A-115-84
Robert George Wilson (appelant)
c.
Ministre de la Justice (intimé)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Stone—
Winnipeg, 27 et 29 mai 1985.
Pratique — Jugement déclaratoire — Ne peut être obtenu
que par une action — Demande faite par avis de requête
introductif d'instance — Le juge peut rejeter la demande pour
des motifs d'ordre procédural ou ordonner, avec consentement
des parties et à la condition qu'elles versent au dossier un
exposé conjoint des faits, que l'on considère que l'instance a
été régulièrement introduite — Le juge de première instance a
statué sur le fond de la demande même si d'importantes
questions de faits demeuraient en litige — La Cour d'appel
fédérale est incapable d'établir la vérité en présence d'éléments
de preuve contradictoires — Nécessité de tenir un procès où les
témoins déposeraient et seraient contre-interrogés — Rejet de
l'appel avec dépens, sous réserve toutefois du droit d'intro-
duire une action.
Couronne — Prérogative royale du droit de grâce — Rejet
par le ministre de la Justice de la demande visant à obtenir la
tenue d'un nouveau procès, présentée en vertu de l'art. 617 du
Code — Éléments de preuve contradictoires constitués d'arti-
cles de journaux et d'un communiqué de presse portant sur les
contacts inappropriés que certaines personnes auraient eu avec
les jurés — La Cour d'appel fédérale est incapable d'établir la
vérité — Nécessité de tenir un procès où les journalistes et les
jurés seraient contre-interrogés — Si les reportages des jour-
naux sont véridiques, le tribunal d'appel ordonnerait la tenue
d'un nouveau procès — La Cour fédérale devrait alors se
demander si le ministre aurait dû donner suite à la demande
présentée en vertu de l'art. 617 du Code — Un jugement ne
peut être obtenu sur requête lorsque les faits sont en litige —
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 617.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Jugements
déclaratoires — La Division de première instance était liée par
l'arrêt Rothmans of Pall Mall Canada Ltd. c. Le ministre du
Revenu national (N° 2), aux termes duquel un jugement décla-
ratoire ne peut être demandé au moyen d'une requête intro-
ductive d'instance — Le juge de première instance a statué sur
le fond de la demande, l'avocat de l'intimé n'ayant pas vrai-
ment formulé d'objection — Le juge de première instance
pouvait, avec le consentement des parties, statuer sur le fond
pourvu qu'un exposé conjoint des faits ait été déposé — En
l'espèce, d'importantes questions de faits demeurent en litige
— La Cour d'appel ne peut établir la vérité à partir d'éléments
de preuve contradictoires — Rejet de l'appel sous réserve du
droit d'introduire une action.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Le juge de
première instance a statué que les art. 7 et 11 ne s'appliquaient
pas à l'exercice, en vertu de l'art. 617 du Code, de la préroga-
tive royale du droit de grâce — Conséquemment au jugement
rendu par la Cour suprême dans l'affaire Operation Dis
mantle, la décision ne peut tenir — Le rejet de l'appel est
fondé sur un autre motif — Charte canadienne des droits et
libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), art. 7, 11d) — Code criminel, S.R.C. 1970, chap.
C-34, art. 617.
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXAMINÉE:
Rothmans of Pall Mali Canada Ltd. c. Le ministre du
Revenu national (N° 2), [1976] 2 C.F. 512 (C.A.).
DÉCISION CITÉE:
Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres,
[1985] 1 R.C.S. 441.
AVOCATS:
Sidney Green, c.r. pour l'appelant.
Harry Glinter pour l'intimé.
PROCUREURS:
Sidney Green, c.r., Winnipeg, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: L'appelant se pourvoit
contre le jugement par lequel la Division de pre-
mière instance [[1983] 2 C.F. 379] a rejeté sa
requête en jugement déclaratoire. Le redressement
demandé concerne le refus du ministre de la Jus
tice de donner suite à la demande de clémence de
la Couronne présentée par l'appelant en vertu de
l'article 617 du Code criminel [S.R.C. 1970, chap.
