T-1585-84
Affaire intéressant la Loi sur la citoyenneté et
Charles Emmanuel Noailles (appelant)
Division de première instance, juge Dubé—Mont-
réal, 12 avril; Ottawa, 22 mai 1985.
Citoyenneté — L'art. 20(2) de la Loi sur la citoyenneté
prévoit qu'un requérant ne peut recevoir la citoyenneté s'il a
été déclaré coupable d'un acte criminel au cours des trois
années précédant sa demande — L'art. 20(2) n'est pas con-
traire à l'art. 11h) de la Charte qui garantit le droit d'une
personne de ne pas être jugée ou punie de nouveau pour des
actes criminels dont elle a été définitivement déclarée coupable
— L'art. 11 ne s'applique qu'en matière criminelle: Re James
and Law Society of British Columbia (1982), 143 D.L.R. (3d)
379 (C.S.C.-B.) — Le rejet de la demande de citoyenneté n'est
pas une deuxième peine, mais une conséquence civile de l'acte
criminel — Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, chap.
108, art. 20(2) (mod, par S.C. 1977-78, chap. 21, art. 8) —
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie
I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.- U.).
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procédures
criminelles et pénales — Appel du rejet d'une demande de
citoyenneté en vertu de l'art. 20(2) de la Loi sur la citoyenneté,
lequel prévoit que les personnes déclarées coupables d'un acte
criminel au cours des trois années précédant immédiatement
leur demande, ne peuvent recevoir la citoyenneté — Rejet de
l'appel — L'art. 20(2) n'est pas contraire à l'art. 11h) de la
Charte qui garantit le droit d'une personne de ne pas être jugée
ou punie de nouveau pour un acte criminel dont elle a été
définitivement déclarée coupable — La décision Re James and
Law Society of British Columbia (1982), 143 D.L.R. (3d) 379
(C.S.C.-B.) a établi que l'art. 11 de la Charte ne s'applique
qu'en matière criminelle — La demande de citoyenneté est une
procédure de nature civile — Loi sur la citoyenneté, S.C.
1974-75-76, chap. 108, art. 20(2) (mod. par S.C. 1977-78,
chap. 11, art. 8) — Charte canadienne des droits et libertés,
qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Re James and Law Society of British Columbia (1982),
143 D.L.R. (3d) 379 (C.S.C.-B.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
In re Lamb, 296 N.E.2d 280 (Ohio Ct. App. 1973);
Rosenbaum v. Law Soc. of Man., [1983] 5 W.W.R. 752
(B.R. Man.); Belhumeur v. Discipline Ctee. of Que. Bar
Assn. (1983), 34 C.R. (3d) 279 (C.S. Qué.).
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. Wooten (1983), 5 D.L.R. (4th) 371 (C.S.C.-B.);
Bowen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1984] 2 C.F. 507 (C.A.); R. v. Cole, [1980] 6 W.W.R.
552 (C. cté Man.).
AVOCATS:
Jean Parcigneau pour l'appelant.
Pierre Paquette, amicus curiae.
PROCUREURS:
Jean Parcigneau, Montréal, pour l'appelant.
Paquette, Nolan & Associés, Laval, amicus
curiae.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DUBÉ: Il s'agit ici de l'appel d'une
décision d'un juge de la Cour de la citoyenneté
canadienne rejetant la requête de l'appelant pour
le motif qu'il a été déclaré coupable d'un acte
criminel au cours des trois années précédant sa
date de demande contrairement aux dispositions
du paragraphe 20(2) de la Loi sur la citoyenneté
[S.C. 1974-75-76, chap. 108 (mod. par S.C.
1977-78, chap. 22, art. 8)].
À l'audition de cet appel, le procureur de l'appe-
lant a allégué que l'article 20 de la Loi sur la
citoyenneté constitue une violation de la garantie
juridique que lui accorde l'alinéa 11h) de la
Charte canadienne des droits et libertés [qui cons-
titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982,
chap. 11 (R.-U.)] lequel se lit comme suit:
11. Tout inculpé a le droit:
h) d'une part de ne pas être jugé de nouveau pour une
infraction dont il a été définitivement acquitté, d'autre part
de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction
dont il a été définitivement déclaré coupable et puni;
Le procureur repose son allégué surtout sur
l'arrêt Lamb', une décision de la Cour d'appel de
l'Ohio à l'effet que des prisonniers s'étant échappés
et ayant déjà été trouvés coupables et condamnés à
ce chef ne peuvent être placés en détention puni
tive vu que cela constitue l'imposition d'une peine
double pour la même infraction en violation des
Cinquième et Quatorzième Amendements de la
Constitution américaine.
