A-561-84
A-562-84
Enquête Énergie (appelante)
c.
Commission de contrôle de l'énergie atomique et
Hydro -Ontario (intimées)
et
Procureur général du Canada (intervenant)
Cour d'appel, juges Heald, Marceau et Stone
Toronto, 13 et 14 septembre; Ottawa, 29 octobre
1984.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Énergie —
Certiorari Contestation de la décision de la Commission de
contrôle de l'énergie atomique pour parti pris visant un but
lucratif de l'un de ses membres — Ce dernier était président
d'une compagnie qui faisait affaire avec la partie qui deman-
dait la délivrance d'un permis Le juge de première instance
n'a pas commis d'erreur en statuant qu'il n'y avait aucun parti
pris direct visant un but lucratif — Il est trop tard pour
soulever la question de la crainte raisonnable de partialité car
cette question n'était pas en litige au moment de l'instruction
— Le juge de première instance n'est pas obligé de soulever
une question si les parties ne l'ont pas fait Un tribunal
administratif ne perd pas nécessairement sa compétence lors-
que le motif de contestation est la crainte raisonnable de
partialité.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Jugements
déclaratoires — Le juge de première instance a commis une
erreur en rejetant l'action visant à obtenir un jugement décla-
ratoire étant donné que la requête qui lui a été présentée avait
pour seul but d'obtenir une décision préliminaire sur une
question de droit — Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap.
663, Règle 474.
Énergie — Validité de la décision de la Commission de
contrôle de l'énergie atomique d'accorder un permis alors que
l'un de ses membres est président d'une compagnie qui fournit
à la partie qui demande la délivrance du permis des câbles
résistants aux rayonnements pour des réacteurs nucléaires
Allégation de parti pris visant un but lucratif — Intérêt
éloigné — Question de la crainte raisonnable de partialité
soulevée trop tard — Règlement sur le contrôle de l'énergie
atomique, C.R.C., chap. 365, art. 8, 9, 10.
Pratique — Parties — Le procureur général du Canada a le
droit d'intervenir lorsque la décision de la Commission de
contrôle de l'énergie atomique d'accorder un permis est con-
testée en raison du parti pris visant un but lucratif d'un de ses
membres, qui est président d'une compagnie faisant affaire
avec la partie qui demande ledit permis — La question en
cause est d'intérêt public L'espèce concerne des actes de
l'exécutif autorisés par le Parlement étant donné que le litige
porte sur la manière dont l'exécutif a utilisé les pouvoirs qui
ont été conférés par le Parlement.
Le 20 septembre 1983, la Commission de contrôle de l'éner-
gie atomique a confirmé sa décision du 27 juin de délivrer à
Hydro -Ontario des permis d'exploitation de deux groupes de la
centrale nucléaire Pickering «B». M. Olsen, un membre à temps
partiel de la Commission, a participé à la décision d'accorder
les permis alors qu'il était, à l'époque, président d'une compa-
gnie qui vend à l'Hydro-Ontario des câbles résistants aux
rayonnements. L'appelante a contesté cette décision par une
requête en certiorari et par une requête visant à obtenir une
décision préliminaire sur un point de droit, savoir si la Commis
sion a commis une erreur de droit en permettant à M. Olsen de
participer à sa décision d'accorder les permis. Ces requêtes
reposaient sur une allégation de parti pris visant un but lucratif
de la part de M. Olsen. Le procureur général du Canada a alors
présenté une requête pour être ajouté comme intervenant à
l'action.
Le juge de première instance a accueilli la demande du
procureur général mais a rejeté la demande de certiorari pour
le motif que M. Olsen n'avait pas un intérêt pécuniaire suffi-
sant pour constituer de la partialité. Même si le juge de
première instance a souligné qu'il aurait pu exister une crainte
raisonnable de partialité, il s'est abstenu de se prononcer sur
cette question parce que les parties ne l'avaient pas soulevée.
Pour ce qui est de la requête visant à obtenir une décision
préliminaire sur une question de droit, le juge de première
instance a rejeté «l'action visant un jugement déclaratoire».
Il s'agit de deux appels dont l'un (A-562-84) vise l'ordon-
nance ayant ajouté le procureur général comme partie interve-
nante à l'action, et l'autre (A-561-84), l'ordonnance ayant
rejeté la requête pour bref de certiorari présentée par l'appe-
lante et son action subsidiaire visant à obtenir un jugement
déclaratoire.
En ce qui concerne l'appel A-561-84, l'appelante soutient que
le juge de première instance a commis une erreur de droit en
statuant qu'il n'y avait aucun parti pris visant un but lucratif.
Subsidiairement, elle allègue que le juge de première instance a
commis une erreur de droit en concluant que la crainte raison-
nable de partialité constituait le véritable point en litige et en
n'ayant pas demandé aux parties, avant de se prononcer, de
faire valoir leurs arguments sur cette question.
Arrêt: l'appel A-561-84 est accueilli en partie et l'appel
A-562-84 est rejeté.
Le juge Heald (avec l'appui du juge Stone): Appel A-561-84:
Le juge de première instance a rejeté à juste titre la requête
pour bref de certiorari. Il n'existait pas d'intérêt pécuniaire
direct. L'intérêt de M. Olsen était indirect et incertain et trop
éloigné pour constituer un intérêt pécuniaire direct ou créer de
la partialité. Et même s'il est possible qu'il ait pu s'agir d'un cas
de crainte raisonnable de partialité, cette question n'était pas en
litige devant le juge de première instance. Partant de là, ledit
juge n'était pas obligé de soulever cette question puisque les
parties ne l'avaient pas fait. Étant donné que la validité de
procédures administratives dépend des circonstances particuliè-
res de chaque cas, on ne peut affirmer qu'un tribunal adminis-
tratif perd sa compétence lorsque le motif de contestation est
uniquement la crainte raisonnable de partialité. L'argument
suivant lequel le juge de première instance aurait dû examiner
la question de la crainte raisonnable de partialité est donc
rejeté. Pour ce qui est du redressement subsidiaire demandé
dans le même appel, le juge n'aurait pas dû rejeter l'action
visant à obtenir un jugement déclaratoire sur une requête ayant
pour but de faire trancher une question de droit. L'ordonnance
est modifiée de manière à ce qu'il y soit indiqué qu'il faut
répondre par la négative à la question préliminaire sur un point
de droit.
Appel A-562-84: Étant donné que le litige porte sur la
manière dont l'exécutif a utilisé les pouvoirs qui lui ont été
conférés par le Parlement, les faits de l'espèce concernent des
«actes de l'exécutif autorisés par le Parlement» et le procureur
général du Canada a le droit d'intervenir.
Le juge Marceau: Les appels doivent être tranchés de la
manière proposée par les juges Heald et Stone, mais pour des
motifs différents.
Il n'existe aucune raison d'établir une distinction stricte entre
le caractère direct et indirect ou certain ou incertain du béné-
fice pécuniaire que l'arbitre peut espérer tirer de sa décision.
Les seules exigences rationnelles sont que le bénéfice vienne de
la décision elle-même et qu'il soit suffisamment probable pour
«colorer» le cas aux yeux de l'arbitre. De toute façon, la simple
possibilité de gain futur découlant d'autres contrats accordés au
cours de la construction d'autres groupes était sans doute trop
étrangère, trop incertaine et trop éloignée pour constituer un
cas de parti pris visant un but lucratif relativement à la décision
qui devait être rendue à ce moment-là.
Il n'existait aucune crainte raisonnable de partialité «étant
donné qu'elle s'applique uniquement aux intérêts non-pécuniai-
res et parce qu'aucun intérêt autre que pécuniaire n'a été
allégué ni même évoqué». Mais si la preuve avait révélé l'exis-
tence d'un intérêt non-pécuniaire suséeptible d'influer sur la
décision et suffisant pour créer une nette possibilité de partia-
lité, le juge de première instance n'aurait pas été empêché d'en
tenir compte même si l'avocat avait mal présenté sa cause.
