenu
aux fins d'impôt, il faut appliquer les principes de comptabilité
généralement reconnus, tel le principe du rapprochement des
revenus et des dépenses, à moins que la Loi de l'impôt sur le
revenu n'autorise expressément une autre méthode. Les usages
commerciaux ordinaires et les principes comptables générale-
ment reconnus exigent que le contribuable comptabilise ses
dépenses en intérêts selon la méthode d'exercice. Les mots
«suivant la méthode habituellement utilisée par le contribuable
dans le calcul de son revenu» indiquent au contribuable qui
emploie la méthode comptable de caisse qu'il doit comptabiliser
ses dépenses en intérêts selon la même méthode et, à celui qui
utilise la méthode d'exercice, de les comptabiliser selon cette
même méthode. Ces mots exigent l'emploi d'une méthode
conforme aux principes comptables généralement reconnus au
lieu de permettre une dérogation à ces principes.
Rien dans les alinéas 12(1)c) et 20(1)c) n'indique qu'il faut
les traiter de manière différente. Le fait que l'alinéa 20(1)c)
parle de «revenu» et l'alinéa 12(1)c) de «bénéfices» n'a pas
d'importance. Les décisions Industrial Mortgage et Mid-West
Abrasive ne permettent pas de justifier l'emploi d'une méthode
comptable double sur le seul fondement de l'application cons-
tante et suivie d'une méthode de «non-rapprochement» et de
l'existence de plusieurs prêteurs. Le principe qui se dégage de
ces décisions est que les alinéas 20(1)c) et 12(1)c) exigent une
comptabilité conforme aux usages commerciaux ordinaires et
(ou) aux principes comptables généralement reconnus. Dans la
décision Industrial Mortgage, on a permis au contribuable
d'employer une méthode double soit parce qu'il passait de la
méthode d'exercice à la méthode de caisse, soit parce que les
prêts comptabilisés selon la méthode d'exercice étaient plus sûrs
que les prêts comptabilisés selon la méthode de caisse. Il y avait
de bons motifs fondés sur les usages commerciaux ordinaires et
sur les principes comptables généralement reconnus qui permet-
taient l'emploi d'un système comptable double. Pareille justifi
cation n'a été établie ni en l'espèce ni dans l'affaire Mid- West
Abrasive.
JURISPRUDENCE
DECISION APPLIQUÉE:
Le ministre du Revenu national c. Mid-West Abrasive
Company of Canada Limited, [1973] C.F. 911 (1"« inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Industrial Mortgage and Trust Company v. The Minister
of National Revenue, [1958] R.C.E. 205; 58 DTC 1060.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Associated Investors of Canada Ltd. v. Minister of
National Revenue, [1967] 2 R.C.E. 96; 67 DTC 5096;
Neonex International Ltd. c. Sa Majesté la Reine
(1978), 78 DTC 6339 (C.F. Appel).
DÉCISIONS CITÉES:
Oxford Shopping Centres c. La Reine, [1980] 2 C.F. 89;
79 DTC 5458 (I' inst.); Nowegijick c. La Reine, [1983]
I R.C.S. 29; 83 DTC 5041.
AVOCATS:
William Mah pour la demanderesse.
Gordon W. Flynn pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la
demanderesse.
Bell, Felesky, Iverach, Flynn & Struck,
Edmonton, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE REED: La présente action porte sur la
façon de traiter des dépenses en intérêts selon
l'alinéa 20(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu,
S.C. 1970-71-72, chap. 63 et ses modifications.
Plus précisément, il faut déterminer si un contri-
buable peut comptabiliser des dépenses en intérêts
selon la méthode de la comptabilité de caisse tout
en utilisant, aux fins d'impôt et dans ses états
financiers, la méthode comptable d'exercice pour
le reste de son revenu.