Dans l'affaire Re James and Law Society of
' 296 N.E.2d 280 (Ohio Ct. App. 1973).
British Columbia 2 , la Cour devait déterminer si un
avocat convoqué devant un comité disciplinaire du
Barreau de sa province pouvait invoquer l'applica-
tion de l'alinéa 11c) de la Charte (le droit à ne pas
être contraint à témoigner contre soi-même). La
Cour a conclu que l'alinéa en question ne s'appli-
que qu'en matière criminelle: la procédure discipli-
naire en question était de nature civile.
Un autre avocat dont le comportement de par-
jure était porté à l'attention du comité disciplinaire
du Barreau du Manitoba a tenté d'obtenir un bref
de prohibition à l'encontre de ladite enquête. Dans
cette affaire (Rosenbaum v. Law Soc. of Man.)',
la Cour a décidé que les conséquences potentielle-
ment sérieuses du côté professionnel ne convertis-
sent pas une telle procédure civile en procédure
pénale de façon à déclencher l'article 11 de la
Charte lequel ne vise que l'infraction criminelle
(«offence»).
Relativement à une autre affaire devant le Bar-
reau (Belhumeur v. Discipline Ctee. of Que. Bar
Assn.) 4 , le juge Hugessen, maintenant de la Cour
d'appel fédérale concluait comme suit [à la page
284]:
A mon sens, les droits garantis par l'art. 11 le sont unique-
ment dans le contexte de l'exercice par l'état du droit public de
répression et de correction. Ils n'ont rien à voir avec le droit
privé ni avec les privilèges essentiellement civils accordés aux
membres des diverses professions.
La question présentement en litige s'est égale-
ment posée en matière d'immigration et la juris
prudence a généralement voulu que l'on ne peut
invoquer l'alinéa 11 c) pour justifier un refus de
témoigner au cours d'enquêtes tenues à ce sujet en
vertu de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C.
1976-77, chap. 521 5 .
L'économie de la Loi sur la citoyenneté indique
clairement que la procédure aux termes de laquelle
une personne demande à l'état de lui reconnaître le
privilège de devenir un de ses citoyens est une
procédure de nature civile. Cette loi ne considère
pas une telle personne comme un inculpé, ne la
juge pas de nouveau et ne la punit pas de nouveau.
2 (1982), 143 D.L.R. (3d) 379 (C.S.C.-B.).
3 [1983] 5 W.W.R. 752 (B.R. Man.).
4 (1983), 34 C.R. (3d) 279 (C.S. Qué.).
5 R. v. Wooten (1983), 5 D.L.R. (4th) 371 (C.S.C.-B.);
Bowen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [ 1984] 2
C.F. 507 (C.A.); R. v. Cole, [1980] 6 W.W.R. 552 (C. cté
Man.) est l'exception.
L'infraction criminelle d'une telle personne a
cependant des conséquences dont elle doit répon-
dre, tout comme un criminel peut avoir causé des
dommages matériels ou des blessures à autrui et
est donc sujet à des poursuites civiles en plus des
instances criminelles.
L'une des retombées de l'infraction causée par
l'appelant est le rejet de sa demande de citoyen-
neté. Par son geste il a retardé lui-même l'obten-
tion du privilège de devenir citoyen canadien. En
d'autres mots, le rejet de sa demande de citoyen-
neté n'est pas une deuxième peine qu'on lui inflige
mais une conséquence civile de son acte criminel.
Après tout, l'état canadien a le droit de se
protéger en refusant le privilège de la citoyenneté à
celui qui ne répond pas aux critères légitimement
établis par une loi du Parlement. Il est tout à fait
juste et raisonnable que nul ne puisse recevoir la
citoyenneté si au cours des trois années précédant
sa demande il a été déclaré coupable d'une infrac
tion, ou d'un acte criminel prévu par une loi du
Parlement.
En conséquence, l'appel est rejeté.
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