Il ne semble pas jusqu'à présent y avoir d'autorité qui
permette d'affirmer que le droit relatif à la partialité doive
s'appliquer à un tribunal purement administratif comme la
Commission qui ne se prononce pas sur des droits privés, n'a
aucun pouvoir décisionnel au sens propre et ne ressemble
nullement à une cour de justice. Il est nécessaire que l'auteur
d'une décision soit impartial, mais non pas suivant les règles de
la justice naturelle mais plutôt selon les règles d'équité. Et bien
que les règles d'équité créent des garanties contre la partialité
et s'appliquent à la Commission, il n'est pas nécessaire que la
norme à atteindre soit aussi élevée que celle requise pour un
tribunal ayant un pouvoir décisionnel; les règles applicables
pourraient, par conséquent, être moins strictes.
Pour ce qui est de l'appel A-562-84, bien que rien ne
permette de prétendre que le procureur général du Canada
possède un droit général d'intervention dans une action mettant
en cause des tiers dès lors qu'une question d'intérêt public est
soulevée, la Cour a le pouvoir d'autoriser une telle intervention:
Commission des services téléphoniques du gouvernement de
l'Alberta c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunica-
tions canadiennes, [1983] 2 C.F. 443 (1fe inst.), confirmée par
[1983] 2 C.F. 839 (C.A.). Et le juge de première instance n'a
pas commis d'erreur en invoquant les principes dégagés par
l'arrêt Adams v Adams, [ 1970] 3 All E.R. 572 (P.D.A.).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Metropolitan Properties Co. (F.G.C.) Ltd. v. Lannon,
[ 1969] 1 Q.B. 577 (C.A. Angl.); Adams v Adams, [ 1970]
3 All E.R. 572 (P.D.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
British Airways Board v Laker Airways Ltd, [1983] 3
All E.R. 375 (C.A. Angl.).
DÉCISIONS CITÉES:
Rex v. Sussex Justices, Ex parte McCarthy, [1924] I
K.B. 256; Nicholson v. Haldimand-Norfolk Regional
Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311;
Re Gooliah and Minister of Citizenship and Immigration
(1967), 63 D.L.R. (2d) 224 (C.A. Man.); Commission
des services téléphoniques du gouvernement de l'Alberta
c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications
canadiennes, [1983] 2 C.F. 443 (lfe inst.), confirmée par
[1983] 2 C.F. 839 (C.A.).
AVOCATS:
A. J. Roman et D. Poch pour l'appelante.
I. A. Blue et J. S. de Pencier pour l'intimée,
Hydro -Ontario.
J. E. Thompson pour l'intimée, Commission
de contrôle de l'énergie atomique et pour
l'intervenant procureur général du Canada.
PROCUREURS:
The Public Interest Advocacy Centre,
Toronto, pour l'appelante.
Cassels, Brock & Blackwell, Toronto, pour
l'intimée Hydro -Ontario.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée Commission de contrôle de l'énergie
atomique et pour son propre compte.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Ces deux appels, qui du con-
sentement des avocats des parties ont été entendus
en même temps, portent sur deux ordonnances
rendues par la Division de première instance le 9
avril 1984. L'appel portant le numéro de greffe
A-561-84 vise l'ordonnance [[1984] 2 C.F. 227]
ayant rejeté la requête pour bref de certiorari
présentée par l'appelante et son action subsidiaire
visant un jugement déclaratoire. L'appel portant le
numéro de greffe A-562-84 vise l'ordonnance
[[1984] 2 C.F. 138] ayant ajouté le procureur
général du Canada comme partie intervenante à
l'action.
Suivant les dispositions de la Loi sur le contrôle
de l'énergie atomique, S.R.C. 1970, chap. A-19, et
ses règlements d'application (voir le Règlement sur
le contrôle de l'énergie atomique, C.R.C., chap.
365, articles 8, 9 et 10), l'exploitant d'un établisse-
ment nucléaire au Canada doit détenir un permis
délivré par l'intimée, la Commission de contrôle de
l'énergie atomique (C.C.E.A.), ou une autorisation
de la C.C.E.A. l'exemptant de la nécessité de
détenir un permis.
L'intimée Hydro -Ontario possède et exploite la
centrale nucléaire Pickering située à Pickering
(Ontario), et elle a pris l'habitude de demander et
d'obtenir des permis pour ses réacteurs plutôt que
de réclamer des exemptions. Le complexe
nucléaire de Pickering comporte deux stations,
Pickering «A» et Pickering «B». Chaque station
comprend quatre groupes de réacteurs. Pickering
«A» est formée des groupes 1 à 4, et Pickering «B»,
des groupes 5 à 8.
Le 27 juin 1983, la C.C.E.A. a approuvé en
principe le renouvellement du permis d'exploita-
tion du groupe 5 de Pickering «B» et la délivrance
d'un nouveau permis pour commencer l'exploita-
tion du groupe 6, sous réserve de leur confirmation
au moment de sa réunion qui devait être tenue en
septembre 1983. L'appelante a demandé à compa-
raître devant la C.C.E.A. à sa réunion de septem-
bre, déclarant qu'elle s'inquiétait des récentes rup
tures de tuyaux survenues à la station Pickering
«A». Elle a également demandé à la C.C.E.A. de
suspendre sa décision antérieure approuvant en
principe la délivrance de permis pour les groupes 5
et 6 pour le motif qu'un membre à temps partiel de
la C.C.E.A., M. J. L. Olsen qui était présent à la
réunion où la décision a été prise, était en situation
de conflit d'intérêts. Ayant conclu que l'accusation
n'était nullement fondée, la C.C.E.A. a rejeté la
demande de suspension présentée par l'appelante
et, le 20 septembre 1983, elle a confirmé sa déci-
sion d'accorder un permis pour les groupes 5 et 6
de Pickering.
Les parties admettent que, depuis huit ans, M.
Olsen est membre à temps partiel de la C.C.E.A.
Il est président de Phillips Cables Ltd. (Phillips
Cables), une société canadienne dont le chiffre
d'affaires annuel est d'environ 200 millions de
dollars. Actuellement, il est également président de
l'Association des manufacturiers d'équipement
électrique et électronique du Canada
(A.M.E.É.É.C.). De mai 1981 mars 1983, Phil-
lips Cables a vendu à l'Hydro-Ontario des quanti-
tés de câbles résistants aux rayonnements pour des
réacteurs nucléaires, notamment des quantités
importantes de câbles pour les groupes 5 et 6 de
Pickering «B». Phillips Cables a obtenu ces con-
trats par voie de soumission. Il ressort d'éléments
de preuve non contredits qu'en plus d'être prési-
dent de Phillips Cables, M. Olsen était, au 19 mars
1981, administrateur de cette société et proprié-
taire de 2 000 actions. Il n'existe toutefois aucune
preuve directe quant à la possession d'actions de
M. Olsen ni quant à la question de savoir s'il était
encore administrateur de la société le 27 juin 1983
quand la C.C.É.A. a rendu sa décision d'approuver
en principe les demandes de permis présentées par
l'Hydro-Ontario relativement aux groupes 5 et 6.
APPEL A-561-84
Cet appel vise l'ordonnance [ [ 1984] 2 C.F. 227]
par laquelle la Division de première instance a
rejeté la requête en certiorari présentée par l'appe-
lante ainsi que son action visant un jugement
déclaratoire. La requête en certiorari visait à faire
annuler la décision susmentionnée de la C.C.É.A.
d'accorder un permis, pour le motif que [TRADUC-
TION] «... la décision était empreinte de partialité
parce que la Commission avait permis à J. L.
(Roy) Olsen de participer au processus décisionnel
alors qu'il avait un intérêt pécuniaire dans le résul-
tat des demandes de permis.» (Dossier d'appel, p.