Les faits ne sont pas contestés. La mine de la
défenderesse a commencé à produire de façon
commerciale en mars 1971, ce qui signifie que le
délai de trois ans durant lequel son revenu était
exonéré d'impôt conformément à la Règle 28(1)
des Règles de 1971 concernant l'application de
l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63,
Partie III] a commencé à cette date. Par consé-
quent, si le contribuable avait comptabilisé aux
fins d'impôt ses dépenses en intérêts selon une
comptabilité d'exercice, cela n'aurait en aucune
façon diminué son revenu imposable au cours de
ces années. Durant toutes les époques pertinentes,
la défenderesse a comptabilisé dans ses états finan
ciers les dépenses en intérêts selon la méthode
d'exercice alors que, dans le calcul de son revenu
aux fins d'impôt, elle les a inscrites dans la comp-
tabilité de l'année où elle les a effectivement
payées. Par la suite, le ministre du Revenu natio
nal a établi de nouvelles cotisations pour chacun
des exercices financiers se terminant aux dates
suivantes: le 31 août 1973, le 31 décembre 1973,
le 31 décembre 1974 et le 31 décembre 1975. La
défenderesse a interjeté appel de ces nouvelles
cotisations à la Commission de révision de l'impôt
qui, dans sa décision datée du 22 avril 1981, a
accueilli l'appel. Les appels concernant les années
d'imposition 1973 et 1974 ont été abandonnés à
l'instruction parce que le montant des cotisations
était nul. Par conséquent, seule la cotisation pour
l'année d'imposition 1975 demeure en litige.
Il faut déterminer en premier lieu si le contri-
buable doit employer la même méthode de comp-
tabilité pour calculer son revenu aux fins d'impôt
que lorsqu'il comptabilise ses états financiers sauf,
naturellement, lorsque la Loi lui permet expressé-
ment d'employer une autre méthode. Le Ministre
prétend que oui. J'estime qu'il a tort. Il me semble
qu'il est établi depuis longtemps que l'on peut
employer des méthodes comptables différentes à
des fins qui sont différentes. La méthode variera
selon le but pour lequel les états financiers sont
établis. L'avocat de la défenderesse a cité un arti
cle de B. J. Arnold intitulé «Conformity Between
Financial Statements and Tax Accounting», 81
CTJ (4) 476. Il s'est appuyé en outre sur la
décision Oxford Shopping Centres c. La Reine,
[1980] 2 C.F. 89; 79 DTC 5458 (1" inst.). Il
convient aussi de citer un extrait de Scace, The
Income Tax Law of Canada (4° éd., 1981), la
page 72:
[TRADUCTION] Il faut souligner cependant que même si des
principes de comptabilité servent au calcul du bénéfice aux fins
d'impôt, ils ne reflètent pas toujours ce qui se fait dans la
pratique commerciale; un revenu aux fins d'impôt est rarement
le même que celui qui est inscrit dans les livres comptables de
l'entreprise destinés à ses fins propres. Par exemple, aux fins
d'impôt, le traitement accordé à une allocation du coût en
capital est laissé au choix du contribuable (sous réserve des
prescriptions des règlements) alors que lorsqu'il s'agit de fins
commerciales, les biens immobilisés sont, dans la plupart des
cas, passés en charges selon la méthode de l'amortissement
constant.
Ces articles ne font pas autorité mais exposent
bien, à mon sens, le point de vue qui doit être
adopté.
Il faut faire une distinction entre une obligation
de calculer le revenu aux fins d'impôt selon les
principes comptables reconnus et une obligation
d'utiliser la même méthode de comptabilité pour
les états financiers et les formulaires d'impôt.
Comme l'a fait valoir l'avocat du contribuable, il
faut partir de l'article 9 de la Loi. Voici ce que cet
article dit:
9. (1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le
revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien
pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour
cette année.
Selon la jurisprudence, cet article impose au
contribuable de comptabiliser ses bénéfices «en
respectant les principes commerciaux ordinaires»'.
