T-1420-84
Ville de Cap-Rouge (demanderesse)
c.
Ministre des Communications du Canada (défen-
deur)
et
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunica-
tions canadiennes et Télémédia Communications
Ltée (mis-en-cause)
Division de première instance, juge Denault—
Québec, 21 novembre; Ottawa, 6 décembre 1984.
Pratique — Parties — Qualité pour agir — La municipalité
demande l'annulation de la décision autorisant l'installation
d'antennes — Les antennes constituent-elles des nuisances?
Demanderesse prétendant représenter ses contribuables —
Défendeur demande la radiation des plaidoiries pour absence
d'intérêt — Les Règles de la Cour fédérale sont muettes sur la
question de l'intérêt — La Règle 5 permet la référence au Code
de procédure civile — Pour intenter un recours judiciaire, une
partie doit avoir le pouvoir de le faire et l'intérêt suffisant —
Ni la loi provinciale ni les règles de procédure civile ne
confèrent à la municipalité le pouvoir de plaider au nom
d'autrui — Une partie a un intérêt suffisant si elle peut
trouver un avantage d'ordre pécuniaire et (ou) moral — La
municipalité n'a allégué aucun droit distinct et personnel
Interprétation restrictive de la notion d'intérêt suffisant —
Requête accueillie — Règles de la Cour fédérale, C.R.C.,
chap. 663, Règles 5, 419(1), 1708 — Code de procédure civile
du Québec, art. 55, 59 — Loi des Cités et Villes, L.R.Q. 1977,
chap. C-19, art. 28(1)(5°), 415.
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXAMINÉE:
Association des Propriétaires des Jardins Taché Inc. et
al. c. Entreprises Dasken Inc. et al., [1974] R.C.S. 2.
DÉCISION CITÉE:
Corporation du Village de la Malbaie v. Warren (1923),
36 B.R. 70 (Qué.).
AVOCATS:
Denis Gingras pour la demanderesse.
James Mabbutt pour le défendeur.
Wilson Atkinson pour les mis-en-cause.
PROCUREURS:
Gingras & Dawson, Québec, pour la deman-
deresse.
Le sous-procureur général du Canada pour le
défendeur.
Clarkson, Tétrault, Montréal, pour les
mis-en-cause.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE DENAULT: Le défendeur présente une
requête pour faire rejeter l'action de la demande-
resse au motif qu'elle ne révèle aucune cause rai-
sonnable d'action, conformément à la Règle
419(1) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C.,
chap. 663] .
Par son action, la demanderesse vise à obtenir
l'annulation d'une décision du défendeur d'accep-
ter un certificat technique de construction et de
fonctionnement des antennes de la mise-en-cause
Télémédia. Elle demande également au ministre
des Communications de faire respecter les règles
de procédure de son Ministère et de forcer la
mise-en-cause à s'y conformer. Enfin, elle
demande une ordonnance enjoignant au défendeur
de refuser l'acceptation définitive du certificat et
d'ordonner le démantèlement des antennes de la
mise-en-cause à St-Augustin.
Le défendeur soumet une requête en radiation
en invoquant l'absence d'intérêt de la demande-
resse et l'irrecevabilité du recours contre le
défendeur.
En fait, la demanderesse prétend que «63.5% des
foyers de Cap-Rouge sont affectés par un brouil-
lage occasionné par l'émission à 50,000 watts de la
mise en cause Télémédia Communications Ltée»
(paragraphe 22) et elle prétend que «les récepteurs
AM-FM, les appareils téléphoniques, les chaînes
stéréo, les ordinateurs, les appareils de télévision,
les systèmes de communications internes et les
systèmes de haut parleurs» (paragraphe 24) sont
affectés par l'installation desdites antennes. En
conséquence, «la demanderesse, au nom de ses
contribuables, réclame que cessent les inconvé-
nients majeurs subséquents au maintien d'une
décision illégale» (paragraphe 21). Elle prétend en
outre que cette situation ne peut plus persister et
demande «que cesse cette pollution qui est une
atteinte à une qualité de vie que ses contribuables
sont en droit d'exiger» (paragraphe 26).
Sans ambages, la demanderesse prétend donc
qu'elle représente ses contribuables et elle soumet
qu'elle a un intérêt suffisant pour agir en leur nom
parce que ce dont ils se plaignent constitue des
nuisances qui les touchent. De plus, elle a déjà fait
des représentations en leur nom auprès du ministre
des Communications et elle prétend que ce fait lui
confère l'intérêt pour les représenter.