6.) Cependant, la requête relative à l'action visant
un jugement déclaratoire ne demandait pas le rejet
de l'action, mais plutôt une ordonnance conforme
à la Règle 474 [Règles de la Cour fédérale,
C.R.C., chap. 663] afin que soit entendue et tran-
chée une question préliminaire de droit qui est de
savoir si la C.C.É.A. a commis une erreur de droit
en permettant à M. Olsen de participer le 20
septembre 1983 à sa décision d'accorder les
permis. Dans sa plaidoirie, l'avocat de l'appelante
a fait remarquer à la Cour que le juge de première
instance n'aurait pas dû rejeter l'action de l'appe-
lante visant un jugement déclaratoire étant donné
que la requête qu'on lui avait présentée avait pour
seul but de faire trancher une question de droit.
J'estime que l'avocat de l'appelante a technique-
ment raison et que la partie de l'ordonnance qui se
rapporte à l'action visant un jugement déclaratoire
doit être modifiée.
L'appelante conteste la décision de la Division
de première instance pour deux motifs. L'avocat
soutient d'abord que le juge de première instance a
commis une erreur de droit en statuant qu'il n'y
avait aucun parti pris visant un but lucratif. Subsi-
diairement, l'appelante allègue que le juge de pre-
mière instance a commis une erreur de droit en
concluant que la crainte raisonnable de partialité
constituait le véritable point en litige et que,
compte tenu de ces circonstances, le juge aurait
dû, avant de rendre sa décision, dévoiler sa conclu
sion et demander aux parties de faire valoir leurs
arguments sur cette question. Je me pencherai
d'abord sur les allégations de l'avocat selon les-
quelles le juge de première instance aurait commis
une erreur en ne concluant pas à l'existence d'un
parti pris visant un but lucratif. Cette question a
été examinée par le juge de première instance aux
pages 235 et 236 où elle a déclaré:
En l'espèce, on prétend que l'intérêt pécuniaire de M. Olsen a
pris naissance du fait de ses relations d'affaires avec l'Hydro-
Ontario. Auparavant, il avait vendu à l'Hydro-Ontario des
câbles résistants aux rayonnements. Il est clair qu'il pourrait
espérer le faire encore à l'avenir. Mais, à mon avis, M. Olsen ne
détenait, à la date des auditions en question, soit les 27 juin
1983 et 12 septembre 1983, aucun intérêt pécuniaire direct, au
sens que la jurisprudence a donné à ce concept. Il n'existait
aucun contrat dont l'effet était sous condition suspensive en
attendant l'issue des nouveaux permis accordés à l'Hydro-Onta-
rio. Il n'était nullement certain que M. Olsen vendrait encore
des câbles à l'Hydro-Ontario pour les groupes Pickering, au
cours de la validité du nouveau permis. Aussi l'avocat de la
requérante a-t-il reconnu que l'achat de ces câbles par l'Hydro-
Ontario avait été effectué par voie de soumission. A la date de
l'audition, on pouvait tout au plus dire de M. Olsen qu'il
pouvait raisonnablement s'attendre à un gain pécuniaire en
raison de l'obtention des permis.
On ne m'a cité aucune décision, et je n'en ai pas trouvé, selon
laquelle ce genre d'expectative constitue un parti pris direct
visant un but lucratif. Toute la jurisprudence relative au parti
pris visant un but lucratif que j'ai examinée porte sur des
particuliers qui, à titre de contribuable, d'agent immobilier
pour l'opération en question, ou d'actionnaire, avaient, à la date
de l'audition, une sorte de rapport direct avec le bénéficiaire
d'une décision, de sorte qu'un avantage pécuniaire pouvait
certainement prendre naissance lors même que cet avantage
était minime. Les décisions classiques à ce sujet sont: In the
Matter of Hopkins (1858), El. Bl. & El. 100, 120 E.R. 445
(K.B. Div.) et Reg. v. Hammond et al. (1863), 9 L.T. Rep.
N.S. 423 (Bail Ct.) où des magistrats qui étaient actionnaires
dans une compagnie de chemin de fer ont été déclarés inhabiles
connaître des accusations portées contre des voyageurs de
chemin de fer sans billets; et The Queen v. Gaisford, [ 1892] I
Q.B. 381, où un juge a été déclaré inhabile parce qu'il était un
contribuable dans la municipalité qui bénéficierait de la déci-
sion. Voir aussi: The King v. Hendon Rural District Council,
[1933] 2 K.B. 696; Beer v. Rural Municipality of Fort Carry
(1958), 66 Man. R. 385 (C.A.); Regina v. Barnsley Licensing
Justices, [1960] 2 Q.B. 167; Ladies of the Sacred Heart of
Jesus (Convent of the Sacred Heart) v. Armstrong's Point
Association et al. (1961), 29 D.L.R. (2d) 373 (C.A. Man.);
Reg. v. Hain and others, Licensing Justices (1896), 12 T.L.R.
323 (Q.B. Div.).
Toutefois, M. Olsen n'était pas en rapport direct et certain
avec l'Hydro-Ontario à la date des décisions d'accorder le
permis. L'intérêt de M. Olsen semblerait clairement assimilable
à celui dont traite la jurisprudence relative à la «crainte raison-
nable de partialité». Toutefois, M. Roman, l'avocat de la requé-
rante, a affirmé, tant dans ses conclusions écrites qu'orales, que
la [TRADUCTION] «crainte raisonnable de partialité ... n'est
pas en litige en l'espèce.»
Il semble, d'après l'extrait qui précède, que le juge
de première instance a fait les constatations
suivantes:
1. M. Olsen avait dans le passé vendu à l'Hydro-
Ontario des câbles résistants aux rayonnements et
il pouvait espérer le faire encore dans l'avenir.
2. Le 27 juin 1983 et au mois de septembre de la
même année, il n'existait aucun contrat dont l'effet
était sous condition suspensive en attendant la
décision sur les nouveaux permis de l'Hydro-Onta-
rio, et il n'était nullement certain que M. Olsen
vendrait encore des câbles à l'Hydro-Ontario pour
les groupes Pickering au cours de la validité du
nouveau permis.
3. À la date de l'audition à laquelle il a assisté,
M. Olsen pouvait raisonnablement s'attendre à un
gain pécunaire en raison de l'obtention des permis.
4. M. Olsen n'était pas en rapport direct et
certain avec l'Hydro-Ontario à la date de la déci-
sion d'accorder les permis.
Se fondant sur ces faits et sur son interprétation de
la jurisprudence pertinente qu'elle a examinée en
détail, le juge a conclu que «l'expectative» décou-
lant de ces faits pour M. Olsen ne constituait pas
un parti pris direct visant un but lucratif. Je
partage cette opinion. La décision de la Cour
d'appel d'Angleterre Metropolitan Properties Co.
(F.G.C.) Ltd. v. Lannon, [1969] 1 Q.B. 577 est
pertinente pour les fins de l'examen de cette ques
tion. Dans cette affaire, un comité chargé de la
fixation des loyers a dû se prononcer sur la
demande d'augmentation des loyers présentée par
le propriétaire d'un immeuble d'appartements. Le
président de ce comité, avocat de profession, habi-
tait avec son père qui était lui-même locataire dans
un autre immeuble appartenant au même groupe
de propriétaires. Le bureau d'avocats dont ledit
président faisait partie avait représenté d'autres
locataires dans des différends semblables sur la
fixation du loyer, et le président avait lui-même
agi au nom de son père relativement à cette ques
tion du loyer. Voici ce qu'a dit le maître des rôles
lord Denning à la page 598 du recueil:
[TRADUCTION] Un homme peut perdre qualité pour siéger à
titre de juge pour l'un des deux motifs suivants. Premièrement,
un «intérêt pécuniaire direct» dans l'affaire en cause. Deuxiè-
mement, la «partialité» en faveur d'une partie ou un préjugé
contre l'autre.