[TRADUCTION] Le bénéfice tiré d'une entreprise, sous
réserve de dispositions spéciales de la loi, doit être déterminé
conformément aux principes commerciaux ordinaires. (Voir
Canadian General Electric Co. Ltd. v. Minister of National
Revenue, [1962] R.C.S. 3 [61 DTC 1300], arrêt rendu par le
juge Martland, à la page 12.) En fin de compte, il s'agit pour la
Cour «d'une question de droit». Pour se prononcer, la Cour doit
tenir compte des faits de l'espèce et l'importance à accorder à
une circonstance particulière doit dépendre de considérations
pratiques. Puisqu'il s'agit d'une question de droit, le témoi-
gnage des experts n'est pas péremptoire. (Voir la décision du
juge Abbott dans l'affaire Oxford Motors Ltd. v. Minister of
National Revenue, [1959] R.C.S. 548 [59 DTC 1119], la
page 553, et le juge Reid dans l'affaire Strick v. Regent Oil Co.
Ltd., [1965] 3 W.L.R. 636, aux pages 645 et 646. Voir aussi
l'arrêt Minister of National Revenue v. Anaconda American
Brass Ltd., [1956] A.C. 85, à la page 102 [55 DTC 1220].)
Voir aussi Neonex International Ltd. c. Sa
Majesté la Reine (1978), 78 DTC 6339 (C.F.
Appel) pour la règle imposant, dans le calcul du
revenu aux fins d'impôt, l'application de principes
de comptabilité généralement reconnus, tel le prin-
cipe du rapprochement des revenus et dépenses, à
moins que la Loi de l'impôt sur le revenu n'auto-
rise expressément une autre méthode.
Il ne fait aucun doute qu'en l'espèce, les usages
commerciaux ordinaires et les principes compta-
bles généralement reconnus exigeraient que le con-
tribuable comptabilise sa dépense en intérêts selon
la méthode d'exercice.
Cependant, l'avocat du contribuable fait valoir
que l'alinéa 20(1)c) de la Loi autorise expressé-
ment une dérogation à ces usages et principes. Son
argument a deux volets: (1) il s'appuie sur la
formulation de l'alinéa 20(1)c), et (2) il invoque,
par analogie, l'alinéa 12(1)c) de la Loi qui traite
du revenu en intérêts.
L'alinéa 20(1)c) prévoit ce qui suit:
20. (1) ... lors du calcul du revenu tiré par un contribuable
d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition,
peuvent être déduites ...
' Associated Investors of Canada Ltd. v. Minister of Natio
nal Revenue, [1967] 2 R.C.E. 96, aux pp. IOI et 102; 67 DTC
5096,à la p. 5099.
c) une somme payée dans l'année ou payable pour l'année
(suivant la méthode habituellement utilisée par le contribua-
ble dans le calcul de son revenu), en exécution d'une obliga
tion légale de verser des intérêts ...
Le contribuable prétend que les mots mis entre
parenthèses à l'alinéa 20(1)c) seraient inutiles et
redondants si le législateur n'avait pas voulu qu'ils
permettent au contribuable de choisir sa méthode
de comptabilité des dépenses en intérêts sans être
limité par les usages commerciaux ordinaires ni
par les principes de comptabilité généralement
reconnus.
Je n'interprète pas les mots entre parenthèses de
cette façon. A mon avis, ils ne font qu'indiquer au
contribuable qui emploie la méthode comptable de
caisse qu'il doit comptabiliser ses dépenses en inté-
rêts selon la même méthode et, à celui qui utilise la
méthode d'exercice, de les comptabiliser selon
cette même méthode. Pris dans leur sens littéral,
ces mots seraient plus près d'exiger une méthode
conforme aux principes comptables généralement
reconnus que de permettre une dérogation à ces
principes. Voici ce qu'a dit à ce propos, le juge
suppléant Sweet, dans la décision prononcée dans
Le ministre du Revenu national c. Mid-West
Abrasive Company of Canada Limited, [1973]
C.F. 911 (lre inst.), à la page 920:
L'expression à examiner est «un montant payé dans l'année,
ou payable à l'égard de l'année» que l'on trouve à l'article
11(1)c). A mon sens, les mots «payé dans l'année» s'appliquent
aux contribuables qui, dans le calcul de leur revenu, emploient
régulièrement la méthode de la comptabilité de caisse et les
mots «payables à l'égard de l'année» s'appliquent à ceux qui,
dans le calcul de leur revenu, emploient régulièrement la
méthode de la comptabilité d'exercice.