C-34] .
Le juge de première instance a rejeté la requête
au motif que la décision du Ministre ne pouvait
faire l'objet d'un contrôle judiciaire. L'intimé
admet qu'en raison de l'arrêt Operation Dismantle
Inc. et autres c. La Reine et autres [ [ 1985] 1
R.C.S. 441], prononcé par la Cour Suprême du
Canada le 9 mai 1985, la décision ne peut se
fonder sur ce motif. Le juge de première instance a
également statué [à la page 407] que, suivant la
preuve, le Ministre avait procédé «à un examen
judiciaire complet et indépendant» de la demande
de l'appelant même si on lui avait refusé la permis
sion d'être entendu verbalement. Comme le juge
de première instance, j'estime que la preuve justi-
fie pleinement la conclusion que l'examen s'est
déroulé de façon équitable.
La question qu'il reste à trancher est de savoir
s'il y a lieu de rendre le jugement déclaratoire
demandé au paragraphe c) de l'avis de requête
introductif d'instance au motif qu'il semblerait que
justice n'a pas été faite:
[TRADUCTION] c) Un jugement déclarant que faute par
l'intimé d'examiner la question en faisant bénéficier le requé-
rant de la protection des règles de la justice naturelle, celui-ci
est privé des droits et libertés garantis par la Charte cana-
dienne des droits et en particulier de son droit à la liberté et
du droit à ce qu'il n'y soit porté atteinte qu'en conformité
avec les principes de justice fondamentale.
C'est manifestement parce qu'il était convaincu
que, en dépit des apparences contraires, aucune
injustice n'avait en réalité été commise, que le
Ministre a refusé la demande.
Par ailleurs, dans l'arrêt Rothmans of Pall Mall
Canada Ltd. c. Le ministre du Revenu national
(N° 2), [1976] 2 C.F. 512 (C.A.), à la page 515,
notre Cour a statué, sous la plume du juge Le
Dain:
Les Règles ne permettent pas d'obtenir un jugement déclara-
toire par une requête introductive d'instance mais seulement
par une action.
La Division de première instance est liée par cet
arrêt. Le juge de première instance connaissait
d'ailleurs cette décision et l'a signalée à l'attention
des parties lors de l'audition de la demande. Il a
déclaré [à la page 384]:
Cependant, après avoir entendu les arguments et comme
l'avocat de l'intimé n'a pas vraiment formulé d'objection, lais-
sant entendre que les faits n'étaient pas contestés, j'ai autorisé
la poursuite de l'action et j'ai convenu d'examiner les questions
litigieuses au fond.
Il est certain qu'en décidant d'autoriser la pour-
suite de l'action en dépit de l'inobservation des
Règles [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap.
663], le juge avait à l'esprit que la question fonda-
mentale qui se posait était de savoir si la décision
du Ministre pouvait ou non faire l'objet d'un con-
trôle judiciaire. Comme on le constatera, étant
donné que l'appelant présente maintenant la ques
tion sous l'angle d'une atteinte à sa liberté en
violation des droits qui lui sont garantis par la
Charte canadienne des droits et libertés [qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)], d'importantes questions de faits
demeurent en litige.
Il me semble que deux partis s'offrent au juge
saisi d'une requête en jugement déclaratoire: il
peut soit rejeter la demande pour des motifs d'or-
dre procédural tout en réservant au requérant le
droit d'intenter son action dans un délai qu'il fixe,
soit, avec le consentement des parties et non sim-
plement en l'absence d'objection, ordonner que l'on
considère que l'instance a été régulièrement intro-
duite, à condition que les parties versent au dossier
un exposé conjoint de tous les faits sur lesquels les
questions en litige devront être tranchées. L'omis-
sion de délimiter les faits peut amener une situa
tion semblable à celle que nous avons en l'espèce.