En ce qui concerne «l'intérêt pécuniaire», je suis d'avis,
comme la Cour divisionnaire, qu'il n'existe aucune preuve que
M. John Lannon avait un intérêt pécuniaire direct dans l'ac-
tion. Il n'avait aucun intérêt dans les appartements de Oakwood
Court. Seul son père pouvait avoir intérêt à ce que le loyer du
55, Regency Lodge, soit réduit. Voici pourquoi: si le comité
réduisait les loyers de Oakwood Lodge, ceux-ci seraient utilisés
comme «points de comparaison» avec Regency Lodge, ce qui
pourrait avoir pour effet que les loyers de ce dernier immeuble
soient fixés à un prix inférieur à ce qu'ils auraient été autre-
ment. Même si on assimile l'intérêt du fils à celui du père,
j'estime qu'il s'agit d'un intérêt trop éloigné. Il n'est ni direct ni
certain. Il est plutôt indirect et incertain.
En ce qui concerne la partialité, on a admis que M. Lannon
n'avait pasyéellement agi avec partialité ou de mauvaise foi.
Je pense qu'il faudrait tirerr une conclusion simi-
laire des faits de l'espèce. À mon avis, l'intérêt de
M. Olsen était indirect et incertain et trop éloigné
pour constituer un intérêt pécuniaire direct ou
créer de la partialité. Pour ces motifs, je conclus
que le juge de première instance n'a pas commis
d'erreur en statuant qu'il n'existait aucun parti
pris direct visant un but lucratif.
Passons maintenant à la conclusion subsidiaire
de l'appelante selon laquelle le juge de première
instance a commis une erreur lorsqu'elle a dit [à la
page 236]: «L'intérêt de M. Olsen semblerait clai-
rement assimilable à celui dont traite la jurispru
dence relative à la "crainte raisonnable de
partialité".»
Dans l'arrêt Lannon précité, après s'être pro-
noncé sur la question de la partialité réelle (voir
plus haut), lord Denning a examiné la question de
la crainte raisonnable de partialité aux pages 599
et 600 du recueil:
[TRADUCTION] Il doit exister des circonstances dont un homme
raisonnable déduirait qu'il est probable ou vraisemblable que le
juge ou le président, suivant le cas, favoriserait ou a effective-
ment favorisé injustement une partie aux dépens de l'autre. Le
tribunal ne cherchera pas à établir s'il a effectivement favorisé
une partie aux dépens de l'autre. Il suffit que des personnes
raisonnables puissent le penser. La raison en est assez simple: la
justice doit s'appuyer sur la confiance, et la confiance est
détruite quand des gens ayant l'esprit droit peuvent penser: «Le
juge était partial.»
Appliquant ces principes, je me demande si M. John Lannon
aurait dû siéger. Je ne le crois pas. S'il était lui-même un
locataire ayant un différend avec son propriétaire au sujet du
loyer de son appartement, il est clair qu'il ne devrait pas
trancher une affaire dirigée contre le même propriétaire por-
tant également sur lé loyer d'un appartement, même s'il s'agis-
sait d'un autre appartement. En l'espèce, il n'était pas locataire
mais fils d'un locataire; cela ne fait cependant aucune diffé-
rence. Aucun homme raisonnable n'établirait de distinction
entre lui et son père étant donné qu'il habite avec ce dernier et
qu'il l'aide dans son litige.
Le critère applicable est très simple. Si M. Lannon avait posé
la question suivante à n'importe lequel de ses amis: «On m'a
demandé de présider une affaire concernant les loyers exigés
par le Freshwater Group of Companies à Oakwood Court.
Cependant, j'assiste déjà mon père dans une cause contre ce
groupe au sujet du loyer de son appartement à Regency Lodge
où j'habite avec lui. Crois-tu que je pourrais siéger dans cette
affaire?», sa réponse serait sûrement la suivante: «Non, tu ne
devrais pas. Tu agis déjà contre eux pour ainsi dire. Tu ne
devrais pas en même temps les juger.»
Nul ne doit agir à titre d'avocat pour ou contre une partie
dans une poursuite et, en même temps, juger cette partie dans
une autre poursuite. Tous admettront qu'un juge, ou un avocat
(lorsqu'il siège comme membre spécial d'un tribunal), ne
devrait pas connaître d'une cause à laquelle un proche parent
ou un ami intime est partie. Par conséquent, un avocat ne
devrait pas non plus connaître d'une affaire à laquelle un de ses
clients est partie, ni d'une affaire dans laquelle il agit déjà
contre l'une des parties. Les gens penseraient inévitablement
qu'il serait partial.
Par conséquent, je conclus que M. John Lannon n'aurait pas
dû faire partie de ce comité chargé de la fixation des loyers. La
décision est annulable pour ce motif et devrait être annulée.
Bien que le tribunal ne soit pas du même avis que la Cour
divisionnaire, j'aimerais souligner qu'il a reçu beaucoup plus de
renseignements que la Cour, en particulier, une lettre datée du
13 janvier 1967 et d'autres documents qui ne lui avaient pas été
soumis lorsqu'elle a rendu sa décision. En d'autres circons-
tances, je n'aurais pas jugé approprié d'intervenir.
J'accueillerais l'appel et renverrais l'affaire à un autre comité
chargé de la fixation des loyers pour qu'elle soit entendue à
nouveau aussitôt que possible.
Le juge en chef Hewart a énoncé brièvement le
même principe dans l'arrêt Rex v. Sussex Justices,
Ex parte McCarthy, [1924] 1 K.B. 256, la page
259:
[TRADUCTION] ... il est non seulement important, mais tout à
fait fondamental, que non seulement justice soit rendue, mais il
doit être manifeste et indubitable qu'elle a été rendue.
Le lord juge Edmund Davies, qui était également
membre du tribunal dans l'arrêt Lannon, a dit à la
page 606:
[TRADUCTION] ... les circonstances auxquelles mes collègues
ont déjà fait allusion sont telles que je trouve très regrettable
que ledit président ait entendu ces appels.
Parce que le juge de première instance a conclu
qu'au moment de l'audience en cause, M. Olsen
pouvait raisonnablement s'attendre à un gain
pécuniaire en raison de l'obtention des permis, les
faits en l'espèce auraient pu démontrer l'existence
d'un cas de crainte raisonnable de partialité si
cette question avait été soulevée en première ins
tance. Toutefois, comme le juge de première ins
tance l'a souligné et comme les avocats de l'appe-
lante l'ont admis dans leur exposé des faits et du
droit, leur position en première instance était que
[TRADUCTION] «les faits de l'espèce correspon-
daient aux caractéristiques du parti pris visant un
but lucratif et, par conséquent, la crainte raisonna-
ble de partialité ne constituait pas la question en
litige». Ils font maintenant valoir en appel que si le
juge de première instance avait déjà conclu que les
avocats avaient mal défini la nature de la partia-
lité, elle aurait dû les en informer et demander aux
avocats des autres parties de présenter des argu
ments sur la question de la crainte raisonnable de
partialité soit au cours de l'audience soit à une
date ultérieure avant le prononcé du jugement. Je
ne peux souscrire à cette prétention. Il est clair et
incontestable que la question de la crainte raison-
nable de partialité n'était pas en litige devant le
juge de première instance. Partant de là, cette
dernière n'était pas obligée de soulever une ques
tion qui n'avait été soulevée par aucune des par
ties. De même, comme l'avocat du procureur géné-
ral du Canada et de la C.C.E.A. l'a souligné, le
fait d'examiner cette question en appel alors
qu'elle n'a pas été soulevée en première instance
causerait un préjudice grave aux autres parties. Il
a fait remarquer que si la question de la crainte
raisonnable de partialité avait été en litige devant
la Division de première instance, il aurait très bien
pu juger opportun de produire des éléments de
preuves portant sur cette question qui, à son avis,
constituait une question distincte de celle qui avait
été soulevée en première instance, c'est-à-dire le
parti pris visant un but lucratif. Il faut se rappeler
que la conclusion de fait du juge de première
instance voulant que M. Olsen pouvait raisonna-
blement s'attendre à un gain pécuniaire constituait
une conclusion accessoire relative à une question
qui n'avait pas été soulevée devant le juge et au
sujet de laquelle les parties n'ont pu fournir d'élé-
ments de preuve.