Pour ce qui est du deuxième moyen, l'avocat du
contribuable prétend que l'alinéa 12(1)c) permet
au contribuable de choisir la méthode selon
laquelle il comptabilisera son revenu en intérêts
sans être limité par les usages commerciaux ordi-
naires ni par les principes comptables générale-
ment reconnus parce que le libellé de l'alinéa
20(1)c) est fondamentalement analogue à celui de
l'alinéa 12(1)c). Selon lui, l'alinéa 12(1)c) a été
interprété comme permettant l'emploi d'une
méthode comptable double et par conséquent, le
même résultat devrait découler de l'alinéa 20(1)c).
L'alinéa 12(1)c) prévoit ce qui suit:
12. (1) Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un
contribuable ... au cours d'une année d'imposition ...
c) toute somme reçue ou à recevoir par le contribuable dans
l'année (suivant la méthode normalement suivie par le contri-
buable pour le calcul des bénéfices) au titre ou en paiement
intégral ou partiel d'intérêts;
Je reconnais que rien dans la rédaction de ces
deux articles n'indique qu'il faut les traiter de
manière différente. Le fait que l'alinéa 20(1)c)
parle de «revenu» alors que l'alinéa 12(1)c) parle
de «bénéfices» n'a pas d'importance sur ce point.
On ne m'a pas présenté d'argumentation convain-
cante tendant à démontrer qu'en employant des
mots différents, le législateur a voulu faire une
distinction dans l'interprétation de ces deux ali-
néas. Dans le contexte de ces dispositions, les mots
sont, à mon avis, interchangeables.
Que permet alors l'alinéa 12(1)c)? L'avocat du
contribuable cite deux sources à l'appui de la
proposition voulant qu'un contribuable peut, selon
l'alinéa 12(1)c), choisir de comptabiliser son
revenu en intérêts en ne rapprochant pas revenus
et dépenses: le jugement de notre Cour dans
Industrial Mortgage and Trust Company v. The
Minister of National Revenue, [ 1958] R.C.E. 205;
58 DTC 1060 et le Bulletin d'interprétation
IT-396 daté du 17 octobre 1977 et émanant du
ministère du Revenu national. Sans être détermi-
nants, on a reconnu aux bulletins d'interprétation
une certaine valeur en matière d'interprétation.
Voir à ce sujet Nowegijick c. La Reine, [1983] 1
R.C.S. 29, la page 37; 83 DTC 5041, la page
5044.
Dans l'affaire Industrial Mortgage, le contri-
buable utilisait la méthode comptable de caisse
pour presque tout. Quatre-vingt-cinq pour cent de
son revenu était composé de revenu en intérêts,
dont la plupart provenaient d'hypothèques et
d'obligations. Seuls les intérêts suivants n'étaient
pas comptabilisés selon la méthode de caisse: les
obligations émises par les gouvernements fédéral et
provinciaux; les obligations garanties par les gou-
vernements fédéral et provinciaux; les obligations
municipales et les intérêts provenant de quelques
hypothèques datant d'avant 1942 et qui avaient été
régulièrement payés. Tous ces intérêts étaient
comptabilisés selon la méthode d'exercice. Le juge
Thurlow (alors juge à la Cour de l'Échiquier) a
exposé la raison de ce choix aux pages 1061 et
1062 [208 et 209 R.C.É.]:
[TRADUCTION] La différence de traitement comptable pour
l'intérêt sur ces hypothèques particulières était explicable.