On ne peut avoir la certitude qu'en appel, les
questions en litige seront abordées de la même
façon que lors du procès.
L'appelant a été reconnu coupable par un jury
de deux infractions relatives à une affaire de
drogue et a été condamné à une peine d'emprison-
nement. La sentence a été prononcée le 12 novem-
bre 1980. Le 30 janvier 1982, longtemps après
l'expiration du délai d'appel, le Winnipeg Free
Press a fait paraître un reportage élaboré à partir
d'une série d'entrevues menées auprès des jurés.
Cet article prétendait qu'on avait essayé de cor-
rompre le jury au cours du procès. Le 1" février
1982, le Globe and Mail publiait un article analo
gue, semble-t-il de façon indépendante.
C'est l'article du Globe and Mail qui rapporte le
plus succinctement l'essence des allégations:
[TRADUCTION] À la suite d'un reportage protégé publié samedi
dernier dans le Winnipeg Free Press, le président du jury, Tony
McWha, a déclaré hier qu'au cours du procès qui s'était
déroulé sur une période de 6 semaines au cours de l'automne de
1980, les membres du jury avaient été constamment en contact
avec des personnes hostiles à M. Wilson.
Dans les corridors du Palais de Justice et à la cafétéria, les
jurés entendaient des personnes dire qu'elles voulaient "qu'il
soit mis derrière les barreaux, ce genre de chose" a-t-il déclaré;
"Chacun semblait connaître ses antécédents mieux que les
jurés."
M. McWha a cependant ajouté: "Je ne crois pas que personne
ait accordé de l'importance à ces déclarations."
M. McWha a également déclaré qu'un autre membre du jury
avait rencontré un de ses amis qui était un agent de la GRC
dans le hall devant la salle d'audience et lui avait demandé
comment l'accusateur de M. Wilson, un trafiquant de drogue
avéré, pouvait s'en tirer en échange de son témoignage, malgré
ses méfaits. M. McWha a déclaré que l'agent de la GRC a
rassuré le juré en lui affirmant que le trafiquant se ferait
probablement prendre plus tard pour un autre crime.
À la demande du procureur général du Manitoba,
la police de la ville de Winnipeg a fait enquête sur
les allégations en question. Les conclusions de
l'enquête ont fait l'objet d'un communiqué de
presse remis le 15 février par le procureur général.
Les passages suivants traitent des allégations de
façon complète et précise:
[TRADUCTION] Le rapport d'enquête de la police contient des
entrevues avec les douze jurés. Ils ont tous vigoureusement nié
l'allégation selon laquelle, au cours du procès, des personnes les
auraient incités à condamner Wilson en raison de ses
antécédents.
Chacun des douze jurés a nié l'existence des prétendues conver
sations entre un ou plusieurs membres du jury et un ou
plusieurs membres de la GRC.
Les jurés ont déclaré que la seule discussion qui a eu lieu au
sujet du passé de M. Wilson concernait exclusivement les
éléments de preuve divulgués lors du procès.
Le président du jury, dont les paroles sont citées dans l'article
de M. Ward, prétend que ce dernier l'a mal interprété. «Tout
est déformé» a déclaré le président du jury. «Il a ajouté des
choses et il en a modifié d'autres. Je n'ai jamais déclaré qu'on
avait fait pression sur qui que ce soit pour faire condamner
Wilson en raison de particularités de son passé dont il n'avait
pas été question au procès. Personne ne s'est adressé aux jurés
pour les inciter à condamner Wilson en raison de ses
antécédents.
J'ai déclaré (à Ward) que la preuve démontrait que Wright
avait trempé toute sa vie dans le crime et que les individus
comme lui se feraient probablement pincer un jour ou l'autre
pour autre chose. J'ai dit cependant que Wright n'avait pas été
traduit en justice, alors nous ne l'avons pas jugé. Je ne vois pas
comment Ward en est arrivé à croire que j'avais déclaré qu'un
agent de la GRC nous avait fait des commentaires. Cela n'est
jamais arrivé.»