Les avocats de l'appelante soutiennent toutefois
que sur le plan juridique, une conclusion de partia-
lité fondée sur l'existence d'un intérêt suffisant
pour justifier une exclusion entraîne normalement
l'annulation de la décision parce qu'une décision
partiale est rendue en l'absence de compétence. Ils
ont prétendu qu'il en est ainsi, peu importe que la
partialité soit réelle, qu'elle vise un but lucratif, ou
qu'il y ait une crainte raisonnable de partialité.
Partant de là, ils étaient d'avis que le fait de ne pas
avoir dès le départ soulevé la question de la crainte
raisonnable de partialité ne pouvait conférer au
tribunal la compétence qu'il avait perdue ou excé-
dée. Je ne suis pas d'accord pour dire que la
jurisprudence va jusqu'à poser en principe qu'un
tribunal administratif perd sa compétence lorsque
le motif de contestation n'est pas l'intérêt pécu-
niaire, mais plutôt la crainte raisonnable de partia-
lité. Dans la quatrième édition de l'ouvrage Judi
cial Review of Administrative Action, de Smith a
examiné cette question à la page 273:
[TRADUCTION] EFFET DE LA DÉCISION D'UN TRIBUNAL LORS-
QU'IL EXISTE UN INTÉRÊT OU UN ÉLÉMENT DE PARTIALITÉ
CONSTITUANT UNE CAUSE D'EXCLUSION
En droit prétorien, les tribunaux ont régulièrement statu(
qu'une décision judiciaire doit être annulée si l'un des juges
un intérêt pécuniaire dans cette décision. Ils ont refusé dl
«sonder les juges connaissant d'une affaire» [R. v. Cheltenhan
Commissioners (1841) 1 Q.B. 467, 480.] ou de «discuter df
l'étendue de l'influence exercée par la partie intéressée." [R. y
Herts JJ. (1845) 6 Q.B. 753, 758.] Le même principe sembli
prévaloir lorsque le moyen de contestation n'est pas l'intérê
pécuniaire, mais plutôt la possibilité de partialité. [R. v. Meyer
(1876) 1 Q.B.D. 173; R. v. Huggins [1895] 1 Q.B. 563. Voir
aussi R. v. Barnsley Licensing JJ. [1960] 2 Q.B. 167, 181, 18(
(où la question de l'intérêt pécuniaire a chevauché celle de 12
possibilité de partialité).] Il est concevable que l'attitude envers
les procédures d'organismes administratifs ou municipaux exer
gant des fonctions judiciaires soit différente selon que le moti.
de contestation est l'intérêt pécuniaire ou la possibilité df
partialité; l'intérêt pécuniaire d'un seul de leurs membre:
influera sur la validité des procédures; toutefois, il se peut quf
la possibilité de partialité de sa part n'ait aucun effet [voir R. y
Hendon R.D.C., ex p. Chorley [1933] 2 K.B. 696 (intér&
pécuniaire); et voir les opinions incidentes dans R. v. L.C.C., ea
p. Empire Theatre (1894) 71 L.T. 638, 640 et R. v. Huggins
[1895] 1 Q.B. 563, 565, 566-567; le nombre de membres df
l'organisme en cause peut constituer un élément important
Voir cependant, R. v. L.C.C., ex p. Akkersdyk [1892] 1 Q.B.
190, et les pp. 267, 272] à moins qu'il ne joue un rôle
proéminent dans les procédures. [Voir Taylor v. National
Union of Seamen [1967] 1 W.L.R. 532 (une affaire
syndicale).]
Il semble ressortir clairement de ce qui précède
que la validité de procédures administratives
dépendra des circonstances particulières de chaque
cas. De toute façon, dans l'affaire en instance,
étant donné que la question de la crainte raisonna-
ble de partialité n'a pas été soulevée en première
instance, le juge ne s'est pas prononcé sur ce sujet.
Cette question n'a pas été soulevée et les parties
n'ont pas eu l'occasion de produire d'éléments de
preuve à cet égard puisqu'elle n'était pas en litige.
Par conséquent, vu l'absence de conclusion sur la
partialité réelle, le parti pris visant un but lucratif,
ou la crainte raisonnable de partialité, la Cour n'a
pas perdu sa compétence.
Par ces motifs, je conclus que l'appel portant le
numéro A-561-84 ne peut être accueilli, sauf en ce
qui concerne la partie de l'ordonnance qui rejetait
la demande de jugement déclaratoire présentée par
l'appelante.
APPEL A-562-84
Cet appel vise la décision [[19841 2 C.F. 138]
du juge de première instance d'ajouter le procu-
reur général du Canada comme partie interve-
nante à l'action. Voici ce qu'a déclaré le juge de
première instance pour appuyer son opinion sui-
vant laquelle le procureur général du Canada avait
le droit d'être ajouté comme partie intervenante
[aux pages 142 et 143]:
Je suis certain qu'il s'agit d'un cas approprié où on devrait
accorder au procureur général l'autorisation de se constituer
partie. Le procureur général a un intérêt direct dans l'issue de
cette affaire. On allègue que l'un des membres de la C.C.E.A. a
fait, dans un but lucratif, preuve de parti pris dans les décisions
de la Commission, parce qu'il est président et administrateur
d'une société qui vend à l'Hydro-Ontario d'importantes quanti-
tés de câbles résistants aux rayonnements pour des réacteurs
nucléaires. Il ne s'agit pas d'un cas de prétendu parti pris relatif
à une opération isolée, mais à une activité commerciale perma-
nente. S'il y a parti pris dans cette affaire, alors le membre de
la Commission sera incompétent pour plusieurs décisions que
rend celle-ci. Par conséquent, avec la question soulevée, on
conteste la pratique du gouverneur en conseil de nommer, à
titre de membres à temps partiel de la C.C.E.A., des personnes
ayant dans l'industrie des intérêts de la nature décrite ci-dessus.
La question se rapporte au choix des personnes qui peuvent être
nommées à la Commission et aux conditions qu'on devrait leur
imposer (p. ex. qu'ils cèdent leurs intérêts) pour faire d'elles des
membres compétents de la Commission.
Je ne saurais souscrire à l'argument d'Enquête énergie selon
lequel le litige en l'espèce se rapporte uniquement au prétendu
parti pris de M. Olsen et constitue un [TRADUCTION] «COUP
unique». La portée en est beaucoup plus grande. Comme je l'ai
indiqué ci-dessus, le litige soulève en fait des questions relatives
à la composition de la Commission, et peut-être à celle d'autres
commissions semblablement constituées; il comporte effective-
ment, comme l'avocat d'Enquête énergie a été tenu de le
plaider dans l'action principale, des questions relatives à la
confiance que le public en général accorde aux commissions de
cette nature.
Elle a conclu en faisant notamment remarquer [à
la page 146] que la question dont la Cour est saisie
est d'intérêt public et d'une nature telle «... que la
Cour estime avantageux d'entendre l'argument du
procureur général sur la question pour s'assurer
que toutes les prétentions sont suffisamment exa
minées.» (Dossier d'appel p. 165.) Elle a invoqué à
l'appui de cette opinion l'arrêt Adams y Adams,
[1970] 3 All E.R. 572 (P.D.A.) où le juge Jocelyn
Simon a dit à la page 577:
[TRADUCTION] J'estime que le procureur général a aussi le
droit d'intervenir sur l'invitation ou avec l'autorisation du tribu
nal lorsque l'action soulève une question d'ordre public sur
laquelle le pouvoir exécutif émet une opinion qu'il souhaite
porter à l'attention du tribunal.