Avant 1931, les comptes de l'appelante se rapportant à l'intérêt
sur tous les obligations, hypothèques, contrats de vente et prêts
subsidiaires avaient suivi la méthode d'exercice alors que les
revenus autres que ces intérêts étaient comptabilisés selon la
méthode de comptabilité de caisse. Entre 1931 et 1941, parce
que certains paiements sur des hypothèques n'avaient pas été
faits et qu'elle avait inclus dans son revenu une somme impor-
tante d'intérêts sur hypothèques qu'elle ne pouvait recouvrer,
l'appelante a changé sa manière de comptabiliser ses revenus en
intérêts et chacun de ces changements tendait, jusqu'à un
certain point, à rapprocher sa méthode comptable de la
méthode de caisse pour tous les postes de revenu autres que les
obligations gouvernementales. Au 1» janvier 1942, après une
dernière modification, sa méthode comptable concernant les
intérêts sur hypothèques consistait à comptabiliser les intérêts
échus sur tous les nouveaux prêts selon une méthode de caisse
tout en comptabilisant selon la méthode d'exercice les intérêts
échus sur les anciens prêts dont les paiements avaient toujours
été effectués. Si, par la suite, le débiteur manquait à son
obligation sur cet ancien prêt, l'intérêt était alors immédiate-
ment comptabilisé selon la méthode de caisse.
À la page 1064 [pages 213 et 214 R.C.É.], le juge
Thurlow a abordé dans les termes suivants la
question soulevée par l'interprétation de l'alinéa
6b) qui est maintenant l'alinéa 12(1)c):
[TRADUCTION] ... que signifie le mot «méthode» à l'al. 6b) et
l'appelante a-t-elle régulièrement suivi une méthode pour calcu-
ler ses bénéfices? D'après moi, le mot «méthode» n'est pas
utilisé à l'al. 6b) dans un sens étroit ou technique, mais il veut
tout simplement dire le système ou procédé que le contribuable
a régulièrement utilisé dans le calcul de son profit. À mon sens,
ce système ou procédé peut être constitué d'un certain nombre
d'usages et je ne vois pas pourquoi, dans une entreprise aussi
diversifiée que celle de l'appelante, ce système ou procédé ne
pourrait pas comprendre des façons différentes de calculer le
revenu provenant des diverses activités ou sources, selon la
nature de chacune d'elles et du revenu qui en provient, et être
tout de même considéré comme une «méthode» au sens de l'al.
6b). À mon sens, les pratiques suivies par l'appelante équiva-
laient effectivement à une «méthode» au sens dudit alinéa et,
étant donné qu'en 1949 et au cours des sept années antérieures
l'appelante avait utilisé cette méthode sans en changer, je
n'hésite pas à conclure qu'il s'agissait de la «méthode» employée
régulièrement par le contribuable dans le calcul de son revenu
au sens de l'al. 6b).
Pour ce qui est du revenu en intérêts, voici ce
que dit le Bulletin IT-396 du ministère du Revenu
national:
«Méthode normalement suivie»
5. Les mots «suivant la méthode normalement suivie par le
contribuable pour le calcul des bénéfices» de l'alinéa 12(1)c)
font allusion à la méthode utilisée par le contribuable pour
déclarer un revenu en intérêts net provenant d'une source
particulière, mais pas nécessairement, s'il exploite une entre-
prise, à la méthode qu'il utilise pour déclarer les bénéfices tirés
de cette entreprise. Un contribuable peut, par exemple, choisir
la méthode de comptabilité de trésorerie pour déclarer l'intérêt
sur des sommes qui lui sont dues et qui sont entièrement
garanties et la méthode de comptabilité de caisse dans le cas de
placements plus spéculatifs. Si cette façon de procéder est
raisonnable et suivie à la lettre, elle constitue une méthode
acceptable pour déclarer le revenu en intérêts. Comme le
démontre l'exemple ci-dessus, il n'est pas obligatoire de décla-
rer les intérêts de toutes sources selon la même méthode, alors
Glue c'est le cas pour les intérêts provenant d'une même source.
A cette fin, l'expression «intérêts d'une même source» désigne
les intérêts provenant du même débiteur et visant le même
genre d'obligations. Si, par exemple, un contribuable possède
des obligations de deux séries différentes émises par une corpo
ration, l'intérêt provenant de toutes ces obligations est consi-
déré comme un intérêt provenant d'une même source et il est
inacceptable d'utiliser la méthode de comptabilité de caisse
pour déclarer l'intérêt provenant d'obligations d'une série et la
méthode de comptabilité de trésorerie pour déclarer l'intérêt
provenant d'obligations de l'autre série. L'expression «normale-
ment suivie» signifie la méthode utilisée année après année.