Un extrait de la transcription d'un enregistrement
sonore qui aurait été effectué par le journaliste du
Free Press au cours de son entrevue avec le prési-
dent du jury tend à appuyer la version des faits
relatée dans le journal.
Le 12 février, l'appelant s'est adressé au minis-
tre de la Justice pour obtenir la clémence de la
Couronne. Voici le libellé de l'article 617 du Code
Criminel:
617. Sur une demande de clémence de la Couronne, faite par
ou pour une personne qui a été condamnée à la suite de
procédures sur un acte d'accusation ou qui a été condamnée à
la détention préventive en vertu de la Partie XXI, le ministre de
la Justice peut
a) prescrire, au moyen d'une ordonnance écrite, un nouveau
procès ou, dans le cas d'une personne condamnée à la déten-
tion préventive, une nouvelle audition devant toute cour qu'il
juge appropriée si, après enquête, il est convaincu que, dans
les circonstances, un nouveau procès ou une nouvelle audi
tion, selon le cas, devraient être prescrits;
b) à toute époque, renvoyer la cause devant la cour d'appel
pour audition et décision par cette cour comme s'il s'agissait
d'un appel interjeté par la personne déclarée coupable ou par
la personne condamnée à la détention préventive, selon le cas;
ou
c) à toute époque, renvoyer devant la cour d'appel, pour
connaître son opinion, toute question sur laquelle il désire
l'assistance de cette cour, et la cour doit donner son opinion
en conséquence.
Le 19 avril 1983, le Ministre a informé par écrit
l'appelant qu'il refusait d'intervenir en vertu de
l'article 617. Le 1°' juin, ce dernier a déposé l'avis
de requête introductif d'instance dont il est ques
tion en l'espèce.
Les passages précités du journal et du communi-
qué de presse font ressortir le dilemme insoluble
devant lequel la Cour se trouve en l'espèce. Ni l'un
ni l'autre de ces écrits ne fait foi de son contenu.
La Cour est incapable de déterminer lequel est
conforme à la réalité, si tant est qu'ils disent la
vérité. Une telle décision exige la tenue d'un procès
où les journalistes ou les jurés pourront être appe-
lés à témoigner et être contre-interrogés. La pré-
sente espèce illustre parfaitement la raison pour
laquelle il y a lieu de procéder au moyen d'une
action pour obtenir un jugement déclaratoire.
J'admets que si les reportages publiés dans le
journal sont véridiques, les faits sont tels que le
tribunal saisi d'un appel interjeté des condamna-
tions accueillerait celui-ci et ordonnerait la tenue
d'un nouveau procès. Si ces faits étaient prouvés,
notre Cour serait alors obligée de se demander si,
dans les circonstances, le ministre de la Justice
était tenu de donner suite à la demande présentée
en vertu de l'article 617 ou s'il avait le droit de
refuser d'y donner suite si, au terme d'une enquête
menée de façon impartiale, il en venait à la conclu
sion que, en dépit des apparences, justice avait
effectivement été faite et que l'atteinte portée à la
liberté de l'appelant était conforme aux principes
de justice fondamentale. En revanche, si c'est le
communiqué de presse qui est conforme à la vérité,
il n'existe plus de fondement de fait pouvant justi-
fier la Cour d'examiner ces questions. Le débat
serait dès lors vidé.
Étant donné que la Cour est incapable de résou-
dre les questions de faits contestées et que c'était à
l'appelant qu'il incombait d'établir les faits allé-
gués à l'appui de sa cause, celui-ci doit être
débouté et l'appel doit être rejeté avec dépens, sous
réserve toutefois du droit de l'appelant d'introduire
une action pour obtenir, s'il le désire, un jugement
déclaratoire.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE STONE: Je suis du même avis.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.