Les avocats de l'appelante ont toutefois allégué
que la Cour d'appel d'Angleterre a considérable-
ment limité la portée de l'arrêt Adams par la
décision qu'elle a rendue dans l'arrêt British Air
ways Board y Laker Airways Ltd, [1983] 3 All
E.R. 375 (Q.B.D. and C.A.). Je ne suis pas con-
vaincu que la Cour d'appel énonce dans cette
cause une opinion qui retirerait au procureur géné-
ral du Canada le droit d'intervenir en l'espèce. Le
maître des rôles, sir John Donaldson, a dit à la
page 403 du recueil:
[TRADUCTION] Il est très important au point de vue constitu-
tionnel que les tribunaux soient totalement indépendants du
pouvoir exécutif, et ils le sont. Ainsi, bien que les juges en tant
que citoyens ordinaires soient au courant de la «politique» du
gouvernement en place, c'est-à-dire ses objectifs politiques, ses
aspirations et son programme, ces questions n'ont absolument
rien à voir avec les décisions des tribunaux qui n'en tiennent pas
du tout compte. En ce qui concerne les questions de politique
intérieure, les tribunaux ne tiennent compte que de la volonté
du législateur exprimée dans les textes de loi, dans les ordon-
nances promulguées par pouvoir délégué et dans les actes de
l'exécutif autorisés par le Parlement. [C'est moi qui souligne.]
À mon avis, les faits de l'espèce concernent des
«actes de l'exécutif autorisés par le Parlement»
étant donné que le litige porte sur la manière dont
l'exécutif a utilisé les pouvoirs qui lui ont été
conférés par le Parlement.
Le juge de première instance a donné d'autres
motifs pour justifier l'intervention du procureur
général. Compte tenu de ma conclusion qui pré-
cède, il est inutile d'examiner ces motifs addition-
nels.
Je rejetterais donc l'appel A-562-84 pour les
motifs qui précèdent.
Voici un résumé des décisions que je me propose
de rendre dans les présents appels. Je rejetterais
l'appel A-562-84 avec dépens. En ce qui concerne
l'appel A-561-84, j'accueillerais l'appel et je modi-
fierais comme suit l'ordonnance rendue en Division
de première instance: «LA COUR ORDONNE que la
requête visant un bref de certiorari présentée par
la requérante soit rejetée, et statue qu'il faut
répondre par la négative à la question préliminaire
sur un point de droit, qui est de savoir si la
C.C.É.A. a commis une erreur de droit en permet-
tant à M. J. L. Olsen de participer à sa décision
d'octroyer un permis rendue le 20 septembre 1983,
le tout sans dépens.» Pour ce qui est des dépens de
l'appel A-561-84, étant donné que les intimées et
l'intervenant ont eu gain de cause pour l'essentiel,
j'estime qu'ils ont également droit aux dépens de
cet appel.
LE JUGE STONE y a souscrit.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: Je disposerais des deux
appels dont la Cour est maintenant saisie de la
manière proposée par mes collègues les juges
Heald et Stone, c'est-à-dire en confirmant les
ordonnances contestées, mais comme les motifs de
ma décision sont différents, j'estime que je devrais
exposer, en toute déférence, ma propre vision de
l'affaire.
La nature des procédures en cause et les faits
qui y ont donné ouverture sont clairement énoncés
dans les motifs de jugement rédigés par le juge
Heald. Cela ne servirait à rien de les examiner une
nouvelle fois. Pour ce qui est des procédures, il
suffira de rappeler que si, au premier coup d'œil,
elles semblent concerner pas moins de cinq diffé-
rentes demandes pendantes devant le juge des
requêtes (une action en vue d'un jugement déclara-
toire, une requête demandant que soit tranchée la
question de droit soulevée par cette action, une
demande visant une ordonnance de certiorari, une
requête visant l'annulation de cette demande en
raison de l'incapacité d'agir de l'appelante, et fina-
lement, une requête en intervention), elles se résu-
ment en fait à quelque chose de plutôt simple. Il
s'agit principalement d'une contestation de la vali-
dité d'une décision de la Commission de contrôle
de l'énergie atomique pour le motif qu'un membre
du comité appelé à rendre la décision était partial
(A-561-84), et accessoirement, d'une demande par
laquelle le procureur général du Canada cherche à
être constitué partie au litige (A-562-84). Pour ce
qui est des faits, seuls ceux qui se rapportent à
l'objet de la décision contestée et à l'essentiel de
l'allégation de partialité sont réellement impor-
tants, et ils peuvent être rappelés rapidement. La
décision portait sur le renouvellement du permis
d'exploitation du groupe 5 de la centrale nucléaire
Pickering «B» de l'Hydro-Ontario, et sur la déli-
vrance d'un nouveau permis pour commencer l'ex-
ploitation du groupe 6. Ces permis n'avaient rien à
voir avec la construction des groupes; en fait, c'est
l'instauration de conditions d'exploitation visant à
améliorer les conditions de sécurité qui était en
jeu. On s'est opposé à ce que J. L. (Roy) Olsen, un
membre à temps partiel de la Commission, parti-
cipe à la décision pour le motif que la société
Phillips Cables Limited, dont M. Olsen était prési-
dent, faisait affaire avec l'Hydro-Ontario. En fait,
Phillips Cables avait dans le passé fait des offres
pour la fourniture de câbles et matériaux connexes
requis pour la construction de réacteurs et avait
obtenu des contrats, et elle était sans aucun doute
intéressée à faire encore une fois des offres pour
obtenir d'autres contrats lorsque d'autres groupes
seraient construits. On a affirmé que cet intérêt
existait même si l'octroi de permis en lui-même ne
pouvait profiter immédiatement à M. Olsen ou à
sa société, ni même créer de nouvelles possibilités
de contrats.
Je ne vois pas quels autres éléments pourraient
être soulignés à ce stade préliminaire, et je passe
immédiatement à l'examen des questions soulevées
dans l'ordre proposé par le jugement de première
instance.
APPEL A-561-84
Il s'agit de l'appel visant la conclusion par
laquelle le juge des requêtes, Mme Reed, a rejeté les
allégations de partialité [dans [1984] 2 C.F. 227].
Lorsqu'elle examine les caractéristiques fonda-
mentales des règles de common law concernant la
partialité afin de les appliquer aux faits de l'es-
pèce, le juge des requêtes, dans ses motifs, semble
dégager une opposition directe entre le cas de
«partialité due à un intérêt pécuniaire» (pecuniary
bias) et celui de «crainte raisonnable de partialité»
et s'en tenir strictement à l'idée que seul un intérêt
pécuniaire «direct» et «certain», par opposition à un
intérêt pécuniaire indirect et incertain, peut consti-
tuer un cas de «partialité due à un intérêt pécu-
niaire». En fait, tout son raisonnement repose sur
ces deux distinctions. C'est en effet en se fondant
sur la seconde distinction que Mme le juge Reed
pouvait se dire d'avis que même si «à la date de
l'audition, ... M. Olsen ... pouvait raisonnable-
ment s'attendre à un gain pécuniaire en raison de
l'obtention des permis», ce gain ne pouvait lui être
acquis que de manière indirecte et non de manière
directe, et, par conséquent, ne pouvait légalement
donner lieu à de la «partialité due à un intérêt
pécuniaire»; et c'est en se fondant sur la première
opposition qu'elle a pu statuer que, même si la
preuve invoquée contre M. Olsen pouvait très bien
constituer une preuve de «crainte raisonnable de
partialité» (aux pages 236 et 245), la Cour ne
pouvait examiner la situation sous cet angle, l'avo-
cat ayant limité son allégation à la «partialité due
à un intérêt pécuniaire». Ces propositions juridi-
ques sur lesquelles le juge des requêtes a fondé son
raisonnement et appuyé ses conclusions ne me
semblent pas en parfait accord avec les enseigne-
ments de la jurisprudence telle que je les com-
prends, et je dois, en toute déférence, exprimer
mon désaccord avec elles.