Les articles 1708 et suivants des Règles de la
Cour fédérale sont muets quant à la nature de
l'intérêt requis pour ester en justice devant la
présente Cour. La Règle 5 permet cependant la
référence au Code de procédure civile du Québec
en l'occurrence. L'article 55 C.P.C. stipule ce qui
suit:
55. Celui qui forme une demande en justice, soit pour obtenir
la sanction d'un droit méconnu, menacé ou dénié, soit pour
faire autrement prononcer sur l'existence d'une situation juridi-
que, doit y avoir un intérêt suffisant.
Pour intenter un recours judiciaire, le deman-
deur doit avoir le pouvoir de le faire et l'intérêt
suffisant, c'est-à-dire qu'il doit y trouver avantage
et utilité qui auront pour effet de modifier ou
d'améliorer sa situation juridique.
Création de l'autorité législative, la municipalité
ne détient que les pouvoirs qui lui sont confiés par
la Loi des Cités et Villes, L.R.Q. 1977, chap.
C-19. Ces pouvoirs sont très vastes et comprennent
entre autres celui de légiférer concernant les nui
sances publiques (article 415, L.C.V.). Elle peut
aussi ester en justice (article 28(1)(5°), L.C.V.).
La municipalité n'a cependant pas le pouvoir de
plaider au nom d'autrui. Au contraire, le législa-
teur a prévu à l'article 59 C.P.C. que «Nul ne peut
plaider sous le nom d'autrui, hormis le Souverain
par des représentants autorisés». Certes, on
retrouve certaines exceptions prévoyant entre
autres le cas des mineurs et des interdits mais
l'autorité municipale n'est pas comprise dans ces
exceptions. D'une part, donc, la municipalité ne
peut plaider au nom d'autrui car celui qui plaide
pour autrui n'a pas d'intérêt quand il invoque un
droit qui ne lui appartient pas. Seul le titulaire de
ce droit peut agir si son droit lui est nié ou
contesté. «Il ne suffit pas, en effet pour instituer
une action qu'un droit existe, il faut aussi une
lésion de ce droit qui produit l'intérêt, lequel seul
justifie l'institution d'une action»'.
1 Corporation du Village de la Malbaie v. Warren (1923), 36
B.R. 70 (Qué.), à la p. 72.
Le demandeur aura l'intérêt suffisant pour exer-
cer un recours judiciaire s'il peut y trouver un
avantage d'ordre pécuniaire et/ou moral. Son inté-
rêt doit également être personnel sauf les cas
prévus par la loi, à savoir les curateurs, le recours
collectif, etc. 11 va de soi également que la munici-
palité peut faire valoir les recours qui lui sont
personnels pour la protection de ses immeubles, le
recouvrement de ses créances, la protection de ses
règlements, etc.
En l'espèce, la municipalité n'a allégué aucun
droit distinct propre et personnel de nature à justi-
fier le recours recherché. Tel que ci-haut men-
tionné, la municipalité ne peut agir que dans le
cadre des pouvoirs conférés par l'autorité consti-
tuée. À cet égard, je ne vois pas comment elle peut
se substituer à ses contribuables pour exercer un
tel recours alors que la Cour suprême a interprété
de façon très restrictive la notion d'intérêt suffi-
sant, refusant à une association de propriétaires de
poursuivre au nom de ceux-ci dans l'affaire à
l'Association des Propriétaires des Jardins Taché
Inc. et al. c. Entreprises Dasken Inc. et al., [ 1974]
R.C.S. 2, à la page 10, où le juge Pigeon s'exprime
ainsi:
Disons tout de suite que pour ce qui est de l'Association, la
décision de la Cour d'appel est bien fondée. Rien ne permet à
cette organisation d'exercer les droits de ses membres. Elle
n'allègue pas d'autre qualité que celle qui découle de sa consti
tution en vertu de la troisième partie de la Loi des compagnies.
Elle ne se dit pas propriétaire et se contente d'alléguer que ses
membres le sont. La seule décision qu'on nous ait cité sur ce
point à l'audition est La Fraternité des Policiers c. La Ville de
Montréal. Dans cette cause-là il s'agissait d'un syndicat profes-
sionnel régi non par la Loi des compagnies mais par une autre
loi qui renferme une disposition lui accordant spécialement le
pouvoir d'exercer les droits de ses membres relativement à
certains faits portant un préjudice collectif. On ne trouve rien
de tel dans la loi qui régit l'Association.
Vu la conclusion à laquelle j'en viens à savoir
que la Ville n'a pas l'intérêt suffisant pour exercer
le recours recherché, je n'élaborerai pas sur le
deuxième argument soulevé par le défendeur dans
sa requête, à savoir que la municipalité n'aurait
pas droit au redressement recherché.
La requête du défendeur est accueillie et l'action
de la demanderesse est rejetée avec dépens.
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