Il s'agit là, à mon avis, d'une simple paraphrase de
la décision Industrial Mortgage.
L'avocat du contribuable soutient que, pour
pouvoir employer la méthode comptable double
autorisée par Industrial Mortgage, un contribua-
ble doit simplement prouver qu'il utilise la même
méthode comptable depuis des années et qu'il y a
plusieurs prêteurs.
Cette dernière exigence découle de la décision
du juge suppléant Sweet dans Le ministre du
Revenu national c. Mid-West Abrasive Company
of Canada Limited, [1973] C.F. 911 (l'° inst.).
Dans cette affaire, le contribuable voulait déduire
de son revenu une dépense en intérêts dans l'année
où la société mère avait exigé le paiement. L'en-
tente précisait [à la page 912] qu'il serait [TRA-
DUCTION] «versé, sur demande, un intérêt ne
dépassant pas 6%» sur les prêts accordés par la
société mère. Le juge suppléant Sweet a exigé que
le contribuable impute sa dépense en intérêts selon
la méthode d'exercice. Une distinction a été faite
avec la décision Industrial Mortgage aux motifs
(1) que cette dernière décision traitait de revenu
en intérêts et non de dépenses en intérêts; (2) que
le contribuable utilisait depuis de nombreuses
années la même méthode pour déclarer ses revenus
en intérêts, c'est-à-dire sans rapprocher revenus et
dépenses, et (3) qu'il y avait plusieurs prêteurs.
Dans la décision Mid-West Abrasive Company, il
n'y avait qu'un seul prêteur, la société mère. Voici
ce que dit le jugement à la page 921:
Si une interprétation correcte de l'article ne limite pas à
l'année dans laquelle l'argent emprunté a été utilisé la déduc-
tion que peuvent faire, relativement aux intérêts, les contribua-
bles qui utilisent la méthode de la comptabilité d'exercice sans
la modifier et si une interprétation correcte autorise la déduc-
tion dans une année subséquente (pour quelque raison que ce
soit), on arrive à un résultat incompatible avec le principe sur
lequel repose la méthode de la comptabilité d'exercice. Dans
cette hypothèse, on pourrait donc adopter «la comptabilité
d'exercice» pour tout sauf pour les intérêts, adoptant une
comptabilité de caisse à cet égard. A mon sens la rédaction de
cet article n'autorise pas un tel résultat, sauf dans des circons-
tances telles que celles qui existaient dans l'affaire Industrial
Mortgage and Trust Co. c. M.R.N. (précitée) et, à mon sens,
ces circonstances ne se reproduisent pas dans la présente
affaire.
Je ne crois pas que les décisions Industrial
Mortgage et Mid-West Abrasive permettent de
justifier l'emploi d'une méthode comptable double
sur le seul fondement de l'application constante et
suivie d'une méthode de «non-rapprochement» et
l'existence de plusieurs prêteurs. A mon avis, le
principe qui se dégage de ces décisions est que les
alinéas 20(1)c) et 12(1)c) exigent une comptabilité
conforme aux usages commerciaux ordinaires et
(ou) aux principes comptables généralement
reconnus. La décision Industrial Mortgage est tout
à fait compatible avec ce point de vue. Dans cette
affaire, il semble que l'on ait permis au contribua-
ble d'employer une méthode double soit (1) parce
qu'il passait de la méthode d'exercice à la méthode
de caisse, soit (2) parce que les prêts comptabilisés
selon la méthode d'exercice étaient plus sûrs que
les prêts comptabilisés selon la méthode de caisse.
C'est-à-dire qu'il y avait dans cette affaire, même
si l'on ne l'a pas déclaré expressément, de bons
motifs fondés sur les usages commerciaux ordinai-
res et les principes comptables généralement
reconnus qui justifiaient l'emploi d'un système
comptable double. Pareille justification n'a pas été
établie dans l'affaire Mid-West Abrasive ni en
l'espèce. Par conséquent, j'accueille l'appel et j'an-
nule la décision de la Commission de révision de
l'impôt.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.