Le principe de justice naturelle en cause dans
toutes les questions de partialité est, bien sûr, celui
qu'un tribunal appelé à trancher des différends
entre particuliers doit être indépendant, désinté-
ressé et impartial, et il va sans dire que l'applica-
tion pratique la plus évidente et la plus facile à
percevoir de ce principe est que nul ne doit être
juge dans sa propre cause. On a rapidement
«découvert», tous les manuels l'enseignent, que la
common law, comme le droit romain et le droit
canon bien avant elle, ne permettait pas à un juge
de connaître d'une affaire dans laquelle il avait un
intérêt d'ordre pécuniaire ou venant d'un droit de
propriété (voir de Smith's Judicial Review of
Administrative Action, (4e éd. 1980), page 248).
Depuis ce moment, si je comprends bien, le droit
en ce domaine a évolué à partir de deux idées. La
première est qu'il existe plusieurs intérêts autres
que pécuniaires qui peuvent avoir un effet sur
l'impartialité d'une personne appelée à rendre une
décision, des intérêts de type émotionnel pour-
rait-on dire (voir Pépin et Ouellette, Principes de
contentieux administratif (2e éd.) page 253),
comme la parenté, l'amitié, la partialité, des rela
tions professionnelles ou commerciales particuliè-
res avec l'une des parties, l'animosité envers une
personne ayant un intérêt dans l'affaire, une opi
nion arrêtée sur la question en litige, etc. L'autre
idée qui est devenue une sorte d'axiome juridique,
porte que [TRADUCTION] «il est non seulement
[. ..] fondamental que [...] justice soit rendue,
mais il doit être manifeste et indubitable qu'elle a
été rendue». L'évolution du droit à partir de ces
deux idées a eu pour conséquence qu'on distingue
aujourd'hui nettement les situations où la personne
appelée à rendre une décision a un intérêt pécu-
niaire dans le résultat du litige et les situations où
son intérêt est d'un autre genre. Dans le premier
cas, où la maxime nemo judex in causa sua trouve
application immédiate, la personne appelée à
rendre une décision devient péremptoirement inha-
bile à statuer peu importe l'importance de son
intérêt, pourvu seulement qu'il s'agisse d'un intérêt
rattaché à la décision elle-même et que cet intérêt
ne soit pas trop éloigné ou incertain pour avoir
quelque influence. Dans le second cas, la personne
appelée à rendre une décision devient inhabile à
statuer si son intérêt est tel qu'il laisserait dans
l'esprit d'un homme raisonnable informé des faits
une crainte raisonnable de partialité. (Voir au
sujet de ces propositions: de Smith's, op. cit. à la
page 250; 1 Halsbury's Laws of England (4th Ed.
1973) pages 67 et s.; Pépin et Ouellette, op. cit.
pages 252 et s.)
Il est évident que cette manière de voir le droit
relatif à la partialité tel qu'il est appliqué aujour-
d'hui par les tribunaux de common law m'empêche
de souscrire au raisonnement du juge de première
instance, et si je suis d'accord avec ses conclusions
sur les deux points essentiels que je viens de men-
tionner, c'est pour des raisons complètement
différentes.
a) Je ne crois pas qu'il faille interpréter le mot
«direct», lorsqu'il est employé par les juges ou dans
les manuels pour qualifier l'intérêt requis pour
qu'il y ait «partialité due à un intérêt pécuniaire» et
partant, cause d'exclusion péremptoire, d'une
manière si stricte et si étroite qu'un intérêt indirect
ou incertain, quel qu'il soit, n'aurait pas à être
considéré; le mot, à mon avis, veut dire ni trop
éloigné, ni trop incertain ou ni trop spéculatif.
Compte tenu de l'objet de la règle, soit que nulle
personne ayant le pouvoir et l'obligation de statuer
sur les droits de parties adverses ne saurait être
admise à exercer sa compétence pour son propre
profit ou ses intérêts matériels, il n'existe aucune
raison d'établir une distinction stricte entre le
caractère direct et indirect ou certain et incertain
du bénéfice pécuniaire que l'arbitre peut espérer
tirer de sa décision. Les seules exigences rationnel-
les sont que le bénéfice vienne de la décision
elle-même et qu'il en soit un effet suffisamment
probable pour «colorer» le cas aux yeux de l'arbi-
tre. Il me semble que la possibilité immédiate,
pour ne pas dire la probabilité, qu'une personne
tire directement ou indirectement un gain de sa
décision est suffisante pour rendre cette personne
inhabile à rendre une telle décision.
Si je devais accepter dans son sens littéral la
déclaration du juge de première instance à l'effet
que «.. . M. Olsen ... pouvait raisonnablement
s'attendre à un gain pécuniaire en raison de l'ob-
tention des permis», je serais définitivement porté à
conclure à l'existence d'une «partialité due à un
intérêt pécuniaire». Je ne crois cependant pas que
cette déclaration ait eu pour objet d'exprimer clai-
rement une conclusion de fait et, de toute façon,
elle n'est pas corroborée par la preuve. Comme je
l'ai rappelé plus haut, il s'agissait seulement de
permis d'exploitation et la société de M. Olsen ne
pouvait s'attendre à plus d'affaires ni, bien sûr, à
plus de profits suite à l'octroi de ces permis. La
simple possibilité de gain futur découlant d'autres
contrats accordés au cours de la construction d'au-
tres groupes était sans doute trop étrangère, trop
incertaine et trop éloignée pour constituer un cas
de «partialité due à un intérêt pécuniaire» relative-
ment à la décision qui devait être rendue à ce
moment-là.
b) Je ne considère pas la «partialité due à intérêt
pécuniaire» et la «crainte raisonnable de partialité»
comme caractérisant deux sous-catégories de par-
tialité. Une telle division me semblerait difficile à
défendre logiquement étant donné qu'elle ne pré-
senterait aucun point de comparaison, un groupe
étant identifié par la nature de l'intérêt et l'autre,
par la réaction éventuelle que pourrait susciter
dans l'esprit du public l'existence de cet intérêt.
Comme je l'ai dit plus tôt, c'est, à mon avis,
l'intérêt pécuniaire et l'intérêt non-pécuniaire qu'il
faut distinguer et, si je suis d'accord avec le juge
pour dire que la crainte raisonnable de partialité
n'était pas en litige en l'espèce, ce n'est pas en
raison de l'exposé de l'avocat, mais simplement
parce qu'aucun intérêt autre qu'un intérêt pécu-
niaire n'a été allégué ni même évoqué. Si la preuve
avait révélé l'existence d'un intérêt non-pécuniaire
susceptible d'influer sur la décision et suffisant
pour créer une nette possibilité de partialité, j'au-
rais pensé que même si l'avocat avait mal présenté
sa cause, le juge n'aurait pas été empêché d'en
tenir compte. Il ne fait évidemment aucun doute
que, dans un système accusatoire comme le nôtre,
un tribunal doit accepter les faits tels qu'ils lui ont
été révélés dans la seule preuve soumise par les
parties, et il ne peut substituer une nouvelle cause
d'action à celle sur laquelle le demandeur ou le
requérant s'est fondé pour demander son interven
tion. Mais il me semble qu'un tribunal doit appli-
quer le droit aux faits qui lui ont été démontrés
sans tenir compte de l'ignorance ou des omissions
des avocats qui viennent en qualité d'officiers de la
cour (paragraphe 11(3) de la Loi sur la Cour
fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10]), pour
représenter les parties, bien qu'il soit évident qu'en
agissant ainsi, il doit toujours respecter le droit des
parties de faire valoir tous leurs arguments. Cela
me semble particulièrement vrai dans un cas
comme celui dont il s'agit en l'espèce où la validité
même de la décision d'un organisme ayant un
pouvoir décisionnel est en cause. Il est en effet
difficile d'accepter qu'une cour supérieure appelée
à exercer son pouvoir de surveillance sur un tribu
nal confirme une décision qui, compte tenu de la
preuve, était empreinte de partialité pour le seul
motif que l'avocat chargé de l'affaire n'a pas réussi
à bien définir la situation au point de vue juridi-
que. Mais encore une fois, ce n'est pas à mon avis
le cas en l'espèce. Aucun «intérêt non-pécuniaire»
(intérêt «de type émotionnel» comme je l'ai dit plus
haut) n'était en cause. Le seul intérêt allégué, et le
seul auquel il a été fait allusion dans la preuve,
était, répétons-le, de nature pécuniaire. Un intérêt
de ce genre ne soulève pas, à mon avis, une ques
tion de crainte de partialité.
Si j'ai choisi d'aborder l'affaire et de donner
mon opinion sur celle-ci en présupposant que les
règles de la common law concernant la partialité,
telles qu'elles ont évolué dans la jurisprudence,
s'appliquaient intégralement à un organisme admi-
nistratif comme l'intimée, c'est en raison de la
position à cet effet adoptée par mes collègues dans
leurs motifs de jugement. Mais, en fait, j'estime
qu'une telle prémisse soulève un grave problème
et, à mon avis, le juge avait parfaitement raison de
penser que la première question à résoudre était de
savoir si elle était justifiée ou non. Le droit relatif
à la partialité s'est développé relativement à l'exer-
cice de toutes sortes de fonctions judiciaires ou
quasi judiciaires, de sorte que, au fil de son évolu-
tion, il a facilement pu passer des cours de justice
aux tribunaux et aux autres organismes appelés à
se prononcer sur des questions touchant les droits
civils des particuliers. Mais il ne semble pas jus-
qu'à présent y avoir d'autorité qui permette d'af-
firmer que ce droit doive s'appliquer à un tribunal
purement administratif comme la Commission qui
ne se prononce pas sur des droits privés, n'a aucun
pouvoir décisionnel au sens propre et ne ressemble
nullement à une cour de justice.
Pour statuer que le droit relatif à la partialité
s'appliquait, le juge de première instance est partie
de la proposition que la doctrine de l'équité énon-
cée par la Cour suprême dans l'arrêt Nicholson c.
Haldimand-Norfolk Regional Board of Commis
sioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311, s'ap-
pliquait manifestement aux décisions de la Com
mission relatives à l'octroi de permis, et à partir de
là, elle a ajouté (aux pages 234 et 235):
Je suis certain que l'obligation d'agir équitablement énoncée
par la Cour suprême dans l'arrêt Nicholson doit comporter la
condition que l'auteur d'une décision soit impartial. Toute autre
conclusion saperait entièrement le concept de l'exigence d'une
obligation d'équité.
Il serait en fait anormal qu'il faille, dans la prise d'une
décision administrative, suivre les règles d'équité sur le plan de
la procédure et qu'il ne soit pas nécessaire que l'auteur d'une
décision soit impartial. La partialité d'un tribunal constituerait
un défaut d'équité beaucoup plus grave que la non-observation
des exigences quant à la procédure.
Évidemment, nul ne pensera jamais à trouver à
redire à ces propositions. Toutefois, j'estime, en
toute déférence, qu'elles ne tranchent pas le litige.
Il est évident qu'en fait, il est «nécessaire que
l'auteur d'une décision soit impartial». On ne peut
douter que la loi exige que toute personne appelée
à rendre une décision en vertu de dispositions
législatives agisse de bonne foi et sans parti pris
(voir: David J. Mullan, Administrative Law, Titre
3, Vol. 1 C.E.D. (Ontario), 3e éd., 1979, par. 50 et
les décisions qui y sont mentionnées); la présence
de partialité réelle dans une décision, si elle est
démontrée, donnera toujours ouverture à un
recours (voir par exemple, Re Gooliah and Minis
ter of Citizenship and Immigration (1967), 63
D.L.R. (2d) 224 (C.A. Man.)). Mais les règles
mentionnées dans ce qu'on appelle le droit relatif à
la partialité vont beaucoup plus loin car, étant
donné qu'elles ont été élaborées pour éliminer
toute possibilité de partialité et même pour faire
disparaître toute crainte raisonnable de partialité,
elles n'exigent jamais que la partialité réelle soit
démontrée. Les remarques portant que l'équité est
incompatible avec la partialité ne tranchent donc
pas le litige.
Dans un paragraphe antérieur de ses motifs,
après avoir cité de longs extraits des motifs de
jugement du juge en chef Laskin (tel était alors
son titre) dans l'arrêt Nicholson, Mme le juge Reed
a fait remarquer qu'il ressortait des remarques du
juge en chef que «... les conditions d'équité peu-
vent être différentes de celles posées par les règles
de justice naturelle et moins exigeantes que cel-
les-ci.» C'est là, à mon avis, que réside la solution.
Il me semble tout à fait normal que les règles
d'équité recoupent les deux aspects des règles de
justice naturelle dont elles dérivent de manière à
créer des garanties non seulement contre l'arbi-
traire et le despostisme, mais aussi contre la par-
tialité. Je suis même tout à fait disposé à admettre
que, afin d'assurer une confiance totale de la part
du public dans les décisions de ces organismes
consultatifs et réglementaires, il doit y avoir des
règles destinées à protéger leur impartialité. Je
serais toutefois d'avis qu'il n'est pas nécessaire que
la norme à atteindre soit aussi élevée que celle
requise pour un tribunal ayant un pouvoir déci-
sionnel et que les règles applicables pourraient, par
conséquent, être moins strictes. Dans la pratique,
pour entraîner l'exclusion, l'intérêt pécuniaire doit,
selon moi, être plus immédiat et plus certain et
l'intérêt non-pécuniaire doit donner lieu à des
motifs très sérieux de craindre un manque d'im-
partialité. Cela peut entraîner de graves problèmes
d'application dans la vie courante, mais l'idée elle-
même est évidemment valable. Comme l'a remar-
qué Reid dans Administrative Law and Practice,
1971, à la page 220:
[TRADUCTION] ...«tribunal» est un mot fourre-tout qui désigne
des organismes multiples et divers. On se rend vite compte que
des normes applicables à l'un ne conviennent pas à un autre.
Ainsi, des faits qui pourraient être des motifs de partialité dans
un cas peuvent ne pas l'être dans un autre.
Cette opinion voulant que les règles du droit
relatif à la partialité ne puissent s'appliquer dans
toute leur rigueur à une commission comme l'inti-
mée renforce (si besoin est) ma conviction dans
cette affaire que l'intérêt pécuniaire que M. Olsen
était censé avoir dans cette décision était trop
éloigné et trop incertain pour constituer une cause
d'exclusion.
Je n'hésite donc pas à conclure comme mes
collègues que l'appel A-561-84 doit être rejeté.
APPEL A-562-84
Il s'agit de l'appel visant l'ordonnance [[1984] 2
C.F. 138] par laquelle le juge des requêtes a ajouté
le procureur général du Canada comme partie
intervenante à l'action. Les motifs pour lesquels je
rejette cet appel peuvent être énoncés très
brièvement.
Bien que je ne sache pas en vertu de quoi on
pourrait prétendre que le procureur général du
Canada possède un droit général d'intervention
dans une action mettant en cause des tiers dès lors
qu'une question d'intérêt public est soulevée, j'es-
time que la Cour a le pouvoir de permettre une
telle intervention (voir Commission des services
téléphoniques du gouvernement de l'Alberta c.
Conseil de la radiodiffusion et des télécommuni-
cations canadiennes, [1983] 2 C.F. 443 (1ie inst.) 2
mai 1983, confirmée par [1983] 2 C.F. 839
(C.A.), 10 novembre 1983) et le juge de première
instance, en prenant la décision d'exercer ce pou-
voir, avait raison d'invoquer les principes dégagés
par l'arrêt Adams v Adams (1970), 3 All E.R.
572. Je ne vois aucune raison pour intervenir.
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